[9c,0] IX, 3 - La Phocide. [9c,1] A la Béotie et {au territoire d'} Orchomène succède la Phocide. Comme la Béotie qu'elle borde au N., la Phocide s'étend d'une mer à l'autre. Du moins en était-il ainsi pour elle anciennement, quand elle possédait Daphnûs, car cette ville, placée comme elle était entre le golfe d'Oponte et la côte Epicnémidienne, se trouvait couper en deux la Locride. Aujourd'hui que le canton de Daphnûs (l'ancienne ville de ce nom est en ruines) a été rattaché à la Locride, la Phocide naturellement n'atteint plus jusqu'à la mer d'Eubée. En revanche, elle touche toujours au golfe Crisaeen : elle possède en effet Crisa, qui est bâtie, comme on sait, sur le littoral même, et, avec Crisa, Cirrha, Anticyre, auxquelles il faut ajouter les villes de l'intérieur, les villes du Parnasse, Delphes, Cirphis, Daulis, et le Parnasse lui-même qui forme à proprement parler son côté occidental. Les deux Locrides, à leur tour, occupent par rapport à la Phocide la même position que la Phocide occupe par rapport à la Béotie. Si je dis les deux Locrides, c'est que le Parnasse divise effectivement la contrée appelée Locride en deux portions, une portion occidentale qui s'étend le long de la montagne (non sans en comprendre quelque chose) jusqu'au golfe de Crisa, et une portion orientale qui aboutit de même à la mer d'Eubée. Ajoutons que les Locriens de l'O. portent la dénomination particulière d'Ozoles et ont le signe d'Hespérus, l'étoile du soir, gravé sur leur sceau public. De leur côté, les Locriens de l'E. se subdivisent en deux peuples, les Opontiens qui empruntent leur nom à leur capitale et sont limitrophes à la fois de la Phocide et de la Béotie, et les Epicnémidiens, qui tirent leur nom du mont Cnémis, et ont pour voisins les Oetaeens et les Maliéens. Quant au Parnasse, qui sépare ainsi les Locriens occidentaux du reste de la nation locrienne, il forme une chaîne allongée qui part des environs de Delphes et s'étend dans la direction du N. jusqu'au point d'intersection de la chaîne de l'Oeta et des monts de l'Aetolie, autrement dit jusqu'à cette partie de la Doride qui fait saillie entra deux, la position des deux Locrides le long de la Phocide étant précisément la même que celle que la {chaîne de l'Oeta}, l'Aetolie et la partie de la tétrapole Dorique qui les relient l'une à l'autre occupent le long des deux Locrides, du Parnasse et du reste de la Doride, et au-dessous de la Thessalie, de l'Aetolie septentrionale, de l'Acarnanie, et d'une portion de l'Epire et de la Macédoine. Ainsi que nous l'avons dit plus haut, il convient de se représenter ces différentes contrées comme autant de bandes se déroulant de l'O. à l'E. parallèlement les unes aux autres. - Une sorte de caractère sacré est attaché à toute la chaîne du Parnasse, vu qu'on y rencontre à chaque pas des emplacements (cavernes et autres lieux) que la piété des populations a érigés en sanctuaires. Le plus connu de tous ces sanctuaires et le plus beau en même temps est cet antre dédié aux Nymphes et nommé le Corycium comme celui de Cilicie. Des deux versants du Parnasse, l'un, le versant occidental, est habité par les Locriens Ozoles, par une partie des peuples de la Doride et par les Aetoliens du Corax (on nomme ainsi {une branche du Parnasse} qui s'avance en Aetolie) ; quant à l'autre versant, il est occupé par les Phocéens et par la majorité des peuples doriens, j'entends les Doriens de la tétrapole, laquelle, tout en étant située en quelque sorte au coeur du Parnasse, empiète davantage sur le versant oriental. Dans chacune des régions, dans chacune des bandes que nous venons de déterminer, ce sont les côtés dirigés dans le sens de la longueur, c'est-à-dire le côté du nord et celui du sud qui sont parallèles, les deux autres côtés, celui de l'O. et celui de l'E., ne le sont pas. Ainsi la côte comprise entre le golfe de Crisa et Actium et cette autre côte qui regarde l'Eubée et se prolonge jusqu'à Thessalonique (car ce sont là les limites occidentale et orientale desdites régions) ne sont pas parallèles entre