[1,0] LIVRE PREMIER. AVANT-PROPOS. À L'EMPEREUR VALENTINIEN II. C'était l'usage autrefois de mettre par écrit ses études sur les arts, et d'en offrir la rédaction aux princes ; car, pour débuter sagement, les auspices de l'empereur sont, après ceux de la divinité, les plus favorables ; et personne n'est tenu de réunir un plus vaste trésor de connaissances que le chef de l'État, dont les lumières peuvent contribuer au bien-être de tous ses sujets. Octavien Auguste et d'autres excellents princes autorisèrent volontiers cette coutume, comme le prouvent de nombreux exemples. Aussi, aidée du suffrage des monarques, l'éloquence a grandi, tant qu'elle ne fut point taxée de hardiesse coupable. Engagé à mon tour dans cette voie, lorsque je considère avec quelle rare bonté Votre Clémence accueille les tentatives littéraires, j'aperçois à peine toute la distance qui me sépare des écrivains de l'antiquité. D'ailleurs, cet opuscule ne demande ni les ornements du style, ni les étincelles du talent, mais l'exactitude d'un travail consciencieux, destiné qu'il est à recueillir des préceptes, disséminés et enfouis chez la plupart des historiens et des auteurs militaires, pour les reproduire au jour dans l'intérêt des Romains. Nous essaierons d'abord de montrer, à l'aide de chapitres gradués, les mesures adoptées anciennement pour le choix et l'exercice des recrues. Non que nous supposions, invincible Empereur, que ces détails vous soient étrangers ; mais afin que vous puissiez reconnaître que vos dispositions personnelles pour la défense de l'État sont conformes à celles qu'ont prises jadis les fondateurs de l'Empire romain ; et que vous trouviez réuni dans ce petit volume tout ce qui intéresse vos préoccupations sur des matières aussi importantes et d'une constante nécessité. [1,1] CHAPITRE PREMIER. Les moyens qui assurèrent au peuple romain la soumission de l'univers ne sont autres évidemment que la pratique des armes, la science des campements, l'habitude de la guerre. Sans cela, en effet, comment le petit nombre des Romains aurait-il pu tenir contre la multitude des Gaulois ? Comment la petitesse de leur taille aurait-elle défié les formes gigantesques du Germain ? Les Espagnols nous étaient certainement supérieurs et en nombre et en force physique ; nous avons toujours été au-dessous des Africains sous le rapport de la ruse et des richesses ; les Grecs nous ont surpassés en sagesse et en talents ; ceci n'a jamais fait l'ombre d'un doute. Mais devant tous ces obstacles, il a suffi de faire un choix éclairé des recrues ; de leur enseigner, pour ainsi dire, la jurisprudence des armes ; de les fortifier par des exercices quotidiens ; de les initier, sur le terrain de manœuvre à toutes les éventualités présumables des combats et des batailles ; d'infliger à la paresse de sévères châtiments. Car le savoir militaire alimente l'audace du soldat ; nul n'appréhende d'exécuter ce qu'il est sûr de connaître à fond. Dans les hasards de la guerre, une poignée d'hommes exercés tient la victoire en mains ; une masse ignorante et maladroite risque toujours d'être taillée en pièces. [1,2] CHAPITRE DEUXIÈME. Pour agir avec ordre, il faut examiner d'abord parmi quelles provinces ou quelles nations on prendra les recrues. Il est de fait qu'en tout pays naissent indistinctement des braves et des lâches. Cependant tel peuple surpasse tel autre à la guerre, et d'ailleurs le climat influe singulièrement sur les facultés physiques et morales. Nous alléguerons à cet égard l'opinion des juges les plus compétents. Tous les peuples rapprochés du soleil, disent-ils, exposés à une chaleur absorbante, ont plus de vivacité, d'instincts et moins de sang ; aussi le courage et l'aplomb leur font-ils défaut pour combattre de près, dans la crainte, des blessures dues à leur organisation peu sanguine. Ceux du Nord, au contraire, éloignés des ardeurs du soleil, sont moins prévoyants, il est vrai ; mais en retour, leur vigoureuse constitution les prédispose merveilleusement à la guerre. Il faut donc choisir les recrues dans des climats tempérés, là, où une surabondance de vie fait affronter les blessures et la mort, sans rien ôter de l'esprit de prudence qui inspire la subordination au camp et dirige la conduite sur le champ de bataille et dans les conseils. [1,3] CHAPITRE TROISIÈME. Voyons, en second lieu, si les recrues des campagnes sont préférables à celles des villes. Ici, je ne crois pas qu'on ait jamais pu mettre en doute l'aptitude spéciale du peuple des campagnes pour les armes : lui, élevé en plein air, rompu à la fatigue, habitué au soleil, peu soucieux de l'ombre, ne sachant même pas s'il existe des bains, ignorant le luxe, simple dans ses goûts, se contentant de peu, façonné et endurci de bonne heure à toute espèce de travaux : manier le fer, creuser des fossés, porter des fardeaux, telles sont les habitudes des champs. Pourtant la