[44,0] LETTRE XLIV. Ives, par la grâce de Dieu, ministre de l'église de Chartres, à tous les fidèles de son diocèse, salut dans le Seigneur. [44,1] Sachez tous, frères bien-aimés, qui croyez appartenir à la Jérusalem céleste, que si vous désirez mériter du Roi suprême la récompense à laquelle vous êtes appelés, éloignant le fléau de la discorde, vous devez conserver la paix qui nous est commandée par Dieu. C'est cette paix que le Christ entrant dans le monde enseigna à l'humanité par une révélation angélique, lorsque la milice céleste chantait en chœur : Gloire à Dieu dans le ciel, et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté. C'est cette paix que le Christ, sur le point de quitter le monde et de retourner dans les cieux, recommanda en disant : Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix. C'est cette paix que l'Apôtre déclara qu'il est nécessaire d'observer : Gardons avec tous la paix et la sainteté sans laquelle personne ne verra Dieu. Comme le Christ est venu pacifier entre eux non seulement le ciel et la terre, mais encore les enfants de la terre, afin que, dans l'unité de la foi et de la paix chrétienne, ils ne formassent tous qu'un corps dans le Christ, que servira la venue de Jésus-Christ à celui qui sera trouvé hors de la paix ? C'est cette paix que vous avez embrassée lorsque, retournant à Dieu, auteur et ami de la paix, vous avez renoncé sur les fonts du baptême au diable, auteur et ami de la discorde, et à toutes ses œuvres. Ainsi donc, mes frères, si vous ne voulez pas vous fermer les yeux, vous comprendrez combien il vous est nécessaire d'observer la paix, vous qui, liés par les serments du Roi éternel, vous êtes agrégés à la milice céleste dans l'espoir d'une récompense éternelle. Que votre fraternité tienne pour certain que dans le royaume du Christ il n'y a aucune place pour la discorde : il n'y a qu'avec l'auteur de la mort et avec ses œuvres que nous devons entretenir une discorde sans merci. Puis donc, comme je vous l'ai dit, que les chrétiens fidèles doivent observer une paix continuelle, et que non seulement leurs cœurs doivent être purs de tous vices, mais que leurs mains mêmes doivent s'abstenir de toutes œuvres vicieuses, voyez tout ce qui vous manque pour être arrivés à la perfection chrétienne, vous qui vous conduisez comme si les jours que vous devriez consacrer à combattre pour arriver au salut ne vous étaient accordés que pour exercer la malice qui vous conduira à la mort. Si quelqu'un de vous, mes frères, pendant trois jours, tantôt coupait ses chairs avec le fer, tantôt les brûlait par le feu, ou les affligeait de quelque autre tourment, et les laissait ensuite reposer pendant quatre jours, ses amis ne l'enchaîneraient-ils pas, ne le conduiraient-ils pas vers un médecin comme un fou furieux ? Combien plus ne devrions-nous pas enchaîner par les liens les plus solides du Christ celui qui blesse son âme ou qui la tue, afin de le contraindre à cesser de donner la mort à son âme et de le forcer à travailler sans relâche à lui assurer la vie ? Mais comme dès l'âge le plus tendre tout homme est porté au mal et que notre nature perverse, plus amoureuse des joies du péché que de celles de la justice, nous fait insurger contre nos correcteurs comme les fous furieux contre leurs médecins, attendant de vous des œuvres meilleures et plus utiles pour votre salut, nous tolérons votre imperfection, nous fermons les yeux sur votre impiété, et comme nous ne pouvons, par l'abondance de vos iniquités, vous avoir parfaits, nous aimons mieux vous conserver infirmes et blessés que vous voir complètement morts. [44,2] Nous vous prions donc et vous supplions, et de l'autorité du Seigneur Jésus dont nous remplissons la place, quoique indigne, nous vous commandons qu'en souvenir de votre rédemption vous gardiez en paix au moins ces quatre jours pendant lesquels Notre Seigneur et Notre Sauveur a plus particulièrement opéré les sacrements de notre salut : que, pendant ce temps, votre esprit, votre main, votre langue s'abstienne de toute injure envers vos ennemis comme envers vos amis, envers les étrangers comme envers vos concitoyens. Tous ceux en effet qui sont instruits dans la religion chrétienne savent que, le cinquième jour, notre Seigneur Jésus célébra son dernier