elles. Mais veut-on se rendre compte plus exactement de la figure desdites régions ? Que l'on conçoive plusieurs lignes tirées dans l'intérieur d'un triangle et parallèlement à sa base, les différentes figures formées au moyen de ces lignes seront bien parallèles entre elles, car elles auront dans le sens de la longueur leurs côtés parallèles chacun à chacun, mais dans le sens de la largeur leurs côtés ne seront plus parallèles. Après avoir ainsi esquissé à grands traits la partie de la Grèce qui nous reste à décrire, reprenons chaque pays en détail en commençant par la Phocide. [9c,2] Delphes et Elatée sont les deux villes les plus célèbres de la Phocide. Delphes l'est devenue à cause du temple d'Apollon Pythien et de son Oracle si ancien qu'Agamemnon, au rapport d'Homère, le consultait déjà. On connaît la scène {de l'Odyssée} (VIII, 75) : un citharède est introduit qui chante : «{La dispute d'Ulysse et d'Achille, fils de Pélée. Or, Agamemnon, le roi des hommes, se réjouissait dans son coeur, car c'était ce que naguère, à Pytho, l'oracle de Phébus Apollon lui avait prédit.}» Telle est la cause de la grande célébrité de Delphes. Quant à Elatée, elle doit la sienne à ce qu'elle est, de toutes les villes de la Phocide, la plus grande et aussi la plus forte ; elle commande, on le sait, le passage des défilés, et quiconque l'occupe a par cela même en sa possession la clef de la Phocide et de la Béotie. On comprend en effet que, comme il serait impossible, en temps de guerre, à une armée venant de Thessalie de franchir sur tous les points indifféremment l'Oeta d'abord, puis les montagnes de Locride et de Phocide, ces montagnes n'offrant d'autres passages praticables qu'un nombre fort restreint de défilés étroits commandés par les villes sur lesquelles ils débouchent, il faut, pour être maître desdits passages, s'être emparé au préalable des villes qui les commandent. Mais Delphes, à le bien prendre, se trouve avoir par la présence de son temple une sorte de prééminence, de plus elle est située à l'extrémité occidentale de la Phocide, et cette situation semble la désigner comme le point de départ naturel d'une description de ce pays, c'est donc par Delphes qu'il nous faut commencer. [9c,3] On a vu ci-dessus que la limite occidentale de la Phocide était formée par la chaîne même du Parnasse, or c'est sur le versant méridional de cette chaîne (le versant occidental est occupé par les Locriens Ozoles) que s'élève Delphes. Son emplacement est une sorte d'amphithéâtre naturel ceint de rochers et au sommet duquel se trouvent placés le Mantéum et la ville proprement dite, laquelle peut avoir seize stades de circuit. Plus haut dans la montagne, juste au-dessus du temple, est un lieu appelé Lycorée. C'est là que les Delphiens s'étaient établis d'abord, mais aujourd'hui ils sont redescendus au niveau du temple, plus à portée de la fontaine Castalie. Au sud de la ville, s'élève une montagne à pic, le Cirphis, laissant entre deux un ravin boisé au fond duquel coule le Plistus. Au pied du Cirphis, de l'autre côté, est Cirrha, ville très ancienne bâtie sur le bord de la mer, avec Sicyone en face d'elle. Une plaine d'aspect riant s'ouvre en avant de Cirrha : on la connaît sous le nom de plaine Criséenne, et en effet, immédiatement au delà se trouve une autre ville, Crisa, la même de qui le golfe a emprunté son nom. Puis vient Anticyre qu'il ne faut pas confondre avec son homonyme des environs du golfe Maliaque et de l'Oeta. On assure que c'est le territoire de cette dernière ville qui produit le bon ellébore, mais qu'on ne prépare cette drogue nulle part aussi bien qu'ici, dans l'Anticyre de Phocide, et que c'est pour cette raison qu'on voit tant de malades venir s'y faire traiter et purger. On ajoute qu'il pousse ici aux environs une plante semblable au sésame, et que le suc de cette plante entre dans la préparation de l'ellébore de l'Oeta. [9c,4] Si Anticyre est encore debout, ses voisines Cirrha et Crisa ont été détruites dès longtemps, la première {par les Criséens eux-mêmes}, la seconde un