[8,1,0] CHAPITRE I. [8,1,1] Après avoir parcouru toute la portion occidentale de l'Europe comprise entre la mer Intérieure et la mer Extérieure, et passé en revue les différents peuples barbares qui s'y trouvent répandus jusqu'au Tanaïs, nous avons, dès le livre précédent, en décrivant la Macédoine, décrit une petite portion de la Grèce : poursuivons maintenant et complétons le tableau géographique de cette contrée. Depuis Homère, qui, le premier, l'a essayé, plus d'un auteur a entrepris de décrire la Grèce : les uns ont composé, sous les noms de portulans, de périples, d'itinéraires et autres semblables, des descriptions particulières dans lesquelles la Grèce se trouvait comprise ; les autres ont, en exposant l'histoire générale, consacré quelques chapitres à la topographie des continents : c'est ce qu'ont fait, par exemple, Ephore et Polybe ; d'autres enfin, comme Posidonius et Hipparque, ont trouvé moyen, dans des traités de physique et de mathématique, de dire aussi quelque chose de la géographie de cette contrée. Mais s'il est facile, aujourd'hui encore, de vérifier ce que ces différents auteurs ont pu écrire de la Grèce, il n'en est pas de même des descriptions d'Homère ; celles-ci ont besoin d'être soumises à un véritable examen critique, car ce sont les descriptions d'un poète, et, d'autre part, ce qu'elles nous représentent n'est pas l'état actuel du pays, mais bien l'état ancien, dont le temps n'a pour ainsi dire pas laissé subsister de trace. Essayons pourtant cet examen dans la mesure de nos forces, et, pour cela, reprenons du point où nous nous sommes arrêté. Du côté de l'0. et du N., on se le rappelle, nous n'avons pas poussé notre description au delà de l'Epire et de l'Illyrie, et, du côté de l'E., en décrivant la Macédoine, nous n'avons pas dépassé Byzance. Or, après les Epirotes et les Illyriens, les premiers peuples que la Grèce nous offre sont les Acarnanes, les Étoliens et les Locriens Ozoles, auxquels il faut ajouter les Phocéens et les Béotiens. Puis, en face de la Béotie, dont le sépare une courte traversée, s'étend le Péloponnèse, qui achève de déterminer le golfe de Corinthe, et qui, en donnant à celui-ci la figure qu'il a, en reçoit lui-même une configuration particulière. Enfin à la Macédoine succèdent, outre la Thessalie qui se prolonge jusqu'à la frontière des Maliéens, les différents pays situés au delà comme en deçà de l'isthme. [8,1,2] La Grèce compte donc un grand nombre de peuples distincts ; mais ceux-ci se réduisent par le fait à quatre nations principales, correspondant aux quatre dialectes grecs. Encore pouvons-nous dire que le dialecte ionien se confond avec l'ancien dialecte attique, et le dorien avec l'éolien : en effet, à l'origine, les habitants de l'Attique ne portaient pas d'autre nom que celui d'Ioniens, et ce sont eux qui, en colonisant l'Asie, y ont introduit ce qu'on appelle aujourd'hui encore la langue ionienne. D'autre part, à l'exception des Athéniens, des Mégariens et des Doriens du Parnasse, tous les peuples établis en dehors de l'isthme sont actuellement encore compris sous la dénomination générale d'Éoliens, et, s'il n'en est pas de même des Doriens proprement dits, de ce petit peuple confiné dans le canton le plus âpre de la Grèce, c'est qu'apparemment l'isolement aura altéré son langage et ses moeurs, et, en effaçant son affinité primitive, lui aura donné tous les caractères d'une race à part. C'est là aussi ce qui est arrivé aux Athéniens : comme ils habitaient une contrée dont le sol était âpre et maigre, ils restèrent à l'abri de toute dévastation et l'on regarda comme autochthone un peuple qu'on voyait occuper toujours les mêmes lieux sans qu'aucun ennemi cherchât à les en expulser ni parût même les leur envier ; par suite de la même cause, leur idiome et leurs moeurs s'altérèrent peu à peu, et ils en vinrent ainsi, en dépit de leur petit nombre, à former une nation à part. La race éolienne, on le voit, fut de tout temps prédominante en dehors de l'isthme. Au dedans de l'isthme, elle l'était également à l'origine ; mais, plus tard, d'autres peuples s'y mêlèrent à elle : les Ioniens vinrent de l'Attique occuper l'Aegialée, et les Doriens, amenés par les Héraclides, fondèrent Mégare et une bonne partie des villes du Péloponnèse. Toutefois, comme les Ioniens ne tardèrent pas à être renvoyés par les Achéens, peuple de race éolienne, il ne resta plus dans le Péloponnèse que des Éoliens et des Doriens en présence. Naturellement, les peuples qui s'étaient trouvés avoir moins de contact avec les Doriens (et tel avait été le cas non seulement des Arcadiens, qui, retranchés dans leurs montagnes, étaient restés en dehors du partage des Héraclides, mais des Eléens également qui, protégés par leur caractère sacré, avaient continué à mener au sein de la paix une existence à part, et qui, d'ailleurs, à titre d'Éoliens, avaient, lors du retour des Héraclides, reçu au milieu d'eux Oxylus et ses compagnons), ces peuples, dis-je, conservèrent comme idiome le pur éolien ; mais tous les autres se formèrent un langage mixte dans lequel les éléments éoliens dominaient encore plus ou moins, si bien qu'aujourd'hui même, quoique l'hégémonie dorienne semble avoir fait prévaloir le Dorien dans tout le Péloponnèse, chaque ville s'y trouve posséder en réalité un dialecte qui lui est propre. Telle est, dans sa forme la plus générale, la division ethnographique de la Grèce. Reste à en donner la description particulière ; or, pour cela, prenons chaque peuple dans l'ordre où il se présente à nous. [8,1,3] Ephore, on le sait, part de l'O. et fait commencer la Grèce à l'Acarnanie, première province, dit-il, qui confine à l'Epire. Trouvant de ce côté le littoral pour lui servir d'échelle comparative de mesure, Ephore avait jugé apparemment ne pouvoir suivre dans ses descriptions topographiques de guide plus sûr que la mer, et c'est pourquoi il y avait pris son point de départ qu'autrement il eût aussi bien pris des frontières de la Macédoine et de la Thessalie. Faisons comme lui et à notre tour accommodons notre description à la nature des lieux en consultant d'abord les indications que nous fournit la mer. Quand, au sortir des parages de la Sicile, la mer rencontre les côtes de Grèce, elle se répand d'un côté dans le golfe de Corinthe, et de l'autre {dans le golfe Saronique}, faisant ainsi du Péloponnèse une grande presqu'île fermée par un isthme étroit. De là, en Grèce, deux masses absolument distinctes : la région en deçà de l'isthme et celle qui s'étend au-delà {jusqu'aux} Thermopyles, {voire même} jusqu'aux bouches du Pénée, la Thessalie faisant encore partie {de la Grèce}. Ajoutons que cette dernière région est la plus grande des deux. {L'autre, en revanche, a plus d'importance}, et, comme telle, a joué un rôle plus brillant : cela est si vrai qu'on pourrait à la rigueur appeler le Péloponnèse l'Acropole de la Grèce, {et dire qu'il a exercé en Grèce la même prépondérance que la Grèce à son tour a exercée en Europe}. Cette prépondérance, la Grèce ne l'a pas due seulement à la puissance et à la gloire de ses peuples, mais la disposition des lieux l'impliquait déjà nécessairement, tant par la multitude de golfes et de caps qui découpent ses côtes que par cette circonstance si caractéristique de grandes presqu'îles se succédant et s'emboîtant pour ainsi dire l'une dans l'autre. La première de ces presqu'îles, laquelle n'est autre que le Péloponnèse, est fermée par un isthme large de 40 stades ; quant à la seconde, qui se trouve par le fait comprendre la première, elle a pour isthme l'espace compris entre Pagae, ville de la Mégaride, et Nisée, port ou arsenal de Mégare, espace représentant un trajet de 120 stades d'une mer à l'autre. La troisième presqu'île, qui contient à son tour la précédente, a pour isthme l'espace compris entre le golfe Crissaeen et les Thermopyles : pour se représenter cet isthme, on n'a qu'à concevoir une ligne droite de 550 stades environ, interceptant {l'Attique et} la Béotie tout entière et coupant obliquement la Phocide et la Locride Epicnémidienne. Une quatrième presqu'île a pour isthme cette autre ligne, de 800 stades environ, qui, partant du golfe Ambracique, coupe l'Oeta et la Trachinie et aboutit au golfe Maliaque et aux Thermopyles. Enfin un isthme de plus de 1000 stades, partant aussi du golfe Ambracique et traversant la Thessalie et la Macédoine pour aboutir au fond du golfe Thermaeen, {détermine une cinquième et dernière presqu'île}. La succession de ces diverses presqu'îles indique, on le voit, le meilleur ordre à suivre dans la description de la Grèce, et, comme la plus petite est en même temps la plus célèbre de toutes, c'est par elle naturellement qu'il nous faut commencer. [8,2,0] CHAPITRE II. [8,2,1] Le Péloponnèse a la forme d'une feuille de platane et la même étendue, ou peu s'en faut, en longueur qu'en largeur, c'est-à-dire 1400 stades environ, à prendre pour sa longueur une ligne qui irait de l'O. à l'E. depuis le cap Chélonatas, par Olympie et la Mégalopolitide, jusqu'à l'isthme, et pour sa largeur une autre ligne qui irait du S. au N. depuis Malées jusqu'à Aegium en traversant toute l'Arcadie. De circuit, Polybe donne au Péloponnèse 4000 stades, et Artémidore 4400 ; mais l'un et l'autre font abstraction de ses divers golfes ou enfoncements. En réalité, et quand on tient compte de toutes les sinuosités de la côte, le circuit de la presqu'île est de 5600 stades et plus. Quant à l'isthme, sa longueur mesurée, avons-nous dit, d'après le diolcos ou sillon servant au traînage des embarcations, est de 40 stades. [8,2,2] L'Elide et la Messénie forment, non seulement le côté occidental de la presqu'île dans la portion de leur territoire qui borde la mer de Sicile, mais une bonne partie aussi des deux côtés adjacents, car l'Elide décrit un coude au N. et se prolonge dans cette direction jusqu'à l'entrée du golfe de Corinthe, autrement dit jusqu'au cap Araxus, lequel fait face à l'Acarnanie et aux îles circonvoisines, telles que Zacynthe, Céphallénie, Ithaque et le groupe des Echinades (Dulichium compris), tandis que la Messénie, tournée comme elle est principalement au midi, s'étend le long de la mer Libyque jusqu'aux îles Thyrides, proches voisines du cap Ténare. L'Achaïe qui succède à l'Elide continue le côté septentrional du Péloponnèse et borde le golfe de Corinthe jusqu'à la frontière de la Sicyonie, puis vient Sicyone, et, après Sicyone, Corinthe, dont le territoire atteint, en se prolongeant, l'isthme même. A la Messénie, d'autre part, succèdent la Laconie, d'abord, puis l'Argolide qui, elle aussi, va se terminer à l'isthme. Cette première section du littoral de la Grèce nous offre plusieurs grands golfes : 1° le golfe de Messénie ; 2° celui de Laconie ; 3° celui d'Argolide ; 4° celui d'Hermione ; 5° le golfe Saronique, appelé quelquefois aussi golfe de Salamine. De ces golfes, les uns sont formés par la mer de Libye, les autres le sont par la mer de Crète et cette espèce de bassin qu'on nomme la mer de Myrtes. Certains auteurs, du reste, donnent au golfe Saronique lui-même le nom de mer, ou tout au moins de bras de mer. Quant au centre du Péloponnèse, c'est l'Arcadie qui l'occupe, laquelle se trouve naturellement toucher et confiner aux différents pays que nous venons d'énumérer. [8,2,3] L'entrée du golfe de Corinthe est marquée, d'un côté, par les bouches de l'Evénus, si ce n'est même, comme le prétendent certains auteurs, par les bouches de l'Achéloüs, fleuve qui sépare l'Acarnanie de l'Aetolie, et, de l'autre côté, par le cap Araxus ; car, si les deux rivages opposés arrivent à se réunir presque et à se confondre à la hauteur de Rhium et d'Antirrhium, la traversée de l'un à l'autre n'étant plus là que de 5 stades environ, c'est ici à la hauteur du cap Araxus qu'ils commencent à se rapprocher d'une manière sensible. Rhium est une pointe très basse, qui se détache de la côte d'Achaïe entre Patrae et Aegium, et qui se recourbe en dedans à la façon d'une lame de faux, ce qui l'a fait quelquefois appeler du nom de Drepanum. Ajoutons qu'il s'y trouve un temple de Neptune. Quant à la pointe d'Antirrhium, elle marque la séparation de l'Aetolie et de la Locride, et supporte une ville nommée Rhium Molycrium. A partir de là, les deux rivages s'écartent de nouveau l'un de l'autre, assez même pour former un second golfe, dit de Crissa, lequel se termine à la côte occidentale de la Béotie et de la Mégaride. Le périmètre du golfe de Corinthe, mesuré depuis l'Evénus jusqu'au cap Araxus, est de 2230 stades ; en le mesurant depuis l'Achéloüs, on aurait à compter en plus à peu près 100 stades. Quoi qu'il en soit, de l'Achéloüs à l'Evénus et de l'Evénus au cap Antirrhium, c'est l'Aetolie seule qui le borde ; puis le reste de la côte jusqu'à l'isthme est occupé par la Phocide, {la Locride}, la Béotie et la Mégaride et mesure en tout 1118 stades. Du cap Antirrhium à l'isthme, {le golfe, avons-nous dit, porte le nom de golfe de Crissa : ajoutons qu'on distingue encore} sous le nom de mer Alcyonide la portion du dit golfe {qui commence au port de Créüse}. De l'isthme enfin jusqu'au cap Araxus la distance est de {1030 stades}. Nous venons de décrire d'une manière générale l'aspect, l'étendue et la situation, non seulement du Péloponnèse, mais encore de la côte qui lui correspond de l'autre côté du détroit jusqu'à l'isthme, ainsi que du golfe qui se trouve compris entre deux ; passons maintenant à la description particulière de la presqu'île en commençant par l'Elide. [8,3,0] CHAPITRE III. [8,3,1] Le nom d'Elide s'étend aujourd'hui à toute la portion du littoral qui va de l'Achaïe à la Messénie en remontant dans l'intérieur jusqu'aux cantons arcadiens du Pholoé, de l'Azanie et de la Parrhasie. Primitivement divisé en plusieurs Etats, ce pays avait fini par n'en plus former que deux, le royaume des Epéens et celui de Nestor, fils de Nélée : c'est encore Homère qui nous l'apprend en désignant, comme il fait, sous le nom d'Elis les possessions Epéennes, «Le long des côtes de la divine Elis où dominent les Epéens» (Odyssée, XV, 298), et sous le nom de Pylos, de Pylos sur l'Alphée, les possessions de Nestor, «L'Alphée qui de son large cours sillonne la terre des Pyliens» (Iliade, V, 545). Homère mentionne bien ailleurs Pylos en tant que ville, «Ils atteignent alors Pylos, la ville de Nélée aux belles et fortes murailles» (Odyssée, III, 4), mais ce n'est assurément pas de la ville qu'il parle, quand il dit que Pylos était traversé ou baigné par l'Alphée, car la ville est située sur un autre fleuve appelé par les uns Pamisus, et par les autres Amathus (d'où est venue apparemment l'épithète d'Emathoéis jointe parfois au nom de Pylos), et il est de fait que l'Alphée n'arrosait que la Pylie ou campagne pylienne. [8,3,2] Quant à la ville actuelle d'Elis, elle n'existait pas encore au temps d'Homère ; toute la population du pays vivait disséminée dans des bourgs, et c'est le pays même qui, en raison de sa nature, portait le nom de Coelé-Elis : le sol y est, en effet, presque partout très bas, notamment dans la portion la plus fertile. Ce n'est que bien longtemps après, et postérieurement aux guerres médiques, que plusieurs de ces bourgs ou dèmes se réunirent et formèrent la ville actuelle d'Elis. A peu d'exceptions près, du reste, il en est de même pour les autres localités du Péloponnèse mentionnées par Homère, elles doivent être considérées, non comme des villes, mais comme des espèces de cantons, de districts, composés chacun de plusieurs dèmes, qui, en se réunissant plus tard, formèrent les différentes villes que nous connaissons : Mantinée, par exemple, qui fut fondée en Arcadie par les Argiens, le fut par suite de la réunion de cinq dèmes ; Tégée se forma de la réunion de neuf dèmes, Hérée de la réunion d'un même nombre de dèmes opérée par les soins de Cléombrote on de Cléonyme ; sept ou huit dèmes réunis formèrent aussi la ville d'Aegium, sept dèmes la ville de Patrae, huit dèmes la ville de Dymé. Or, c'est là ce qui était arrivé à Elis ; cette ville située aujourd'hui sur le fleuve Pénée, lequel y passe près du Gymnase, s'était formée de la réunion de {huit} dèmes circonvoisins, auxquels s'ajouta plus tard le dème des Agriades, mais, {comme nous l'avons dit plus haut,} quand cette réunion eut lieu, les possessions de Nestor avaient passé depuis bien longtemps déjà sous la domination des Eléens. [8,3,3] Les possessions de Nestor comprenaient : 1° la Pisatide avec Olympie ; 2° la Triphylie ; 3° la Cauconie. La Triphylie doit son nom à cette circonstance qu'elle fut naguère le théâtre de la fusion ou réunion de trois peuples (tria phula), de trois races distinctes, à savoir les Epéens, habitants primitifs, les Minyens, colonie étrangère, et les Eléens, conquérants du pays. A la place des Minyens, cependant, certains auteurs nomment les Arcadiens, qui ont effectivement à différentes reprises élevé des prétentions sur la Triphylie, ce qui a même fait appeler quelquefois le Pylos de Triphylie du nom de Pylos Arcadique. Homère, lui, donne à toute cette contrée jusqu'à Messène, le nom de Pylos ni plus ni moins qu'à la ville, mais il nous fournit la preuve en même temps, dans son Catalogue ou Dénombrement des vaisseaux, par les noms de chefs et de localités qu'il indique, que la Coelé-Elide était restée en dehors des possessions de Nestor. Si je rapproche ainsi l'état actuel du pays de la description qu'en a donnée Homère, c'est qu'il y a là, je le répète, pour le géographe une sorte de contrôle rendu indispensable et par l'autorité du poète et par l'étroit commerce que nous entretenons tous avec lui dès notre enfance, chacun de nous ne croyant avoir bien traité le sujet qui l'occupe que s'il n'a choqué en rien cette tradition homérique si universellement accréditée : continuons donc de la sorte, et à la description de l'état actuel des lieux joignons toujours celle qu'en a donnée Homère, puis, dans la mesure de ce qui peut être utile, comparons les deux descriptions. [8,3,4] Au N. de l'Elide et à 60 stades seulement de la ville achéenne de Dymé s'avance le cap Araxus. Partons de ce cap, qui marque effectivement le commencement de la côte d'Elide et dirigeons-nous au couchant, nous rencontrons d'abord Cyllène, qui sert de port à la moderne Elis, située à 120 stades dans l'intérieur. C'est évidemment la même Cyllène qu'Homère a entendu désigner lorsqu'il a dit (Iliade, XV, 518) : «Otus le Cyllénien commande les Epéens», car il n'eût pas mis à la tête des Epéens un chef originaire du mont Cyllène en Arcadie. Cyllène d'ailleurs est un bourg passablement grand et qui possède l'Esculape de Colotès, statue en ivoire d'un admirable travail. Vient ensuite le cap Chélonatas, qui est le point le plus occidental du Péloponnèse. A ce cap, que prolongent encore une petite île et des bas-fonds, et qu'une traversée {de 80 stades au plus} sépare de Céphallénie, correspond la limite de la Coelé-Elide et de la Pisatide, formée aussi en partie par le cours de l'Elise ou Elison. [8,3,5] Dans l'intervalle de Cyllène au cap Chélonatas, deux fleuves, le Pénée d'abord, et, après le Pénée, le Selléïs débouchent à la mer. Le Selléïs, le même dont parle Homère, descend du Pholoé et passe près d'une ville du nom d'Ephyre, qu'il ne faut pas confondre avec ses homonymes de Thesprotie, de Thessalie et de Corinthie. Celle-ci est une quatrième Ephyre, la même ville peut-être sous un autre nom qu'Oenoé, que Boenoé pour mieux dire (car le nom se prononce ainsi d'ordinaire) : tout au moins est-elle sa proche voisine se trouvant sur la route du Lasion à 120 stades d'Elis. Il y a tout lieu de penser que c'est de cette Ephyre qu'Homère parle à propos d'Astyochée, mère de Tlépolème, l'un des Héraclides, «Il l'avait enlevée d'Ephyra, des bords mêmes du fleuve Selléïs» (Iliade, II, 659) ; car cette partie de l'Elide, on le sait, fut, plus que les cantons dont nous parlions tout à l'heure, le théâtre de la valeur d'Hercule ; et d'ailleurs il n'existe pas de fleuve du nom de Selléïs dans les environs des autres Ephyres. De la même ville aussi provenaient et {la fameuse cuirasse} de Mégès, «Phylée l'avait rapportée naguère d'Ephyra, des bords du Selléïs» (Iliade, XV, 531) ; et ces poisons terribles {dont parle le poète à plusieurs reprises. Minerve}, en effet, dans l'Odyssée (I, 261), dit qu'Ulysse est allé à Ephyre «Chercher le venin homicide dont il a besoin pour y tremper ses flèches» ; c'est aussi ce que disent les prétendants en parlant de Télémaque, «Peut-être encore veut-il visiter les grasses prairies d'Ephyre, et en rapporter le terrible poison qu'il nous destine» (Odyssée, II, 328). Ce qui explique d'autre part comment Nestor, dans le récit de sa guerre contre les Epéens, ayant à nommer la fille d'Augéas, leur roi, la représente comme une sorcière initiée à la connaissance des poisons : «C'est moi, dit-il, moi qui le premier renversai de ma lance un chef ennemi, le vaillant Mulius : il était gendre d'Augéas, et avait épousé sa fille aînée. Celle-ci