[5,0] HISTOIRE DE L'ÉGLISE, écrite par Socrate - LIVRE CINQUIEME. PREFACE. Avant que de commencer le cinquième Livre, je prie ceux qui prendront la peine de lire cet ouvrage, de ne point trouver mauvais que j'y mêle des guerres dont j'ai été très bien informé. J'ai eu trois raisons d'en user de cette sorte. La première a été pour rapporter plus exactement toutes les choses, et pour en donner une connaissance plus parfaite. La seconde pour délasser les esprits qui se seraient ennuyés de ne voir que des disputes, et des contestations entre les Évêques ; et la dernière, pour faire voir combien l'Eglise se ressent des désordres de l'Etat. En effet quiconque voudra y faire une sérieuse attention, reconnaîtra aisément que les guerres qui ont ébranlé l'Etat, ont presque toujours été inséparables des troubles qui ont agité l'Eglise ; soit que ces guerres aient précédé ces troubles, ou qu'elles les aient suivis. Je ne saurais me persuader que ces changements et ces malheurs procèdent du hasard, et qu'ils ne soient pas plutôt ordonnés de Dieu pour punir nos péchés. Car, comme dit l'Apôtre, il y a des personnes dont les péchés sont connus avant le jugement et l'examen qu'on en pourrait faire; et il y en a d'autres qui ne se découvrent qu'ensuite de cet examen. Voila pourquoi j'ai mêlé plusieurs affaires de l'Empire, dans l'Histoire de l'Eglise. Je n'ai point parlé des guerres qui ont été faites sous le règne de Constantin ; parce que le temps en a effacé la mémoire, et m'a empêché de m'en informer, mais j'ai touché légèrement celles qui sont arrivées depuis, et j'en ai remarqué ce que j'en avais appris de ceux qui les avaient vues. J'ai toujours fait mention des Empereurs, parce que depuis qu'ils ont fait profession de la Religion Chrétienne, ils se sont rendus maîtres des affaires de l'Eglise, et ont disposé avec un pouvoir absolu des plus grands Conciles, comme ils en disposent encore aujourd'hui. Enfin j'ai rapporté beaucoup de choses de la secte des Ariens, parce qu'elle a extrêmement troublé la paix des Fidèles. [5,1] CHAPITRE PREMIER. Les Goths attaquent Constantinople. L''empereur Valens étant mort, sans que la manière de sa mort ait été jamais sue au vrai, les Goths s'approchèrent de Constantinople, et en ruinèrent les faubourgs. Les habitants ne pouvant souffrir cette insolence, s'armèrent à la hâte de tout ce qu'ils trouvèrent entre leurs mains. L'Impératrice Dominique leur fit distribuer leur paie comme à des soldats. Les Sarrasins que la Reine Mavia avait envoyés, servirent très utilement, et aidèrent fort à repousser les Goths. [5,2] CHAPITRE II. L'Empereur Gratien rappelle les Évêques Orthodoxes, et chasse les hérétiques. Il associe Théodose à l'Empire. Gratien étant maître de l'Empire avec le jeune Valentinen, condamna la cruauté que Valens son oncle avait exercée contre les Chrétiens, rappela ceux qu'il avait envoyés en exil, et ordonna que tous les Fidèles de quelque opinion qu'ils fussent, s'assemblassent dans la même Église, et vécussent dans la même communion. Il n'y eut que les Eunomiens, les Photiniens, et les Manichéens qui en furent exceptés. Ayant aussi reconnu que l'Empire s'affaiblissait, pendant que les étrangers se fortifiaient, il associa à la Souveraine puissance Théodose, issu d'une illustre famille d'Espagne, et qui avait acquis une si grande réputation par sa valeur, que tout le monde le jugeait digne de cet honneur, avant qu'il l'eût obtenu. L'ayant donc déclaré Empereur à Sirmich Ville d'Illyrie, sous le Consulat d'Ausone, et d'Olybrius, le seizième jour du mois de Janvier, il partagea avec lui le soin de la guerre qu'il méditait de faire aux Barbares. [5,3] CHAPITRE III. Évêques des principales Eglises. Damase qui avait succédé à Libère, gouvernait alors l'Eglise de Rome. Cyrille était encore assis sur la Chaire de celle de Jérusalem. Celle d'Antioche était divisée en trois partis. Les Ariens avaient pour Evêque Dorothée, qui avait succédé à Euzoïs. Les autres étaient sous la conduite, ou de Paulin, ou de Méléce, qui était revenu de son exil. Lucius quoique banni et absent, gouvernait les Eglises des Ariens d'Alexandrie. Et Timothée qui avait succédé à Pierre, était Evêque de ceux qui soutenaient, que le Fils de Dieu est Consubstantiel à son Père. Démophile successeur d'Eudoxe possédait les Eglises de Constantinople, et ceux qui avaient de l'éloignement de sa doctrine, s'assemblaient à part. [5,4] CHAPITRE IV. Les Macédoniens retombent dans leur première erreur. Depuis que les Macédoniens avaient député trois Evêques à Libère, ils jouissaient de la communion de l'Eglise, et étaient admis indifféremment dans les assemblées des Fidèles qui faisaient profession de tenir la doctrine du Concile de Nicée. Mais quand l'Empereur Gratien eut ordonné, que toutes les sectes se réuniraient dans la même communion, ils s'assemblèrent à Antioche, et résolurent de rejeter le terme de Consubstantiel, et de n'avoir plus aucune communion avec ceux qui tenaient ce qui avait été arrêté au Concile, dont je viens de parler. Néanmoins ce dessein-là ne leur réussit point, car plusieurs blâmant l'inconstance avec laquelle ils changeaient si souvent de sentiment, se séparèrent d'eux, pour se joindre à ceux qui soutenaient la Consubstantialité du Verbe. [5,5] CHAPITRE V. Sédition arrivée dans l'Église d'Antioche au sujet de Paulin, et de Mélèce. Mélèce donna lieu en ce temps-là à une grande contestation dans la Ville d'Antioche. Nous avons déjà dit que le respect que l'on eut de la vertu de Paulin, empêcha qu'il ne fût envoyé en exil. Quant à Mélèce, il fut rétabli par Julien, chassé par Valens, et enfin rappelé par Gratien. Lorsqu'il retourna, il trouva Paulin dans une extrême vieillesse ; et ceux qui favorisaient son parti firent tous leurs efforts pour se mettre avec lui sur le même Siège. Paulin ayant soutenu que les règles de l'Eglise ne pouvaient permettre qu'un Evêque ordonné par les Ariens, partageât le Siège d'un Evêque Catholique, le peuple l'établit par force dans une autre Eglise hors de la Ville. Ce nouvel établissement ayant ému une furieuse contestation, elle fut enfin apaisée à ces conditions. Le peuple ayant assemblé six Ecclésiastiques qui pouvaient prétendre à la dignité Episcopale, entre lesquels était Flavien, ils les obligèrent de promettre avec serment, que quand l'un des deux Evêques mourrait, ils ne demanderaient point sa place. L'accord fut fait de cette sorte, et très religieusement observé. Les Lucifériens se séparèrent des autres, en haine de ce que Mélèce qui avait été ordonné par les Ariens faisait les fonctions Episcopales.. L'Eglise d'Antioche étant en cet état, ce Mélèce fut obligé d'aller à Constantinople pour quelques affaires. [5,6] CHAPITRE VI. Grégoire est transféré de l'Eglise de Naziance à celle de Constantinople. L'Empereur Théodose reçoit le Baptême. Grégoire fut transféré en ce temps-là de l'Eglise de Nazianze à celle de Constantinople par le consentement unanime de plusieurs Évêques. Les Empereurs Gratien et Théodose ayant chacun remporté en ce temps-là une célèbre victoire, le premier retourna dans les Gaules où les Allemands faisaient le dégât ; et le second après avoir élevé un trophée, partit pour Constantinople. Quand il fut à Thessalonique, il y tomba dans une dangereuse maladie, qui lui fit souhaiter de recevoir le Baptême, car il avait été élevé dans la Religion Chrétienne, et tenait la doctrine de la Consubstantialité du Verbe. Ayant donc envoyé quérir Ascolius Evêque de cette Ville-là, il lui demanda de quel sentiment il était. L'Évêque lui ayant répondu que les nouveautés d'Arius n'étaient point venues jusqu'en Illyrie, et que les habitants de cette Province étaient toujours demeurés fermes dans la foi qui a été enseignée par les Apôtres, et depuis confirmée par les Pères du Concile de Nicée, il reçut de lui le Baptême avec joie. Ayant recouvré bientôt après sa santé, il retourna à Constantinople le quatorzième jour du mois de Novembre, en l'année de son premier consulat, et du cinquième de Gratien. [5,7] CHAPITRE VII. Grégoire se démet de l'Evêché de Constantinople. L'Empereur ordonne à Démophile Évêque des Ariens, ou de consentir à la Consubstantialité du Verbe, ou de sortir de la Ville. Grégoire ayant été transféré, comme nous avons dit, de Nazianze à Constantinople, faisait les assemblées dans un petit Oratoire, auprès duquel les Empereurs ont depuis élevé une grande Eglise qu'ils ont nommée Anastasie. Mais comme il était un des plus éloquents et des plus pieux de son siècle, il ne put apprendre