[3,0] LIVRE III. [3,1] CHAPITRE PREMIER. CYPRIEN DÉFENSEUR DE LA PAIX ET DE L’UNITÉ DE L’ÉGLISE. 1. Je crois avoir suffisamment prouvé qu’à l’exclusion des Donatistes, les catholiques seuls ont le droit de revendiquer pour eux l’autorité de Cyprien, puisque ce grand évêque n’a rien de plus à coeur que de conserver le lien de la paix et la charité salutaire de l’unité de l’Eglise. Nos adversaires, dans leur coupable prétention de réitérer le baptême aux catholiques, invoquent l’exemple de Cyprien, qui voulait, lui aussi, rebaptiser les hérétiques qui revenaient à l’Eglise; avec bien plus de raisons encore nous invoquons l’exemple de ce saint martyr qui statua, sans hésiter, que l’admission même des méchants et des sacrilèges dans l’Eglise, n’est pas un motif suffisant de se séparer de la communion catholique, c’est-à-dire de la société des chrétiens répandus sur toute la terre; il ne voulait même pas que l’on privât de ce droit à la communion catholique les sacrilèges dont il regardait le baptême comme radicalement nul; rappelons ses paroles: « Ne jugeons personne, et gardons-nous avec soin de retrancher de notre communion ceux qui professent une opinion contraire ». [3,2] CHAPITRE II. LES DONATISTES SONT DANS L’IMPUISSANCE DE JUSTIFIER LEUR SCHISME. 2 . Je comprends toutefois que l’on peut me demander de répondre aux raisons spécieuses qui déterminèrent soit Agrippinus, soit Cyprien lui-même, soit leurs partisans de l’Afrique, et peut-être, quelques évêques d’outremer, sur la foi de correspondances épistolaires et avant toute décision d’un concile général ou provincial, à embrasser une doctrine directement contraire à la coutume universellement suivie dans l’Eglise, et condamnée plus tard par le consentement unanime de la catholicité tout entière. Ne peut-on pas supposer que quelques esprits se trouvent plus ou moins imbus des raisonnements émis au sein de toutes ces dissensions? Et alors il devient nécessaire de faire briller la vérité dans tout son éclat, et de l’opposer, comme un remède universel, à toutes les erreurs. Que du moins les Donatistes sachent reconnaître la sécurité avec laquelle je m’engage dans cette discussion. Supposé que je ne puisse montrer comment se réfutent les arguments qu’ils empruntent au concile de Cyprien ou à ses lettres, pour prouver que le baptême de Jésus-Christ ne peut être conféré par les hérétiques, je n’en resterai pas moins inébranlablement attaché à l’Eglise dans la communion de laquelle Cyprien a persévéré avec ceux qui n’étaient pas de son opinion. 3. Diront-ils qu’à cette époque l’Eglise catholique était avec ces quelques évêques, ou s’ils le veulent encore, avec ces nombreux évêques qui désapprouvaient le baptême conféré par les hérétiques, et baptisaient tous ceux qui renonçaient à l’hérésie? Quoi donc? Est-ce que avant Agrippinus, qui le premier se déclara contre l’ancienne coutume, est-ce qu’il n’y avait plus d’Eglise? Et depuis Agrippinus, quand le retour à l’ancienne coutume devenait tellement général que, pour sauver les rares débris de l’erreur opposée, Cyprien se vit dans la nécessité de réunir un concile, est-ce qu’il n’y avait plus d’Eglise? et n’y avait-il plus d’Eglise parce que l’immense majorité des évêques reconnaissait partout le baptême de Jésus-Christ, même quand il était conféré par des hérétiques ou des schismatiques? Que si, alors encore, il y avait une Eglise, si l’héritage de Jésus-Christ était resté plein de vie, sans interruption et se développant de plus eu plus au sein de toutes les nations; le parti le plus sûr est assurément de rester fidèle à cette coutume qui réunissait alors les bons et les méchants. Mais si l’Eglise avait cessé d’exister, parce qu’il était d’un usage universel de recevoir des hérétiquessacrilèges sans leur réitérer le baptême; de quelle région Donat nous a-t-il donc apparu De quelle terre a-t-il germé? De quel océan est-il sorti? De quel ciel est-il tombé? Comme je le disais tout à l’heure, nom sommes en pleine sécurité dans la communion de l’Eglise, qui observe encore universellement, aujourd’hui, ce qu’elle observait avant Agrippinus, ce qu’elle a observé depuis Agrippinus jusqu’à Cyprien. D’ailleurs, cette Eglise universelle ne fut abandonnée ni par Agrippinus, ni par Cyprien; ni par aucun de ceux qui partagèrent leur opinion; parmi tous ces catholiques il y avait diversité de sentiments, mais tous demeurèrent fidèles à l’unité. Quant aux Donatistes, qu’ils considèrent où ils en sont, eux qui ne peuvent dire de quelle source ils sont sortis, si l’Eglise avait péri par le fait seul qu’elle recevait dans son sein des hérétiques et des schismatiques sans leur réitérer le baptême. Ils ne sont pas plus d’accord avec Cyprien, car ce dernier déclarait hautement rester en communion avec ceux qui recevaient les hérétiques et les schismatiques, et par là même avec ces derniers. Or, c’est à l’occasion de ces traditeurs dont ils ont souillé la mémoire dans toute l’Afrique et dont ils n’ont pu prouver la culpabilité dans un jugement d’outre-mer, que les Donatistes se sont séparés de la communion de l’Eglise universelle. En admettant que ces traditeurs fussent coupables, ne l'étaient-ils pas beaucoup moins que ces hérétiques et ces schismatiques réintégrés sans baptême dans l’Eglise catholique et qui pourtant ne purent souiller Cyprien? Et puis, sur le point même sur lequel ils se flattent d’imiter Cyprien, que peuvent-ils répondre, quand il est prouvé qu’ils ratifièrent le baptême conféré par les Maximianistes, reçurent dans leur communion et reconnurent comme évêques ceux-là mêmes qu’ils avaient formellement condamnés et contre lesquels ils avaient invoqué le concours du bras séculier ? Ainsi donc, si la communion des méchants a perdu l’Eglise à l’époque de Cyprien, les Donatistes ne peuvent plus revendiquer pour eux-mêmes aucune origine chrétienne; si, au contraire, l’Eglise n’avait pas péri, ils se trouvent dans l’impuissance absolue de justifier leur séparation. De plus, leur conduite est en contradiction manifeste avec celle de Cyprien, puisqu’ils ont brisé le lien de l’unité; et enfin ils protestent contre son propre concile, puisqu’ils ont ratifié le baptême conféré par les Maximianistes. [3 ,3] CHAPITRE III. NOUS AVONS TOUS LE DROIT DE CHERCHER LA VÉRITÉ. 1. Maintenant donc que nous, catholiques, nous imitons la conduite de Cyprien, étudions la doctrine émise dans son concile. Que dit Cyprien? « Vous venez d’entendre, bien-aimés frères, ce que notre collègue Jubaianus nous écrit, daignant nous consulter, malgré notre indignité, sur le baptême illicite et profane des hérétiques. Vous avez vu que dans ma réponse je déclare, comme nous l’avons souvent déclaré, que les hérétiques qui reviennent à l’Eglise, doivent être baptisés et sanctifiés par le baptême de l’Eglise. Enfin la seconde lettre de Jubaianus, écrite dans toute la sincérité de sa foi et de sa religion, nous apprend, non-seulement qu’il adhère à notre décision, mais encore qu’il nous remercie de l’avoir instruit et éclairé ». Ces paroles de Cyprien nous révèlent qu’il avait été consulté par Jubaianus; nous font connaître sa réponse, et témoignent de la satisfaction de son collègue. Doit-on nous regarder comme des obstinés, parce que nous voulons examiner le texte même de la lettre qui dissipa toutes les incertitudes de Jubaianus? Quoi qu’il en soit, en attendant que la persuasion s’empare de Jubaianus et même de nous, si toutefois elle peut arriver jusqu’à nous, il nous suffit de constater que Cyprien affermit notre sécurité dans le droit de la communion catholique. 