connaissait tout ce que la terre, dans son vaste sein, nourrit de sucs vénéneux» (Iliade, XI, 738). [8,3,6] Apollodore, il est vrai, voulant montrer comment Homère s'y prend d'ordinaire pour distinguer les unes des autres les villes homonymes, a écrit ceci : «De même que, pour distinguer entre les deux Orchomènes, Homère donne à l'une (celle d'Arcadie) l'épithète de polumêlon, comme qui dirait riche en troupeaux, et à l'autre (celle de Béotie) la dénomination de Minyenne ; de même encore qu'il empêche, par le seul rapprochement de deux noms, «Entre Samos et Imbros» (Iliade, XXIV, 78), qu'on ne confonde Samothrace avec Samos d'Ionie, de même il a su distinguer l'Ephyre de Thesprotie des autres Ephyres par l'épithète de lointaine et par la mention du Selléïs». Mais sur ce point là, dirons-nous, et, bien qu'en général il ne fasse que le copier, Apollodore se trouve en désaccord avec Démétrius de Scepsis. Démétrius nie formellement qu'il existe en Thesprotie un fleuve du nom de Selléïs et le seul Selléïs qu'il indique est celui que nous avons nommé plus haut, c'est-à-dire le Selléïs d'Elide, le Selléïs qui passe près de l'Ephyre d'Elide. L'opinion d'Apollodore sur ce point demande donc à être revisée, tout comme celle qu'il a émise au sujet d'Oechalie, qu'il n'y a qu'une seule des villes de ce nom à qui convienne la qualification homérique de ville d'Eurytus dit l'Oechalien. Pour Apollodore, cette ville est évidemment l'Oechalie de Thessalie, celle que mentionne Homère dans le vers suivant, «Et ceux qui habitaient Oechalie, ville d'Eurytus dit l'Oechalien» (Iliade, II, 730) ; mais alors, demanderons-nous, quelle est cette Oechalie d'où sortait Thomyris, lorsqu'il fut près de Dorium rencontré par les Muses ? «Et arrêtant le chantre de la Thrace elles mirent fin pour jamais à ses chants». De deux choses l'une en effet : ou il s'agit là encore de l'Oechalie de Thessalie et c'est le Scepsien qui a évoqué mal à propos certaine Oechalie d'Arcadie qu'on prétend être la ville actuelle d'Andanie ; ou bien celui-ci a eu raison, Homère a réellement désigné comme ville d'Eurytus l'Oechalie d'Arcadie, et alors il y avait deux Oechalies d'Eurytus, et non pas une seule, comme l'a prétendu Apollodore. [8,3,7] Entre l'embouchure du Pénée et celle du Selléïs, au pied du mont Scollion s'élevait naguère une ville appelée Pylos, mais qui différait évidemment de celle de Nestor, puis qu'on ne peut la rattacher ni au cours de l'Alphée ni à celui du Pamisus, ou de l'Amathus pour mieux dire. Quelques auteurs néanmoins veulent, contre la force de l'évidence, revendiquer pour elle l'honneur d'avoir donné naissance à l'illustre Nestor. L'histoire, on le sait, constate l'existence dans le Péloponnèse de trois villes appelées Pylos, on a même fait à ce propos le vers suivant : «Devant Pylos, il y a Pylos ; derrière Pylos, encore Pylos». Ces trois villes sont : 1° celle dont nous parlons actuellement ; 2° Pylos le Lépréatique dit aussi Pylos de Triphylie ; 3° Pylos de Messénie, ou, comme on l'appelle quelquefois, Pylos Coryphasien. Or chacune de ces villes a trouvé des garants pour établir qu'elle était le vrai Pylos Emathoéïs, autrement dit la patrie de Nestor : en général les auteurs modernes, tant les historiens que les poètes, font de Nestor un héros messénien, donnant ainsi la préférence à celui des trois Pylos qui s'est conservé jusqu'à eux. D'autres, plus fidèles à la tradition homérique, soutiennent, conformément aux vers du poète, que la ville de Nestor était celle dont l'Alphée traversait le territoire : et l'on sait que l'Alphée traverse la Pisatide et la Triphylie. Enfin, les habitants de la Coelé-Elide, mus de la même ambition pour leur Pylos, invoquent en sa faveur, comme autant d'indices certains, le voisinage d'une localité nommée Gérénos et l'existence dans le pays d'un fleuve du nom de Gérôn et d'un autre cours d'eau appelé le Géranies, ne doutant pas que ce ne soit là l'origine de ce nom de Gérénien que le poète donne habituellement à Nestor en guise d'épithète. Mais les Messéniens de leur côté se servent du même argument et il faut convenir que dans leur bouche il offre plus de vraisemblance, le nom de leur Gérènes, ville autrefois si peuplée et si florissante, étant, ainsi qu'ils le prétendent, bien autrement connu. Tel est donc l'état actuel de la Coelé-Elide. [8,3,8] Quant à l'ancienne division dont parle Homère (Iliade, II, 615) en quatre cantons, sous quatre chefs distincts, il faut convenir qu'elle n'est pas suffisamment claire : «Ces peuples habitaient Buprase et la divine Elis, tout ce qu'enferment dans leurs territoires et Hyrminé et Myrsine, limite extrême de la contrée, et Alisium et la Roche Olénie : quatre chefs les commandaient, suivis chacun de dix vaisseaux rapides, sur lesquels se pressaient de nombreux Epéens». Il semblerait en effet, à voir comment Homère applique la dénomination générale d'Epéens à la fois aux Buprasiens et aux Eléens, sans plus rappeler que les Buprasiens étaient eux-mêmes des Eléens, que ce n'est point l'Elide même qu'il divise ainsi en quatre parties, mais bien le territoire Epéen qu'il subdivise, après l'avoir déjà divisé en deux parties principales, Buprasium formant à ce compte non une portion quelconque de la divine Elis, mais l'une des deux divisions du territoire Epéen, d'autant mieux qu'on trouve les Buprasiens qualifiés formellement d'Epéens dans le passage suivant de l'Iliade : «Comme le jour où, dans Buprase, les Epéens ensevelirent Amaryncée leur roi» (Iliade, XXIII, 630). Mais d'un autre côté, et par cela seul qu'Homère a dans son énumération réuni les noms de Buprase et de la divine Elis et qu'il a indiqué, tout de suite après, cette division en quatre cantons, il paraît évident qu'il a entendu l'attribuer en commun à Buprasium et à Elis. Tout porte à croire en effet qu'anciennement Buprasium était une des principales localités de l'Elide ; on peut même supposer que cette ville, qui aujourd'hui n'existe plus (le nom de Buprasium aujourd'hui ne désigne plus qu'un petit pays où passe la route qui va de Dymé à la moderne Elis), exerçait dans ce temps-là par rapport à Elis, tout comme les Epéens par rapport aux Eléens, une sorte de prépondérance. Mais plus tard le nom d'Eléens prit la place de celui d'Epéens et Buprasium devint elle-même partie intégrante d'Elis. Or, Homère, on le sait, par une de ces figures poétiques qui lui sont familières, énumère volontiers ensemble le tout et la partie, il dira, par exemple : «Au coeur de la Grèce et d'Argos» (Odyssée, I, 344), ou : «Au coeur de la Grèce et de la Phthie» (Ibid, XI, 496), ou bien encore : «Curètes et Aetoliens combattaient» (Iliade, IX, 529), ou enfin : «Ceux qui habitent Dulichium et les Echinades sacrées» (Iliade, II, 625) (Dulichium fait partie, on le sait, du groupe des Echinades) ; sans compter que des poètes beaucoup glus modernes usent aussi de la même figure, témoin Hipponax dans ce passage : «Ils mangent le pain de Cypre et le froment d'Amathonte» ; et Alcman dans celui-ci : «Elle quitte l'aimable Cypre et Paphos entourée d'eau» ; témoin Aeschyle quand il dit : «Toi qui as pour domaine Cypre entière et Paphos». Si, maintenant, l'on objecte qu'Homère n'a donné nulle part aux Buprasiens le nom d'Eléens, il y a bien d'autres faits, répondrons-nous, d'autres faits notoires, dont il n'a pas parlé davantage, et son silence en pareil cas ne prouve point que le fait même n'a pas existé, mais seulement que lui, Homère, n'a pas jugé à propos de le mentionner. [8,3,9] Au dire d'Hécatée de Milet, cependant, les Epéens et les Eléens auraient formé deux nations différentes et la preuve qu'il en donne c'est que les Epéens accompagnaient Hercule dans son expédition contre Augéas et qu'ils aidèrent le héros à vaincre ce prince et à s'emparer d'Elis. Hécatée qualifie en outre Dymé de ville épéenne et achéenne. A cela nous pourrions répondre que les anciens historiens, nourris comme ils sont dans le mensonge par l'usage continuel qu'ils font des fables, ont de temps à autre avancé juste le contraire de la vérité et que c'est même là ce qui explique comment, parlant d'une même chose, ils s'accordent souvent si peu entre eux ; mais ici rien n'empêche d'admettre que les Epéens, peuple d'abord distinct et ennemi des Eléens, ont à un certain moment pris le dessus et se sont associé les vaincus de manière à ne plus former avec eux qu'un seul et même Etat : et c'est alors apparemment que leur domination se sera étendue jusqu'à Dymé, car, bien qu'Homère n'ait pas nommé Dymé {au nombre des possessions épéennes}, on peut parfaitement croire qu'à l'époque dont il parle cette ville appartenait aux Epéens et qu'elle ne passa que plus tard au pouvoir des Ioniens, ou, sinon des Ioniens, des Achéens par qui les Ioniens furent chassés. Du reste, sur les quatre divisions entre lesquelles se partageait {le territoire commun d'Elis} et de Buprasium, deux seulement, Hyrminé et Myrsine, appartiennent à l'Elide proprement dite, les deux autres, au dire de certains auteurs, se trouvant déjà en dedans des limites de la Pisatide. [8,3,10] La petite ville qui portait le nom d'Hyrminé n'existe plus ; mais i1 y a encore près de Cyllène un promontoire escarpé qui se nomme Hermine ou Hyrmine. Quant à Myrsine, elle se reconnaît dans une localité appelée aujourd'hui Myrtuntium et située sur la route de Dymé à Elis à 70 stades de cette dernière ville en tirant vers la mer. On suppose, maintenant, que la Roche Olénie n'est autre que le Scollis : on en est réduit en effet à des suppositions, quand les lieux ont comme ici changé d'aspect et de nom et qu'on n'a pour se guider que les indications souvent bien vagues d'Homère. Le Scollis est une montagne toute rocheuse, qui se rattache à cette autre montagne d'Arcadie nommée le Lampée, et qui se trouve former la limite commune des territoires de Dymé, de Tritée et d'Elis, n'étant qu'à 130 stades d'Elis, à 100 stades de Tritée et à 100 stades aussi de Dymé : ces deux dernières villes appartiennent l'une et l'autre à l'Achaïe. Enfin l'ancien Alisium se retrouve dans une localité de l'Amphidolie, nommée aujourd'hui Alesiaeum, et située sur la route qui mène d'Elis à Olympie par la montagne : c'est même là que se tient l'assemblée mensuelle de tout le canton. Il fut un temps, il est vrai, où Alisium comptait parmi les villes de la Pisatide, mais on sait que les révolutions politiques font sou-vent varier les frontières des Etats. Homère paraît l'avoir appelée aussi Aleisiou Kolônê (Alisiou- Koloné), comme qui dirait le tertre ou tombeau d'Alisius : «Jusqu'à ce que notre char eut atteint les champs fertiles de Buprase et la roche Olénie, et le lieu où d'Alisius s'élève le tombeau (Kolônê)» (Iliade, XI, 756). Otez en effet l'inversion, reste le nom de lieu Aleisiou-kolônê. J'ajoute que, suivant certains auteurs, il y aurait aujourd'hui encore dans le pays un cours d'eau appelé l'Alisius. [8,3,11] Au sujet des Caucones, comme l'histoire mentionne un peuple de ce nom en Triphylie sur la frontière de Messénie, que Dymé en outre est qualifiée quelquefois de Cauconide et qu'il existe dans le territoire de Dymé, entre cette ville et Tritée, un cours d'eau appelé le Caucon, on s'est demandé s'il n'y aurait pas eu deux Cauconies distinctes, celle de la Triphylie et celle des environs de Dymé, d'Elis et du Caucon. Le Caucon se jette dans un autre cours d'eau portant le nom de Teuthéas, c'est-à-dire le nom même d'une des petites villes qui furent réunies naguère à Dymé, avec cette seule différence que le nom du fleuve est masculin, tandis que celui de la ville est féminin et se prononçait Teuthéa sans sigma avec la dernière syllabe longue. C'est sur l'emplacement de cette petite ville que s'élève aujourd'hui le temple de Diane Némaeenne. Le Teuthéas à son tour se réunit à un fleuve, appelé Achéloüs tout comme le fleuve d'Acarnanie, et qui passe à Dymé même. Quelquefois aussi on donne à ce fleuve le nom de Piros, Hésiode, par exemple, le lui donne dans ce vers : «Il habitait la Roche Olénie, près des bords du Piros au large lit». Certains grammairiens à la vérité changent la leçon Peiroio en Pieroio (Piros en Piéros), mais c'est à tort. Ce qui fait qu'il est intéressant de rechercher ainsi l'origine de l'épithète de Cauconide donnée quelquefois à Dymé et du nom de Caucon que porte une des rivières des environs, c'est qu'autrement on est embarrassé de savoir quels peuvent être les Caucones chez qui Minerve annonce qu'elle se rend pour réclamer le montant d'une ancienne créance. Qu'on entende en effet ces paroles des Caucones de Lépréum en Triphylie, je n'y vois plus, pour ma part, aucun sens raisonnable et c'est aussi pourquoi certains grammairiens ont cru devoir proposer la leçon que voici : «Car il m'est dû là, dans la divine Elis, une forte somme d'argent». Mais ceci s'éclaircira mieux quand nous aurons décrit ce qui suit, à savoir la Pisatide et la Triphylie jusqu'à la frontière de Messénie. [8,3,12] A partir du Chélonatas commence la longue côte de la Pisatide ; puis vient le cap Phéa. Il y avait là aussi autrefois une petite place du nom de Phéa : «Près des murs de Phéa que baigne le Iardanus». Et le Iardanus est apparemment le ruisseau qui se voit aux environs du cap. Certains auteurs font partir la Pisatide seulement du cap Phéa : or, il y a juste en face de ce cap une petite île pourvue d'un port, et de là à Olympie, par la voie la plus courte, c'est-à-dire en continuant à ranger la côte {jusqu'à la hauteur de cette ville}, la distance n'est que de 120 stades. Suit un autre promontoire {l'Ichthys}, qui s'avance, ainsi que le Chélonatas, très loin dans la direction du couchant et qui n'est encore qu'à 120 stades de Céphallénie. L'embouchure de l'Alphée, qui s'offre à nous maintenant, est à 280 stades du Chélonatas et à 545 stades de l'Araxus. L'Alphée vient des mêmes lieux que l'Eurotas : le bourg d'Asée, dans la Mégalopolitide, possède deux sources très voisines l'une de l'autre, ce sont celles des deux fleuves, qui se perdent presque aussitôt, mais pour reparaître après un cours souterrain de quelques stades et pour descendre alors, l'un vers la Laconie, l'autre vers la Pisatide. C'est à l'entrée de la Bléminatide que l'Eurotas reparaît, puis il passe à Sparte même, traverse une longue vallée où s'élève Hélos, ville déjà mentionnée par Homère, et débouche entre Acrées et Gythium, port et arsenal de Sparte. Quant à l'Alphée, après s'être grossi du Ladon, de l'Erymanthe et d'autres cours d'eau moins importants, il traverse Phrixa, arrose la Pisatide et la Triphylie, passe à Olympie même et vient tomber dans la mer de Sicile entre Epitalium et Phéa. Près de son embouchure, à 80 stades environ d'Olympie, s'élève le bois sacré de Diane dite Alphéonie ou Alphéüse (le nom a ces deux formes), qu'on honore aussi une fois l'an à Olympie dans une fête ou assemblée solennelle, comme on fait Diane Elaphie et Diane Daphnie. Tout ce canton, du reste, est rempli d'Artémisies, d'Aphrodisies et de Nymphées, situées ainsi au milieu de bois que l'abondance des eaux maintient toujours frais et fleuris ; on y rencontre en outre beaucoup d'Herniées le long des routes, et de Posidies ou temples de Neptune sur les points les plus saillants de la côte. Ajoutons que le temple de Diane Alphéonie contient différentes peintures de Cléanthe et d'Arégon, artistes corinthiens : du premier, notamment, une Prise de Troie et une Naissance de Minerve, et d'Arégon Diane sur les ailes d'un griffon, tous ouvrages excellents. [8,3,13] La montagne qui se présente ensuite forme la séparation entre le canton triphylien de Macistie et la Pisatide ; puis on voit se succéder l'embouchure d'un autre fleuve appelé le Chalcis, la fontaine des Crunes, la petite place de Chalcis et enfin Samicum où se trouve ce temple de Neptune Samien, objet d'une vénération particulière dans tout le pays : un bois d'oliviers sauvages règne alentour, et l'intendance en a été de tout temps réservée aux Macistiens, chargés aussi du soin de proclamer les féries Samiennes ; mais tous les Triphyliens contribuent à son entretien. {Le temple de Minerve Scillontienne, situé à Scillonte, ville voisine d'Olympie, et au pied même du Phellôn, compte aussi parmi les sanctuaires les plus révérés de la Grèce}. [8,3,14] A la hauteur à peu près de ces temples, à trente stades, guère plus, de la mer, se trouve Pylos de Triphylie, dit aussi Pylos Lépréatique et Pylos Arcadique, le même qu'Homere qualifie d'Emathoéïs et désigne comme la patrie de Nestor. C'est ce qui semble en effet ressortir du récit même du poète, soit que le fleuve qui passe au nord de la ville et qu'on nomme aujourd'hui l'Ammaüs ait porté primitivement le nom d'Amathus et que ce soit là l'origine de l'épithète d'Emathoéïs employée par le poète, soit que ce fleuve, ainsi que deux autres cours d'eau de la Messénie, ait porté le nom de Pamisus, et qu'on ne sache plus aujourd'hui quelle circonstance a pu suggérer à Homère l'épithète en question, d'autant qu'il est absolument faux, assure-t-on, que le lit du fleuve ou l'emplacement de la ville soit amathôdês, autrement dit sablonneux. Non loin de Pylos, du côté du levant, est le mont Minthé, ainsi nommé, apparemment, de cette héroïne de la fable, qui, pour avoir été aimée de Pluton, périt écrasée sous les pieds de Proserpine et fut métamorphosée par elle en une plante bien connue de nos jardins, la menthe, ou, comme on l'appelle quelquefois, l'hédyosme. Le fait est qu'il y a un temple de Pluton, temple très vénéré aussi des Macistiens, qui se trouve adossé à la montagne même, et qu'un bois consacré à Cérès domine toute la plaine de Pylos. Cette plaine est généralement riche et fertile, mais comme, dans la partie qui touche à la mer (c'est-à-dire entre Samicum et l'embouchure de la Néda), elle n'offre plus qu'une plage étroite et sablonneuse, on pourrait à la rigueur expliquer par cette circonstance le nom d'Ematholis qu'Homère a donné à Pylos. [8,3,15] Du côté du N., le territoire de Pylos confinait à Hypanes et à Typanées, deux petites villes triphyliennes, dont une seule subsiste aujourd'hui : l'autre a été réunie à Elis. Du même côté coulent deux rivières, deux affluents de l'Alphée, le Dalion etl'Achéron. En appelant ce dernier cours d'eau Achéron, on a voulu sans doute approprier la nomenclature géographique du pays au culte d'Hadès ou de Pluton : dans toute la Triphylie, en effet, règne une vénération extrême à la fois pour les temples de Cérès et de Proserpine et pour ceux d'Hadès, ce qui peut bien tenir, ainsi que le pense Démétrius de Scepsis, au triste contraste qu'y présente souvent la nature, puisque la Triphylie, avec un sol excellent, produit dans de certaines années une telle quantité de nielle et de morelle qu'à l'espoir d'une abondante récolte succède alors la plus affreuse disette. [8,3,16] Au S. de Pylos, à une quarantaine de stades aussi de la mer, est l'emplacement de l'ancien Lépréum ; puis, entre Lépréum et l'Alphée, juste à cent stades de l'un et de l'autre, s'élève ce temple de Neptune Samien {dont nous avons parlé plus haut}, et le même qui figure dans l'Odyssée. C'est dans ce temple, en effet, que Télémaque arrive et trouve les Pyliens occupés à célébrer un sacrifice solennel : «Ils atteignent enfin la ville de Nélée, Pylos aux belles et fortes murailles. Les Pyliens, réunis sur la plage, célébraient en ce moment un sacrifice, et immolaient de noirs taureaux en l'honneur du dieu à la chevelure azurée qui de son trident ébranle la terre» (Odyssée, III, 4). Le territoire de Lépréum était riche et fertile et confinait à celui de Cyparissus, autre ville occupée par les Caucones, qui possédaient en outre la Macistie. Ce dernier canton, appelé quelquefois aussi le Plataniste, a pour chef-lieu une petite ville du même nom. Ajoutons qu'on signale dans la Lépréatide le tombeau d'un certain Caucon, qui peut avoir été soit l'archégète de la première colonie cauconienne, soit un simple individu portant le même nom que la nation à laquelle il appartenait. [8,3,17] Diverses traditions ont cours au sujet des Caucones, et cela se conçoit d'un peuple qui passe pour être originaire d'Arcadie, ainsi que les Pélasges, et pour avoir mené longtemps, comme ceux-ci, une vie de courses et d'aventures, Homère les compte au nombre des peuples venus au secours de Troie ; mais d'où venaient-ils alors ? Il ne le dit point. Peut-être était-ce de la Paphlagonie, où l'on connaît encore un peuple du nom de Cauconiates, voisin et limi-trophe des Mariandyniens, autre nation Paphlagonienne. Nous parlerons plus au long des Cauconiates, quand nous en serons arrivé à la Paphlagonie dans notre description de la terre habitée. Pour le moment, nous nous bornerons à ajouter quelques mots d'éclaircissement au sujet des Caucones de la Triphylie. Suivant certains auteurs, toute l'Elide actuelle, depuis la Messénie jusqu'à Dymé, aurait porté le nom de Cauconie. Antimaque, notamment, comprend les populations de l'Elide sous la dénomination générale soit d'Epéens, soit de Caucones ; mais d'autres nient que les Caucones aient jamais occupé ce pays en entier, et ils nous les montrent partagés en deux corps de nation, dont l'un était établi en Triphylie, sur la frontière de Messénie, tandis que l'autre habitait du côté de Dymé, dans la Bupraside et la Coelé- Elide : c'est celui dont Aristote a eu plus particulièrement connaissance. Or, cette seconde opinion a l'avantage de s'accorder mieux avec ce que dit Homère des Caucones, et de résoudre, qui plus est, la question posée plus haut. Donnons, en effet, Pylos de Triphylie pour résidence à Nestor, tout le pays au S. et à l'E. de Pylos jusqu'à la frontière de la Messénie et de la Laconie lui obéit, et, comme ce sont les Caucones précisément qui l'habitent, il s'ensuit que, pour aller de Pylos à Lacédémone, il faut de toute nécessité passer par chez les Caucones. Mais comme, d'autre part, le temple de Neptune Samien et ce port voisin du temple où Homère fait débarquer Télémaque se trouvent situés au N. et à l'O. de Pylos, si ces Caucones sont les seuls qu'il y ait en Elide, le récit du poète n'offre plus aucune vraisemblance. {Or, bien qu'il soit loisible au poète d'user de temps à autre de fictions, toutes les fois qu'il peut dans ses récits se conformer à la réalité, c'est à ce dernier parti qu'il doit s'attacher de préférence.