[7,0] LIVRE SEPTIÈME. [7,1] CHAPITRE PREMIER. 1. L'année suivante, des députés de Lacédémone et de ses alliés vinrent à Athènes, munis de pleins pouvoirs, pour délibérer sur les conditions d'une alliance entre les Lacédémoniens et les Athéniens. Beaucoup d'étrangers et beaucoup d'Athéniens disaient que l'alliance devait se faire sur le pied d'une égalité parfaite. Alors Proclès de Phliunte prononça le discours suivant : 2. « Puisqu'il vous a paru bon, Athéniens, de vous faire des amis des Lacédémoniens, il me semble qu'il faut examiner les moyens de faire durer cette amitié le plus longtemps possible. Or c'est en fondant le traité sur les conditions les plus avantageuses aux deux partis que nous pourrons, selon toute vraisemblance, le maintenir le mieux. Nous nous sommes à peu près mis d'accord sur les autres points; il ne nous reste à considérer que la question de l'hégémonie. Or le sénat a proposé que vous l'ayez sur mer et les Lacédémoniens sur terre, et il me semble aussi à moi que cette répartition est basée moins sur le jugement des hommes que sur la nature et la fortune dont les dieux sont les dispensateurs. 3. Tout d'abord, en effet, votre ville est située dans un endroit admirablement propice à la domination des mers; car la plupart des États qui ont besoin de la mer se trouvent autour de votre ville et tous ces États sont plus faibles que le vôtre. En outre, vous avez des ports, sans lesquels il n'y a pas de puissance navale. Vous avez aussi un grand nombre de trières et c'est chez vous une habitude héréditaire d'augmenter votre marine. 4. D'ailleurs tous les arts qui se rapportent à la marine, vous vous les êtes appropriés. De plus, vous l'emportez de beaucoup sur les autres en expérience nautique; car la plupart d'entre vous vivent de la mer, de sorte que, tout en soignant vos intérêts particuliers, vous acquérez de l'expérience pour les combats sur mer. Ajoutez à cela qu'il n'y a pas de port qui puisse mettre en mer plus de vaisseaux à la fois que le vôtre; et ceci n'est pas de petite importance pour l'hégémonie, attendu que c'est sous les drapeaux de la puissance qui s'est montrée forte la première qu'on se réunit le plus volontiers. 5. En outre, les dieux mêmes vous ont donné d'être heureux dans vos entreprises maritimes; car parmi tant et de si importants combats que vous avez soutenus sur mer, vous n'avez subi que très peu de revers et vous avez été très souvent vainqueurs. Il est donc à présumer que c'est avec vous que les alliés préféreront courir ce genre de danger. 6. Au reste, que la marine doive être nécessairement l'objet de votre attention, vous le comprendrez d'après ce que je vais dire. Les Lacédémoniens vous ont autrefois fait la guerre pendant de nombreuses années et, quoique maîtres de votre pays, ils n'arrivaient pas du tout à vous détruire. Mais lorsqu'un dieu leur eut accordé la maîtrise de la mer, vous fûtes aussitôt à leur merci. Ceci fait voir clairement que votre salut dépend entièrement de la mer. 7. Cela étant, il ne serait point séant à vous d'abandonner aux Lacédémoniens le commandement de la flotte, quand ils sont les premiers à reconnaître qu'ils sont moins expérimentés que vous dans cette partie, et que d'ailleurs ils ne courent pas les mêmes risques dans les combats sur mer : eux, ne risquent que les hommes qui vont sur les trières; vous, vous risquez le sort de vos enfants, de vos femmes et de votre cité tout entière. 8. Voilà ce qu'il en est de votre côté. Examinez maintenant ce qui concerne les Lacédémoniens. D'abord ils habitent à l'intérieur des terres, en sorte que, maîtres de la terre, ils pourraient encore fort bien vivre, même si la mer leur était interdite. Ils l'ont bien senti eux-mêmes et c'est pourquoi, dès l'enfance, ils s'exercent en vue de la guerre sur terre. Ils ont en outre une qualité de la plus haute importance, l'obéissance à leurs chefs; c'est en quoi ils sont les premiers sur terre, comme vous sur mer. 9. Ensuite ils peuvent sur terre, comme vous sur mer, mettre en campagne les armées les plus nombreuses avec la plus grande rapidité, d'où il suit naturellement que c'est à eux aussi que les alliés viennent avec le plus de confiance. En outre, la Divinité leur a donné de réussir sur terre, comme vous sur mer; car, parmi tant de combats qu'ils ont soutenus sur terre, ils n'ont subi que très peu de revers et ont remporté des succès sans nombre. 10. Qu'il soit aussi nécessaire pour eux de veiller à leur puissance sur terre qu'à vous de veiller à la vôtre sur mer, c'est ce qu'on peut constater par les faits. Car vous-mêmes, qui leur avez fait la guerre pendant de longues années et qui les avez souvent battus sur mer, vous n'êtes pas arrivés à les réduire à merci; mais une fois qu'ils ont été vaincus sur terre, le sort de leurs enfants, de leurs femmes et de leur cité tout entière s'est trouvé en jeu. 11. Dès lors, ne serait-ce pas pour eux une terrible chose de laisser à d'autres l'hégémonie sur terre, alors qu'ils excellent dans la conduite des affaires sur terre ? Pour moi donc, c'est l'avis de votre sénat que je viens de défendre et que je considère comme le plus avantageux pour les deux partis. Pour vous, puissiez-vous être heureux en prenant la décision la meilleure pour nous tous! » 12. C'est ainsi qu'il parla et les Athéniens et les Lacédémoniens présents applaudirent vigoureusement son discours, les uns comme les autres. Mais Cèphisodotos s'avança et dit : « Ne voyez-vous pas qu'on vous trompe, Athéniens ? Si vous m'écoutez, je vais vous le faire voir tout de suite. Vous allez commander sur mer; mais, si les Lacédémoniens deviennent vos alliés, il est évident qu'ils vous enverront des Lacédémoniens comme triérarques et peut-être aussi comme soldats de marine; mais les matelots seront évidemment des hilotes ou des mercenaires. Voilà donc les gens que vous commanderez. 13. Cependant, quand les Lacédémoniens vous ordonneront de vous mettre en campagne sur terre, il est évident que vous enverrez vos hoplites et vos cavaliers. Ainsi, c'est à vous-mêmes qu'ils commanderont, et vous à leurs esclaves et à des gens de rien. Réponds-moi, dit-il, Timocratès, toi qui es Lacédémonien. Ne disais-tu pas tout à l'heure que tu venais pour conclure l'alliance sur le pied d'une parfaite égalité ? — Je l'ai dit. — 14. Eh bien, reprit Cèphisodotos, y a-t-il quelque chose de plus conforme à l'égalité que de commander les uns et les autres, tour à tour la flotte et tour à tour l'armée de terre, et que, s'il y a quelque avantage à commander sur mer, vous en ayez votre part, et nous sur terre ? » Ayant entendu ces paroles, les Athéniens changèrent d'avis et décrétèrent que chacun des deux États aurait le commandement pendant cinq jours. 15. Les deux peuples et leurs alliés, s'étant mis en campagne à Corinthe, résolurent de garder en commun l'Onéion, puis, tandis que les Thébains et leurs alliés étaient en marche, ils formèrent leur ligne et gardèrent chacun un côté de l'Onéion, les Lacédémoniens et les Pellèniens ayant pris l'endroit le plus facile à emporter. Quand les Thébains et leurs alliés ne furent plus qu'à trente stades des postes ennemis, ils établirent leur camp dans la plaine. Puis, calculant le temps où ils croyaient devoir se mettre en route pour arriver au point du jour, ils marchèrent contre le poste que gardaient les Lacédémoniens. 16. Leur calcul se trouva juste. Ils tombent sur les Lacédémoniens et les Pellèniens au moment où les gardes de nuit finissaient et où les hommes se levaient de leurs lits de feuillage pour aller où chacun avait affaire. Là, les Thébains, préparés et en bon ordre, assaillent et frappent des gens pris au dépourvu et en désordre. 17. Ceux qui s'échappèrent de cette affaire se réfugièrent sur la colline la plus proche. Le polémarque lacédémonien pouvait garder la position, en prenant aux alliés autant d'hoplites et autant de peltastes qu'il voudrait, car il lui était facile de se faire apporter les vivres de Cenchrées. Il ne le fit pas. Mais, tandis que les Thébains fort inquiets se demandaient comment ils devaient descendre du côté de Sicyone, sans quoi il leur fallait rebrousser chemin, il conclut une trêve qui, au jugement de la plupart des gens, était plus avantageuse aux Thébains qu'aux siens; après quoi il se retira et emmena ses troupes avec lui. 18. Les Thébains descendirent en toute sûreté et firent leur jonction avec leurs alliés, les Arcadiens, les Argiens et les Éléens, puis ils attaquèrent immédiatement Sicyone et Pellènè. Ils firent aussi une expédition contre Épidaure, dont ils ravagèrent tout le territoire. Ils en revinrent en bravant audacieusement tous leurs adversaires, et, quand ils furent arrivés près de la ville de Corinthe, ils s'élancèrent au pas de course vers la porte d'où part la route de Phliunte, pour s'y précipiter s'ils la trouvaient ouverte. 19, Mais des troupes légères sortant de la ville se portent à la rencontre des soldats d'élite des Thébains, qui n'étaient plus même à quatre plèthres du rempart, et, montant sur les tertres et les éminences du terrain, les accablent de traits et de javelots et tuent en grand nombre les plus avancés, puis, après les avoir mis en fuite, les poursuivent environ trois ou quatre stades. Après cet exploit, les Corinthiens qui avaient tiré les morts près du rempart, les rendirent en vertu d'une trêve et dressèrent un trophée. Ce fait d'armes ranima le courage des alliés de Lacédémone. 20. Juste après ces événements, plus de vingt trières, envoyées par Denys, arrivèrent au secours des Lacédémoniens. Elles portaient des Celtes et des Ibères et une cinquantaine de cavaliers. Le lendemain, les Thébains et leurs alliés se rangèrent en bataille et remplirent la plaine jusqu'à la mer et jusqu'aux collines attenant à la ville et détruisirent dans la plaine tout ce qui pouvait être de quelque utilité. La cavalerie d'Athènes et celle de Corinthe n'approchait guère de cette armée dont elle voyait la force et le nombre. 21. Mais les cavaliers de Denys, malgré leur petit nombre, s'éparpillèrent, l'un d'un côté, l'autre de l'autre, et, courant le long de la ligne des ennemis, s'en approchaient pour lancer leurs javelots, puis, quand on s'avançait contre eux, se retiraient, puis de nouveau se retournaient et lançaient leurs javelots. Dans ces courses, ils descendaient de cheval et se reposaient. Si on les chargeait pendant qu'ils étaient à terre, ils sautaient lestement sur leur monture et battaient en retraite. Si quelques ennemis les poursuivaient à une grande distance de l'armée, ils les pressaient, lorsqu'ils se retiraient, leur lançaient des javelots et leur faisaient beaucoup de mal, et ils forçaient toute l'armée à s'avancer et à se retirer à cause d'eux. 22. Après cela, les Thébains ne restèrent que quelques jours et reprirent le chemin de leur patrie et les autres retournèrent chacun chez eux. Alors les troupes de Denys se jettent sur le territoire de Sicyone, défont les Sicyoniens dans la plaine en bataille rangée et leur tuent environ soixante-dix hommes; puis ils prennent d'assaut le fort de Déras. Après ces exploits, le premier renfort envoyé par Denys remit à la voile pour Syracuse. Jusque-là, les Thébains et tous ceux qui avaient fait défection à Lacédémone avaient agi et fait la guerre en plein accord sous la conduite des Thébains. 