[5,1,0] LIVRE CINQUIÈME - CHAPITRE PREMIER. 1. Tel était l'état des affaires des Athéniens et des Lacédémoniens dans l'Hellespont. Étéonicos était revenu à Égine, dont les habitants avaient jusque-là entretenu des relations avec les Athéniens. Mais quand la guerre se fit ouvertement sur mer, Étéonicos, approuvé en cela par les éphores, engagea ceux qui le voulaient à piller l'Attique. 2. Les Athéniens ainsi bloqués par les Éginètes envoyèrent dans l'île des hoplites commandés par Pamphilos, qui bâtit un fort pour être une base d'opérations contre les Éginètes et qui les bloqua sur terre et sur mer avec dix trières. Mais Téleutias, qui était allé quelque part dans les îles recueillir de l'argent, ayant appris la construction de cette forteresse, vint au secours des Éginètes. Il chassa les vaisseaux athéniens; toutefois Pamphilos se maintint dans la forteresse. 3. Sur ces entrefaites, Hiérax arriva, envoyé par les Lacédémoniens pour commander les vaisseaux et Téleutias retourna triomphalement dans sa patrie. Quand il descendit à la mer pour s'embarquer à destination de Sparte, il n'y eut pas un soldat qui ne vînt lui serrer la main; l'un le couronnait de fleurs, l'autre lui ceignait le front de bandelettes; d'autres, arrivés trop tard et le voyant déjà au large, n'en jetaient pas moins des couronnes dans la mer et lui souhaitaient toute sorte de bonheurs. 4. Je sais bien qu'il n'y a dans ce que je raconte ni grosses dépenses, ni périls encourus, ni stratagème mémorable, mais, par Zeus, il y a quelque chose qui vaut la peine qu'on le recherche, c'est la manière dont Téleutias s'y prenait pour inspirer à ses subordonnés de tels sentiments. Voilà ce qui est d'un homme supérieur et beaucoup plus digne d'être rapporté que les grandes dépenses et les dangers. 5. Quant à Hiérax, il cingla de nouveau vers Rhodes avec la flotte, après avoir laissé à Égine douze trières et Gorgopas, son second, comme harmoste. Dès lors, les Athéniens de la forteresse se trouvèrent plus assiégés que les habitants de la ville, à tel point qu'en vertu d'un décret, les Athéniens équipèrent un grand nombre de vaisseaux et, cinq mois après l'occupation, ramenèrent d'Égine les troupes de la forteresse. Après cela, les Athéniens se trouvèrent de nouveau mal en point du fait des corsaires et de Gorgopas, et ils appareillèrent treize navires et choisirent Eunomos pour les commander. 6. Tandis qu'Hiérax était à Rhodes, les Lacédémoniens envoyèrent Antalcidas comme navarque, persuadés que ce choix serait très agréable à Tiribaze. Antalcidas arrivé à Égine, prit avec lui les vaisseaux de Gorgopas et mit à la voile pour Éphèse. Il renvoya ensuite Gorgopas à Égine avec ses douze vaisseaux et mit son lieutenant Nicolochos à la tête des autres. Celui-ci fit voile vers Abydos pour secourir les habitants; mais il se détourna de son chemin pour ravager le territoire de Ténédos et, après y avoir levé des contributions, il reprit la route d'Abydos. 7. Alors les généraux athéniens se rassemblèrent de Samothrace, de Thasos et des places de cette région pour se porter au secours de Ténédos. Mais quand ils surent que Nicolochos avait abordé à Abydos, ils vinrent de Chersonèse, qu'ils prirent pour base, bloquer avec trente-deux vaisseaux sa flotte de vingt-cinq voiles. Cependant Gorgopas, revenant d'Éphèse, rencontra Eunomos. Il se réfugia alors à Égine, où il arriva avant le coucher du soleil. Il fit aussitôt débarquer ses troupes et les fit dîner. 8. Eunomos, après avoir attendu quelque temps, s'éloigna, et quand la nuit fut venue, il guida sa flotte, suivant l'habitude, avec un fanal allumé sur son vaisseau, pour empêcher ceux qui le suivaient de s'égarer. Aussitôt Gorgopas rembarqua ses gens et le suivit en se guidant sur le fanal; mais il restait en arrière, pour n'être pas vu et ne pas donner l'éveil, et les céleustes, au lieu de se servir de la voix, entrechoquaient des cailloux et les rameurs faisaient glisser doucement leurs rames. 9. Mais quand les vaisseaux d'Eunomos furent près de la terre à la hauteur du Zoster en Attique, Gorgopas donna avec la trompette le signal de l'attaque. Dans la flotte d'Eunomos, les uns étaient en train de débarquer, d'autres encore occupés à jeter l'ancre, d'autres abordaient seulement. Le combat eut lieu au clair de lune. Gorgopas s'empara de quatre vaisseaux; il les prit en remorque et les emmena à Égine. Les autres vaisseaux athéniens se réfugièrent au Pirée. [5,1,10] Après ces événements, Chabrias mit à la voile pour Chypre afin de porter secours à Évagoras; il avait avec lui huit cents peltastes et dix trières. Il prit encore à Athènes d'autres vaisseaux et des hoplites. Il débarqua lui-même pendant la nuit à Égine et se mit en embuscade avec ses peltastes dans un endroit creux au-delà du temple d'Héraclès. Au point du jour, comme il était convenu, les hoplites athéniens arrivèrent sous la conduite de Dèmainétos et montèrent à seize stades environ de l'autre côté du temple d'Héraclès, à l'endroit appelé Tripyrgia. 11. Dès qu'il en fut informé, Gorgopas accourut avec les Éginètes, ses soldats de marine et les huit Spartiates qui se trouvaient auprès de lui. Il fit aussi proclamer que tous les hommes libres de ses équipages eussent à le suivre, et il en vint un grand nombre, chacun avec les armes qu'il avait pu se procurer. 12. Quand les premiers rangs eurent dépassé l'embuscade, Chabrias et les siens se lèvent et les accablent aussitôt de traits et de flèches. En même temps, les hoplites débarqués des vaisseaux s'avancent. Les ennemis qui marchaient en tête, en rangs peu serrés, furent presque aussitôt tués, et, parmi eux, Gorgopas et les Lacédémoniens. Quand ils furent tombés, les autres prirent la fuite, et il y eut environ cent cinquante Éginètes tués et pas moins de deux cents mercenaires, métèques et matelots accourus à la rescousse. 13. A partir de ce moment, les Athéniens purent tenir la mer comme en pleine paix. Car les matelots d'Étéonicos, qui ne recevaient plus de solde, refusaient de ramer, bien qu'il voulût les y contraindre. À la suite de cet échec, les Lacédémoniens envoient de nouveau Téleutias prendre le commandement de ces vaisseaux. En le voyant arriver, les matelots furent au comble de la joie. Il les convoqua et leur tint ce discours : 14. « Soldats, je viens sans avoir d'argent; mais, si Dieu le veut et si vous m'aidez de votre zèle, j'essaierai de vous procurer le plus de vivres possible. Soyez assurés que, quand je vous commande, je ne prie pas moins pour votre vie que pour la mienne. Quant aux vivres, vous seriez surpris peut-être, si je vous disais que j'aime mieux vous en voir pourvus que d'en avoir moi-même. J'en atteste les dieux, j'accepterais plus volontiers de me voir deux jours sans manger que vous un seul. Auparavant, vous le savez, n'est-ce pas ? ma porte était toujours ouverte à qui voulait me demander quelque chose; elle le sera encore à présent. 15. Ainsi, ce n'est que lorsque vous aurez des vivres en abondance, que vous me verrez vivre plus largement; mais, si vous me voyez endurer le froid, le chaud, les veilles, dites-vous que, vous aussi, vous devez supporter tout cela; car, quelle que soit celle de ces privations que je vous impose, ce n'est jamais pour vous chagriner, mais pour que vous en retiriez quelque bien. 16. Sachez, soldats, poursuivit-il, que, si notre ville passe pour une ville prospère, ce n'est point en s'abandonnant à la mollesse qu'elle a acquis sa prospérité et sa gloire, mais en s'exposant volontairement aux travaux et aux dangers quand il le fallait. Vous aussi je le sais, vous avez déjà montré que vous êtes des braves; mais aujourd'hui il faut vous efforcer de vous surpasser encore, afin que nous partagions avec joie et les labeurs et les succès. 17. Qu'y a-t-il en effet de plus agréable que de n'avoir à flatter personne, ni grec, ni barbare, pour en obtenir une paye, et d'être capable de se procurer soi-même sa subsistance, et cela, par les moyens les plus honorables ? Car, sachez-le bien, l'abondance qu'on se procure à la guerre aux dépens de l'ennemi nous donne tout à la fois de la nourriture et de la gloire aux yeux de tous les hommes. » 18. Quand il eut prononcé ces paroles, tous les soldats lui crièrent qu'il n'avait qu'à donner des ordres et qu'il pouvait compter sur leur obéissance. Comme il venait justement de sacrifier, il leur dit : « Allez, soldats, prenez votre repas, comme vous alliez le faire, et prenez-moi des vivres pour un jour, puis venez tout de suite aux vaisseaux, afin que nous mettions à la voile où Dieu le veut et que nous arrivions au bon moment. » 19. Quand ils furent arrivés, il les fit monter sur les vaisseaux et cingla pendant la nuit sur le port d'Athènes, tantôt faisant reposer ses hommes et leur commandant de dormir, tantôt les remettant aux rames. Si l'on s'imagine que c'était une folie de marcher avec douze trières contre un ennemi qui disposait de tant de vaisseaux, que l'on songe au calcul qu'il avait fait. [5,1,20] Il s'était dit que, depuis la mort de Gorgopas, les Athéniens surveillaient moins strictement la flotte qui était dans le port et il pensait que, s'il y avait des trières à l'ancre, il était plus sûr d'en attaquer vingt à Athènes que dix ailleurs; car il savait qu'une fois en mer les matelots devaient loger sur leur navire respectif, tandis qu'il n'ignorait pas qu'à Athènes les triérarques dormiraient dans leurs maisons et que les matelots logeraient, qui d'un côté, qui de l'autre. 21. C'est après avoir envisagé cela qu'il appareilla. Quand il fut à cinq ou six stades du port, il s'arrêta et fit reposer ses hommes. Lorsque le jour se montra, il prit la tête et ses hommes le suivirent. Il leur avait défendu de couler ou d'endommager avec leurs trières aucun vaisseau rond; mais s'ils voyaient une trière à l'ancre, ils devaient tâcher de la rendre inutilisable. Quant aux bâtiments de transport qui étaient chargés, ils devaient les prendre en remorque et les emmener dehors, monter sur les plus grands, quand ils le pourraient, et y prendre les hommes. Il y en eut même qui sautèrent sur le Deigma, y enlevèrent des marchands et des armateurs et les firent passer dans leurs vaisseaux. 