} Admettons, au contraire, que la nation des Caucones soit partagée en deux et qu'une de ses fractions habite le canton de l'Elide qui touche à Dymé, il devient évident que c'est d'un voyage chez ces Caucones que Minerve parle à Nestor, et, dès là, ni son retour au vaisseau, ni sa séparation d'avec son compagnon de voyage n'offrent plus rien que de simple et de naturel, puisque Télémaque et la Déesse ont à aller juste à l'opposite l'un de l'autre. - Nous aurions à examiner de même les différentes questions que soulève le nom de Pylos ; mais attendons pour le faire que nous ayons poussé un peu plus loin cette description chorographique du Péloponnèse et atteint le Pylos de Messénie. [8,3,18] Il y a encore un nom, celui de Paroréates, sous lequel on a désigné longtemps certaines populations de la Triphylie, j'entends celles qui occupent les montagnes de Lépréum et de Macistos, lesquelles aboutissent à la mer près du temple de Neptune Samien. [8,3,19] Au pied de cette chaîne, sur le rivage même, s'ouvrent deux grottes, dont l'une est consacrée aux Nymphes Anigriades, tandis que l'autre passe pour avoir été le théâtre des aventures des Atlantides et de la naissauce de Iardanus. C'est là aussi que s'élèvent les deux bois sacrés dits l'Ionaeum et l'Eurycydeum {...} Samicum, qui n'est plus aujourd'hui qu'un fort, était anciennement une ville, une ville appelée Santos, probablement à cause de sa situation élevée, le mot samoi (sami), dans l'ancienne langue grecque, signifiant les lieux hauts. Peut-être était-ce là l'acropole de l'antique Aréné, cette ville que cite Homère dans son Catalogue des vaisseaux, «Et ceux qui habitaient Pylos et la riante Aréné», car, en l'absence d'indices plus certains, on présume, non sans vraisemblance, qu'Aréné devait se trouver dans le voisinage du fleuve Anigrus, lequel n'est autre que l'ancien Minyeius, Homère ayant dit : «Un cours d'eau, le Minyeius, vient se jeter dans la mer tout auprès d'Aréné». Tout le terrain aux environs de la grotte des Nymphes Anigriades est rendu humide et fangeux par la présence d'une source, dont les eaux se déversent en grande partie dans l'Anigrus, et, comme ce fleuve, malgré sa profondeur, est peu rapide, son lit se trouve également converti en un marais stagnant, dont les eaux ont une odeur infecte et sulfureuse qui se fait sentir à vingt stades à la ronde et rend immangeables les poissons qu'on y pêche. Les mythographes expliquent cette circonstance de différentes manières : suivant les uns, des centaures blessés par les flèches d'Hercule auraient lavé leurs plaies dans le fleuve pour en exprimer le venin de l'hydre ; suivant d'autres, Mélampus aurait employé les eaux de l'Anigrus comme eaux lustrales pour la purification des Preetides. Toujours est-il qu'aujourd'hui on les prescrit en lotions contre toute espèce de dartres, alphes, leucés et lichens. Il paraît même que le nom de l'Alphée vient de la propriété qu'ont aussi les eaux de ce fleuve de guérir les dartres appelées alphes. Quant à l'ancien nom de l'Anigrus, on croit, vu le peu de pente de son lit et l'espèce de résistance que lui oppose la mer (double cause qui donne à ses eaux l'aspect d'eaux stagnantes plutôt que d'eaux courantes), on croit, dis-je, que sa vraie forme était Menyeius et que la forme Minyeius adoptée par certains auteurs n'est qu'une altération de celle-là. Il pourrait se faire pourtant que cette dernière forme tînt à d'autres causes et qu'elle rappelât soit les Minyens venus d'Orchomène avec Chloris, mère de Nestor, {soit ces autres} Minyens, descendants des Argonautes, qui, chassés de Lemnos, passèrent, dit-on, à Lacédémone et de là en Triphylie, pour s'y fixer aux environs d'Aréné, dans le canton d'Hypaipée. Ce canton, il est vrai, n'a conservé nulle trace de leurs établissements ; mais on sait qu'une bonne partie de ces Minyens, sous la conduite de Théras, fils d'Autésion, descendant lui-même de Polynice, quitta le pays pour aller occuper, entre la Cyrénaïque et la Crète, l'île qui, «Nommée d'abord Callisté, devint ensuite la célèbre Théra». Ainsi s'exprime Callimaque, et, en effet, la ville de Théra qu'avaient fondée ces Minyens, et qui devait fonder elle-même Cyrène, n'avait pas tardé à donner son nom à l'île entière. [8,3,20] Entre l'Anigrus et le pied de la montagne d'où ce fleuve descend, on remarque la prairie dite de Iardanus, avec le tombeau du héros et les Chaées, rochers élevés, détachés de la même chaîne de montagnes, et qui supportaient, avons-nous dit, l'antique Samos, bien que la plupart des périples ne mentionnent point cette ville. On peut supposer sans doute qu'à l'époque où ces périples furent composés elle était déjà depuis longtemps détruite, mais leur silence peut tenir aussi à la disposition des lieux, car le Posidium ou bois sacré de Neptune, qui est situé, on l'a vu, sur le bord même de la mer, se trouve adossé à une colline très élevée, et celle-ci précède et masque l'autre colline où est aujourd'hui Samicum et que couronnait anciennement Samos de manière à en dérober la vue à ceux qui rangent la côte. La meilleure preuve, du reste, qu'on puisse donner de l'existence de cette ancienne ville, c'est que la plaine ici {entre les deux collines} s'appelle également Samicum (comme qui dirait la plaine de Samos). J'ajoute que dans le poème de Rhadiné (j'entends celui qu'on attribue à Stésichore, et qui commence ainsi, «Romps le silence, Erato, muse de l'harmonie, et aux doux accords de ta lyre amoureuse, célèbre les amants que Samos a vus naître»), c'est bien la Samos de Triphylie qui est désignée comme patrie des deux héros. On y lit, en effet, que Rhadiné, fiancée au tyran de Corinthe, s'embarque pour cette ville et y arrive, poussée depuis Samos par le zéphire ou vent du S.-O., ce qui ne saurait s'entendre assurément de la Samos d'Ionie ; que le même vent conduit son frère à Delphes en qualité d'archithéore ; que son cousin, son amant, dans l'espoir de la rejoindre, lance son char sur la route de Corinthe, et qu'enfin le tyran, après avoir égorgé les deux amants, renvoie leurs corps aussi sur un char, puis se ravise, fait revenir le char à Corinthe et les y ensevelit. [8,3,21] Depuis Pylos Lépréatique et depuis Lépréum jusqu'à l'autre Pylos dit de Messénie et à Coryphasium, forts situés sur la côte même, juste en face de l'île Sphagie, la distance est de 400 stades environ ; elle est de 750 stades depuis l'Alphée, et de 1030 stades depuis le Chélonatas. Dans l'intervalle {des deux Pylos}, on rencontre le temple d'Hercule Macistien et le cours du fleuve Acidon, lequel passe près du tombeau de Iardanus et de l'emplacement de l'ancienne Chaa, emplacement voisin de Lépréum et occupé aujourd'hui par la plaine Aepasienne. Suivant certains grammairiens, c'est au sujet de Chaa qu'aurait eu lieu, entre les Arcadiens et les Pyliens, la guerre dont parle Homère, et il faudrait, en conséquence, lire le passage du poète ainsi qu'il suit : «Que n'ai-je encore la jeunesse et la force que j'avais, quand sur les bords du rapide ACIDON, et près des murs de CHAA, Pyliens et Arcadiens engagèrent cette terrible mêlée», c'est-à-dire substituer le nom de l'Acidon à celui du Céladon, et le nom de Chaa à celui de Phéa, vu que l'emplacement de Chaa se trouve plus rapproché du tombeau de Iardanus et de la frontière d'Arcadie. [8,3,22] Cyparissie, tout aussi bien que Pyrgi et que les bouches de l'Acidon et du Néda, appartient à la côte de Triphylie. Aujourd'hui, à vrai dire, la Triphylie et la Messénie ont pour limite le cours même du Néda, et l'on sait que ce torrent impétueux, né sur le versant du mont Lycée en Arcadie, d'une source que, suivant la fable, Rhéa fit jaillir au moment de la naissance de Jupiter exprès pour s'y laver, passe ensuite près de Phigalie et {vient déboucher dans la mer} à l'endroit où le territoire des Pyrgites, dernier peuple de la Triphylie, touche à celui des Cyparissiens, premier peuple de la Messénie. Mais telle n'était pas anciennement la limite entre les deux pays, et le royaume de Nestor, s'étendant au delà du Néda, se trouvait comprendre et le territoire de Cyparisséïs et d'autres cantons encore plus éloignés : de là vient qu'Homère a prolongé la mer Pylienne jusqu'aux sept villes promises par Agamemnon à Achille, car dans ce vers, «Et toutes elles avoisinent la mer de Pylos Emathoéïs», l'expression mer de Pylos équivaut évidemment à celle de mer Pylienne {ou Triphylienne}. [8,3,23] Dépassons donc Cyparisséïs et continuons à ranger la côte dans la direction de Pylos de Messénie et de Coryphasium, c'est Erana qui s'offre à nous d'abord, Erana qu'on prétend, mais à tort, s'être appelée jadis Aréné, tout comme cette autre ville de la Pylie proprement dite ; puis vient le cap Platamodès, qui n'est plus qu'à cent stades de Coryphasium et de la ville de Messénie appelée aujourd'hui encore Pylos, et enfin l'île Proté, qui renferme une petite ville de même nom. Peut-être n'insisterions-nous pas autant sur l'état ancien du pays et nous bornerions-nous à le décrire tel qu'il est actuellement, si, pour nous autres Grecs, il n'y avait, dès notre enfance, une sorte de prestige historique attaché à ces lieux ; les anciens, d'ailleurs, les anciens eux-mêmes ne s'accordent pas dans ce qu'ils nous en disent, et force nous est de peser et de discuter les témoignages. Or, c'est une règle générale, qu'on s'en rapporte de préférence aux témoins les plus illustres, les plus âgés, les plus expérimentés, et, comme il n'est personne qui ne le cède à Homère à tous ces points de vue, c'est donc lui surtout que nous devons consulter pour pouvoir faire ce que nous disions un peu plus haut, comparer l'état ancien et l'état actuel du pays. Mais, nous avons déjà discuté tout au long les vers du poète relatifs à la Coelé-Elide et à Buprasium, examinons de même ceux où il décrit les possessions de Nestor. [8,3,24] «Sous ses ordres marchaient les habitants de Pylos et de la riante Aréné, ceux de Thryum, passage du fleuve Alphée, ceux de la belle et forte Aepy, de Cyparisséïs et d'Amphigénie, ceux enfin de Ptéléum, d'Hélos et de Dorium, de Dorium où les Muses rencontrèrent Thamyris le Thrace et mirent fin pour jamais à ses chants : il revenait de visiter dans Oechalie Eurytus dit l'OEchalien» (Iliade, I, 591). De ces différentes villes, la première est le Pylos en question : nous y reviendrons tout à l'heure. La seconde est cette Aréné dont nous avons parlé ci-dessus. Quant à la troisième, il est remarquable qu'Homère la nomme ici Thryum, lorsqu'il l'appelle ailleurs Thryoessa : «Loin d'ici sur l'Alphée, comme un rocher à pic, s'élève la ville de Thryoessa». Ajoutons que, s'il l'a qualifiée de passage de l'Alphée, c'est qu'il existait apparemment un gué en cet endroit du fleuve : on y voit aujourd'hui Epitalium, l'une des principales localités de la Macistie. Au sujet des mots qui suivent euktiton et aipu, quelques auteurs se sont demandé lequel des deux sert d'épithète à l'autre et quelle ville actuelle ils désignent, si c'est bien réellement Margales en Amphidolie. Margales, en effet, n'est pas un lieu fortifié naturellement, et, comme il existe une de ces forteresses naturelles dans le canton de Macistie, on soupçonne que c'est plutôt cette dernière localité qu'Homère a eue en vue et qu'iEpy est ici un nom propre, un de ces noms empruntés à la nature des lieux, comme voilà Hélos, Aegialos et tant d'autres. Reste à savoir, seulement, si ceux qui tiennent pour Margales ne pourraient pas tout aussi bien renverser l'argument à leur profit. On explique de même le nom de Thryum ou de Thryoessa donné par Homère à Epitalium en faisant remarquer que tout le pays aux environs est obstrué d'algues et de joncs (thruôdês), notamment le lit des cours d'eau ; et dans les cours d'eau, on le sait, c'est, en général, aux gués que cette circonstance s'observe. Mais, à ce compte, il pourrait se faire ; ainsi qu'on l'a prétendu, que le nom de Thryum désignât uniquement le gué du fleuve et le nom d'Aepy (euktiton Aipu) l'emplacement même d'Epitalium, d'autant que l'assiette de cette ville est naturellement très forte, et qu'Homère qualifie ailleurs Thryoessa de rocher à pic : «Loin d'ici, sur l'Alphée, s'élève, comme un rocher à pic, la ville de Thryoessa, limite extrême de Pylos Emathoéïs». [8,3,25] Cyparisséïs, dépendance de la Macistie du temps que la Macistie s'étendait encore au delà de la Néda, est, de même que Macistum, aujourd'hui complètement désert, et ne doit pas être confondu avec la ville de Cyparissie en Messénie : les deux noms se ressemblent, mais ne sont pas identiques. Aujourd'hui pourtant le nom de Cyparissie (avec cette forme de singulier féminin) se donne aussi bien à l'ancienne ville de la Macistie, tandis qu'on réserve au fleuve le nom de Cyparisséïs. Amphigénie appartenait également à la Macistia et devait se trouver au pied de l'Hypsoéïs, colline que couronne un temple de Latone. Quant à Ptéléum, colonie de cet autre Ptéléum situé en Thessalie et qu'Homère cite également, «Et Anchiale, et Antron et le verdoyant Ptéléum», ce n'est plus aujourd'hui qu'une espèce de hallier désert, connu sous le nom de Ptéléasium. D'Hélos, à son tour, les uns font un pays traversé par l'Alphée, les autres une ville comme pouvait être Hélos en Laconie, «Et la ville d'Hélos, dont la mer baigne l'enceinte» ; d'autres aussi {conformément à l'étymologie} reconnaissent dans Hélos le marais voisin d'Alorium, qui entoure le temple arcadien de Diane Hélée, je dis Arcadien, vu que de tout temps c'est l'Arcadie qui lui a fourni ses prêtres. Enfin on ne s'entend pas davantage au sujet de Dorium : les uns en font une montagne et les autres une plaine, mais d'autres veulent qu'il y ait eu une petite ville de ce nom, et, bien qu'il n'en reste plus vestige aujourd'hui, quelques auteurs retrouvent son emplacement dans celui de la ville actuelle d'Oluris ou Olura, laquelle est située dans l'auléin ou vallée de Messénie. Du même côté, sur l'emplacement sans doute de la moderne Andanie, se trouvait bâtie l'Oechalie d'Eurytus, petite ville arcadienne, qu'il faut se garder de confondre avec les villes de même nom situées en Thessalie et en Eubée, et qui est bien celle que venait de quitter Thamyris le Thrace, lorsqu'il fut, près de Dorium, rencontré par les Muses, qui «mirent fin pour jamais à ses chants». [8,3,26] Il résulte de ce qui précède que le fleuve Alphée, qui ne touche, on le sait, en aucun point de son cours, ni à la Messénie, ni à la Coelé-Elide, traversait dans toute sa longueur le pays sur lequel régnait Nestor et qu'Homère comprend sous la dénomination générale de territoire des Piliens, parce que là en effet s'élevait le Pylos qui vit naître Nestor et que nous nommons indifféremment Pylos Triphyliaque, Arcadique ou Lépréatique, pour le distinguer des deux autres Pylos, lesquels sont situés sur le littoral, tandis que celui-ci se trouvait à plus de trente stades dans l'intérieur. C'est là du moins ce qui ressort des indications que nous fournit Homère : nous voyons, par exemple, que Nestor expédie de Pylos au vaisseau un messager chargé d'offrir l'hospitalité aux compagnons de Télémaque, et que Télémaque, lorsqu'il revient de Sparte, ne se laisse pas ramener à la ville même, mais prie Pisistrate de se détourner dans la direction du vaisseau, la route de la ville n'étant pas la même apparemment que celle qui conduisait au port. Ajoutons qu'ainsi la navigation de Télémaque, après qu'il a pris congé de Nestor, s'explique tout naturellement : «Ils passent devant les Crunes et les belles eaux du Chalcis ; puis le soleil se couche, et les ombres de la nuit, s'abaissant sur la terre, enveloppent tous les chemins. Leur vaisseau continue, poussé par un vent favorable que Jupiter envoie, et, atteignant Pheae, il côtoie les rivages de la divine Elide où domine le peuple Epéen» (Odyssée, XV, 295). Jusqu'ici, on le voit, Télémaque et ses compagnons ont fait voile du sud au nord. Tout à coup ils se détournent vers l'est, leur vaisseau quitte la ligne qu'il a suivie d'abord et qui les menait droit à Ithaque, évitant ainsi la flotte des prétendants embusquée «Dans le canal qui sépare l'une de l'autre et Ithaque et Samos» (Odyssée, IV, 671 ; XV, 298), et il les porte dans la direction des îles Thoées (notons qu'Homère nomme ici Thoées les mêmes îles que nous appelons actuellement Oxées et qui, placées comme elles sont près de l'entrée du golfe de Corinthe et des bouches de l'Achéloiis font déjà partie du groupe des Echinades). Mais une fois qu'ils ont dépassé Ithaque, qu'ils ont même laissé cette île derrière eux, leur vaisseau, par un nouveau détour, reprend sa direction première, et, passant entre l'Acarnanie et Ithaque, va aborder de l'autre côté de l'île, juste à l'opposite du canal de Céphallénie toujours gardé par la troupe des prétendants. [8,3,27] Supposons au contraire que le Pylos de la Coelé-Elide soit celui de Nestor, on ne comprend plus comment le vaisseau, parti de ce point de la côte, dépasse les Crunes d'abord, puis l'embouchure du Chalcis avant le coucher du soleil, atteint Phéa de nuit et range ensuite la côte d'Elide. Comme en effet ces différentes localités se trouvent situées au S. de l'Elide et s'y succèdent dans l'ordre que voici : Pliées d'abord, l'embouchure du Chalcis ens'Iite, puis les Crunes et finalement Pylos (le Pylos Triphyliaque), ainsi que Samicum, il faudrait, pour que le vaisseau pût passer en vue de cette partie de la côte, qu'à son départ du Pylos de la Coelé-Elide il eût fait voile au midi, tandis que c'est au nord, du côté où est Ithaque, qu'il se dirige, il faut donc nécessairement qu'il laisse toutes ces localités derrière lui et qu'il range la côte d'Elide de prime abord et dès avant le coucher du soleil. {Comment concilier cela avec ce que dit Homère}, qu'il n'atteint les côtes d'Elide que longtemps après le coucher du soleil ? - D'un autre côté, dans l'hypothèse qui veut que Télémaque se soit séparé de Nestor à Pylos en Messénie et à Coryphasium et qui fait partir de là sa navigation en vue de regagner Ithaque, la distance à parcourir se trouve singulièrement accrue et demanderait par conséquent plus de temps : on ne compte pas moins de 400 stades jusqu'au Pylos Triphyliaque et au Posidium de Samicum. J'ajoute qu'avant de signaler sur la côte et les Crunes, et le Chalcis, et Phéa, noms de localités obscures, noms de ruisseaux plutôt que de fleuves, le poète eût commencé par nommer le Néda, puis l'Acidon, puis l'Alphée avec les lieux intermédiaires, quitte à mentionner ensuite ces autres localités insignifiantes, puisque le vaisseau, en poursuivant sa route, avait effectivement à passer devant elles. [8,3,28] Du reste, le récit que fait Nestor à Patrocle de la guerre entre les Pyliens et les Eléens, vient confirmer encore notre thèse {en faveur du Pylos Triphyliaque} : on n'a pour s'en convaincre qu'à bien examiner le passage même dans Homère. Que dit Nestor en effet ? qu'après la dévastation de la Pylie par Hercule et l'extermination de toute la jeunesse mâle du pays, comme il n'était resté à Nélée de ses douze enfants que lui, lui seul, à peine adolescent, les Epéens s'étaient aussitôt pris de dédain pour Nélée à cause de sa vieillesse et de son abandon et avaient commencé à traiter les Pyliens avec orgueil et brutalité ; qu'il avait alors, lui Nestor, pour venger ces outrages, rassemblé tout ce qu'il avait pu des serviteurs de son père, et se mettant à leur tête avait envahi le territoire Eléen, qu'il y avait ramassé un immense butin, «Cinquante troupeaux de boeufs, cinquante parcs de moutons, cinquante seurres de porcs» (Iliade, XI, 677), autant de bandes de chèvres, plus cent cinquante juments baies, suivies