5. Le saint martyr continue : « Ce qu’il nous reste à faire, c’est d’émettre chacun notre propre sentiment sur ce point, sans juger personne, et nous abstenant avec soin de séparer de notre communion ceux qui ne partageraient point notre opinion ». Sans aucune crainte pour mon droit de communion je puis donc, non-seulement chercher la vérité, mais encore adopter une opinion contraire à celle de Cyprien. « En effet, personne d’entre nous ne s’est constitué l’évêque des évêques ; personne n’aspire à frapper d’une terreur tyrannique ses propres collègues, pour les contraindre à suivre son avis ». Quoi de plus doux? Quoi de plus humble que ce langage ? Non, aucune autorité ne nous empêchera de chercher la vérité. « Tout évêque jouit de sa pleine liberté et de toute sa puissance, et ne peut pas plus être jugé par un autre évêque, qu’il ne peut le juger lui-même ». Cyprien parlait sans doute de ces questions qui restaient pendantes et soumises à la discussion. Il savait que toute l’Eglise se livrait alors à une étude approfondie du sacrement de baptême, et il reconnaissait à chacun la pleine liberté de chercher sur ce point la vérité. Il ne mentait pas, et n’aspirait nullement à surprendre ses plus humbles collègues par la subtilité de son langage, de manière à les faire excommunier, malgré ses propres engagements, dès qu’ils auraient formulé une opinion contraire. Une telle perfidie répugnait à une âme aussi sainte ; et ceux qui le croient capable d’une pareille hypocrisie, prouvent simplement qu’ils ne reculeraient pas devant ce dernier trait de la bassesse humaine. A mes yeux Cyprien est un évêque catholique, un martyr catholique, et s’humiliant d’autant plus qu’il était plus grand, afin qu’il pût trouver grâce devant Dieu (Eccli., I, 10). Jamais dès lors je n’admettrai que sa parole eût déguisé sa pensée, surtout dans une assemblée d’évêques ; je n’en veux pour preuve que ces dernières paroles : « Attendons le jugement suprême de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui seul a le pouvoir de nous préposer au gouvernement de son « Eglise et de nous juger selon nos œuvres (Concile de Carthage)». Rappelant le souvenir du jugement dernier, pressant ses collègues de déclarer ce qui leur semblait être la vérité, est-il possible de supposer qu’il leur eût donné l’exemple du mensonge? Dieu aurait préservé d’une telle démence le dernier des chrétiens, à plus forte raison l’illustre Cyprien ! Par conséquent, de l’aveu même du très doux et très véridique Cyprien, nous restons parfaitement libres de nous livrer à la recherche de la vérité. [3 ,4] CHAPITRE IV. NÉCESSITÉ D’ÉTUDIER LA LETTRE DE CYPRIEN A JUBAIANUS. 6. Les collègues de Cyprien se mettent aussitôt en devoir de formuler chacun son opinion, mais auparavant ils avaient pris connaissance des lettres adressées à Jubaianus, car ils en avaient entendu la lecture, comme nous l’avons rappelé plus haut. Nous aussi, prenons-en connaissance, afin de savoir ce que nous devons en penser, avec la grâce de Dieu. Mais, me dira quelqu’un, quoi donc? ne venez-vous pas de nous parler des lettres de Cyprien à Jubaianus? Je les ai lues, je l’avoue, et sans aucun doute j’aurais embrassé son opinion si je n’avais été rappelé à un examen plus attentif, par l’autorité de tant d’autres docteurs aussi savants et peut-être plus savants encore que Cyprien. Ces docteurs, que l’Eglise universelle enfante avec une fécondité inépuisable, au sein de tous les peuples, chez les Latins, les Grecs, les Barbares et même chez les Juifs, puis-je supposer que ce soit sans aucun motif sérieux, qu’ils ont refusé d’embrasser l’opinion de Cyprien sur la réitération du baptême ? J’admets, sans doute, que dans une matière aussi difficile, un seul docteur ou le petit nombre peut avoir raison contre la majorité ; mais d’un autre côté, la prudence humaine exige qu’avant de donner raison à un seul ou au petit nombre contre l’immense majorité des docteurs appartenant à la même religion et à la même unité, on se livre à un examen sérieux de la matière, et qu’on y consacre toutes ses forces et toute son application. J’espère donc que la suite de cette discussion prouvera à tout homme réfléchi que les lettres de Cyprien me fournissaient les arguments les plus solides et les plus nombreux en faveur de cette opinion, aujourd’hui soutenue par l’Eglise catholique tout entière, et en vertu de laquelle nous affirmons sans hésiter que le baptême de Jésus-Christ tire son efficacité, non pas des mérites de celui qui le confère, mais des mérites de Celui dont il est dit : « C’est lui qui baptise (Jean, I, 33). Etudions donc cette lettre de Cyprien à Jubaianus, telle que nous l’avons lue et telle qu’elle a été lue dans le concile. Qu’elle soit lue surtout par celui qui doit lire cet écrit, afin qu’il ne puisse nullement me soupçonner d’en avoir retranché quelques parties essentielles. Il serait trop long et fort peu important pour le sujet que je traite, de rapporter ici tout le contenu de cette lettre. [3 ,5] CHAPITRE V. DIFFÉRENTS TÉMOIGNAGES EN FAVEUR DE L’ANCIENNE COUTUME DE L’ÉGLISE. 7. Si quelqu’un me demande quelle conviction me dirige dans cette étude, je réponds que la lettre de Cyprien me suggère tout d’abord ce que je dois croire, en attendant que je saisisse plus tard le point précis sur lequel roule la discussion. En effet, voici comme s’exprime Cyprien : « Quelqu’un me demande quelle conduite on doit tenir à l’égard de ceux qui ont quitté l’hérésie pour rentrer dans l’Eglise et y ont été admis sans baptême (Lettre LXXIII, à Jubaianus)? » Est-il donc vrai de dire que ces hérétiques étaient réellement sans baptême ? n’ont-ils pas été admis dans l’Eglise parce que ceux qui les recevaient étaient persuadés qu’ils étaient baptisés ? Nous répondrons sur ce point dans un instant. Avant tout, constatons que Cyprien signale clairement la coutume alors en vigueur dans l’Eglise, puisqu’il parle, au passé, de ceux qui, revenant à l’Eglise, y ont été reçus sans baptême. 8. Dans le même concile, Castus de Siccée s’exprima en ces termes : « Celui qui, au mépris de la vérité, se flatte de suivre la coutume ou se montre animé de jalousie et de malice à l’égard de ses frères, à qui la vérité est révélée; ou enfin ne craint pas de faire preuve d’ingratitude à l’égard du Seigneur, de qui seul vient à l’Eglise la révélation de toute vérité ». Nous chercherons plus loin si la vérité a été révélée; qu’il nous suffise pour le moment de voir l’ancienne coutume de l’Eglise constatée d’une manière aussi formelle. [3 ,6] CHAPITRE VI. TÉMOIGNAGE DE LIBOSUS. 9. Libosus de Vagé formula ainsi son opinion: « Le Sauveur nous dit dans l’Evangile: Je suis la vérité (Jean, XIV, 6); il ne dit pas Je suis la coutume. Par conséquent, dès que la vérité se trouve manifestée, la coutume doit céder devant cette vérité ». A-t-on jamais douté que la coutume doive céder devant la vérité, quand la vérité se trouve manifestée? Nous parlerons plus tard de cette vérité manifestée; pour le moment, n’oublions pas que cet auteur constate l’existence de la coutume dont je parle. [3 ,7] CHAPITRE VII. TÉMOIGNAGE DE ZOSIME. 