repas avec ses disciples, repas dans lequel il leur donna à manger et à boire son corps et son sang, qui sont les gages de notre réconciliation et les remèdes de nos blessures, et dans lequel il leur commanda de faire ces choses en mémoire de lui. Après avoir achevé le mystère de la cène, il lava les pieds de ses disciples, en signe de pénitence et de rémission, désignant par cette figure que les cœurs même religieux sont infectés de la poussière terrestre, et qu'il n'est aucun des mortels qui n'ait besoin de pénitence et de pardon pour ses péchés. Sur la fin de ce même jour, il fut livré par la trahison d'un de ses disciples entre les mains des Juifs, et il supporta cette trahison avec tant de patience que non seulement il ne fit aucune résistance à ceux qui le maltraitaient, mais qu'il remit avec bienveillance l'oreille coupée au serviteur du grand-prêtre. [44,3] C'est aussi le cinquième jour, après que le but de son incarnation eut été atteint, qu'à la vue des disciples son corps s'éleva glorieux dans les cieux. Et c'est là qu'il est assis à la droite de son Père, intercédant pour nous, afin que le pauvre troupeau suive son pasteur céleste dans le lieu où il l'a précédé. Qu'a voulu en tout cela notre chef sinon nous donner des exemples de paix ? Afin que, dans ce jour où le peuple chrétien a reçu tant de secours pour le mener à la vie, personne en blessant son prochain ne se blesse lui-même, personne en tuant son frère ne soit son propre meurtrier, car celui qui blesse au dehors, blessé intérieurement, périra. Le sixième jour, le premier Adam fut formé du limon de la terre, et le second Adam, venant pour racheter l'humanité, s'incarna dans le sein d'une vierge, comme un ange l'avait annoncé. C'est aussi en ce jour que le Christ a souffert, et que l'homme, perdu par la faute d'Adam, par le sang du Christ a été reformé à l'image de Dieu. En ce jour donc où la paix a été rendue au monde, tout homme doit observer la paix, pour ne pas retomber dans la mort que le premier homme a apportée à tout l'univers. Le septième jour, Dieu se reposa de son travail, l'Esprit-Saint voulant nous montrer par là que non seulement nous devons nous tenir à l'écart de toute œuvre mauvaise, mais encore que nous devons chercher le repos en nous abstenant de toute œuvre fatigante. Car on ne pourra appeler une fatigue d'aimer Dieu de toute son âme et de s'occuper sans cesse de célébrer ses louanges. Pour figurer ce repos que nous observons aujourd'hui et celui dont nous jouirons plus tard, en ce jour, le corps du Christ reposa dans le sépulcre, son âme cependant combattant les esprits de ténèbres et remportant les dépouilles enlevées à l'antique ennemi que son courage avait vaincu. Prends donc garde, chrétien racheté par le sang du Christ, prends garde de te montrer ingrat envers les bienfaits de ton rédempteur, prends garde, en ce jour de délivrance et de repos, que ton corps ne soit précipité dans les ténèbres, si tu ravis les biens de ton prochain et si tu persécutes dans ses membres celui qui n'a jamais rien dérobé, mais qui au contraire s'est donné à toi tout entier. Le huitième jour, qui est aussi le premier, est pour tout croyant celui où le Seigneur est ressuscité, et par sa résurrection a donné une preuve certaine et une assurance entière de notre double résurrection. En ce jour, une paix entière sera donnée à ses fils d'adoption, la chair ne se révoltant plus contre l'esprit ni l'esprit contre la chair. [44,4] Pour ces causes et pour d'autres qu'il serait trop long d'énumérer, nos pères ont recommandé d'observer la paix surtout pendant ces jours, et, suivant la qualité des personnes et la quantité des infractions, ont édicté les peines les plus diverses et les plus terribles contre les violateurs de la paix. Marchant sur leurs traces autant que nous le pouvons, nous vous exhortons et vous prions, nous vous prions et vous exhortons d'observer sans hésitation cette paix dont nous vous envoyons par écrit les statuts et de jurer son observation sur les saintes reliques. Ce sera pour vous un mérite qui servira à l'accroissement de vos biens temporels et à votre élévation vers les biens incommutables. A ceux qui obéiront paix et miséricorde dans le Seigneur ; à ceux qui enfreindront ces statuts anathème et malédiction.