pour la plupart de leurs poulains. Après quoi il ajoute, «Chassant alors devant nous tout ce bétail que nous voulions conduire dans la ville de Nélée, nous atteignîmes Pylos vers le milieu de la nuit» (Ibid, 684), comme pour bien marquer que c'était en plein jour qu'avaient eu lieu et l'enlèvement du butin et le combat dans lequel il avait mis en fuite les Eléens accourus au secours de leurs troupeaux et tué de sa main leur chef Itymonée. Que la retraite, maintenant, eût commencé dès la tombée du jour, ils avaient fort bien pu eux-mêmes être rentrés dans Pylos vers le milieu de la nuit. Mais trois jours après, comme ils étaient occupés au partage du butin et au sacrifice {d'actions de grâce}, les Epéens, rassemblés en grand nombre, prennent l'offensive à leur tour et viennent camper, fantassins et cavaliers, autour de Thryum sur l'Alphée. Immédiatement avertis, les Pyliens se portent au secours de cette place, ils s'arrêtent pour passer la nuit sur les bords du fleuve Minyeus, non loin d'Aréné, et n'atteignent l'Alphée que le lendemain vers midi. Ils célèbrent le sacrifice sur les bords mêmes de ce fleuve et y passent cette seconde nuit, mais, le lendemain matin dès l'aurore, ils engagent le combat, ont bientôt mis l'ennemi en pleine déroute et ne cessent la poursuite et le carnage qu'aux abords de Buprasium, «En vue de la Roche Olénie et des lieux où d'Alisius on voit s'élever le tombeau : là, Minerve les arrête et fait reculer leurs bataillons» ; ce que le poète confirme un peu plus bas quand il dit : «Cependant, les Achéens, tournant le dos à Buprase, ramenaient vers Pylos leurs rapides coursiers». [8,3,29] Comment supposer encore après cela qu'Homère ait voulu désigner ici soit le Pylos de la Coelé- Elide soit le Pylos de la Messénie ? La première hypothèse déjà est impossible par la raison qu'en dévastant le Pylos d'Elide Hercule eût dévasté du même coup le territoire Epéen qui n'est autre que l'Elide, et qu'on ne peut guère admettre que deux peuples frères, qui auraient eu à subir d'un ennemi commun les mêmes injures et les mêmes dommages, se seraient pris l'un pour l'autre d'une haine aussi violente et auraient à l'envi couru et dévasté leurs propres pays. Comment admettre aussi qu'Augéas et Nélée aient régné sur la même contrée, quand on voit le peu d'accord qui existait entre eux ? Nélée, nous dit Homère (Iliade, II, 697), «Avait dans la divine Elis un précieux gage à réclamer, quatre coursiers souvent vainqueurs dans les jeux de la Grèce, quatre coursiers avec leurs chars, qu'il y avait envoyés jadis pour disputer un nouveau prix (un trépied cette fois était le prix de la course) ; mais le roi d'Elis Augéas les a avait retenus, et leur conducteur avait dû revenir seul». Nélée, enfin, Nélée n'a pu régner en ces lieux sans que Nestor y ait régné aussi. Mais comment expliquer alors qu'Homère nous montre chez les Eléens et les Buprasiens «Quatre chefs suivis chacun de dix vaisseaux que montaient de nombreux Epéens», ou, en d'autres termes, le pays divisé en quatre royaumes, sans qu'il en attribue aucun à Nestor, rangeant au contraire sous les ordres de celui-ci «Les peuples qui habitaient Pylos et la riante Aréné» et les lieux à la suite jusqu'à Messène ? Comment expli-quer aussi que, pour aller attaquer les Pyliens {de la Coelé-Elide}, les Epéens se dirigent vers l'Alphée et s'avancent jusqu'à Thryum, que les Pyliens les battent sous les murs de cette ville et les poursuivent ensuite jusqu'à Buprasium ? D'autre part, si c'est le Pylos de Messénie que ravagea naguère Hercule, on ne conçoit pas que, séparés comme ils étaient de cette ville par une aussi grande distance, les Epéens aient pu exercer contre elle les vexations dont parle le poète, qu'ils aient pu aussi entretenir avec ses habitants des relations de commerce habituelles et contracter ces engagements dont la violation fit naître entre eux la guerre. On ne conçoit pas non plus qu'après avoir envahi le territoire ennemi Nestor eût pu, avec son immense butin, et avec tout ce bétail qu'il ramenait (les moutons, on le sait, non plus que les porcs, ne marchent ni vite ni longtemps), qu'il ait pu, dis-je, franchir aussi rapidement un trajet de plus de mille stades pour regagner Pylos dans le voisinage de Coryphasium. Et quand nous voyons trois jours après les Epéens en masse marcher sur Thryoessa et venir camper sur les bords de l'Alphée pour assiéger cette place, est-ce à dire que Thryoessa et le pays environnant dépendaient des rois de Messénie ? Il est notoire cependant que les Caucones, les Triphyliens et les Pisates s'étaient partagé tout ce canton. Reste le nom de Géréna ou de Gérénia (on trouve l'une et l'autre formes), mais il peut se faire que cette dénomination {donnée à une ville de Messénie} l'ait été après coup et avec intention, il peut se faire aussi qu'il n'y ait là qu'une coincidence fortuite. En résumé, puisque la Messénie, voire même la Laconie (comme nous le montrerons plus loin), appartenait à Ménélas, et que ce pays est arrosé par le Pamisus et le Nédon et nullement par l'Alphée qui au contraire «roule ses eaux abondantes à travers le territoire des Pyliens», des Pyliens sujets de Nestor, n'est-il pas absurde de faire passer ce prince pour ainsi dire sous la domination d'un autre et de lui enlever les villes que le Catalogue lui attribue formellement pour faire régner Ménélas sur le tout ? [8,3,30] Nous n'avons plus {pour compléter ce tableau de l'Elide} qu'à décrire Olympie et à montrer comment s'établit sur la totalité du pays la domination des Eléens. C'est dans la Pisatide, à moins de trois cents stades d'Elis que s'élève le temple d'Olympie, précédé d'un bois d'oliviers sauvages, où est le stade, et bordé par l'Alphée, qui vient de l'Arcadie et va déboucher dans la mer de Triphylie entre le couchant et le midi. Célèbre à l'origine comme siége de l'Oracle de Jupiter Olympien, ce temple, loin de déchoir et de perdre de sa renommée une fois que le Dieu eut cessé d'y faire entendre sa voix prophétique, prit l'accroissement que chacun sait par suite de la célébration dans sen enceinte des panégyries ou assemblées générales de la Grèce et des jeux olympiques, jeux stéphanites réputés sacrés et solennels entre tous. Ajoutons qu'il s'était enrichi d'une quantité de pieuses offrandes envoyées de toutes les parties de la Grèce. On y voyait, par exemple, le Jupiter en or martelé, offert naguère par Cypsélus, tyran de Corinthe ; mais ce qu'il renfermait d'incomparable c'était cette autre statue de Jupiter, due au ciseau de Phidias, fils de Charmidas, l'Athénien : elle était en ivoire et de telle dimension que, malgré l'extrême élévation du temple, l'artiste semblait avoir dans son oeuvre excédé les justes proportions. Le Dieu, en effet, bien que représenté assis, touchait presque le plafond de la tête, et l'on ne pouvait s'empêcher de penser en le voyant que, s'il se fût dressé de toute sa hauteur, il eût soulevé le toit ce l'édifice. Quelques auteurs ont consigné dans leurs écrits les dimensions exactes de cette statue ; Callimaque les a même exprimées en vers ïambiques. Ce qui fit beaucoup aussi pour le succès de l'oeuvre de Phidias, c'est que le peintre Panoenus, son cousin, lui avait prêté le concours de son talent en revêtant de couleurs éclatantes certaines portions de la statue, les draperies notamment. Le temple d'Olympie possède aujourd'hui encore plusieurs peintures de Pammnus, toutes fort belles, et c'est à lui, dit-on, que Phidias fit cette réponse mémorable. Panmuus lui avait demandé d'après quel modèle il comptait faire la figure de son Jupiter. - «D'après le portrait qu'en a laissé Homère, répondit-il en citant ces vers du poète : «Il dit, et de ses noirs sourcils Jupiter fit un signe ; ses cheveux parfumés d'ambroisie se dressèrent sur sa tête immortelle, et tout l'Olympe en tressaillit» (Iliade, I, 528). Du reste, la gloire d'avoir fondé la magnificence et le prestige du temple d'Olympie revient de droit aux Eléens. Au temps de la guerre de Troie, à vrai dire, et dès auparavant les Epéens n'étaient rien moins que florissants, ils s'étaient vu écraser successivement sous les coups des Pyliens et sous ceux d'Hercule meurtrier de leur roi Augéas ; et l'état d'abaissement dans lequel ils se trouvaient alors est attesté par ce fait qu'ils n'avaient pu envoyer devant Troie que quarante vaisseaux, tandis que les Pyliens et Nestor en avaient expédié jusqu'à quatre-vingt-dix. Mais plus tard, après le retour des Héraclides, les choses pour eux changèrent de face. Les Aetoliens d'Oxylus, compagnons des Héraclides, se trouvaient avoir avec les Epéens d'anciens liens de parenté, ils s'établirent au milieu d'eux et eurent bientôt agrandi la Coelé-Elide par la force de leurs armes ; ils enlevèrent notamment une bonne partie de la Pisatide, et c'est ainsi qu'Olympie passa sous la domination éléenne. Ce sont eux aussi qui instituèrent les jeux olympiques et qui célébrèrent les premières Olympiades. Il ne faut pas tenir compte en effet de ce que les Anciens nous disent de la construction du temple et de l'établissement de ces jeux par Hercule, soit qu'ils entendent sous ce nom l'aîné des Dactyles Idéens, qui en aurait été alors l'archégète, soit qu'ils désignent le fils même d'Alcmène et de Jupiter, mais comme ayant simplement pris part à la première lutte olympique et remporté la première victoire : ces vieilles traditions, rapportées d'ailleurs de tant de manières différentes, ne peuvent plus guère trouver créance aujourd'hui et nous sommes à coup sûr plus près de la vérité en nous bornant à affirmer que, depuis la première olympiade marquée par la victoire de Péléen Coreebas jusqu'à la vingt-sixième, l'intendance du temple et la présidence des jeux appartinrent aux Eléens. Au temps de la guerre de Troie, ou bien les jeux stéphanites n'existaient pas encore, ou, s'ils existaient, ils n'avaient encore acquis nulle part de célébrité, pas plus à Olympie que dans ces autres lieux de la Grèce qui en possèdent aujourd'hui de si renommés. Toujours eet-il qu'Homère n'a point mentionné de jeux dont le prix fût une simple couronne, mais seulement des jeux d'autre sorte, des jeux funèbres par exemple. Quelques auteurs à la vérité prétendent que ce sont les jeux Olympiques qu'il a voulu désigner dans le passage où il dit qu'Augéas avait retenu les quatre coursiers de Nélée, ces coursiers déjà tant de fois vainqueurs et que leur maître avait envoyés pour disputer un nouveau prix ; ils font remarquer que les Pisates ne figurent point dans l'Iliade comme ayant pris part à l'expédition contre Troie, le carac- tère sacré dont ils étaient revêtus les en ayant apparemment dispensés. Mais ils oublient que la Pisatide, qui a de tout temps compris Olympie, n'appartenait pas alors à Augéas; que ce prince régnait sur l'Elide seule ; que les jeux Olympiques ne se sont jamais célébrés en Elide mais toujours à Olympie, tandis que les jeux dont parle Homère n'avaient pu se célébrer ailleurs que dans la divine Elis, aux lieux mêmes où Nélée avait à réclamer son bien, «Car on lui retenait dans la divine Elis un dépôt précieux, quatre coursiers souvent vainqueurs» (Iliade, XI, 677) ; qu'enfin ces derniers jeux n'étaient point des jeux stéphanites, puisque le prix de la course, dans laquelle avaient dû figurer les chevaux de Nélée, consistait en un trépied, et que telle était au contraire la nature des jeux d'Olympie. Après la vingt-sixième Olympiade, il y eut un moment où les Pisates, redevenus indépendants, célébrèrent en leur nom les jeux Olympiques alors en pleine prospérité, mais ils ne tardèrent pas à retomber sous la domination des Eléens et ceux ci reprirent la direction et la surintendance des jeux. Il faut dire que les Eléens avaient trouvé de puissants auxiliaires dans les Lacédémoniens, après la chute définitive de la Messénie et en récompense de la fidélité qu'ils leur avaient toujours gardée pendant cette guerre, alors que les descendants de Nestor et les Arcadiens faisaient cause commune avec les Messéniens. Et tel fut pour eux le bon effet de ce secours qu'en peu de temps le pays tout entier jusqu'à Messène prit le nom d'Elicle, lequel s'est maintenu jusqu'à présent, tandis que les noms de Pisatide, de Triphylie et de Cauconie disparurent pour toujours. C'est alors aussi que Pylos Emathoéis fut réuni à Lépréum : les Lacédémoniens avaient voulu par là récompenser les Lépréates d'avoir combattu contre les Messéniens à leurs côtés. Les Lacédémoniens détruisirent bien encore mainte autre ville dans le pays ; mais en général ils épargnèrent celles qui tenaient énergiquement à leur autonomie, se contentant d'exiger d'elles un tribut. [8,3,31] La célébrité de la Pisatide date de l'espèce d'hégémonie ou de prééminence politique exercée {sur le Péloponnèse} par ses chefs, par Oenomaüs d'abord, puis par Pélops et par toute la lignée des Pélopides. Salmonée passe aussi pour avoir régné en ce pays et le fait est qu'au nombre des huit villes entre lesquelles s'est partagé le territoire de la Pisatide il s'en trouve une qui aujourd'hui encore porte le nom de Salmonée. La présence du temple de Jupiter à Olympie, jointe à cette hégémonie, acheva de répandre au loin le nom de la Pisatide. Sans doute il faut tenir compte aujourd'hui du peu de certitude qui s'attache à toutes ces anciennes histoires, à farce d'innover en toutes choses, les modernes en sont venus à transformer la tradition elle-même : certains auteurs par exemple font régner Augéas sur la Pisatide et Oenomaüs et Salmonée sur l'Elide, et d'autres prétendent que les deux pays n'ont jamais formé qu'un seul et même état. Le mieux cependant est encore de s'en tenir à l'opinion commune, d'autant qu'ici tout est devenu matière à controverse, voire l'étymologie du nom de Pisatide, que les uns expliquent par l'existence d'une ville qui aurait emprunté le nom de la fontaine Pisa (Pisa pour pistra, autrement dit potistra, abreuvoir) et dont ils montrent l'emplacement au haut d'un plateau entre deux montagnes appelées l'Olympe et l'Ossa comme les deux fameux sommets de la Thessalie, tandis que les autres prétendent qu'il n'a jamais existé de ville du nom de Pise (sans quoi elle figurerait au nombre des Huit cités), que ce nom n'a jamais appartenu qu'à une fontaine, la même qui s'appelle aujourd'hui Bisa et qui avoisine Cicésium la plus grande ville de l'Octopole, et que, si Stésichore a parlé d'une ville ou cité de Pise, c'est qu'il a donné la qualification de polis à la contrée elle-même {par une figure de style analogue à celle qu'emploie} Homère lorsqu'il appelle Lesbos Macaropolis ou même Euripide lorsqu'il dit dans sa tragédie de Ion : «L'Eubée est une cité proche voisine d'Athènes», et dans celle de Rhadamanthe : «Les peuples qui occupent ici près la cité Euboïde», ou bien encore Sophocle dans ce passage de sa tragédie des Mysiens : «L'ensemble du pays, ô étranger, s'appelle l'Asie, mais la ville ou cité même des Mysiens porte le nom de Mysie». [8,3,32] La ville de Salmonée {dont nous parlions plus haut} est située près d'une source de même nom, d'où s'échappe le fleuve Enipée, affluent de l'Alphée, et le même apparemment que celui dont il est question dans la Fable et pour lequel Tyro s'éprend d'amour, «Elle s'était éprise du divin Enipée», puisque Salmonée, le père de Tyro, régnait précisément en ces lieux (du moins Euripide le dit-il en termes exprès dans son Aeole). Ajoutons que près de Salmonée est Héraclée, qui compte aussi parmi les huit villes de la Pisatide ; distante d'Olympie de 40 stades environ, cette ville est baignée par le Cytherius, que domine en cet endroit le temple des Nymphes Ioniades, si connues pour les vertus curatives qu'elles sont censées communiquer aux eaux du fleuve. Beaucoup plus rapprochée d'Olympie, Arpina figure également au nombre des Huit villes ; elle est traversée par le Parthénias, qui prend ensuite la direction d'Hérée, en Arcadie. Puis vient, toujours du même côté, Cicysium, autre ville de l'Octopole. Quant à Dyspontium, qui était située dans la plaine même et sur le chemin d'Elis à Olympie, elle est aujourd'hui complètement déserte, la plus grande partie de ses habitants ayant émigré à Epidamne et à Apollonie. Le mont Pholoé, bien qu'il appartienne à l'Arcadie, semble aussi toucher à Olympie et de fait ses premières pentes commencent dès la Pisatide. Toute la Pisatide, avec une bonne partie de la Triphylie, confine à l'Arcadie ; de là vient qu'on a souvent attribué à ce dernier pays la plupart des localités du territoire Pylien qu'Homère a mentionnées dans son Catalogue des vaisseaux, mais c'est là une erreur, au dire des gens compétents, car de ce côté la frontière de l'Arcadie est formée par le cours de l'Erymanthe, un des affluents de l'Alphée, et ces différentes localités sont toutes en deçà de l'Erymanthe. [8,3,33] Nous lisons, maintenant, dans Ephore qu'Aetolus, chassé d'Elide par Salmonée, roi des Epéens et des Pisates, passa en Aetolie, donna son nom au pays et y fonda le peu de villes qu'on y rencontre ; qu'un descendant d'Aetolus, Oxylus, grand ami de Téménus, l'un des trois chefs héraclides, lui servit de guide, ainsi qu'à ses frères, lors de leur rentrée dans le Péloponnèse, fixa entre eux les conditions du partage et leur traça le plan de conquête du territoire ennemi, que les Héraclides l'en récompensèrent en lui permettant de reprendre possession de l'Elide, patrie de ses ancêtres, qu'il alla lever à cet effet une armée en Aetolie et revint attaquer les Epéens maîtres de l'Elide ; que ceux-ci marchèrent en armes à sa rencontre, et que, comme les forces des deux partis paraissaient égales, on vit, suivant une ancienne coutume hellénique, s'avancer pour combattre en combat singulier l'Aetolien Pyraechmès et l'Epéen Degménus : celui-ci s'était armé à la légère et n'avait pris que son arc dans la pensée qu'il lui serait facile de vaincre l'hoplite aetolien en le frappant de loin d'une flèche ; mais Pyraechmès, instruit de sa ruse, s'était muni d'une fronde et d'une besace remplie de pierres : la fronde était fine arme nouvelle récemment inventée par les Aetoliens eux-mêmes et qui portait plus loin que l'arc. Degménus fut tué et les Epéens, quittant l'Elide, durent céder la place aux Aetoliens. Ceux-ci se trouvèrent du même coup investis de l'intendance du temple d'Olympie, laquelle avait toujours appartenu jusque là à des Achéens. Alors, par amitié pour Oxylus, tous les chefs Héraclides s'engagèrent sous la foi du serment à regarder l'Elide comme une terre consacrée à Jupiter, et à traiter en sacrilèges, non seulement ceux qui l'envahiraient à main armée, mais ceux-là mêmes qui ne s'emploieraient pas de tout leur pouvoir à la défendre. «C'est ce qui explique, ajoute Ephore, comment plus tard, lorsqu'on bâtit Elis, on la laissa sans murailles et comment on vit dorénavant tout corps d'armée ayant à traverser le pays livrer ses armes à l'entrée pour ne les recevoir que de l'autre côté de la frontière». Le même auteur pense que le caractère sacré dont étaient revêtus 1es Eléens fut ce qui décida Iphitus à instituer les jeux Olympiques. De là aussi pour les Eléens une grande source de prospérité, car, tandis que les autres peuples du Péloponnèse étaient incessamment en guerre les uns avec les autres, eux seuls jouissaient d'une paix profonde, et, comme leurs hôtes naturellement en profitaient, il s'ensuivit que la population de leur pays s'accrut d'une façon extraordinaire. Cependant Phidon d'Argos, le dixième successeur de Téménus et le plus puissant prince de son temps (ce qui explique comment il avait pu et recouvrer en entier l'ancien lot de Téménus qu'il avait trouvé morcelé en plusieurs états et instituer tout ce système de poids et mesures dits Phidoniens et battre de la monnaie, même de la monnaie d'argent), Philon, après tout ce qu'il avait fait, voulut encore s'attaquer aux mêmes villes qu'Hercule avait prises et présider les mêmes jeux qu'Hercule avait célébrés, et, comme les jeux Olympiques étaient du nombre, il envahit le pays à main armée et célébra ces jeux en son nom, sans que personne eût pu l'en empêcher, car les Eléens, voués comme ils étaient à une paix perpétuelle, n'avaient pas d'armes, et les autres peuples du Péloponnèse avaient déjà pour la plupart subi son joug. Toutefois les Eléens n'inscrivirent jamais les jeux qu'avait tenus Phidon et s'étant procuré des armes ils entreprirent de se défendre eux-mêmes. Bientôt aussi il leur vint du secours de chez les Lacédémoniens, soit que ceux-ci eussent vu avec un secret plaisir la guerre succéder chez les Eléens à cette longue paix qui les avait rendus si prospères, soit qu'ils comptassent à leur tour s'aider d'eux pour renverser la puissance de Phidon et punir ce prince de leur avoir enlevé l'hégémonie du Péloponnèse. Effectivement les Eléens aidèrent les Lacédémoniens à détruire la puissance de Phidon et c'est en retour de ce service qu'eux-mêmes reçurent les secours des Lacédémoniens pour la conquête de la Pisatide et de la