que quelques Evêques se plaignaient de ce qu'il était étranger, sans prendre résolution de se retirer. L'Empereur étant venu sur ces entrefaites, et ayant trouvé l'Eglise en cet état, chercha le moyen d'y rétablir la paix. Il demanda à Démophile Evêque des Ariens, s'il voulait consentir à la doctrine du Concile de Nicée, et réunir le peuple. Démophile ayant rejeté cette condition, l'Empereur lui dit : puisque vous-vous éloignés de la paix, il faut aussi que vous vous éloigniez de l'Eglise. Cet Evêque ayant considéré combien il est difficile de résister aux puissances, assembla ceux de son parti, et s'étant mis debout au milieu d'eux, leur parla de cette sorte. Mes frères, il est écrit dans l'Evangile, si l'on vous persécute dans une Ville, fuyez dans une autre. Puisque l'Empereur nous chasse de la Ville, nous ferons demain notre assemblée à la campagne. Après avoir parlé de la sorte, il partit de Constantinople sans avoir jamais entendu cette parole de l'Evangile, dont le sens est que nous devons fuir la conversation du siècle pour rechercher la Jérusalem céleste. Il fit depuis ses assemblées hors de la Ville. Lucius qui comme nous l'avons dit avait été chassé d'Antioche, sortit avec lui de Constantinople. Les Ariens ayant refusé de la sorte de consentir à la paix, et à la réunion que l'Empereur Théodose leur proposait, furent chassés de Constantinople le seizième jour du mois de Novembre sous le cinquième Consulat de Gratien, et le premier de Théodose, après en avoir possédé quarante ans les Eglises où ceux qui tenaient la doctrine de la Consubstantialité du Verbe, furent ensuite rétablis. [5,8] CHAPITRE VIII. Concile de Constantinople. Ordination de Nectaire. L'Empereur assembla un Concile sans différer, tant pour confirmer la doctrine des Pères de Nicée, que pour ordonner un Evêque de Constantinople ; et parce qu'il ne désespérait pas de réunir les Macédoniens au reste des Chrétiens, il souhaita que leurs Evêques assistassent à l'assemblée. Il s'y trouva cent cinquante Evêques. Entre ceux qui tenaient la doctrine de la Consubstantialité du Fils de Dieu, Timothée Evêque d'Alexandrie, Cyrille Evêque de Jérusalem, qui avait changé de sentiment, et avait reconnu la Consubstantialité du Fils de Dieu, Ascolius Evêque de Thessalonique et plusieurs autres. Mélèce y avait été mandé dès auparavant pour l'installation de Grégoire. Il s'y trouva trente-six Evêques de la Secte des Macédoniens, qui pour la plus grande partie avaient leurs Eglises dans le Pont. Eleusius Evêque de Cyzique, et Marcien Evêque de Lampsaque étaient les deux plus considérables. Quand ils furent tous assemblés au mois de Mai, sous le Consulat d'Euchaire et d'Evagre, l'Empereur, et les Evêques de son sentiment firent tous leurs efforts pour porter les Macédoniens à se réunir à eux, en leur rappelant dans la mémoire la députation qu'ils avaient faite autrefois vers Libère Évêque de Rome, le long temps qu'ils avaient entretenu la communion avec eux, et en leur représentant combien ils avaient de tort de renoncer à une doctrine dont ils avaient reconnu la vérité. Mais de quelques raisons dont on pût user envers eux, ils aimèrent mieux faire profession de l'opinion d'Arius, que de reconnaître la Consubstantialité du Fils de Dieu. Après avoir pris cette résolution ils partirent de Constantinople, et écrivirent en diverses Villes à ceux de leur parti, qu'ils ne consentissent jamais à la doctrine du Concile de Nicée. Les Evêques de l'autre parti étant demeurés proposèrent d'élire un Évêque en la place de Grégoire, qui ayant, comme nous l'avons dit, renoncé au Siège de Constantinople, était prêt de partir pour Nazianze. A l'heure-même le peuple enleva Nectaire, et le fit ordonner par les cent cinquante Evêques. C'était un homme d'une humeur fort douce, bien qu'il eût la charge de Préteur. Outre cela ces Evêques ordonnèrent, que l'Évêque de Constantinople jouirait de l'honneur du premier rang après l'Evêque de Rome, en considération de ce que la Ville de Constantinople est la nouvelle Rome. Ils confirmèrent de nouveau la doctrine du Concile de Nicée. Ils établirent les Patriarcats, et les divisions des Provinces : De sorte qu'aucun Évêque ne pût rien faire à l'avenir dans le Diocèse d'un autre ; ce qui n'avait point été observé, à cause des persécutions dont la paix de l'Eglise avait été troublée. Nectaire eut en partage la Ville de Constantinople, et les Provinces de Thrace. Helladius successeur de Basile, Grégoire frère de Basile, et Evêque de Nyse en Cappadoce, et Otrée Evêque de Mélitine en Arménie eurent le Patriarcat du Diocèse de Pont. Amphilochius Evêque d'Icone, Optime Evêque d'Antioche en Pisidie, eurent le Patriarcat du Diocèse d'Asie. Le soin des Eglises d'Orient fut commis à Pelage Evêque de Laodicée, et à Diodore Evêque de Tarse, sans préjudice de la prérogative d'honneur qui fut réservée à Mélèce Evêque d'Antioche, et à ses successeurs. Les mêmes Évêques ordonnèrent, que le Concile de chaque Province terminerait les affaires qui surviendraient. Ces décrets furent confirmés par l'approbation et le consentement de l'Empereur. [5,9] CHAPITRE IX. Translation du corps de Paul, Evêque de Constantinople. Mort de Mélèce. L'Empereur fit alors transférer de la Ville d'Ancyre le corps de Paul, Evêque de Constantinople, que Philippe Préfet du Prétoire avait autrefois envoyé en exil, et fait étrangler dans Cucuse petite Ville d'Arménie, comme je l'ai rapporté en son lieu, et le fit mettre dans une Eglise qui a maintenant son nom, et que les Macédoniens possédaient lorsqu'ils étaient séparés des Ariens, au lieu qu'ils en ont été chassés depuis par l'Empereur pour avoir refusé de suivre son sentiment. Dans le même temps Mélèce Evêque d'Antioche tomba malade et mourut. Grégoire frère de Basile fit son oraison funèbre. Son corps fut porté par ses amis à Antioche. Ceux qui avaient suivi son parti élurent Flavien en sa place, au lieu de se soumettre à la conduite de Paulin ; et ainsi le peuple se divisa de nouveau en deux partis, non pour aucun différend touchant la soi, mais pour le choix des Évêques. [5,10] CHAPITRE X. L'Empereur assemble des Évêques de toutes les opinions. Les Novatiens ont permission de faire leurs assemblées dans Constantinople. Il y eut de grands désordres dans les autres villes lorsque les Ariens furent chassés de leurs Eglises ; je ne saurais assez admirer la prudence avec laquelle l'Empereur arrêta le cours de ces désordres, en assemblant les Evêques de toutes les sectes, dans la créance qu'en conférant, ils pourraient s'accorder ; et je me persuade, que la prospérité de son règne, fut la récompense du soin qu'il prit de procurer la paix de l'Eglise; En effet la divine Providence soumit dans le même temps à sa puissance les Nations étrangères. Atanaric Roi des Goths se vint rendre à lui avec ses sujets, et mourut bientôt après à Constantinople. Le seizième jour du mois de Janvier, et sous le Consulat de Mérobaude, et de Saturnin, Arcadius fils dé Théodose fut proclamé Empereur. Au mois de Juin sous le même Consulat, l'Empereur envoya quérir Nectaire, conféra avec lui des moyens de réunir l'Eglise, et lui témoigna qu'il ne croyait pas que l'on pût jamais terminer les contestations qui la divisaient, que l'on n'eût auparavant expliqué très clairement les questions qui leur servaient de matière. Comme cette proportion donnait de l'inquiétude à Nectaire, il la communiqua à Agelius Evêque des Novatiens, qui était de même sentiment que lui, touchant la Trinité. C'était un homme de grande piété, mais qui n'avait pas assez d'éloquence pour entreprendre de défendre la vérité de la foi. Au lieu donc de porter la parole, il choisit pour cet effet Sisinnius son lecteur, homme éloquent, intelligent dans les affaires, savant dans la sainte Ecriture, et dans les sciences profanes : Mais parce que ce Sisinnius savait que les disputes, bien loin de réunir les esprits en ôtant le schisme qui les divise, ne font que les éloigner davantage en augmentant l'opiniâtreté de ceux qui sont dans l'erreur ; il conseilla à Nectaire d'éviter tous les combats de paroles, et de produire les témoignages des anciens Ecrivains, qui ayant toujours tenu le Fils éternel comme son Père, n'avaient eu garde de reconnaître qu'il eût eu aucun commencement de son existence, et de persuader à l'Empereur de demander aux chefs de chaque secte, s'ils faisaient quelque état des Docteurs qui avaient fleuri dans l'Eglise avant le schisme, ou s'ils rejetaient absolument leur autorité: S'ils rejettent leur autorité, ajouta