nécessité veut quelquefois qu'on appelle également aux armes les habitants des villes. Admis sous les drapeaux, ils apprendront d'abord à travailler, à faire des courses, à porter des charges, à braver le soleil et la poussière, à vivre d'une nourriture sobre et frugale, à séjourner tantôt en plein air, tantôt sous la tente. Ils passeront ensuite à l’étude pratique des armes ; dans la prévision d'une expédition lointaine, on les tiendra le plus longtemps possible en rase campagne, hors des séductions de la cité, pour leur faire contracter tout ensemble la force physique et la force morale. Nous ne disconvenons pas que, dans les commencements de Rome, les habitants des villes partaient tous pour la guerre ; mais alors ils n'étaient énervés par aucune jouissance sensuelle. La jeunesse, en nageant dans le Tibre, se lavait des sueurs de la course et du terrain de manoeuvre. Le guerrier et le laboureur ne faisaient qu'un ; le même homme prenant tour à tour l'épée et la charrue. Ceci est tellement vrai qu'il est de notoriété publique que quand la dictature fut offerte à Quinctius Cincinnatus, il labourait. Les campagnes sont donc appelées à fournir la force principale d'une armée. Car il est de fait qu'on redoute moins la mort quand on a moins connu les douceurs de la vie. [1,4] CHAPITRE QUATRIÈME. Cherchons maintenant à quel âge il convient de prendre le soldat. Personne n'ignore que, d'après nos anciennes coutumes, les recrues doivent être choisies au début de la puberté ; car, à cette époque de la vie, l'enseignement offre le double avantage d'un progrès rapide et durable. D'ailleurs les épreuves de la course et de la gymnastique, d'où naît la vivacité des allures militaires, doivent avoir lieu avant que l'âge n'engourdisse le corps. C'est l'agilité, jointe à la connaissance de l'exercice, qui constitue le guerrier modèle. Il faut choisir des jeunes gens, comme l'indiquent ces paroles de Salluste : "Aussitôt que la jeunesse paraissait apte à la guerre, on se hâtait de la soumettre à l'apprentissage laborieux des armes. " Il vaut mieux qu'un jeune conscrit allègue le défaut de maturité pour le combat, que de regretter ses années perdues ; il aura du moins le temps de tout apprendre. Ce n'est pas peu de chose, en effet, que l'étude des armes ; quand il s'agit d'enseigner au cavalier ou au fantassin à se servir de l'arc ; au soldat revêtu du bouclier, à exécuter chaque mouvement, chaque figure de l'escrime, sans s'écarter de son poste, sans troubler les rangs, à lancer le javelot avec précision et vigueur, creuser un fossé, planter convenablement les pieux, manier le bouclier et l'opposer obliquement aux traits, parer les coups avec adresse, les porter hardiment. Pour un conscrit formé de la sorte, se trouver en bataille contre des ennemis, n'importe lesquels, ne sera point un sujet d'épouvante, mais un plaisir. [1,5] CHAPITRE CINQUIÈME. Je sais qu'on a toujours exigé dans le conscrit une haute taille : ainsi il fallait avoir six pieds, ou à la rigueur cinq pieds dix pouces pour entrer dans les cavaliers auxiliaires et dans les premières cohortes des légions. Mais alors le nombre des sujets était plus considérable, et la carrière des armes plus généralement suivie ; les emplois civils n'avaient pas encore absorbé la fleur de la jeunesse. Puisque la nécessité le veut, il faut donc moins envisager la taille que la force. Croyons-en, à, cet égard, le témoignage d'Homère, qui dépeint Tydée petit de corps, mais puissant par les armes. [1,6] CHAPITRE SIXIÈME. L'organisateur du recrutement examinera avec attention le visage, les yeux, la conformation particulière des membres de ceux qui doivent devenir un jour des soldats. Car les indices du courage se révèlent, non seulement chez l'homme, mais encore, à en croire les sommités de la science, dans le cheval et le chien ; le chantre de Mantoue prétend même qu'on les retrouve jusque dans les abeilles : "Aisément on connaît le plus vaillant des deux. De sa tunique d'or l'un éblouit les yeux; L'autre, à regret montrant sa figure hideuse, Traîne d'un ventre épais la marche paresseuse". Que le jeune homme, destiné aux travaux de Mars, ait l'œil éveillé, la tête droite, la poitrine large, les épaules musculeuses, les bras nerveux, les doigts allongés, peu de ventre, les jambes minces, les jarrets et les pieds non chargés de chair, mais solidement unis par les cartilages. Si vous rencontrez ces caractères chez un conscrit, ne vous inquiétez pas de la taille : la force dans le soldat vaut mieux qu'une haute stature. [1,7] CHAPITRE SEPTIÈME. Examinons à présent quelles sont les professions qui permettent on qui interdisent formellement l'admission du soldat. Les pécheurs, les oiseleurs, les pâtissiers, les tisserands, et tous ceux en général dont l'occupation a quelque analogie avec celle des femmes, doivent, selon moi, être bannis des camps. Les ouvriers qui travaillent