Triphylie. - Le littoral entier de l'Elide actuelle, ses sinuosités non comprises, peut bien avoir 670 stades de longueur. Ici s'arrête notre description de l'Elide. [8,4,0] CHAPITRE IV. [8,4,1] La Messénie, qui fait suite à l'Elide, regarde principalement le midi et la mer de Libye. Elle se trouvait, à l'époque de la guerre de Troie, faire partie intégrante de la Laconie, et, comme telle, était rangée sous la domination de Ménélas. On l'appelait alors Messène. Quant à la ville qui porte aujourd'hui ce nom, et qui eut longtemps pour acropole le mont Ithome, elle n'était pas encore bâtie. Après la mort de Ménélas, les rois de Laconie, ses successeurs, ne tardèrent pas à décliner, les Nélides en profitèrent pour étendre leur autorité sur la Messénie même. C'est ainsi que nous trouvons, lors du retour des Héraclides et du partage qui s'ensuivit, la Messénie indépendante sous un roi national, Mélanthus. Mais auparavant, je le répète, elle obéissait à Ménélas. On en a la preuve dans ce fait, que les sept villes promises par Agamemnon à Achille étaient toutes situées sur les bords du golfe de Messénie et du golfe adjacent d'Asiné, lequel tire son nom apparemment de l'Asiné de Messénie : «C'étaient Cardamyle, Enopé, et la verdoyante Hira, et Phères la divine, et Anthée aux vastes pâturages, et la belle Aepée et Pédase riche en vignes» (Il. IX, 150). Agamemnon eût-il promis, en effet, de donner ce qui n'était ni à lui ni à son frère ? J'ajoute que le poète fait figurer ailleurs (Ibid. II, 582) les Phéréens parmi les soldats ou compagnons de Ménélas et que la ville {d'Oetylus} indiquée comme faisant partie du Catalogue ou contingent laconien se trouve également située sur le golfe de Messénie. - L'antique Messène et la Triphylie se touchaient et la pointe {de Cyparissie} qui précède le Coryphasium marquait la limite commune. Une autre montagne, l'Aegaléôn distante de sept stades du Coryphasium et de la mer, court dans l'intérieur parallèlement à la côte. [8,4,2] L'ancien Pylos de Messénie était au pied même de l'Aegaléôn, mais il fut détruit de fond en comble et c'est au pied du Coryphasium qu'une partie des habitants rebâtit la Ville Neuve. Celle-ci, à son tour, fut occupée par le corps d'armée d'Eurymédon, lors de la seconde expédition des Athéniens en Sicile sous l'archontat de Stratoclès et devint, aux mains des Athéniens, une sorte de boulevard dirigé contre Lacédémone. Sur ce même point de la côte se trouvent Cyparissie de Messénie, {l'île Proté}, et, plus près de terre, contiguë à Pylos, nie Sphagie ou Sphactérie, où les Lacédémoniens eurent trois cents des leurs assiégés et pris par les Athéniens. Plus au large au contraire, à 400 stades environ du continent et en pleine mer méridionale ou libyque, sont les deux îles Strophades. Thucydide fait de ce second Pylos le principal port de la Messénie. Sa distance par rapport à Sparte est de 400 stades. [8,4,3] Vient ensuite Méthone, la Pédase d'Homère à ce qu'on croit et l'une des sept villes promises par Agamemnon à Achille. C'est ici, à Méthone, où il était entré de vive force avec sa flotte, qu'Agrippa, durant la guerre d'Actium, fit mettre à mort, comme factieux et partisan d'Antoine, Bogus, roi de Manrusie. [8,4,4] Le promontoire Acritas, qui succède immédiatement à Méthone, marque l'entrée du golfe de Messénie, appelé quelquefois aussi golfe Asinéen du nom de la petite ville d'Asiné, qui est la première qu'on y rencontre et qu'il ne faut pas confondre avec son homonyme du territoire d'Hermione. Mais c'est ici l'entrée occidentale ; du côté de l'E., le golfe commence aux îles Thyrides, lesquelles touchent en quelque sorte aux cantons laconiens du Cinaethium et du Ténare. Remontons maintenant à partir des îles Thyrides, nous remarquons dans l'intervalle Oetylus, ou, comme on l'appelle quelquefois Boetylus, puis Leuctrum, colonie de Leuctres en Béotie, Cardamyle, au haut d'un roc escarpé, et, après Cardamyle, Phères, qui touche à Thurie et à cette ville ou localité de Gérènes, dont nous avons déjà parlé ci-dessus, et de qui l'on veut que Nestor ait emprunté son surnom de Gérénien pour y avoir dans un temps cherché et trouvé asile. On peut voir dans les environs de Gérènes un temple d'Esculape Triccéen, ainsi nommé de ce qu'il est la copie exacte de celui de Tricca en Thessalie. Suivant la tradition, Pélops aurait fondé Leuctrum, ainsi que Charadre et Thalamee (aujourd'hui Boeoti), à l'occasion du mariage de sa soeur Niobé avec Amphion et au moyen d'un certain nombre de colons ramenés de Béotie. Près de Phères est l'embouchure du Nédon : ce fleuve, qui coule à travers la Laconie, est distinct de la Néda et a sur ses bords un temple célèbre dédié à Minerve Nédnsienne. A Peeaessa se trouve aussi un temple de Minerve Nédusienne, mais celui-ci tire son nom d'une ville ou localité de Nédon, qu'on assure avoir été la patrie de Téléclus et la métropole de Poeaessa, d'Echées et de Tragium. [8,4,5] Des sept villes promises par Agamemnon à Achille, trois, Cardamyle, Phères et Pédase, ont été déjà reconnues, passons à Enopé. Suivant quelques auteurs, cette ville serait la même que Pellana ; suivant d'autres, elle se retrouve dans certaine localité voisine de Cardamyle ; d'autres enfin l'identifient avec Gérénie. Quant à Hira, les uns la placent dans la montagne sur le chemin qui mène de la ville d'Andanie (la même, avons-nous dit, que l'Oechalie d'Homère) à la ville de Mégalopolis en Arcadie ; d'autres la reconnaissent dans la ville actuelle de Mésola, dont le territoire s'étend jusqu'au golfe et se trouve compris entre le Taygète et le canton de Messène. Puis vient Aepée, connue aujourd'hui sous le nom de Thurie. Proche voisine, on la vu, de Phères ou de Pharées, Thurie est bâtie sur une colline très haute et c'est cette situation qui lui avait valu son premier nom. De ce même nom de Thurie on a appelé Thuriate la partie du golfe où se trouvait isolée, juste en face du Ténare, l'ancienne ville de Rhium. Enfin l'on a proposé pour représenter Anthée soit cette même ville de Thurie (auquel cas Aepée devient Méthone), soit la position intermédiaire d'Asiné, qui est effectivement, de toutes les villes de la Messénie, celle dont l'emplacement comporterait le mieux l'épithète de Bathuleimon, sans compter qu'elle se trouve avoir dans son voisinage la ville maritime de Coroné et que celle-ci passe aux yeux de certains auteurs pour être la Pédase même d'Homère. Toujours est-il que ces villes sont bien, comme avait dit le poète, «toutes situées près de la mer» : Cardamyle s'élève sur le rivage même, Phères ou Phase n'en est qu'à cinq stades et possède une station d'été pour les navires, et les autres sont également toutes plus ou moins rapprochées de la côte. [8,4,6] Non loin de Coroné, à peu près vers le milieu du golfe, débouche le fleuve Pamisus. Par rapport à ce fleuve, Coroné est à droite, ainsi que les villes qui se succèdent sur la côte dans la direction du couchant jusqu'à Pylos et à Cyparissie, notamment Eranna qui se trouve placée entre ces deux dernières et que l'on a confondue quelquefois, mais à tort, avec l'Aréné d'Homère. Thurie et Pharées, au contraire, sont à gauche. Le Pamisus est le fleuve le plus considérable qu'il y ait en deçà de l'isthme, bien que son cours entier, depuis ses sources et à travers les plaines de la Messénie et de la Macarie, qu'il arrose d'ailleurs largement, ne mesure pas plus de cent stades de longueur. Il passe à cinquante stades de Messène, chef-lieu actuel de la Messénie. On connaît bien encore un autre Pamisus, mais c'est un cours d'eau de peu d'importance, une espèce de torrent, qui coule aux environs de Leuctrum en Laconie, et le même qui donna lieu naguère, par devant Philippe, à cette contestation entre les Messéniens et les Lacédémoniens. Enfin, l'on a vu plus haut que le nom de Pamisus avait été donné quelquefois au fleuve Amathus. [8,4,7] Ephore raconte comment Cresphonte, une fois maître de Messène, partagea le pays entre cinq villes, choisit celle de Stényclaros, à cause de sa position centrale, pour en faire sa propre résidence, et envoya des {rois} dans les quatre autres, à savoir dans Pylos, dans Rhium, dans {Mésola} et dans Hyamitis, conférant à tous les Messéniens sans exception les mêmes droits qu'aux Doriens. Mais l'indignation des Doriens l'ayant fait revenir sur cette mesure, Stényclaros eut seule le titre de ville et il y réunit tous ses sujets doriens d'origine. [8,4,8] Messène ressemble à Corinthe : au-dessus de chacune de ces deux cités, en effet, et comprise dans leur enceinte même de manière à pouvoir leur servir de citadelle ou d'acropole, s'élève une montagne très haute, très escarpée, ici l'Ithome, là l'Acrocorinthe. Cette ressemblance avait frappé Démétrius de Pharos, et, en homme avisé, ce semble, sachant que Philippe, fils de Démétrius, ne désirait rien tant que de se voir maître de tout le Péloponnèse, il lui avait conseillé de s'assurer d'abord de ces deux villes : «Une fois que vous tenez les deux cornes, lui disait-il, la vache est à vous». Dans sa pensée l'Ithome et l'Acrocorinthe figuraient les deux cornes et la vache n'était autre que le Péloponnèse. Du reste l'importance de leur situation explique l'acharnement avec lequel, à différentes reprises, on s'est disputé la possession de ces deux places. Détruite {par les Romains}, Corinthe fut rebâtie par eux ; Messène de même, après avoir été ruinée par les Lacédémoniens, fut restaurée, une première fois par les Thébains et plus tard par Philippe, fils d'Amyntas ; seules les deux acropoles sont demeurées inhabitées. [8,4,9] Le temple de Diane témoin, dit-on, de l'antique attentat des Messéniens sur ces vierges lacédémoniennes venues pour assister à un sacrifice est situé à Limnae, sur la frontière même de la Laconie et de la Messénie. Jusque-là les deux peuples avaient toujours tenu en ce lieu une assemblée annuelle et offert en commun le sacrifice à la déesse. Mais après l'outrage, les Messéniens auraient refusé, à ce qu'on assure, toute satisfaction, et la guerre aurait éclaté. C'est de ce même bourg de Limnae que le temple de Diane à Sparte a pris le nom de Limnaeum. [8,4,10] La guerre recommença à plusieurs reprises par suite des insurrections des Messéniens. S'il faut en croire Tyrtée, la première conquête de la Messénie avait eu lieu deux générations avant lui : «du temps des pères de nos pères», dit-il dans ses poèmes. La seconde suivit l'insurrection dans laquelle les Messéniens avaient eu pour alliés les Argiens, {les Arcadiens} et les Pisates, et pour chefs l'Arcadien Aristocrate, roi d'Orchomène, et le Pisate Pantaléon, fils d'Omphalion, tandis que les Lacédémoniens combattaient sous les ordres de Tyrtée lui-même {venu exprès d'Erinée pour les commander}. Tyrtée se dit en effet originaire d'Erinée dans son élégie d'Eunomie : «Le fils de Saturne, l'époux de Junon à la belle couronne, Jupiter avait fait don de cette ville aux Héraclides, et, quand les Héraclides partirent pour la grande île de Pélops, nous quittâmes avec eux la venteuse Erinée». Seulement, de deux choses l'une, ou ce passage de l'élégie {a été interpolé} et ne mérite aucune créance, ou bien Philochore a menti en faisant naître Tyrtée à Athènes, dans le dème d'Aphidna, et, non seulement Philochore, mais Callisthène aussi et tous ceux qui racontent comment Tyrtée fut envoyé d'Athènes, sur la demande expresse des Lacédémoniens à qui un oracle avait enjoint de prendre un chef de la main des Athéniens. Quoi qu'il en soit, c'est bien du temps de Tyrtée qu'eut lieu la seconde guerre de Messénie ; mais il y en eut encore, dit-on, une troisième, voire une quatrième, et c'est ce qui acheva de ruiner le pays. La côte de Messénie, y compris tous les golfes qu'elle forme, a environ 800 stades de longueur. [8,4,11] Si nous nous sommes étendu plus que de raison sur la Messénie, c'est que nous avons été en quelque sorte entraîné par la masse de documents historiques relatifs à cette contrée, aujourd'hui à vrai dire en grande partie déserte, {sans que sa dépopulation ait rien qui doive étonner}, puisque la Laconie elle-même peut nous paraître un désert comparée à ce qu'elle était anciennement. C'est tout au plus, en effet, si, en dehors de Sparte, on compte une trentaine de bourgs dans cette contrée qu'on appelait jadis, dit-on, l'Hécatompole, la contrée aux cent villes, et où se célébrait pour cette raison cette fameuse hécatombe annuelle. [8,5,0] CHAPITRE V. [8,5,1] Au golfe de Messénie succède celui de Laconie, qui s'étend entre le cap Ténare et le cap Malées en inclinant légèrement du midi vers le levant. Le promontoire Thyrides, rocher incessamment battu par le courant du golfe de Messénie, est à 130 stades environ du Ténare. Juste au-dessus, à une faible distance de la mer, commence, le Taygète, chaîne de montagnes à la fois très haute et très escarpée, qui, en allant rejoindre vers le N. les derniers contreforts de l'Arcadie, {se divise} et enserre ainsi une vallée où la Laconie et la Messénie n'ont plus rien qui les sépare. Au pied du Taygète, tout à fait dans l'intérieur des terres, se trouvent Sparte, Amyclées, qui possède ce fameux temple d'Apollon, et Pharis. Le sol de Sparte, bien qu'accidente par lui-même, est sensiblement plus bas que le reste du pays, mais il n'est plus le moins du monde marécageux, même dans le faubourg de Limnie, dont le nom rappelle cependant la présence d'anciens marais ; et le temple de Bacchus Limnéen, qui avait été bâti pour ainsi dire dans l'eau, se trouve reposer aujourd'hui sur un terrain parfaitement sec. Si nous rangeons, maintenant, la côte du golfe, ce qui s'offre à nous d'abord, c'est le Ténare qui s'avance en tome de pointe et que couronne un temple de Neptune entouré de son alsos ou bois sacré, puis nous voyons tout près s'ouvrir cette caverne, si célèbre dans la fable, par où Hercule sortit des enfers traînant après soi Cerbère enchaîné. Depuis le Ténare, on compte, dans la direction du midi, 3000 stades jusqu'au cap Phycûs en Cyrénaïque ; dans la direction du couchant, 4600 stades, d'autres disent seulement 4000, jusqu'au cap Pachynum en Sicile ; dans la direction du levant, 670 stades jusquau cap Malées, toutes les sinuosités de la côte comprises, ou 520 stades seulement jusqu'à Onûgnathe, presqu'île très basse, située en deçà du cap Malées et juste en face de l'île Cythère, laquelle n'est là qu'à une quarantaine de stades du continent. Cette île qui possède, avec un bon port, une ville appelée aussi Cythère et devenue dans ces derniers temps la propriété privée d'Euryclès, chef ou hégémon des Lacédémoniens, est elle-même entourée de plusieurs îlots, les uns très rapprochés, les autres un peu plus éloignés. Jusqu'au Corycus enfin, sur la côte de Crète, le trajet le plus court, à partir du Ténare, est de 950 stades. [8,5,2] Passé le Ténare, si l'on continue à ranger la côte dans la direction d'Onûgnathe et de Malées, on aperçoit d'abord la ville de Psamathûs, puis Asiné, et, 240 stades plus loin, Gythium, port ou arsenal de Sparte. On prétend que le bassin de Gythium a été creusé de main d'homme. Suit l'embouchure de l'Eurotas, entre Gythium et Acrées. Poussé jusqu'ici, le relevé de la côte donne en plus une longueur de 74 stades environ. On passe ensuite devant des terrains marécageux, puis on arrive à Hélos, simple bourgade aujourd'hui, mais qui avait anciennement le rang de cité, témoin ce vers d'Homère (Iliade, II, 284): «Et les habitants d'Amyclées et ceux d'Hélos, ville maritime». Suivant la tradition, elle avait été fondée par Hélios, fils de Persée. Une plaine, nommée Leucé, précède la ville de Cyparissie, laquelle est bâtie sur une presqu'île et possède un bon port. Onûgnathe, qui suit, est également pourvu d'un port. Puis vient la ville de Boea, et plus loin Malées, à 150 stades d'Onûguathe. Asopus compte aussi parmi les villes de la Laconie actuelle. [8,5,3] Des différentes localités, maintenant, que cite Homère dans son Catalogue des vaisseaux, la première, Messé, aurait, à ce qu'on assure, péri sans laisser de trace, et la seconde, Messoa, paraît n'avoir jamais formé une cité distincte, mais bien un simple quartier de Sparte, comme voilà le Limnaeum, au pied du Mont {Thorn}ax. Il y a même certains grammairiens qui prétendent que le nom de Messé, dans ce passage d'Homère, est mis par apocope pour Messène : Messène en effet (nous- même l'avons dit plus haut) faisait alors partie de la Laconie. Quant aux autres villes de la Laconie que mentionne Homère, ou elles sont aujourd'hui détruites, ou elles n'ont laissé d'elles que de faibles vestiges, ou bien encore elles ont changé de nom. C'est ainsi qu'Augées (et il n'y a pas lieu de confondre cette ville avec l'Augées de la Locride qui aujourd'hui n'existe plus) s'appelle actuellement Aegées. Las est de celles qui ont été détruites de fond en comble, et elle le fut, dit-on, de la propre main des Dioscures, qui retinrent même de cet exploit le surnom de Laperses. [8,5,4] Suivant Ephore, ceux des chefs Héraclides à qui la Laconie était échue, Eurysihène et Proclès, divisèrent le pays en six lots et y fondèrent {un même nombre de} villes : l'un de ces lots, avec Amycles pour chef-lieu, fut détaché par eux et donné à l'ami qui leur avait livré la Laconie en persuadant adroitement au chef achéen, possesseur actuel de la contrée, d'accepter leurs conditions et de se retirer en Ionie avec ses gens ; puis, ils avaient choisi Sparte pour en faire leur résidence personnelle, et avaient envoyé leurs lieutenants régner dans les autres villes, en les laissant libres, vu l'état de dépopulation du pays, d'accueillir tout étranger qui voudrait s'établir près d'eux. En même temps, ils faisaient de Las {leur arsenal maritime}, à cause de son excellent port ; d'Aegys, à cause de sa proximité des points les plus menacés de la frontière, {leur boulevard ou place d'armes ; et leur trésor de Pharée}, à cause de sa situation particulière qui l'assurait contre toute agression du dehors. Quant aux périèques, bien que entièrement soumis aux Spartiates, ils jouirent d'abord des mêmes droits qu'eux, participant aux charges et aux honneurs du gouvernement. Ce fut Agis, fils d'Eurysthène, qui leur enleva ce privilége de l'isotimie, les réduisant par là à l'état de simples tributaires de Sparte ; en général, ils se résignèrent à ce changement, mais les Héléens ou habitants d'Hélos, les Hilotes pour mieux dire (car c'est là le nom qui a prévalu) s'insurgèrent ; une lutte s'engagea dans laquelle ils succombèrent, et ils se virent alors condamnés en masse à l'esclavage avec cette condition aggravante, que leurs maîtres n'auraient la faculté ni de les affranchir ni de les vendre au dehors. C'est là, ajoute Ephore, ce qui fut appelé la guerre des Hilotes. L'Hilotie, du reste, s'est maintenue presque sans changement telle qu'Agis l'avait instituée jusqu'à l'époque de la domination romaine, les Hilotes continuant à être pour les Lacédémoniens en quelque sorte des esclaves publics tenus à résider dans des lieux fixes et à exécuter certaines corvées. [8,5,5] Nous pourrions à la rigueur ne rien dire du gouvernement des Lacédémoniens ni des révolutions survenues parmi eux, tant ce sujet est généralement connu ; néanmoins il est certains détails sur lesquels il est bon que nous revenions. Ainsi nous voyons que les Achéens de la Phthiotide, venus dans le Péloponnèse comme compagnons de Pélops, s'établirent d'abord en Laconie et acquirent bientôt une telle prépondérance par leur bravoure qu'au nom d'Argos, qui était alors celui du Péloponnèse, on ajouta, à cause d'eux, l'épithète d'Achaïque, et qu'on désigna ainsi non plus seulement le Péloponnèse d'une façon générale, mais spécialement aussi la Laconie. Nous en avons la preuve dans ce passage d'Homère (Odyssée, III, 249-251), «Où était alors Ménélas ? Sans doute il n'était pas dans ARGOS-ACHAïQUE ?» que certains grammairiens entendent comme revenant à ceci : «Sans doute il n'était pas en LACONIE ?» Les mêmes Achéens, lors du retour des Héraclides, et quand Philonomos eut livré le pays aux Doriens, évacuèrent la Laconie et passèrent dans la partie du Péloponnèse occupée par les Ioniens, laquelle prit à cette occasion le nom d'Achaïe. Mais nous reparlerons d'eux plus au long en décrivant cette province. Quant aux nouveaux maîtres de la Laconie, leur ambition d'abord contenue prit l'essor sous l'empire des lois de Lycurgue, et ils eurent bientôt acquis une telle supériorité sur les autres peuples de la Grèce qu'on les vit donner l'exemple unique d'un peuple maître à la fois de la terre et de la mer et conserver leur prépondérance sans interruption jusqu'au moment où les Thébains, et, immédiatement après ceux-ci, les Macédoniens s'emparèrent de l'hégémonie. Encore les Lacédémoniens ne reconnurent-ils jamais complètement l'hégémonie macédonienne ; ils conservèrent leur autonomie et continuèrent à disputer le premier rang tant aux autres peuples de la Grèce qu'aux rois de Macédoine eux-mêmes. Plus tard, après la destruction de la puissance