22. Téleutias avait déjà mené à bien ces opérations. Quant aux Athéniens, quelques-uns, entendant le bruit, coururent de leur maison dans la rue pour voir quelle était cette rumeur, d'autres coururent de la rue dans leur maison pour prendre leurs armes, d'autres allèrent porter la nouvelle à la ville, et tous les Athéniens, hoplites et cavaliers, accoururent à la rescousse, comme si le Pirée était pris. 23. Téleutias expédia à Égine les bâtiments de transport qu'il fit convoyer par trois ou quatre trières; avec les autres, il longea l'Attique, et, comme il venait du port, il prit un grand nombre de barques de pêche et de bâtiments chargés de passagers venant des îles. Arrivé à Sounion, il captura aussi des chalands remplis, les uns de blé, les autres de marchandises. 24. Cela fait, il revint à Égine, et, après avoir vendu le butin, il paya d'avance un mois de solde à ses soldats. Il continua ensuite à courir la mer et à prendre tout ce qu'il pouvait. C'est ainsi qu'il entretint ses équipages au complet et qu'il eut des soldats qui le servaient avec joie et promptitude. 25. Cependant Antalcidas était revenu de la haute Asie avec Tiribaze, après avoir obtenu l'alliance du roi, au cas où les Athéniens et leurs alliés n'accepteraient pas la paix qu'il avait lui-même proposée. Mais quand il apprit que Nicolochos était bloqué avec sa flotte dans Abydos par Iphicrate et Diotimos, il partit par terre pour Abydos. De là, prenant le commandement de la flotte, il appareilla pendant la nuit, après avoir fait répandre le bruit que les Chalcédoniens l'appelaient, puis il mouilla à Percotè et y demeura en repos. 26. Dèmainétos, Dionysios, Léontichos et Phanias, instruits de son départ, le poursuivirent dans la direction de Proconnèse. Quand ils l'eurent dépassé, Antalcidas, rebroussant chemin, rentra à Abydos; car il avait appris que Polyxénos approchait avec les vaisseaux de Syracuse et d'Italie, au nombre de vingt, et il voulait les joindre à sa flotte. Bientôt après, Thrasybule de Collyte quittait la Thrace avec huit vaisseaux pour se réunir à la flotte athénienne. 27. Ses guetteurs lui ayant signalé l'approche des huit trières, Antalcidas, fit embarquer ses matelots sur ses douze vaisseaux les plus légers et donna l'ordre de compléter les équipages, s'il en était besoin, en prenant sur ceux qui restaient au port; puis il se mit en embuscade en se dissimulant du mieux qu'il put. Quand les Athéniens furent passés, il se lança à leur poursuite; à sa vue, ils s'enfuirent. Antalcidas atteignit bientôt les vaisseaux athéniens les plus lourds avec ses meilleurs marcheurs. Il fit passer l'ordre aux vaisseaux qui étaient en tête avec lui de ne pas attaquer les derniers de l'ennemi, et continua à poursuivre ceux de l'avant. Quand il les eut pris, les derniers voyant que ceux des leurs qui étaient en tête étaient capturés, perdirent courage et se laissèrent prendre par les vaisseaux d'Antalcidas qui marchaient le moins vite, de sorte qu'aucun n'échappa. 28. Cependant les vingt vaisseaux de Syracuse vinrent se joindre à lui; il lui en vint aussi de l'Ionie, dont Tiribaze était le gouverneur, et d'autres encore équipés par la province d'Ariobarzanès, dont il était l'hôte depuis longtemps. Quant à Pharnabaze, il était alors parti pour la haute Asie sur un appel du roi, qui lui donnait sa fille en mariage. Antalcidas, dont la flotte au complet comptait plus de quatre-vingts vaisseaux, était maître de la mer, en sorte qu'il empêchait les vaisseaux venant du Pont de gagner Athènes et les dirigeait chez ses alliés. 29. Aussi les Athéniens, voyant le nombre des vaisseaux ennemis, craignaient d'être réduits à merci, comme ils l'avaient déjà été, si le roi devenait l'allié des Lacédémoniens; en outre, ils se voyaient bloqués par les corsaires d'Égine; c'est pourquoi ils désiraient vivement la paix. De leur côté, les Lacédémoniens, qui avaient une more en garnison à Léchaion et une à Orchomène, qui gardaient les villes auxquelles ils avaient confiance pour les empêcher d'être détruites, et celles dont ils se défiaient pour les empêcher de faire défection, et qui, autour de Corinthe, éprouvaient autant de difficultés qu'ils en causaient, étaient fatigués de la guerre. Quant aux Argiens, qui savaient qu'une levée d'hommes avait été décrétée contre eux et qui n'ignoraient pas que le prétexte des mois sacrés ne leur servirait plus, eux aussi étaient grands partisans de la paix. [5,1,30] Aussi, quand Tiribaze invita à se présenter ceux qui voulaient prêter l'oreille aux conditions de paix envoyées par le roi, tous les Grecs s'empressèrent de se rendre à son invitation. Quand ils furent réunis, Tiribaze, leur montrant le cachet du roi, leur lut sa lettre. En voici la teneur : 31. « Le roi Artaxerxès pense qu'il est juste que les villes d'Asie soient à lui, ainsi que Clazomène et Chypre parmi les îles, et qu'on laisse leur indépendance aux autres villes grecques, petites et grandes, à l'exception de Lemnos, Imbros et Scyros, qui seront comme par le passé aux Athéniens. Ceux de l'un ou l'autre parti qui n'accepteront pas cette paix, je leur ferai la guerre de concert avec ceux qui l'accepteront, sur terre et sur mer, avec mes flottes et mon argent. » 32. Ayant entendu ces conditions, les députés les rapportèrent à leurs États respectifs. Tous jurèrent de les ratifier; mais les Thébains prétendant jurer au nom de tous les Béotiens, Agésilas refusa de recevoir leurs serments, s'ils ne juraient pas, comme le portait la lettre du roi, que toutes les villes, petites et grandes, seraient indépendantes. Les députés de Thèbes déclarèrent que ce n'était pas dans leurs instructions. « Allez donc, dit Agésilas, et demandez à vos concitoyens ce qu'ils veulent faire. Annoncez-leur aussi que, s'ils refusent ces conditions, ils seront exclus du traité. » 33. Les députés partirent. Agésilas, animé par la haine qu'il portait aux Thébains, ne perdit pas de temps. Il persuada les éphores et aussitôt il sacrifia pour le départ. Le sacrifice terminé, il partit pour Tégée, d'où il envoya des cavaliers chez les périèques pour hâter leur arrivée; il dépêcha aussi des officiers dans les villes. Mais il n'était pas encore parti de Tégée que les Thébains arrivèrent et déclarèrent qu'ils reconnaissaient l'indépendance des villes. Dans ces conditions, les Lacédémoniens retournèrent chez eux, après avoir forcé les Thébains d'adhérer au traité, en laissant libres les villes de Béotie. 34. Cependant les Corinthiens ne renvoyaient pas leur garnison d'Argiens. Agésilas les menaça, eux aussi, et fit dire aux Corinthiens que, s'ils ne renvoyaient pas les Argiens, et aux Argiens, s'ils n'évacuaient pas Corinthe, il porterait la guerre chez eux. Les deux peuples en furent si effrayés que les Argiens quittèrent Corinthe et que cette ville reprit son indépendance. Les auteurs du massacre et leurs complices se décidèrent d'eux-mêmes à quitter Corinthe et le reste des citoyens accueillit volontiers les anciens exilés. 35. Cela fait et les villes ayant juré d'observer la paix proposée par le roi, on licencia les troupes de terre, on licencia les armées navales. C'est ainsi que fut conclue entre les Lacédémoniens et les Athéniens et leurs alliés cette paix, qui fut la première depuis l'ouverture des hostilités qui suivirent la destruction des murs d'Athènes. 36. Au cours de la guerre, la balance était plutôt restée égale entre les Lacédémoniens et leurs adversaires; mais la paix appelée paix d'Antalcidas rapporta plus de gloire aux Lacédémoniens; car, en se faisant les champions de la paix proposée par le roi et en obtenant l'indépendance des villes, ils s'adjoignirent Corinthe pour alliée, ils affranchirent les villes béotiennes de la domination de Thèbes, but qu'ils visaient depuis longtemps; enfin ils firent cesser l'occupation de Corinthe par les Argiens, en les menaçant d'une invasion, s'ils n'évacuaient pas cette ville. [5,2,0] CHAPITRE II. 1. Ces événements s'étant déroulés au gré de leur désir, ils décidèrent de châtier ceux de leurs alliés qui leur avaient été hostiles et avaient été plus favorables aux ennemis qu'à Lacédémone et de les mettre dans l'impossibilité de manquer à leurs engagements. En conséquence, ils envoyèrent d'abord aux Mantinéens l'ordre d'abattre leurs murs, sous prétexte qu'autrement ils ne seraient jamais sûrs que ceux-ci ne se mettraient pas du côté de leurs ennemis. 2. « Nous savons en effet, dirent-ils, que non seulement vous avez envoyé du blé aux Argiens, alors que nous étions en guerre avec eux, mais encore qu'en plusieurs occasions vous n'avez pas marché avec nous sous prétexte de trêve sacrée, et que, quand vous nous avez suivis, vous vous êtes mal comportés. Nous n'ignorons pas non plus, disaient-ils, que vous étiez jaloux du bien qui nous arrivait et fort contents, si quelque malheur nous frappait. » On disait aussi que la trêve de trente ans conclue après la bataille de Mantinée expirait cette année-là en ce qui regardait les Mantinéens. 3. Les Mantinéens ayant refusé de démanteler leurs murs, les Lacédémoniens décrétèrent une levée contre eux. Alors Agésilas demanda à l'État de le dispenser du commandement, sous prétexte que la ville de Mantinée avait souvent rendu service à son père dans les guerres contre Messène. Ce fut Agèsipolis qui conduisit l'armée, malgré la grande amitié que Pausanias, son père, avait pour les chefs de la démocratie de Mantinée. 4. Il envahit leur territoire et commença par le ravager. Comme, malgré cela, les Mantinéens n'abattaient pas leurs murs, il fit creuser un fossé tout autour de la ville, maintenant sous les armes, en avant des travailleurs, la moitié de ses troupes et employant l'autre moitié à creuser. Le fossé terminé, il bâtit alors en toute sûreté un mur autour de la ville. Mais ayant appris qu'il y avait beaucoup de blé dans la place, parce que la récolte de l'année précédente avait été bonne, et songeant aux difficultés qu'il aurait, s'il lui fallait épuiser par de longues campagnes sa patrie et ses alliés, il barra le fleuve qui traverse la ville et qui est d'une grandeur considérable. 5. Le courant se trouvant obstrué, l'eau monta par-dessus les fondations des maisons et celles du rempart. Quand les briques du bas furent détrempées et ne soutinrent plus celles du haut, le mur commença par se fendiller, puis s'inclina. Pendant quelque temps, les assiégés l'étayèrent avec des poutres et imaginèrent divers moyens pour empêcher la tour de tomber; cependant vaincus par l'eau et, craignant, si le mur d'enceinte s'écroulait en quelque endroit, d'être prisonniers de guerre, ils consentirent à l'abattre. Mais les Lacédémoniens déclarèrent qu'ils ne traiteraient qu'à une condition, c'est que la population serait répartie en quatre bourgs. Les Mantinéens, se voyant de nouveau acculés à la nécessité, se résolurent à en passer par là. 6. Les partisans d'Argos et les chefs du peuple s'attendaient à être mis à mort; mais le père d'Agèsipolis obtint de son fils qu'il les laisserait sortir de la ville en sûreté. Ils étaient soixante. De chaque côté de la route, au sortir des portes, les Lacédémoniens, debout, la lance au poing, les regardaient partir, et, malgré la haine qu'ils leur portaient, ils s'abstenaient de les maltraiter plus facilement que les oligarques mantinéens. Ceci soit dit comme un bel exemple de discipline. 