Sisinnius, qu'ils prononcent aussi anathème contre leurs personnes, et alors ils seront chassés par le peuple, et la vérité demeurera victorieuse. Que s'ils n'osent rejeter leur autorité ce sera à nous à ouvrir leurs livres, et à produire leurs témoignages. Sisinnius n'eut pas sitôt donné ce conseil là Nectaire, qu'il alla le proposer à l'Empereur qui l'exécuta avec toute la prudence qu'on saurait jamais désirer. Car sans découvrir son intention aux chefs des sectes, il se contenta de leur demander s'ils faisaient état des Docteurs de l'Eglise qui avaient écrit avant le schisme. Quand ils eurent répondu qu'ils avaient pour eux beaucoup de respect, il leur demanda encore s'ils se voulaient tenir au témoignage qu'ils avaient rendu de la vérité de la doctrine. Alors ces chefs de parti, et les Philosophes qui étaient fort exercés à la dispute, et qui avaient préparé leurs arguments se trouvèrent extrêmement embarrassés. Les uns avouèrent que la proposition de l'Empereur était raisonnable, et les autres crurent qu'elle n'était point avantageuse à leurs intérêts. Ceux qui avaient paru de même sentiment commencèrent à se partager. Leur malice fut confondue, comme la langue des Géants l'avait été autrefois, et la Tour superbe de l'erreur tomba par terre. L'Empereur ayant reconnu par leur confusion, qu'au lieu de suivre la doctrine des saints Pères, ils ne se fiaient qu'à la subtilité de leurs arguments, leur demanda leur profession de foi par écrit. Les plus habiles de chaque secte la rédigèrent le plus exactement qu'il leur fut possible, et les chefs se rendirent au Palais de l'Empereur au jour qui leur avait été marqué. Nectaire et Agelius soutenaient la doctrine de la Consubstantialité du Fils de Dieu. Démophile défendait l'opinion d'Arius. Eunome était chef des Eunomiens. Eleusius Evêque de Cyzique était à la tête de ceux qui suivaient le sentiment de Macédonius. L'Empereur les accueillit très civilement, et ayant reçu leur profession de foi se retira seul dans son cabinet, et pria Dieu de lui découvrir la vérité. Quand il eut achevé sa prière, il lut la profession de chaque secte, condamna toutes celles qui divisaient la Trinité, et n'approuva que celle qui contenait la foi de la Consubstantialité du Verbe. Les Novatiens commencèrent alors à jouir d'une profonde paix, et d'une entière liberté, car l'Empereur ayant admiré la conformité que leur doctrine avait avec celle dont il faisait profession, ordonna qu'ils posséderaient paisiblement leurs Eglises, et qu'ils y auraient les mêmes privilèges que les autres. Les Evêques des autres sectes furent blâmés de leur division par ceux mêmes qui suivaient leurs sentiments, et s'en étant retournés pleins de honte, et de douleur, ils écrivirent à ceux de leur parti pour les consoler de ce que plusieurs les abandonnaient, et reconnaissaient la doctrine de la Consubstantialité, et a joutèrent qu'il ne le fallait pas trouver trop étrange, parce que plusieurs sont appelés au lieu que peu sont venus. Ils ne parlaient pas de la sorte lorsque par la crainte et par la force ils retenaient presque tout le monde dans leur parti. Il faut cependant avouer, que ceux qui soutenaient la Consubstantialité du Fils de Dieu, ne furent pas tout-à- fait exempts de tristesse et d'inquiétude, parce que les Evêques qui avaient assisté au Concile, se divisèrent au sujet du différend intervenu dans l'Eglise d'Antioche. Les Évêques d'Egypte, d'Arabie, et de Chypre prétendaient que Flavien devait être chassé de son Siège, au lieu que ceux de Palestine, de Phénicie, et de Syrie s'efforçaient de l'y maintenir: Nous verrons en son lieu quel fut le succès de cette affaire. [5,11] CHAPITRE XI. L'Empereur Gratien est tué par le Tyran Maxime. Justine cesse de persécuter Ambroise. Pendant que ces Conciles se tenaient à Constantinople, Maxime partit d'Angleterre, et prit les armes contre l'Empereur Gratien, qui était occupé à faire la guerre aux Allemands., Probus Préfet du Prétoire, disposait des affaires d'Italie avec un pouvoir absolu, à cause du bas âge de l'Empereur Valentinien. Justine sa mère, qui était infectée des erreurs d'Arius, ne fit aucun mal aux défenseurs de la Consubstantialité du Fils de Dieu, durant la vie de l'Empereur son mari, mais étant depuis allée à Milan, elle y excita de grands troubles contre Ambroise, et commanda qu'il fût mené en exil. Dans le moment même que ceux qui avaient reçu cet ordre le mettaient en devoir de l'exécuter, et que le peuple qui avait une affection incroyable pour Ambroise s'y opposait, il arriva la nouvelle que l'Empereur Gratien avait été tué par la trahison de Maxime. Andragathius Capitaine des Gardes de Maxime s'étant mis dans une litière, commanda à ses gens de dire que c'était l'Impératrice femme de l'Empereur Gratien qui était dedans. Ce Prince ayant rencontré la litière proche de Lyon, s'en approcha pour voir l'Impératrice sa femme, et tomba comme un aveugle dans la fosse que ses ennemis lui avaient creusée ; car Andragathius étant sorti de la litière, se jeta sur lui et le tua. Il mourut sous le Consulat de Mérobaude et de Saturnin, en la quinzième année de son règne, et en la vint-quatrième de son âge. Ce triste accident modéra un peu la violence de la colère dont Justine était transportée contre Ambroise. Valentinien consentit malgré lui et par la nécessité du temps d'associer Maxime à l'Empire. Probus redoutant sa puissance, quitta l'Italie, et se retira à Thessalonique. [5,12] CHAPITRE XII. Combat entre Théodose et Maxime. L'empereur Théodose appréhendant que Maxime ne fît mourir le jeune Valentinien comme il avait fait mourir Gratien, leva contre lui une puissante armée. Dans le même temps les Perses lui envoyèrent une Ambassade pour lui demander la paix. Le neuvième jour du mois de Septembre, sous le Consulat de Ricomer et de Cléarque, l'Impératrice Flacille sa femme accoucha d'un fils, qui fut nommé Honorius. Dans la même année et un peu avant la naissance de ce Prince, Agelius Evêque des Novatiens mourut. L'année suivante en laquelle l'Empereur Arcadius et Bauton étaient Consuls, Timothée Evêque d'Alexandrie mourut, et Théophile lui succéda. L'année d'après, Démophile Évêque Arien étant mort, les Ariens firent venir Marin de Thrace pour lui succéder. Mais il ne remplit pas longtemps cette place. Les Ariens se divisèrent de son temps en deux partis, comme nous le dirons dans la suite. Ils mandèrent alors Dorothée d'Antioche où il était, et le firent leur Évêque. Cependant L'Empereur Théodose laissa Arcadius son fils à Constantinople, et en étant parti à la tête de son armée, il alla à Thessalonique, où il trouva le jeune Valentinien accablé de tristesse de ce qu'il avait été contraint de reconnaître Maxime pour Empereur. Il ne témoigna rien de ses sentiments, et ne voulut ni recevoir, ni refuser l'Ambassade de Maxime. Ne pouvant néanmoins souffrir que l'Empire gémît sous le joug de sa tyrannie, il mena son armée vers Milan où cet Usurpateur de la souveraine puissance était déjà arrivé. [5,13] CHAPITRE XIII. Tumulte excité par les Ariens dans la Ville de Constantinople. Tandis que l'Empereur Théodose était occupé à cette guerre, les Ariens excitèrent un grand tumulte à Constantinople. Les hommes ont accoutumé de répandre des bruits touchant les choses dont ils sont le moins informés, et ces bruits sont d'autant plus grands que la passion qu'ils ont pour les nouveautés et pour les changements est plus violente. On vit alors un exemple sensible de ce que je dis dans cette Ville si nombreuse, où chacun inventait des nouvelles selon son caprice touchant cette guerre, et, bien qu'elle ne fût pas encore commencée, quelques-uns publiaient déjà que l'Empereur avait été défait par le Tyran, qu'un tel nombre d'homme y avait été tué, et que Théodose serait bientôt entre les mains de ses ennemis. Les Ariens, qui avaient un incroyable déplaisir de ce que ceux qu'ils avaient autrefois persécutés possédaient les Eglises de la Ville, augmentèrent extrêmement ces bruits-là, mais lorsque ceux qui ne les savaient que pour les avoir ouï publier, leur eurent assuré qu'ils étaient véritables, ils prirent une nouvelle hardiesse, et mirent le feu à la maison de Nectaire. Cet embrasement arriva sous le Consulat de Théodose et de Cynegius. [5,14] CHAPITRE XIV. Victoire de Théodose. Mort de Maxime. Les préparatifs de l'Empereur épouvantèrent si fort les soldats de Maxime, qu'au lieu de le défendre ils le chargèrent de chaînes, et le mirent entre les mains de ses ennemis. Il fut exécuté à mort le dix-septième jour