macédonienne par les Romains, il y eut quelques légers conflits entre les Lacédémoniens et les autorités romaines envoyées dans le pays et cela par la faute des tyrans qui les régissaient alors et de leur déplorable politique ; mais, une fois revenus à leur ancienne forme de gouvernement, les Lacédémoniens surent se faire honorer des Romains d'une manière toute particulière, si bien que ceux-ci leur laissèrent leur indépendance, sans réclamer d'eux autre chose que les devoirs et services ordinaires dus par les alliés de Rome. Dans ces derniers temps Euryclès a bien provoqué encore quelques troubles en Laconie, pour avoir paru se prévaloir outre mesure de l'amitié de César dans l'exercice de sa présidence ou épistasie. Mais cette nouvelle forme de tyrannie fut de courte durée, Euryclès étant venu à mourir, et son fils ayant su se préserver sagement de toute semblable ambition. D'autre part, on vit la république des Eleuthéro-Lacones se constituer alors {avec l'appui des Romains, reconnaissants de ce que} les Périèques et surtout les Hilotes, à une époque où Sparte était encore opprimée par ses tyrans, s'étaient résolûrnent déclarés pour eux. Contrairement à l'opinion reçue, Hellanicus présente Eurysthène et Proclès comme les véritables auteurs de la constitution politique de Lacédémone. Mais Ephore à ce sujet l'accuse de mauvaise foi : à en croire cet auteur, Hellanicus a évité exprès en toute occasion de nommer Lycurgue, pour pouvoir ainsi plus aisément faire honneur de ses travaux aux deux Héraclides, et pourtant c'est à Lycurgue, à Lycurgue seul, que les Lacédémoniens ont bâti un temple et qu'ils adressent leur sacrifice annuel ; les deux Héraclides, au contraire, tout fondateurs qu'ils étaient, n'ont même pas obtenu de transmettre à leurs successeurs les noms d'Eurysthénides et de Proclides. Ce sont les noms d'Agides et {d'Eurynontides}, rappelant, l'un, Agis, fils d'Eurysthène, l'autre, Eurypon, fils de Proclès, qui ont prévalu, et pourquoi ? parce que ces princes étaient considérés {comme ayant exercé une autorité} légitime, tandis que leurs pères, pour avoir appelé {les étrangers} dans le pays et n'avoir régné que par leur aide, avaient perdu leur droit au titre d'archégètes, qui autrement ne se refuse jamais {aux fondateurs d'Etats. Pau}sanias, ajoute Ephore, Pausanias l'Eurypontide, {en jugeait bien ainsi}, puisqu'ayant été chassé du trône il s'en prit à {Lycurg}ue, comme {à l'auteur} des lois de l'ingrate patrie qui l'avait banni, et composa contre lui durant son exil un Discours dans lequel il rappelait quantité d'oracles rendus à la prière du laborieux {législateur}. [8,5,6] Sur la topographie des deux pays, tant celle de la Messénie que celle de la Laconie, on peut admettre comme exacts les passages suivants d'Euripide, et celui dans lequel, après avoir dépeint la Laconie comme possédant «Beaucoup de bonnes terres propres au labourage, mais de culture difficile, parce que le pays est creux, resserré entre des montagnes à pic, âpre d'aspect, et inaccessible à l'invasion», il lui oppose la Messénie, «Riche en fruits, sillonnée de cours d'eau en tout sens, favorable à la nourriture des boeufs et des brebis, ni trop froide, l'hiver, quand souffle l'aquilon, ni trop chaude, l'été, quand le char du soleil embrase le ciel de ses feux» ; et cet autre passage, un peu plus bas, dans lequel, à propos du tirage au sort entre les chefs héraclides maîtres du Péloponnèse, il marque que le premier lot appelé «Donnait droit aux terres de Laconie, sol maigre et de peu de prix», tandis que le second donnait droit aux champs de Messéné, «dont l'heureuse fertilité défie toute expression», ce que confirme du reste le témoignage formel de Tyrtée. En revanche, lorsqu'Euripide prétend donner pour limite commune à la Messénie et à Laconie le cours du «Pamisus, qui précipite ses flots impétueux vers la mer», il commet là une erreur grave et qu'on ne saurait laisser passer, puisque le Pamisus coupe la Messénie juste par le milieu sans toucher par conséquent en aucun point à la Laconie actuelle. Il n'est pas mieux inspiré, lorsque, oubliant que la Messénie est une contrée maritime ni plus ni moins que la Laconie, il la montre hors de la portée du navigateur. Enfin il paraît ignorer la vraie étendue de l'Elide quand il dit : «Au delà du fleuve est Elis, proche voisine de Jupiter...». Veut-il parler là, en effet, de l'Elide actuelle, laquelle se trouve être limitrophe de la Messénie ? Mais il ne voit pas que le Pamisus ne touche pas plus à l'Elide qu'à la Laconie, puisque, je le répète, il coupe la Messénie juste par le milieu. Entend-il désigner l'ancienne Coelé-Elide ? Mais il s'écarte encore bien davantage de la vérité, car il faut, lorsqu'on a franchi le Pamisus, traverser l'autre moitié de la Messénie, puis franchir tout le canton des {Lépréates} et celui des {Macistiens} autrement dit l'ancienne Triphylie, {toute la Pi}satide aussi avec le territoire d'Olympie et marcher encore l'espace de 300 stades avant d'atteindre Elis. [8,5,7] Au sujet de la double leçon g-Lakedaimona g-kehtohessan et g-Lakedaimona g-kaietaessan , proposée par les grammairiens, il s'est élevé des doutes : d'une part, on s'est demandé ce que pouvait signifier le mot g-kehtohessan, s'il avait trait effectivement à la présence de cétacés (g-kehtoi) sur les côtes de la Laconie ou s'il fallait l'entendre {au figuré} dans le sens de grand, d'immense, ce qui semble plus plausible ; d'autre part, la forme g-kaietaessan est interprétée tantôt comme un équivalent du mot g-kalaminthohdeh, tantôt comme un dérivé du mot g-kaiehtoi, lequel signifie toute crevasse ou déchirure produite par un tremblement de terre et se retrouve dans le nom de "caeetas" donné à la prison de Lacédémone, qui n'est effectivement qu'une caverne, bien que certains auteurs fassent remarquer que le mot propre pour désigner ces sortes d'excavations naturelles est plutôt g-kohoi, g-koilohmata, témoin l'expression homérique g-phehrsin g-oreskohoisin. Ce qu'il y a de sûr c'est que la Laconie est très sujette aux tremblements de terre et qu'on parle de cimes entières de la chaîne du Taygète qui auraient été arrachées et précipitées à la suite de secousses semblables. Mais le nom du Taygète nous rappelle une des richesses du pays, les carrières de marbre : et en effet, outre les anciennes carrières du cap Ténare, d'où l'on extrait le beau marbre dit Ténarien, il en a été ouvert récemment de fort grandes dans le Taygète pour le compte de quelques entrepreneurs aidés dans leur opération par les capitaux de la riche et fastueuse Rome. [8,5,8] C'est encore Homère qui nous fournit la preuve que le nom de Lacédémone, dans un temps, désignait à la fois le pays et la ville (et par le pays j'entends toute la Laconie accrue de la Messénie) : ainsi, lorsque, à propos de l'arc d'Ulysse, il s'écrie (Odyssée, XXI, 13) : «Don magnifique, que lui avait fait, lors de leur rencontre dans Lacédémone, Iphitus l'Eurytide, son hôte», et qu'il ajoute un peu plus loin : «Ils s'étaient rencontrés l'un et l'autre dans Messène, sous le toit d'Ortilochus», c'est évidemment le pays, le pays dans son ensemble, qu'il entend désigner ; et, comme la Messénie en faisait alors partie, on conçoit qu'il ait pu dire indifféremment «dans Lacédémone» ou «dans Messène», d'autant que la résidence même d'Ortilochus paraît avoir été à Phères : «Ils arrivèrent à Phères, dans la maison de Dioclès, fils d'Ortilochus» (Odyssée, III, 488). (Il s'agit dans ce passage de Télémaque et de Pisistrate, et de la ville de Phères, située en Messénie). En revanche, quand Homère nous montre les généreux coursiers qui emportent Télémaque et son compagnon loin de Phères agitant, secouant leur joug pendant toute la durée du jour, et qu'il s'exprime comme il suit (Odyssée, III, 487 ; IV, 1): «Le soleil se couchait à peine... Ils atteignent alors la basse et caverneuse Lacédémone, et dirigent leur char vers la demeure de Ménélas», il faut bien admettre qu'il parle là de la ville même, autrement on risque de lui faire dire une chose absurde, à savoir que Télémaque et son compagnon «partis de Lacédémone arrivent à Lacédémone». Il n'est guère vraisemblable d'ailleurs que Ménélas ait eu sa résidence en un lieu autre que Sparte ; guère vraisemblable non plus, s'il l'avait eue, qu'Homère ait fait dire à Télémaque (Odyssée, II, 359) : «J'irai à Sparte et à Pylos». Une dernière circonstance semble encore {con}firmer notre thèse, c'est que dans le passage en question {Homère n'emploie pas} d'épithètes {générales comme celles dont il se sert d'habitude pour caractériser} l'ensemble d'une contrée, à moins pourtant qu'on ne veuille voir là encore, qui sait ? quelque licence poétique sans conséquence. {Ne vaut-il pas mieux, au surplus, pour l'honneur de} Messène, pouvoir supposer qu'elle dépendait alors du royaume de Ménélas ou de celui de Nestor, du royaume de Lacédémone ou de celui de Pylos, que d'avoir à dire qu'elle formait un état indépendant, mais qu'elle n'avait pu être comprise dans le Catalogue d'Homère faute d'avoir pris part à l'expédition commune contre Troie ? [8,6,0] CHAPITRE VI. [8,6,1] Au cap Malées succèdent les golfes Argolique et Hermionique : le premier de ces golfes s'étend jusqu'au Scyllaeum et s'ouvre au levant, juste dans la direction des Cyclades ; quant à l'autre, situé plus à l'est, il se prolonge jusqu'à l'île d'Egine et aux limites de l'Epidaurie. L'entrée du golfe Argolique dépend encore de la Laconie, mais tout le reste appartient à l'Argolide. Dans cette première portion dépendante de la Laconie, on remarque une localité appelée Délium comme la ville de Béotie et consacrée de même à Apollon, un château fort appelé Minoa comme la ville de la Mégaride, et, si l'on en croit Artémidore, la ville d'Epidaure-Limère. Apollodore, lui, place cette dernière ville dans le voisinage même de Cythères ; il ajoute que ce surnom de Limère, limêra, lui fut donné à cause de la sûreté et de la commodité de son port et par abréviation, par contraction, pour limerêna qui est la vraie forme du mot. La côte de la Laconie, depuis le cap Malées, est généralement âpre et rocheuse, bien qu'il s'y trouve encore çà et là quelques mouillages ou abris pour les vaisseaux. En revanche, tout le reste du littoral du golfe Argolique est pourvu de ports nombreux et excellents. Ajoutons que beaucoup de petites îles, qui d'ailleurs ne méritent pas qu'on les nomme ici, bordent cette partie de la côte. [8,6,2] En Argolide, les premières localités qui se présentent sont Prasies, Téménium où est enseveli le héros Téménus, et entre deux la vallée de la Lerne, petite rivière, dont le nom rappelle le lac rendu si célèbre par l'hydre de la fable. En remontant depuis Téménium jusqu'à Argos dans l'intérieur des terres on trouve que la distance est de 26 stades ; on compte ensuite 40 stades d'Argos à Héraeum, dix stades d'Héraeum à Mycènes. Sur la côte, maintenant, Nauplie succède à Téménium. Nauplie est le port ou pour mieux dire l'arsenal maritime d'Argos et l'étymologie de son nom indique effectivement un lieu d'accès facile pour les navires. On prétend que la même étymologie a donné aux mythographes modernes l'idée de créer les personnages de Nauplius et de ses fils, et qu'autrement Homère n'eût point manqué de faire figurer dans ses poèmes des héros tels que ce Palamède, mort victime d'une trahison et d'un arrêt injuste après avoir déployé tant de sagesse et un génie si inventif, tels encore que ce Nauplius, qui, {pour venger son fils}, aurait attiré toute une flotte grecque sur les écueils de Capharée. La généalogie de Nauplius présente d'ailleurs, indépendamment de son côté fabuleux, un grossier anachronisme : qu'on admette en effet que ce héros ait eu Neptune pour père, comment pouvait-il, vivant encore à l'époque de la guerre de Troie, avoir eu pour mère Amymone ? - Tout de suite après Nauplie on voit s'ouvrir les grottes ou cavernes dites des Cyclopes, qui contiennent ces antiques labyrinthes. [8,6,3] Puis on passe devant quelques localités sans importance pour atteindre enfin le golfe Hermionique. Mentionné en termes exprès par Homère, comme une dépendance de l'Argolide, ce golfe {nous a paru devoir figurer ici} aussi à titre de section distincte du littoral du Péloponnèse : il commence à la petite ville d'Asiné et comprend, avec Hermione et Trézène, l'île Calaurie qui n'a guère que trente stades de tour et n'est séparée du continent que par un étroit canal de quatre stades. [8,6,4] Le golfe Saronique qui lui succède est appelé quelquefois aussi des noms de mer ou de canal Saronique, parce qu'en effet l'intervalle compris entre les parages d'Hermione et de l'Isthme et les mers de Myrtes et de Crète remblent former un bassin distinct. Dans le golfe Saronique {proprement dit} se trouvent Epidaure, avec l'île d'Egine, qui lui fait face, Cenchrées, l'un des deux ports de Corinthe, dit le port du levant, et Schoenûs à 45 stades par mer de Cenchrées, ce qui fait en tout 1800 stades pour la distance depuis le cap Malées. C'est de Schoenîs que part le diolcos ou chemin de traînage : il traverse la portion la plus étroite de l'isthme et passe auprès du temple de Neptune Isthmien. - N'anticipons pas du reste : ces lieux se trouvent en dehors de l'Argolide, et, avant d'en rien dire, il est bon que nous revenions sur nos pas et que nous reprenions, mais alors en détail, la description de cette dernière contrée. [8,6,5] Au préalable, examinons les différentes significations que le nom d'Argos a dans Homère, et lorsqu'il est employé seul et lorsque les épithètes d'Achaïque, de Iase, d'Hippien, de Pélasgique ou d'Hippobote l'accompagnent. Homère, en effet, appelle Argos non seulement la ville de ce nom, comme dans les passages suivants : «Et Argos et Sparte» (Il. IV, 52), «Et ceux qui habitaient et Argos et Tirynthe» (Ibid. II, 559), mais encore le Péloponnèse, témoin cet autre passage : «En Argos, dans notre palais» (Ibid. I, 30), car on sait qu'Agamemnon n'avait point sa résidence dans la ville d'Argos. On peut même dire qu'il nomme ainsi la Grèce entière, puisque, pour exprimer l'ensemble des peuples grecs, il emploie aussi souvent l'ethnique Argiens que les ethniques Danaens et Achéens. Seulement, pour empêcher qu'on ne se trompe à cette homonymie, il recourra à diverses épithètes, il dira par exemple Argos- Pélasgique pour désigner la Thessalie, «Je nommerai maintenant tous les peuples venus d'Argos Pélasgique» (Ibid. II, 681) et {Argos-Achaïque} pour désigner le Péloponnèse, «Si jamais nous revenons dans Argos Achaïque» (Ibid. IX, 141), «Sans doute Ménélas n'était pas alors dans Argos Achaïque» (Od. III, 251), ce qui prouve, par parenthèse, qu'indépendamment du sens général dont nous parlions tout à l'heure le nom d'Achéens avait aussi le sens particulier de Péloponnésiens. C'est également au Péloponnèse que paraît s'appliquer la dénomination d'Argos Iase, car, dans le passage où il est dit, «Si tous les Achéens qui habitent Argos Iase pouvaient vous contempler, Pénélope, vous compteriez plus de prétendants encore» (Od. XVIII, 245), il est probable que le poète a voulu parler non de la totalité des Grecs ou Hellènes, mais de ceux seulement qui se trouvaient le plus rapprochés de l'île d'Ithaque. En revanche il ne faut voir dans les mots hippien et hippobote que des épithètes banales. [8,6,6] On ne s'accorde pas, disons-le en passant, sur le sens à donner à ces noms de Hellade, d'Hellènes, et de Panhellènes {dans Homère}. Suivant Thucydide (I, 3), Homère n'a pas fait usage de la dénomination générale de Barbares, faute de pouvoir lui opposer celle d'Hellènes qui ne s'étendait pas encore de son temps à toutes les populations de la Grèce. Apollodore affirme aussi que par Hellènes Homère entendait uniquement l'une des tribus de la Thessalie et il cite ce vers de l'Iliade (II,684) : «Ils s'appelaient Myrmidons, Hellènes, {et Achéens}», mais il croit qu'Hésiode et Archiloque devaient connaître le sens général des noms d'Hellènes et de Panhellènes, puisqu'à propos des filles de Proetus le premier nous montre «les Panhellènes aspirant à leur main», et que le second, {dans une de ses boutades contre Thasos,} s'écrie : «Tous les maux de la Grèce, {littéralement LES MAUX DES PANHELLENES,} s'y sont donné rendez-vous». D'autre part, quelques grammairiens soutiennent qu'on trouve la dénomination de Barbares déjà employée dans Homère, puisqu'en certain passage il qualifie les Cariens de Barbarophones ; et qu'il a de même indiqué toute l'extension du nom d'Hellènes, en disant par exemple, au sujet d'Ulysse (Od. I, 344) : «Ce héros, dont la gloire a retenti à travers la Hellade et jusqu'en plein Argos» ; et ailleurs (Ibid. XV, 80) : «Si tu veux parcourir la Hellade, et pénétrer au sein d'Argos». [8,6,7] La ville d'Argos, bâtie sur un terrain généralement plat, a pour citadelle une colline, nommée Larisse, dont l'assiette est passablement forte et que couronne un temple de Jupiter. Tout auprès passe le fleuve Inachus, sorte de torrent profondément encaissé, qui prend sa source aux confins mêmes de l'Arcadie, sur le versant du mont Lyrcée. Dans la Fable, on le sait, ce fleuve a une autre source, mais, comme nous l'avons dit plus haut c'est là une pure fiction des poètes. Il faut voir également une fiction poétique dans la tradition qui nous représente Argos comme entièrement dépourvu d'eau avant que «De ce lieu aride les Danaïdes eussent fait un lieu frais et humide». Tout le pays, effectivement, aux environs de la ville, est bas, sillonné de cours d'eau ou couvert de lacs et de marécages, et la ville elle-même se trouve abondamment alimentée par tous ces puits qu'on y rencontre à chaque pas, et où l'eau arrive presque au ras du sol. On a tort seulement de s'en prendre à Homère, et de vouloir qu'il nous ait induits en erreur en faisant dire à Agamemnon : g-Kai g-men g-elegchistos g-poludipsion g-Argos g-ikoimehn «Et moi, je rentrerais chargé de honte dans L'ARIDE Argos». Ici, en effet, "poludipsion" est mis pour "polupothehton", et a le sens de bien-aimé ; peut-être même la vraie leçon est-elle "poluipsion" sans S, ce qui revient pour le sens au "poluphthoron" de Sophocle, «Et cette maison des Pélopides, déjà si cruellement frappée», car le verbe ipsasthai signifie bien les épreuves, les coups du sort, témoin ce vers d'Homère : «Maintenant il vous éprouve ; mais bientôt sa colère frappera (g-ipsetai) les fils des Grecs». Ajoutons que, dans le passage en question, il s'agit non de la ville d'Argos, où Agamemnon n'avait que faire de retourner, mais du Péloponnèse, qui n'est certes pas non plus dépourvu d'eau. On peut d'ailleurs conserver le d (poludipsion), et, à l'exemple de certains grammairiens, expliquer sa présence par la transposition de la conjonction de, s'élidant naturellement devant ipsion et faisant corps avec ce mot, ce qui donne alors : Kai men elegchistos polu d'ipsion Argos ikoimên, autrement dit : g-poluipsion g-Argos g-de g-ikoimehn (g-Argosde, pour g-eis g-Argos). [8,6,8] L'Inachus n'est pas le seul fleuve qui arrose le territoire d'Argos, il y a aussi l'Erasinus, lequel prend sa source à Stymphale en Arcadie au sein même du lac Stymphalide, si célèbre dans la Fable par la présence de ces monstres ailés appelés eux-mêmes Stymphalides, qu'Hercule expulsa à coups de flèches et en s'aidant du bruit des tambours. Mais on prétend qu'avant d'entrer en Argolide et de parcourir en tous sens la plaine d'Argos, l'Erasinus (ou comme on dit parfois aussi l'Arésinus) se perd et coule un certain temps sous terre. On connaît différents fleuves du même nom, un premier fleuve qui sort également d'Arcadie, mais se dirige vers la partie de la côte où est Bura ; un autre dans le territoire d'Erétrie et un troisième en Attique, qui débouche non loin de Brauron. Mentionnons en outre certaine source du nom d'Amymone située dans le voisinage de Lerne, et le lac de Lerne lui-même, qui s'étend à la fois sur le territoire d'Argos et sur celui de Mycènes, et qui fut témoin, dit-on, du combat d'Hercule contre l'Hydre. L'eau de ce lac a servi de tout temps aux purifications ; de là cette locution proverbiale : Toute une Lerne de maux. Cela étant, il faut bien se rendre et convenir que le pays au moins est largement pourvu de sources et de cours d'eau, mais que fait-on ? on nie qu'il en soit de même de la ville, on soutient que son emplacement était primitivement sec et aride, et que, si aujourd'hui elle possède bon nombre de puits, elle le doit uniquement à l'heureuse découverte des filles de Danaüs, on cite à ce propos le vers {d'Hésiode} : «Argos manquait d'eau, mais, grâce aux Danaïdes, l'eau a abonde à Argos», et l'on fait remarquer qu'aujourd'hui encore quatre de ces puits sont regardés comme sacrés et demeurent l'objet d'une vénération toute particulière ; bref, on s'obstine à nous montrer la sécheresse au sein de la fraîcheur et de l'abondance. [8,6,9] La citadelle d'Argos fut fondée, dit-on, par Danaüs, prince dont la puissance paraît avoir singulièrement