23. Mais alors on vit entrer en scène un certain Lycomédès de Mantinée, qui pour la naissance n'était inférieur à personne, tenait le premier rang par ses richesses et avait en outre de l'ambition. Cet homme remplit les Arcadiens d'orgueil en leur disant qu'eux seuls pouvaient regarder le Péloponnèse comme leur patrie, parce qu'ils en étaient les seuls habitants autochtones, que, de toutes les tribus grecques, l'arcadienne était la plus nombreuse et avait les hommes les plus robustes. Il leur faisait voir aussi qu'ils étaient les plus braves, et il en donnait pour preuve que, quand on avait besoin d'auxiliaires, on préférait les Arcadiens à tous les autres. Il leur disait encore que jamais les Lacédémoniens n'avaient envahi l'Attique sans eux et qu'à présent les Thébains n'étaient pas venus en Laconie sans les Arcadiens. 24. « Si donc vous êtes sages, disait-il, vous serez moins empressés à suivre où l'on vous appelle. Jadis, en marchant à la suite des Lacédémoniens, vous avez accru leur puissance; maintenant, si vous suivez aveuglément les Thébains, sans prétendre commander à votre tour, peut-être trouverez-vous en eux d'autres Lacédémoniens. » En entendant cela, les Arcadiens se gonflaient d'orgueil, éprouvaient pour Lycomédès un amour sans mesure et le regardaient comme le seul digne du nom d'homme; aussi choisissaient-ils comme chefs ceux qu'il leur désignait. Les événements contribuaient aussi à leur donner une haute idée d'eux-mêmes. 25. En effet, les Argiens, ayant envahi le territoire d'Épidaure, avaient eu leur retraite coupée par les mercenaires de Chabrias, par les Athéniens et les Corinthiens; mais les Arcadiens, accourant à leur secours, avaient délivré les Argiens fortement bloqués, bien qu'ils eussent à lutter non seulement contre les hommes, mais encore contre les lieux. Une autre fois, ayant fait une expédition contre Asinè en Laconie, ils battirent la garnison lacédémonienne, tuèrent le Spartiate Géranor, qui avait été nommé polémarque, et ravagèrent les faubourgs d'Asinè. Où qu'ils voulussent aller, ni la nuit, ni le mauvais temps, ni la longueur de la route, ni les montagnes d'accès difficile ne les en détournaient. Aussi en ce temps-là se croyaient-ils de beaucoup les plus forts. 26. Cet orgueil excitait chez les Thébains une jalousie secrète et ils n'avaient plus de sympathie pour les Arcadiens. D'autre part, les Éléens redemandant aux Arcadiens les villes dont ils avaient été dépouillés par les Lacédémoniens, avaient reconnu que ceux-ci ne tenaient aucun compte de leur demande, mais qu'ils faisaient le plus grand cas des Triphyliens et des autres qui s'étaient révoltés contre eux, parce que ces peuples se disaient Arcadiens, et en conséquence les Éléens aussi étaient mal disposés pour les Arcadiens. 27. Tandis que les alliés se montraient, chacun de leur côté, si fiers de leur force, survient Philiscos d'Abydos, envoyé par Ariobarzanès avec beaucoup d'argent. Il rassembla d'abord à Delphes, pour traiter de la paix, les Thébains et leurs alliés et les Lacédémoniens. Arrivés là, ils ne consultèrent aucunement le dieu sur la manière dont la paix pouvait se faire, et ils délibérèrent entre eux. Mais comme les Thébains refusaient de laisser Messène sous la domination lacédémonienne, Philiscos se mit à lever de nombreux mercenaires, afin de faire la guerre de concert avec les Lacédémoniens. 28. Sur ces entrefaites arrive le deuxième envoi de troupes de Denys. Les Athéniens furent d'avis qu'il fallait les envoyer en Thessalie contre les Thébains, mais les Lacédémoniens, en Laconie, et ce fut l'avis de ces derniers qui prévalut parmi les alliés. Quand ces troupes de Denys, contournant le Péloponnèse, furent arrivées à Lacédémone, Archidamos les réunit à ses soldats citoyens et se mit en campagne. Il enleva Caryes d'assaut et massacra tous ceux qu'il prit vivants. De là il emmena ses troupes droit à Parrhasia en Arcadie et ravagea son territoire. 29. Mais les Arcadiens et les Argiens arrivant au secours des Parrhasiens, il battit en retraite et campa sur les collines qui dominent Méléa. Il se trouvait en cet endroit lorsque Cissidas, chef du renfort envoyé par Denys, lui déclara que le temps qu'on lui avait dit de rester était expiré et, tout en disant cela, il reprit la route de Sparte. Mais, chemin faisant, il trouva les Messéniens qui l'arrêtèrent dans un défilé de la route; alors il envoya prier Archidamos de venir à son secours, et Archidamos y vint. Mais quand ils furent arrivés à l'embranchement de la route qui mène chez les Éutrèsiens, les Arcadiens et les Argiens marchaient sur la Laconie pour fermer, eux aussi, le chemin de Sparte à Archidamos. Alors lui, descendant dans un endroit plat, qui se trouve au carrefour des routes qui mènent l'une chez les Éutrèsiens et l'autre à Méléa, rangea son armée pour livrer bataille. 30. On dit que, passant sur le front de ses troupes, il leur adressa ces exhortations : « Citoyens, montrons que nous sommes des braves et que nous pouvons regarder les gens en face. Laissons à nos descendants notre patrie telle que nous l'avons reçue de nos pères. N'ayons plus à rougir à la vue de nos enfants, de nos femmes, des vieillards et des étrangers, aux yeux desquels nous étions jadis les plus considérés de tous les Grecs. » 31. Il venait d'achever, lorsqu'il vit, dit-on, des éclairs et des tonnerres tomber d'un ciel serein, présages favorables pour lui. Il se trouva en outre qu'à son aile droite il y avait un enclos sacré et une statue d'Héraclès, dont il passe pour être le descendant. Aussi tous ces présages inspirèrent, dit-on, une telle ardeur et une telle confiance aux troupes que les chefs eurent peine à retenir les soldats qui se précipitaient en avant. Quand Archidamos se fut mis à leur tête, quelques-uns des ennemis seulement les attendirent jusqu'à la portée de la lance; ils furent tués et les autres prirent la fuite et tombèrent en grand nombre sous les coups des cavaliers, en grand nombre sous les coups des Celtes. 32. Le combat fini, Archidamos érigea un trophée et envoya aussitôt à Sparte le héraut Dèmotélès pour annoncer la grandeur de la victoire et que les Lacédémoniens n'avaient pas perdu un seul homme, mais les ennemis un nombre immense. On dit qu'à Sparte, en apprenant cette nouvelle, tout le monde pleura, à commencer par Agésilas, les vieillards et les éphores, tant il est vrai que les larmes sont communes à la joie comme à la douleur. Ce malheur des Arcadiens ne causa guère moins de joie aux Thébains et aux Éléens qu'aux Lacédémoniens, tellement leur orgueil les faisait déjà détester. 33. Cependant les Thébains, constamment préoccupés des moyens de s'assurer l'hégémonie de la Grèce, pensèrent que, s'ils envoyaient des ambassadeurs au roi de Perse, il les aiderait à satisfaire leur ambition. Ils invitèrent alors leurs alliés à se joindre à eux, sous prétexte que le Lacédémonien Euthyclès était auprès du roi, et ils envoyèrent en haute Asie, les Thébains Pélopidas, les Arcadiens le pancratiaste Antiochos, les Éléens Archidamos; un Argien aussi les accompagna. En apprenant cela, les Athéniens envoyèrent Timagoras et Léon. 34. Quand ils furent arrivés en Perse, Pélopidas trouva près du roi beaucoup plus de crédit que les autres : car il pouvait dire que, seuls entre les Grecs, les Thébains avaient combattu avec le roi à Platées, que par la suite ils n'avaient jamais pris les armes contre le roi, et que, si les Lacédémoniens leur faisaient la guerre, c'est qu'ils n'avaient pas voulu marcher contre lui avec Agésilas, ni le laisser sacrifier à Artémis à Aulis, à l'endroit où Agamemnon avait sacrifié, avant de faire voile pour l'Asie et de prendre Troie. 35. Ce qui contribuait beaucoup encore à la considération dont jouissait Pélopidas, c'est que les Thébains avaient été vainqueurs en bataille rangée à Leuctres et que l'on savait qu'ils avaient ravagé le pays des Lacédémoniens. Pélopidas disait aussi que les Argiens et les Arcadiens n'avaient été battus par les Lacédémoniens que parce que les Thébains n'étaient pas avec eux. Il était soutenu par le témoignage de l'Athénien Timagoras qui affirmait qu'en tout cela Pélopidas disait la vérité, et c'est Timagoras qui fut le plus considéré après lui. 36. Enfin le roi demanda à Pélopidas ce qu'il désirait qu'il mît dans la lettre qu'il allait écrire pour lui. Pélopidas répondit qu'il mît que Messène devait être affranchie du joug des Lacédémoniens et que les Athéniens eussent à retirer leurs vaisseaux à terre, qu'en cas de refus, on marchât contre eux et que, si quelque ville ne voulait pas se joindre à l'expédition, on marchât contre elle la première. 37. Ces conditions ayant été rédigées et lues aux ambassadeurs, Léon dit, et le roi l'entendit : « Par Zeus, Athéniens, il est temps, je crois, que vous cherchiez un autre ami à la place du roi. » Le greffier ayant interprété au roi le mot de l'Athénien, rapporta ensuite cette addition à la lettre : « Si les Athéniens connaissent quelque chose de plus juste que ces conditions, qu'ils viennent en instruire le roi. » 38. Quand les ambassadeurs furent revenus dans leurs pays respectifs, les Athéniens mirent à mort Timagoras, que Léon accusait de n'avoir pas voulu loger avec lui et de s'être en tout consulté avec Pélopidas. Parmi les autres ambassadeurs, l'Éléen Archidamos se louait fort du roi parce qu'il avait honoré l'Élide plus que l'Arcadie; mais Antiochos, piqué de voir l'Élide préférée à la confédération arcadienne, avait refusé les présents du roi et il rapporta aux Dix Mille que le roi avait quantité de boulangers, de cuisiniers, d'échansons, de portiers, mais qu'en dépit de toutes ses recherches, il n'avait pu voir des hommes capables de tenir tête aux Grecs. Il ajouta que la grandeur de ses trésors n'étaient pour lui que hâblerie, vu que le platane d'or tant vanté n'était pas capable, disait-il, de fournir de l'ombre à une cigale. 