peu plus tard par le Thessalien Euryloque, durant la guerre criséenne. Non contents de s'être enrichis en prélevant des droits énormes sur les vaisseaux de Sicile et d'Italie, les Criséens s'étaient mis, comme on sait, à rançonner impitoyablement les pieux visiteurs du temple de Delphes, et cela contre les prescriptions formelles des Amphictyons. Amphissa {commit la même faute que Crisa} et éprouva le même sort. Les habitants (ce sont des Locriens Ozoles) par une brusque attaque avaient repris possession de Crisa et osé labourer de nouveau la plaine criséenne que les Amphictyons venaient de déclarer terre sacrée, sans compter qu'ils s'étaient montrés à l'égard des étrangers pires encore que les anciens Criséens. Naturellement ils attirèrent sur leurs têtes un prompt châtiment des Amphictyons, qui restituèrent au Dieu le canton tout entier. Aujourd'hui le temple de Delphes lui-même est passablement négligé, mais anciennement {il était l'objet d'hommages et de respects} infinis : c'est ce que prouvent, d'une part, ces trésors que peuples et souverains à l'envi y avaient fait construire pour recevoir leurs pieuses offrandes, lingots d'or et d'argent, chefs-d'oeuvre des plus éminents artistes, etc., et d'autre part cette solennité des jeux pythiques et ce grand nombre d'oracles dont l'histoire a conservé le souvenir. [9c,5] Le Mantéum ou siège de l'oracle n'est autre chose, dit-on, qu'un antre, un trou profond, dont l'ouverture, d'ailleurs assez peu large, laisse échapper certaine vapeur qui porte à l'enthousiasme. Cette ouverture est recouverte d'un trépied très élevé, au haut duquel la Pythie monte pour recevoir ces émanations excitantes, et prononcer de là, soit en vers, soit en prose, les oracles que le dieu lui inspire : ceux qu'elle dit en simple prose sont immédiatement traduits en vers par des poètes attachés au service du temple. On ajoute que Phémonoé a été la première Pythie, et que ce nom donné à la prophétesse du temple ainsi qu'à la ville elle-même vient du mot g-puthesthai, dont on aura seulement allongé la première syllabe, comme on a fait pour les mots athanatos et akamatos. [9c,6] La réputation qu'avait l'Oracle de Delphes d'être plus véridique que tous les autres a été assurément la cause principale du respect extraordinaire dont ce temple a été l'objet, mais sa situation géographique a dû aussi y contribuer. Le temple de Delphes, en effet, se trouve être le centre ou peu s'en faut de la Grèce (j'entends de la Grèce, prise dans sa plus grande extension, au delà comme en deçà de l'isthme), on l'a même longtemps considéré comme étant le centre de la terre habitée : de là, cette dénomination de nombril de la terre qu'on lui a appliquée ; de là aussi cette fable, qu'on lit dans Pindare, de deux aigles (d'autres disent de deux corbeaux) que Jupiter aurait fait partir en même temps l'un de l'Occident et l'autre de l'Orient, et qui se seraient rencontrés juste en ce lieu. On peut voir aujourd'hui encore dans le temple de Delphes l'image grossière d'un nombril entourée de bandelettes et surmontée de ce double emblème dont parle la Fable. [9c,7] Une situation si commode fit de Delphes tout naturellement un lieu de rendez-vous : les populations voisines surtout s'y rassemblaient volontiers, et c'est ainsi qu'elles arrivèrent à fonder la ligue amphictyonique, corps délibérant, chargé de veiller aux intérêts communs et d'exercer une surveillance collective, partant plus efficace, sur le temple de Delphes, qui, vu la quantité de richesses et de pieuses offrandes déposées dans son enceinte, réclamait des gardiens plus attentifs, et qui fussent revêtus en quelque sorte d'un caractère sacré. Les commencements de cette institution ne nous sont pas connus, mais ce qui paraît ressortir des documents historiques subsistants, c'est qu'Acrisius est le premier auteur des règlements relatifs aux Amphictyons, le premier qui ait désigné les villes appelées à faire partie du conseil et à y exercer un droit de suffrage {proportionné à leur importance}, les unes ayant voix entière tandis