[7,0] DE LA LANGUE LATINE. LIVRE VII. 1. - - - La forme primitive disparaît; de sorte que, en perdant une ou plusieurs des lettres qui le composaient, un mot devient méconnaissable, et ne permet plus de retrouver, sous ses ruines, les traces de son origine. Il ne faut donc pas blâmer ceux qui, pour éclaircir la signification cachée d’un mot, y ajoutent ou en retranchent des lettres, de même que, pour aider les yeux à voir plus distinctement les petits ouvrages de Myrmécide, on les entoure extérieurement de soies noires. 2. Cependant, malgré les efforts des grammairiens pour réparer ce que le temps a détruit, les mots d’une origine obscure ne laissent pas d’être très nombreux. Si les poètes, qui ont conservé beaucoup de mots anciens, en avaient en même temps expliqué la signification primitive, la lecture de leurs ouvrages serait infiniment plus utile; mais, en vers comme en prose, il n’est pas possible de rendre raison de tous les mots; et même en lisant beaucoup, si la lecture n’est pas accompagnée d’une profonde étude de la grammaire, on ne doit pas espérer de faire de grandes découvertes. Un des plus savants grammairiens latins, Aelius, a essayé d’interpréter les Saliens; mais combien cette interprétation est superficielle! Que de mots anciens dont l’origine lui est restée cachée! 3. Cela n’a rien d’étonnant, puisque non seulement Epiménide, après avoir dormi pendant cinquante ans, ne fut reconnu, à son réveil, que par un petit nombre de personnes, mais encore Teucer (dans la tragédie de Livius) ne fut reconnu, après quinze ans, par aucun des siens. Or, qu’est-ce qu’un espace de quinze ans et même de cinquante ans, comparé à l’âge des mots poétiques? En admettant même que les chants des Saliens ne remontent pas au-delà du règne de Numa, nous ne comptons pas moins de sept cents ans. Comment oseriez-vous reprocher à un écrivain de ne pas connaître le quadrisaïeul ou le père du quadrisaïeul d’un homme célèbre, puisque vous-même vous ne sauriez nommer la mère de votre aïeul ou du père de votre quadrisaïeul? Or cette époque, où ne peut atteindre votre mémoire, touche à peine à la moitié du temps qui nous sépare de l’époque où furent composés les chants Saliens et les premiers essais de la poésie romaine. 4. Il faut donc, dans le jugement qu’on porte des étymologistes, voir plutôt ce qu’ils ont fait que ce qu’ils n’ont pas fait, leur savoir gré de ce qu’ils ont découvert, sans leur faire un reproche de ce qu’ils n’ont pu découvrir, puisqu’ils sont les premiers à déclarer qu’il n’est pas possible de rendre raison de tous les mots, dont, en effet, l’étymologie n’est pas toujours aussi claire que celle de medicina (médecine). Quoique je ne voie pas les racines du poirier, je puis dire néanmoins que la poire vient de la branche; la branche, de l’arbre; l’arbre, des racines. Ainsi l’étymologiste qui, sans savoir d’où vient equus (cheval), enseigne que equitatus (équitation, cavalerie) vient de equites (cavaliers); equites, de eques (cavalier); eques, de equus, ne laisse pas d’avoir fait beaucoup pour la science, et de mériter qu’on lui sache gré de son travail. J’essayerai donc de marcher sur ses traces. 5. Je rechercherai, dans ce livre, les origines des mots poétiques, en traitant 1° de ceux qui désignent les lieux; 2° de ceux qui désignent les choses qui sont dans les lieux; 3° de ceux qui désignent les temps; 4° de ceux qui désignent les choses qui se font dans le temps. Je m’occuperai aussi quelquefois, par digression, des mots que l’analogie et l’affinité me feront rencontrer sur mon chemin, en observant toutefois l’ordre distinct de ma quadruple division. 6. Je prends pour début le vers suivant: Unus erit, etc. : Il sera le seul que tu transporteras dans les temples azurés du ciel (templa). Templum se prend dans trois acceptions différentes, soit par rapport à la nature ou au ciel, soit par rapport aux auspices ou à la terre, soit par rapport aux enfers et par analogie. Dans l’ordre céleste, le mot templum a le sens que lui donne ce vers d’Hécube : Vastes temples des dieux, dont la voûte est ornée d’étoiles étincelantes. Dans l’ordre terrestre, il a celui qu’indique le passage suivant de Péribée : Il approche des âpres rochers, temple de Bacchus. Enfin, par analogie, il désigne le monde souterrain, comme dans ce vers d’Andromaque: Salut, temples achérusiens, profondes demeures de Pluton ! 7. Templum dérive de tueri (voir, regarder), et désigne proprement tout l’espace que peut embrasser la vue. C’est pourquoi le ciel a été appelé temple. De là ce vers : Le vaste temple de Jupiter Tonnant a tremblé. On peut le définir, avec Naevius : Un hémisphère azuré. On distingue quatre parties du ciel : la gauche ou orientale; la droite ou occidentale; l’antérieure ou méridionale; la postérieure ou septentrionale. 8. Le temple terrestre est l’espace désigné, par certaines paroles sacramentelles, pour l’observation du vol des oiseaux. Ces paroles ne sont pas les mêmes en tout temps et en tout lieu. Dans la citadelle, l’augure dit : Templa tescaque, etc. 9. Le temple, comme on le voit, était un espace limité par des arbres, et dans lequel l’observation augurale était circonscrite. De là templum (temple) et contemplare (contempler), qui ont pour racine tueri (regarder), et qui se lisent dans ce vers de la Médée d’Ennius: Contempla et templum, etc. Contempla et conspicare doivent donc être regardés comme synonymes. C’est pourquoi l’augure employait ces mots dans la consécration du temple appelé conspicio, laquelle consistait à déterminer l’espace où le regard (oculorum conspectus) était circonscrit. Cortumio , composé de cor (coeur) et de tueri (regarder), indique cette vue de l’urne, qui aide à celle des yeux (conspicio). [7,10] Tesca, qui suit le mot templa, suivant les interprètes des mots peu usités, a le sens de sancta (saint); mais cette interprétation est fausse; car la curie Hostilienne est un temple, et n’est pas sainte. Ce qui leur a fait penser qu’un temple est toujours saint, c’est que dans Rome la plupart des édifices religieux sont à la fois des temples et des lieux saints, et que certains lieux agrestes, consacrés à quelque divinité, sont appelés tesca. 