7. Après cela, le mur fut abattu, et Mantinée fut répartie en quatre bourgades, comme elle l'était anciennement. Tout d'abord les habitants se désolèrent d'avoir à détruire les maisons qu'ils possédaient pour en bâtir d'autres; mais comme les propriétaires habitaient plus près de leurs terres, situées aux alentours des villages, qu'ils avaient un gouvernement aristocratique et qu'ils étaient débarrassés des démagogues qui leur pesaient, ils se réjouirent de ce qui s'était passé. Les Lacédémoniens ne leur envoyaient pas un officier unique, mais un pour chaque bourgade, et les Mantinéens venaient de leurs bourgades servir dans l'armée lacédémonienne avec beaucoup plus de zèle que quand ils étaient en démocratie. C'est ainsi que se termina l'affaire des Mantinéens, qui instruisit les hommes au moins sur un point, qui est de ne pas faire passer de rivière à travers leurs remparts. 8. Lorsque les exilés de Phliunte apprirent que les Lacédémoniens recherchaient comment chacun de leurs alliés s'était comporté à leur égard pendant la guerre, jugeant l'occasion favorable, ils se rendirent à Lacédémone, et remontrèrent aux Lacédémoniens que, tant qu'ils habitaient leur patrie, la cité les recevait dans ses murs et que les habitants les suivaient à la guerre partout où ils les conduisaient, tandis que, depuis qu'on les avait bannis, les Phliasiens ne voulaient les suivre nulle part et que les Lacédémoniens étaient les seuls de tous les hommes qu'ils ne recevaient point à l'intérieur de leurs portes. 9. Après les avoir entendus, les éphores trouvèrent que l'affaire méritait attention. En conséquence ils envoyèrent représenter au gouvernement de Phliunte que les exilés étaient amis des Lacédémoniens et qu'ils étaient bannis contre toute justice; ils demandaient donc que les Phliasiens consentissent à les laisser rentrer, non par contrainte, mais de leur plein gré. Quand ils eurent entendu ces représentations, les Phliasiens craignirent que, si les Lacédémoniens marchaient contre eux, certaines gens de l'intérieur ne les introduisissent dans la ville; car les exilés y avaient beaucoup de parents et ils étaient sympathiques à certains citoyens pour d'autres raisons, et comme il arrive dans la plupart des cités, il s'y trouvait des gens qui, désireux d'un nouvel état de choses, voulaient rappeler les exilés. [5,2,10] Sous l'effet de ces craintes, ils décrétèrent de recevoir les exilés, de leur rendre leurs biens reconnus et de dédommager aux frais du trésor public ceux qui les avaient achetés; et, s'il s'élevait entre eux quelque contestation, d'en remettre la décision à la justice. Ainsi fut réglé l'incident que provoquèrent en ce temps-là les bannis de Phliunte. 11. Des députés d'Acanthos et d'Apollonia, les plus grandes villes des environs d'Olynthe, arrivèrent alors à Lacédémone. Après avoir entendu les motifs de leur venue, les éphores les introduisirent dans l'assemblée et devant les alliés. 12. Là, Cleigénès d'Acanthos prit la parole et dit : « Lacédémoniens et alliés, nous croyons que vous ignorez qu'une grande puissance est en train de se développer en Grèce. Vous savez à peu près tous que, des villes de Thrace, Olynthe est la plus grande. Or les Olynthiens ont annexé des villes en leur imposant leurs lois et leur constitution, puis ils ont mis aussi la main sur les plus grandes. Ensuite ils ont essayé d'affranchir aussi les villes de Macédoine de la domination d'Amyntas, roi des Macédoniens. 13. Après avoir gagné les villes les plus proches, ils n'ont pas tardé à se tourner vers les villes lointaines et les plus considérables. Quand nous avons quitté le pays, ils étaient déjà en possession d'un grand nombre de places, en particulier de Pella, la plus grande ville de Macédoine, et nous savions qu'Amyntas avait évacué ses villes et qu'il avait été chassé de presque toute la Macédoine. Enfin les Olynthiens nous ont fait savoir, à nous et aux Apolloniates, que, si nous ne venions pas servir dans leur armée, ils marcheraient contre nous. 14. Mais, nous, Lacédémoniens, nous voulons conserver les lois de nos pères et notre gouvernement national. Cependant, si l'on ne vient pas à notre aide, nous serons forcés, nous aussi, de nous joindre à eux. À présent ils disposent déjà d'au moins huit cents hoplites et d'un plus grand nombre de peltastes. Quant à la cavalerie, si nous nous mettons avec eux, ils seront plus de mille. 15. Nous avons aussi laissé là-bas des députés athéniens et béotiens, et nous avons ouï dire que les Olynthiens, de leur côté, avaient décrété d'envoyer des députés à ces États pour négocier une alliance. Or si une pareille force se joint à celles des Athéniens et des Thébains, prenez garde, poursuivit-il, que vous n'ayez bien de la peine à maîtriser la situation. Comme ils possèdent aussi Potidée sur l'isthme de Pallènè, vous pouvez croire que les villes qui sont à l'intérieur de l'isthme leur seront bientôt soumises. Voici encore une preuve de la terreur profonde qu'ils inspirent à ces villes, c'est que, malgré la haine extrême qu'elles ont contre les Olynthiens, elles n'ont pas osé envoyer des députés avec nous pour vous informer de ces faits. 16. Réfléchissez encore à ceci : est-il conséquent, après avoir veillé à ce que la Béotie ne soit pas unifiée en un seul État, de laisser se concentrer une puissance bien plus grande, quand elle accroît sa force non seulement sur terre, mais encore sur mer ? Qui pourrait en effet l'en empêcher, dans un pays qui possède des bois de construction, qui tire des revenus de nombreux ports et de nombreux marchés, où l'abondance des vivres favorise l'accroissement de la population ? 17. En outre, ils ont pour voisins des Thraces qui ne sont soumis à aucun roi et qui, même à présent, leur font déjà la cour. S'ils tombent sous leur domination, ce sera encore pour les Olynthiens un accroissement de puissance, et les Thraces une fois dans leur sillage, les mines d'or du Pangée aussi leur tendront les bras. Et en disant cela, nous ne disons rien qui n'ait été répété mille fois dans le peuple d'Olynthe. 18. Que dire maintenant de leur orgueil ? La divinité en effet a sans doute voulu que l'orgueil des hommes s'enfle avec leur puissance. Nous venons donc, Lacédémoniens et alliés, vous annoncer que telle est la situation là-bas. A vous de délibérer si elle vous semble digne d'attention. Il faut pourtant que vous sachiez encore une chose, c'est que cette puissance dont nous vous avons montré la grandeur n'est pas encore invincible; car les villes qui sont malgré elles associées à leur État, dès qu'elles verront une puissance adverse, les abandonneront vite. 19. Mais si elles s'unissent étroitement à eux par des mariages et le droit de posséder les uns chez les autres, ce qui est déjà voté, et qu'elles reconnaissent qu'il y a profit à suivre les plus forts, comme le font les Arcadiens, qui, lorsqu'ils vont avec vous, préservent leurs biens et pillent ceux des autres, peut-être alors cette confédération sera plus difficile à rompre. » [5,2,20] Après ce discours, les Lacédémoniens donnèrent la parole à leurs alliés et les invitèrent à proposer le parti qu'ils jugeraient le meilleur pour le Péloponnèse et pour les alliés. Beaucoup se prononcèrent alors pour une expédition, surtout ceux qui voulaient complaire aux Lacédémoniens, et l'on décida que chaque ville enverrait son contingent pour former une armée de dix mille hommes. 21. On proposa aussi que toute ville qui le voudrait pourrait fournir de l'argent au lieu d'hommes, à raison de trois oboles d'Égine par homme, et que, si un État fournissait des cavaliers, le cavalier toucherait la solde de quatre hoplites. 22. On proposa aussi que, si une cité faisait défaut à l'expédition, les Lacédémoniens eussent le droit de lui imposer une amende d'un statère par homme et par jour. 23. Ces décisions prises, les Acanthiens se levèrent de nouveau et firent observer que ces décrets étaient excellents, mais impossibles à exécuter rapidement. À leur avis, il valait mieux, tandis qu'on rassemblait ces troupes, envoyer en diligence un chef et une armée tirée de Lacédémone et des autres États, d'un effectif assez réduit pour entrer vite en campagne. Si on suivait leur avis, les villes qui n'avaient pas encore embrassé le parti d'Olynthe resteraient dans le statu quo et celles qui y étaient entrées de force seraient des alliées plus tièdes. 24. Leurs vues ayant été adoptées, les Lacédémoniens envoyèrent Eudamidas, et avec lui des néodamodes, des périèques et des Scirites, au nombre d'environ deux mille hommes. En partant, Eudarninas pria les éphores de confier à son frère Phoibidas le soin de rassembler le reste des troupes qui lui avaient été assignées et qui restaient en arrière, et de les lui amener. Quant à lui, lorsqu'il fut parvenu dans les places de la Thrace, il envoya des garnisons aux villes qui lui en demandèrent et occupa Potidée qui se livra elle-même, bien qu'elle fût déjà alliée aux Olynthiens, et, partant de là, il fit la guerre comme on peut la faire quand on est inférieur en forces. 25. Cependant Phoibidas, ayant rassemblé les troupes d'Eudamidas laissées en arrière, se mit à leur tête et partit. Arrivé à Thèbes, il campa hors de la ville, près du gymnase. Les Thébains étaient alors divisés. Ils avaient pour polémarques Ismènias et Léontiadès, qui étaient en rivalité et chacun à la tête d'un parti. Ismènias, par haine des Lacédémoniens, ne s'approcha même pas de Phoibidas; mais Léontiadès le combla de prévenances, et, quand il fut entré dans son intimité, il lui dit : 26. « Tu peux aujourd'hui, Phoibidas, rendre les plus grands services à ta patrie; car, si tu veux me suivre avec tes hoplites, je t'introduirai dans l'acropole. Si tu le fais, sois sûr que Thèbes sera entièrement au pouvoir des Lacédémoniens et de notre parti qui vous est dévoué. 