que les autres devaient voter avec une ou plusieurs associées ; le premier aussi qui ait institué un tribunal amphictyonique pour juger, d'après certaines formes, toutes les querelles de ville à ville. Par la suite, beaucoup d'autres règlements vinrent s'ajouter à ceux-là, mais, comme la ligue achéenne, la ligue amphictyonique finit par se dissoudre. Les villes, qui dans le principe la composaient, étaient, dit-on, au nombre de douze : chacune envoyait un pylagore la représenter dans l'assemblée, laquelle siégeait deux fois par an, au printemps et en automne. Avec le temps, la ligue s'accrut de plusieurs autres cités. Cette assemblée s'appelait l'assemblée pylaeenne parce qu'en automne aussi bien qu'au printemps les Pylagores se rendaient aux Pyles, ou, si l'on aime mieux aux Thermopyles, et y célébraient un sacrifice en l'honneur de Cérès. Il n'y eut d'abord que les nations voisines de Delphes et prenant part à ces assemblées qui usèrent de l'Oracle, mais avec le temps on vint de très loin le consulter. Crésus et le roi Alyatte son père, certains peuples d'Italie et de Sicile envoyèrent à Delphes des députés chargés de précieuses offrandes, et y fondèrent même des trésors. [9c,8] Toutefois, comme la richesse, cet éternel objet des convoitises humaines, n'est en sûreté nulle part, même à l'abri d'un temple, le temple de Delphes se trouve être aujourd'hui très pauvre, sinon en pieuses offrandes (car les chefs-d'oeuvre artistiques, à peu d'exceptions près, ont été respectés), du moins en métaux précieux. Or, c'était là dans le principe la grande richesse du temple, Homère le dit formellement : «Ni tout ce que renferme dans la rocheuse Pytho, à l'abri de son seuil de marbre, le sanctuaire du divin archer, le temple de Phébus Apollon» (Il. IX, 404), et c'est ce qu'attestent également l'existence de ces divers trésors et le pillage sacrilège qu'en firent les Phocidiens, pillage qui fut le signal de la fameuse guerre phocique, connue aussi sous le nom de guerre sacrée. Ce pillage des Phocidiens eut lieu du temps de Philippe, fils d'Amyntas, mais on suppose qu'il y en avait eu un autre plus ancien et que, dans ce premier pillage, l'amas de richesses dont parle le poète avait disparu : du moins n'en restait-il nulle trace apparente lorsque plus tard Onomarque et Phayllus envahirent et pillèrent le temple, tout le numéraire emporté alors provenait de dépôts beaucoup moins anciens, de trésors particuliers, dont la pieuse origine (c'était en général des sommes prélevées sur le butin) était rappelée par des inscriptions encore intactes : «{Trésor} de Gygès», par exemple, «De Crésus», «Des Sybarites», «des Spinètes de l'Adriatique», etc. {Et qu'on n'aille pas dire} que les anciens dépôts avaient pu être mêlés aux nouveaux, les fouilles faites par les bandes d'Onomarchus et de Phayllus dans d'autres temples ont prouvé qu'il n'en était jamais ainsi. Certains grammairiens, d'autre part, prenant le mot aphêtoros dans le sens de trésor et l'expression oudon aphêtoros dans le sens d'un enfouissement profond, souterrain, prétendent que les richesses signalées par Homère avaient été enfouies sous le pavé du temple, et qu'Onomarchus {qui le savait} entreprit de les déterrer et fit commencer les fouilles dans le temple durant la nuit, mais que de violentes secousses de tremblement de terre survenues tout à coup mirent les travailleurs en fuite et interrompirent les fouilles, que personne dans la suite n'eut le courage de reprendre. [9c,9] Des trois temples {qui sont censés s'être succédé à Delphes}, le premier n'a jamais existé qu'à l'état de mythe : son nom de Ptérinum le prouve. Le second fut, dit-on, bâti par Trophonius et Agamède ; quant au troisième, encore debout aujourd'hui, ce sont les Amphictyons qui l'ont fondé. On y voit le tombeau de Néoptolème, élevé naguère en vertu d'un ordre exprès de l'Oracle {et en expiation} du meurtre de ce héros par le Delphien Machaerée : la Fable, comme on sait, veut que Néoptolème ait été frappé au moment où il demandait justice du meurtre de son