11. On lit en effet, dans le Philoctète d’Accius : Qui es-tu, toi qui es venu dans ces lieux déserts et sauvages (tesca)? Accius définit ce mot dans les vers suivants : Tu vois les rivages solitaires de Lemnos, et les sanctuaires témoins des antiques mystères des Cabires. — Tu vois, au pied de ces collines, le temple de Vulcain, qui fut, dit-on, précipité du ciel dans cette île. — Là est la forêt fumante, d’où le feu a été dérobé pour être communiqué aux mortels. C’est donc avec raison qu’Accius a appelé ces lieux tesca; non pas à cause de leur sainteté, mais parce que, là où l’on célèbre des mystères, les assistants regardent (attuentur, d’où tuesca). 12. Tueri a deux acceptions : il signifie 1° défendre, comme dans ces deux passages d’Ennius : tueor te senex, etc.; — quis pater - - - tueri? 2° avoir soin de, protéger, comme dans bellum tueor, tueri villam: d’où vient que certaines personnes appellent le gardien d’un temple oedituus, et non oeditomus. Du reste, l’origine d’oeditomus a de l’analogie avec celle d’oedituus; car lorsque nous chargeons quelqu’un du soin de notre maison, nous lui disons : Tu domi videbis, comme Plaute, dans ce passage Aie soin de l’intérieur, surveille attentivement tout ce qui se passe. C’est ainsi que vestispica (femme de charge, qui a soin des habits et du linge) vient de vestis (vêtement) et de spicere (inspecter). C’est pourquoi templa et tesca viennent de tueri, mais avec la différence que j’ai signalée. 13. Extemplo, employé par Ennius dans ce vers : Extemplo acceptum, etc. : tue-moi SUR-LE-CHAMP avec mon fils, a la même racine. Il a la même signification que continuo (de suite), parce que tout temple doit être continu et n’avoir qu’une entrée. 14. Passons à ces vers d’Accius : Parcours le pôle, et les astres brillants qui composent les douze signes de la sphère céleste. Polus est grec, et signifie le cercle du ciel; ainsi pervade polum a le sens de vade g-peri g-polon (va autour du pôle). Signa et sidera sont synonymes : signa fait entendre que les constellations représentent quelque chose (significant) , comme la Balance, qui désigne l’équinoxe; sidera vient de insidere (être assis), parce que les astres reposent sur la voûte céleste. Signa indique encore les rapports que les astres ont avec la terre, comme signes de la grande chaleur ou de tout autre phénomène; ce qui a fait dire : La canicule est un signe funeste au troupeau. 15. Nous lisons dans un poète : Je parcourrai les sinuosités de la terre (anfracta). Anfractum est composé de ambitus (circuit) et de frangere (briser), et veut dire courbe c’est en ce sens que ce mot est pris dans les lois, qui ordonnent qu’il y ait huit pieds en ligne directe, et seize pieds in anfracto, c’est-à-dire en ligne courbe. 16. Ennius a dit: Ut tibi Titanis Trivia, etc. Titanis Trivia est Diane, appelée Trivia, ou de ce que les Grecs placent ordinairement sa statue dans les carrefours, ou de ce que la lune se meut en hauteur, en largeur et en longueur, et parcourt ainsi trois chemins (tres vioe) dans le ciel. Elle est surnommée Titanis, parce qu’elle a pour mère Latone, fille de Titan. Latone, dit Manilius, est née du Titan Coeus. On lit dans le même auteur : La chaste Latone, aimée de Jupiter, mit au monde deux dieux jumeaux (Apollon et Diane) dans l’île de Délos - - -. 17. O sancle Apollo, qui umbilicum, etc. Umbilicus est, dit-on, employé ici dans un sens métaphorique, et désigne le milieu de la terre, parce que le nombril est placé au milieu du corps humain. C’est une double erreur. Delphes n’est point placée au milieu de la terre, et le nombril n’est point placé non plus au milieu du corps humain. Ainsi, dans la figure qu’on appelle ? g-chtohn g-Pythagora (la terre de Pythagore), le centre du monde est placé au-dessous du nombril, dans la partie du corps qui distingue les deux sexes, et où l’homme reçoit la vie; de même que tout ce qui existe prend naissance au milieu du monde, c’est-à-dire sur la terre, qui est placée au centre de l’univers. En admettant même que la terre ressemble à une boule, Delphes n’en occupe pas le milieu. Il ne faut donc pas entendre umbilicus dans ce sens. Ce mot vient d’ g-omphalos, nom que les habitants de Delphes donnent à une éminence convexe qui s’élève dans une partie latérale du temple, et qui passe pour être le tombeau de Python. 18. On lit dans Pacuvius: Calydonia altrix terra, etc. La terre ou contrée de Calydon désigne ici, par synecdoque, l’Etolie entière, dont Calydon n’est qu’une partie, de même que Tusculum n’est qu’une partie de l’Etrurie; mais, par le privilège de la poésie, Pacuvius s’exprime ainsi, quoiqu’il n’y ait pas de contrée du nom de Calydon. 19. Mystica, qui se lit dans ce vers d’Accius : Mystica ad dextram, etc., est une épithète donnée aux mers dont il parle, par allusion aux mystères qui se célèbrent dans le voisinage avec une grande solennité. Areopagitoe (aréopagites), mot qui se trouve dans ce passage d’Ennius : Areopagitoe quidem, etc., dérive de Areopagus, nom d’un lieu d’Athènes où se rendait la justice. [7,20] Muses, qui foulez de vos pieds les cimes élevées de l’Olympe. Olympe, nom d’une montagne de la Macédoine, désigne chez les Grecs le ciel même. Cependant je crois que les Muses ont été appelées Olympiades, du nom de la montagne même, plutôt que du nom métaphorique du ciel; de même qu’elles doivent leurs surnoms de Libéthrides, Pimpléides, Thespiades, Héliconides, à divers autres lieux terrestres. 