27. À présent, au contraire, on a fait, comme tu vois, une proclamation pour défendre qu'aucun Thébain marche avec vous contre les Olynthiens. Mais seconde-nous dans nos projets et nous t'enverrons aussitôt beaucoup d'hoplites et beaucoup de cavaliers, de sorte que tu amèneras à ton frère de nombreux renforts et qu'au moment où il va soumettre Olynthe, tu auras, toi, soumis Thèbes, ville bien plus grande qu'Olynthe. » 28. Phoibidas se laissa éblouir à ce discours, car il eût volontiers sacrifié sa vie à la gloire d'accomplir quelque action d'éclat; mais il ne passait pas pour un homme réfléchi ou très prudent. Quand il eut donné les mains à ces propositions, Léontiadès l'engagea à se porter en avant, comme s'il était prêt à partir. « Lorsqu'il en sera temps, lui dit-il, je viendrai à toi et je te servirai de guide. » 29. Léontiadès choisit le moment où le Conseil tenait séance sous le portique de l'agora, vu que les femmes célébraient les Thesmophories dans la Cadmée, et où la rue était presque déserte, parce qu'on était en été et à l'heure de midi. Il s'approche alors à cheval de Phoibidas, le fait retourner et le mène droit à l'acropole. Il l'y établit, lui et ses troupes, lui remet la clef des portes et lui recommande de ne laisser entrer personne dans la citadelle sans son ordre, puis il se rend immédiatement au Conseil. [5,2,30] Aussitôt entré, il dit : « Les Lacédémoniens, citoyens, occupent l'acropole, mais n'en soyez pas effrayés; car ils protestent qu'ils ne sont pas venus en ennemis et ne feront aucun mal à quiconque ne désire pas la guerre. Pour moi, en vertu de la loi qui permet au polémarque d'arrêter ceux dont la conduite paraît mériter la mort, j'arrête Ismènias ici présent, comme fauteur de guerre. Vous donc, lochages et vous qui êtes rangés sous leurs ordres, levez-vous, saisissez-le et emmenez-le où l'on vous a dit. » 31. Ces gens, qui avaient reçu des instructions, obéirent et s'emparèrent d'Ismènias. Parmi ceux qui ne savaient rien et qui étaient opposés au parti de Léontiadès, les uns s'enfuirent immédiatement de la ville dans la crainte d'être mis à mort, les autres se retirèrent d'abord chez eux; mais quand ils apprirent qu'Ismènias était enfermé dans la Cadmée, alors ceux du parti d'Androcleidas et d'Ismènias se réfugièrent à Athènes, au nombre d'environ trois cents. 32. Cela fait, on choisit un nouveau polémarque à la place d'Ismènias, et Léontiadès prit aussitôt le chemin de Lacédémone. Il y trouva les éphores et le peuple de la ville irrités contre Phoibidas, parce qu'il avait fait ce coup de force sans l'ordre de l'État. Cependant Agésilas dit que, s'il avait fait quelque chose de nuisible à Lacédémone, il méritait d'être puni, mais que, s'il avait fait quelque chose qui servît l'intérêt de la patrie, il était permis, suivant un ancien usage, de prendre de telles initiatives. « Voici donc ce qu'il faut examiner, ajouta-t-il, c'est à savoir si ce qu'il a fait est bon ou mauvais pour la cité. » 33. Alors Léontiadès se présenta dans l'assemblée et tint ce discours : « Les Thébains, citoyens de Lacédémone, vous étaient hostiles avant les derniers événements, vous le disiez vous-mêmes; car vous les voyiez toujours amis de vos adversaires et ennemis de vos amis. N'ont-ils pas en effet refusé de marcher avec vous contre le peuple du Pirée, le plus acharné de vos ennemis ? N'ont-ils pas marché contre les Phocidiens, parce qu'ils les voyaient bien disposés pour vous ? 34. Naguère encore ils faisaient alliance avec les Olynthiens, parce qu'ils savaient que vous leur portiez la guerre. Et vous-mêmes, vous vous attendiez toujours à apprendre qu'ils soumettaient de force la Béotie à leur domination. Mais maintenant, après ce qui s'est passé, vous n'avez plus rien à craindre des Thébains. Il vous suffira d'une petite scytale pour vous assurer de là-bas tous les services que vous réclamerez, si vous voulez bien vous intéresser à nous comme nous nous intéressons à vous. » 35. Après avoir entendu ce discours, les Lacédémoniens décidèrent de garder la citadelle, puisqu'elle était prise, et de mettre Ismènias en jugement. En conséquence, ils envoyèrent trois juges de Lacédémone et un de chacune des villes alliées, petites ou grandes. Quand le tribunal prit séance, Ismènias fut accusé d'être du parti des barbares, d'être devenu l'hôte du roi de Perse pour le plus grand dommage de la Grèce, d'avoir participé aux largesses du roi et d'avoir été avec Androcleidas le principal instigateur de tous les troubles de la Grèce. 36. Il se défendit sur tous ces points, mais il ne put persuader ses juges qu'il n'avait pas été un ambitieux mal-faisant. Il fut condamné à mort et exécuté. Le parti de Léontiadès fut maître de la ville et servit les intérêts des Lacédémoniens au-delà même de leurs exigences. 37. Ces affaires terminées, les Lacédémoniens n'en eurent que plus d'ardeur à pousser l'expédition contre Olynthe. Ils envoyèrent Téleutias comme harmoste, et non seulement ils firent partir avec lui tous les hommes qu'ils devaient fournir sur les dix mille, mais encore ils envoyèrent des scytales aux villes alliées pour leur enjoindre de suivre Téleutias conformément à la décision des alliés. On se mit volontiers au service de Téleutias, car il avait la réputation de n'être pas ingrat envers ceux qui le servaient, mais la ville de Thèbes en particulier, sachant qu'il était frère d'Agésilas, mit beaucoup de zèle à lui envoyer des hoplites et des cavaliers. 38. Quant à lui, il s'avançait sans hâte, soucieux qu'il était de ne pas léser ses amis dans sa marche et de rassembler le plus de forces possible. Il envoya d'avance des députés à Amyntas, pour l'engager, s'il voulait recouvrer son royaume, à lever des mercenaires et à donner de l'argent aux rois voisins, afin de s'en faire des alliés. Il en envoya aussi à Derdas, souverain de l'Élimia, pour lui représenter que les Olynthiens, ayant déjà subjugué la plus grande puissance de la Macédoine, ne laisseraient pas en paix la plus petite, si l'on ne mettait pas un terme à leurs arrogantes prétentions. 39. Grâce à ces démarches, il arriva dans le pays des alliés de Sparte à la tête d'une armée très nombreuse. Parvenu à Potidée, il pénétra de là en ordre de bataille sur le territoire ennemi. En marchant sur la ville, il ne brûla ni ne coupa rien. Il pensait que, s'il le faisait, il se créerait autant d'obstacles pour sa marche et pour sa retraite, et que, c'est quand il s'éloignerait de la ville, qu'il serait à propos de couper les arbres pour barrer la route à ceux qui le suivraient. [5,2,40] Quand il fut arrivé à moins de dix stades de la ville, il fit halte. Lui-même occupait l'aile gauche. Il arriva ainsi que ce fut lui-même qui avança face aux portes de la ville par où l'ennemi sortit. Le reste de la phalange, formé par les alliés, était déployé sur la droite. Quant à la cavalerie, il avait rangé à l'aile droite les cavaliers Laconiens, les Thébains et ceux des Macédoniens présents à la bataille, et il gardait près de lui Derdas et ses cavaliers, au nombre d'environ quatre cents, non seulement parce qu'il admirait cette troupe, mais encore pour faire honneur à Derdas, afin qu'il fût content de prendre part au combat. 41. Quand les ennemis furent sortis et se furent rangés au pied des murs, leurs cavaliers se massèrent et chargèrent les Laconiens et les Béotiens. Polycharmos, l'hipparque lacédémonien, fut renversé de son cheval et, gisant à terre, fut criblé de blessures; d'autres furent tués, et à la fin la cavalerie de l'aile droite prit la fuite. En voyant fuir les cavaliers, l'infanterie rangée près d'eux lâcha pied aussi, et l'armée tout entière risquait d'être vaincue, si Derdas, à la tête de sa cavalerie, ne se fût élancé soudain vers les portes d'Olynthe. Téleutias le suivit avec ses gens en bon ordre. 42. Quand les cavaliers olynthiens s'aperçurent de ce mouvement, ils eurent peur d'être coupés des portes et, tournant bride, ils se retirèrent en grande hâte. Là, Derdas en tua un très grand nombre, tandis qu'ils passaient devant lui. L'infanterie des Olynthiens se retira aussi dans la ville, mais sans perdre beaucoup de monde, parce qu'elle était près des murs. 43. Téleutias, ayant dressé un trophée, après que la victoire se fut déclarée pour lui, battit en retraite en coupant les arbres, et, après avoir tenu la campagne cet été, il licencia les troupes macédoniennes et celles de Derdas. Cependant les Olynthiens firent de fréquentes incursions sur le territoire des villes alliées de Lacédémone, dont ils pillaient les biens et tuaient les habitants. [5,3,0] CHAPITRE III. 1. A l'approche du printemps, les cavaliers olynthiens, au nombre d'environ six cents firent une incursion sur le territoire d'Apollonia vers le milieu du jour et se dispersèrent pour le piller. Or justement ce jour-là, Derdas était venu à Apollonia avec ses cavaliers et y déjeunait. En voyant cette incursion, il ne bougea pas, tout en gardant ses chevaux harnachés et ses cavaliers revêtus de leurs armes. Mais quand les Olynthiens vinrent chevaucher insolemment dans le faubourg et aux portes mêmes de la ville, à ce moment il s'élança dehors avec ses hommes rangés en bataille. 2. À sa vue, les ennemis prirent la fuite; mais quand ils eurent tourné bride, il ne cessa point de les poursuivre et d'en tuer l'espace de quatre-vingt-dix stades, jusqu'à ce qu'il les eût ramenés au rempart d'Olynthe. On dit que Derdas leur tua en cette affaire près de quatre-vingts cavaliers. Dès lors, l'ennemi resta davantage à l'abri de ses remparts et ne cultiva plus qu'une toute petite partie de son territoire. 3. Comme la saison s'avançait, Téleutias marcha contre la ville d'Olynthe, pour détruire les arbres qui pouvaient rester et les cultures de l'ennemi. Alors les cavaliers olynthiens sortirent et, cheminant tranquillement, traversèrent le fleuve qui coule près de la ville, et s'avancèrent en silence vers l'armée ennemie. À cette vue, Téleutias, indigné de leur audace, ordonna aussitôt à Tlèmonidas, chef des peltastes, de se porter contre eux au pas de course. 4. Les Olynthiens, voyant les peltastes courir sur eux, tournèrent bride, se retirèrent tranquillement et retraversèrent le fleuve. Les autres les suivirent avec une grande audace, et, croyant qu'ils fuyaient, ils passèrent le fleuve pour les poursuivre. Là, les cavaliers olynthiens, profitant du moment où ceux qui venaient de traverser leur paraissaient encore faciles à culbuter, firent volte-face, les chargèrent et tuèrent Tlèmonidas lui-même avec plus de cent de ses hommes. 