du mois d'Août sous le Consulat dont je viens de parler. Andragathius, qui avait tué Gratien de sa propre main, se jeta dans une rivière qui était proche, et se noya. Les Empereurs entrèrent victorieux à Rome avec Honorius, qui était encore enfant, et qui avait été mandé par Théodose son père, incontinent après qu'il eut remporté l'avantage sur Maxime. Ils y célébrèrent des jeux, et y firent des réjouissances publiques. Théodose usa d'une singulière clémence envers Symmaque Sénateur, fort estimé pour son éloquence, et qui a laissé un grand nombre d'Oraisons. Comme il en avait composé une à la louange de Maxime, et qu'il l'avait prononcée devant lui, il en fut depuis accusé comme d'un crime d'état, et pour éviter la mort il se réfugia dans l'Eglise. L'Empereur Théodose avait un si profond respect pour tout ce qui regarde la Religion, que non seulement il rendait de grands honneurs aux Evêques de sa communion, mais qu'il considérait aussi ceux des Novatiens qui faisaient profession de la doctrine de la Consubstantialité du Fils de Dieu. Il accorda donc la grâce de Symmaque à la prière de Léonce, Évêque des Novatiens de Rome: Symmaque composa une Apologie à la louange de Théodose. Voila comment cette guerre, qui dans le commencement avait paru terrible, fut si aisément terminée. [5,15] CHAPITRE XV. Flavien se rend seul Maître des Eglises d'Antioche. Paulin Evêque d'Antioche étant mort, le peuple qui avait été sous sa conduite refusa de se soumettre à celle de Flavien, et fit en sorte qu'Evagre fut ordonné. Cet Evagre étant mort bientôt après, Flavien eut l'adresse d'empêcher que l'on n'en mît un autre en sa place ; et alors ceux qui évitaient la communion de Flavien en haine des parjures qu'il avait commis, s'assemblèrent à part. Il faisait cependant tous les efforts, et remuait toute sorte de machines, pour les attirer à son parti. Il en vint à bout quelque temps après, lorsqu'il eut apaisé la colère de Théophile Évêque d'Alexandrie, et que par son moyen il eut gagné les bonnes grâces de Damase Evêque de Rome, qui auparavant lui étaient tous deux contraires, tant pour le parjure qu'il avait commis, que pour le tumulte qu'il avait excité parmi le peuple. Quand Théophile fut apaisé, il envoya à Rome et un Prêtre nommé Isidore, qui apaisa aussi Damase, en lui représentant que la faute de Flavien devait être dissimulée pour le bien de la paix, et pour la réconciliation des esprits. Flavien ayant été de la sorte rétabli dans la communion, les contestations qui avaient été parmi le peuple s'assoupirent. Les Ariens étaient alors chassés de la Ville, et ne faisaient leurs assemblées que dans les Faubourgs. Cyrille Evêque de Jérusalem étant mort au même temps, Jean lui succéda. [5,16] CHAPITRE XVI. Temples démolis dans Alexandrie. Combat entre les Chrétiens et les Païens. Théophile Evêque d'Alexandrie obtint en ce temps la permission de l'Empereur de faire démolir les Temples des Païens, et fit à l'heure même tout ce qu'il pût pour décrier et pour déshonorer leurs mystères. Il fit souiller l'antre de Mitras. Il fit abattre le Temple de Sérapis. Il découvrit l'extravagance des sacrifices de Sérapis et des autres Dieux, en faisant porter des Priapes au milieu de la Ville. Les Païens, et principalement les Philosophes, ne pouvant modérer la douleur qu'ils sentaient de ce que leur Religion était si outrageusement déshonorée en présence de tout le monde, se portèrent à des excès plus étranges que ceux qu'ils avaient commis par le passé. Car s'étant jetés sur les Chrétiens, ils en tuèrent un grand nombre. Ceux-ci augmentèrent le mal. Car s'étant opiniâtrement défendu, le combat dura jusques à ce que les deux partis fussent las de répandre le sang. Les Païens ne perdirent pas beaucoup de monde ; mais les Chrétiens en perdirent beaucoup. Il y eut une quantité incroyable de personnes blessées de côté et d'autre. Les Païens ayant ainsi satisfait leur rage, appréhendèrent les effets de la colère de l'Empereur, se cachèrent les uns dans la Ville, et les autres s'enfuirent. Deux Grammairiens, dont j'ai été écolier dans ma jeunesse à Constantinople, savoir Helladius Prêtre de Jupiter, et Ammonius Prêtre d'un Singe, à ce que l'on disait, furent de ce nombre. Le désordre ayant été apaisé de la sorte, le Gouverneur d'Alexandrie et le Commandant des troupes d'Egypte prêtèrent main forte à Théophile pour la démolition des Temples des Idoles. Ils furent abattus, les statues furent fondues, et changées en marmites, et en autres vases propres à l'usage de l'Eglise d'Alexandrie. Car l'Empereur les avait donnés à Théophile pour le soulagement des pauvres. Au reste Théophile fit fondre toutes ces statues, à la réserve de celle du Dieu que je viens de nommer, qu'il garda pour être exposée en public, de peur que les Païens ne niassent à l'avenir qu'ils l'eussent jamais adoré, Je suis assuré qu'Ammonius en eut un sensible déplaisir. Car il avait accoutumé de dire, qu'on avait fait grande injure à la Religion en réservant cette Statue, pour servir comme d'un monument éternel de son infamie. Quant à Helladius, il se vanta en présence de quelques personnes, d'avoir tué neuf hommes dans le combat. [5,17] CHAPITRE XVII. Lettres Hiéroglyphiques trouvées dans le Temple de Sérapis. En démolissant le Temple de Sérapis, on trouva des Hiéroglyphes en forme de Croix, gravés sur les pierres, que les Chrétiens et les Païens attribuaient également à leur Religion. Les uns soutinrent que c'était le signe de la Passion salutaire du Sauveur, et les autres assurèrent que c'était un signe commun à Jésus Christ et à Sérapis, et qu'il représentait une chose aux Païens, et une autre aux Chrétiens. Quelques Païens qui savaient ces lettres mystérieuses s'étant convertis à la Religion Chrétienne durant cette contestation, découvrirent qu'elles signifiaient la vie à venir. Alors les Chrétiens tirant avantage de cette explication, qui paraissait sans doute plus favorable à leur Religion qu'à la Païenne, commencèrent à s'élever au dessus des Idolâtres. Mais lorsqu'on eut trouvé d'autres Hiéroglyphes, par lesquels il était prédit que quand le signe de la Croix qui signifie la vie à venir paraîtrait, le Temple de Sérapis serait détruit, il vint encore un plus grand nombre de Païens qui confessèrent leurs péchés, et reçurent le baptême. Voila ce que j'ai ouï dire de ces Hiéroglyphes faits en forme de Croix. Je ne saurais me persuader, que quand les Prêtres des Egyptiens ont gravé cette figure sur une pierre, ils aient eu connaissance de nos mystères. Comment l'avènement de Jésus Christ qui, comme dit l'Apôtre, a été caché aux générations et aux siècles, et inconnu au Prince de la malice, aurait-il été découvert à ces Prêtres d'Egypte qui n'étaient que les ministres de ce Prince ? La Providence Divine n'a permis que dans la découverte de cette figure, il arrivât quelque chose de semblable à ce qui était auparavant arrivé à Paul, lorsque parlant devant l'Aréopage, il se servit d'une inscription qu'il avait remarquée sur un Autel. Si ce n'est que quoiqu'un veuille dire, que Dieu prédisait l'avenir par ces et Prêtres Egyptiens, comme il avait autrefois parlé par Balaam et par Caïphe, qui prédirent la vérité malgré eux. [5,18] CHAPITRE XVIII. Abus réformés à Rome par l'Empereur Théodose. Bien que l'Empereur Théodose n'ait demeuré que fort peu de temps en Italie, il n'a pas laissé de procurer de grands avantages à la Ville de Rome, soit par la profusion de ses grâces, ou par le retranchement des désordres. Il abolit une infâme coutume qui s'y était introduite depuis une longue suite d'années. Il y avait de grandes maisons où l'on faisait autrefois le pain que l'on distribuait au peuple, donc ceux qui avaient la garde avaient fait des retraites de voleurs. On avait bâti à côté des tavernes, qui étaient toujours remplies de femmes débauchées, et où il y avait des trappes où l'on surprenait ceux qui allaient pour s'y divertir, car par une certaine machine on les faisait tomber au lieu où l'on faisait le pain; et quand ils y étaient enfermés on les faisait travailler toute leur vie sans que l'on entendît jamais de leurs nouvelles: Un soldat de l'Empereur Théodose ayant été pris dans ce piège-là, tira son poignard, blessa ceux qui le voulaient retenir et s'échappa. l'Empereur en ayant eu avis, châtia les Concierges de ces maisons, abattit les retraites des voleurs, purgea Rome de cette infamie. Voici un autre abus qu'il réforma. Quand une femme avait été surprise en adultère, on la punissait par un châtiaient plus propre à augmenter