21. Dans ce passage: Hellespontum et claustra, Cassius fait peut-être allusion par le mot claustra au pont jeté par Xerxès sur l’Hellespont, qui fut alors, pour ainsi dire, fermé (clausus); ou plutôt au canal qui sépare l’Europe de l’Asie, et enferme les eaux de la Propontide dans une gorge étroite. 22. On lit dans Pacuvius : Liqui in Aegeo freto. Fretum (bras de mer) vient de fervere (bouillonner), parce que les flots sont souvent agités dans les détroits et les bras de mer. Aegeum, de aeges (chèvres), nom donné à certains rochers de la mer Égée, à cause de leur ressemblance avec une tête de chèvre. 23. Ferme aderant oequore, etc. La mer a été appelée oequor, parce que sa surface est unie (oequatum) quand le vent ne souffle pas. Le poète a voulu désigner par rates de longs navires, de même que Naevius dans le passage suivant: Non ferre queant ratem, etc. Les navires longs ont été appelés rates à cause des rames, qui s’étendent de chaque côté sur les flots, et semblent former deux radeaux (rates); car ratis, dans le sens propre, signifie radeau ou train de bois. C’est ce qui a fait donner le nom de ratiarioe aux petits navires qu’on fait voguer avec des rames. 24. - - - Agrestis (champêtre), de ager (champ). Les victimes, dites infulatoe, étaient ainsi appelées à cause du voile de laine, nommé infula, dont on les couvrait - - -. 25. In cornuatam tauram, etc. Cornuata dérive évidemment de cornu (corne); cornu , de curvor (courbure), parce que la plupart des cornes sont recourbées. 26. Apprends que nous avons donné aux Muses le nom de Casmenoe. Casmenoe est un ancien mot qui s’écrivait ainsi originairement. Carmenoe, qui a cours ailleurs, a la même origine. Dans beaucoup de mots anciens, la lettre s a été remplacée par la lettre r, comme on peut le voir dans ce passage du chant des Saliens : Cozeulodoizeso; omnia vero, etc. 27. - - - On dit aujourd’hui foederum pour foedesum, plurima pour plusima, meliorem pour meliosem, arenam pour asenam, janitor pour janitos. C’est ainsi que casmena est devenu carmena, d’où carmina, carmen (vers, poème). Enfin la suppression de l’r a produit camena. De ce mot est issu canite (chantez), qu’on trouve écrit cante dans ce vers des Saliens : Divum empta cante, etc. 28. On lit dans le poème intitulé Priam: Veteres Casmenas caseum rem, etc. Caseus est un mot sabin, qui veut dire vieux, et qui a passé dans la langue osque. Cette signification est confirmée par ce vers d’Ennius : Quam prisci casci, etc., et par ce passage de Manilius : Cascum duxisse cascam, etc. : Il n’est pas étonnant qu’un vieillard ait épousé une vieille : Caron présidait au mariage. On en trouve encore la preuve dans cette épigramme de Papinien contre un jeune homme nommé Casca : Il est ridicule, jeune fils de Potonius, d’entendre ta vieille maîtresse t’appeler Casca. Appelle-la petite fille: ainsi un âne grattera l’autre; car tu es un enfant; et ta maîtresse, une décrépite. 29. Je citerai en outre, à l’appui de cette étymologie, le mot Casinum, nom d’une ancienne ville habitée par les Samnites, peuple issu des Sabins, et par lequel on désigne encore aujourd’hui l’ancien forum. Dans plusieurs atellanes un vieillard est appelé casnar, nom osque. [7,30] On lit dans Lucilius : Quid tibi ego ambages, etc. : A quoi bon te décrire les voies détournées d’Ambivius? Ambages (détours) a pour racine ambe (autour), comme ambitus (circuit, ambition) et ambitiosus (ambitieux). 31. On lit dans Valérius Soranus : C’est un vieil adage (adagio,) ô P. Scipion. Adagio est tellement tombé en désuétude, que le mot grec g-paroimia, qui l’a remplacé, est plus significatif. Au reste, ils désignent tous les deux une maxime vulgaire, comme: Je tiens le loup par les oreilles. — Les chiens ne se mangent pas entre eux. Adagio est une altération d’abagio, mot dérivé d’ambire (entourer), parce qu’un proverbe est toujours accessoire, et cité à l’appui de ce qu’on dit. Adagio a, dans sa composition, quelque ressemblance avec adustum (cuit autour), et me remet en mémoire la victime appelée ambiegna par les augures, qui était une génisse, autour de laquelle on immolait des agneaux. 32. Il y a trois parties qu’il faut étudier simultanément dans l’origine des mots : 1° la chose d’où le mot est tiré; 2° la chose que ce mot sert à désigner; 3° et enfin le mot lui-même. Or, il arrive souvent qu’on est aussi embarrassé sur le troisième point que sur le premier. Par exemple, a-t-on dit originairement canis ou canes? car nous voyons que les anciens disaient canes au singulier, pour désigner un chien : témoin ce passage d’Ennius: Tantidem quasi feta CANES, etc.; et cet autre de Lucilius: nequam - - - immanis CANES ut. On a dû dire originairement canis au singulier, et canes au pluriel; mais Ennius qui a dit canes au singulier, et celui qui dit aujourd’hui canis caninam non est, proverbe que j’ai cité plus haut, sont irrépréhensibles, et absous par l’usage. Canis dérive de canere, parce que les chiens comme des trompettes (ut signa canunt) donnent le signal par leurs aboiements. Latratus (aboiement), de latere, parce qu’ils avertissent pendant la nuit de ce qui est caché dans les ténèbres. 33. De même qu’on voit quelquefois canes au singulier, on rencontre aussi trabes au lieu de trabs (poutre, et, au figuré, navire, arbre), comme dans ce vers: TRABES remis, etc.; et dans ce passage d’Ennius: utinam ne in nemore - - - ad terram TRABES. 