père, mais, suivant toute apparence, il le fut dans une attaque à main armée qu'il avait dirigée contre le temple. Branchus, qui fut grand prêtre du temple de Didymes, passe pour un descendant de ce Machaerée. [9c,10] Longtemps il n'y eut à Delphes d'autre fête ou solennité qu'un concours de chant entre citharèdes exécutant à tour de rôle des mains en l'honneur du dieu, et c'étaient les Delphiens eux-mêmes qui l'avaient institué. Mais après la guerre criséenne, sous la présidence d'Euryloque, les Amphictyons fondèrent les Pythies, jeux hippiques et gymniques dont le prix fut une simple couronne. Puis ils ajoutèrent à l'ancien concours entre citharèdes un concours {d'un nouveau genre}, dans lequel des joueurs de flûte et des citharistes exécutaient, sans accompagnement de chant ni de paroles, des morceaux dits nomes pythiques. Ce genre de morceaux a toujours cinq parties : une anacrusis, une ampira, un catakéleusme, une quatrième partie appelée iambe-et-dactyle, et un finale qu'on appelle les syringes. L'un des plus célèbres est celui que composa l'amiral de Ptolémée II, Timosthène, connu aussi comme l'auteur de ce fameux Portulan en dix livres. Timosthène a voulu mettre en musique le combat d'Apollon contre le Serpent, et il nous fait assister dans son anacrusis aux préludes ou préparatifs du combat, dans son ampira aux premières escarmouches, dans son catakéleusme au combat lui-même ; puis, dans l'iambe et-dactyle (partie bien reconnaissable à son double rythme, puisque le dactyle est le mètre des hymnes et l'iambe celui de l'invective), il cherche à exprimer ces acclamations qui suivent toute victoire ; enfin, dans les syringes il peint la mort du monstre dont on croit entendre les derniers sifflements, tant l'imitation des instruments est parfaite ! [9c,11] Ephore, à qui nous empruntons la plupart des détails qui précèdent, à cause du soin qu'il a mis à les contrôler, soin auquel Polybe, avec toute l'autorité qui lui appartient, se plaît à rendre justice, Ephore ne laisse pas que de déroger quelquefois à ses principes et d'oublier les promesses qu'il a faites en commençant. On sait avec quelle force il s'élève {dans sa Préface} contre ceux qui en écrivant l'histoire conservent l'amour du merveilleux, et quel bel éloge il y fait de la vérité ; il ne s'en tient pas là, et au moment de parler de l'oracle de Delphes il prend un engagement solennel : la vérité lui a toujours paru ce qu'il y a de plus respectable au monde, mais ici, eu égard au sujet, il la respectera plus encore s'il est possible. «Et ne serait-il pas absurde en effet, s'écrie-t-il, que nous eussions toujours jusqu'ici suivi cette même méthode et qu'au moment de parler du plus véridique d'entre les oracles nous prissions pour guide, non plus la vérité, mais la fable même et le mensonge ?» Cependant que fait-il ? A peine cette déclaration achevée, il vient nous dire sans plus de transition que, suivant l'opinion généralement admise, c'est Apollon qui, avec l'aide de Thémis et pour nous rendre service, à nous autres hommes, a fondé l'oracle de Delphes. Il précise même le genre de service que le dieu a voulu rendre au genre humain. Ce fut, dit-il, pour amener les hommes à des moeurs plus douces, à une conduite plus sage, qu'aux uns il daigna répondre et dicter par ses Oracles ce qu'ils devaient faire au ce qu'ils devaient éviter, tandis qu'il restait sourd et inflexible aux demandes des autres. «On croit en effet, poursuit Ephore, que d'une et d'autre manière c'est le dieu lui-même qui intervient, soit que, comme quelques-uns l'assurent, il revête pour répondre une forme corporelle, soit qu'il emprunte à cet effet l'organe de certains hommes initiés à l'intelligence des volontés divines». [9c,12] Et plus bas, à propos de l'origine des Delphiens, que nous dit-il ? Qu'anciennement le Parnasse était habité par une population autochtone, du nom de Parnassii, qu'Apollon, qui, dans le même temps, parcourait la terre en civilisateur, habituant les hommes à une alimentation, à un genre de vie moins sauvage, se rendit d'Athènes