son crime, qu'à le corriger. On l'enfermait dans un lieu de débauche, et à l'heure-même qu'on la prostituait, on sonnait des sonnettes, afin que ceux qui étaient dehors sussent ce qui se passait au dedans. L'Empereur fit démolir ces maisons de prostitution et de scandale, et ordonna d'autres peines contre les femmes qui seraient convaincues de ce crime. Après avoir établi une fort bonne police dans cette ancienne Capitale de l'Empire, il y laissa Valentinien pour y commander avec un pouvoir absolu, et retourna avec Honorius son fils à Constantinople, où il rentra le dixième jour du mois de Décembre, sous le Consulat de Tatien et de Symmaque. [5,19] CHAPITRE XIX. Pénitenciers ôtés de l'Eglise. On trouva à propos en ce temps-là d'ôter de l'Eglise les Prêtres qui y avaient été préposés pour imposer la pénitence. Depuis que les Novatiens s'étaient séparés de l'Eglise, parce qu'ils n'avaient pas voulu communier avec ceux qui avaient sacrifié aux Idoles durant la persécution de Dèce, les Evêques préposèrent un Prêtre pour entendre les confessions des Fidèles qui avaient péché depuis leur baptême. Cette discipline est encore en vigueur aujourd'hui dans les autres sociétés. Les Novatiens n'ont jamais reçu cet établissement. Les défenseurs de la Consubstantialité du Fils de Dieu qui sont d'accord avec eux touchant la foi, ne le retiennent plus, et l'ont aboli au temps de Nectaire, à l'occasion d'une Dame de qualité qui s'était confessée au Pénitencier, des péchés qu'elle avait commis depuis son baptême. Le Prêtre lui avait ordonné de les expier par des jeûnes, et par des prières. Elle se confessa depuis d'avoir eu une habitude criminelle avec un Diacre, ce qui fut cause que ce Diacre fut chassé, et que le peuple témoigna une grande indignation d'un pêché si scandaleux. Comme les Ecclésiastiques étaient couverts de reproches, et piqués par de sanglantes railleries, un Prêtre nommé Eudemon, natif d'Alexandrie conseilla à Nectaire Évêque de Constantinople, d'ôter le Pénitencier, et de permettre aux Fidèles d'approcher des Sacrements selon qu'ils s'y trouveraient disposés en leur conscience ; ajoutant qu'il n'y avait point d'autre moyen d'ôter le scandale de l'Eglise. J'ai cru devoir insérer ceci dans mon Histoire, comme je l'ai appris d'Eudémon même. Car j'ai pris soin de m'instruire de ceux qui étaient les mieux informés, de peur d'avancer quelque chose contraire à la vérité. Je dis alors à Eudémon : Dieu sait si votre conseil est utile, ou préjudiciable à l'Eglise. Mais j'ai remarqué depuis que les Fidèles en ont pris occasion de ne se plus reprendre les uns les autres, et de ne plus observer ce précepte de l'Apôtre : Ne prenez point de part aux œuvres infructueuses des ténèbres : mais condamnez-les plutôt. [5,20] CHAPITRE XX. Division entre les Ariens et les Hérétiques. JE ne crois pas devoir passer sous silence ce qui est arrivé parmi les Ariens, les Novatiens, les Macédoniens, les Eunomiens, et les partisans des autres sectes. Car non contents de s'être séparés de l'Eglise, ils se sont encore divisés entre eux lorsqu'ils eu ont eu le moindre sujet. J'en remarquerai le détail dans la suite de cette Histoire, et dirai seulement en cet endroit que l'Empereur Théodose ne persécuta personne de toutes ces sectes, et n'exila qu'Eunome, parce qu'il assemblait le peuple de Constantinople dans des maisons particulières, où il lisait ses livres, et corrompait les esprits. Il n'inquiéta point du tout les autres, ne contraignit personne à entrer dans sa communion, mais il permit à tous de faire des assemblées, et de tenir ce qu'il leur plairait. Or comme les Novatiens étaient dans les mêmes sentiments que lui, il leur laissa les Eglises qu'ils avaient dans la Ville, ainsi que je l'ai déjà remarqué. J'ajouterai en cet endroit quelque chose qui les regarde, et reprendrai l'affaire d'un peu plus haut. [5,21] CHAPITRE XXI. Différend particulier entre les Novatiens. Agelius a gouverné l'espace de quarante ans l'Eglise des Novatiens à Constantinople, savoir depuis le règne de Constantin jusques à la sixième année de celui de Théodose, comme je me souviens de l'avoir déjà remarqué. Quand il se sentit proche de sa fin, il ordonna Sisinnius homme fort éloquent, et qui avait étudié avec Julien sous le Philosophe Maxime. Le peuple ayant trouvé à redire à cette ordination, et s'étant plaint de ce qu'il n'avait pas plutôt choisi Marcien qui s'était rendu fort célèbre par sa piété, et qui les avait exemptés de la persécution, sous le règne de Valens, Agelius pour l'apaiser, imposa les mains à Marcien : quand il se porta mieux il alla à l'Eglise, et dit: Après ma mort, Marcien sera votre Evêque, et Sisinnius après Marcien. Etant mort bientôt après, Marcien prit possession de son Siège, et conféra l'ordre de Prêtrise à un Juif nommé Sabatius, qui s'était converti à la Religion Chrétienne, et qui depuis son ordination ne laissait pas d'être toujours fort attaché à l'observation de la Loi Judaïque. Il avait de plus une grande ambition d'être Évêque, qu'il avait déclarée à deux Prêtres, dont l'un se nommait Théoctiste, et l'autre Macaire. Outre cela il descendit le changement que les Novatiens avaient apporté à Paze, petite Ville de Phrygie, sous le règne de Valens à la célébration de la Fête de Pâques, comme nous l'avons déjà dit. Il se sépara depuis de l'Eglise sous prétexte d'une plus grande perfection, et sur ce qu'il disait, qu'il ne pouvait y voir certaines personnes qui étaient indignes de la participation des Mystères. On reconnut depuis qu'il n'avait point d'autre dessein que de faire des assemblées particulières. Marcien avoua la faute qu'il avait faite en élevant au Sacerdoce des hommes si ambitieux, et dit qu'il aurait mieux fait de mettre les mains sur des épines, que de les imposer à Sabatius. Il assembla un Concile d'Evêques Novatiens à Sangare, Marché célèbre de Bithynie proche de la Ville d'Helénopole. Ces Evêques demandèrent à Sabatius le Sujet de son mécontentement. Quand il leur eut répondu, qu'il n'en avait point d'autre que le différend qui s'était élevé touchant la célébration de la Fête de Pâques, et qu'il la fallait observer selon la coutume des Juifs, et selon ce qui avait été ordonné dans le Concile de Paze, ils se doutèrent qu'il déguisait la vérité, et que son mécontentement était de n'être point Evêque. Ils l'obligèrent donc de promettre avec serment de ne prétendre jamais à la dignité Episcopale. Après qu'il l'eut promis, ils déclarèrent que l'observation du jour de la Fête de Pâques était indifférente ; que le différend touchant ce jour-là n'était point un différend pour lequel il fût permis de rompre la communion de l'Eglise, que les Évêques assemblés à Paze, n'avaient fait aucun préjudice à la règle générale et universelle ; que les Anciens qui avaient approché du temps des Apôtres, avaient communié avec ceux, avec lesquels ils ne s'accordaient pas touchant la célébration de cette Fête, que les Novatiens de Rome n'avaient jamais suivi la coutume des Juifs, mais avaient toujours célébré la Fête après l'équinoxe, sans toutefois le séparer de ceux qui la célébraient en un autre temps. Ces Evêques ayant examiné avec soin toutes ces choses, prononcèrent, que l'observation du jour de la Fête de Pâques était indifférente, et que chacun devait avoir la liberté de la célébrer selon son opinion au jour qu'il lui plairait, sans rompre pour cela la communion. Sabatius prévenait en son particulier le temps du jeûne, lorsque la Fête de Pâques n'était pas célébrée par tout le monde au même jour, il passait la nuit en prières, et célébrait la Pâque le jour du Samedi, le lendemain il allait à l'Eglise avec tout le monde, et participait aux saints Mystères. Il en a usé de la sorte plusieurs années, et ainsi la pratique n'a pas pu être ignorée du peuple. Les plus simples, et principalement ceux de Phrygie, et de Galatie suivirent son exemple, où ils croyaient trouver leur justification, et célébrèrent comme lui la Fête de Pâques en particulier. Sabatius violant depuis le serment par lequel il avait renoncé à sa dignité Episcopale, fit des assemblées particulières, et se fit ordonner Evêque par ceux de sa secte, comme nous le verrons dans la suite de cette Histoire. [5,22] CHAPITRE XXII. Réfléxion de l'Auteur sur les différents usages de quelques Eglises touchant la célébration de la Fête de Pâques; et les cérémonies du baptème ; l'observation du jeûne, et quelques autres points de discipline. Je crois qu'il ne sera pas hors de propos d'exposer en cet endroit les pensées qui