surpassé celle des rois, ses prédécesseurs, puisque, au dire d'Euripide, «Sur un ordre de lui, les peuples de la Grèce quittèrent l'ancien nom de Pélasgiotes, et prirent celui de Danaens». Aussi est-ce son tombeau qui occupe le centre de l'agora d'Argos : on l'appelle le Plinthos {eu égard, sans doute, à sa forme}. J'ai idée, du reste, que c'est à cause de la gloire de cette ville et parce qu'elle-même avait porté ces différents noms que les peuples de la Grèce se sont appelés tour à tour Pélasgiotes, Danaens, Argiens. D'elle aussi sont venues les dénominations plus modernes de Iasides, de Iasum-Argos, d'Apie et d'Apidones. Homère, lui n'emploie jamais le nom d'Apidones et par le mot Apie il entend simplement une contrée lointaine ; en revanche, il appelle souvent du nom d'Argos tout le Péloponnèse, en voici de nouvelles preuves à ajouter à celles que nous avons réunies ci-dessus. Il dira par exemple : «L'Argienne Hélène» (Iliade, VI, 623) ; et ailleurs : «Il est une ville, appelée Ephyre, sise à l'extrémité d'Argos» (Iliade, VI, 152); ailleurs encore : «Et jusqu'en plein Argos» (Od, I, 344), et enfin {dans l'Iliade (II, 108)} : «Comme insigne de son autorité sur ces nombreuses îles et sur toute l'étendue d'Argos». Quant au sens de plaine que le mot Argos se trouve avoir parfois aussi, non pas il est vrai chez Homère, mais chez les modernes, on s'accorde à penser qu'il est particulier au dialecte macédonien ou thessalien. [8,6,10] Les descendants de Danaüs, qui avaient continué à occuper le trône d'Argos, s'associèrent les Amythaonides, quand ceux-ci eurent quitté la Pisatide et la Triphylie ; il n'y a donc pas lieu de s'étonner qu'il y ait eu alors une sorte de partage de famille, et que les deux royaumes formés du domaine primitif aient reçu pour capitales des villes aussi rapprochées que le sont Argos et Mycènes, lesquelles se trouvent à moins de cinquante stades l'une de l'autre, et pour temple commun l'Héraeum voisin de Mycènes, lequel possède ces belles statues de Polyclète, incomparables sous le rapport de l'exécution, moins grandes seulement et moins ornées que celles de Phidias. La suprématie, qui, dans le principe, appartenait à Argos, passa plus tard à Mycènes, devenue naturellement plus puissante une fois que les Pélopides y eurent transporté leur demeure. Tous les biens de cette famille s'étant trouvés réunis dans les mains des fils d'Atrée, Agamemnon, qui était l'aîné, prit en main la direction des affaires, et, aidé par la fortune autant que par son courage, il eut bientôt reculé les limites du royaume de Mycènes et fait d'importantes conquêtes, notamment celle de la Laconie. Ce fut là le lot de Ménélas ; quant à Mycènes, jointe au territoire qui s'étend jusqu'à Corinthe et à Sicyone, autrement dit, jusqu'aux limites du pays appelé alors Ionie et Aegialée et depuis Achaïe, elle forma le domaine propre d'Agamemnon. Mais après la guerre de Troie, qui emporta le trône d'Agamemnon, après le retour des Héraclides surtout, on vit Mycènes décliner rapidement. Dans le partage qui suivit la conquête du Péloponnèse et l'expulsion de ses anciens maîtres, elle échut au roi d'Argos, comme une dépendance de cette ville ; bientôt même les Argiens la détruisirent de fond en comble, si bien qu'aujourd'hui il ne reste pas trace de l'ancienne cité des Mycénéens. Or, si tel a été le sort de Mycènes, il n'est guère étonnant que la plupart des villes comprises dans l'ancien territoire d'Argos, et qui figurent au Catalogue d'Homère, aient aujourd'hui complètement disparu. On se rappelle le passage du Catalogue : «Les guerriers venus d'Argos, de Tirynthe aux fortes murailles, d'Hermione et d'Asiné que baigne un golfe profond, de Trézène, d'Eiones et d'Epidaure, fertile en vignes, ceux aussi d'Aegine et de Masès, réputés tous l'élite des Grecs». Mais, de ces différentes villes, Argos est la seule dont nous ayons encore parlé, occupons-nous à présent des autres. [8,6,11] Tirynthe paraît avoir servi d'abord de place d'armes au roi Proetus et avoir été fortifiée de la main même des Cyclopes. Ces Cyclopes étaient, dit-on, au nombre de sept et de ceux qu'on nomme chirogasteres, pour rappeler apparemment qu'ils vivaient du produit de leur art. Proetus les avait fait venir exprès de Lycie. Il se peut que ce soient les mêmes qui ont donné leur nom aux grottes de Nauplie et aux ouvrages qu'elles renferment. {Tirynthe et} son acropole Licymna, ainsi nommée du héros Licymnius, sont distantes de Nauplie de 12 stades environ, mais aujourd'hui abandonnées comme elle. Il en est de même de leur voisine Midea, laquelle se distingue aisément de la ville de Béotie appelée aussi Midéa, car son nom se prononce Midéa comme Tegéa, et le nom de l'autre Mídea comme prónoia. Au territoire de cette ville confine {le canton de} Prosy{nana}, où est situé {le fameux} Héraeum ou temple de Junon. Ce sont les Argiens eux-mêmes qui ont ainsi dévasté la plupart de ces villes, et cela parce qu'elles refusaient de reconnaître leur suprématie. Quant aux habitants, ils ont dû chercher un refuge ailleurs ; ceux de Tirynthe ont été recueillis à Epidaure, ceux de {Midea} à Editées. Les Asinéens (Asiné est un bourg de l'Argolide situé aux environs de Nauplie) furent transportés par les Lacédémoniens en Messénie, où l'on trouve en effet aujourd'hui une petite ville appelée également Asiné. «Les Lacédémoniens, dit Théopompe, avaient à repeupler l'immense étendue de terres enlevées par eux aux Messéniens, et ils y établissaient les différentes bandes de fugitifs qui venaient leur demander asile». C'est ainsi que les habitants de Nauplie passèrent eux- mêmes en Messénie. [8,6,12] Hermione compte parmi les villes les plus célèbres de l'Argolide et comprend dans son territoire la côte des Haliéens, ainsi nommée de ce que la population qui l'occupe tire tous ses moyens d'existence de la mer. Suivant une tradition très répandue dans le pays, le chemin le plus court pour descendre aux Enfers part des environs d'Hermione : en conséquence, les Hermionéens s'abstiennent de placer sur la bouche de leurs morts l'obole consacrée. [8,6,13] Il paraît certain que les Dryopes ont eu jadis un établissement {à Hermione} aussi bien qu'à Asiné, mais s'agit-il, comme le pense Aristote, des compagnons de l'arcadien Dryops transportés là des rives du Sperchius, ou des populations expulsées par Hercule de la Doride et des environs du Parnasse, {c'est ce qu'on ne saurait décider}. Quant au cap Scyllaeum, voisin d'Hermione, il tire son nom, à ce qu'on assure, de Scylla, fille de Nisus, dont le corps aurait été rejeté, puis enseveli en cet endroit du rivage, après que Minos, à qui cette princesse avait par amour livré la forteresse de Nisée, l'eut fait précipiter à la mer. Eiones, dont les Mycénéens avaient chassé naguère les habitants pour en faire leur port, fut toujours un simple bourg et finit par disparaître complètement sans laisser même un vestige de ces établissements maritimes des Mycénéens. [8,6,14] En revanche, Trézène compte aujourd'hui encore parmi les principales villes de l'Argolide. Consacrée dès l'origine à Neptune, elle porta aussi dans un temps le nom de Posidonie. Elle est située à 50 stades de la côte. En vue de son port, qu'on appelle le Pogon, est la petite île de Calaurie, qui n'a guère plus de trente stades de tour. Elle possédait autrefois un asile placé sous la protection de Neptune, ce dieu l'ayant reçue, dit-on, des mains de Latone en échange de Délos, tout comme il avait reçu d'Apollon le Ténare en échange de Pytho, conformément à l'oracle cité par Ephore : «Autant vaut pour toi posséder Calaurie que Délos et le venteux Ténare que l'auguste Pytho». Ajoutons que ce temple était le siège d'une amphictyonie de sept villes qui supportaient en commun les frais des sacrifices : ces villes étaient Hermione, Epidaure, Aegine, Athènes, Prasies, Nauplie et Orchomène dit des Minyens. Seulement c'étaient les Argiens qui payaient la contribution de Nauplie, et les Lacédémoniens qui acquittaient celle de Prasies. Tel fut en tout temps le respect des Grecs pour Neptune, que le droit d'asile dont jouissait le temple de Calaurie survécut à la conquête de la Grèce par les Macédoniens, et que ceux-ci n'osèrent jamais en arracher les proscrits qui s'y étaient réfugiés. Même lorsqu'il s'agit de prendre Démosthène, Archias ne se sentit pas le courage d'user de violence et de se servir des soldats dont il était accompagné, bien qu'il eût reçu d'Antipater l'ordre formel de le lui amener vivant, ainsi que les autres orateurs impliqués dans la même accusation, et il aima mieux recourir à la persuasion. Mais Démosthène, {comme chacun sait,} ne se laissa point persuader, et, prévenant la vengeance d'Antipater, il mit lui-même fin à ses jours en prenant du poison. Troezen et Pitthée, deux des fils de Pélops, étant venus, après leur sortie de la Pisatide, s'établir dans cette partie de l'Argolide, le premier y bâtit la ville qui porte son nom et la laissa à son frère qui y régna après lui. Quant à Anthès, qui possédait le pays avant eux, il s'était hâté, {à leur approche,} de s'embarquer pour l'Asie, où il fonda la ville d'Halicarnasse : nous aurons occasion de reparler de lui en décrivant la Carie et la Troade. [8,6,15] Epidaure, ou comme on l'appelait anciennement Epitaure, fut, ainsi qu'Hermione, occupée d'abord par les Cariens. Aristote le dit formellement, mais il ajoute qu'après le retour des Héraclides les Ioniens de la tétrapole attique, qui avaient suivi ces chefs en Argolide, vinrent dans Epidaure se mêler aux Cariens. Epidaure est aussi l'une des principales villes du pays, elle le doit surtout au prestige du nom d'Esculape et à la croyance généralement établie que ce dieu peut guérir toutes les maladies, ce qui fait qu'ici, comme à Cos et à Tricca, son temple est toujours plein de malades et de tableaux votifs indiquant pour chaque cas le traitement suivi. La ville est située au fond du golfe Saronique et s'étend le long du rivage sur un espace de quinze stades ; elle regarde le levant d'été, et se trouve enfermée dans un cercle de hautes montagnes qui descendent jusqu'au bord de la mer, comme si la nature elle-même avait pris soin d'en défendre de tous côtés l'approche. Entre Trézène et Epidaure, sur une presqu'île du même nom, s'élevait naguère Méthane, autre forteresse naturelle. Le nom de cette ville, dans quelques copies des Histoires de Thucydide, se trouve écrit Méthone, comme celui de la ville de Macédoine, au siège de laquelle Philippe eut l'oeil crevé d'un coup de flèche, et cette circonstance, au dire de Démétrius de Scepsis, aurait égaré quelques historiens en leur laissant croire que c'était à la ville de Méthone en Trézénie que les recruteurs d'Agamemnon éconduits avaient adressé cette imprécation : «Puisses-tu toujours bâtir et rebâtir tes murs !» tandis qu'il est constant, ajoute Démétrius, «que ce n'est pas cette ville, mais bien Méthone en Macédoine, comme le marque Théopompe, qui refusa jadis d'envoyer ses matelots au roi des rois, d'autant qu'il n'est guère vraisemblable qu'une si proche voisine eût osé répondre de la sorte à son appel». [8,6,16] Le nom d'Aegine désigne à la fois une localité de l'Epidaurie et l'île située vis-à-vis. Mais c'est bien de l'île qu'Homère a voulu parler dans le passage rapporté ci-dessus ; quelques grammairiens y ont même substitué la leçon g-nehson g-t' g-Aiginan, «Et l'île d'Aegine», à la leçon habituelle g-oi g-t' g-echon g-Aiginan, «et ceux qui occupaient Aegine», pour empêcher qu'on ne se laissât tromper à l'homonymie. Faut-il rappeler d'ailleurs que l'île d'Aegine est une des parties les plus connues de la Grèce, qu'Aeaque et les Aeacides en étaient originaires, qu'il fut un temps où elle possédait l'empire de la mer, et que, durant les guerres médiques, après le combat naval de Salamine, elle disputa à Athènes le prix de la valeur ? Elle a, dit-on, 180 stades de circuit, et renferme dans sa partie S. O. une ville appelée de même Aegine. Les côtes de l'Attique et de la Mégaride, et celles du Péloponnèse jusqu'à Epidaure décrivent une circonférence, dont elle forme à proprement parler le centre, se trouvant à 100 stades environ de chacun de ces pays. A l'E. et au S., elle est baignée par les mers de Myrtos et de Crète. D'autres îles plus petites l'entourent ; mais la plupart sont situées du côté de la terre-ferme ; seule Belbina tire du côté de la haute mer. Le sol de l'île d'Aegine n'offre de bonne terre qu'à une certaine profondeur, à la surface (et ceci s'observe surtout dans la plaine) il est pierreux. Aussi l'île est-elle en général nue et découverte. Elle donne pourtant d'assez beaux produits en orge. On prétend que les Éginètes ont été appelés d'abord Myrmidons : ce n'est pas, comme le dit la Fable, qu'à la suite d'une terrible famine et sur le voeu d'Éaque toutes les fourmis de l'île aient été changées en hommes, mais c'est qu'apparemment les premiers habitants s'étaient mis, comme les fourmis, à fouir le sol, et qu'après avoir étendu sur la roche l'humus ainsi extrait pour avoir un peu de terre à cultiver, ils s'étaient, par économie, et pour ne pas avoir à faire la dépense de briques, logés dans ces excavations. Quant à l'île elle-même, elle s'était appelée primitivement Oenoé. Occupée successivement par les Argiens, les Crétois, les Epidauriens et les Doriens, elle avait fini par tomber au pouvoir des Athéniens, qui en avaient partagé les terres à des colons par la voie du sort, mais les Lacédémoniens l'enlevèrent aux Athéniens et rendirent les terres aux anciens propriétaires. Les Aeginètes, à leur tour, envoyèrent une colonie à Cydonie et une autre chez les Ombriques. Suivant Ephore, c'est à Aegine que Phidon fit frapper la première monnaie d'argent. Aegine on le sait, était alors devenue un emporium ou marché de grande importance, la stérilité de son sol ayant tourné l'industrie des habitants vers le commerce et la navigation ; on appelait même marchandises d'Aegine tous les articles de bimbeloterie. [8,6,17] Dans les énumérations que fait Homère il lui arrive parfois de nommer les lieux suivant leur ordre géographique, il dira par exemple : «Et ceux qui habitaient Hyrie, et ceux qui occupaient Aulis, Argos, et Tirynthe et Hermione et Asiné et Trézène et Aeiones». D'autres fois il intervertit l'ordre : «Et Schoenus et Scolus et Thespie et Graea». Ou bien encore il nomme parmi les îles telle localité située sur le continent : «Et ceux d'Ithaque et ceux de Crocylées» (on sait que Crocylées est en Acarnanie). Or, c'est là le cas du passage qui nous occupe : il y rapproche de l'île d'Aegine la ville de Masès, et cette ville pourtant se trouve située sur la côte d'Argolide. Il est une autre localité, en revanche, dont tout le monde parle et qu'Homère n'a point nommée, c'est Thyrées, où eut lieu ce fameux combat des trois cents Argiens contre les trois cents Lacédémoniens qui se termina à l'avantage des Lacédémoniens, grâce au stratagème d'Othryadès. Thucydide la place en Cynurie, aux confins mêmes de l'Argolide et de la Laconie. Homère n'a pas mentionné non plus Hysies, localité bien connue de l'Argolide, ni Cenchrées, ville située sur la route qui va de Tégée à Argos en passant par le mont Parthénius et le Créopole. [8,6,18] En somme, c'est Argos qui, avec Sparte, a été et est encore la ville la plus célèbre de tout le Péloponnèse. Seulement on a tant parlé de ces deux villes que nous ferons bien, nous, pour éviter de paraître copier ce qui se lit partout, de ne pas y insister autrement. Argos est celle des deux qui eut d'abord le plus de renommée, mais les Lacédémoniens ne tardèrent pas à acquérir une supériorité qui ne se démentit plus. Ils surent, d'ailleurs, à quelques revers près, conserver intacte leur indépendance, tandis qu'Argos, après avoir repoussé Pyrrhus, qui périt même, dit-on, sous ses murs, d'une tuile lancée de la main d'une vieille femme, subit le joug de différents princes et finit par passer, avec la ligue Achéenne, à laquelle elle s'était associée, sous la domination des Romains. Toutefois, elle a continué de subsister et peut bien passer pour la seconde ville du Péloponnèse après Sparte. [8,6,19] Parlons à présent des lieux que le Catalogue des vaisseaux nous donne comme situés dans le territoire de Mycènes et comme appartenant à Agamemnon. Voici le passage (Iliade, II, 569) : «Ceux qui possédaient la belle et forte Mycènes, l'opulente Corinthe et Cléone aux beaux remparts ; les habitants d'Ornées et de la riante Arnthyrée, de Sicyone, où régnait jadis Adraste, et ceux d'Hypérésie, de la sourcilleuse Gonoesse, de Pellène et d'Aegium ; ceux enfin qui occupaient tout le littoral ou Aegialée et la vaste enceinte d'Hélicé». De ces villes, la première, c'est-à-dire Mycènes, n'existe plus aujourd'hui. Bâtie par Persée, elle fut ensuite occupée par Sthénélus et par Eurysthée, successeurs de Persée, lesquels régnaient en même temps sur Argos. Eurysthée s'étant avancé jusqu'à Marathon à la rencontre de l'Héraclide Iolaüs et de ses frères, que soutenait une armée athénienne, périt, dit-on, les armes à la main. Son corps fut enseveli à Gargette, moins la tête que Iolaüs avait séparée du tronc et qui fut déposée à Tricorynthus, près de la fontaine {M}acarie, laquelle se trouve, comme on sait, en contre-bas de la chaussée : cet endroit en a retenu le nom d'Eurysthéocéphale. Mycènes passa ensuite sous l'autorité des Pélopides, quand ceux-ci eurent quitté la Pisatide, puis sous l'autorité des Héraclides, qui, eux aussi, régnèrent à la fois sur Mycènes et sur Argos. Enfin après le combat naval de Salamine, les Argiens, aidés des gens de Cléones et de Tégée, attaquèrent Mycènes, et, l'ayant détruite de fond en comble, se partagèrent son territoire. L'extrême proximité de Mycènes et d'Argos est cause que ces deux villes ont été souvent réunies et confondues par les Tragiques : Euripide, notamment, dans la même pièce (dans Iphigénie, par exemple, et aussi dans Oreste), l'appelle tantôt Mycènes, tantôt Argos. Cléones, qui suit, est une petite ville située sur le chemin d'Argos à Corinthe, qui couvre tout le sommet et le pourtour d'une colline, et possède encore un bon mur d'enceinte, ce qui justifie bien, suivant moi, l'épithète d'euktimenas que lui donne le poète. Du même côté, entre Cléones et Phlionte, se trouvent Némée, avec l'alsos ou bois sacré, dans lequel les Argiens célèbrent toujours les jeux Néméens et dont la Fable a fait le théâtre du combat contre le lion de Némée, et tout près de Némée le bourg de Bembina. Cléones est à 120 stades d'Argos et à 80 stades de Corinthe. Du haut de l'Acrocorinthe (nous en avons fait l'expérience nous-même) on l'aperçoit à merveille. [8,6,20] La qualification d'opulente qu'Homère donne à Corinthe s'explique par l'importance que cette ville a toujours eue comme emporium ou entrepôt de marchandises. Elle est située dans l'isthme même et possède deux ports, qui la rapprochant, l'un, de l'Asie, et l'autre, de l'Italie, la mettent à même de faciliter les échanges entre deux contrées naturellement fort distantes. Or, anciennement, le navigateur éprouvait de grandes difficultés pour franchir non seulement le détroit de Sicile, mais encore, à cause des vents contraires, la haute mer au-dessus du cap Malées, c'est ce qu'atteste le proverbe : «En doublant le cap Malées dis adieu au pays». Il avait donc été souverainement agréable aux marins d'Asie aussi bien qu'à ceux d'Italie de pouvoir éviter désormais les dangers du cap Malées en cinglant directement sur Corinthe, où ils débarquaient leur cargaison. De leur côté, les marchandises suivant la voie de terre ne pouvaient entrer dans le Péloponnèse ou en sortir sans payer des droits à ceux qui, par le fait, se trouvaient avoir en main la clef de l'isthme. Ce n'est pas tout, sans perdre ce précieux monopole, Corinthe, avec le temps, acquit encore de nouveaux avantages. Ainsi, la célébration des jeux isthmiques attirait toujours dans son sein une multitude d'étrangers. Elle jouit aussi, sous la tyrannie de la riche et illustre famille des Bacchiades, tyrannie qui se perpétua deux cents ans sans interruption, d'une pleine et entière sécurité, circonstance singulièrement favorable au développement de son commerce. Puis vint Cypsélus qui, après avoir renversé les Bacchiades, exerça lui-même la tyrannie, et dont les descendants se maintinrent au pouvoir trois générations durant. On peut se faire une idée de l'opulence de cette famille par l'offrande que fit Cypsélus à Olympie d'une statue colossale {de Jupiter} en or battu. Dans le même temps, Démarate, l'un des membres de la famille déchue, qui avait cru devoir fuir devant les discordes civiles, se retirait en Tyrrhénie, avec des trésors si considérables qu'on le vit bientôt exercer une sorte de souveraineté dans la ville qui lui avait donné asile et que son propre fils devint roi des Romains. Enfin, le temple de Vénus à Corinthe était si riche, qu'il possédait à titre de hiérodules ou d'esclaves sacrés plus de mille courtisanes, vouées