5. En voyant ce qui se passait, Téleutias, transporté de colère, saisit ses armes et fit avancer rapidement ses hoplites, en ordonnant aux peltastes et aux cavaliers de poursuivre l'ennemi et de ne point le lâcher. Il est arrivé souvent que des troupes qui poursuivaient l'adversaire trop près de ses remparts, aient dû faire une retraite désastreuse. En cette occasion aussi, les hommes, frappés du haut des tours, furent forcés de battre en retraite en désordre en se protégeant contre les traits. 6. À ce moment, les Olynthiens font sortir leur cavalerie et la font soutenir par les peltastes; à la fin, les hoplites aussi sortent en courant et tombent sur la phalange en désordre. Téleutias est tué en combattant, sur quoi ceux qui l'entouraient lâchent pied aussitôt, et personne ne résiste plus; tous s'enfuient, les uns à Spartolos, les autres à Acanthos, d'autres à Apollonia, mais la plupart à Potidée. Comme ils fuyaient dans des directions différentes, l'ennemi les poursuivit partout et tua une très grande quantité d'hommes et justement les plus capables de l'armée. 7. De tels désastres doivent, selon moi, apprendre d'abord aux hommes que, lorsqu'on veut punir, même un esclave, il ne faut pas le faire sous le coup de la colère; car souvent des maîtres aveuglés par la colère se sont fait plus de mal à eux-mêmes qu'ils n'en ont fait aux autres. Mais à la guerre en particulier, c'est toujours une faute de se laisser guider par la colère, au lieu de la raison, car la colère est imprévoyante, tandis que la raison ne cherche pas moins à éviter les revers qu'à nuire à l'ennemi. 8. Quand les Lacédémoniens surent l'affaire, ils décidèrent après délibération d'envoyer des forces importantes, tant pour réprimer l'orgueil des vainqueurs que pour ne pas perdre le résultat de leurs efforts. Dans cette vue, ils envoient le roi Agèsipolis comme chef de l'expédition et lui adjoignent trente Spartiates, comme ils l'avaient fait pour Agésilas lors de son expédition en Asie. 9. Beaucoup de périèques, hommes de distinction, le suivirent en qualité de volontaires, ainsi que des étrangers, de ceux qu'on appelle trophimes, et des bâtards de Spartiates, hommes de bonne mine et qui avaient eu part à la noble éducation de l'État. Des volontaires des villes alliées se joignirent à l'expédition, ainsi que des cavaliers thessaliens, désireux d'être connus d'Agèsipolis, puis Amyntas et Derdas qui vinrent avec plus d'empressement encore qu'auparavant. [5,3,10] Cependant la ville de Phliunte, soit parce qu'elle avait reçu les éloges d'Agèsipolis pour lui avoir donné sans se faire prier de grosses sommes d'argent pour son expédition, soit parce qu'elle croyait qu'Agèsipolis étant dehors, Agésilas ne sortirait pas contre elle et qu'on ne pouvait présumer que les deux rois à la fois s'absenteraient de Sparte, refusait hardiment de faire justice aux exilés qui étaient rentrés. Les exilés en effet demandaient que les litiges fussent tranchés dans un tribunal impartial, et on les contraignait à se faire juger dans la ville même. Ils avaient beau dire : « Quelle justice y a-t-il, quand ce sont les auteurs mêmes de l'injustice qui sont juges ? » On ne les écoutait pas. 11. Alors ils se rendirent à Lacédémone pour porter plainte contre leur ville. D'autres habitants de Phliunte les accompagnaient pour témoigner qu'un grand nombre de citoyens aussi trouvaient injuste le traitement qu'on leur infligeait. Mais l'État de Phliunte, irrité contre eux, condamna à l'amende tous ceux qui étaient allés à Lacédémone, sans être chargés d'une mission officielle. 12. Les condamnés, peu pressés de rentrer chez eux, restèrent à Sparte, représentant aux Lacédémoniens que les auteurs de ces procédés arbitraires étaient ceux-là mêmes qui les avaient chassés et avaient fermé les portes aux Lacédémoniens, que c’étaient ceux qui avaient acheté leurs biens et qui recouraient à la violence pour ne pas les rendre, qu'enfin c'étaient ceux qui venaient de faire décerner une amende contre eux, pour être venus à Lacédémone afin qu'à l'avenir personne n'osât venir dévoiler ce qui se passait dans la ville. Les éphores trouvant que les Phliasiens se comportaient en vrais tyrans, décrétèrent une levée contre eux. Agésilas leur vit prendre cette décision sans déplaisir, parce que la famille de Podanémos, qui faisait partie des exilés rentrés, avait été liée d'hospitalité avec Archidamos, son père, et que lui-même était l'hôte de la famille de Proclès, fils d'Hipponicos. 14. Les sacrifices du départ achevés, Agésilas ne perdit pas de temps et se mit en route. Plusieurs députations vinrent à sa rencontre et offrirent de l'argent pour éviter l'invasion. Il répondit qu'il ne s'était pas mis en campagne pour commettre des injustices, mais pour secourir ceux qui en étaient victimes. 15. À la fin, ils lui firent dire qu'ils étaient prêts à tout faire et le prièrent de ne pas envahir leur pays. Il répondit qu'il ne pouvait se fier à des paroles, attendu qu'ils avaient déjà manqué de foi, et qu'il lui fallait un acte pour gage. Ils demandèrent de quel acte il voulait parler. « De celui, répondit-il, que vous avez déjà fait sans souffrir aucun dommage de notre part. » Il voulait dire la livraison de la citadelle. 16. Les Phliasiens ayant refusé de s'exécuter, il envahit leur territoire, éleva rapidement un mur de circonvallation autour de la ville et la bloqua. Beaucoup de Lacédémoniens disaient que pour un petit nombre d'individus on s'exposait à la haine d'une ville qui comptait plus de cinq mille combattants, et en effet, pour qu'on vît bien leur nombre, les Phliasiens tenaient leurs assemblées en un lieu visible de ceux du dehors. Voici ce qu'Agésilas imagina pour parer ce reproche. 17. Toutes les fois que des amis ou des parents sortaient de la ville, il les engageait à organiser entre eux des repas en commun et faisait donner des moyens de subsistance suffisants à ceux qui voulaient s'exercer à la guerre. Il recommanda aussi qu'on fournît des armes à tous et qu'on n'hésitât pas à emprunter de l'argent pour cela. Ils se prêtèrent à ses vues et formèrent un corps de plus de mille hommes remarquablement vigoureux, disciplinés et bien armés, si bien qu'à la fin les Lacédémoniens convinrent qu'ils ne pouvaient se passer de pareils compagnons d'armes. 18. Tandis qu'Agésilas était ainsi occupé, Agèsipolis se dirigeait tout droit de la Macédoine sur Olynthe et faisait halte près de la ville. Comme personne ne sortait à sa rencontre, il ravagea tout ce qui restait du territoire des Olynthiens et, passant sur les terres de leurs alliés, il saccagea leurs moissons. Il attaqua aussi Toronè et la prit de vive force. 19. Tandis qu'il était engagé dans ces opérations, au fort de l'été, il fut atteint d'une fièvre brûlante. Comme il avait vu auparavant le temple de Dionysos à Aphytis, il fut pris du désir d'en revoir les ombrages et les eaux limpides et fraîches. On l'y transporta encore vivant, mais le septième jour de sa maladie, il mourut hors du temple. On le mit dans le miel et on le transporta à Sparte où il reçut la sépulture réservée aux rois. [5,3,20] Quand Agésilas reçut la nouvelle de sa mort, il ne se réjouit pas, comme on aurait pu le croire, d'être délivré d'un rival. Il le pleura, au contraire, et regretta sa compagnie. Les deux rois en effet demeurent ensemble quand ils sont à Sparte, et Agèsipolis était d'un caractère à s'entretenir avec Agésilas de leur jeunesse, de leurs chances, de leurs chevaux, de leurs mignons; en outre, dans leur demeure commune, il lui témoignait la déférence qu'on doit avoir pour un aîné. Les Lacédémoniens le remplacèrent par Polybiadès qu'ils envoyèrent à Olynthe en qualité d'harmoste. 21. Cependant Agésilas avait déjà dépassé le temps que devaient durer, disait-on, les approvisionnements de Phliunte. Il y a tant d'avantages à maîtriser son appétit, au lieu de s'y abandonner, que les Phliasiens, ayant décrété de réduire de moitié la ration de blé, en se tenant à cette mesure, soutinrent le blocus deux fois plus longtemps qu'on ne s'y attendait. 22. L'audace a parfois le même avantage sur la pusillanimité. C'est ainsi qu'un certain Delphion, qui avait la réputation d'un vaillant homme, s'étant mis à la tête de trois cents Phliasiens, put tenir en échec ceux qui voulaient faire la paix et fut assez fort pour enfermer et tenir sous garde ceux dont il se défiait. Il put aussi contraindre les gens du peuple à monter la garde et les rendre fidèles en les surveillant. Il faisait souvent des sorties avec sa troupe et refoulait les gardes tantôt sur un point, tantôt sur un autre du mur de circonvallation. 23. Cependant lorsque ces hommes d'élite, malgré toutes leurs recherches, ne trouvèrent plus de vivres dans la ville, ils firent demander une trêve à Agésilas pour envoyer des députés à Lacédémone; car ils avaient décidé, disaient-ils, de s'en remettre aux autorités de Sparte pour faire de la ville ce qu'elles voudraient. 24. Irrité de se voir traiter comme un homme sans pouvoir, Agésilas envoya des courriers à ses amis à Sparte et s'arrangea pour qu'on s'en remît à lui de régler l'affaire de Phliunte, puis il accorda un sauf-conduit aux ambassadeurs. Mais il renforça la garde, pour que personne ne pût sortir de la ville. Malgré cela, Delphion et avec lui un esclave marqué au fer rouge, qui avait souvent dérobé des armes aux assiégeants, parvint à s'échapper pendant la nuit. 25. Quand les ambassadeurs furent revenus de Lacédémone, annonçant que l'Etat s'en remettait à Agésilas de décider à son gré du sort de Phliunte, celui-ci décida que cinquante hommes parmi les exilés et cinquante de la ville rechercheraient d'abord ceux de la ville auxquels il était juste de laisser la vie sauve et ceux qu'il était juste de mettre à mort, qu'ensuite ils établiraient des lois d'après lesquelles ils se gouverneraient. En attendant que ces décisions fussent exécutées, il laissa une garnison dans la ville avec six mois de solde pour les soldats, après quoi il licencia les alliés et ramena chez eux ses concitoyens. C'est ainsi que se termina la guerre de Phliunte : elle avait duré dix-huit mois. 26. De son côté, Polybiadès avait réduit les Olynthiens à la famine et à une condition tout à fait malheureuse, attendu qu'ils ne pouvaient plus tirer de vivres de leur pays ni s'en faire amener par mer. Il les contraignit ainsi à envoyer demander la paix à Lacédémone. Leurs députés étant arrivés, munis de pleins pouvoirs, conclurent un traité où ils s'engageaient à tenir pour ennemis et pour amis ceux des Lacédémoniens, à les suivre partout où ils les conduiraient et à être leurs alliés. Ils jurèrent de rester fidèles à ces conditions et s'en retournèrent chez eux. 27. La guerre avait tourné à l'avantage des Lacédémoniens : les Thébains et le reste des Béotiens leur étaient complètement soumis, les Corinthiens leur étaient devenus très fidèles, les Argiens avaient été humiliés, parce que le prétexte des mois sacrés ne leur servait plus de rien; les Athéniens étaient isolés. Ils avaient en outre châtié leurs alliés qui nourrissaient à leur égard de mauvais sentiments. Leur empire paraissait à présent établi d'une manière tout à fait glorieuse et assurée. [5,4,0] CHAPITRE IV. 1. On pourrait citer dans l'histoire des Grecs et dans celle des barbares nombre de faits qui prouvent que les dieux veillent sur les actions des impies et des criminels ; pour le moment, je me bornerai au cas que j'ai devant moi. En effet, les Lacédémoniens, qui avaient juré de laisser aux villes leur autonomie et s'étaient emparés de la citadelle de Thèbes, en furent punis uniquement par les victimes de leurs injustices, eux qui jusqu'alors n'avaient jamais été soumis par aucun homme, et il suffit de sept exilés pour renverser le gouvernement de ceux des citoyens qui les avaient introduits dans la citadelle et qui voulaient que la ville fût asservie aux Lacédémoniens, afin d'exercer eux-mêmes la tyrannie, Je vais dire comment la chose se passa. 