le fer, les charrons, les bouchers, les chasseurs à la bête fauve sont dignes d'être enrôlés. Il importe essentiellement au salut de l'Empire que, dans le choix des recrues, on envisage la supériorité physique et morale des sujets : de cette opération préliminaire dépendent l'éclat du trône et l'affermissement du nom romain. Et qu'on ne s'imagine point que l'organisation des levées soit un vain emploi, qui puisse être donné indifféremment au premier venu ! chez les anciens, parmi tant de qualités diverses, qui distinguèrent Sertorius, on vantait surtout ses talents à cet égard. La jeunesse à qui l'un veut confier la garde des provinces et qui affrontera les hasards de la guerre, doit exceller sous le rapport moral, et autant que possible, sous le rapport physique. C'est le sentiment de l'honneur qui constitue le vrai soldat ; tant que la honte l'empêche de fuir, elle lui facilite la victoire. À quoi sert, je le demande, d'exercer un lâche, qui n'aura d'autre mérite que de passer plusieurs années dans les camps ? Une armée, dont le recrutement a été défectueux, n'a jamais rien fait qui vaille. Et, en interrogeant les leçons de l'expérience, si nous avons essuyé tant de désastres à la fois, c'est qu'une longue paix avait occasionné l'inattention et la négligence dans les enrôlements ; c'est que le meilleur de la nation s'adonnait aux fonctions civiles ; c'est que les conscrits étant mis en réquisition chez les propriétaires, un système de faveur et de partialité de la part des examinateurs ne recrutait pour l'armée que des sujets dont le maître se souciait le moins. Il est donc à propos que des personnages éminents choisissent eux-mêmes avec beaucoup de soin des jeunes gens capables. [1,8] CHAPITRE HUITIÈME. On ne soumettra pas immédiatement le conscrit à la marque du pointillage ; on lui fera subir auparavant les épreuves de l'exercice, pour s'assurer si réellement il est propre à d'aussi grands travaux. On exigera de lui l'agilité, la force, l'intelligence des armes, l'aplomb militaire. Plusieurs, qui de prime abord ne semblent pas à dédaigner, sont taxés, à l'essai, d'incapacité. Laissant donc de côté les moins aptes, on les remplacera par de plus habiles ; car, à la guerre, la valeur fait plus que le nombre. Aussitôt que les conscrits auront obtenu la marque distinctive, ou leur démontrera les armes par des exercices de tous les jours. Dans l'incurie d'un loisir prolongé cet usage s'est perdu. Or, comment enseigner ce qu'on n'a point appris soi-même ? Nous sommes donc réduits à étudier les anciennes coutumes dans les historiens et dans les traités spéciaux. Et encore les écrivains militaires, envisageant les faits d'après leur ensemble et leurs résultats, ont-ils omis, comme connus du lecteur, les détails qui font l'objet de nos recherches. Il est vrai que les Lacédémoniens, les Athéniens et d'autres Grecs ont composé plusieurs volumes sur ce qu'on nomme la Tactique. Mais ce qu'il nous importe de connaître, c'est l'art militaire du peuple romain qui, des frontières les plus circonscrites, a étendu son empire jusqu'aux pays où luit le soleil, presque aux confins du monde. Pour cela, après avoir parcouru les différents auteurs, j'ai dû reproduire fidèlement dans cet opuscule le Traité de la Guerre de Caton le Censeur, les ouvrages de Cornélius Celsus et de Frontin, ceux de Paternus, habile interprète du code militaire, les sages règlements d'Auguste, de Trajan, d'Adrien. Je n'assume aucune responsabilité : j'emprunte aux personnages que je viens de citer leurs préceptes épars, et je ne fais que coordonner ces fragments. [1,9] CHAPITRE NEUVIÈME. Au début des exercices vient l'apprentissage du pas militaire. Rien de plus important, en route ou en bataille, que de faire observer à tous les soldats une marche uniforme. Le seul moyen d'atteindre ce résultat, c'est de les habituer assidûment à des promenades où la vitesse sera jointe à la régularité. Une armée divisée et sans ordre s'expose toujours à de grands risques de la part de l'ennemi. Au pas militaire, on fera vingt milles en cinq heures, dans la saison d'été ; mais au pas allongé, qui est plus rapide, la distance à parcourir, dans le même espace de temps, sera de vingt-quatre milles. Tout ce qui dépasse ces limites se rapporte à la course dont on ne peut préciser les bornes. La course doit être l'objet d'un exercice spécial pour tes jeunes gens : elle les mettra à même de charger l'ennemi avec plus de vigueur ; d'occuper vite, en cas de besoin, des positions avantageuses ; de s'en emparer les premiers, si l'ennemi tente de le faire ; de pousser une reconnaissance avec promptitude, de revenir plus promptement encore ; de faire aisément main basse sur les fuyards. On exercera aussi le soldat à franchir, en sautant, soit des fossés, soit des obstacles en hauteur, afin que s'il rencontre de semblables difficultés il puisse les surmonter