39. Quand les Thébains eurent convoqué tous les États pour entendre la lettre du roi et que le Perse qui la portait, après avoir fait voir le cachet du roi, en eut lu le contenu, les Thébains invitèrent alors ceux qui voulaient être leurs amis de jurer au roi et à eux-mêmes d'observer ces conditions. Mais les députés des villes répondirent qu'on les avait envoyés, non pour jurer, mais pour écouter des propositions, et que, s'ils voulaient des serments, ils n'avaient qu'à le signifier aux villes. L'Arcadien Lycomédès ajouta que l'assemblée elle-même ne devait pas être tenue à Thèbes, mais là où était le siège de la guerre. Comme les Thébains, irrités contre lui, l'accusaient de détruire la ligue, il ne voulut même pas siéger dans le conseil et se retira, et avec lui tous les députés arcadiens. 40. Voyant que les députés rassemblés à Thèbes ne voulaient pas prêter serment, les Thébains envoyèrent des ambassadeurs dans les villes pour les engager à jurer qu'elles se conformeraient à l'édit du roi. Ils pensaient que chaque ville prise isolément hésiterait à encourir à la fois leur haine et celle du roi. Mais les Corinthiens, chez qui ils se rendirent d'abord, leur opposèrent un refus et répondirent qu'ils n'avaient nul besoin de serments prêtés en commun avec le roi. Leur exemple fut suivi par beaucoup d'autres villes qui répondirent dans le même sens. C'est ainsi que cette tentative de Pélopidas et des Thébains pour obtenir l'hégémonie fut réduite à néant. 41. D'un autre côté, Épaminondas, voulant s'attacher les Achéens, afin d'inspirer aux Arcadiens et à leurs autres alliés plus de considération pour Thèbes, décida de faire une expédition en Achaïe. En conséquence, il persuada à l'Argien Peisias, qui commandait l'armée d'Argos, de s'emparer d'avance de l'Onéion. Peisias, informé que l'Onéion était gardé négligemment par Nauclès, chef des mercenaires de Lacédémone et par l'Athénien Timomachos, s'empare de nuit avec deux mille hoplites de la colline qui domine Cenchrées, ayant avec lui des vivres pour sept jours. 42. Dans l'intervalle de ces sept jours, les Thébains arrivent, franchissent l'Onéion et marchant avec tous les alliés contre l'Achaïe, sous la conduite d'Épaminondas. Sur les instantes prières des aristocrates, Épaminondas usa de son autorité pour qu'on n'exilât pas les oligarques et qu'on ne changeât pas la forme du gouvernement et, après avoir reçu des Achéens l'engagement d'être les alliés des Thébains et de les suivre où ils les conduiraient, il s'en retourna dans sa patrie. 43. Mais comme les Arcadiens et les adversaires des oligarques l'accusaient d'avoir organisé l'Achaïe en faveur des Lacédémoniens et d'être parti ensuite, les Thébains décidèrent d'envoyer des harmostes dans les villes achéennes. Ceux-ci, à leur arrivée, chassèrent les aristocrates avec l'aide du parti populaire et établirent en Achaïe des gouvernements démocratiques. Mais les bannis, s'étant coalisés promptement et se trouvant en grand nombre, marchèrent contre chacune de leurs villes, l'une après l'autre, y rentrèrent et les retinrent sous leur dépendance. Une fois rentrés, au lieu de garder la neutralité, ils montrèrent beaucoup de zèle à soutenir Lacédémone. Alors les Arcadiens se trouvèrent pressés d'un côté par les Lacédémoniens, de l'autre par les Achéens. 44. A Sicyone, le gouvernement était jusque-là resté fidèle aux anciennes lois; mais à ce moment, Euphron, qui, au temps de la domination lacédémonienne, avait été le plus considérable des citoyens et désirait être aussi le premier sous leurs adversaires, dit aux Argiens et aux Arcadiens que, si les plus riches restaient maîtres de Sicyone, la ville ne manquerait évidemment pas, à la première occasion, de reprendre le parti des Lacédémoniens. « Si, au contraire, dit-il, on y introduit un gouvernement démocratique, soyez sûrs que la ville vous restera fidèle. Venez donc me seconder; je me charge de convoquer le peuple et je ne vous donnerai pas seulement par là un gage de ma bonne foi, mais je maintiendrai encore fermement la ville dans votre alliance. Et si je fais cela, ajouta-t-il, sachez-le, c'est parce que depuis longtemps je supporte impatiemment, comme vous, l'orgueil des Lacédémoniens et que je serais heureux d'échapper à leur esclavage. » 45. Les Arcadiens et les Argiens entendirent ces propositions avec plaisir et se rendirent à son appel. Aussitôt, en présence des Argiens et des Arcadiens, il convoqua le peuple à l'agora pour lui annoncer que le gouvernement serait désormais fondé sur l'égalité. Quand les citoyens furent rassemblés, il les invita à choisir pour stratèges ceux qu'il leur plaisait. Ils choisirent Euphron lui-même, Hippodamos, Cléandros, Acrisios et Lysandros. Cela fait, il met son fils Adéas à la tête du corps de mercenaires, après avoir destitué leur ancien commandant, Lysiménès. 46. Aussitôt Euphron s'attacha un certain nombre de ces mercenaire en les traitant généreusement et il en enrôla d'autres, n'épargnant ni les fonds publics ni les fonds sacrés. Il usa de même des biens de tous ceux qu'il bannit pour cause de laconisme. Parmi ceux qui partageaient le pouvoir avec lui, il tua traîtreusement les uns et bannit les autres, si bien qu'il mit tout sous sa coupe et devint un vrai tyran. Il s'arrangea pour obtenir la connivence des alliés en distribuant de l'argent et en les suivant avec zèle à la tête de ses mercenaires dans toutes leurs expéditions. [7,2] CHAPITRE II. 1. Quand les événements eurent pris cette tournure et que d'autre part les Argiens eurent fortifié, pour servir de base contre Phliunte, le mont Tricaranon au-dessus du temple d'Hèra, comme, de leur côté, les Sicyoniens fortifiaient Thyamia sur la frontière des Phliasiens, ceux-ci se trouvèrent serrés de près et à court de vivres. Ils n'en persévérèrent pas moins dans l'alliance lacédémonienne. Quand les grandes villes font quelque action glorieuse, tous les historiens les mentionnent; mais il me semble à moi que, lorsqu'une petite ville s'est signalée par un grand nombre de belles actions, elle mérite encore plus qu'on les fasse connaître. 2. Or donc les Phliasiens avaient fait alliance avec Lacédémone au temps où elle était à l'apogée de sa grandeur. Mais quand, à la suite de sa défaite à la bataille de Leuctres, elle se vit abandonnée par les périèques, abandonnée par tous les hilotes et aussi par ses alliés, à l'exception d'un très petit nombre, et que tous les Grecs, pour ainsi dire, marchaient contre elle, eux lui restèrent fidèles et, bien qu'ils eussent pour ennemis les peuples les plus puissants du Péloponnèse, les Arcadiens et les Argiens, ils n'en vinrent pas moins à son secours, et comme le hasard avait voulu qu'ils fussent les derniers du corps de secours qui traversait le Péloponnèse pour gagner Prasies, corps composé de Corinthiens, d'Epidauriens, de Trézéniens, d'Hermioniens, d'Haliens, de Sicyoniens et de Pellèniens, 3. parmi lesquels il n'y avait pas encore eu de défections, ils eurent beau se voir abandonnés par le commandant lacédémonien, qui était parti avec ceux qui avaient passé les premiers, ils ne s'en retournèrent pas pour cela; ils payèrent un guide de Prasies, et, quoique les ennemis fussent à Amyclées, ils se faufilèrent comme ils purent et arrivèrent à Sparte. Aussi les Lacédémoniens leur donnèrent différentes marques d'honneur et en particulier ils leur envoyèrent un boeuf comme présent d'hospitalité. 4. De même, lorsque les ennemis eurent évacué la Laconie, les Argiens, irrités du zèle des Phliasiens pour les Lacédémoniens, envahirent en masse le territoire de Phliunte et le ravagèrent, ils ne cédèrent pas non plus, et même, quand les Argiens se retirèrent, après avoir détruit tout ce qu'ils avaient pu, les cavaliers de Phliunte sortirent et les suivirent, et, bien que l'arrière-garde des Argiens fût couverte par toute leur cavalerie et des compagnies de fantassins rangés derrière elle, les Phliasiens, qui n'étaient que soixante, les chargèrent et mirent en fuite toute l'arrière-garde. Ils ne tuèrent, il est vrai, que peu de monde; ils n'en élevèrent pas moins un trophée à la vue des Argiens, tout comme s'ils les avaient tués tous. 5. Une autre fois, les Lacédémoniens leurs alliés gardaient l'Onéion, tandis que les Thébains s'approchaient pour le franchir. Les Arcadiens et les Eléens s'avançaient par Némée pour se joindre aux Thébains, lorsque des exilés de Phliunte vinrent leur dire que, s'ils voulaient seulement se montrer pour les soutenir, ils prendraient la ville. Quand ils se furent concertés là-dessus, les exilés, renforcés d'environ six cents hommes, vinrent la nuit avec des échelles se placer en embuscade sous le rempart même. Puis lorsque les vigies indiquèrent du Tricaranon l'approche des ennemis, les traîtres, profitant du moment où l'attention de la ville était portée de ce côté, firent signe à ceux qui étaient postés au pied du mur de monter. 6. Ils montent et, trouvant le poste de garde désert, ils poursuivent les gardes de jour qui étaient au nombre de dix, car sur chaque cinquaine on laissait un homme comme garde de jour. Ils en tuent un, qui était encore endormi, et un autre, qui s'était réfugié dans le temple d'Hèra. Comme les autres gardes de jour sautaient en fuyant du haut du mur, du côté qui regarde la ville, les hommes qui étaient montés se trouvèrent maîtres de la citadelle, sans qu'on la leur disputât. 7. Mais aux cris qui parviennent dans la ville, les citoyens accourent, et tout d'abord les ennemis, sortant de la citadelle, combattent devant la porte qui conduit à la ville, puis, assiégés de tous côtés par les citoyens qui venaient à la rescousse, ils se retirent de nouveau dans la citadelle et les citoyens s'y précipitent avec eux. Le milieu de l'acropole se vide en un instant, mais les ennemis montent sur le mur et sur les tours, d'où ils font pleuvoir les coups et les traits sur ceux qui se trouvent dans l'enceinte. Ceux-ci se défendent d'en bas et combattent le long des rampes qui mènent au haut du mur. 8. Cependant, lorsque les citoyens furent maîtres de certaines tours de côté et d'autre, ils attaquent en désespérés l'ennemi qui est sur les murs. Celui-ci recule devant l'audace de tels combattants et se voit acculer dans un espace toujours plus étroit. A ce moment, les Arcadiens et les Argiens encerclaient la ville et sapaient par devant le mur de la citadelle. Ceux de l'intérieur frappaient, les uns les ennemis qui étaient sur le mur, les autres ceux du dehors qui tentaient encore l'escalade et se trouvaient sur les échelles; d'autres encore combattaient ceux qui étaient montés sur les tours. Ayant trouvé du feu dans les tentes, ils embrasèrent ces tours, en y apportant des gerbes qui avaient justement été moissonnées dans la citadelle même. Les occupants, craignant la flamme, sautèrent en bas, tandis que ceux qui étaient sur les murs étaient jetés à terre par les braves qui les frappaient. 