2. Il y avait un certain Phyllidas, secrétaire d'Archias et des autres polémarques, qui passait pour les servir à merveille. Cet homme, étant allé à Athènes pour quelque affaire, y rencontra Mélon qu'il connaissait déjà et qui était un des Thébains réfugiés dans cette ville, Mélon le questionna sur Archias le polémarque et sur la tyrannie de Philippe et s'aperçut qu'il avait en horreur plus encore que lui-même, ce qui se passait chez eux. Ils échangèrent des gages de fidélité et se concertèrent minutieusement sur ce qu'ils devaient faire. 3. Alors Mélon, prenant avec lui six exilés particulièrement propres à son dessein, et qui n'avaient pas d'autres armes que des poignards, se dirigea d'abord vers leur pays pendant la nuit, puis, après avoir passé la journée dans un lieu désert, ils s'approchèrent des portes, comme s'ils revenaient des champs, à l'heure où les travailleurs les plus attardés rentrent de leurs travaux. Une fois entrés dans la ville, ils passèrent la nuit chez un nommé Charon et y restèrent tout le jour suivant. 4. Cependant Phyllidas préparait tout pour les polémarques qui devaient fêter Aphrodite à l'occasion de leur sortie de charge. En particulier, il leur avait promis depuis longtemps de leur amener les femmes les plus distinguées et les plus belles de Thèbes; il leur dit qu'il les amènerait ce jour-là. Et eux, avec leur goût pour la débauche, s'attendaient à passer la nuit fort agréablement. 5. Quand ils se furent, grâce à son zèle empressé, rapidement enivrés, ils lui enjoignirent à plusieurs reprises d'introduire les courtisanes. À la fin, il sortit et fit entrer Mélon et ses complices, dont il avait habillé trois en maîtresses et les autres en servantes. 6. Il les fit entrer dans l'office de la maison des polémarques, puis il rentra lui-même dire à Archias que les femmes refusaient d'entrer, s'il y avait quelque servant dans la salle. Aussitôt les polémarques les firent tous sortir, et Phyllidas, leur ayant donné du vin, les envoya dans la chambre de l'un d'eux. Puis il introduisit les courtisanes et les fit asseoir près de chacun des polémarques. Or il avait été convenu qu'aussitôt assis, les conjurés ôteraient leur voile et frapperaient. 7. C'est ainsi, dit-on, que les polémarques périrent; d'autres prétendent que c'est en se présentant comme des gens en ribote que les conjurés tuèrent Archias et ses collègues. Phyllidas, prenant ensuite trois d'entre eux, se rendit à la maison de Léontiadès. Il frappa à la porte et dit qu'il voulait lui faire une communication de la part des polémarques. Léontiadès venait de dîner et se trouvait encore couché sur son lit de table, seul avec sa femme, qui filait de la laine, assise à ses côtés. Il fit entrer Phyllidas, qu'il regardait comme un homme sûr. A peine entrés, les conjurés le tuèrent et forcèrent par la peur sa femme à garder le silence. En sortant, ils donnèrent l'ordre de tenir les portes fermées, en menaçant, s'ils les trouvaient ouvertes, de tuer tous ceux qui étaient dans la maison. 8. Cela fait, Phyllidas, prenant deux de ses hommes, se rendit à la prison et dit au geôlier qu'il amenait, sur l'ordre des polémarques, un homme à enfermer. Le gardien n'eut pas plus tôt ouvert qu'ils le tuèrent et délivrèrent les prisonniers et ils les armèrent aussitôt avec des armes, qu'ils décrochèrent du portique; ensuite les amenant à l'Amphéion, ils leur dirent de rester là sous les armes. 9. Puis ils firent immédiatement une proclamation pour dire à tous les Thébains de sortir, cavaliers et hoplites, que les tyrans étaient morts. Les citoyens, défiants, ne bougèrent pas tant qu'il fit nuit; mais quand le jour parut et que l'événement fut connu, vite hoplites et cavaliers accoururent avec leurs armes. Les exilés rentrés envoyèrent aussi des cavaliers aux deux stratèges athéniens qui étaient à la frontière. Ceux-ci connaissant l'affaire pour laquelle on leur envoyait des courriers, accoururent pour les soutenir. [5,4,10] Quand l'harmoste qui était à l'acropole eut appris la proclamation de la nuit, il envoya aussitôt demander du secours à Platées et à Thespies; mais les cavaliers thébains, informés de l'arrivée des Platéens, allèrent à leur rencontre et en tuèrent plus de vingt. Rentrés dans la ville après cet exploit, ils y trouvèrent les Athéniens qui étaient arrivés des frontières et ils attaquèrent ensemble la citadelle. 11. Lorsque les gardes de l'acropole se furent rendu compte de leur petit nombre et qu'ils eurent vu l'ardeur de tous les assaillants, excitée encore par la proclamation de grandes récompenses pour ceux qui monteraient les premiers à l'assaut, ils prirent peur et firent savoir qu'ils se retireraient, si on les laissait partir en sûreté avec leurs armes. On leur accorda volontiers ce qu'ils demandaient; on conclut une trêve, confirmée par serment, et on les laissa partir aux conditions qu'ils avaient proposées. 12. Cependant, à la sortie, les Thébains saisirent tous ceux qu'ils reconnaissaient pour ennemis et les mirent à mort, sauf quelques-uns qui leur échappèrent et furent sauvés par les Athéniens venus de la frontière. Par contre, les Thébains prirent les enfants des morts qui avaient une famille et les égorgèrent. 13. Quand les Lacédémoniens furent informés de ces événements, ils mirent à mort l'harmoste qui avait abandonné la citadelle sans attendre les secours, puis ils décrétèrent une expédition contre les Thébains. Agésilas représenta qu'il avait plus de quarante ans de service et démontra que, si les autres citoyens du même âge n'étaient plus contraints de faire campagne hors de leur pays, la même loi s'appliquait aussi aux rois. Ce motif allégué le dispensa de partir; mais ce n'était pas pour cela qu'il resta, c'est qu'il savait bien que, s'il commandait l'expédition, ses concitoyens diraient qu'Agésilas créait des embarras à l'État pour secourir les tyrans. Il les laissa donc délibérer à leur guise sur le parti à prendre en cette circonstance. 14. Les éphores, stylés par ceux qui s'étaient enfuis après les massacres de Thèbes, envoyèrent au coeur de l'hiver Cléombrotos, qui commandait pour la première fois. Comme la route d'Éleuthères était gardée par Chabrias et les peltastes athéniens, Cléombrotos monta par celle qui mène à Platées. Les peltastes qui marchaient en avant se heurtèrent en haut de la montagne aux prisonniers libérés, qui étaient environ cent cinquante. Les peltastes les tuèrent tous, sauf quelques-uns qui s'enfuirent. Alors Cléombrotos descendit à Platées, qui était encore alliée à Lacédémone. 15. Arrivé à Thespies, il en partit pour aller camper à Cynoscéphales, ville qui appartenait aux Thébains. Il y resta environ seize jours et revint à Thespies. Il y laissa Sphodrias en qualité d'harmoste avec le tiers de chaque contingent allié; il lui remit tout l'argent qu'il avait apporté de Sparte et lui ordonna de recruter des mercenaires. 16. Tandis que Sphodrias s'en occupait, Cléombrotos ramenait dans leurs foyers en passant par Creusis les soldats qui étaient avec lui et qui se demandaient, tout perplexes, si l'on était en guerre ou en paix avec les Thébains. Il avait bien en effet conduit l'armée sur le territoire de Thèbes, mais il l'en ramenait après y avoir fait le moins de mal possible. 17. Comme il s'en retournait, il fut surpris par un vent d'une violence inouïe, que certains regardèrent comme un présage de ce qui allait arriver. Il causa une foule de dégâts, notamment lorsque, sortant de Creusis, Cléombrotos franchissait avec ses troupes la montagne qui s'étend jusqu'à la mer. Le vent précipita beaucoup d'ânes avec leurs bagages et emportant une grande quantité d'armes, les fit voler dans la mer. 18 A la fin, beaucoup de soldats, ne pouvant plus avancer avec leurs armes, abandonnèrent leurs boucliers en deçà et au-delà du sommet, après les avoir retournés et remplis de pierres. Ce jour-là, ils dînèrent comme ils purent à Aigosthènes, sur le territoire de Mégare. Ils revinrent le lendemain chercher leurs armes. Dès lors chacun des contingents rentra chez lui, Cléombrotos les ayant licenciés. 19. Les Athéniens, considérant la force des Lacédémoniens et que la guerre ne se faisait plus sur le territoire de Corinthe, mais qu'à présent les Lacédémoniens longeaient l'Attique pour envahir Thèbes, en furent tellement effrayés qu'ils mirent en jugement les deux généraux qui avaient eu connaissance de la révolte de Mélon contre le parti de Léontiadès et qu'ils condamnèrent l'un à mort et l'autre, qui n'avait pas attendu le jugement, à l'exil. [5,4,20] Les Thébains aussi, craignant d'être les seuls à combattre les Lacédémoniens, imaginèrent cet expédient. Ils persuadèrent à l'harmoste Sphodrias, qui était à Thespies, et qui fut soupçonné d'avoir reçu de l'argent pour cela, d'envahir l'Attique, pour exciter les Athéniens à faire la guerre aux Lacédémoniens. Gagné par les Thébains, il fit semblant de vouloir s'emparer du Pirée qui était sans portes. Il partit de Thespies, le matin, après avoir fait déjeuner ses soldats, assurant qu'il arriverait au Pirée avant le jour. 21. Mais le jour le surprit à Thria, et il ne fit rien alors pour cacher son projet, mais, en s'en retournant, il enleva les troupeaux et pilla les maisons. Quelques-uns de ceux qu'il avait rencontrés de nuit s'enfuirent à la ville et annoncèrent aux Athéniens qu'une armée très nombreuse s'approchait. Ceux-ci s'armèrent en toute hâte, cavaliers et hoplites, et veillèrent à la garde de la ville. 