sans peine. Il en résulte un autre avantage : en bataille, lorsqu'on est à la portée du trait, le combattant, lui accourt en bondissant sur son adversaire, l'éblouit, le déconcerte et le frappe sans qu'il ait le temps de se reconnaître ou bien de se mettre en garde. Voici ce que dit Salluste en parlant du grand Pompée : "Il devançait les lestes au saut, les agiles à la course, les forts à la massue." Comment, en effet, aurait-il pu tenir tête à Sertorius, s'il n'eût d'avance, par des exercices fréquents, préparé ses soldats et lui-même aux combats ? [1,10] CHAPITRE DIXIÈME. Tous les conscrits doivent indistinctement, pendant la saison d'été, apprendre la natation. On ne traverse pas toujours les rivières sur des ponts ; et il arrive fréquemment qu'une armée, en retraite ou à la poursuite, est obligée de se jeter à la nage. Souvent les pluies et la fonte des neiges produisent un débordement subit des cours d'eau : dans ce cas, l'ignorance se trouve doublement compromise et par l'ennemi et par les eaux. Aussi les anciens Romains, que tant de guerres et de périls successifs avaient initiés à toutes les exigences de l'art militaire, choisirent le champ de Mars sur les bords du Tibre, afin que la jeunesse, après l'exercice des armes, se lavât de la sueur et de la poussière, et se délassât des fatigues de la course dans le travail de la natation. Il est bon de soumettre à cet exercice, indépendamment des fantassins, les cavaliers et leurs chevaux, et même les valets, autrement dits galéaires, poux que l'inexpérience ne suscite rien de fâcheux en cas de nécessité. [1,11] CHAPITRE ONZIÈME. Les anciens, d'après le témoignage des livres, dressèrent les conscrits au genre d'exercice suivant : ils leur mettaient entre les mains des claies d'osier, arrondies en forme de bouclier, mais d'une pesanteur qui valait deux fois le bouclier ordinaire, puis au lieu de glaive, un bâton d'un poids également double. Ainsi équipés, on les exerçait, matin et soir, à la quintaine. L'habitude de la quintaine est d'un grand secours pour le soldat et pour le gladiateur : de tous ceux qui, sur l'arène ou en rase campagne, se sont fait un renom, il n'en est pas un seul qui ne se soit adonné à cet exercice. Chaque conscrit fixait en terre son poteau de manière à ce qu'il se tint ferme, et qu'il eût six pieds d'élévation. Vis-à-vis de ce poteau, comme en face d'un adversaire, il escrimait du bâton et de la claie, en guise de glaive et de bouclier. Tantôt il simulait des coups sur la tête et sur le visage ; tantôt il menaçait les flancs ; quelquefois il essayait de briser les jambes et les genoux ; tour à tour s'approchant, s'éloignant ; revenant à la charge avec des bonds vigoureux, il déployait devant cette quintaine, comme autour d'un adversaire réel, toute son impétuosité, toute sa puissance d'action. Durant ces épreuves, on recommandait au conscrit d'avoir soin, en portant les coups, de s'effacer suffisamment pour n'être pas atteint. [1,12] CHAPITRE DOUZIÈME. On apprenait aussi à frapper non du taillant mais de la pointe. Les partisans du taillant ont fourni aux Romains avec une conquête aisée un sujet de dérision. Le taillant, quelle que soit la force qu'on lui imprime, tue rarement ; les organes essentiels étant préservés par les armes et par la charpente osseuse. La pointe, au contraire, enfoncée à deux pouces, est mortelle : tout ce qui plonge dans l'intérieur pénètre nécessairement les parties vitales. Puis lorsqu'on se sert du taillant, le bras droit et le flanc restent découverts ; la pointe, en maintenant le corps à l'abri, blesse l'adversaire sans qu’il s'en aperçoive. C'est pourquoi on a vu les Romains adopter de préférence ce genre d'escrime. Quant aux poids double assigné à la claie et au bâton, c'est afin que le conscrit, en reprenant ses véritables armes, beaucoup plus légères, se sentit comme débarrassé d'une charge pesante, et marchât au combat leste et confiant. [1,13] CHAPITRE TREIZIÈME. Ensuite on façonnera le conscrit à l'exercice de l'escrime qu'enseignent les maîtres d'armes. Cet usage s'est conservé du moins en partie. Il est reconnu, aujourd'hui encore, que les soldats au fait de l'escrime, se battent généralement mieux que les autres. Une preuve évidente des avantages de cet exercice, est la grande supériorité que celui qui connaît un peu l'escrime obtient sur tous ses compagnons. Nos pères introduisirent à cet égard une discipline sévère. Si le maître d'armes touchait, à titre de gratification, une ration double, le soldat, dont les progrès n'étaient point satisfaisants, était condamné à recevoir de l'orge au lieu de blé, et sa ration de froment ne lui était rendue que du jour où, en présence du préfet de légion, des tribuns et des centurions principaux, il montrait, dans une série d'épreuves, qu'il était en état de répondre à toutes les exigences du métier. L'appui le plus ferme d'un État, ses