9. Lorsqu'une fois ils eurent commencé à céder, toute l'acropole fut bientôt vide d'ennemis. Aussitôt la cavalerie fait une sortie. A son aspect, les ennemis battent en retraite, abandonnant leurs échelles, leurs morts et quelques hommes vivants estropiés. Le nombre des ennemis tués, soit en combattant dedans, soit en sautant dehors, ne montait pas à moins de quatre-vingts. Là, on put voir les hommes s'embrasser, heureux d'être sauvés, et les femmes leur apporter à boire en pleurant de joie. C'était vraiment le rire mêlé de larmes qui s'était emparé de tous les assistants. 10. L'année suivante, Phliunte fut encore envahie par les Argiens et par tous les Arcadiens. La cause de ces attaques continuelles contre les Phliasiens était l'irritation qu'ils ressentaient à leur égard, la situation de Phliunte entre les deux États et l'espoir qu'ils nourrissaient toujours de les réduire par la disette. Mais dans cette invasion, les cavaliers et l'élite des Phliasiens, renforcés des cavaliers athéniens qui se trouvaient là, fondirent sur l'ennemi au passage de la rivière, le battirent et le forcèrent à se retirer le reste du jour sur les hauteurs, comme s'ils se gardaient de fouler des moissons amies dans la plaine. 11. Une autre expédition fut dirigée contre Phliunte par le gouverneur thébain de Sicyone qui menait avec lui la garnison qu'il commandait et les Sicyoniens et les Pellèniens; car à ce moment-là, ils obéissaient déjà aux Thébains, et Euphron avec ses mercenaires, au nombre d'environ deux mille, s'était joint à l'expédition. Ils descendirent tous par le Tricaranon vers le temple d'Héra, dans l'intention de ravager la plaine, à l'exception des Sicyoniens et des Pellèniens, qu'ils avaient laissés sur la hauteur en face de la porte qui mène à Corinthe, pour empêcher les Phliasiens de venir par un détour sur leurs têtes par-dessus le temple d'Héra. 12. Quand ceux de la ville eurent reconnu que les ennemis marchaient vers la plaine, les cavaliers et l'élite des Phliasiens sortirent à leur rencontre, engagèrent la bataille et ne les laissèrent pas arriver à la plaine. La plus grande partie du jour se passa là en escarmouches, Euphron et ses gens menant la poursuite jusqu'à l'endroit praticable pour la cavalerie, et ceux de la ville jusqu'au temple d'Héra. 13. Quand les ennemis crurent qu'il était temps de se retirer, ils le firent en contournant le Tricaranon; car le ravin situé devant le rempart les empêchait de rejoindre directement les Pellèniens. Après les avoir suivis quelque temps vers la hauteur, les Phliasiens se retournèrent et, prenant le long du rempart, ils s'élancèrent contre les Pellèniens et ceux qui étaient avec eux. 14. Le Thébain, voyant la marche rapide des Phliasiens, se mit à rivaliser de vitesse pour les prévenir et porter secours aux Pellèniens. Mais les cavaliers, arrivés les premiers, fondirent sur les Pellèniens. Ceux-ci soutinrent le premier choc et les cavaliers se replièrent, mais ils revinrent à la charge avec ceux des fantassins qui les avaient rejoints, et la mêlée s'engagea. Alors l'ennemi lâcha pied laissant sur le terrain quelques Sicyoniens et quantité de vaillants Pellèniens. 15. Après cet exploit, les Phliasiens élevèrent un trophée, entonnèrent le péan d'une voix éclatante, comme c'était naturel. Les soldats du Thébain et d'Euphron voyaient cela sans bouger, comme s'ils fussent venus à un spectacle. Après cela, les deux partis se retirèrent; les uns prirent le chemin de Sicyone et les autres rentrèrent dans la ville. 16. Voici encore une belle action des Phliasiens. Ils avaient pris vivant le Pellènien Proxénos, et, quoique manquant de tout, ils le renvoyèrent sans rançon. Comment ne pas reconnaître que des gens capables de pareils traits sont des braves et des vaillants ? 17. On sait de quelle endurance ils firent preuve pour rester fidèles à leurs amis. Comme ils ne retiraient rien de leurs terres, ils vivaient, soit de ce qu'ils prenaient sur l'ennemi, soit de ce qu'ils achetaient à Corinthe. Ils allaient au marché à travers mille dangers; ils avaient grand-peine à se procurer de quoi payer, grand-peine à faire passer les convoyeurs, et ils trouvaient difficilement des répondants pour les bêtes de somme qui devaient amener les vivres. 18. A la fin, comme ils étaient absolument dépourvus, ils obtinrent de Charès qu'il voulût bien escorter leur convoi. Quand il fut arrivé à Phliunte, ils le prièrent aussi d'emmener du même coup les bouches inutiles à Pellènè. Ils les y laissèrent en effet, et, après avoir fait leurs achats et s'être procuré autant de bêtes de somme que possible, ils partirent pendant la nuit. Ils n'ignoraient pas que l'ennemi leur tendrait des embûches, mais ils pensaient qu'il était moins pénible de combattre que de n'avoir pas de quoi manger. 19. Les Phliasiens marchaient en tête avec Charès. Dès qu'ils rencontrèrent les ennemis, ils se mirent à l'oeuvre et, s'excitant les uns les autres, fondirent sur lui, tout en criant à Charès de venir à leur aide. L'ennemi battu et repoussé de la route, ils arrivèrent ainsi chez eux, ayant sauvé leurs personnes et leur convoi. Comme ils avaient veillé la nuit, ils dormirent bien avant dans le jour. 20. Lorsque Charès fut levé, les cavaliers et les plus actifs des hoplites vinrent le trouver et lui dirent : « Il ne tient qu'à toi, Charès, de te signaler aujourd'hui par l'action la plus glorieuse. Les Sicyoniens fortifient contre nous une place sur nos frontières et ils ont beaucoup d'ouvriers, mais pas beaucoup de soldats. Nous prendrons donc la tête, nous, les cavaliers, avec les hoplites les plus solides, et toi, si tu veux nous suivre avec tes mercenaires, peut-être trouveras-tu l'ouvrage tout fait; peut-être aussi, en te montrant, feras-tu pencher la balance, comme à Pellènè. Si tu trouves quelque difficulté dans nos propositions, consulte les dieux par un sacrifice. Nous pensons en effet que les dieux te porteront à cette entreprise encore plus que nous. Il y a aussi une chose que nous devons te dire, Charès, c'est que, si tu fais ce que nous te demandons, tu nous assureras un fort qui sera une base d'attaque contre l'ennemi, tu auras sauvé une ville amie et tu jouiras d'une grande gloire dans ta patrie et d'une grande renommée chez les alliés et chez les ennemis. » 21. Charès, persuadé, offrit un sacrifice, tandis que, sans perdre un instant, les cavaliers de Phliunte endossaient leurs cuirasses et bridaient leurs chevaux et que les hoplites se fournissaient de ce qui est nécessaire aux fantassins. Quand ils eurent pris leurs armes et furent venus au lieu du sacrifice, ils trouvèrent Charès et le devin qui venaient à leur rencontre et qui leur dirent que le sacrifice était favorable. « Eh bien, attendez-nous, dirent-ils, car nous aussi, nous allons sortir à l'instant. » Aussitôt que l'ordre eut été donné par le héraut, les mercenaires accoururent en toute hâte, comme entraînés par une ardeur divine. 22. Lorsque Charès se fut mis en marche, la cavalerie et l'infanterie des Phliasiens prirent la tête. Tout d'abord ils conduisirent rapidement, ensuite ils prirent le pas de course; à la fin, les cavaliers s'élancèrent à toute vitesse et les fantassins se mirent à courir aussi rapidement qu'il est possible à des gens qui sont en ligne. Charès les suivait au pas accéléré. C'était peu de temps avant le coucher du soleil. Ils trouvèrent les ennemis dans la forteresse en train, les uns de se laver, les autres de faire la cuisine, ceux-ci de pétrir, ceux-là de faire leur lit. 23. En voyant l'impétuosité de l'attaque, ils s'enfuirent aussitôt, saisis de frayeur, en abandonnant leurs provisions à ces braves gens. Ceux-ci, après avoir dîné de ces provisions et de celles qu'ils avaient apportées de chez eux, firent des libations en l'honneur de leur bonne fortune, entonnèrent le péan, et après avoir posé des sentinelles, se couchèrent. Un messager ayant apporté pendant la nuit aux Corinthiens les nouvelles de Thyamia, ils se comportèrent en vrais amis : ils réquisitionnèrent par la voix du héraut tous les attelages et toutes les bêtes de somme et, les ayant chargés de blé, les escortèrent à Phliunte, et, tant que dura la construction du fort, ils envoyèrent des convois tous les jours. [7,3] CHAPITRE III. 1. Voilà ce que j'avais à dire des Phliasiens, de leur fidélité à leurs amis, de leur vaillance à la guerre, de leur attachement à leurs alliés en dépit de la disette la plus complète. Vers ce temps-là, Énée de Stymphale, qui était devenu stratège des Arcadiens, trouvant que ce qui se passait à Sicyone était intolérable, monta à l'acropole avec son armée, et rassemblant les aristocrates qui restaient dans la ville, il rappela ceux qui avaient été bannis sans décret. 2. Effrayé de cette mesure, Euphron se réfugie dans le port de Sicyone, il appelle de Corinthe Pasimèlos et, par son entremise, il livre le port aux Lacédémoniens et rentre de nouveau dans leur alliance, affirmant qu'il n'avait jamais cessé d'être fidèle aux Lacédémoniens; car, au moment où la ville était appelée à voter si elle décidait de quitter leur parti, il affirmait qu'il avait voté contre avec un petit nombre de personnes; 3. et qu'ensuite, s'il avait établi la démocratie, c'était pour se venger de ceux qui l'avaient trahi. « Et maintenant, dit-il, tous ceux qui vous ont trahis sont, grâce à moi, en exil. Si je l'avais pu, j'aurais passé à votre parti avec toute la ville. A présent je vous livre le port dont je suis devenu maître. » Il fut entendu de beaucoup de personnes; mais combien le crurent, c'est ce qui reste douteux. 4. Mais puisque j'ai commencé, je veux achever de raconter l'histoire d'Euphron. Comme la dissension s'était mise à Sicyone entre les grands et le peuple, Euphron rentra dans la ville avec un corps de mercenaires qu'il avait levés à Athènes, et il s'en rendit maître avec l'aide du peuple; mais l'harmoste thébain conservait l'acropole. Reconnaissant qu'il ne pourrait être maître de la ville, tant que les Thébains tiendraient l'acropole, il ramassa de l'argent et partit dans l'intention de persuader aux Thébains par ses largesses de chasser les aristocrates et de lui livrer de nouveau la ville. 