34. On lit dans le Medius: Coelitum camilla, etc. Camilla, suivant les glossateurs (interprètes des mots peu usités), a le sens de administra (intendante). Eclaircissons, en passant, d’autres mots analogues, qui ont quelque obscurité. On appelle camillus celui qui, dans les noces, porte la corbeille de la mariée, dont la plupart des autres serviteurs ignorent le contenu. De là le nom de Casmilus, donné dans la Samothrace à un ministre particulier des mystères des grands dieux. Je crois que ce mot est d’origine grecque, pour l’avoir rencontré dans les poèmes de Callimaque. 35. On lit dans Ennius : subulo quondam, etc. Subulo, nom des joueurs de flûte chez les Tusques, dont il faut par conséquent chercher la racine dans l’Etrurie, et non dans le Latium. 36. Versibus quos... Fauni vatesque, etc. Fauni, dieux des Latins, qui sont Faunus et Fauna. Suivant la tradition, ils habitaient les bois, et prédisaient l’avenir dans des vers qu’on appelle saturniens; ce qui les a fait appeler Faunes, de fari (dire). Vates, nom donné anciennement aux poètes, dérive de versus (vers) et de viere (lier), comme je le démontrerai en parlant des poètes. 37. Corpore Tartarino, etc. Tartanino (infernal , horrible), de Tartarus (Tartare), un des quatre fleuves des enfers, dont Platon fait mention. Ce nom est par conséquent d’origine grecque. Paluda (vêtue pour la guerre), de paludamenta (insignes et ornements militaires). De la paludatus (équipé pour la guerre), en parlant du général qui part pour la guerre, après que les licteurs l’ont revêtu des insignes du commandement, et que la trompette a donné le signal. Paludamentum a pour racine palam, parce que ceux qui portent ces insignes se trouvent mis en vue (fiunt palam) et attirent les regards. 38. Plaute a dit : Epeum fumificum, etc. Epeus fumificus, notre Épéus de cuisine, par allusion au célèbre Epéus qui construisit le cheval de bois et préparait le dîner des Atrides. 39. On lit dans Naevius : Atque prius... Lucam bovem. On explique de deux manières l’origine de luca bos (éléphant). Je lis dans un ouvrage de Cornélius : Lucas vient de Libyci (Libyens) ; et dans Virgile: Lucas vient de Lucani (Lucaniens), parce que le boeuf était le plus grand quadrupède que connussent les Romains, et qu’en voyant, dans la Lucanie, les éléphants de l’armée de Pyrrhus, ils donnèrent le nom de Luca bos à ces quadrupèdes, qui leur étaient inconnus, et qu’ils prirent pour des boeufs de Lucanie, à cause de leurs cornes; car les prétendues dents de l’éléphant sont de véritables cornes. [7,40] Si Luca dérivait de Libya, pourquoi ne donnerait-on pas le même nom aux panthères et aux lions, que nous appelons bêtes d’Afrique ? De même, si Luca venait de Lucani, pourquoi donne-t-on le nom de Lucani aux ours, et non pas celui de Luci? Je pense donc que Luca vient de lux (lumière), parce que les éléphants reluisaient au loin (relucebant), à cause de l’or des boucliers de Pyrrhus, dont les tours que portaient ces animaux étaient ornées. 41. On lit dans Ennius : Orator sine pace redit, etc. Orator, de oratio (discours), désigne l’orateur qui haranguait publiquement celui vers lequel il était député. Lorsque l’affaire était importante, on choisissait pour orateurs ceux qui savaient le mieux débattre une question. C’est pourquoi Ennius a dit: oratores doctilo qui. 42. Dans cet autre vers d’Ennius : olli respondet, etc. olli a le sens de illi (à lui), et vient de olla (elle, cette) et de ollus (il, lui, cet), dont l’un est employé dans les comices par le héraut : olla centuria, au lieu de illa centuria; et l’autre, dans l’annonce des funérailles: ollus (ille) leto datus est. Letum (mort) vient du mot grec g-lehtheh (oubli). 43. On lit dans le même poète: Mensas constituit idem que ancilia. Ancilia (bouclier), de ambecisus, parce que ces boucliers sont échancrés (incisa) des deux côtés (ambo), comme ceux des Thraces. 44. Libaque, fictores, etc. Liba (gâteaux sacrés), de libare (offrir aux dieux). Fictores (ceux qui faisaient ces gâteaux), de fingere (former, façonner). Argei (Argiens), de Argis (Argos) : c’étaient les simulacres en joncs de vingt-quatre Argiens, que les prêtres jetaient publiquement tous les ans du pont Sublicius dans le Tibre. Tutulati, nom de ceux qui, dans les sacrifices, portent sur la tête quelque chose qui ressemble à une pyramide, et qu’on appelle tutulus, soit parce qu’on donne ce nom à la touffe de cheveux, liée par une bandelette, qui surmonte la tête des dames romaines, soit parce que cette espèce d’ornement protège la chevelure (tuetur), soit enfin parce que la citadelle (arx), qui est la plus haute partie de la ville, est appelée tutissimum (lieu très sûr). 45. Numa Pompilius, dont Ennius parle dans le passage cité, créa les flamines, qui tous ont emprunté des surnoms aux noms des dieux, au culte desquels ils furent attachés; mais, de ces différents surnoms, les uns ont une origine manifeste, comme Martialis et Quirinalis, et les autres une origine obscure, comme la plupart de ceux qui sont mentionnés dans ces vers : Volturnalem, Palatualem, etc. Ils dérivent de Volturnus, de Palatua, de Furrina, de Flora, de Falacer, et de Pomona. 46. On lit encore dans Ennius : Jam cata signa, etc. Cata, mot usité chez les Sabins, a le sens de acuta (aigu, fin). C’est pourquoi, dans ce passage : catus Aelius Sextus, catus signifie acutus (fin), et non sapiens (sage, savant), comme on le croit communément. De même, dans cet autre passage : tum cepit --- cala dicta, il faut entendre cata dicta dans le sens de acuta dicta (paroles fines, ingénieuses). 47. On lit dans Lucilius: Quod thynno, etc. ces différents noms : thynnus (thon), cobium (peut-être goujon), saperda, silurus (silure), rete, amia (poisson de mer qui va en troupe), sont d’origine grecque. 