10. Zosime de Tarasse s’exprime dans le même sens : « Dès que révélation est faite de la vérité, l’erreur doit céder devant la vérité ; Pierre, qui avait d’abord imposé la circoncision, céda devant la vérité proclamée par saint Paul ». Cet auteur substitue l’erreur à la coutume; cependant ces paroles: « Pierre, qui avait d’abord imposé la circoncision, céda devant la vérité proclamée par saint Paul, indiquent assez clairement l’existence d’une coutume différente, relativement au baptême. En même temps, il constate la possibilité pour Cyprien de se tromper relativement au baptême, et d’embrasser une opinion contraire à la vérité enseignée avant lui et après lui par l’Eglise, puisque saint Pierre lui-même a pu se tromper individuellement, comme nous l’apprend le docteur des nations (Gal., II, 11-14.). [3 ,8] CHAPITRE VIII. TÉMOIGNAGE DE FÉLIX. 11. Félix de Buslacenum s’écria : « Quant à savoir si les hérétiques doivent être réintégrés sans le baptême de l’Eglise, que l’on sache que la coutume doit céder devant la raison et la vérité; car la raison et la vérité excluent toujours la coutume ». Si la coutume a réellement contre elle la raison et la vérité, très bien ; mais en est-il ainsi dans le cas présent? nous le verrons plus loin. Quoi qu’il en soit, recueillons ce nouveau témoignage pour l’existence de la coutume dont nous parlons. [3 ,9] CHAPITRE IX. TÉMOIGNAGE D’HONORATUS. 12. Honoratus de Tucca s’exprima en ces termes : « Puisque Jésus-Christ est la vérité, nous devons plutôt suivre la vérité que la coutume ». Toutes ces propositions nous prouvent que nous ne sommes pas placés hors de l’Eglise, tant que la vérité devant laquelle doit céder la coutume ne nous est pas clairement manifestée. D’un autre côté, si la vérité nous ordonne de conserver fidèlement les prescriptions de la coutume, ne sera-t-il pas évident pour nous que cette coutume a été très légitimement établie et conservée, qu’elle ne peut être changée dans l’Eglise catholique, même après toutes ces discussions, et qu’elle doit être observée comme une règle de foi depuis qu’elle a été confirmée et, sanctionnée par décret d’un, concile général? [3 ,10] CHAPITRE X. LETTRE DE CYPRIEN A JUBAIANUS. 13. Cyprien écrit donc à Jubaianus: « Quant au baptême des hérétiques séparés (il le croyait) du corps de l’Eglise, il ne leur confère ni droit ni puissance et nous, ne pouvons ni le ratifier ni le légitimer, puisqu’il est certain que dans leurs rangs ce baptême est illégitime ». Nous-mêmes, toujours, nous avons affirmé que le baptême conféré par des hérétiques ou des schismatiques, c’est-à-dire hors de l’Eglise, n’est d’aucune utilité à celui qui le reçoit, en tant du moins que ce dernier se rend complice de l’hérésie ou du schisme; nous soutenons également que ceux qui baptisent, alors même que c’est bien le véritable baptême qu’ils confèrent, se rendent coupables, recueillent hors de l’Eglise et se posent en adversaires de l’Eglise. Mais autre chose est de ne pas avoir tel sacrement, autre chose est de le posséder ou de l’usurper d’une manière illicite. Les sacrements ne cessent pas d’être les sacrements de Jésus-Christ et de l’Eglise, par cela seul que les hérétiques, les pécheurs et les impies en font un usage illicite. Ces hérétiques, pécheurs ou impies, doivent être corrigés et punis, mais on doit reconnaître et vénérer les sacrements qu’ils confèrent. 14. Cyprien nous apprend que cette question a provoqué la réunion, non pas d’un seul, mais de deux ou plusieurs conciles, quoique tous africains. Dans l’un de ces conciles, il énumère soixante et onze évêques. Quelle que soit l’autorité de ces évêques, elle disparaît devant l’autorité bien autrement imposante de tous les évêques de l’Eglise universelle, à laquelle Cyprien se faisait une gloire et un bonheur d’appartenir d’une manière indissoluble. 15. L’eau sur laquelle on invoque le nom de Dieu. ne devient « ni profane ni adultère», quoique ce nom soit invoqué sur elle par des profanes et par les adultères ; la raison en est que l’adultère n’appartient ni au nom lui-même, ni à l’eau sur laquelle il est invoqué. Par conséquent, du moment que le baptême de Jésus-Christ est consacré par les paroles évangéliques, supposé qu’il soit conféré par ou à des adultères, il conserve essentiellement la sainteté qui lui est propre, quoique les ministres ou les sujets soient toujours impurs et coupables. La raison en est que la sainteté intrinsèque de ce sacrement ne saurait être souillée, et que ce sacrement lui-même est toujours revêtu de la vertu divine, soit pour le salut de ceux qui en font un bon usage, soit pour la ruine de ceux qui le profanent. La lumière du soleil ou même seulement d’un flambeau, en se répandant sur des corps infects, n’en contracte aucune souillure, et le baptême de Jésus-Christ pourrait être souillé par les crimes de ceux qui le confèrent ou de ceux qui le reçoivent? Sans doute, si nous voulions établir une comparaison entre un esprit et les choses visibles qui constituent la matière des sacrements, personne ne nierait la corruptibilité de ces choses visibles. Mais si nous ne voulons parler que de l’effet sacramentel dont ces choses visibles sont le signe, qui oserait dire que cet effet peut être corrompu, quoique les ministres, par qui cet effet se produit, se rendent, selon leurs oeuvres, ou dignes de récompenses, ou dignes de châtiments? [3 ,11] CHAPITRE XI. LA RÉITÉRATION DU BAPTÊME CHEZ LES HÉRÉTIQUES ET CHEZ LES CATHOLIQUES. 16. Cyprien avait raison de ne pas se laisser émouvoir par ces paroles de Jubaianus: « Les Novatiens réitèrent le baptême à ceux qui leur viennent de l’Eglise catholique ». Sans doute on ne saurait admettre en principe que, du moment que les hérétiques observent telle pratique, les catholiques doivent absolument s’en abstenir. Mais tout autre est le motif qui défend aux hérétiques la réitération du baptême, tout autre est le motif qui la défend aux catholiques. En effet, lors même que l’Eglise catholique réitérerait le baptême, les hérétiques ne devraient pas le réitérer, puisqu’ils soutiennent que les catholiques n’ont plus ce que les hérétiques ont reçu parmi eux et ce qu’ils ont emporté dans leur séparation. D’où il suit que l’Eglise catholique ne doit pas réitérer le baptême conféré par des hérétiques : car autrement elle laisserait croire ou bien qu’elle regarde comme venant de ces hérétiques ce qui ne vient que de Jésus-Christ, ou bien qu’ils ont pu perdre ce qu’ils avaient reçu avant de se séparer de l’unité. Cyprien lui-même, de concert avec ses collègues, statua que ceux qui, après avoir été baptisés dans l’Eglise et s’être jetés dans l’hérésie, demanderaient à rentrer dans l’unité, pourraient y être reçus, non pas après avoir de nouveau reçu le baptême, mais après avoir fait pénitence de leur crime; n’est-ce pas là constater formellement que leur séparation de l’Eglise ne saurait leur faire perdre ce qu’ils ne peuvent recevoir de nouveau quand ils reviennent à l’unité? Nous pouvons dire, en parlant de ces hommes: C’est là leur hérésie, c’est là leur erreur, c’est là leur schisme sacrilège; mais, en parlant du baptême, nous ne pouvons dire : C’est là leur baptême, puisqu’il est essentiellement le baptême de Jésus-Christ. Si donc les maux dont ils sont les auteurs, leur sont pardonnés dès qu’ils reviennent sincèrement à l’unité de l’Eglise, ne doit-on pas reconnaître en eux ce qui ne vient pas d’eux, mais uniquement de Dieu? [3 ,12] CHAPITRE XII. LA RÉITÉRATION DU BAPTÊME ÉTAIT CHOSE NOUVELLE DANS L’ÉGLISE. 