me sont venues dans l'esprit touchant la fête de Pâques. Il me semble, que ni les Anciens, ni les Modernes, qui ont affecté de suivre la coutume des Juifs, n'ont point eu de fondement raisonnable de contester aussi opiniâtrement qu'ils ont fait sur ce sujet ; car ils n'ont jamais considéré, que depuis que notre Religion a succédé à celle des Juifs, l'observation exacte et scrupuleuse de la Loi, qui n'était qu'une figure de la grâce, a cessé; et que la piété Chrétienne ne nous permet pas de pratiquer les cérémonies Judaïques. L'Apôtre a rejeté ouvertement la Circoncision, et a défendu aux Fidèles de disputer entre eux touchant l'observation des Fêtes. Voici comme il en parle dans l'Epître aux Galates : Dites-moi, je vous prie, vous qui voulez être sous la Loi, n'entendez-vous point ce que dit la Loi ? Et après en avoir rapporté les paroles, il fait voir que les Juifs étaient dans la servitude, au lieu que les Chrétiens ont été appelés à la liberté; et il les exhorte à ne point observer les jours, les mois, et les années. Il déclare ouvertement dans l'Epître aux Colossiens, que la Loi n'était qu'une ombre quand il leur dit : Que personne donc ne vous condamne pour le manger, ou pour le boire, ou sur le sujet des jours de Fêtes, des nouvelles Lunes, et des jours de Sabbat, puisque toutes ces choses n'ont été que l'ombre de celles qui devaient arriver. Il confirme la même doctrine dans l'Epître aux Hébreux par ces paroles : Le Sacerdoce étant changé, il faut nécessairement que la Loi soit aussi changée. L'Apôtre ni les Evangiles n'ont jamais imposé le joug de la servitude à ceux qui se convertissaient à la foi, et ils ont laissé à leur liberté de célébrer comme il leur plairait la Fête de Pâques et les autres, auxquelles et ils avaient reçu les Grâces de Dieu. Mais parce que les hommes aiment les Fêtes qui les exemptent du travail, chaque Eglise a fait comme il lui a plu, et par une certaine coutume, la mémoire de la Passion du Sauveur. Car le Sauveur ni les Apôtres n'en ont imposé aucun précepte, et n'ont établi aucune peine contre ceux qui l'omettraient, comme la Loi de Moïse fait pour l'ordinaire quand elle impose un Commandement. Il est seulement rapporté dans l'Evangile pour la vérité de l'Histoire, et pour la honte des Juifs qui avaient accoutumé de profaner leurs Fêtes par des meurtres, que ce fut au temps des Azymes que le Sauveur souffrit la mort. Les Apôtres n'ont point pensé à ordonner des Fêtes. Ils n'ont eu soin que de recommander la piété. Ainsi la célébration de la Fête de Pâque s'est introduite dans les Eglises de la même sorte que plusieurs autres coutumes. Plusieurs dans l'Asie Mineure ont observé le quatorzième jour de la Lune, sans avoir aucun égard au jour du Sabbat, et ne se sont jamais séparés de ceux qui avaient un autre usage, jusques à ce que Victor Evêque de Rome, transporté d'un zèle trop ardent, prononça une excommunication contre ceux qui observaient le quatorzième jour de la Lune. Irénée Evêque de Lyon l'en reprit très fortement, blâma sa chaleur, et lui fit voir que les anciens, qui ne s'étaient point accordés touchant la célébration de la Fête de Pâques, n'avaient pas laissé que d'entretenir la communion Ecclésiastique, que Polycarpe Evêque de Smyrne, qui souffrit le martyre sous le règne de l'Empereur Gordien, ne le sépara point de la Communion d'Anicet Evêque de Rome, bien qu'il célébrât la Fête de Pâques le quatorzième jour de la Lune, comme Eusèbe le rapporte dans son Histoire. Il y en avait donc quelques-uns en Asie, qui, comme et je viens de le dire, observaient le quatorzième jour de la Lune. Il y en avait d'autres en Orient qui célébraient la Fête le jour du Sabbat, mais qui ne l'observaient pas dans le même mois ; car les uns suivaient la coutume des Juifs, bien qu'elle ne fût pas exacte, et les autres négligeant de la suivre, ne célébraient la Fête, qu'après l'Equinoxe, et disaient qu'il la fallait toujours célébrer lorsque le Soleil était dans le signe du Bélier, au mois que les habitants d'Antioche appellent Xanthique, et que les Romains appelaient Avril, et qu'en cela ils se conformaient non aux nouveaux Juifs qui se trompent presqu'en toutes choses, mais aux anciens, et à ce que Joseph en a écrit dans le troisième livre de ses Antiquités Judaïques. Les autres qui habitaient en Occident ne célébraient la Fête qu'après l'Equinoxe, selon une tradition ancienne. Et tous ceux-là n'ont jamais rompu la communion pour ce sujet. Car il n'est pas vrai, comme quelques-uns le prétendent, que le Concile tenu sous le règne de Constantin ait apporté aucun changement. Cet Empereur même écrivant à ceux qui n'étaient pas d'accord sur ce point, les exhorte à suivre le plus grand nombre. Sa lettre est rapportée par Eusèbe dans le troisième livre de sa vie. Voici comme il parle de la célébration de la Fête. L'ordre que tiennent les Eglises d'Occident, de Midi, de Septentrion, et quelques-unes d'Orient, étant très bon, et très convenable, tous les Evêques ont jugé à propos que vous observassiez ce qui s'observe à Rome, en Italie, en Afrique, en Egypte, en Espagne, en Gaule, en Angleterre, dans les deux Libyes, en Achaïe, en Asie, dans le Pont, en Cilicie, et j'ai promis que vous le feriez, non seulement parce que cette coutume est observée par le plus grand nombre, mais aussi parce qu'elle est plus raisonnable, et qu'il est plus juste de l'observer que de vouloir avoir rien de commun avec la perfidie des Juifs. Au reste, ceux qui observent le quatorzième jour de la Lune rapportent l'origine de cette coutume à saint Jean l''Evangéliste, et les Romains et les autres peuples d'Occident assurent qu'ils ont reçu leur usage de saint Pierre, et de saint Paul. Il faut néanmoins avouer, que ni les uns, ni les autres ne produisent aucun témoignage par lequel ils puissent prouver ce qu'ils avancent. Quant à moi la diversité des usages que je remarque dans les Eglises où il n'y a qu'une même foi, me persuade que ce n'est que par coutume que la célébration de la Fête de Pâques a été introduite. Je crois devoir m'étendre un peu au long sur la diversité de ces coutumes, et de ces usages. Le jeûne que l'on observe avant la Fête de Pâques, n'est pas observé partout de la même sorte. On jeûne à Rome durant trois semaines excepté le Samedi, et le Dimanche. En Illyrie, en Achaïe, et à Alexandrie on en jeune six, et on appelle ce jeûne-là, Carême. D'autres commencent leur jeûne sept semaines avant Pâques, et bien qu'ils ne jeûnent que quinze jours, ils ne laissent pas de donner le nom de Carême à leur jeûne. Je m'étonne quelquefois de ce nom, dont chacun apporte de différentes raisons selon Ion opinion. Il y a diversité d'usage dans l'abstinence des viandes, aussi bien que dans le nombre des jours. Les uns s'abstiennent de la viande de tous les animaux, et les autres ne s'abstiennent point des poissons. Quelques-uns mangent des oiseaux aussi bien que des poissons, parce qu'ils ont été fait des eaux, selon le témoignage de Moïse. Quelques-uns s'abstiennent d'œufs, et de toute sorte de fruits. Quelques-uns ne mangent que du pain, et d'autres même n'en mangent point. Quelques-uns jeûnent jusques à la neuvième heure du jour, et mangent après cela indifféremment de toutes sortes de viandes. Il y a parmi les peuples une infinité de coutumes différentes, dont on apporte différentes raisons. Mais parce que l'on ne saurait produire aucun commandement écrit par lequel elles soient autorisées, il est clair que les Apôtres ont laissé à la liberté des Fidèles d'en user, comme ils le trouveraient à propos, et de faire le bien sans crainte, ni sans contrainte. La manière de s'assembler dans l'Eglise, n'est pas moins différente que celle de jeûner. Bien que toutes les sociétés Chrétiennes du monde célèbrent les saints Mystères tous les Samedis de chaque semaine, les Fidèles d'Alexandrie et de Rome ne les célèbrent point ce jour-là, selon une ancienne tradition. Les Egyptiens qui sont voisins d'Alexandrie, et ceux qui habitent la Thébaïde s'assemblent le Samedi, sans toutefois participer aux saints Mystères de la manière que les Chrétiens ont accoutumé d'y participer : Car après avoir mangé et s'être remplis de toute sorte de viandes, ils offrent le Sacrifice, et communient sur le soir. Le Jeudi et le Vendredi que l'on appelée la préparation ; c'est-à-dire la veille du jour du Sabbat, on lit la sainte Ecriture dans l'Eglise d'Alexandrie, les Docteurs l'expliquent, et on sait tout ce que l'on a accoutumé d'observer dans les assemblées, excepté que l'on ne participe