5. Mais les anciens exilés, instruits de son voyage et de son dessein, se rendirent à Thèbes pour le contrecarrer. Comme ils le voyaient sur le pied de l'intimité avec les magistrats, ils eurent peur qu'il ne vînt à bout de ses projets et quelques-uns d'eux, bravant le danger, l'égorgèrent dans l'acropole, au moment où le magistrats et le sénat y tenaient séance. Les magistrats amenèrent les auteurs du meurtre devant le sénat et parlèrent en ces termes : 6. « Citoyens, nous poursuivons pour crime capital ces gens que vous voyez, qui ont tué Euphron. Nous voyons que les gens sains d'esprit ne commettent aucune action criminelle ou impie et que les méchants qui s'en rendent coupables, tâchent du moins de rester ignorés. Or les hommes que voilà surpassent tellement tous les autres en audace et en scélératesse qu'en présence des magistrats eux-mêmes et de vous-mêmes, à qui appartient le droit de décider de la vie ou de la mort des gens, ils en ont décidé eux-mêmes et ont tué cet homme. Si donc ces assassins ne sont pas punis du dernier supplice, qui osera jamais venir dans notre ville ? Qu'adviendra-t-il de notre cité s'il est permis au premier venu de tuer un homme avant qu'il ait fait connaître le motif de sa venue ? Nous poursuivons donc ces gens-là, parce qu'ils sont des monstres d'impiété et de scélératesse, des hommes sans foi ni loi, qui ont outrageusement bravé notre ville. Vous nous avez entendus; c'est à vous à leur appliquer la peine que vous croyez qu'ils ont méritée. » 7. Ainsi parlèrent les magistrats. Quant aux auteurs du meurtre, ils se défendaient tous d'en avoir été les exécuteurs, sauf un qui avoua et qui entreprit de se justifier à peu près en ces termes : « Non, Thébains, il n'est pas possible à un homme de vous braver, quand il sait que vous êtes maîtres de faire de lui ce que vous voudrez. Qu'est-ce qui m'a donc inspiré la hardiesse de tuer cet homme ici ? C'est d'abord, sachez-le bien, que j'étais convaincu que mon acte était juste et que vous le jugeriez comme il doit l'être. Je savais en effet que vous-mêmes, à l'égard d'Archias et d'Hypatès, que vous avez trouvés coupables des mêmes crimes qu'Euphron, vous n'avez pas attendu de vote, mais que vous les avez punis aussitôt que vous l'avez pu, persuadés que des criminels avérés, des traîtres manifestes, des aspirants à la tyrannie sont déjà condamnés par toute l'humanité. 8. Or Euphron n'était-il pas coupable de tous ces crimes ? Il a trouvé les temples remplis d'offrandes d'argent et d'or et il les en a vidés entièrement. Traître, qui pourrait l'être plus manifestement qu'Euphron, qui, lié d'une étroite amitié avec les Lacédémoniens, les a abandonnés pour vous et qui, après avoir échangé avec vous des gages de bonne foi, vous a trahis à votre tour et a livré le port à vos ennemis ? Et puis n'était-ce pas incontestablement un tyran, l'homme qui réduisait en servitude non seulement des hommes libres, mais encore des citoyens, qui tuait, qui bannissait, qui dépouillait de leurs biens, non point les criminels, mais ceux qu'il lui plaisait, et c'étaient les meilleurs citoyens. 9. Puis, rentré dans la ville avec vos pires ennemis, les Athéniens, il a porté les armes contre l'harmoste établi par vous. N'ayant pu le chasser de l'acropole, il a ramassé de l'argent pour venir ici. S'il avait ouvertement levé des troupes contre vous, vous me sauriez gré de l'avoir tué; mais, quand il s'est pourvu d'argent et qu'il est venu pour vous corrompre par là et vous persuader de le rendre de nouveau maître de la ville, comment pourriez-vous me faire périr justement, moi qui ai fait justice d'un tel homme ? Quand on contraint quelqu'un par la force des armes, c'est, il est vrai, un malheur pour lui, mais il ne paraît pas pour cela criminel; mais pour ceux qui se laissent corrompre à prix d'argent pour violer la justice, ce n'est pas seulement un malheur, c'est encore un déshonneur. 10. Si cependant il avait été mon ennemi personnel, mais votre ami à vous, je conviens moi-même que j'aurais eu tort de le tuer chez vous; mais comment l'homme qui vous trahissait pouvait-il être plus mon ennemi que le vôtre ? — Mais, par Zeus, dira-t-on, il est venu ici de son plein gré. — Eh quoi! celui qui l'aurait tué loin de votre ville aurait mérité des éloges, et, parce qu'à ses anciens crimes il venait en ajouter de nouveaux, on prétendra qu'il n'a pas été tué justement ? Mais peut-on montrer qu'il y a trêve entre les Grecs et les traîtres, les doubles déserteurs et les tyrans ? 11. Rappelez-vous d'ailleurs que vous avez décrété, n'est-ce pas ? l'extradition des bannis entre tous les États alliés. Mais quand un exilé revient sans une décision générale des alliés, peut-on dire qu'il n'est pas juste de le mettre à mort ? Pour moi, je déclare, Thébains, que si vous me faites périr, vous aurez vengé votre plus grand ennemi, mais que, si vous reconnaissez la justice de ma cause, on trouvera que vous aurez vengé non seulement vous-mêmes, mais encore tous vos alliés. » 12. Après avoir entendu ce discours, les Thébains prononcèrent qu'Euphron avait subi le sort qu'il méritait. Cependant ses concitoyens rapportèrent son corps comme celui d'un homme de bien et l'ensevelirent à l'agora, et ils révèrent Euphron comme le fondateur de leur ville. C'est ainsi, semble-t-il, que la plupart des gens donnent à leurs bienfaiteurs le nom d'hommes de bien. [7,4] CHAPITRE IV 1. Voilà ce que j'avais à dire sur Euphron. Je reviens au récit que j'ai laissé pour cette digression. Tandis que les Phliasiens étaient encore occupés à fortifier Thyamia et que Charès était encore avec eux, les exilés s'emparèrent d'Oropos. Les Athéniens marchèrent avec toutes leurs forces contre cette ville et rappelèrent Charès de Thyamia. Pendant ce temps, le port de Sicyone fut repris par les citoyens eux-mêmes et par les Arcadiens. Quant aux Athéniens, aucun de leurs alliés ne leur vint en aide, et ils durent se retirer en laissant Oropos entre les mains des Thébains jusqu'à ce qu'une décision judiciaire intervînt. 2. Lycomédès, ayant appris que les Athéniens se plaignaient de leurs alliés, parce qu'eux-mêmes affrontaient pour eux mille difficultés et qu'en retour aucun d'eux n'était venu à leur secours, persuada aux Dix Mille de négocier une alliance avec eux. Tout d'abord il y eut des Athéniens qui témoignèrent de la répugnance, étant amis des Lacédémoniens, à s'allier avec leurs adversaires; mais en réfléchissant, ils trouvèrent qu'il n'y avait pas moins d'avantage pour les Lacédémoniens que pour eux à ce que les Arcadiens n'eussent plus besoin des Thébains et, en conséquence, ils acquiescèrent à l'alliance des Arcadiens. 3. Lycomédés, qui l'avait négociée, périt à son retour d'Athènes par un hasard tout à fait providentiel. Parmi les très nombreux bateaux qui se trouvaient là, il prit celui qu'il voulut et, après être convenu qu'on le débarquerait où il le demanderait, il choisit pour aborder juste l'endroit où se trouvaient des exilés. C'est ainsi qu'il fut tué, mais l'alliance n'en fut pas moins conclue. 4. Dèmotion, ayant dit dans l'assemblée du peuple athénien que la conclusion de l'alliance avec les Arcadiens lui paraissait avantageuse, ajouta qu'il fallait donner des instructions aux stratèges pour conserver Corinthe dans la dépendance athénienne. Ayant appris cela, les Corinthiens se hâtèrent d'envoyer des garnisons suffisantes, formées de leurs propres troupes, partout où il y avait des garnisons athéniennes et ils prièrent celles-ci de se retirer, vu qu'ils n'avaient plus besoin d'elles. Les Athéniens y consentirent. Lorsque leurs troupes eurent quitté les forts et se furent réunies dans la ville, les Corinthiens firent proclamer que, si quelque Athénien se trouvait lésé dans ses droits, il donnât son nom, qu'on lui ferait justice. 5. Les choses en étaient là, lorsque Charès arriva avec la flotte devant Cenchrées. Quand il fut informé de ce qui s'était passé, il dit qu'il avait entendu dire qu'il y avait un complot contre la ville et qu'il venait pour la secourir. Les Corinthiens le remercièrent, mais ne reçurent pas pour cela ses vaisseaux dans le port, et le prièrent de s'en retourner. Ils renvoyèrent aussi les hoplites, après leur avoir donné satisfaction. C'est ainsi que les Athéniens quittèrent Corinthe. 6. Cependant, en vertu de l'alliance, ils étaient forcés d'envoyer leur cavalerie au secours des Arcadiens, si quelque ennemi faisait la guerre à l'Arcadie; mais ils ne mirent pas le pied en Laconie pour y porter la guerre. Quant aux Corinthiens, considérant qu'ils auraient bien de la peine à se sauver, parce que, battus précédemment sur terre, ils voyaient les Athéniens grossir le nombre des peuples qui leur étaient hostiles, ils décidèrent de former un corps de fantassins et de cavaliers mercenaires. Quand ils les eurent à leur service, non seulement ils gardèrent leur ville, mais encore ils firent beaucoup de mal aux ennemis qui étaient leurs voisins. Ils n'en députèrent pas moins à Thèbes pour savoir s'ils seraient admis à demander la paix. 7. Les Thébains les ayant invités à venir en leur promettant la paix, les Corinthiens les prièrent de leur permettre de se rendre aussi chez leurs alliés, pour faire la paix avec ceux qui le voudraient, en laissant faire la guerre à ceux qui préféraient la guerre. Les Thébains les y ayant autorisés aussi, les Corinthiens se rendirent à Lacédémone et tinrent ce discours : 8. « Nous venons à vous, Lacédémoniens, en qualité d'amis et nous vous prions, si vous voyez que nous ayons quelque moyen de nous sauver en continuant la guerre, de nous en faire part; mais, si vous jugez que notre situation est sans issue, de faire la paix de concert avec nous, si vous y voyez votre intérêt; car vous êtes ceux avec qui nous aimerions le mieux assurer notre salut. Si cependant vous considérez que vous avez intérêt à continuer la guerre, nous vous prions de nous laisser faire la paix. Une fois sauvés, nous pourrons peut-être encore à l'avenir vous être utiles, tandis que, si nous sommes détruits à présent, il est évident que nous ne vous serons plus jamais d'aucun secours. » 9. Après avoir entendu ces raisons, les Lacédémoniens conseillèrent aux Corinthiens de faire la paix et laissèrent leurs autres alliés libres de rester en repos, s'ils ne voulaient pas faire la guerre avec eux. Quant à eux-mêmes, ils déclarèrent qu'ils continueraient la guerre, quel que fût le sort que les dieux leur réservaient, et qu'ils ne se résigneraient jamais à se voir enlever Messène, qu'ils tenaient de leurs ancêtres. 10. Sur cette réponse, les Corinthiens se rendirent à Thèbes pour traiter de la paix. Comme les Thébains voulaient les faire jurer aussi d'entrer dans leur alliance, ils répondirent qu'une alliance n'était pas une paix, mais un changement de guerre, et ils ajoutèrent qu'ils étaient venus pour conclure une paix réelle, si les Thébains le voulaient bien. Les Thébains, saisis d'admiration pour un peuple qui, malgré le danger où il se trouvait, ne voulait pas se mettre en guerre avec ses bienfaiteurs, leur accordèrent la paix, ainsi qu'aux Phliasiens et à ceux qui étaient venus à Thèbes avec eux, à condition que chacun eût la pleine possession de son territoire. On prêta serment sur ces clauses. 