17. D’un autre côté, Cyprien reconnaît que la doctrine qu’il émet n’est pas nouvelle, puisqu’elle était déjà formulée par Agrippinus. « Depuis de longues années », dit-il, «plusieurs évêques présidés par Agrippinus, d’heureuse mémoire, ont établi cette règle de conduite». Cette innovation est donc l’oeuvre d’Agrippinus. Cyprien ajoute : «Depuis cette époque jusqu’à nos jours, des milliers d’hérétiques de nos provinces se sont convertis à l’unité; loin de les mépriser ou de retarder leur réintégration, ils furent accueillis avec autant de joie que d’empressement, afin a qu’ils pussent recevoir la grâce du bain de vie et du baptême salutaire ». Or, je ne vois pas dans quel sens il prononçait ces paroles, à moins que par ces mots « Depuis cette « époque jusqu’à nos jours (Lettre LXXIII, à Jubaianus) », il n’ait voulu indiquer que depuis la solution donnée par le concile d’Aprippinus relativement à ceux qui avaient été baptisés dans l’Eglise, aucune question d’excommunication ne s’était élevée parmi les évêques. D’un autre côté, si depuis Agrippinus jusqu’à Cyprien la coutume avait prévalu de baptiser tous ceux qui renonçaient à l’hérésie, pourquoi donc Cyprien crut-il devoir réunir un Concile pour statuer sur la réitération du baptême? Pourquoi dit-il à Jubaianus que la mesure qu’il vient de prendre n’est pas nouvelle en Afrique, mais qu’elle avait déjà été prescrite par Agrippinus ? Comment Jubaianus semble-t-il se scandaliser de cette nouveauté? pourquoi faut-il le rassurer en lui citant l’autorité d’Agrippinus, si depuis ce dernier jusqu’à Cyprien cet usage a été universellement adopté dans l’Eglise? Pourquoi enfin, dans l’enceinte même du Concile, un grand nombre de ses collègues ont-ils déclaré que la raison et la vérité devaient l’emporter sur la coutume, plutôt que de constater que ceux qui agissaient autrement violaient tout à la fois et la raison et la coutume? [3 ,13] CHAPITRE XIII. DE LA RÉMISSION DES PÉCHÉS DANS LE BAPTÊME DES HÉRÉTIQUES. 18. Quant à savoir si la rémission des péchés peut se faire dans le baptême conféré par les hérétiques, je me suis expliqué sur ce point dans un des livres précédents (Liv., I, ch. XI, et suiv.) ; je ne ferai donc ici que rappeler brièvement ce que j’en ai dit. Si la rémission des péchés s’opère par la sainteté du baptême, ces péchés revivent par l’obstination dans le schisme ou l’hérésie; voilà pourquoi ceux qui ont été baptisés dans ces conditions doivent venir à la paix catholique et cesser d’être hérétiques et schismatiques; alors seulement les péchés qui avaient reparu en eux après le baptême sont complètement effacés par la puissance de la charité agissant dans le lien de la paix. Au contraire, si te baptême conféré par les hérétiques ou les schismatiques, quoique étant toujours le baptême de Jésus-Christ, n’opère pas cependant la rémission des péchés, à cause du crime de discorde et de dissension voulu au moment même par ceux qui reçoivent ce sacrement, ce baptême ne commence à produire ses effets pour la rémission des péchés qu’au moment même où ces schismatiques baptisés rentrent dans la paix de 1’Eglise. Cette rémission se fait, non pas en ce sens que les péchés véritablement pardonnés, cessent d’être retenus; ni en ce sens que le premier baptême soit annulé comme étranger et remplacé par un autre, mais en ce sens que ce même baptême qui jusque-là ne produisait que des fruits de mort, à cause du schisme et de la séparation, produit maintenant des fruits de salut, à cause de la paix dont l’Eglise seule est le siége. C’est à cela que se rapporte cette odeur toujours la même dont nous parle l’Apôtre: « Nous sommes la bonne odeur de Jésus-Christ en tout lieu » ; et cependant il ajoute : « Soit à l’égard de ceux qui se sauvent, soit à l’égard de ceux qui se perdent; aux uns une odeur de vie qui les fait vivre, et aux autres une odeur de mort qui les fait mourir (II Cor., II, 15, 16.) ». Bien que ces paroles, dans la pensée de l’Apôtre, s’appliquent à un autre sujet, cependant j’ai cru pouvoir en faire ici l’application, afin de faire comprendre qu’un seul et même bien, non seulement peut donner la vie à ceux qui en font un bon usage, mais peut encore être une cause de mort pour ceux qui en abusent. [3 ,14] CHAPITRE XIV. LE BAPTÊME PEUT EXISTER AVEC UNE FOI FAUSSE ET INCOMPLÈTE. 19. Quand il s’agit de l’intégrité et de la sainteté du sacrement, il n’importe nullement de savoir "ce que croit et de quelle foi est imbu celui qui reçoit le sacrement". Sans doute cette question importe beaucoup quant à l’obtention du salut, mais elle est entièrement étrangère à l’essence même du sacrement. En effet, il peut arriver qu’un homme possède le baptême dans toute son intégrité, et qu’en même temps sa foi soit pervertie; de même il peut se faire qu’il retienne intégralement les paroles du Symbole, et cependant qu’il n’ait pas la foi convenable soit quant à la Trinité, soit quant à la résurrection, soit pour tout autre point. D’ailleurs, c’est une chose des plus importantes, même de la part des catholiques, de posséder la foi dans toute son intégrité, de telle sorte que la foi soit absolument conforme à ce que nous enseigne la vérité par rapport à Dieu, et non point par rapport à telle ou telle créature. Supposé que tel homme, baptisé dans le sein de l’Eglise catholique, s’aperçoive, à la suite de lectures faites, d’instructions entendues, ou de discussions engagées, voire même de certaines révélations surnaturelles, que la foi qu’il avait antérieurement n’était pas la foi légitime, est-ce que ce serait un motif suffisant pour lui réitérer le baptême? Qu’il s’agisse au contraire de l’homme charnel et animal, ne le voit-on pas s’égarer dans les rêves de son coeur, se former un Dieu selon le gré de son sens charnel, et se faire une divinité aussi différente de la divinité véritable, que la vanité est distante de la vérité? L’Apôtre, tout rempli de la lumière surnaturelle, a prononcé cette sentence infaillible : « L’homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu (I Cor., II, 14) ». Et pourtant il entendait parler de ceux-là mêmes qui avaient reçu le baptême. En effet, c’est à eux qu’il disait : «Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous? est-ce au nom « de Paul que vous avez été baptisés (Id., I, 13.)? » Ces hommes possédaient le baptême véritable, et cependant, aveuglés comme ils étaient, par les instincts charnels, quelles idées pouvaient-ils se faire de Dieu, sinon des idées charnelles, inspirées par le sens de la chair selon lequel «l’homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu? » C’est à ces hommes qu’il disait encore : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels. Vous regardant comme de petits enfants en Jésus-Christ, je ne vous ai nourris que de lait et non pas de viandes solides, parce que vous n’étiez pas encore capables de les supporter; à présent même vous ne l’êtes pas encore, parce que vous êtes encore charnels (Id., III, 1,2.) ». Ce sont de tels hommes qu’il nous représente comme emportés à tout vent de doctrine « Afin », dit-il « , que nous ne soyons plus des enfants, inconstants et emportés à tout vent de doctrine (Eph., IV, 14.) ». Admettons que ces hommes arrivent enfin jusqu’à l’âge spirituel de l’homme intérieur, et qu’heureusement éclairés ils reconnaissent qu’ils avaient de Dieu des idées toutes charnelles, bien différentes de celles qu’ils auraient