48. On lit dans Ennius : Quoe cava, etc. Cava cortina désigne l’hémisphère, dont la forme rappelle la courtine d’Apollon. Cortina (courtine) dérive de cor (coeur, âme), parce que les premiers oracles ont dû être des inspirations de l’âme. 49. Le même poète a dit : Quin inde, etc. Perduellis au sens de hostis (ennemi). Perduellum (guerre) est un mot composé, comme perfecit, dont la préposition augmente la signification. De duellum, qui est le même mot sans préposition, on a fait bellum, de même que de Duellona, Bellona (déesse de la guerre). [7,50] On lit dans Plaute : Neque jugula, etc. Jugula, constellation qu’Accius nomme Orion, composée de trois étoiles qu’on appelle la tête, et de deux autres étoiles placées au-dessous, qu’on appelle les épaules, et qui sont séparées des trois premières par une espèce de cou (jugulum) ce qui a fait donner à cette constellation le nom de Jugula. Vesperugo (étoile du soir), de vesper (soir), qui est même le nom qu’Opilius donne à cette étoile : Vesper adest (l’étoile du soir se lève). Les Grecs la désignent sous le nom de g-diesperion. 51. Naevius a dit: Patrem suum, etc. Supremum (suprême), de superrumus (très haut). On trouve ce mot dans les Douze Tables : Que le coucher du soleil détermine le dernier temps du jour (suprema tempestas). Les augures disent tempestus au lieu de tempestas. Dans leurs livres, tempestus désigne la fin de l’auspice. 52. Dans la comédie intitulée Cornicularia, Plaute a dit : Qui regi latrocinatus, etc. Latrones (satellites), de talus (côté), parce que ces gardes marchaient aux côtés du roi, et portaient un glaive le long des flancs. Ils furent dans la suite appelés stipatores, de stipare (presser, accompagner). Latrones désignait aussi les militaires à la solde, par dérivation du mot grec g-latron (solde). Les anciens poètes donnent quelquefois ce nom aux hommes de guerre (milites), parce qu’ils portent également un glaive au côté ou parce qu’ils sont cachés (latent) lorsqu’ils se tiennent en embuscade. 53. On lit dans Naevius : Risi egomet, etc. Cassabundum (qui chancelle), de cadere (tomber). Diabathra (pantoufles), et epicroco (habit couleur de safran), dont s’est servi le même poète, sont deux mots grecs, dont les racines sont g-diabainein (marcher) et g-krokos (safran). 54. On lit dans les Ménechmes: Inter ancillas - - - carere (carder), qu’on trouve aussi dans une pièce de Naevius, vient de carere (manquer, être privé de), parce qu’on est dans l’usage de nettoyer et de tisser la laine, afin qu’elle soit dégagée (careat) de toute ordure: d’ouest venu également le mot carminare (carder, peigner la laine). Le mot osque asta, qu’on trouve dans le Romulus de Naevius, ne veut pas dire lana (laine). 55. On lit dans la Persane: Jam pol ille, etc. Congerro (camarade), du mot grec gerra (claie ou bouclier d’osier), en latin cratis. 56. On lit dans les Ménechmes : Idem istuc, etc. Adscriptivi , soldats supplémentaires, qui remplaçaient autrefois ceux des soldats en exercice qui venaient à périr: de adscribere (inscrire en sus). 57. On lit dans le Trinummus Nam illam tibi, etc. Ferentarium (qui ne se fait pas attendre), de ferre (porter), c’est-à-dire vide et sans fruit; ou de ce que les cavaliers armés à la légère étaient appelés ferentarii. J’ai vu dans un ancien temple d’Esculape des peintures qui représentaient des soldats armés de cette sorte, et désignés, dans l’inscription, sous le nom de ferentarii. 58. On lit dans la comédie intitulée Frivolaria : Ubi rorarii estis? etc. Rorarii (soldats qui escarmouchaient avant que le combat fût engagé), de ros (rosée), parce que la rosée ou pluie fine précède ordinairement une grande pluie. Accensi, suivant Caton, a le sens de ministratores (serviteurs) : ce mot vient probablement de accio (faire venir), parce que le maître agit par l’entremise de son serviteur. 59. On lit dans Pacuvius : Quom deum triportenta.... [7,60] On lit dans le Mercator: Non tibi, etc. Dividia (chagrin), qu’on trouve aussi dans le Corollaria de Naevius, vient de dividere, parce que la douleur divise et arrache l’âme; ce que le même poète développe dans le Curculio: Qu’as-tu donc? tu souffres de la rate et des reins, tes poumons sont déchirés (distrahuntur). 61. Dans le Phago : Honos syncerasto, etc. Syncerastum (ragoût), d’un ancien mot grec. 62. Dans le Parasite paresseux : Domum ire coepi tramite, etc. Trames (chemin de traverse), de transversus. 63. Dans les Fugitifs : Age respecta, vide vibices, etc. Vibices (marques de coups de fouet), de verbera. 64. Dans le Cistellaria: Non quasi nunc, etc. Limax (limaçon), de limus, parce qu’il vit dans le limon. Diobolares, etc. Diobolares (du prix de deux oboles), de duo et de obolum. Schoenicoloe (courtisanes qui se servaient de parfum fort commun), de schoenum (mauvaise pommade faite de racine de jonc). Miraculoe (femmes monstrueuses), de mirus (monstrueux): d’où mirio, nom que le poète Accius donne aux personnes laides et contrefaites. 65. Dans la même comédie : scratioe, etc. Scratioe (la lie des courtisanes), de excreare (cracher). Scrupipedoe (qui a peine à marcher), de scauripeda (boiteux), suivant Aurélius. Ce mot, d’après le poète comique Juventius, viendrait du nom d’un petit ver velu, qui a une multitude de pattes, et qui vit de feuillage. Valérius lui donne pour racines pes (pied) et scrupeus (pierreux, raboteux) Strittabillas (qui traîne les pieds en marchant), de strittilare, diminutif de strittare (se tenir avec peine sur ses pieds). 66. Dans l’Astraba: Axitiosoe annonam, etc. Axitiosoe (qui conspire, intrigant), qu’on trouve aussi dans le Sitellitergus et dans Claudius, de agere (agir). De même que factiosa (factieux) vient de facere (faire) et de una (ensemble), ainsi actiosoe et axitiosoe viennent de agere et de una. 67. Dans le Cesistio: da stribula, etc. Stribula désigne, suivant Opilius, la chair du haut des cuisses de boeuf : ce mot est d’origine grecque. 