éléments de gloire et d'orgueil consistent à posséder un grand nombre de soldats instruits. Ce ne sont pas les costumes resplendissants d'or, d'argent, de pierreries, qui nous concilient le respect ou le suffrage des ennemis ; c'est la terreur des armes qui seule les subjugue. Du reste, en d'autres circonstances, comme l'a dit Caton, si une méprise a eu lieu, on peut y remédier avec le temps ; à la guerre, les fautes n'admettent aucune réparation ; le châtiment suit immédiatement l'erreur. De deux choses l'une : ou ceux qui ont combattu avec mollesse et inhabilité succombent sur-le-champ ; ou bien mis en déroute, ils n'osent plus se mesurer avec le vainqueur. [1,14] CHAPITRE QUATORZIÈME. Je reviens à mon sujet. Après l'exercice du bâton vis-à-vis d'un poteau, le conscrit s'étudiera à lancer contre ce but, qui lui représente un homme, des traits plus pesants que le javelot ordinaire. Le devoir du maître d'armes est de veiller à ce que le trait soit brandi avec beaucoup de vigueur, et à ce qu'il arrive droit à sa destination sur le poteau, ou du moins sans trop s'en écarter. Cet exercice accroît la force des bras et développe l'adresse dans le maniement du javelot. [1,15] CHAPITRE QUINZIÈME. Le tiers environ ou le quart des jeunes gens, reconnus les plus capables, doivent être exercés devant ces mêmes poteaux, avec des arcs et des flèches usitées dans les jeux. On choisira, à cet effet, des maîtres habiles qui leur recommanderont soigneusement de bien tenir l'arc, de le bander fortement, la main gauche restant fixe et la droite agissant avec méthode, de diriger simultanément vers l'objet en vue l'œil et la pensée, afin de pouvoir, soit à pied, soit à cheval, envoyer la flèche droit au but. Il faut pour acquérir cet art beaucoup d'attention, et pour n'en point perdre l'habitude une pratique de tous les jours. Quant aux services que de bons archers peuvent rendre en bataille, Caton, dans son Traité de la Guerre, les fait ressortir clairement ; et l'on sait que Claudius, à l'aide d'une troupe de ce genre savamment formée, mit en déroute un ennemi qui lui avait été d'abord supérieur. Scipion l'Africain, sur le point de livrer bataille aux Numantins, qui avaient fait passer sous le joug une armée romaine, n'imagina rien de mieux, pour s'assurer le succès, que de distribuer des archers d'élite dans chaque centurie. [1,16] CHAPITRE SEIZIÈME. Il est bon aussi d'habituer les recrues à lancer des pierres avec la main ou avec la fronde. Les habitants des îles Baléares passant pour avoir connu les premiers l'usage de la fronde, ils cultivèrent cet exercice avec tant de soin que les mères, dit-on, ne laissaient toucher à leurs enfants mâles aucun aliment, qu'ils ne l'eussent atteint d'un coup de pierre, au moyen de la fronde. Contre le casque, la cuirasse et les cataphractes, une pierre d'un certain calibre, lancée par la fronde ou le fustibale, fait plus de mal qu'une nuée de flèches ; la blessure qui en résulte, sans déchirer les chairs, est néanmoins mortelle ; l'ennemi frappé succombe sans perdre une goutte de sang. Personne n'ignore que les frondeurs ont combattu dans toutes les guerres de l'antiquité. Tous les conscrits en général doivent donc être familiarisés avec ce genre d'exercice, d'autant plus que la fronde n'est point embarrassante à porter. D'ailleurs, il arrive quelquefois qu'un engagement a lieu sur un terrain pierreux ; qu'il s'agit de défendre une montagne ou une colline, d'assiéger une forteresse ou une ville : toutes choses où la pierre et la fronde servent à repousser les Barbares. [1,17] CHAPITRE DIX-SEPTIÈME. L'exercice des balles de plomb entre encore dans l'éducation des recrues. Deux légions cantonnées en Illyrie, fortes de six mille hommes chacune, obtinrent jadis une si grande réputation dans l'emploi de cette arme qu'on surnomma leurs soldats des "Tireurs de Mars". Ils se signalèrent, pendant de longues années, par de brillants exploits, et, pour prix de leur bravoure, Dioclétien et Maximien, devenus maîtres de l'Empire, changèrent la qualification de Tireurs de Mars en celle de Joviens et d'Herculiens, proclamant ainsi leur supériorité sur toutes les légions. Les balles de plomb, au nombre de cinq, adhèrent au bouclier. Le soldat, habile à les lancer, a l'avantage d'une arme défensive que ne possède pas l'archer, et comme celui-ci, il blesse chevaux et cavaliers, sans attendre qu'on en vienne aux mains, sans être même à portée de trait. [1,18] CHAPITRE DIX-HUITIÈME. L'exercice du cheval a toujours été l'objet d'une étude particulière non seulement aux conscrits mais encore aux vieux soldats. On sait que cet usage s'est conservé jusqu'à présent, bien qu'on commence à le négliger. Des chevaux de bois étaient disposés, l'hiver, sous un abri ; l'été en plein champ ; on obligeait les jeunes conscrits à les monter d’abord sans armes pour en prendre l'habitude, puis armés. Il fallait qu'ils