dû avoir; serait-ce un motif suffisant pour leur réitérer le baptême? Il peut également arriver qu’un livre hérétique tombe entre les mains d’un catéchumène catholique, qui par ignorance ne pourra discerner l’erreur de la vérité et admettra telle croyance défendue par la foi catholique. Le danger d’ailleurs est d’autant plus probable qu’il ne verra pas de contradiction formelle entre cette erreur et les termes du Symbole, car n’a-t-on pas vu, sous le voile de ces termes, se glisser la plupart des erreurs professées par les hérétiques? Le voilà donc persuadé que ce livre a pour auteur quelque grand docteur catholique; il accepte les erreurs qu’il renferme, et reçoit le baptême dans l’Eglise catholique; mais plus tard un examen sérieux lui apprend ce qu’il aurait dû croire; il rejette son erreur et s’attache exclusivement à la foi catholique. Supposé donc qu’il confesse son état, serait-ce un motif suffisant pour lui réitérer le baptême? Ou bien, si avant de s’instruire et d’avouer ce qui s’est passé dans son âme, il est surpris dans l’erreur; si on lui montre ce qu’il doit rejeter et ce qu’il doit croire; enfin, s’il devient manifeste qu’au moment de son baptême sa foi était fausse et erronée, devra-t-on pour cela lui réitérer le baptême? Non, sans doute. Pourquoi donc? Parce que cette sainteté du sacrement consacrée par les paroles évangéliques, demeurait en lui dans toute son intégrité, telle qu’il l’avait reçue; ce qui n’avait pas empêché, par suite de la vanité de son esprit charnel, qu’au moment de son baptême il avait une foi toute différente de celle qu’il aurait dû avoir. Il est donc évident qu’à une foi incomplète et fausse peut s’allier le sacrement de baptême dans toute son intégrité. Par conséquent, toutes les variations que l’on rencontre parmi les hérétiques ne touchent nullement à la question qui nous occupe. On doit corriger dans chaque homme ce qui paraît dépravé aux yeux de celui qui est appelé à infliger la correction. Ce que l’on doit guérir, c’est ce qui est malade; ce que l’on doit donner, c’est ce que le sujet n’a pas encore, et surtout la charité de la paix, sans laquelle les autres biens deviennent absolument inutiles. Pourtant, lorsque ces biens existent, on ne doit pas les donner de nouveau comme s’ils n’existaient pas; pour les rendre féconds et les empêcher d’être nuisibles, il faut de toute nécessité recourir au lien de la paix et à l’excellence de la charité. [3 ,15] CHAPITRE XV. LE SACREMENT EXISTE DÈS QU’IL Y A INTÉGRITÉ DANS LA FORME. 20. Si donc, dans la collation du baptême, Marcion se servait de la formule évangélique: « Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit », le sacrement était intègre et valide, quoique sa foi, donnant à ces paroles une interprétation différente de la vérité catholique, eût été fausse et souillée par des rêves mensongers. En effet, sous le voile de ces paroles : « Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit », Marcion, Valentin, Anus, Eunomius, et même ces enfants charnels de l’Eglise, auxquels l’Apôtre disait: «Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels », cachaient tout autant d’opinions différentes qu’ils étaient eux-mêmes de sectaires différents. Pour s’en convaincre, il suffirait de les interroger chacun en particulier. La raison en est que « l’homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu ». Suit-il de là cependant qu’ils ne reçoivent pas le sacrement dans toute son intégrité? Ou bien, s’il leur arrive de faire des progrès dans le bien et de corriger la vanité de leurs opinions charnelles, faudra-t-il leur réitérer ce qu’ils ont déjà reçu? Chacun reçoit selon sa foi et selon cette miséricorde de Dieu sur laquelle l’Apôtre s’appuyait lorsqu’il s’écriait : « Si vous avez quelque autre sentiment de vous-mêmes, Dieu vous découvrira ce que vous devez en croire (Philipp., III, 15) ». Toutefois, les moyens de séduction employés par les hérétiques et les schismatiques contre les hommes charnels sont toujours très pernicieux, parce qu’ils empêchent leur avancement dans la vertu; parce qu’ils les confirment de plus en plus dans leurs vaines opinions contre la vérité catholique, et enfin parce qu’ils soufflent de plus en plus le feu de la dissension contre la paix catholique. Cependant, si partout les sacrements sont les mêmes, partout ils jouissent de toute leur intégrité, lors même qu’ils seraient mal compris ou qu’ils seraient l’occasion d’un redoublement de discorde. Il en est de même du texte du saint Evangile; il est le même partout, quoiqu’il soit l’objet des plus nombreuses et des plus fausses interprétations. Ecoutons Jérémie : « Pourquoi donc la victoire reste-t-elle à ceux qui me persécutent? La plaie dont je souffre est-bien profonde, d’où me viendra la guérison? Jusque-là elle est devenue pour moi comme une eau menteuse qui ne mérite aucune confiance (Jérém., XV, 18) ». Or, si dans les prophéties l’eau n’était jamais employée dans le sens figuré et allégorique, si elle signifiait toujours le baptême, nous aurions fort à faire pour chercher le sens de ces paroles de Jérémie. Mais si nous ouvrons l’Apocalypse, nous trouvons que l’eau n’est quelquefois qu’une figure pour désigner les peuples (Apoc., XVII, 15); par conséquent cette eau menteuse et indigne de confiance, peut fort bien désigner un peuple menteur et perfide. [3 ,16] CHAPITRE XVI. LA CHARITÉ NE SE TROUVE QUE DANS L’UNITÉ. 21. Nous affirmons que c’est uniquement « dans l’Eglise catholique que le Saint-Esprit est donné par l’imposition des mains » c’est en ce sens que nos pères ont toujours interprété ces paroles de l’Apôtre : « La charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (Rom., V, 5.)». Or, cette charité ne se trouve dans aucun de ceux qui sont séparés de l’Eglise catholique. Par conséquent, lors même qu’ils parleraient toutes les langues des hommes et des anges, qu’ils connaîtraient tous les secrets et toute science, qu’ils auraient le don de toute prophétie, toute la foi possible et capable de transporter les montagnes; qu’ils distribueraient leurs biens aux pauvres et livreraient leur corps pour être dévoré par les flammes, tout cela ne leur servirait de rien (I Cor., XIII, 1-3). D’un autre côté, ceux qui n’aiment pas l’unité de l’Eglise n’ont pas la charité de Dieu; voilà pourquoi nous affirmons sans hésiter que le Saint-Esprit ne se donne que dans l’Eglise catholique. Nous ne voyons plus des miracles temporels et sensibles attester la descente du Saint-Esprit par l’imposition des mains; ces prodiges, dans les premiers moments; étaient nécessaires pour affermir la foi et assurer les développements de l’Eglise. Est-ce que nous exigeons de ceux à qui nous voyons imposer les mains et conférer le Saint-Esprit; qu’ils jouissent aussitôt du don des langues? Tout se passe aujourd’hui d’une manière invisible et mystérieuse; en vertu du lien de la paix qui les unit à l’Eglise, nous croyons que la charité divine leur est inspirée, et qu’ils peuvent dire en toute vérité : « La charité de Dieu a été répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné ». Quant aux nombreuses opérations du Saint-Esprit, l’Apôtre, après les avoir énumérées en nombre qui lui parut suffisant, concluait ainsi : « Or, c’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons comme il lui plaît (I Cor., XII, 11). » Nous affirmons donc qu’autre chose est le Sacrement que Simon le Magicien