[2,11] CHAPITRE XI. Division de l'histoire ecclésiastique en histoire ecclésiastique spéciale, histoire prophétique, et histoire de Némésis. L 'Histoire ecclésiastique reçoit presque les mêmes divisions que l'histoire civile. Car il y a les chroniques ecclésiastiques, les vies des saints pères, les relations des synodes, et d'autres assemblées qui intéressent l'église. L'histoire ecclésiastique, proprement dite, se divise en celle qui retient le nom du genre, en histoire prophétique et histoire de Némésis ou de la providence. La première envisage les temps de l'église militante et son état de variation, soit qu'elle flotte comme l'arche dans le déluge, soit qu'elle voyage comme l'arche dans le désert, soit qu'elle s'arrête comme l'arche dans le temple; c'est-à-dire l'église considérée dans l'état de persécution, dans l'état de mouvement et dans l'état de paix. Je ne vois pas qu'il manque rien en ce genre; je vois au contraire beaucoup plus de superfluités que de choses omises : je souhaiterais seulement qu'à sa masse énorme répondit le choix et la sincérité des narrations. La seconde partie, qui est l'histoire prophétique, est composée de deux parties corrélatives ; savoir : la prophétie même et son accomplissement. Le plan d'une telle histoire doit être de réunir chaque prophétie tirée de l'Écriture, avec l'événement qui justifie la prédiction, et cela pour tous les âges du monde, tant afin d'affermir la foi, qu'afin de pouvoir donner des règles et former une sorte d'art pour interpréter les prophéties qui restent à accomplir; mais il faut admettre dans ces choses-là cette latitude qui est propre et familière aux oracles divins, et bien comprendre que leur accomplissement a lieu tantôt d'une manière continue, tantôt dans un temps précis; ils retracent la nature de leur auteur, "pour qui un seul jour est comme mille années, et mille années sont comme un seul jour". Or, quoique la plénitude et le plus haut point de leur accomplissement soient le plus souvent réservés à tel âge, ou même à tel moment, ils ont toutefois certains degrés, certaine échelle d'accomplissement dans les différents âges du monde. Or, ce genre d'ouvrage, je décide qu'il nous manque absolument; mais il est de telle nature, que ce n'est qu'avec beaucoup de sagesse, de réserve et de respect qu'il faut le traiter, autrement il faut l'abandonner tout-à-fait. La seconde partie, qui est l'histoire de Némésis, a exercé la plume de quelques pieux personnages, non sans que l'esprit de parti s'en soit mêlé, et son objet est d'observer la divine harmonie qui règne quelquefois entre la volonté révélée de Dieu et sa secrète volonté ; car bien que les conseils et les jugements de Dieu soient si obscurs qu'ils sont impénétrables pour l'homme animal, et que souvent ils se dérobent aux yeux mêmes de ceux qui, du tabernacle, tâchent de les découvrir, néanmoins il a plu de temps en temps à la sagesse divine, soit pour fortifier les siens, soit pour confondre ceux qui sont pour ainsi dire sans Dieu en ce monde, de les écrire en plus gros caractères, et de les rendre tellement visibles, que tout homme, suivant le langage du prophète, pût les lire en courant; c'est-à-dire, afin que ces hommes, purement sensuels et voluptueux, qui franchissent à la hâte les jugements divins, et n'y arrêtent jamais leurs pensées, fussent, tout en courant, et en faisant autre chose, forcés de les reconnaître. Telles sont les vengeances tardives et inopinées, les conversions subites et inespérées, les conseils divins, qui, après avoir, pour ainsi dire, suivi les longs détours d'un labyrinthe tortueux, se montrent tout-à-coup à découvert, non pas seulement pour porter la consolation dans les âmes des fidèles, mais encore pour convaincre et pour frapper les consciences des méchants. [2,12] CHAPITRE XII. Des appendices de l'histoire, lesquels envisagent les paroles des hommes, comme l'histoire elle-mêm considère leurs actions. Leur division en épîtres et en apophthegmes. Or, ce n'est pas seulement la mémoire des actions des hommes qui doit être conservée, c'est encore celle de leurs paroles. Nul doute qu'on ne donne quelquefois à ces paroles une place dans les histoires, en tant qu'elles peuvent servir à éclaircir les narrations des actions et leur donner plus de poids. Mais ces paroles des hommes, ces dits humains, ce sont les livres de harangues, d'épîtres et d'apophthegmes, qui en sont les vrais dépôts. Or, on ne peut disconvenir que les harangues des personnages d'une prudence consommée, sur les affaires et les causes importantes et difficiles, ne servent tant à augmenter ses connaissances, qu'à nourrir son éloquence. Mais, s'agit-il d'acquérir une certaine prudence dans les affaires, on tirera de plus grands services des lettres écrites par des hommes de marque sur des sujets sérieux. Car, parmi les paroles humaines, il n'est rien de plus sain et de plus instructif que les lettres de ce genre; elles ont plus de naturel que les discours publics, et plus de maturité que les entretiens subits. Que s'il s'agit d'une correspondance suivie selon l'ordre des temps; condition qui se trouve dans les lettres des lieutenants généraux, gouverneurs de provinces, et autres hommes d'état, aux rois, aux sénats ou autres supérieurs; et réciproquement des supérieurs aux subalternes ; c'est, sans contredit, pour l'histoire un mobilier des plus précieux. Et l'utilité des apophthegmes ne se réduit pas au seul plaisir et a la simple utilité qu'ils peuvent procurer pour le moment; ils sont aussi susceptibles d'une infinité d'applications à la vie active et aux usages de la société. Ce sont, pour me servir de l'expression d'un écrivain, comme autant de haches et de stylets, qui, à l'aide d'une sorte de pointe et de taillant, percent tout et tranchent los noeuds des affaires. Les occasions font le cercle, et ce qui un temps fut commode, peut encore être employé et redevenir utile, soit qu'on le donne comme sien, ou qu'on l'attribue aux anciens, Comment pourrait-on douter qu'un genre d'ouvrage, que César a honoré de son propre travail, puisse être utile dans la vie active ? Et ce livre, plût à dieu qu'il existât ! car ce que jusqu'ici on nous a donné en ce genre, nous paraît rassemblé avec bien peu de choix. En voilà assez sur l'histoire et sur cette partie de la science qui répond à l'une des loges, ou des cases de l'entendement.