68. Dans le Nervolaria : Scobina ego, etc. Scobina (lime), de scobs (limaille). 69. Dans le Poenulus : Vinceretis cervum, etc. Gralator (qui va sur des échasses), de gradus (pas) et de magnus (grand). [7,70] Dans le Truculentus : Sine virtute, etc. Proejica désigne, suivant Aurélius, la pleureuse à gages, qui, dans les funérailles, chantait, devant la maison mortuaire, les louanges du défunt. Aristote parle de cet usage dans le livre intitulé g-Nomima g-Barbarika (coutumes étrangères). Naevius y fait allusion dans ce passage Hoec quidem, hercle, opinor, proefica est, etc. Suivant Claudius, proefica dérive de proeficere, parce qu’on prescrivait aux servantes le mode du deuil. Les deux exemples que j’ai cités prouvent que ce mot vient de proefectio (prescription). 71. Ennius a dit: Decem coclites, etc. Codes (borgne), de oculus (oeil), comme qui dirait odes. On lit, en effet, dans le Curculio : Tu es sans doute de la famille des Coclès; car les coclès n’ont qu’un oeil (unoculi). 72. Je passe aux mots relatifs aux temps. On lit dans Cassius : Nocte intempesta, etc. Intempestus (inopportun pour agir), de tempestas, qui dérive de tempus (temps). 73. Quidnoctis, etc: Où est en ce moment le char de la nuit? Le Timon (constellation) entraîne les étoiles dans les hauteurs du ciel. Le poète a voulu désigner une heure avancée de la nuit; mais pourquoi la constellation dont il parle est-elle appelée Temo? C’est ce que je ne saurais dire précisément. Je suppose qu’anciennement les gens de la campagne ont remarqué particulièrement certaines constellations, qui leur paraissaient propres à déterminer le temps de la culture ou de tout autre travail champêtre. 74. Ce qui me confirme dans cette opinion, c’est qu’Homère et les Grecs appellentg-Hamaxa (le Chariot) la constellation boréale, qui se compose de sept étoiles, et g-Boohtehs (le Bouvier), la constellation voisine; et que les Latins appellent boves (boeufs), temo (timon) et axis (axe), les différentes parties de la constellation que les Grecs nomment le Chariot. Les laboureurs appellent encore aujourd’hui triones les boeufs employés au labour; et de même valentes glebarii désignent les boeufs robustes qui labourent facilement la glèbe. Ainsi triones, contraction de terriones, dérivé de terra (terre), désigne en général les boeufs de labour. 75. Temo (timon) dérive de tenere, parce que le timon soutient le joug. Plaustrum (chariot) désigne, par synecdoque, la constellation entière, qui doit peut-être aussi le nom de triones à sa forme triangulaire. 76. Ajax, quod lumen, jubarne, etc. Jubar (étoile du matin, appelée Lucifer) dérive de juba (crinière du lion), parce que sa lumière est rayonnante. Son lever annonce la fin de la nuit; ce qui a fait dire à Pacuvius : Au lever de Lucifer, à l’heure où la nuit achève sa carrière. 77. On lit dans le Parasite paresseux de Plaute : Inde hic - - - crepusculo. Crepusculum (crépuscule), mot sabin, qui désigne le moment où l’on doute s’il fait jour ou s’il fait nuit : ce qui a fait dire au même poète, dans le Condalius: Tam crepusculo, etc. De là encore res crepero. (choses douteuses.) 78. Dans le Trinummus : Concubium sit noctis, etc. Concubium (temps le plus calme de la nuit), de concubare (être couché.) 79. Dans l’Asinaria: Videbitur... huc conticinio. Conticinium (le temps le plus silencieux de la nuit) vient probablement de conticiscere (garder un silence général), ou, suivant Opilius, de conticere, conticui, verbe synonyme. [7,80] Je vais maintenant m’occuper des mots qui désignent ce qui se dit ou se fait à de certaines époques du temps. On lit dans Accius : Reciproca tendens, etc. Reciprocus (qui retourne au lieu d’où il est venu dérive de recipere (reprendre), ou de procare, qui a le sens de poscere (demander). 81. Dans Plaute : Ut transversus non proversus, etc. Proversus désigne celui qui va directement vers un lieu, de même que prodire et procedere désignent l’action d’aller directement vers le vestibule pour sortir de la maison. Or, comme l’homme dont il s’agit (leno, celui qui tient une maison de prostitution) marchait obliquement le long de la muraille, Plaute a dit : il marche obliquement (transversus) comme une écrevisse, et non droit devant lui (proversus) comme un homme. 82. Dans Ennius : Le nom d’Andromaque est un nom bien approprié à celle qui le porte. — C’est pourquoi Pâris est appelé maintenant Alexandre par les bergers. En voulant imiter Euripide dans des allusions étymologiques, Ennius s’est fourvoyé; car dans Euripide, qui écrivait en grec, les étymologies sont manifestes. Le nom d’Andromaque, dit-il, dérive de g-andri g-machetai (elle lutte contre les hommes); mais comment reconnaître cette étymologie dans le vers d’Ennius que j’ai cité : Andromachoe nomen, etc.? et comment se rendre raison, dans le même auteur, du nom d’Alexandre substitué à celui de Pâris, et deviner que ce nom, comme celui d’Alexicacos, donné à Hercule, veut dire défenseur des hommes? 83. On lit dans Accius : Jamque auroram rutilare, etc. Aurora (aube du jour), de aurum (or), parce que l’aurore est un reflet de la lumière dorée du soleil. Rutilare (briller) a la même origine. De là rutilae, pour désigner les femmes qui sont très rousses. 84. On lit dans Térence : Scortatus, potat, etc. Scortari (fréquenter les femmes de mauvaise vie) dérive de scortum, ancien mot qui voulait dire peau, et qui désigne actuellement les prostituées. On appelle même encore aujourd’hui scortea des vêtements de cuir et de peau. On voit écrit dans quelques temples : Qu’on n’apporte ici ni cuir ni aucune autre dépouille de corps mort. On peut remarquer dans les atellanes que les paysans se servent de pellicula (petite peau), au lieu de scortum, pour désigner une courtisane. 