fussent en état de sauter, à droite et à gauche, de bas en haut et de haut en bas, en tenant d'une main, la pique ou le glaive nu. Grâce à ces leçons assidues, ils retrouvaient au milieu du désordre de la bataille, la rapidité d'action acquise dans les loisirs de la paix. [1,19] CHAPITRE DIX-NEUVIÈME. Porter à dos un poids d'environ soixante livres, en marchant au pas militaire, doit être l'exercice fréquent du conscrit qui, dans des expéditions pénibles sera tenu de se charger à la fois de ses vivres et de ses armes. Ne croyons pas que ce soit là une chose difficile avec un peu d'usage; car l'habitude rend tout infiniment aisé. Jadis nos soldats le faisaient communément: Virgile lui-même nous l'apprend dans ces vers : "Telle de nos Romains une troupe vaillante Marche d'un pas léger sous sa charge pesante, Et traversant les eaux, franchissant les sillons, Court devant l'ennemi planter ses pavillons". [1,20] CHAPITRE VINGTIÈME. C'est ici le lieu d'exposer quelles doivent être les armes offensives et défensives du conscrit. L'usage ancien à cet égard a disparu complètement. Si, à l'exemple des Goths, des Alains et des Huns, l'équipement du cavalier a été perfectionné, l'on sait que le fantassin est totalement dépourvu de moyens de défense. À dater de la fondation de Rome jusqu'à l'époque de l'empereur Gratien, l'infanterie eut le casque et les cataphractes. Mais depuis qu'une insouciante paresse a fait cesser les manœuvres du terrain, ces armes ont commencé à paraître pesantes, et le soldat ne les a revêtues que rarement. On sollicita auprès de l'Empereur la réforme des cataphractes d'abord, puis celle des casques. Dès lors, nos soldats, la poitrine et la tête découvertes, furent écrasés plus d'une fois, dans les guerres des Goths, par la multitude de leurs archers ; et malgré tant de désastres qui occasionnèrent la ruine de villes très importantes, il n'est venu à l'idée de personne de rendre à l'infanterie ses armes de défense. Il en résulte que le soldat qui se voit en butte aux coups, sans que rien ne le garantisse, songe moins à se battre qu'à fuir. Qu'attendre, en effet, de l'archer à pied, sans cataphractes, sans casque, dans l'impossibilité de tenir en même temps l'arc et le bouclier. Qu'attendre aussi du porte-enseigne ou du draconaire réduit, un jour de bataille, à manier leur lance de la main gauche, la tête et la poitrine absolument nues ? Si la cuirasse, si le casque même semblent lourds au fantassin, c'est qu'il essaie trop peu ces armes, c'est qu'il ne les touche presque jamais. Une pratique journalière finit par supprimer la fatigue des charges les plus incommodes. Or, pour n'avoir point voulu subir le fardeau des anciennes armures, on devient naturellement la proie des blessures et de la mort ; et, ce qui est plus regrettable et plus déshonorant, de deux choses l'une : ou l'on est fait prisonnier, ou l'on compromet, en fuyant, le salut de l'État. Ainsi donc, pour avoir évité le travail de l'exercice, on risque d'être égorgé comme un vil troupeau. D'où vient que l'infanterie, chez les anciens, était réputée une muraille, sinon de l'éclat que présentait une légion en colonne, où les casques et les cataphractes se mêlaient aux boucliers ? Bien plus : les archers portaient à gauche le brassard, et les fantassins armés du bouclier, outre les cataphractes et le casque, étaient encore obligés de revêtir la jambe gauche d'une armure d'airain. Voilà quel était l'équipement de ceux qui, d'après l'ordre de bataille, s'appelaient au premier rang les Princes, au second les Hastaires, au troisième les Triaires. Les triaires se tenaient ordinairement à genoux derrière leurs boucliers, pour éviter les coups qui, debout, les eussent atteints ; en cas de besoin, ils faisaient contre l'ennemi une charge d'autant plus vigoureuse qu'ils étaient plus dispos, et souvent on les a vus décider la victoire, quand les hastaires et les princes rivaient succombé. Il y avait également dans l'infanterie d'autrefois, des troupes dites armées à la légère, composées de frondeurs et de dardeurs ; leur position principale était sur les flancs, c'étaient eux qui entamaient l'action ; on choisissait pour cela les hommes les plus agiles et les mieux exercés. Une partie d'entre eux se repliant, si les vicissitudes du combat le voulaient, trouvaient un refuge derrière la première ligne, sans déranger l'ensemble du corps de bataille. La coutume a prévalu presque jusqu'à l'époque actuelle de faire adopter à toute l'armée un bonnet de peau, surnommé le Pannonien, en raison du pays qui en fournit la matière. Cette mesure, en obligeant le soldat à avoir la tête constamment chargée, avait pour objet de lui faire trouver le casque moins gênant un jour de bataille. Au nombre des traits en usage dans l'infanterie, le javelot consistait en une pointe de fer triangulaire, de neuf pouces ou d'un pied, adaptée à une hampe ; enfoncé