22. Il y avait justement à Athènes des ambassadeurs lacédémoniens, qui demeuraient chez Callias, leur proxène : c'étaient Étymoclès, Aristolochos et Ocyllos. Quand on leur eut annoncé l'affaire, les Athéniens les arrêtèrent et les gardèrent comme complices du complot. Les ambassadeurs, consternés, se défendirent en disant qu'ils n'auraient pas été assez fous, s'ils avaient su qu'on voulait prendre le Pirée, pour se livrer entre les mains des Athéniens dans la ville et surtout chez leur proxène, où on les aurait trouvés tout de suite. 23. Ils ajoutaient que les Athéniens eux-mêmes verraient que l'État de Sparte ne savait rien non plus de cette entreprise. Ils étaient bien sûrs, disaient-ils, qu'on leur annoncerait la mort de Sphodrias condamné par l'État. On jugea qu'ils ne savaient rien de l'affaire et on les relâcha. 24. Les éphores rappelèrent Sphodrias et lui intentèrent une accusation capitale. La crainte l'empêcha de se rendre à la citation; cependant, bien qu'il ne s'y fût point rendu, il fut absous. Beaucoup trouvèrent que c'était le jugement le plus injuste qui eût été prononcé à Lacédémone. Voici quelle en fut la cause. 25. Sphodrias avait un fils, qui venait de quitter la classe des enfants, il s'appelait Cléonymos, et c'était le plus beau et le plus estimé des garçons de son âge. Il se trouvait qu'Archidamos, fils d'Agésilas, était épris de lui. Or les amis de Cléombrotos étaient pour l'acquittement de Sphodrias, dont ils étaient les camarades; mais ils redoutaient Agésilas et ses amis et ceux qui tenaient le milieu entre les deux partis, car la conduite de Sphodrias paraissait révoltante. 26. Aussi Sphodrias dit à Cléonymos : « Il dépend de toi, mon fils, de sauver ton père, en priant Archidamos de rendre Agésilas favorable à ma cause. » Ayant entendu cette prière, le jeune homme se hasarda à se rendre près d'Archidamos et le pria d'être le sauveur de son père. 27. En voyant Cléonymos pleurer, Archidamos pleura aussi, debout à ses côtés; mais, lorsqu'il eut entendu sa prière, il répondit « Il faut que tu saches, Cléonymos, que je ne peux même pas regarder mon père en face, et que, si je veux obtenir quelque chose qui regarde l'État, je m'adresse à n'importe qui plutôt qu'à mon père. Néanmoins, puisque tu me le demandes, sois assuré que je mettrai tout mon zèle à faire cela pour toi. » 28. Puis il rentra chez lui au sortir du repas commun et se coucha. Il se leva de bonne heure et fit le guet pour que son père ne sortît pas à son insu. Quand il le vit sortir, il laissa d'abord les citoyens qui se trouvaient là s'entretenir avec lui, puis les étrangers, et il céda même le pas aux serviteurs qui avaient quelque chose à demander; enfin, quand Agésilas revint de l'Éurotas et rentra chez lui, il retourna à son logis sans l'avoir même abordé. Même manège le lendemain. 29. Cependant Agésilas soupçonnait bien le motif de ces allées et venues, mais il ne lui posait point de question et le laissait faire. De son côté, Archidamos désirait, comme on peut croire, voir Cléonymos, mais il ne savait comment l'aborder, tant qu'il n'avait pas parlé à son père de la prière de son ami. Les partisans de Sphodrias ne voyant plus venir Archidamos, qui auparavant fréquentait la maison, étaient dans la plus vive anxiété qu'il n'eût été rebuté par Agésilas. [5,4,30] À la fin cependant, Archidamos s'arma de courage, aborda son père et lui dit : « Mon père, Cléonymos me prie de te supplier de sauver son père, et, moi aussi, je te conjure de le sauver, si c'est possible. — Je te pardonne à toi, répondit à Agésilas; mais moi, comment obtiendrais-je mon pardon de l'État, si je ne déclarais pas coupable un homme qui s'est enrichi au détriment de la cité, je ne le vois pas. » 31. A ce moment, Archidamos ne trouva rien à répliquer, et, vaincu par cette juste réponse, il se retira. Mais quelque temps après, soit qu'il eût cette idée lui-même, soit qu'on la lui eût suggérée, il revint trouver son père et lui dit : « Je sais, mon père, que tu absoudrais Sphodrias, s'il n'avait commis aucune faute. Si au contraire il est coupable, pour l'amour de nous, qu'il obtienne de toi son pardon. — Eh bien, répondit Agésilas, si je puis le faire sans blesser l'honneur, je l'accorderai. » Sur cette réponse, le jeune homme se retira tout à fait découragé. 32. Cependant un des amis de Sphodrias, s'entretenant avec Étymoclès, lui dit : « Vous tous, les amis d'Agésilas, vous allez condamner Sphodrias à mort. — Par Zeus, répliqua Étymoclès, nous ne ferions pas alors comme Agésilas, qui répète à tous ceux à qui il parle qu'il est impossible de tenir Sphodrias pour innocent, mais que, lorsqu'un homme a toujours, comme enfant, adolescent, homme fait, tenu la conduite la plus honorable, il est dur de le condamner à mort; car Sparte a besoin de tels soldats. » 33. Celui qui avait entendu ces paroles les rapporta à Cléonymos, qui, plein de joie, vint aussitôt trouver Archidamos et lui dit : « Nous savons maintenant que tu t'occupes de nous. Aussi sois sûr, Archidamos, que, de notre côté, nous essayerons de faire en sorte que tu n'aies jamais à rougir de notre amitié. » Et ce ne fut pas une fausse promesse; car, tant qu'il vécut, il se conduisit toujours avec honneur à Sparte, et, à Leuctres, où il combattait devant le roi avec le polémarque Deinon, après être tombé trois fois, il fut le premier qui trouva la mort au milieu des ennemis. Archidamos en fut extrêmement affligé; car suivant sa promesse, Cléonymos ne fut pas pour lui un sujet de honte, mais d'honneur. Voilà donc comment Sphodrias échappa à la condamnation. 34. À Athènes, les partisans des Béotiens représentèrent au peuple que les Lacédémoniens non seulement n'avaient pas puni Sphodrias, mais qu'ils avaient approuvé sa tentative contre la ville. Dès lors, les Athéniens mirent des portes au Pirée, construisirent des vaisseaux et mirent tout leur zèle à aider les Béotiens. 35. De leur côté, les Lacédémoniens décrétèrent une levée contre les Thébains et, jugeant qu'Agésilas conduirait l'armée avec plus d'intelligence que Cléombrotos, ils le prièrent d'en prendre le commandement. Agésilas répondit qu'il ne pouvait que s'incliner devant les décisions de la cité et il se disposa à partir. 36. Il savait qu'à moins d'occuper le Cithéron à l'avance, il ne serait pas facile de pénétrer sur le territoire de Thèbes, et comme il avait appris que les Clètoriens en guerre avec les Orchoméniens entretenaient un corps de mercenaires, il entra en pourparlers avec eux pour pouvoir disposer de ces mercenaires, s'il en avait besoin. 37. Après avoir offert le sacrifice de départ, et avant d'être arrivé lui-même à Tégée, il envoya au commandant des mercenaires à la solde des Clètoriens un mois de solde avec l'ordre de s'emparer à l'avance du Cithéron. En même temps il faisait dire aux Orchoméniens de cesser les hostilités, tant que durerait l'expédition; que, si quelque ville prenait les armes contre une autre ville, pendant que l'armée serait dehors, c'est contre cette ville qu'il marcherait d'abord suivant la convention des alliés. 38. Quand il eut franchi le Cithéron, il se rendit à Thespies, dont il fit sa base d'opérations et pénétra dans le territoire de Thèbes; mais il trouva la plaine et les points les plus importants du pays protégés par un cercle de fossés et de palissades. En conséquence, établissant son camp tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre, et sortant après le déjeuner, il ravagea la partie du pays qui était de son côté, en dehors de la palissade et du fossé, car partout où Agésilas se montrait, les ennemis apparaissaient en face de lui à l'intérieur du retranchement, prêts à le défendre. 39. Or un jour qu'il avait repris la route de son camp, les cavaliers thébains, jusqu'alors invisibles, s'élancent soudain par les issues pratiquées dans le retranchement, et, tandis que les peltastes s'en allaient dîner et faisaient leurs préparatifs pour cela, et que les cavaliers étaient encore à terre ou en train de monter sur leurs chevaux, ils fondent sur eux, tuent un grand nombre de peltastes, les cavaliers spartiates Cléas et Epicydidas, un périèque, Éudicos et des exilés thébains qui n'étaient pas encore remontés sur leurs chevaux. [5,4,40] Agésilas se retourne avec ses hoplites et se porte au secours des siens, ses cavaliers courent à la rencontre des cavaliers thébains et les hoplites des dix plus jeunes classes courent avec eux. Cependant les cavaliers thébains, semblables à des gens qui auraient un peu trop bu à midi, attendaient les assaillants pour lancer leurs javelines, avant d'être à portée. Malgré cela, tout en tournant bride à cette distance, ils perdirent douze des leurs. 41. Quand Agésilas eut constaté que les ennemis sortaient toujours après déjeuner, il sacrifia au point du jour et, emmenant ses troupes le plus vite possible, il pénétra à l'intérieur du retranchement par un endroit non gardé. Alors il ravagea et brûla le pays qui était à l'intérieur de la palissade jusqu'à la ville. Après cela, il revint à Thespies et fortifia la ville pour les Thespiens. Il y laissa Phoibidas comme harmoste et lui-même, repassant la montagne pour gagner Mégare, il licencia les alliés et ramena dans leurs foyers le contingent métropolitain. 42. Dès lors, Phoibidas tantôt envoyait des bandes de maraudeurs ravager et piller le territoire des Thébains, tantôt il y faisait des incursions et le dévastait. De leur côté, les Thébains, désireux de se venger, marchèrent avec toutes leurs forces contre Thespies. Mais une fois arrivés, ils trouvèrent Phoibidas, qui les pressa avec ses peltastes, sans leur permettre jamais de s'écarter de la phalange, de sorte que les Thébains fort dépités se retirèrent plus vite qu'ils ne s'étaient avancés et que les muletiers jetaient les denrées qu'ils avaient prises, pour se sauver chez eux, tant était grande la panique qui avait saisi l'armée. 43. Phoibidas les presse hardiment, à la tête de ses peltastes, et donne l'ordre aux hoplites de le suivre en ordre de bataille, et il espérait bien les mettre en déroute; car il menait lui-même l'offensive avec vigueur et il exhortait les autres à entamer l'ennemi et avait donné l'ordre aux hoplites des Thespiens de le suivre. 