[51,0] LI. De la louange. [51,1] Les louanges sont les rayons réfléchis de ta vertu ; mais comme l'image n'est semblable à l'objet représenté qu'autant que le miroir est fidèle, la gloire qui vient du peuple est ordinairement fausse, son estime étant plutôt le prix d'un certain étalage que d'un vrai mérite. Un mérite transcendant est au-dessus de sa portée; il loue volontiers les vertus du dernier ordre ; les vertus moyennes excitent son admiration ou plutôt son étonnement ; quant aux vertus sublimes, il n'en a pas même le sentiment. L'apparence du mérite, le simulacre de la vertu, voilà ce qui enlève les suffrages de la multitude. La renommée est semblable à un fleuve qui soulève les corps légers en coulant à fond ceux qui ont plus de poids et de solidité. Mais lorsque les suffrages des hommes distingués par leur naissance ou leur mérite se joignent à ceux de la multitude, alors seulement l'on peut dire avec l'Ecriture-Sainte qu'une bonne renommée est semblable aux parfums les plus suaves; elle s'étend au loin, ne se dissipe jamais ; car le parfum des substances onctueuses dont elle parle est de plus longue durée que celui des fleurs. Il entre tant de fausseté dans la plupart des éloges, qu'on ne peut pas y ajouter foi et qu'ils peuvent être justement suspects ; souvent c'est pure flagornerie. Si c'est un flatteur ordinaire, il aura des lieux communs qui lui serviront à encenser toutes sortes de personnes indistinctement ; mais si c'est un flatteur adroit, sa voix ne sera que l'écho de celle du flatteur par excellence, je veux dire de l'amour-propre de la personne à flatter ; il aura soin de lui attribuer le genre de talent ou de vertu dont elle se pique le plus ; il osera vous louer des qualités que vous savez bien vous-même ne pas avoir, et sur les choses dont vous rougissez intérieurement, sans s'embarrasser de ce que vous dit votre propre conscience. Il est d'autres louanges qui sont données à bonne intention et inspirées par le respect. De cette nature sont les hommages qu'on doit aux princes et aux grands; c'est ce que les anciens appelaient : Instruire les personnes par les éloges mêmes qu'on leur donne ; c'est-à-dire lorsqu'on les loue des qualités qu'ils n'ont pas et qu'ils devraient avoir. Il est des hommes qu'on loue malicieusement et à dessein de leur nuire en leur suscitant beaucoup d'envieux : "Les pires, ennemis ce sont ceux qui louent." Les Grecs avaient un proverbe superstitieux qui disait que, "lorsqu'une personne en louait une autre dans l'intention de lui nuire, il venait une pustule au nez de celle-ci" ; ce qui a trait à ce proverbe anglais : "Si vous mentez, il vous viendra un bouton sur la langue". Il n'est pas douteux que des éloges modérés, donnés à propos et sans éclat, ne contribuent beaucoup à la réputation de celui qui en est le sujet. Mais Salomon a dit : "Celui qui se lève de grand matin pour louer à haute voix son ami sera pour lui un sujet de malédiction." {Proverbes, XXVII, 14} Louer à grand bruit une personne ou une chose, c'est exciter les envieux à contredire ces éloges et à la déprimer. Il ne convient pas de se vanter soi-même, sinon en certains cas assez rares; mais il est permis de louer son emploi ou sa profession; c'est ce qu'on peut faire de bonne grâce et même avec une sorte de noblesse et de grandeur. Ceux d'entre les cardinaux romains qui sont théologiens, moines ou scolastiques, usent d'une qualification tout-à-fait méprisante et injurieuse en parlant des emplois et des offices relatifs aux affaires temporelles, tels que ceux d'ambassadeurs, de ministres, de généraux d'armée, de juges, de magistrats, etc. Ils les appellent "sbirreie" (des sbirreries) ; comme si de telles fonctions n'étaient guère au-dessus de celles de sergent, d'huissier, 'appariteur, etc. Saint Paul, en parlant de lui-même, dit souvent : "Quant à moi, je parle comme un insensé" ; mais en parlant de son ministère il dit : "Je ne craindrai pas d'exalter en toute occasion mon apostolat".