à Delphes par la route que suit aujourd'hui encore la Pompe Pythiade que les Athéniens envoient chaque année à Delphes ; qu'arrivé à Panopées, le dieu tua de ses mains Tityus, homme violent et injuste, qui opprimait le pays, que les Parnassii à leur tour vinrent le trouver, et lui dénoncèrent un autre homme aussi méchant, Python dit le Serpent ; qu'Apollon aussitôt l'attaqua à coups de flèches aux cris répétés de "ie paian" que poussaient les Parnassii et qui sont le principe de ces paeans que les Grecs sont dans l'usage d'entonner quand ils marchent au combat, de même que le feu de joie annuel des Delphiens modernes est destiné à rappeler que les anciens Delphiens, témoins du combat, avaient mis le feu sur l'heure à la tente de Python. Or, je le demande, ne se croirait-on pas en pleine mythologie à voir ce personnage d'Apollon, aux traits vengeurs, châtiant les Tityus, les Python, allant d'abord d'Athènes à Delphes, puis partant de là pour parcourir la terre entière ? Et qu'on ne dise pas qu'Ephore {a pu se méprendre sur le caractère de ces traditions} et y voir autre chose que des fables, car, si cela était, {pourquoi y aurait-il rien changé}, pourquoi aurait-il fait de la déesse Thémis une simple mortelle et du serpent de la légende un homme ! Mais non, il a bien su ce qu'il voulait, et c'est de propos délibéré qu'il a composé un de ces récits mixtes où la fable prend un faux air de l'histoire. A propos de l'Aetolie, Ephore est tombé dans une contradiction du même genre, car, après avoir déclaré de la façon la plus formelle que l'Aetolie n'avait jamais été dévastée ni traitée en pays conquis, il nous la montre, dans tel autre endroit de son récit, occupée par les Aeoliens qui en expulsent violemment les Barbares, dans tel autre encore, envahie par Aetolus et ses Epéens {que les Aeliens parviennent à repousser}, mais pour succomber à leur tour sous les efforts d'Alcméon et de Diomède. - Il est temps, du reste, de reprendre notre description de la Phocide. [9c,13] Car nous n'avons pas parcouru tout le littoral : nous y trouvons encore, immédiatement après Anticyre, la petite place d'Opisthomarathus, puis vient le promontoire Pharygium, avec un bon mouillage ou abri pour les vaisseaux, et un dernier port, celui de Mychos, dont le nom rappelle bien sa situation extrême au pied de l'Hélicon et de la ville d'Ascra. Abae, siège d'un oracle fameux, n'est pas loin non plus de l'Hélicon et d'Ascra, et il en est de même d'Ambrysus et de la ville de Mé{déon}, laquelle ne doit pas être confondue avec son homonyme de Béotie. En s'avançant encore plus dans l'intérieur et en tirant vers l'est, après avoir dépassé Delphes, on rencontre la petite ville de Daulis, où régna naguère, à ce qu'on assure, le Thrace Térée, et où la Fable place la tragique aventure de Philomèle et de Procné. Cette ville paraît avoir tiré son nom des bois épais qui l'entourent, dauli étant la qualification dont on se sert dans le pays pour désigner tout site boisé. Homère (Il. II, 520) emploie pour ce nom la forme Daulis ; mais plus tard la forme Daulie a prévalu. Pour ce qui est du nom de Cyparissus qu'on rencontre également dans Homère (Ibid. 519), «{hoi} Kuparisson echon» et qui paraît désigner le bourg {d'Apollonias} au pied du mont Lycorée, on propose deux étymologies : les uns y voient le nom même de l'arbre et l'expliquent par la quantité de cyprès {qui poussaient en ce lieu} ; les autres en font le dérivé d'un nom propre, du nom de Cyparissus {frère d'Orchoménus}. [9c,14] Panopéûs, ou, comme on dit aujourd'hui, Phanotéûs, confine au territoire de Lébadée. Patrie d'Epéus, cette ville aurait été aussi, au dire des mythographes, le théâtre de la légende de Tityus. Suivant Homère, cependant, c'est en Eubée que les Phéaciens conduisirent Rhadamanthe, «Pour voir Tityus, le fils de la Terre» (Od. XII, 324). Et il est de fait qu'on vous montre aujourd'hui encore dans cette île certaine grotte dite Elarienne, du nom d'Elara, mère de Tityus, qui y a lui-même son hérôon et un culte en règle. Toujours dans le voisinage