point aux saints Mystères. Il est constant que c'était principalement en ces jours-là qu'Origène enseignait. Comme il était fort savant dans l'étude des Livres sacrés, il reconnut que ce qui est contenu dans les Ouvrages de Moïse touchant la célébration de la Fête de Pâques, ne peut être entendu à la lettre, et lui donna un sens spirituel, en disant qu'il n'y a jamais eu qu'une véritable Fête de Pâques, que le Sauveur a célébrée quand il a été attaché à la Croix, qu'il a détruit les puissances ennemies, et érigé contre elles ce trophée. Dans la même Ville d'Alexandrie on choisit indifféremment des Catéchumènes et des Fidèles pour les faire Lecteurs et Chantres, bien qu'en toutes les autres Églises on ne choisisse jamais que des Fidèles pour cette fonction. Je sais qu'il y a encore une autre coutume différente en Thessalie. Quand un Clerc demeure depuis son ordination avec la femme avec laquelle il avait contracté auparavant un légitime mariage, il est déposé; au lieu qu'en Orient les Clercs et les Evêques mêmes s'abstiennent de leurs femmes selon qu'il leur plaît, sans y être obligés par aucune loi, ni par aucune nécessité. Car il y a eu parmi eux plusieurs Evêques qui, depuis qu'ils ont été élevés à cette dignité ont eu des enfants légitimes de leur mariage. On dit qu'Héliodore Évêque de Trica Ville de Thessalie, qui avait composé en sa jeunesse l'Histoire des amours de Théagéne et de Chariclée, fut auteur de cette coutume. Elle est observée à Thessalonique, en Macédoine, et en Achaïe. J'ai vu en Thessalie une autre coutume, qui est qu'ils ne confèrent le baptême que le jour de Pâques : ce qui est cause que plusieurs meurent sans le recevoir. L'Eglise d'Antioche est mal tournée, et l'Autel est à l'Occident au lieu d'être à l'Orient. En Achaïe, en Thessalie, et à Jérusalem, aussitôt que les cierges sont allumés on fait les prières de la même manière que les Novatiens les font à Constantinople. A Césarée en Cappadoce, et à l'île de Chypre, les Evêques, et les Prêtres expliquent l'Écriture sainte le Samedi et le Dimanche, au soir lorsque les cierges sont allumés. Les Novatiens de l'Hellespont ne font pas leurs prières de la même sorte que ceux de Constantinople, bien qu'ils suivent presqu'en tout l'usage de l'Eglise Catholique. Enfin parmi toutes les sectes, à peine trouvera-t-on deux Eglises qui gardent la même coutume dans la maniére.de prier. Les Prêtres ne prêchent plus à Alexandrie depuis qu'Arius a troublé la paix par la nouveauté de sa doctrine. On jeûne à Rome tous les Samedis. Ceux qui ont péché depuis leur baptême sont retranchés de la communion à Césarée en Cappadoce. de même que parmi les Novatiens. Les Macédoniens de l'Hellespont, et ceux qui célèbrent en Asie la Fête de Pâques le quatorzième jour de la Lune, gardent la même discipline. Les Novatiens de Phrygie n'admettent point à la communion ceux qui se sont mariés deux fois, au lieu que ceux de Constantinople ne les admettent, ni ne les en excluent ouvertement. En Occident ils y sont admis ouvertement. La diversité de ces usages procèdent comme je me le persuade, des Évêques qui ont gouverné les Eglises ; et ceux qui les avaient reçus d'eux, les ont transmis comme des Lois à ceux qui les ont suivis. II est difficile ou plutôt impossible de faire un exact dénombrement des pratiques différentes des Eglises. Ce que j'en ai rapporté suffit pour faire voir, que la Fête de Pâques n'a point été célébrée par tout de la même sorte. Ceux qui assurent que le Concile de Nicée y a apporté du changement se trompent, car les Evêques qui l'ont tenu, n'ont point eu d'autre dessein que de faire en sorte que les peuples qui avaient une coutume particulière, se conformassent au plus grand nombre. Il y a eu des différends et des contestations dès les premiers temps touchant l'observation de plusieurs coutumes, et les Apôtres ne l'ont point ignoré, comme il paraît par le livre de leurs Actes. Dés qu'ils se furent aperçus que ces concertations troublaient la paix des Fidèles, ils s'assemblèrent et firent une Loi par laquelle les délivrant de la servitude des observations inutiles, il leur prescrivirent ce qui était nécessaire pour la véritable piété. Bien que la lettre soit dans les Actes, je ne laisserai pas de la transcrire en cet endroit. Les Apôtres, les Prêtres, et les Frères à nos Frères d'entre les Gentils, qui sont à Antioche, en Syrie, et en Cilicie, Salut. Parce que nous ayons su que quelques-uns qui venaient d'avec nous, vous ont troublé par leurs discours, et ont renversé vos âmes en voulant vous obliger à être circoncis, à garder la Loi, sans toutefois que nous leur en eussions donné aucun ordre : après nous être assemblés dans un même esprit, nous avons résolu de vous envoyer des personnes choisies avec nos chers Frères Barnabé, et Paul, qui sont des hommes qui ont livré leurs âmes pour notre Seigneur Jésus Christ. Nous vous envoyons donc Jude, et Silas qui vous feront entendre les mêmes choses de vive voix. Car il a semblé bon au Saint Esprit et à nous, de ne vous point imposer d'autre charge, que celles-ci qui sont nécessaires : savoir de vous abstenir de ce qui aura été sacrifié aux Idoles, et du sang des chairs étouffées, et de la fornication, dont vous ferez bien de vous garder. Adieu. Voila ce que Dieu a trouvé bon. Car les Apôtres disent dans leur lettre, il a semblé bon au Saint Esprit de ne vous point imposer d'autre charge que celles-ci qui sont nécessaires. Il se trouve cependant des personnes qui méprisant des Lois si saintes, tiennent que la fornication est une action indifférente, qui disputent touchant la célébration des Fêtes avec la même chaleur que s'il s'agissait de leur propre vie, et qui se condamnent eux-mêmes, sans s'apercevoir qu'ils violent les commandements des Apôtres, et qu'ils contreviennent à ce que Dieu a approuvé. Il m'aurait été aisé de m'étendre sur la célébration de la Fête de Pâques, et de faire voir que l'usage que les Juifs observent n'est pas exact, et que les Samaritains qui se sont séparés des Juifs la célèbrent toujours après l'Equinoxe. Mais ce serait un dessein qui demanderait un ouvrage à part. Je me contenterai de dire, que ceux qui affectent si fort d'imiter les Juifs, et d'observer toutes les figures n'en devraient omettre aucune. Ils ne devraient pas observer seulement les jours et les mois ; mais tout ce que notre Seigneur Jésus Christ a observé selon la coutume des Juifs pendant qu'il a été sous la Loi, tout ce qu'il a souffert d'eux injustement, tout ce qu'il a fait en figure pour le bien des hommes : comme lorsqu'il est monté sur un vaisseau pour enseigner; lorsqu'il a commandé de préparer la Pâque dans une chambre haute toute meublée, et toute parée ; lorsqu'il a commandé à deux de ses Disciples de délier une ânesse qui était liée ; lorsqu'il leur a donné pour signe, qu'ils rencontreraient un homme qui porterait une cruche d'eau ; ou lorsqu'il a observé quelqu'une des autres choses qui sont écrites dans l'Evangile. Ceux qui prétendent être justifiés par l'observation de cette Fête, ne gardent rien de ces actions extérieures. Aucun Docteur n'a jamais prêché de dessus un vaisseau. Aucun n'a monté dans une chambre haute toute meublée pour y célébrer la Pâque. Aucun n'a délié une ânesse. Aucun n'a commandé à un autre de porter une cruche pleine d'eau pour accomplir la figure. Ils ont cru que ces cérémonies ne regardaient que les Juifs qui observent plutôt les préceptes à la lettre que selon l'esprit, et qui gardent la Loi de Moïse, non selon la vérité, mais seulement selon la figure, et pour ce sujet sont soumis à la malédiction. Ceux qui favorisent les Juifs donnent un sens allégorique à toutes ces choses, et combattent opiniâtrement pour l'observation des jours et des mois , sans vouloir leur donner de sens allégorique, et par là s'enveloppent eux-mêmes dans la condamnation prononcée contre les Juifs, et se soumettent comme eux à la malédiction. En voila assez sur ce sujet. Reprenons ce que nous avons dit, que depuis la division de l'Eglise, ceux qui s'en étaient séparés se sont encore depuis partagés entre eux-mêmes. Les Novatiens ne sont point d'accord entre eux touchant la célébration de la Fête de Pâques. Les uns contestent non seulement touchant le mois, mais aussi touchant la semaine, et le jour, et d'autres points de légère importance, et en quelques endroits ils s'assemblent à part, au lieu qu'en d'autres ils communient ensemble. [5,23] CHAPITRE XXIII. Différends entre les Ariens de Constantinople. Les Ariens ont eu entre eux de grands