85. On lit dans Accius : Multis - - - numenque ciendo. Numen (puissance, divinité) dérive de nutus (signe de tête). Numina désigne les êtres auxquels on attribue une souveraine puissance, comme Jupiter, qui, dans Homère et quelquefois dans Livius, ébranle le ciel et la terre par un signe de tête (nutus). 86. On lit dans Plaute : Si unum epityrum, etc. Epityrvmn, aliment dont l’usage est fort commun en Sicile. Plaute s’est servi du mot insane pour indiquer l’avidité excitée par la vue de ce mets, parce que les fous (insani) font tout avec impétuosité. 87. On lit dans Pacuvius : Flexanirna tanquam lymphata, etc. Lymphatus (fanatique, transporté de fureur), de lympha, dérivé de nympha, dont la lettre n a été remplacée par la lettre l, de même qu’Ennius a dit Thelis au lieu de Thetis, en grec g-Thetis. De g-nympholehptos, qui signifie frénétique, ému d’une horreur divine, nous avons dit lymphatus. Bacchus ou Liber, dont les compagnes ont été appelée bacchantes. De là aussi baccha (vin), usité en Espagne. 88. L’origine de tous ces mots est grecque, ainsi que celle d’alcyon, qu’on trouve dans ce vers de Pacuvius : Alcyonis ritu, etc. Alcyon est le nom d’un oiseau, nommé par les Grecs g-alkyohn, et par nous alcedo. Nous avons appelé alcyonii les jours d’hiver où l’on dit que cet oiseau fait son nid sur la mer pendant qu’elle est calme. Alcyonis ritu, c’est-à-dire alcyonis instituto, à la manière de l’alcyon, par un emploi métaphorique de ritus, qui, au propre, signifie coutume religieuse. Ainsi l’aruspice enjoint à chacun de sacrifier suo quisque ritu (selon sa coutume particulière); ainsi nous disons que les seize prêtres sibyllins sacrifient groeco ritu, non romano (à la manière des Grecs, et non des Romains). Une chose est faite rite, c’est-à-dire d’une manière fixe et convenable, comme on peut l’induire de ce passage d’Accius : recte perfectis sacris, etc. 89. On lit dans Ennius : Si voles... comiter monstrabitur. Comiter (obligeamment, gracieusement) vient du mot grec g-kohmos : d’où, en latin, comissatio (festin), et, en grec, suivant quelques auteurs, comodia. [7,90] On lit dans Atilius : Cape, coede, etc. Cape (prends), d’où accipere (recevoir). Je reviendrai sur ce mot dans le livre suivant. 91. On lit dans Pacuvius: Nulla res ne que cicurare, etc. Cicurare veut dire apprivoiser. Cicur désigne ce qui n’est point farouche, sauvage; ce qui explique cette expression : cicur ingenium obtineo (j’ai l’esprit traitable). De là encore le surnom de Cicurii donné aux Véturius, noble famille romaine. Cicur dérive probablement de ciccum (pellicule qui divise le dedans de la grenade). Cette origine donne l’interprétation de ce passage de Plaute: quod volt elenchum, etc.: Il me faut une preuve; je ne me tiens pas satisfait d’une réponse ambiguë (ciccum.) 92. On lit dans Naevius : Eccum venire video ferme, etc. Ferme a ici le sens qu’a aujourd’hui fere (presque). Ces deux mots dérivent de ferre (porter), parce que ce qui est porté est en mouvement et s’approche. 93. On lit dans Plaute : Evax jurgio, etc. Evax ne signifie rien : c’est une exclamation purement naturelle, comme dans ces passages d’Ennius : Hehoe, ipse clipeus cecidit; — Eheu, mea puella, etc., et dans cet autre de Pompilius : Heu, qua me causa, etc. Jurgium a le sens de lis (procès à l’occasion d’une chose contestée), dont on peut reconnaître la signification positive dans cette formule d’action : Quam rem sive mi litem, etc. On peut induire de là que jurgare dérive de jus (droit, justice), et signifie contester avec justice : d’où objurgare (reprocher justement). 94. On lit dans Lucilius : Atque aliquos ibus etc. Clepsere (prendre, dérober), d’où clepere, dont la racine est clam (en cachette), qui a dû d’abord donner naissance à clapere; puis, par suite du changement assez ordinaire de l’a en e, clapere est devenu clepere. Ce mot peut bien venir aussi du mot grec g-kleptein. 95. On lit dans Matius: Corpora Graiorurn. Mandier (être mangé), de mandere, d’où manducari, et Manducus (personnage des Atellanes de Dossenus). 96. On lit dans le même poète: Obscoeni interpres, etc. Obscoenus (de mauvais augure) dérive de scoena (scène) , ou, comme l’écrit Accius, scena, qui vient du grec g-skehneh. Ce mot est du nombre de ceux que les uns écrivent avec un a et un e, et les autres avec un e sans a, comme sceptrum ou scoeptrum (sceptre); foeneratrix, à l’exemple de Plaute, ou feneratrix (usurière); foenisicia ou fenisicia (fenaison). Les gens de la campagne écrivent Pappus Mesius, et non Moesius; ce qui a fait dire à Lucilius : Cecilius pretor ne rusticus fiat. Obscoenum signifie donc ce qui ne peut être dit publiquement que sur la scène. 97. Peut-être ce mot vient-il de scoevola, nom d’une espèce d’amulette qu’on suspend au cou des enfants. Scoevola vient de scoeva , qui a le sens de sinistra, parce que les auspices qui se prennent du côté gauche sont réputés favorables. De là sinistimus (favorable), vieux mot qui a la même signification que sinister, en parlant des comices ou de certaines autres choses. Scoeva dérive du mot grec g-skaia, qui a le sens du mot latin sinistra. Obscoenum omen veut donc dire, dans le vers que j’ai cité, un présage défavorable. Omen, contraction de osmen. 98. On lit dans Plaute: Quia ego antehac, etc. Crevi a le sens de constitui (j’ai résolu). De là cernere, en parlant d’un héritier qui se décide à accepter une succession, et crevisse, quand il l’a acceptée. 