11. Le traité conclu sur cette base, les Phliasiens quittèrent aussitôt Thyamia; mais les Argiens, qui avaient juré la paix à ces mêmes conditions, ne pouvant obtenir que les bannis de Phliunte restassent au Tricaranon, comme s'ils résidaient sur le territoire d'Argos, s'emparèrent de la place et y mirent garnison, prétendant que cette terre était à eux, alors que, quelque temps avant, ils la ravageaient comme ennemie. Les Phliasiens ayant réclamé un arbitrage, ils le refusèrent. 12. Vers ce temps-là, après la mort du premier Denys, son fils envoya au secours des Lacédémoniens douze trières commandées par Timocratès. A son arrivée, celui-ci les aida à prendre Sellasia, après quoi il remit à la voile pour regagner son pays. Quelque temps après, les Éléens s'emparèrent de Lasion, qui leur appartenait anciennement, mais qui pour le moment faisait partie de la confédération arcadienne. 13. Mais les Arcadiens ne les laissèrent pas faire, et, appelant aussitôt leurs troupes, ils accoururent à la rescousse. De leur côté, les Éléens vinrent à leur rencontre avec les Quatre Cents, renforcés de trois cents hommes, et campèrent pendant le jour en face d'eux dans un endroit assez plat. Mais, pendant la nuit, les Arcadiens montèrent sur le sommet de la montagne qui dominait les Éléens, et descendirent sur eux au point du jour. En les voyant venir d'une position si avantageuse et en nombre plusieurs fois aussi grand que le leur, ils eurent honte de battre en retraite à la longue distance qui les séparait de l'ennemi, ils s'avancèrent à sa rencontre, mais s'enfuirent au premier choc, et ils perdirent beaucoup d'hommes et beaucoup d'armes en faisant retraite par des lieux difficiles. 14. Après leur victoire, les Arcadiens marchèrent sur les villes des Acroréiens, et les ayant prises, à la réserve de Thraustos, ils arrivent à Olympie, puis, ayant entouré le Cronion d'une palissade, ils y mirent une garnison et s'emparèrent du mont Olympique. Ils prirent aussi Marganes, qu'on leur livra. Cette suite de revers ayant plongé les Éléens dans un profond découragement, les Arcadiens marchent contre leur ville, et s'avancent jusqu'à l'agora. Là, toutefois, les cavaliers et le reste des Éléens font tête et les repoussent, en tuent quelques-uns et dressent un trophée. 15. Dès avant ce moment, il y avait eu dissension entre les Éléens. Le parti de Charopos, de Thrasonidas et d'Argéios poussait la ville à la démocratie, celui d'Eualcas, d'Hippias et de Stratolas à l'oligarchie. Mais comme les Arcadiens, qui avaient une grande armée passaient pour être les alliés de ceux qui voulaient la démocratie, le parti de Charopos en devint plus hardi et, se concertant avec les Arcadiens qui promirent leur appui, il s'empara de la citadelle. 16. Mais les cavaliers et les Trois Cents n'hésitent pas un instant, et, montant aussi-tôt à la citadelle, ils les jettent dehors, après quoi Argéios et Charopos et près de quatre cents citoyens sont envoyés en exil. Quelque temps après, ces exilés, aidés de quelques Arcadiens, s'emparent de Pylos. Alors un grand nombre de partisans de la démocratie quittèrent la ville pour les rejoindre, car la place était belle et ils avaient pour appui la grande force des Arcadiens. Par la suite, les Arcadiens envahirent de nouveau le territoire des Éléens, persuadés par les exilés que la ville passerait à leur parti. 17. Mais cette fois, les Achéens, qui étaient devenus amis des Éléens, sauvèrent leur ville, en sorte que les Arcadiens se retirèrent sans avoir fait autre chose que dévaster leurs terres. Cependant au moment où ils évacuaient l'Elide, ayant appris que les Pellèniens étaient à Elis, ils firent pendant la nuit une marche très longue et s'emparèrent d'Olouros, ville appartenant à Pellènè; car, à ce moment-là, les Pellèniens étaient revenus à l'alliance lacédémonienne. 18. Quand les Pellèniens apprirent la prise d'Olouros, ils firent, eux aussi, un circuit et rentrèrent comme ils purent dans leur ville de Pellènè. Dès lors, ils soutinrent la guerre non seulement contre les Arcadiens établis à Olouros, mais encore contre tout le parti démocratique de chez eux, bien qu'ils fussent eux-mêmes en fort petit nombre, et ils ne cessèrent point qu'ils n'eussent repris Olouros par un siège. 19. De leur côté, les Arcadiens font une nouvelle expédition en Élide. Comme ils étaient campés entre Cyllènè et la capitale, les Éléens les attaquent, mais les Arcadiens soutinrent le choc et furent vainqueurs. Alors Andromachos, commandant de la cavalerie d'Élis, qu'on accusait d'avoir fait engager la bataille, se tua de sa main; les autres se retirèrent dans la ville. Dans cette action périt aussi le Spartiate Socleidès qui était venu à Élis; car à ce moment-là, les Lacédémoniens étaient alliés aux Éléens. 20. Pressés sur leur propre territoire, les Éléens envoyèrent des députés demander aux Lacédémoniens de faire une expédition contre les Arcadiens. Ils pensaient que c'était le meilleur moyen de les renfermer chez eux que de leur faire la guerre des deux côtés. En conséquence Archidamos se met en campagne avec une armée de citoyens et s'empare de Cromnos, où il laisse en garnison trois loches sur les douze qu'il avait et il retourne ensuite dans son pays. 21. Cependant les Arcadiens se trouvant réunis au retour de leur campagne en Élide, accoururent à Cromnos, l'entourèrent d'une double palissade, et assiégèrent ainsi en toute sécurité la garnison de la ville. Mais le gouvernement de Lacédémone, ne pouvant se résigner à voir assiéger des citoyens, mit en campagne une armée, et ce fut encore Archidamos qui en prit le commandement. Aussitôt arrivé, il ravagea tout ce qu'il put de l'Arcadie et de la Sciritide et mit tout en oeuvre pour faire lever le siège, si c'était possible. Mais les Arcadiens ne bougèrent pas pour cela, et restèrent indifférents à toutes ses bravades. 22. Alors Archidamos, ayant remarqué une colline par laquelle passait la palissade extérieure dont ils s'étaient entourés, crut qu'il pourrait la prendre et que, si une fois il en était maître, les assiégeants qui étaient au pied de la colline n'y pourraient plus rester. Comme il faisait faire un circuit à ses troupes pour atteindre cet endroit, ses peltastes qui couraient en avant, ayant aperçu les éparites hors du retranchement, fondent aussitôt sur eux et les cavaliers essayent de les charger en même temps. Mais les éparites, loin de céder, serrent les rangs et ne bougent pas. Les Lacédémoniens reviennent à la charge; les éparites ne cèdent pas plus que la première fois; au contraire, ils se portent en avant. De grands cris s'élèvent et Archidamos arrive au secours des siens. Il avait fait un détour par la route carrossable qui mène à Cromnos et conduisait ses hommes sur deux files, dans l'ordre où il était venu. 23. Quand ils se furent approchés les uns des autres, les gens d'Archidamos en colonne, vu qu'ils s'avançaient sur une route, les Arcadiens en masse compacte, bouclier contre bouclier, alors les Lacédémoniens ne purent plus tenir contre le nombre des Arcadiens. Bientôt Archidamos est blessé d'outre en outre à la cuisse, bientôt aussi périssent ceux qui combattaient devant lui, Polyainidas et Chilon, qui avait épousé la soeur d'Archidamos, et le nombre de ceux qui périrent alors ne s'éleva pas à moins de trente. 24. Mais lorsque les Lacédémoniens, se retirant par la route, eurent débouché sur un terrain ouvert, ils se déployèrent face à l'ennemi, tandis que les Arcadiens restaient rangés comme ils l'étaient. Inférieurs en nombre aux Lacédémoniens, ils leur étaient bien supérieurs en courage, parce qu'ils marchaient contre des gens qui battaient en retraite et auxquels ils avaient tué du monde. Les Lacédémoniens, au contraire, étaient très démoralisés, en voyant Archidamos blessé et en entendant les noms des morts, qui étaient des braves et presque les plus illustres de Sparte. 25. Les deux armées se trouvant rapprochées, un des plus vieux cria : « A quoi bon nous battre, camarades ? Pourquoi ne pas faire une trêve et nous réconcilier ? » Ces mots furent accueillis avec joie des deux côtés et la trêve se conclut. Puis les Lacédémoniens, ayant relevé leurs morts, se retirèrent, et les Arcadiens, étant revenus à l'endroit où ils avaient commencé leur avance, érigèrent un trophée. 26. Pendant que les Arcadiens étaient occupés à Cromnos, les Éléens de la ville marchent d'abord contre Pylos et rencontrent les Pyliens, qui avaient été repoussés de Thalames. Quand les cavaliers éléens qui s'avançaient les ont aperçus, ils ne balancent pas un instant, ils fondent sur eux et en tuent quelques-uns, tandis que les autres se réfugient sur une colline. Mais l'infanterie arrive; elle déloge aussi ceux qui s'étaient établis sur la colline, tue les uns et fait prisonniers les autres, qui n'étaient pas loin de deux cents. Tout ce qu'il y avait de mercenaires fut vendu, tout ce qu'il y avait d'exilés fut massacré. Ensuite ils s'emparent de la place même de Pylos avec ses habitants, que personne ne secourut, et ils reprennent Marganes. 27. Quant aux Lacédémoniens, ils revinrent par la suite à Cromnos pendant la nuit, s'emparèrent de la palissade qui faisait face aux Argiens et appelèrent aussitôt les Lacédémoniens assiégés. Tous ceux qui eurent la chance de se trouver tout près de là et qui profitèrent vivement de l'occasion, s'échappèrent, mais tous ceux qui furent devancés par les Arcadiens accourus en grand nombre, furent enfermés dans la ville, faits prisonniers et partagés entre les vainqueurs : une partie échut aux Argiens, un autre aux Thébains, une autre aux Arcadiens et une aux Messéniens. Le nombre des Spartiates et des périèques qui furent pris se montait à plus de cent. 28. Quand les Arcadiens furent débarrassés de Cromnos, ils se retournèrent de nouveau contre les Éléens. Ils renforcèrent la garnison d'Olympie, et, comme l'année olympique approchait, ils se préparèrent à célébrer les jeux olympiques avec les Pisates, qui prétendaient avoir eu les premiers l'intendance du sanctuaire. Mais lorsqu'on fut arrivé au mois où se font les jeux et aux jours où se réunit l'assemblée solennelle, alors les Éléens, après avoir fait ouvertement leurs préparatifs et appelé à eux les Achéens, prirent la route d'Olympie. 