dans le bouclier, il ne pouvait en être arraché ; dirigé avec intelligence et vigueur contre la cuirasse, il la pénétrait aisément. Cette arme commence à devenir rare parmi nous. Chez les Barbares, les troupes à pied qui ont le bouclier, se servent beaucoup d'un javelot qu'ils nomment Bébra ; chaque combattant en porte deux et même trois. Il est à propos de savoir que si l'on se bat aux traits, le soldat doit mettre le pied gauche en avant, pour imprimer au dard une plus grande force de projection ; mais lorsqu'on en vient à l'arme blanche, pour employer le terme usuel, et que l'on combat dans la mêlée avec le glaive, le soldat alors doit avoir le pied droit en avant afin de dérober le flanc à l'ennemi et de rapprocher le bras droit qui portera les coups. Il faut donc donner aux conscrits les différentes armes de défense et d'attaque que l'art militaire a imaginées jadis. On redouble nécessairement d'audace sur le champ de bataille quand la tête et la poitrine à l'abri défient impunément les coups. [1,21] CHAPITRE VINGT-ET-UNIÈME. Le conscrit connaîtra encore la fortification des camps. C'est une étude très précieuse et de première nécessité à la guerre, car un camp régulièrement construit est comme une forteresse mobile qui suit partout le soldat, et dans l'intérieur de laquelle il demeure, nuit et jour, sans crainte, lors même que l'ennemi l'investirait. Mais ce qui concerne cet art s'est tout à fait perdu ; depuis longtemps déjà personne ne s'avise, en fait de campements, de creuser des tranchées, ni de planter des pieux. Aussi a-t-on vu souvent plusieurs armées mises en déroute par un essaim de cavaliers barbares fondant sur elles à l'improviste, le jour oo la nuit. Les inconvénients qui résultent de l'absence d'un camp ne se bornent pas là. En bataille rangée, si des revers forcent à battre en retraite, ceux qui n'ont pas de retranchements pour les recevoir périssent sans représailles, à l'instar de la brute ; leur massacre ne cesse que quand l'ennemi veut bien renoncer à les poursuivre. [1,22] CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME. Un camp, surtout lorsque l'ennemi est proche, doit toujours être assis dans un lieu sûr où l'on puisse avoir sous la main en abondance l'eau, le fourrage et le bois. Dans le cas d'un long séjour, il faut envisager la salubrité de l'endroit. On évitera le voisinage des hauteurs qui, plus tard occupées par l'ennemi, pourraient nuire. On examinera si la plaine n'est point sujette à des inondations qui compromettraient l'armée. La quantité de soldats et de bagages servira de base à la dimension du camp : ainsi, une multitude considérable ne sera point entamée dans un étroit espace, ni une poignée d'hommes obligée de s'étendre sur une surface disproportionnée. [1,23] CHAPITRE VINGT-TROISIÈME. Un camp aura une forme tantôt carrée, tantôt triangulaire, tantôt en demi-cercle, suivant les circonstances ou la nature des lieux. La porte, dite prétorienne, doit être tournée du côté de l'Orient ou vis-à-vis des positions de l'ennemi ; si l'on est en marche, elle sera placée en face du point de départ de l'armée ; c'est là que les premières centuries des cohortes dressent leurs pavillons et plantent les drapeaux et les enseignes. La porte, dite décumane, est située derrière le prétoire ; elle sert de passage aux soldats délinquants condamnés à subir une peine. [1,24] CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME. On connaît trois manières différentes de fortifier un camp. S'il n'y a pas de danger à craindre, on coupe sur toute la circonférence des mottes de terre gazonnées, dont on forme une espèce de mur, haut de trois pieds au-dessus du sol, en ayant soin que le fossé, d'où l'on extrait les gazons, soit à l'extérieur en avant ; puis on ouvre une tranchée passagère de neufs pieds de large sur sept d'élévation. Mais quand l'ennemi se montre menaçant, il est à propos de garnir l'enceinte du camp d'un fossé régulier, qui ait en largeur douze pieds et neuf au-dessous de la surface du terrain. On rejette la terre de l'excavation sur des lits de fascines croisées ; ce qui donne quatre pieds de plus en hauteur : de la sorte la profondeur est de treize pieds, la largeur de douze. Au-dessus de toute, la circonférence, on plante des pieux d'un bois très fort que le soldat porte habituellement sur lui. Pour ce travail il importe d'avoir toujours sous la main hoyaux, bêches, paniers et autres objets nécessaires. [1,25] CHAPITRE VINGT-CINQUIÈME. C'est chose facile que de retrancher un camp en l'absence de l'ennemi. Mais s'il accourt avec des démonstrations hostiles, la cavalerie entière et la moitié de l'infanterie doivent se ranger en bataille pour repousser l'attaque, tandis que le reste de l'armée, en arrière, creusera des tranchées 'et élèvera des fortifications. Le héraut d'armes indique la tâche de la première centurie, celle de la seconde, de la