a pu posséder (Act., VIII, 13); autre chose est cette opération de l’Esprit telle qu’on peut la rencontrer dans les pécheurs, puisque Saül a possédé le don de prophétie (I Rois, X, 6, 10.) autre chose est l’opération de ce même Esprit, telle que les bons peuvent seuls la posséder, selon cette parole : « La fin des commandements, c’est la charité qui naît d’un coeur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sincère (I Tim., I, 5) ». Dès lors, quels que soient les dons que les hérétiques et les schismatiques puissent recevoir, il est hors de doute que cette charité, qui couvre la multitude des péchés, est le don propre et spécial de l’unité et de la paix catholique; elle n’est point donnée à tous, par la raison que tous n’appartiennent pas à cette unité, comme nous le verrons plus loin. Ainsi donc, point d’unité, point de charité; et quelques dons que l’on possède d’ailleurs, ils ne servent de rien sans la charité. D’ailleurs, l’imposition des mains n’est point comme le baptême: elle peut se réitérer; car, à proprement parler, elle n’est qu’une prière en faveur de l’homme. [3 ,17] CHAPITRE XVII. LA COLOMBE ET L’ÉPERVIER. 22. « L’unité nous est clairement manifestée dans l’assurance accordée par le Seigneur à saint Pierre de délier lui-même dans le ciel ce que son disciple avait délié sur la terre»; d’un autre côté, cette unité parfaite se trouve également figurée par la colombe dont parlent les Livres saints. Appartiennent-ils à cette colombe; tous ces avares qui arrachaient des gémissements si douloureux à Cyprien dans l’Eglise catholique? Au lieu d’être des colombes, ne sont-ils pas plutôt des éperviers? Eux qui avaient recours à tous les moyens frauduleux pour s’emparer du bien d’autrui; eux qui multipliaient l’usure pour accroître leurs richesses (Lettre sur les Tombés), comment donc baptisaient-ils, si le baptême ne doit être conféré que par cette colombe, simple, chaste et parfaite, c’est-à-dire par cette unité tellement restreinte qu’elle ne renfermerait que les bons? Dira-t-on qu’il y a dans l’Eglise comme un grand sacrement qui s’opère par les prières des saints et des hommes spirituels, prières qui sont comme les gémissements de la colombe; à côté de ce grand sacrement, y aurait-il comme une dispensation occulte de la miséricorde de Dieu, en vertu de laquelle les péchés sont remis à ceux qui sont baptisés, non point par la colombe, mais par l’épervier, pourvu qu’ils reçoivent ce sacrement avec la paix de l’unité catholique? S’il en est ainsi, pourquoi ne pas ajouter que, grâce à ces mêmes prières, les péchés sont remis à tous ceux qui renoncent au schisme ou à l’hérésie, pour rentrer dans la paix catholique? Nous, enfants de l’Eglise, nous affirmons que chez les uns et chez les autres le sacrement se trouve dans toute son intégrité, mais qu’il n’opère irrévocablement la rémission des péchés que dans l’unité de l’Eglise. Quiconque appartient à l’hérésie ou au schisme ne peut attendre à aucun secours des prières des saints, c’est-à-dire des gémissements de la colombe ; de même celui qui appartient à l’unité, s’il s’obstine à mener une vie criminelle, n’a rien à attendre de la miséricorde de Dieu, lors même qu’il serait baptisé, non point par l’épervier; mais même par le pieux ministère de la colombe. [3 ,18] CHAPITRE XVIII. ON NE RÉITÈRE PAS LE BAPTÊME AUX PÊCHEURS. 23. « Comme mon Père m’a envoyé, je vous envoie. Après avoir prononcé ces paroles, il souffla sur eux et leur dit : "Recevez le Saint-Esprit, les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez (Jean, XX, 22,23.)". Si donc les Apôtres formaient la personne même de l’Eglise, et si c’est à ce titre que ces paroles leur furent adressées, il est hors de doute que la paix de 1’Eglise efface les péchés, tandis que, pour celui qui est hors de l’Eglise, les péchés lui sont retenus, non pas selon la volonté des hommes, mais selon la volonté de Dieu, et les prières des saints qui jugent toutes choses, et ne sont jugés par personne (I Cor., II, 15.). C’est la pierre qui lie, c’est la pierre qui délie; c’est la colombe qui lie, c’est la colombe qui délie; c’est l’unité qui lie, c’est l’unité qui délie. Or, cette paix de l’unité n’est le privilège que des bons, c’est-à-dire des hommes spirituels ou de ceux qui tendent à le devenir par une obéissance humble et chrétienne. Quant aux méchants, cette paix leur est inconnue, soit qu’ils soulèvent au dehors le tumulte et la guerre, soit que dans l’intérieur même de l’Eglise ils soient péniblement tolérés, et qu’ils baptisent ou soient baptisés. Fussent-ils tolérés au prix des gémissements et des larmes ; fussent-ils réellement étrangers à cette unité de la colombe, ou à cette Eglise glorieuse, sans tâche, sans ride et sans souillure (Eph., V, 27) toutefois, s’ils se convertissent et s’ils avouent qu’ils se sont présentés au baptême avec les dispositions les plus criminelles, jamais on ne leur réitère le baptême, et dès ce moment même ils commencent à appartenir à la colombe, qui par ses gémissements leur a obtenu la rémission de leurs péchés, alors même qu’ils n’avaient aucune part aux douceurs de la paix. De même s’il s’agit de ceux qui sont ouvertement hors de l’Eglise, pourvu qu’ils aient reçu les mêmes sacrements, et qu’ils reviennent sincèrement à l’Eglise, jamais on ne leur réitère le baptême, et pourtant ils sont délivrés de leurs péchés par cette même loi de la charité, par ce même lien de l’unité. En effet, « si le pouvoir ordinaire de baptiser n’appartient qu’aux pasteurs de l’Eglise, à ceux dont le titre est fondé sur la loi évangélique et sur l’ordination divine », doit-on regarder comme ministres ordinaires ceux qui s’emparaient du bien d’autrui par des moyens frauduleux, et augmentaient leur fortune par des usures scandaleuses? A qui peut être conférée l’ordination divine, si ce n’est à ceux qui offraient les garanties exigées par saint Paul: « Qu’il ne soit ni avare ni possesseur d’un gain honteux (Tit., I, 7) ? » Cependant nous apprenons de Cyprien lui-même qu’un certain nombre de ses collègues en étaient arrivés à cette profonde dégradation; il en gémissait amèrement, et par sa tolérance acquérait des droits à la plus belle récompense. Toutefois la rémission des péchés ne pouvait être conférée par ces indignes ministres à ces indignes sujets; et pourtant, quels que soient les ministres, si les sujets appartiennent à la paix de l’Eglise, ils obtiennent la rémission de leurs péchés par l’efficacité des prières des saints, c’est-à-dire par les gémissements de la colombe. Ce n’est pas aux voleurs et aux usuriers que le Seigneur disait: « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez ». Il est vrai « que rien ne peut être ni lié ni délié hors de l’Eglise, puisqu’il n’y a personne qui puisse ni y lier, ni y délier » ; cependant on doit regarder comme délié celui qui a fait sa paix avec la colombe, et comme lié celui qui n’est pas en paix avec la colombe, soit qu’il appartienne ouvertement au schisme, soit qu’il paraisse appartenir à l’Eglise. 24. « Dathan, Coré et Abiron faisant schisme dans te peuple de Dieu, tentèrent d’usurper le droit de sacrifier; de même les enfants d’Aaron déposèrent sur l’autel un feu étranger », mais nous savons « qu’ils subirent un rigoureux châtiment (Nomb., X, 1 ; Lévit., X, 1,2.). Nous, ne disons pas que de tels crimes restent impunis, à moins que les coupables ne se corrigent, si la patience de Dieu les amenant à la pénitence (Rom., II, 4.), leur accorde le temps de se corriger et de se convertir. [3 ,19] CHAPITRE XIX. LES DONS DE DIEU PEUVENT SE RENCONTRER DANS LE SCHISME ET L’HÉRÉSIE. 