44. Mais, tandis qu'ils battaient en retraite, les cavaliers thébains se virent acculés à un vallon boisé infranchissable. Ils se rallièrent d'abord, puis, ne sachant par où passer, ils firent demi-tour. Les peltastes les plus avancés, se voyant en petit nombre, prirent peur et s'enfuirent. La vue des fuyards donna aux cavaliers l'idée de fondre sur eux. 45. Phoibidas et deux ou trois hommes qui combattaient avec lui furent tués. Lui mort, tous les mercenaires prirent la fuite. Quand leur fuite les eut amenés près des hoplites thespiens, ceux-ci qui, un moment avant, se faisaient fort de ne pas céder aux Thébains, se mirent à fuir sans être sérieusement poursuivis; car il se faisait déjà tard. Ils ne perdirent que peu de monde; néanmoins ils ne s'arrêtèrent pas qu'ils ne fussent dans leurs murs. 46. Ces succès enflammèrent les Thébains d'un nouveau courage. Ils marchèrent contre Thespies et les autres villes voisines. Les démocrates en sortirent pour passer à Thèbes; car, dans toutes les villes, des gouvernements oligarchiques s'étaient établis, comme à Thèbes, en sorte que, dans toutes, les partisans de Sparte avaient besoin de secours. Après la mort de Phoibidas, les Lacédémoniens envoyèrent par mer un polémarque et une more pour garder Thespies. 47. À l'approche du printemps, les éphores décrétèrent une nouvelle levée contre Thèbes, et comme précédemment, prièrent Agésilas de prendre le commandement. Comme il avait toujours les mêmes idées sur la nécessité de s'assurer le passage, avant même d'offrir le sacrifice du départ, il envoya l'ordre au polémarque qui était à Thespies, de s'emparer à l'avance du sommet qui domine la route du Cithéron et de le garder jusqu'à son arrivée. 48. Quand il eut franchi le pas et fut parvenu à Platées, il fit semblant de se rendre encore à Thespies d'abord, et il envoya dire qu'on y préparât un marché et que les députations l'y attendissent. Ainsi les Thébains gardèrent fortement la route du côté de Thespies. 49. Mais le lendemain, Agésilas, ayant sacrifié au point du jour, prit la route d'Erythres, parcourut en un jour le chemin qu'une armée fait en deux jours et franchit la palissade à Scolos, devançant les Thébains, qui avaient jusqu'alors gardé la place où il avait pénétré dans leur pays l'année précédente. Il ravagea ensuite la partie du territoire qui est à l'est de la ville jusqu'à Tanagra; car Tanagra était encore au pouvoir d'Hypatodoros et des siens, dévoués à Lacédémone; ensuite il se retira en gardant la ville à sa gauche. [5,4,50] Alors les Thébains, s'avançant lentement, se formèrent en bataille en face de lui à la Poitrine de la Vieille, ayant à dos le fossé et la palissade. Ils croyaient l'endroit avantageux pour risquer une bataille, parce qu'il était assez étroit et d'accès difficile. En voyant cela, Agésilas, au lieu de marcher contre eux, fit un détour et se porta du côté de la ville. 51. Les Thébains, craignant pour leur ville, qui était sans défenseurs, quittèrent la place où ils s'étaient mis en bataille et coururent vers Thèbes par la route de Potnia, qui était en effet la plus sûre. On a beaucoup loué cette idée d'Agésilas qui, en emmenant son armée loin des ennemis, les força à battre en retraite au pas de course. Cependant quelques polémarques les assaillirent au passage avec leurs mores. 52. Mais les Thébains lançaient leurs javelots du haut de la colline et l'un des polémarques, Alypètos, fut ainsi atteint et tué.Toutefois ils en furent vite débusqués, et les Scirites l'ayant gravie avec quelques cavaliers, accablèrent de coups les derniers des Thébains qui passèrent devant eux dans leur course vers la ville. 53. Cependant, arrivés près du rempart, les Thébains se retournent, et les Scirites, envoyant le mouvement, se retirent plus vite qu'au pas. Aucun d'eux n'avait été tué; néanmoins les Thébains érigèrent un trophée, pour avoir fait reculer ceux qui avaient escaladé la colline. 54. Pour Agésilas, il se retira, quand il jugea le moment convenable, et alla camper là où il avait vu les ennemis rangés en bataille. Le lendemain, il reprit le chemin de Thespies. Comme les peltastes qui étaient à la solde des Thébains le harcelaient avec audace et appelaient Chabrias, qui était resté en arrière, les cavaliers olynthiens, qui, à présent, combattaient avec les Spartiates, conformément à leurs serments, firent volte-face et, les suivant sur la pente d'une colline, leur donnèrent la chasse et en tuèrent un grand nombre; car les fantassins sont vite atteints par les cavaliers sur une pente accessible aux chevaux. 55. Arrivé à Thespies, Agésilas trouva les citoyens divisés : ceux qui faisaient profession de laconisme voulaient mettre à mort leurs adversaires, au nombre desquels était Ménon. Loin de le permettre, il réconcilia les deux partis et les contraignit à se lier par serment, après quoi il reprit par le Cithéron la route de Mégare, d'où il licencia les alliés et ramena à Sparte le contingent des citoyens. 56. Les Thébains, vivement pressés par la disette de blé, vu que, depuis deux ans, ils n'avaient rien récolté sur leur territoire, envoyèrent à Pagases deux trières et des hommes, porteurs de dix talents, pour acheter du blé. Pendant qu'ils ramassaient le blé, le Lacédémonien Alcétas, qui gardait Oréos, équipa trois trières en prenant soin que rien n'en transpirât. Quand le blé fut en route, Alcétas le saisit avec les trières qui le portaient et prit vivant l'équipage, qui ne se montait pas à moins de trois cents hommes. Il les enferma dans la citadelle où il logeait lui-même. 57. Il avait dans sa suite un jeune garçon d'Oréos, très distingué, à ce qu'on disait, et il descendait de l'acropole pour s'occuper de lui. Les prisonniers ayant remarqué sa négligence, s'emparent de l'acropole et la ville se révolte. Dès lors, les Thébains eurent toute facilité pour se ravitailler en blé. 58. Au retour du printemps, Agésilas était alité. En revenant de Thèbes avec son armée, tandis qu'il montait à Mégare, du temple d'Aphrodite au siège du gouvernement, une de ses veines se rompit et le sang s'écoula de son corps dans sa jambe saine. Le bas de sa jambe enfla démesurément et les douleurs devinrent intolérables. Alors un médecin syracusain lui ouvrit la veine près de la cheville. Quand le sang eut commencé à couler, il coula nuit et jour, et tous les efforts qu'on fit pour l'arrêter furent inutiles jusqu'à ce qu'Agésilas se fût évanoui; à ce moment l'hémorragie cessa. Ramené dans cet état à Lacédémone, il fut malade le reste de l'été et l'hiver. 59. Au début du printemps, les Lacédémoniens ayant décrété une nouvelle expédition, prièrent Cléombrotos d'en prendre le commandement. Quand il parvint avec son armée au pied du Cithéron, il envoya ses peltastes en avant, pour s'emparer à l'avance des hauteurs qui dominaient la route. Mais un corps de Thébains et d'Athéniens qui avaient occupé avant eux le sommet, les laissa d'abord monter, puis, quand ils furent arrivés près d'eux, les hommes se levèrent de leur cachette, les poursuivirent et en tuèrent une quarantaine. Après cet échec, Cléombrotos, jugeant qu'il était impossible de franchir le passage pour arriver à Thèbes, ramena ses troupes et les licencia. [5,4,60] Les alliés s'étant assemblés à Lacédémone se plaignirent d'être épuisés par la guerre à cause de la mollesse qu'on y apportait. Ils pouvaient, disaient-ils, en équipant beaucoup plus de vaisseaux que les Athéniens, prendre leur ville par la famine. Ils pouvaient aussi sur ces mêmes vaisseaux faire passer une armée jusqu'à Thèbes, soit par la Phocide, si l'on voulait, soit par Creusis. 61. Sur cet avis, on arma soixante trières, dont Pollis fut nommé navarque. Ceux qui avaient eu cette idée ne furent pas trompés dans leur attente et les Athéniens se trouvèrent bloqués. Les bateaux qui leur portaient des vivres arrivaient bien à Géraistos, mais ils ne voulaient pas poursuivre leur route le long de la côte, parce que la flotte des Lacédémoniens se tenait dans les parages d'Égine, de Céos et d'Andros. Reconnaissant la nécessité qui les pressait, les Athéniens montèrent eux-mêmes sur leurs vaisseaux, livrèrent bataille à Pollis, sous la conduite de Chabrias, et remportèrent la victoire. Par suite, les convois de blé arrivèrent à Athènes. 62. Comme les Lacédémoniens se disposaient à faire passer une armée en Béotie, les Thébains prièrent les Athéniens d'envoyer une armée autour de Péloponnèse, persuadés que, si cette expédition avait lieu, il ne serait plus possible aux Lacédémoniens de couvrir tout ensemble leur pays et les villes du voisinage qui leur étaient alliées et en même temps d'envoyer contre eux des forces suffisantes. 63. Les Athéniens, irrités contre les Lacédémoniens à cause de la tentative de Sphodrias, s'empressèrent d'envoyer autour du Péloponnèse soixante vaisseaux qu'ils avaient équipés et dont ils avaient donné la conduite à Timothée. Comme l'ennemi n'avait pas envahi le territoire de Thèbes, ni pendant l'année où Cléombrotos conduisait l'armée, ni pendant celle où Timothée fit le tour de Péloponnèse, les Thébains enhardis marchèrent contre les villes circonvoisines et les reprirent. 64. Cependant Timothée, ayant contourné le Péloponnèse, avait immédiatement soumis Corcyre, et comme il n'avait réduit personne en esclavage, ni exilé aucun citoyen, ni changé les lois, il s'était attaché davantage toutes les villes de ces contrées. 65. À leur tour, les Lacédémoniens armèrent une flotte et ils envoyèrent Nicolochos, homme très audacieux, en prendre le commandement. Dès qu'il aperçut les vaisseaux de Timothée, il ne perdit pas un moment, et, bien qu'il lui manquât six vaisseaux d'Ambracie, il attaqua avec cinquante-cinq trières Timothée qui en avait soixante. Il fut vaincu et Timothée dressa un trophée à Alyzeia (187). 66. Tandis que Timothée faisait radouber ses vaisseaux qu'il avait tirés à sec, Nicolochos, renforcé des six vaisseaux d'Ambracie, cingla sur Alyzeia, où se trouvait Timothée. Comme celui-ci ne sortait point à sa rencontre, il dressa, lui aussi, un trophée dans les îles les plus rapprochées. Mais quand Timothée eut radoubé les vaisseaux qu'il avait et qu'il en eut armé d'autres venus de Corcyre, il en eut en tout plus de dix et sa flotte fut de beaucoup supérieure à celle de l'ennemi. Alors il demanda de l'argent à Athènes, car il lui en fallait beaucoup pour tant de vaisseaux.