99. On lit dans le même poète: Mihi frequentem, etc. Frequens équivaut dans ce passage à assiduus (assidu, continuel), qui dérive de adesse (être présent à), et a pour corrélatif frequens, dérivé de ferre (porter). C’est pourquoi les paroles que Plaute prête aux mêmes femmes : Pot istoc quidem, etc., équivalent à celles-ci : Nous n’aurons point de peine à être assidues, puisque vous nous accueillez si bien. [7,100] On lit dans Ennius: Decretum fossari, etc. Fossari (être percé), de fodere (creuser, percer), d’où fossa (fosse). 101. Dans le même poète : Vocibus concide, fac is musset, etc. Mussare (parler bas, garder le silence), de µu, son inarticulé des muets, d’où mutus (muet) : ce qui a fait dire au même auteur, pour indiquer un silence absolu: ils n’osent même pas, comme on dit, proférer , c’est-à-dire, ils n’osent pas souffler. 102. On lit dans Pacuvius : Dei monerint - - - averruncassint. Averruncare (détourner), de avertere: d’où Averruncus, nom du dieu qui détourne de nous les malheurs, et qu’on invoque dans les dangers. 103. On lit dans l’Aulularia: Pipulo te, etc. Pipulum (injure), de pipatus (gloussement des poussins). Les cris des animaux ont donné naissance à beaucoup de mots, appliqués métaphoriquement aux hommes, dont les uns ont une étymologie manifeste, et les autres présentent plus de difficulté. Au nombre des premiers, je citerai latrare (aboyer), d’Ennius; gannire (glapir), de Plaute; dibalare (bêler), de Cécilius; rudere (rugir), ejulitare (hurler), et hinnire (hennir), de Lucilius. 104. Parmi ceux dont l’origine est moins manifeste, je citerai ululare (hurler, cri du loup), de Porcins; mugire (mugir, cri du veau); bovare (beugler, cri du boeuf); fremere (rugir, cri du lion); vagire (vagir, cri du chevreau), d’Ennius; fritinnire (gazouiller, cri de l’hirondelle), de Suétus; - - - fringutire (chanter comme le pinson), de Plaute; tritillare (caqueter comme les oiseaux), de Suétus. 105. On lit dans le Colax: Nexum - - -. Suivant Mamilius, nexum désigne une certaine formule d’aliénation qui se pratiquait avec la balance, l’argent à la main. Suivant Mutius, nexum désigne une obligation personnelle, contractée indépendamment de l’aliénation réelle. Cette explication est plus conforme à la nature du mot, qui veut dire lier, obliger. L’homme libre qui, ne pouvant payer son créancier, s’oblige à le servir, est appelé nexus, de même que celui qui est surchargé de dettes est appelé oboeratus (obéré), de oes, oeris (argent). Cet usage fut primé pendant la dictature de Visolus, sur la proposition de C. Poplilius; et il fut établi que ceux qui affirmeraient par serment qu’ils sont en état de parvenir à se libérer cesseraient d’être obligés. 106. On lit dans la Casina : Sine anet - - -delicuum est - -. Delicuum désigne ce qui n’a pas besoin d’être clarifié, au contraire des choses troubles. Suivant Aurélius, delicuum dérive de liquidus (pur); suivant Claudius, de eliquatus (liquéfié). Ces deux étymologies peuvent s’appuyer sur l’autorité d’Atilius : Per loetitiam liquitur animus (mon âme se liquéfie dans la joie). Liquitur vient de liquare. 107. La plupart des autres mots poétiques ne me semblent pas offrir beaucoup de difficultés, comme lingula gladii (lame d’épée), que je lis dans l’Hésione de Naevius, et qui vient évidemment de lingua (langue); vitulantes (s’abandonnant à la joie), qu’on trouve dans le Clastidius, et qui dérive de vitulus (veau); caperata frons (front ridé), qui se lit dans la pièce intitulée Dolus, et qui a pour racine capra (chèvre); persibus (très pénétrant), de pente (habilement, avec finesse), comme l’indique le mot callide, interpolé par les glossateurs dans le Démétrius; protinam (de suite), de protinus, dans le Lampadio; clucidatus (adouci), de suavis (doux), quoique les glossateurs lui donnent le sens de mansuetus (apprivoisé), dans le Nagido; consponsus (garant des fiançailles), dans le Romulus; proebia (amulette qu’on suspend au cou des enfants), de proebere (donner), dans le Stigmatias; confictant (composer), de confictus (participe de confingere), dans le Technicus. 108. Proelucidum (très brillant), de lux (lumière), dans la Tarentilla; exbolas (traits), du mot grec g-ekboleh), dans la pièce intitulée Tunicularia; sarrare, de serare (ouvrir) : d’où sera (verrou). 109. Mais comme je crains d’encourir plutôt le reproche d’avoir poussé trop loin cette énumération, que celui d’avoir omis certains mots, je crois devoir plutôt restreindre ce livre, que m’attacher à l’étendre davantage. Qui a jamais blâmé le moissonneur d’avoir laissé quelques épis à glaner après lui? J’ai entrepris, comme je vous l’ai dit, d’exposer en six livres l’origine des mots latins. De ces six livres, j’ai adressé les trois premiers à Septimius, qui fut questeur sous moi, et à vous les trois suivants, dont celui-ci est le troisième. Dans les uns j’ai traité des lois de l’origine des mots, et dans les autres de leurs origines proprement dites: examinant dans ceux-là ce qui a été dit contre, ce qui a été dit pour, et ce qui a été dit sur l’étymologie; et dans ceux que je vous ai adressés: 1° les origines des mots qui désignent les lieux, et les choses qui sont dans les lieux; 2° les origines des mots qui désignent les temps, et les choses qui se font dans les temps; 3° les origines des mots employés par les poètes, comme je l’avais fait dans les deux livres précédents pour ceux du langage prosaïque. Je me propose donc d’achever de parcourir le cercle que je me suis tracé dans l’étude de la langue latine, et qui embrasse trois parties : 1° les origines des mots; 2° les déclinaisons; 3° la syntaxe. Or, j’ai terminé ce qui regarde la première, et je passe à la seconde, c’est-à-dire aux déclinaisons.