25. Quant à ceux qui soutiennent « que le baptême ne doit pas être réitéré, parce que les Apôtres se contentaient d’imposer les mains à ceux que le diacre Philippe avait baptisés (Act., VIII, 5-17.) », un tel raisonnement est absolument sans valeur pour la question qui nous occupe, et gardons-nous toujours de recourir à de semblables moyens lorsque nous cherchons la vérité. Pour confondre plus sûrement les hérétiques, il nous suffit d’affirmer que les sacrements qu’ils confèrent sont, non pas leurs propres sacrements, mais les sacrements de l’Eglise de Jésus-Christ; parce qu’il y a des déserteurs qui traînent dans le crime les insignes de la milice, ce n’est pas une raison pour nous de méconnaître les insignes de notre empereur. Sachant que « notre Dieu « est un Dieu jaloux (Deut., IV, 24) », dès que nous trouvons quelque part telle ou telle chose qui vient de Dieu, quel qu’en soit le propriétaire, nous lui en refusons la possession. Dans l’Ecriture nous voyons ce Dieu jaloux décrivant sous la figure d’une femme adultère les prévarications de son peuple; il nous la représente donnant à ses complices les richesses qu’elle tenait de son époux légitime, et recevant de leurs mains des présents qui appartenaient à l’époux et non pas à ses complices. C’est ainsi que les dons de Dieu s’échangeaient réciproquement entre cette femme adultère et ses complices, et cependant, Dieu jaloux ne laissait pas de reconnaître et de revendiquer la possession de ces biens. Nous aussi nous proclamons la validité du baptême conféré par les hérétiques sous la forme prescrite dans l’Evangile, mais tout ce qui vient de Dieu, nous le rapportons immédiatement à Dieu; nous savons bien que ces hérétiques peuvent souiller les dons de Dieu, mais, quoi qu’ils fassent, nous ne permettrons jamais qu’ils s’attribuent à eux-mêmes ce qui vient uniquement de Dieu. 26. Quelle est donc cette femme adultère signalée par le prophète Osée, et s’écriant: « Je courrai sur les traces de mes amants qui me donnent le pain et l’eau, le vêtement, le linge et tout ce qui peut me convenir (Osée, II, 1-13)? » C’est là sans doute l’image de ce peuple juif obstinément prévaricateur; mais d’un autre côté, ces faux Israélites n’ont-ils pas pour imitateurs fidèles les faux chrétiens que nous désignons sous ce titre d’hérétiques et de schismatiques? Parmi les Juifs il y avait de vrais Israélites, comme le prouvent ces paroles du Seigneur à Nathanaël: « Voilà vraiment un israélite en qui ne se trouve aucune ruse (Jean, I, 47) ». Quant aux vrais chrétiens, ne sont-ils pas désignés dans ces autres paroles . « Celui qui m’aime observe mes commandements (Id., XIV, 21)?» Observer ses commandements, n’est-ce pas persévérer dans la charité? De là ces autres maximes: « Je vous donne un commandement nouveau, c’est que vous vous aimiez les uns les autres »; et encore: « Le signe auquel ils reconnaîtront tous que vous êtes mes disciples, c’est que vous vous aimiez les uns les autres (Jean, XIII, 34, 35). ». Or, n’est-il pas évident que ces paroles s’adressaient non seulement à ceux qui étaient là pour les recueillir, mais encore à ceux qui les lisent aujourd’hui dans l’Evangile? Car elles ont pour auteur celui qui n’est pas venu détruire la loi, mais l’accomplir (Matt., V, 17.). Or, la plénitude de la loi, c’est la charité (Rom., XIII, 10.). Quelle ne fut pas la charité de Cyprien, puisque, malgré la fausseté de son opinion sur le baptême, il resta dans l’unité, ne cessa point d’être un rameau fertile de la vigne du Seigneur, et un rameau que le Vigneron céleste émonda par le fer du martyre, afin de lui faire porter des fruits en plus grande abondance (Jean, XV, 1-5)! Quant à ceux qui se posent en ennemis déclarés de cette charité fraternelle, ce sont de faux chrétiens et des antéchrists, soit qu’ils vivent ouvertement dans le schisme, soit qu’ils paraissent encore appartenir à l’Eglise. En effet, dès qu’ils en trouvent l’occasion favorable, ils brisent tous les liens d’unité, selon cette parole: « Celui qui veut se séparer de ses amis, ne cherche que l’occasion favorable (Prov., XVIII, 1) ». Si l’occasion manque, il semble toujours appartenir à l’unité, mais en réalité nous pouvons dire qu’il est séparé du corps invisible de la charité. De là ces mots de l’apôtre saint Jean: « Ils sont sortis de nos rangs ; mais ils n’étaient plus dans nos rangs, car, s’ils eussent été des nôtres, ils seraient restés avec nous (I Jean, II, 19) ». Ce n’est donc pas en se retirant qu’ils sont devenus des étrangers; mais ils étaient des étrangers, puisqu’ils se sont retirés. L’apôtre saint Paul parle également de certains hommes qui n’étaient plus dans la vérité, travaillaient à détruire la foi dans les autres, et faisaient de leur langage comme une sorte de chancre aux nombreuses et actives ramifications; il ordonne formellement de s’abstenir de tout contact avec eux, et cependant il indique clairement qu’ils sont encore dans la maison du Père de famille, mais seulement comme des vases d’ignominie. Je suis persuadé qu’ils n’avaient pas encore accompli leur séparation. Car s’il en eût été autrement, comment donc l’Apôtre aurait-il pu nous dire qu’ils étaient dans la maison avec les vases d’honneur? A moins, peut-être, qu’à raison des sacrements qu’ils avaient reçus validement, puisque ces sacrements conservent toute leur intégrité jusque dans les conventicules des hérétiques, saint Paul n’ait tenu à rappeler que tous, catholiques et hérétiques, appartiennent de droit à la seule et grande maison du Père de famille, mais à des titres divers, puisque les uns y sont des vases d’honneur, et les autres des vases d’ignominie. Voici les paroles de cet Apôtre à Timothée: « Fuyez les entretiens profanes, car ils sont très capables d’inspirer l’impiété. Les discours que tiennent certaines personnes sont comme une gangrène qui répand insensiblement la corruption. De ce nombre sont Hyménée et Philète, qui se sont écartés de la vérité en disant que la résurrection est déjà accomplie, et qui ont ainsi renversé la foi de quelques-uns. Mais le fondement de Dieu demeure ferme, ayant pour sceau cette parole: Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui; et cette autre: Que celui qui invoque le nom du Seigneur s’éloigne de l’iniquité. Dans une grande maison il n’y a pas seulement des vases d’or et d’argent, mais aussi des vases de bois et de terre, et les uns sont pour des usages honorables, et les autres pour des usages honteux. Si quelqu’un dès lors se garde pur de ces choses, il sera un vase d’honneur sanctifié, et propre au service du Seigneur, préparé pour toutes sortes de bonnes œuvres (II Tim., II, 16-21) ». Or, qu’est-ce que se purifier de ces choses, si ce n’est obéir au précepte formulé plus haut: « Que celui qui invoque le nom du Seigneur s’éloigne de toute iniquité? » De même à celui qui serait tenté de croire que dans une grande maison les vases d’honneur périssent avec les vases d’ignominie, l’Apôtre rappelle fort à propos que « le Seigneur connaît ceux qui sont à lui », c’est-à-dire ceux qui en s’éloignant de l’iniquité se purifient de tout contact avec les vases d’ignominie, pour échapper au danger de périr avec ceux qu’ils sont réduits à tolérer dans une grande maison. 