différends, et la chaleur de la dispute leur a fait avancer des propositions fort impertinentes. L'Eglise ayant toujours cru que Dieu est Père de son Verbe, ils ont agité cette question, si Dieu pouvait être appelé Père, avant que son Verbe subsistât. Car comme ils disent que le Verbe n'est point engendré par le Père, mais qu'il a été fait de ce qui n'était point auparavant, ils ont manqué dans le point capital de la foi, et sont tombés dans une contestation impertinente qui n'est que de nom. Dorothée qu'ils avaient fait venir d'Antioche, disait que Dieu ne pouvait ni être Père, ni être appelé Père sans que le Fils subsistât. Marin qu'ils avaient fait venir auparavant de Thrace, et qui était fâché que Dorothée lui eût été préféré, soutenait l'opinion contraire. Il y eut contestation entre eux sur ce sujet, et s'étant séparés pour un mot, s'assemblèrent à part. Ceux qui étaient sous la conduite de Dorothée, demeurèrent dans le lieu où ils avaient toujours été ; et ceux qui suivaient Marin, se bâtirent des Chapelles particulières, et soutinrent que le Père avait toujours été avant que le Fils fût. Ils furent surnommés Psatyriens, à cause que Théoctiste Psatyropole, c'est-à-dire vendeur de gâteaux, défendait opiniâtrement cette opinion. Sélénas Evêque des Goths, qui était né d'un père Goth, et d'une mère Phrygienne, et qui prêchait dans les deux langues était dans le même sentiment. Ces Psatyriens se divisèrent bientôt après, et Marin se sépara d'Agapius qu'il avait ordonné Evêque d'Ephèse. Leur différend ne regardait point le fond de la Religion ; ce n'était qu'une contestation touchant la primauté dans laquelle les Goths suivaient le parti d'Agapius. Plusieurs Ecclésiastiques ayant reconnu qu'ils n'agissaient en cela que par ambition, les abandonnèrent, et firent profession de la doctrine de la Consubstantialité du Fils de Dieu. Les Ariens ayant été divisés de la sorte l'espace de vint-cinq ans, se réunirent sous le Règne de Théodose et sous le Consulat de Plintas Maître de la milice, sous lequel les Psatyriens se rendirent à la raison, et cédèrent de contester. S'étant réunis, ils firent une Loi par laquelle ils défendirent de parler à l'avenir de la question qui les avait séparés. Leur union ne subsista néanmoins qu'à Constantinople ; car ailleurs, ils demeurèrent dans la même division qu'auparavant. [5,24] CHAPITRE XXIV. Diffférends entre les Eunomiens. Les Eunomiens ne purent non plus conserver l'union entre eux. Eunome s'était séparé d'Eudoxe, par qui il avait été ordonné Evêque de Cyzique, en haine de ce qu'il avait refusé de rétablir dans la communion de l'Eglise Aèce son maître, qui en avait été retranché. Les Eunomiens se divisèrent depuis en plusieurs partis. Théophrone natif de Cappadoce qui avait appris d'Eunome l'Art de raisonner, les Catégories d'Aristote, et le Livre de l'Interprétation, ayant composé quelques ouvrages sous le titre d'exercices de l'esprit, se rendit si odieux à ceux de sa secte, qu'ils le chassèrent. Ayant depuis fait des assemblées à part, il inventa une hérésie à laquelle son nom est demeuré. Eutychius s'est séparé des Eunomiens à Constantinople pour une dispute de peu d'importance, et fait maintenant des assemblées à part. Les Sectateurs de Théophrone sont ordinairement appelés Eunomiothrophoniens ; et ceux d'Eutychius Eunomieutychiens. J'ai cru qu'il était inutile de rapporter les termes qui sont leur contestation, de peur de m'éloigner trop de mon sujet. Je dirai seulement qu'ils ont corrompu le baptême, car au lieu de baptiser au Nom de la Trinité, ils baptisent au Nom de la mort de Jésus-Christ. Il y a eu aussi quelque division parmi les Macédoniens, un Prêtre nommé Eutrope ayant assemblé le peuple à part, et Carterius n'ayant point voulu le suivre. Il y a peut-être dans les autres Villes des sectes nées de celles-ci,- mais je ne me suis proposé de rapporter que ce qui s'est passé à Constantinople, où je suis né, où j'ai été élevé, où j'ai observé les choses moi-même, et où il est arrivé des événements plus remarquables qu'en autre lieu du monde. Au reste ce que j'ai dit ici, n'est pas arrivé dans le même temps. Si quelqu'un désire savoir les noms des diverses sectes, il les pourra apprendre par la lecture du Livre d'Epiphane Evêque de l'île de Chypre, qui a pour titre Ancorat : pour moi je n'en dirai pas ici davantage. La paix de l'Empire fut un peu ébranlée dans le même temps, comme je le raconterai incontinent. [5,25] CHAPITRE XXV. Eugène fait mourir le jeune Valentinien, et usurpe la puissance Souveraine. Il est vaincu par Théodose, et massacré à ses pieds. Il y avait en Occident un Grammairien nommé Eugène, qui après avoir enseigné la langue Latine, se mit dans le Palais de l'Empereur, et parvint à la Charge de son Secrétaire. Ayant acquis un grand crédit par son éloquence, il ne put user modérément de sa fortune. Car s'étant joint à Arbogaste natif de Gaule, Maître de la milice, homme d'un naturel farouche, et prêt à répandre le sang, il se résolut d'usurper la Souveraine puissance. Etant convenus de se défaire de l'Empereur Valentinien, ils corrompirent les Eunuques de la chambre par de magnifiques promesses, et le firent étrangler. Eugène s'étant ainsi rendu maître de l'Empire en Occident, y disposa de tout avec un pouvoir tyrannique. Théodose fut dans une grande peine, quand il vit qu'après avoir défait Maxime, il était obligé de prendre les armes contre un autre. Ayant néanmoins assemblé ses troupes, il déclara Honorius son fils Empereur le dixième jour du mois de Janvier, dans son troisième Consulat, et dans celui d'Abondantius, et ayant laissé ses deux fils à Constantinople, il partit pour l'Occident. Quantité d'Etrangers qui habitent au delà du Danube, le suivirent volontairement pour le servir contre Eugène. Il arriva en peu de temps dans les Gaules, où le Tyran l'attendait à la tête d'une formidable armée. Le combat fut donné proche d'un fleuve nommé le Froie, à trente-six milles d'Aquilée. Il fut donné à l'endroit où les Romains combattaient contre d'autres Romains. Mais à l'endroit où étaient les Etrangers qui avaient suivi Théodose, les Romains qui tenaient le parti d'Eugène eurent l'avantage. Quand l'Empereur vit que ces étrangers étaient taillés en pièces, il fut percé d'une vive douleur, se prosterna à terre, et fit une prière qui fut exaucée. Bacure Maître de sa milice, reprenant en même temps courage, courut avec quelques Officiers à l'endroit où les Etrangers étaient les plus faibles, les soutint, et mit en fuite ceux qui un peu auparavant les poursuivaient. Il arriva à la même heure un autre événement fort merveilleux ; c'est qu'un grand vent repoussa contre les soldats d'Eugène les traits qu'ils avaient tirés sur l'armée de l'Empereur, et accrut la force de ceux que les soldats de Théodose avaient tirés contre eux. Le sort du combat s'étant changé de la sorte, le Tyran se jeta aux pieds de l'Empereur, et lui demanda la vie. Mais les soldats lui coupèrent la tête sur la place même, le sixième jour du mois de Septembre, sous le troisième Consulat d'Arcadius, et le second d'Honorius. Arbogaste le principal auteur de tout le mal, s'étant enfui deux jours après le combat, et n'ayant point trouvé de moyen de se sauver, se tua de sa propre main. [5,26] CHAPITRE XXVI. Mort de l'Empereur Théodose. Les fatigues que l'Empereur Théodose avait supportées durant cette guerre, lui causèrent une maladie qu'il jugea lui-même mortelle, et à l'heure même repassant par son esprit le nombre et l'excès des malheurs don les peuples sont souvent accablés après la mort des Princes, il se mit plus en peine de pourvoir aux nécessités de son Etat, qu'à la conservation de la vie. Comme il songeait principalement à mettre un bon ordre aux affaires d'Orient, il manda promptement Honorius son fils de Constantinople. Quand il fut arrivé à Milan, Théodose commença à se porter un peu mieux, et donna des jeux à cheval dans le Cirque en signe de réjouissance de sa victoire. Avant le dîner, et durant les jeux, il se trouva en assez bonne disposition. Mais son mal s'étant augmenté depuis le dîner, il ne pût continuer d'assister aux jeux, et y envoya son fils en sa place. Il mourut la nuit suivante, qui était celle d'entre le seizième et le dix-septième jour du mois de Janvier, sous le Consulat d'Olibrius et de Probin, en la première année de la deux cent quatre-vingt quatorzième Olympiade, en la soixantième de son âge, et la seizième de son règne. Ce Livre comprend l'Histoire de ce qui s'est passé l'espace de seize ans huit mois.