troisième, jusqu'à l'achèvement complet des travaux. Ensuite les centurions visitent la tranchée et la mesurent ; ceux qu'ils reconnaissent coupables de négligence sont punis. Il est bon d'apprendre ces détails au conscrit, afin qu'il puisse, au besoin, construire des retranchements avec sang-froid, promptitude et précaution. [1,26] CHAPITRE VINGT-SIXIÈME, Il est rigoureusement nécessaire à la guerre d'habituer les soldats, par des exercices continuels, à garder en ligne l'ordre des rangs, pour qu'ils n'aillent pas se pelotonner, ni s'étendre en sens inverse du besoin. Resserrés, ils n'ont pas l'espace nécessaire pour combattre et s'embarrassent mutuellement ; tandis qu'épars et clairsemés, ils ouvrent passage aux tentatives de l'ennemi. Or, l'épouvante amène bientôt une confusion générale, lorsqu'une armée coupée en deux se trouve prise par derrière. On aura donc soin de conduire fréquemment les recrues au terrain de manœuvre, de les disposer en bataille selon l'ordre matricule, en les allongeant d'abord sur une seule ligne, exempte de sinuosité et de courbure ; chaque soldat distant l'un de l'autre à des intervalles égaux et réguliers. On leur prescrira ensuite de doubler tout d'un coup les rangs, de manière à conserver, en pleine attaque, l'ordre qui leur est habituel. En troisième lieu, on leur fera former brusquement le carré, puis le triangle, autrement dire le coin ; manœuvre presque toujours décisive à la guerre. On leur fera aussi former le cercle, disposition qui, dans le cas où l'ennemi aurait fait une trouée à travers les lignes, permet à une poignée d'hommes exercés de lui tenir tête, d'empêcher la déroute de l'armée entière et de prévenir ainsi de funestes résultats. Grâce à des leçons assidues, les jeunes conscrits parviendront à exécuter aisément ces mouvements divers sur le théâtre même du combat. [1,27] CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME. Une vieille coutume, sanctionnée par les décrets des empereurs Auguste et Adrien, a voulu que, trois fois par mois, cavaliers et fantassins fussent dressés à la promenade : c'est le terme qui désigne ce genre d'exercice. Les fantassins, avec armes et bagages avaient ordre de parcourir, au pas militaire, une distance de dix milles, et de revenir au camp, en ayant soin de faire, à pleine course, une partie du chemin. Les cavaliers, divisés par escadrons et en armes, exécutaient le même trajet, avec cette différence que, dans leurs manœuvres d'équitation, ils se mettaient tantôt à la poursuite, tantôt en retraite, puis revenaient à la charge avec une nouvelle impétuosité. Ces deux armes n'agissaient pas seulement en plaine ; il leur fallait encore gravir et descendre des pentes escarpées, afin qu'aucun accident de terrain, aucun obstacle de quelque nature qu'il fût, ne vint surprendre, au moment du combat, des hommes familiarisés d'avance avec tout ce qui constitue d'excellents soldats. [1,28] CHAPITRE VINGT-HUITIÈME. C'est avec le zèle du dévouement, invincible Empereur, que j'ai parcouru tous les écrivains militaires, pour réunir dans cet opuscule les préceptes relatifs au choix et à l'exercice des recrues, préceptes dont une application consciencieuse peut faire revivre dans l'armée les merveilles de l'antique bravoure. Non, la chaleur martiale n'a point dégénéré chez les hommes ; non, elle n'est point épuisée la terre qui a donné naissance aux Lacédémoniens, aux Athéniens, aux Marses, aux Samnites, aux Péligniens, ni même celle qui a engendré les Romains ! N'a-t-on pas vu les Épirotes briller longtemps de l'éclat des armes ? les Macédoniens et les Thessaliens, vainqueurs des Perses, porter la guerre jusque dans l'Inde ? Le Dace, le Mèse, le Thrace ont eu de tout temps une telle renommée guerrière, que les traditions de la Fable fixent chez eux le berceau de Mars. Il serait superflu de vouloir énumérer les talents militaires des diverses provinces, puisqu'elles sont toutes comprises sous la domination romaine. Mais le calme d'une longue paix a dirigé les uns vers les charmes du loisir, les autres vers les emplois civils. C'est ainsi que la pratique des exercices militaires, d'abord négligée, puis abandonnée, a fini par tomber un jour dans l'oubli. Cette situation, qui date du siècle dernier, n'a rien d'étonnant, si l'on songe qu'après la première guerre punique, une paix de vingt ans et plus, en supprimant l'habitude des armes, plongea dans un tel affaiblissement ces Romains, partout victorieux, qu'ils furent incapables, à la seconde guerre punique, de tenir tête à Hannibal. Après tant de consuls, de généraux, d'armées sacrifiées, ils ne parvinrent à ressaisir la victoire, qu'en possédant parfaitement la connaissance des exercices militaires. Ainsi donc, choisissons et instruisons sans cesse des jeunes gens ; d'ailleurs il est plus économique d'enseigner les armes aux siens que d'enrôler des étrangers à prix d'argent.