27. Ainsi donc, tous ceux qui obéissent aux instincts d’une vie criminelle, charnelle, animale, diabolique, croient tenir exclusivement de leurs séducteurs des bienfaits qui ne sont en réalité que des présents de Dieu même, soit qu’il s’agisse des sacrements, soit qu’il s’agisse de certaines opérations spirituelles qui concernent directement l’oeuvre présente de notre salut. Dans de telles conditions, ils n’ont assurément pas la charité envers Dieu, car ils sont exclusivement occupés de ceux dont l’orgueil les séduit, et ne ressemblent que trop parfaitement à cette femme adultère à laquelle le prophète prête ces paroles: « Je courrai sur les traces de mes complices, qui me donnent le pain et l’eau, le vêtement, le linge, l’huile et tout ce qui peut me convenir ». Les schismes et les hérésies se forment dès qu’un peuple charnel, privé de la charité de Dieu, ose s’écrier : « Je courrai sur les traces de mes complices »; et, en effet, ces relations criminelles qui s’établissent entre eux, soit par la corruption de la foi, soit par le gonflement de l’orgueil, ne sont-elles pas une véritable fornication? Mais il en est qui, après avoir éprouvé les difficultés de haute sorte, les angoisses et les obscurités des vains raisonnements, à l’aide desquels on les avait séduits, se sentent tout à coup saisis de crainte, reviennent au chemin de la paix et cherchent Dieu dans toute la sincérité de leur âme. C’est à la vue de ces hommes que le Prophète s’écrie : « Je lui fermerai la voie par des pieux, j’élèverai des épines sur son chemin, et elle ne retrouvera plus ses sentiers; elle poursuivra ses complices et ne pourra les atteindre, elle les cherchera et ne pourra les trouver, et elle dira : J’irai et je retournerai à mon premier époux, parce qu’avec lui j’étais plus heureuse que maintenant ». Enfin, nous avons dit que ces séducteurs possèdent dans leur intégrité certains dons, certains principes qui leur viennent de la vérité et à l’aide desquels ils peuvent plus facilement tromper les simples sur la fausseté de leurs dogmes et de leurs discussions. Or, pour les convaincre que ce qu’ils peuvent avoir de bon ne vient pas d’eux, le Prophète ajoute : « Elle ne savait pas que c’est moi qui lui donnais le froment, le vin et l’huile, et qui multipliais sa fortune; aussi a-t-elle offert des vases d’or et d’argent à Baal (Osée, II, 5-8) ». Elle avait dit un peu plus haut « Je courrai sur les traces de mes complices, qui me donnent le pain, etc »; ce qui prouve qu’elle regardait comme venant des hommes ce qui vient uniquement de Dieu, c’est-à-dire les dogmes ou les sacrements que ces séducteurs ont su conserver dans leur intégrité et leur légitimité. D’un autre côté, leur prétention ne serait pas allée jusqu’à s’arroger la propriété de ces biens et de ces sacrements, s’ils n’avaient pas été séduits à leur tour par les peuples qu’ils avaient séduits; la foi la plus aveugle, les honneurs les plus signalés dont ils se sont vus entourés, les ont en quelque sorte autorisés à s’attribuer une puissance sans borne, et à revendiquer la propriété des biens de l’Eglise. C’est ainsi que leur erreur a dû s’appeler la vérité et leur impiété passer pour la justice, à cause des sacrements et des Ecritures qu’ils conservent -pour la forme, mais d’une manière absolument inutile au salut. Voilà pourquoi, s’adressant à cette épouse adultère, le prophète Ezéchiel lui disait : « Vous avez pris ce qui servait à vous parer, ce qui était fait de mon or et de mon argent, et vous en avez formé des images d’hommes, auxquelles vous vous êtes prostituée. Vous avez pris vos vêtements brodés de diverses couleurs, et vous en avez couvert vos idoles, et vous avez mis mon huile et mes parfums devant elles. Vous leur avez présenté comme un sacrifice d’agréable odeur le pain que je vous avais donné et la plus pure farine, l’huile et le miel dont je vous avais nourrie. Voilà ce que vous avez fait (Ezéch., XVI, 17-19) ». Les sacrements et les paroles des saints livres, elle les a changés à l’image de ces fantômes dans lesquels son âme charnelle se roulait avec délices. Mais parce que ces images sont fausses, parce qu’el1es ne sont qu’une doctrine satanique et un tissu de mensonges hypocrites, ce n’est point là une raison qui autorise à déshonorer ces sacrements et ces divines Ecritures, jusqu’à les regarder comme étant leur propriété personnelle. Le Seigneur ne dit-il pas : « Vous avez pris mon or, mon argent, mes vêtements brodés de diverses couleurs, mon huile, mon encens, mon pain », et le reste? Parce que leurs disciples séduits leur attribuent ces biens qui n’ont été entre leurs mains que des instruments de séduction, devons-nous méconnaître le véritable auteur de ces biens? N’est-ce pas cet auteur de tout bien qui nous dit lui-même: « Elle n’a pas voulu reconnaître que c’est moi qui lui donne le froment, le vin, l’huile et l’accroissement de ses richesses? » Le Seigneur ne lui refuse pas la propriété de ces biens, quoiqu’elle soit adultère; elle les a possédés, mais ces biens ne lui venaient ni d’elle-même, ni de ses complices, mais uniquement de Dieu. Elle se roulait dans l’adultère, et cependant, ces biens dont elle parait sa fornication, soit pour se laisser séduire, soit pour séduire les autres, elle ne les tenait que de Dieu. Ces oracles prophétiques s’appliquaient à la nation juive, dans le sein de laquelle on voyait les Scribes et les Pharisiens rejeter les commandements divins, pour établir leurs propres traditions, et se livrer ainsi à une sorte de fornication avec ce peuple grossier si souvent déserteur du culte de Dieu. Cependant, cette fornication que le Seigneur reprochait à son peuple en termes si pleins d’amertume, ne faisait pas que leurs sacrements cessassent d’appartenir à Dieu pour devenir la propriété immédiate de ce peuple infidèle. Voilà pourquoi le Sauveur, après avoir guéri les lépreux, les envoie à ces mêmes sacrements, avec ordre de présenter leur offrande aux prêtres; car alors n’était point encore établi ce sacrifice qui plus tard devait être offert pour tous et qui était figuré par tous les rites antérieurs, à plus forte raison, quand parmi les hérétiques ou les schismatiques nous trouvons les sacrements de la loi nouvelle, nous ne devons ni leur attribuer ces sacrements, ni les réprouver comme si nous ne les connaissions pas. Il est vrai que ces biens se trouvent entre les mains d’une femme adultère, mais ne laissons pas de les regarder comme des dons de l’Epoux légitime, de recourir au langage de la vérité pour corriger cette fornication. Condamnons cette fornication, qui est l’oeuvre propre de cette femme impudique, mais n’inculpons pas ces dons qui sont l’effet de la miséricorde de Dieu. 28. Frappés de ces considérations, nos pères, non seulement avant Cyprien et Agrippinus, mais encore depuis, ne se sont jamais départis de cette coutume salutaire, d’approuver plutôt que de nier tout ce qu’ils trouvaient d’institutions vraiment divines et légitimes dans les hérésies ou les schismes. Quant aux institutions qui leur paraissaient l’oeuvre propre de leur erreur ou de leur dissension, ils les condamnaient rigoureusement et prenaient tous les moyens de les guérir. Quoi qu’il en soit, l’étendue de ce livre né nous permet pas de continuer l’examen de la lettre de Cyprien à Jubaianus; nous reprendrons cette discussion dans le livre suivant.