29. Les Arcadiens n'avaient jamais eu l'idée que les Éléens pourraient venir les attaquer et ils avaient eux-mêmes organisé la fête avec les Pisates. Ils avaient déjà terminé la course de chars et les courses du pentathle. Les concurrents qui étaient arrivés jusqu'à la lutte ne se battaient plus au champ de course, mais entre le champ de course et l'autel; car les Éléens en armes avaient à ce moment atteint l'enceinte sacrée. Au lieu de s'avancer à leur rencontre, les Arcadiens se rangèrent en bataille au bord du Cladaos, rivière qui coule le long de l'Attis et va se jeter dans l'Alphée. Ils avaient avec eux comme alliés environ deux mille hoplites d'Argos et près de quatre cents cavaliers athéniens. 30. Les Éléens se rangèrent sur l'autre bord de la rivière, et, après avoir sacrifié, s'avancèrent aussitôt. Jusqu'alors, en ce qui regarde la guerre, ils avaient été méprisés par les Arcadiens et les Argiens, méprisés aussi par les Achéens et les Athéniens; mais ce jour-là, ils conduisirent leurs alliés au combat avec une bravoure sans égale, et ils mirent tout de suite en déroute les Arcadiens, car ce fut avec eux qu'ils engagèrent la bataille, puis ils soutinrent le choc des Argiens accourus à leurs secours et les battirent, eux aussi. 31. Cependant quand ils les eurent poursuivis jusqu'à la place qui se trouve entre la salle du conseil et le sanctuaire d'Hestia et le théâtre attenant à ces édifices, ils ne se relâchèrent point de leur valeur et les repoussèrent vers l'autel, mais, atteints par les traits qu'on leur lançait du haut des portiques, de la salle du conseil et du grand temple, tandis qu'eux-mêmes combattaient en terrain plat, ils perdirent plusieurs des leurs, entre autres Stratolas lui-même, le chef des Trois Cents. Après cette action, ils se retirèrent dans leur camp. 32. Cependant les Arcadiens et leurs alliés eurent tellement peur du lendemain qu'ils ne prirent pas de repos pendant la nuit; ils la passèrent à mettre en pièces les baraques qu'on avait élevées à grand-peine et à construire une palissade. Quant aux Éléens, lorsqu'en revenant le lendemain, ils virent la barricade solide et les gens qui étaient montés en grand nombre sur les temples, ils retournèrent dans leur ville, après avoir déployé une bravoure telle qu'un dieu peut l'inspirer et la faire naître même en un seul jour, mais que les hommes ne sauraient donner, même à force de temps, à ceux qui en sont dénués. 33. Comme les chefs des Arcadiens avaient mis la main sur les fonds sacrés et s'en servaient pour l'entretien des éparites, les Mantinéens, les premiers, votèrent qu'on n'y toucherait plus. Ils levèrent eux-mêmes sur la ville le contingent qu'ils avaient à fournir pour les éparites et l'envoyèrent aux chefs. Mais ceux-ci, prétendant qu'ils tendaient à détruire ainsi la confédération arcadienne, citèrent les magistrats des Mantinéens devant les Dix Mille. Les magistrats refusant de comparaître, ils les condamnèrent et envoyèrent les éparites pour amener ceux qu'ils avaient déclarés coupables. Les Mantinéens fermèrent leurs portes et ne les reçurent pas dans leurs murs. 34. Là-dessus, il s'éleva bientôt d'autres voix parmi les Dix Mille pour dire qu'il ne fallait pas toucher aux fonds sacrés ni léguer pour toujours à leurs enfants ce crime envers les dieux. Quand on eut aussi décrété dans l'assemblée générale qu'on ne se servirait plus des fonds sacrés, ceux des éparites qui n'auraient pu servir sans solde ne tardèrent pas à se débander, tandis que ceux qui en avaient les moyens, s'exhortant les uns les autres, s'enrôlèrent dans les éparites, afin de n'être plus dans la dépendance de ce corps, mais de le tenir sous la leur. Alors ceux des chefs qui avaient disposé des deniers sacrés, prévoyant que, s'ils avaient des comptes à rendre, ils risquaient d'être mis à mort, envoient à Thèbes prévenir les Thébains que, s'ils ne se mettaient pas en campagne, les Arcadiens pourraient bien revenir au parti de Lacédémone. 35. Là-dessus, les Thébains se préparèrent à marcher; mais ceux qui jugeaient le mieux des intérêts du Péloponnèse persuadèrent à l'assemblée des Arcadiens d'envoyer des députés aux Thébains pour leur dire de ne point venir en armes dans l'Arcadie, à moins qu'on ne les appelât. Et, tout en faisant dire cela aux Thébains, ils réfléchissaient qu'ils n'avaient pas besoin de guerre. Ils pensaient en effet qu'ils n'avaient nul besoin de l'intendance du temple de Zeus, qu'ils agiraient plus justement et plus pieusement en la restituant et qu'ils se rendraient ainsi plus agréables au dieu. Comme c'était justement ce que voulaient les Éléens, les deux partis décidèrent de faire la paix et le traité fut conclu. 36. Après la prestation des serments, lorsqu'on eut fait jurer aussi tous les autres, ainsi que les Tégéates et l'harmoste thébain lui-même qui se trouvait à Tégée avec trois cents hoplites béotiens, tandis que les Arcadiens qui étaient restés là, à Tégée, se livraient à la bonne chère et à la joie, faisaient des libations et chantaient des péans dans la pensée que la paix était faite, le Thébain et ceux des chefs qui craignaient la reddition de comptes, secondés des Béotiens et des éparites de leur parti, fermèrent les portes du rempart de Tégée et envoyèrent saisir au milieu des banquets les personnages les plus importants. Mais comme il y avait là des Arcadiens de toutes les villes, qui tous désiraient la paix, les gens arrêtés furent nécessairement nombreux; aussi la prison fut bientôt pleine, et bientôt aussi la maison commune. 37. Cependant comme il y avait beaucoup de gens emprisonnés, beaucoup qui avaient sauté en bas du mur ou même qu'on avait laissé passer par les portes, car personne, à l'exception de ceux qui s'attendaient à être mis à mort, n'en voulait à personne, le Thébain et ses affidés se trouvèrent dans la plus grande perplexité, parce qu'ils n'avaient en leur pouvoir qu'un fort petit nombre de Mantinéens et que c'étaient surtout les Mantinéens qu'ils voulaient prendre; car, grâce à la proximité de leur ville, ils s'étaient presque tous sauvés chez eux. 38. Quand le jour parut et que les Mantinéens apprirent ce qui s'était passé, ils députèrent aussitôt dans les autres villes arcadiennes pour leur dire de se tenir sous les armes et de garder les passages. C'est ce qu'ils firent eux-mêmes. En même temps, ils envoyèrent à Tégée réclamer tous les Mantinéens détenus et, à l'égard des autres Arcadiens, ils déclarèrent qu'on n'en devait mettre en prison ni en condamner à mort aucun avant de l'avoir jugé. Dans le cas où l'on aurait à se plaindre d'eux, leurs députés étaient chargés de dire que l'État de Mantinée s'engageait à présenter devant l'assemblée des Arcadiens tous ceux qu'on citerait devant elle. 39. En entendant cela, le Thébain ne sachant comment se tirer de cette affaire, élargit tous les prisonniers. Le lendemain il convoqua tous les Arcadiens qui voulurent bien se rendre auprès de lui et il déclara pour sa défense qu'il avait été trompé. Il prétendit qu'on lui avait rapporté que les Lacédémoniens étaient en armes à la frontière et que certains Arcadiens devaient leur livrer Tégée. Après l'avoir entendu, les Arcadiens le laissèrent libre, bien qu'ils fussent convaincus de la fausseté de cette allégation. Mais ils envoyèrent des députés à Thèbes pour l'accuser et demander sa mort. 40. On dit qu'Épaminondas, qui était justement stratège à ce moment, répondit qu'il avait beaucoup mieux fait en arrêtant ces hommes qu'en les relâchant. « Nous sommes entrés en guerre à cause de vous, dit-il, et vous faites la paix sans notre assentiment. Dès lors, n'avons-nous pas le droit de vous accuser en cela de trahison ? Soyez sûrs, ajouta-t-il, que nous ferons une expédition en Arcadie et que nous ferons la guerre avec ceux qui sont de notre parti. » [7,5] CHAPITRE V. 1. Cette réponse ayant été rapportée à l'assemblée des Arcadiens et dans les différentes villes, les Mantinéens et ceux des autres Arcadiens qui s'intéressaient au sort du Péloponnèse, et, avec eux, les Éléens et les Achéens, en conclurent que les Thébains voulaient évidemment affaiblir le plus possible le Péloponnèse afin de l'asservir d'autant plus facilement. 2. « Pourquoi donc, disaient-ils, veulent-ils que nous soyons en guerre, sinon pour que nous nous fassions du mal les uns aux autres et que les uns et les autres nous ayons besoin d'eux ? Ou pourquoi, lorsque nous leur disons que nous n'avons pas besoin d'eux pour le moment, se disposent-ils à entrer en campagne ? N'est-il pas clair que c'est pour nous faire du mal qu'ils préparent cette expédition ? » 3. Et en même temps qu'ils envoyaient demander du secours à Athènes, des ambassadeurs pris parmi les éparites se rendirent à Lacédémone pour appeler les Lacédémoniens, s'ils voulaient s'unir à eux pour barrer la route à ceux qui viendraient dans l'intention d'asservir le Péloponnèse. Quant au commandement, on arrêta dès l'abord que chacun l'exercerait dans son pays. 4. Tandis que ces négociations se poursuivaient, Épaminondas se mettait en campagne, à la tête de tous les Béotiens, des Eubéens, et d'un grand nombre de Thessaliens envoyés soit par Alexandre, soit par les adversaires de ce tyran. Cependant les Phocidiens ne le suivirent pas. Ils alléguèrent que, si les traités les obligeaient à venir au secours de Thèbes, au cas où elle serait attaquée, il n'était point dans leurs conventions qu'ils marcheraient contre d'autres États. 5. Mais Épaminondas comptait avoir pour lui dans le Péloponnèse les Argiens, les Messéniens et ceux des Arcadiens qui étaient du côté des Thébains, c'est-à-dire les Tégéates, les Mégalopolitains, les Aséates et les Pallantiens et toutes les villes auxquelles leur petitesse et leur position au milieu de ces États ne laissaient pas le choix. 6. Épaminondas s'était donc mis rapidement en campagne. Arrivé à Némée, il s'y arrêta dans l'espoir de surprendre les Athéniens à leur passage. Il jugeait que cela contribuerait beaucoup à encourager ses alliés et à jeter le découragement parmi les ennemis, en un mot, que tout ce qui pouvait diminuer Athènes était autant de gagné pour Thèbes. 7. Pendant qu'il s'attardait à Némée, tous les coalisés se rassemblaient à Mantinée. Mais quand Épaminondas apprit que les Athéniens avaient renoncé à passer par terre et qu'ils se disposaient à venir au secours des Arcadiens par mer en traversant la Laconie, il quitta Némée et se rendit à Tégée. 8. Pour ma part, je ne saurais dire que cette campagne lui ait réussi; mais pour tout ce qui dépend de la prévoyance et de l'audace, je trouve que rien ne lui manqua. Je le loue tout d'abord d'avoir placé son camp dans les murs de Tégée, où il était plus en sûreté que s'il avait campé dehors et pouvait mieux cacher aux ennemis ce qu'il faisait. En outre, il lui était plus facile étant dans la ville, de se pourvoir de ce qui lui manquait. Ses adversaires étant campés dehors, il pouvait apercevoir ce qu'ils faisaient de bien et les fautes qu'ils commettaient. Bien qu'il se crût supérieur à ses ennemis, s'il leur voyait l'avantage de la position, il ne se laissait pas aller à l'attaquer. 