de Lébadée est Trachîn. Le nom de cette petite ville de Phocide s'écrit comme celui de la ville de l'Oeta, mais l'ethnique en est différent, ses habitants sont appelés les Trachinii. [9c,15] Anémorée doit le nom qu'elle porte à un inconvénient de sa situation : elle est en effet exposée à de furieuses rafales de vent qui s'abattent du haut du Catoptérius, contrefort escarpé de la chaîne du Parnasse. Lorsque les Lacédémoniens détachèrent Delphes de la ligue phocidienne pour en faire un Etat libre, c'est par Anémorée que dut passer la ligne de démarcation destinée à séparer les Delphiens et les Phocidiens. On trouve quelquefois cette même ville appelée Anémolie. Suit Hyampolis, ou, comme l'appellent certains auteurs modernes, Hya, qui servit de refuge, avons-nous dit, aux Hyantes, chassés de Béotie. Hyampolis, qu'il ne faut pas confondre avec la vile de Hyampée dans le Parnasse, est près de Parapotamii et appartient à la région intérieure de la Phocide ; il en est de même d'Elatée, la capitale. Elatée, fondée postérieurement à l'âge homérique, et que le poète, par conséquent, n'a pu connaître, occupe, en effet, une position des plus avantageuses au débouché des défilés de Thessalie. On peut juger de l'importance de cette situation par le tableau que fait Démosthène de l'émotion subite et profonde qui s'empara d'Athènes, quand on vint annoncer aux Prytanes qu'Elatée était prise. [9c,16] Le nom de Parapotamii désigne un bourg situé sur le Céphise, dans le voisinage de Phanotée, de Chaeronée et d'Elatée. Théopompe place cette localité à quarante stades environ de Chaeronée, et en fait en quelque sorte la limite commune des Ambryséens, des Panopéens et des Dauliéens. Suivant lui, elle commande le passage par où l'on entre de Béotie en Phocide, étant située sur une colline passablement haute qui s'avance entre le Parnasse et le {mont Hadylius} : {l'intervalle de ces deux montagnes} n'est là en effet que de 5 stades, et le lit du Céphise qui coule entre deux ne laisse qu'un étroit passage de libre à droite et à gauche. Théopompe ajoute, au sujet du Céphise, que ce fleuve vient de Lilée, ville de Phocide (c'est aussi ce que dit Homère : «Et ceux qui habitaient Lilée aux sources du Céphise» (Il. II, 523), après quoi il va se jeter dans le lac Copaïs ; quant au mont Hadylius, Théopompe lui donne un parcours de 60 stades environ et le rattache à l'Hysantéum, montagne voisine d'Orchomène. Hésiode parle aussi du Céphise et décrit son cours tout au long, nous le montrant qui se déroule et serpente à travers la Phocide : «Il passe auprès de Panopé la divine, longe l'enceinte fortifiée de Glêchon, et se déroule ensuite dans les champs d'Orchomène sinueux comme un serpent». La possession de ce défilé de Parapotamii ou de Parapotamie (le nom a ces deux formes) a été vivement disputée durant la guerre phocique, ce qui se conçoit, {les Thébains n'ayant pas d'autre passage pour entrer {en Phocide}. Le fleuve de Phocide n'est pas le seul cours d'eau qui porte le nom de Céphise. Il y a aussi le Céphise d'Athènes et le Céphise de Salamine ; il y en a même un quatrième à Sicyone, voire un cinquième à Scyros. Enfin la ville d'Apollonie, voisine d'Epidamne, possède, dans le quartier du Gymnase, une source ou fontaine du nom de Céphise. [9c,17] Daphnûs, qui est aujourd'hui en ruines, comptait naguère parmi les villes de la Phocide ; et, comme elle est située sur le rivage même de la mer d'Eubée interrompant les possessions des Locriens Epicnémidiens et faisant de la Locride orientale deux sections, l'une à gauche de la Phocide, l'autre à gauche de la Béotie, la Phocide s'étendait alors effectivement d'une mer à l'autre. La chose ressort de la présence à Daphnûs d'un monument dit le Schédiéum qui passe pour le tombeau de Schédius. Mais plus tard, cette même ville, qui coupait en deux, avons-nous dit, la Locride et qui empêchait que les Epicnémidiens et les Opontiens ne se touchassent en aucun point de leur frontière, fut attribuée aux Opontiens. - Nous croyons en avoir assez dit au sujet de la Phocide.