9. Cependant, quand il vit qu'aucune ville ni se déclarait pour lui et que le temps avançait, il juge qu'il devait faire quelque chose; autrement, sa gloire passée ferait place à un grand déshonneur. Aussi, quand il apprit que ses adversaires s'étaient fortifiés aux environ de Mantinée, qu'ils faisaient venir Agésilas et tous les Lacédémoniens et lorsqu'il sut qu'Agésilas s'était mis et campagne et se trouvait déjà à Pellènè, il fit souper ses troupes, donna l'ordre du départ et marcha droit sur Sparte avec son armée. 10. Et si, par un hasard providentiel, un Crétois n'était pas venu avertir Agésilas de l'approche de l'armée, Épaminondas prenait la ville comme un nid vide de défenseurs. Mais Agésilas informé à temps revint sur ses pas et arriva avant lui dans la ville et les Spartiates se rangèrent à différents postes pour la garder, bien qu'ils fussent en fort petit nombre; car leur cavalerie tout entière était en Arcadie, ainsi que leur corps de mercenaires et trois loches sur les douze qu'ils avaient. 11. Lorsque Épaminondas fut arrivé dans la ville de Sparte, il n'entra pas du côté où ses troupes auraient et à combattre en terrain plat sous les traits lancés du haut des maisons, ni par un endroit où, malgré leur grand nombre, elles auraient à lutter sans avantage contre un petit nombre; mais il s'empara d'un point qu'il crut avantageux et, au lieu de monter, il descendit dans la ville. 12. Ce qui arriva ensuite, on peut l'attribuer à une intervention divine; on peut dire aussi que rien ne peut résister à des gens désespérés. Car lorsque Archidamos arriva à la tête d'une centaine d'hommes à peine, et qu'après avoir franchi le passage même qui semblait propre à l'arrêter, il aborda l'ennemi à contre-mont, là, ces hommes qui soufflaient le feu, qui avaient vaincu les Lacédémoniens, qui avaient absolument la supériorité du nombre et qui en outre occupaient des positions dominantes, ne soutinrent pas le choc de la troupe d'Archidamos et lâchèrent pied. 13. Ceux des soldats d'Épaminondas qui étaient en tête furent tués; mais quand, fiers de leur victoire, ceux de la ville menèrent la poursuite plus loin qu'ils n'auraient dû, ils furent tués à leur tour; car la divinité avait marqué, semble-t-il, les limites de la victoire qu'elle leur avait accordée. Alors Archidamos éleva un trophée à l'endroit où il avait été vainqueur et rendit par composition les corps de ceux qui étaient tombés là. 14. De son côté, Épaminondas, réfléchissant que les Arcadiens viendraient au secours des Lacédémoniens et, ne voulant pas avoir affaire à eux et à tous les Lacédémoniens réunis, surtout après le succès des Lacédémoniens et l'échec des siens, retourna à Tégée aussi vite qu'il le put. Il fit reposer ses hoplites, mais il envoya ses cavaliers à Mantinée, en leur demandant d'affronter encore cette fatigue et leur expliquant que vraisemblablement tout le bétail des Mantinéens était dehors et tout le peuple aussi, d'autant plus que c'était le temps de la moisson. 15. Ils partirent donc. Cependant les cavaliers athéniens, partis d'Éleusis, avaient dîné à l'isthme, et, après avoir traversé Cléones, venaient d'arriver à Mantinée et s'étaient cantonnés à l'intérieur des murs dans les maisons. Mais, quand on vit les ennemis approcher, les Mantinéens prièrent les cavaliers athéniens de les secourir, s'ils le pouvaient; car tout leur bétail était dehors, ainsi que leurs ouvriers et un grand nombre d'enfants et de vieillards de condition libre. Les Athéniens, ayant entendu leurs prières, s'élancent dehors, bien qu'ils n'eussent pas encore déjeuné, ni eux, ni leurs chevaux. 16. Et ici qui n'admirerait aussi les courage de ces hommes ? Ils voyaient que les ennemis les surpassaient en nombre de beaucoup, et ils avaient subi un échec à Corinthe; mais ils ne songèrent point à cela, ni qu'ils allaient avoir affaire aux Thébains et aux Thessaliens, qui passaient pour être les meilleurs cavaliers, et, rougissant à l'idée de ne pas secourir leurs alliés, alors qu'ils étaient là, chez eux, ils n'eurent pas plut tôt vu l'ennemi qu'ils le chargèrent, désireux de sauver l'honneur de leur patrie. 17. Et ce fut à leur bravoure que les Mantinéens durent de conserver tout ce qu'ils avaient dehors. Les Athéniens perdirent quelques braves et ils en tuèrent évidemment à l'ennemi, car il n'y avait point d'arme si courte dont ils ne s'atteignissent réciproquement. Les Athéniens n'abandonnèrent pas leurs propres morts et ils rendirent quelques morts à l'ennemi sous la foi d'une convention. 18. D'un autre côté, Épaminondas songeait que dans quelques jours il serait obligé de partir, parce que le temps fixé pour l'expédition serait écoulé et que, s'il abandonnait sans défense ceux qu'il était venu secourir, ils seraient assiégés par leurs adversaires et que lui-même verrait sa réputation complètement perdue, puisque à Lacédémone il avait été battu avec sa nombreuse infanterie par une poignée d'hommes, qu'il avait été battu aussi à Mantinée dans un combat de cavalerie et que par son expédition dans le Péloponnèse il avait été la cause de la coalition des Lacédémoniens, des Arcadiens, des Achéens, des Éléens et des Athéniens. Aussi jugea-t-il qu'il ne pouvait passer près de l'ennemi sans livrer bataille. Il se disait qu'une victoire gagnée réparerait tous ces revers et pensait que, s'il était tué, il aurait une belle fin, pour avoir essayé de léguer à sa patrie la souveraineté du Péloponnèse. 19. Qu'il ait roulé de telles pensées dans son esprit, je ne vois là rien d'admirable, car ces pensées-là sont naturelles chez les hommes ambitieux; mais qu'il ait dressé son armée à ne se rebuter d'aucune fatigue, ni de nuit, ni de jour, à ne reculer devant aucun danger et, quoique peu ravitaillée, à obéir quand même, voilà ce qui me paraît vraiment admirable. 20. Et en effet, lorsque pour la dernière fois il fit passer l'ordre de se préparer à une bataille, les cavaliers s'empressèrent, sur son ordre, de blanchir leurs casques et les hoplites arcadiens peignirent des massues sur leurs boucliers, comme s'ils étaient des Thébains, et tous aiguisaient leurs lances et leurs sabres et astiquaient leurs boucliers. 21. Il est intéressant aussi de noter ce qu'il fit, lorsqu'il les eut fait sortir ainsi préparés. Il les rangea d'abord en bataille, comme c'était naturel et, ce faisant, il semblait indiquer qu'il se préparait au combat; mais lorsqu'il eut rangé son armée comme il l'entendait, il ne la mena pas à l'ennemi par le chemin le plus court, il se dirigea vers les montagnes qui sont à l'ouest et en face de Tégée, et il fit par là croire à l'ennemi qu'il ne livrerait pas la bataille ce jour-là. 22. Et en effet, quand il fut arrivé à la montagne et qu'il eut déployé sa phalange, il fit poser les armes au pied des hauteurs, comme s'il voulait asseoir son camp. Par ce stratagème, il amortit chez la plupart des ennemis l'ardeur avec laquelle ils se préparaient à combattre et rompit du même coup leur ordre de bataille. Mais, après avoir amené sur le front ses compagnies, qui marchaient en colonnes, et formé autour de lui un solide coin d'attaque, il fait alors passer l'ordre de reprendre les armes, il prend la tête et on le suit. Quand les ennemis le virent approcher contre leur attente, il s'ensuivit forcément un branle-bas général : les uns couraient à leurs rangs, les autres se mettaient en ligne; ceux-ci bridaient leurs chevaux, ceux-là endossaient leurs cuirasses et tous avaient l'air de gens qui vont recevoir des coups plutôt que d'en donner. 23. Quant à lui, il conduisait son armée comme une trière, la proue en avant, comptant que, s'il enfonçait l'armée ennemie sur le point qu'il attaquerait, il la détruirait tout entière. Et en effet, il se préparait à combattre avec ses troupes les plus solides et il avait placé les plus faibles loin en arrière, sachant que, si elles étaient battues, leur défaite découragerait les siens et redoublerait la force des ennemis. Quant à la cavalerie, les ennemis avaient disposé la leur comme une phalange d'hoplites, sur six rangs de profondeur, sans y mêler d'infanterie. 24. Épaminondas de son côté avait formé avec la sienne une solide colonne d'attaque, renforcée de fantassins qui accompagnaient les cavaliers. Il pensait que, lorsqu'il aurait coupé en deux la cavalerie de ses adversaires, leur armée tout entière serait battue; car il est très difficile de trouver des gens qui consentent à tenir ferme, quand ils voient certains des leurs en fuite. D'autre part, pour empêcher les Athéniens de l'aile gauche d'aller au secours de leurs voisins, il plaça sur des collines en face d'eux des cavaliers et des hoplites, pour leur faire craindre que, s'ils se portaient en avant, ceux-ci ne les prissent à revers. Tel fut son plan d'attaque et il ne fut pas trompé dans son espérance; car, ayant vaincu à l'endroit où il donna, il mit en déroute toute l'armée ennemie. 25. Mais, lorsqu'il fut tombé, les siens ne furent même pas capables de profiter comme il faut de leur victoire, et, bien que la phalange ennemie eût fui devant eux, ses hoplites ne tuèrent personne et ne bougèrent pas de la place où la rencontre avait eu lieu, et, bien que la cavalerie aussi eût fui devant eux, les cavaliers non plus ne poursuivirent et ne tuèrent ni cavaliers ni hoplites, mais ils se retirèrent timidement, comme des vaincus, à travers les ennemis en déroute. En outre, les fantassins qui accompagnaient les cavaliers et les peltastes qui avaient partagé la victoire de la cavalerie, passant en vainqueurs sur la gauche de l'ennemi, tombèrent sur les Athéniens et furent pour la plupart tués par eux. 26. Après cette campagne il arriva tout le contraire de ce que tout le monde attendait. En voyant presque toute la Grèce réunie et rangée en deux camps opposés, il n'était personne qui ne crût que, s'il y avait bataille, le commandement appartiendrait aux vainqueurs et que les vaincus leur seraient assujettis. Mais Dieu permit que chaque parti élevât un trophée, comme s'il eût été vainqueur, et qu'aucun des deux n'y mît obstacle, que chaque parti rendît les morts à l'autre en lui accordant une trêve, comme s'il était vainqueur, et que chaque parti les relevât à la faveur d'une trêve, comme s'il était vaincu, 27. et que, chaque parti prétendant avoir remporté la victoire, aucun des deux n'eût manifestement rien de plus qu'avant la bataille et n'y gagnât ni territoire, ni ville, ni commandement. La confusion et le désordre devinrent encore plus grands en Grèce après qu'avant la bataille. J'arrête ici mon histoire : peut-être un autre s'occupera-t-il de la continuer.