au culte de la déesse par des donateurs de l'un et de l'autre sexe ; et naturellement la présence de ces femmes, en attirant une foule d'hommes dans la ville, contribuait encore à l'enrichir. Les patrons de navires, notamment, venaient s'y ruiner à plaisir : on connaît le proverbe «Ne va pas qui veut à Corinthe», et cette réponse d'une courtisane à une femme mariée qui lui avait reproché de ne pas aimer le travail et de ne jamais toucher une aiguille, «Je vous ai déjà pourtant, moi qui vous parle, taillé trois patrons, et cela en moins de rien». [8,6,21] Quant au site et à l'aspect de la ville, voici, d'après les descriptions des auteurs, tels que Hiéronyme, Eudoxe, et autres, et d'après nos impressions personnelles (impressions toutes récentes puisque nous l'avons vue, comme elle sortait de ses ruines, rebâtie pour ainsi dire à neuf de la main des Romains), voici comment nous croyons pouvoir les représenter. Qu'on se figure d'abord une montagne pouvant avoir trois stades et demi de hauteur perpendiculaire, mais dont l'ascension représente un trajet de 30 stades, une montagne terminée tout à fait en pointe, telle est l'Acrocorinthe. La ville même s'étend au pied du versant septentrional de cette montagne, qui en est aussi le côté le plus escarpé, sur une espèce de plateau en forme de trapèze. Son circuit était de 40 stades à l'origine, et elle avait été garnie de murs partout où la montagne ne formait pas une protection suffisante ; mais, comme on en était venu à comprendre dans l'enceinte même toute la partie de l'Acrocorinthe dans laquelle on avait pu creuser et bâtir (lorsque nous fîmes l'ascension de l'Acrocorinthe, les traces de ce long cordon de fortifications étaient encore visibles), le périmètre total mesurait 85 stades environ. Sur ses autres faces, la montagne, bien qu'encore assez haute pour s'apercevoir de très loin, est moins escarpée. Tout au haut, maintenant, sur le pic même, est bâti un petit temple de Vénus. Puis, immédiatement au-dessous du sommet, se trouve la fontaine de Pirène, qui, sans avoir d'issue apparente, est toujours remplie d'une eau limpide et bonne à boire. On pense que c'est cette source, qui, jointe à d'autres veines souterraines, forme l'autre fontaine qu'on voit jaillir au pied de la montagne, pour s'écouler ensuite vers la ville, aux besoins de laquelle elle subvient abondamment. Il y a, du reste, aussi bon nombre de puits dans la ville, voire même, à ce qu'on assure, dans l'Acrocorinthe, bien que le fait nous ait échappé. Mais, si cela est, il faut, dans le passage suivant d'Euripide, «J'ai quitté, pour venir, les sommets sacrés de l'Acrocorinthe, séjour aimé de Vénus, que l'eau enserre de toute part», il faut entendre le mot g-perikluston d'eaux profondes, d'autant que les puits (et il s'agit de puits précisément) impliquent des courants souterrains sillonnant l'intérieur de la montagne. Autrement, il faudrait supposer que la fontaine Pirène était anciennement sujette à des débordements et que dans ces moments-là ses eaux se répandaient de tous côtés sur les flancs de l'Acrocorinthe. Pégase, à ce que nous dit la Fable, Pégase, le cheval ailé sorti tout bondissant du cou de Méduse, comme l'épée de Persée venait de trancher la tête à cette Gorgone, s'abreuvait à la fontaine Pirène quand Bellérophon le surprit et s'en rendit maître. La Fable ajoute que Pégase fit jaillir l'Hippocrène dans l'Hélicon en frappant du pied la roche sur laquelle il se trouvait. - Plus bas que la fontaine Pirène sont les ruines encore imposantes du Sisypheum, temple ou palais bâti tout en marbre blanc. Du sommet de l'Acrocorinthe, on découvre au N. le Parnasse et l'Hélicon, montagnes d'une grande élévation perpétuellement couvertes de neige, et à leur pied le golfe de Crissa entouré d'un côté par la Phocide, la Béotie et la Mégaride et de l'autre par la Corinthie et la Sicyonie ; au couchant {...} puis, pour compléter le panorama, la chaîne des monts Onéiens, qui part des roches Scironides ou plus exactement de la route de l'Attique située au pied de ces roches, pour se prolonger jusqu'à la Béotie et au Cithéron. [8,6,22] L'isthme commence d'un côté au Léchée et de l'autre au bourg de Cenchrées, dont le port distant de Corinthe de 70 stades environ sert aux vaisseaux venant d'Asie, comme le Léchée sert aux vaisseaux venant d'Italie. Le Léchée, situé juste au-dessous de la ville, compte peu d'habitations mais se trouve relié à la ville par une route de 12 stades bordée de chaque côté d'un long mur. Après le Léchée, le rivage continue à border le golfe de Corinthe jusqu'à Pagae en Mégaride. En un endroit, il présente une dépression sensible, où aboutit le diolcos, le même qui, de l'autre côté de l'isthme, a son extrémité à Schoenûs près de Cenchrées. Dans l'intervalle de Léchée et de Pagae, on remarque l'emplacement occupé naguère par le temple où Junon Acréenne rendait ses oracles, ainsi que le cap Olmies, lequel forme l'un des côtés du golfe renfermant les deux forteresses d'Oenoé et de Pagae, qui appartiennent, l'une, aux Mégariens, et l'autre, aux Corinthiens. Partons maintenant de Cenchrées, nous rencontrons d'abord Schoenûs, autre extrémité du diolcos, lequel traverse l'isthme, comme on sait, dans sa partie la plus étroite. Puis vient le territoire de Crommyôn. Ce côté de l'isthme est baigné par le golfe Saronique et le golfe d'Eleusis qui ne forment à proprement parler qu'un seul bassin faisant suite au golfe d'Hermione. Signalons encore sur l'isthme même le temple de Neptune Isthmien et le bois de pins contigu au temple, où les Corinthiens célébraient les jeux isthmiques. Crommyôn, qui dépendait anciennement de la Mégaride, est aujourd'hui l'un des bourgs de la Corinthie. La laie de Crommyôn dont parle la fable, et qui aurait été mère du sanglier de Calydon, exerçait ici ses ravages et l'un des travaux ou exploits de Thésée aurait été d'avoir combattu et tué ce monstre. Le bourg de Ténée, situé aussi en Corinthie possède le fameux temple d'Apollon Ténéate. Archias, chef de la colonie qui fonda Syracuse, paraît avoir tiré de Ténée la plupart de ses compagnons : depuis lors cette localité ne cessa de s'accroître et devenue ainsi la plus florissante des localités de la Corinthie elle s'érigea en république indépendante, puis on la vit prendre parti pour les Romains contre Corinthe et survivre à la ruine de son ancienne métropole. On cite à ce propos l'oracle suivant rendu à la requête d'un habitant d'Asée qui avait demandé s'il lui serait avantageux de s'établir à Corinthe plutôt qu'ailleurs, «Certes, Corinthe est bien riche ; j'aimerais mieux pourtant me voir citoyen Ténéate», Ténéate (remarquez bien) et non Tégéate, comme on dit quelquefois par ignorance. C'est aussi à Ténée, s'il faut en croire la tradition, que le roi Polybe avait fait élever Oedipe. Enfin l'on pense qu'il existe entre les Ténéates et les Ténédiens un ancien lien de parenté, lequel remonterait à Tennus, fils de Cycnus. Aristote le dit et cette circonstance, que les deux peuples rendent à Apollon les mêmes honneurs, rend la chose effectivement fort probable. [8,6,23] Les Corinthiens, non contents d'avoir, en sujets dévoués de Philippe, épousé sa querelle contre Rome, affectèrent, pour leur propre compte et cela en toute circonstance, de traiter les Romains avec mépris ; il y en eut même qui, un jour, voyant les ambassadeurs romains passer devant leurs portes, osèrent leur jeter de la boue sur la tête. Or, ce nouvel outrage, ajouté à tous ceux dont ils s'étaient rendus coupables auparavant, ne tarda pas à être chèrement expié. Les Romains envoyèrent une armée considérable sous la conduite de L. Mummius, et, tandis que ce général détruisait Corinthe de fond en comble, ses lieutenants expédiés dans différentes directions soumettaient le reste de la Grèce jusqu'à la Macédoine. La plus grande partie du territoire de Corinthe fut donnée aux Sicyoniens. Polybe qui nous a laissé un récit lamentable de la prise de Corinthe, insiste sur le dédain que montra la soldatesque romaine pour les chefs-d'oeuvre de toute sorte et les offrandes sacrées dont la ville était pleine. Il dit avoir vu en passant dans les rues de Corinthe le sol jonché des tableaux les plus précieux, sur lesquels des soldats jouaient aux dés. Il signale, entre autres, le Bacchus d'Aristide, ce beau tableau qui donna lieu, dit-on, au proverbe : «Rien comme le Bacchus !» et, avec celui-ci, l'Hercule consumé par la tunique de Déjanire. Nous n'avons pas vu ce dernier tableau, mais, en visitant le temple de Cérès à Rome, nous avons reconnu, au milieu des riches offrandes qu'il contenait, le Bacchus, chef-d'oeuvre d'Aristide. Par malheur, ce temple a été récemment détruit par le feu, et dans l'incendie cette belle peinture a péri. La plus grande partie des oeuvres d'art que possèdent les temples de Rome à titre d'offrandes, et j'ajoute les plus belles, proviennent de Corinthe. On en retrouve aussi quelques-unes dans les différentes villes qui entourent Rome. Cela tient à ce que Mummius, qui avait, dit-on, plus de générosité dans le coeur que de lumières dans l'esprit, fit libéralement part de ses trésors à quiconque lui en adressa la demande. Ainsi l'on raconte que Lucullus, comme il venait d'achever le temple de la Bonne Fortune et je ne sais plus quel autre splendide portique, pria Mummius de lui prêter ce qu'il avait encore de statues en sa possession, pour en orner ledit temple jusqu'au jour de sa dédicace, s'engageant à les lui rendre ensuite ; mais au lieu de les lui rendre, il les aurait dédiées avec le reste et aurait dit à Mummius d'aller les réclamer maintenant si bon lui semblait. Heureusement, Mummius avait bien pris la chose et n'avait pas paru se soucier autrement du dommage ; ce qui, par parenthèse, lui fit plus d'honneur que la dédicace du temple n'en avait fait à Lucullus. Après être restée longtemps abandonnée, Corinthe fut relevée de ses ruines par le divin César qui, frappé des avantages de sa position, y envoya une forte colonie composée principalement d'affranchis. Ces nouveaux habitants, s'étant mis à remuer les décombres de la ville et à fouiller les tombeaux, y trouvèrent une grande quantité de sculptures en terre cuite, et aussi beaucoup de bronzes précieux. La vue de ces chefs-d'oeuvre les ayant remplis d'admiration, ils ne laissèrent pas une seule tombe inexplorée, et, quand ils furent richement pourvus, ils mirent en vente à des prix très élevés tout ce qu'ils avaient trouvé, inondant en quelque sorte la ville de Rome de leurs Nécrocorinthies. C'est le nom qu'ils avaient donné à tous les objets d'art retirés des tombeaux, et principalement aux sculptures en terre cuite. Dans le commencement, ces terres cuites furent extrêmement recherchées et prisées même à l'égal des plus beaux bronzes corinthiens, mais cette vogue se ralentit dans la suite, et parce que les fouilles n'en donnaient presque plus, et parce que le peu qu'on trouvait encore était en général de qualité inférieure. - En somme, Corinthe fut toujours une grande et riche cité, remplie d'hommes éminents aussi bien dans les arts que dans la politique. C'est elle qui, avec Sicyone, fit faire les plus grands progrès à la peinture, à la sculpture, et en général à tous les arts plastiques. En revanche, son territoire a toujours été médiocrement fertile, comme on pouvait s'y attendre, avec un sol aussi accidenté et aussi âpre que l'est celui de la sourcilleuse Corinthe : c'est là, on le sait, l'épithète consaerée pour cette ville, témoin le proverbe : «Sourcilleux et rampant, comme Corinthe». [8,6,24] Ornées, qui doit son nom au fleuve sur les bords duquel elle est située, n'a pas toujours été déserte comme elle est aujourd'hui. C'était même autrefois une ville très populeuse. Priape y avait un temple, qui était l'objet d'une grande vénération ; et de là vient qu'Enphorion, dans ses Priapées, donne à ce dieu le surnom d'Ornéate. Bien que située immédiatement au dessus de la plaine de Sicyone, Ornées dépendait de l'Argolide. L'ancienne Araethyrée correspond à la Phliasie actuelle ; elle avait pour chef-lieu une ville de même nom, située au pied du mont Kélosse, mais que ses habitants évacuèrent pour aller en fonder une autre 30 stades plus loin, du nom de Phliûs. A la chaîne du Kélosse se rattache le mont Carneatès ; c'est aussi dans cette montagne que prend sa source le fleuve qui baigne les murs de Sicyone l'Asopus. La vallée de l'Asopus, dite Asopie, forme une portion importante de la Sicyonie. Le nom d'Asopus est commun à plusieurs autres fleuves. Il y a d'abord l'Asopus qui passe à Thèbes, à Platées, à Tanagre ; puis l'Asopus du canton de l'Héraclée Trachinienne, dont les riverains sont appelés Parasopiens ; enfin l'Asopus de l'île de Paros. Phliûs occupe le centre d'un cercle formé par la Sicyonie, l'Argolide, le territoire de Cléones et celui de Stymphale. Elle a, comme Sicyone, un temple de Dia, autrement dit d'Hébé, déesse très vénérée dans le pays. [8,6,25] Sicyone, ou comme on l'appelait anciennement, Mécone, et plus anciennement encore Aegialées, a été rebâtie à 20, d'autres disent à 12 stades environ de la mer, sur une colline d'assiette très forte, par Démétrius {Poliorcète}. L'ancienne ville sert aujourd'hui uniquement de port et d'arsenal. La Sicyonie et la Corinthie ont pour limite commune le cours du Némée. Le gouvernement de Sicyone fut presque en tout temps aux mains de tyrans, mais de tyrans très débonnaires pour la plupart. Le plus célèbre est cet Aratus qui délivra sa patrie {du joug des Macédoniens}, et qui, porté ensuite par un vote spontané des Achéens à la dignité {de stratège}, accrut aussitôt l'importance de la ligue achéenne en y incorporant sa ville natale et toutes les cités environnantes. Pour ce qui est d'Hypérésie et des villes qu'Homère mentionne à la suite, autrement dit de tout l'Aegialus, c'est dans l'Achaïe propre, laquelle se termine à Dymé et aux confins de l'Elide, qu'il convient de les chercher. [8,7,0] CHAPITRE VII. [8,7,1] Toute cette partie du Péloponnèse fut occupée anciennement par les Ioniens, originaires de l'Attique. Auparavant, elle s'appelait Aegialée et ses habitants Aegialéens, mais elle prit naturellement des Ioniens le nom d'Ionie, comme avait fait l'Attique, en souvenir d'Ion, fils de Xuthus. L'histoire nous apprend qu'Hellen, fils de Deucalion, qui régnait dans la Phthie sur les peuples compris entre le Pénée et l'Asopus, transmit son royaume à l'aîné de ses fils, et commanda aux autres d'émigrer, les laissant libres d'aller s'établir où chacun d'eux voudrait. Dorus réunit en un seul corps d'état les montagnards du Parnasse et mérita que de son nom ils fussent appelés Doriens ; de son côté Xuthus épousa la fille d'Erechthée et fonda la tétrapole attique composée d'Oenoé, de Marathon, de Probalinthe et de Tricorynthus. L'un des fils de celui-ci, Achaïus, à la suite d'un meurtre involontaire, s'enfuit en Laconie et donna son nom aux populations qui l'avaient accueilli. L'autre fils de Xuthus, Ion, se couvrit de gloire en remportant une victoire signalée sur les Thraces d'Eumolpus et fut investi par le voeu des Athéniens de l'autorité suprême. Cela fait, il commença par diviser la population entière de l'Attique en quatre tribus, puis il distingua d'après leurs professions respectives quatre classes de citoyens, les laboureurs, les artisans, les prêtres et les phylaques ou miliciens ; il compléta cette double mesure par d'autres dispositions analogues et finit par laisser son nom au pays tout entier. L'Attique cependant se trouvait avoir une population surabondante, une première colonie d'Ioniens sortit d'Athènes et passa dans le Péloponnèse où elle se choisit pour demeure l'Aegialée qui en retint le nom d'Ionie. Les habitants distribués en douze cités quittèrent de même leur ancien nom d'Aegialéens pour prendre celui d'Ioniens. Mais, après le retour des Héraclides, les Ioniens s'étant vu chasser de leurs foyers par les Achéens durent regagner Athènes. Alors, sous la conduite des Codrides, partit pour l'Asie la grande colonie ionienne : elle s'établit sur les côtes de la Carie et de la Lydie et y fonda douze villes, conservant ainsi le même nombre de divisions politiques qui avait été établi naguère dans le Péloponnèse. De leur côté, les Achéens, qui étaient venus du fond de la Phthiotie, leur patrie, habiter la Laconie, voyant le pays retombé au pouvoir des Héraclides, s'étaient rassemblés sous les ordres de Tisamène, fils d'Oreste, avaient attaqué comme nous l'avons dit, les Ioniens, et, s'étant trouvés les plus forts, les avaient expulsés hors du Péloponnèse et avaient pris possession de leurs terres, sans rien changer pourtant aux divisions établies par eux. Telle était l'énergie militaire de ces peuples, que, quoique les Héraclides, au joug desquels ils s'étaient soustraits, fussent maîtres du reste du Péloponnèse, ils tinrent seuls contre tous, cantonnés dans le petit pays qui de leur nom fut appelé désormais Achaïe. De Tisamène à Ogygès, les Achéens furent toujours gouvernés par des rois, toutefois le régime démocratique finit par prévaloir chez eux et ils se firent alors un tel renom par la sagesse de leurs institutions que, quand les Italiotes rompirent avec le Pythagoréisme, c'est à eux qu'ils empruntèrent la plupart de leurs lois, et qu'après la bataille de Leuctres les Thébains soumirent à leur arbitrage toutes les contestations survenues entre les différentes villes de la Grèce. Dissoute par les Macédoniens, leur ligue on confédération parvint, quoique lentement, à se reformer. Sur les douze villes primitives, il y en eut quatre, à l'époque du départ de Pyrrhus pour l'Italie, qui se rapprochèrent et s'associèrent : Patrae et Dymé étaient du nombre. Six autres se réunirent encore à celles-ci. Mais Olénus n'existait plus en tant que cité indépendante et Hélicé avait péri, submergée par une inondation de la mer. [8,7,2] C'est à la suite d'un tremblement de terre que la mer soulevée engloutit Hélicé et avec Hélicé le temple de Neptune Héliconien, dieu dont le culte s'est conservé chez les Ioniens {d'Asie} et en l'honneur de qui se célèbrent les fêtes dites Panionies. Certains grammairiens supposent qu'Homère a voulu parler de ces fêtes dans le passage où il dit (Il. XX, 403) : «Et cependant il rendit l'âme en mugissant, comme fait le taureau traîné aux autels du dieu Héliconien». Ils en concluent que le poète devait vivre postérieurement à la grande migration ionienne, puis qu'il a fait mention des sacrilices panioniques, sacrifices que les Ioniens célèbrent aujourd'hui encore en l'honneur de Neptune Héliconien et toujours sur le territoire de Priène (on sait que les Priénéens passent pour être originaires d'Hélicé), avec un jeune Priénéen qui plus est pour hiérophante ou roi du sacrifice. Le détail qu'ajoute Homère au sujet du taureau paraît à ces grammairiens donner encore plus de vraisemblance à leur conjecture, puisque les Ioniens reconnaissent que le sacrifice a eu lieu dans des conditions favorables quand le taureau a mugi à l'autel. Mais d'autres grammairiens, d'avis tout opposé, transportent à Hélicé ces prétendus indices tirés du mugissement du taureau et de la forme du sacrifice, et soutiennent que les mêmes rites se pratiquaient déjà à Hélicé, et que ce sont ceux d'Hélicé que le poète a connus et auxquels il a emprunté sa comparaison. - La submersion d'Hélicé eut lieu deux ans avant la bataille de Leuctres. Eratosthène dit avoir vu de ses yeux le lieu de la catastrophe et avoir entendu dire aux marins qui font faire la traversée du golfe, qu'on apercevait encore debout au fond de l'eau la statue en bronze de Neptune et que l'hippocampe que le dieu tenait dans sa main formait un écueil dangereux pour les filets des pêcheurs. Héraclide en parle aussi comme d'un événement arrivé de son temps. «C'était pendant la nuit, dit-il, et, bien que la ville fût séparée de la mer par une distance de 12 stades, tout cet espace intermédiaire et la ville elle-même furent submergés. Deux mille Achéens furent envoyés pour recueillir les corps des victimes, sans pouvoir suffire à cette tâche. Il ne resta qu'une petite partie du territoire d'Hélicé qui fut divisée entre les villes voisines». Héraclide ajoute que cette catastrophe était une vengeance de Neptune, que les Ioniens chassés d'Hélicé avaient envoyé d'Asie redemander aux nouveaux Hélicéens la statue de Neptune ou tout au moins une copie du temple, que, sur leur refus, ils s'étaient adressés à l'assemblée générale des Achéens, mais que, malgré l'avis favorable émis par cette assemblée, les Hélicéens avaient persisté dans leur refus : or l'hiver d'après la catastrophe avait lieu, et les Achéens octroyaient aux Ioniens cette copie du temple qu'ils avaient demandée. - Hésiode, lui, signale une autre ville du nom d'Hélicé en Thessalie. [8,7,3] Les Achéens, après avoir conservé vingt {cinq} ans la forme de gouvernement établie par les Ioniens, à savoir un scribe ou greffier commun aux douze villes, deux stratèges annuels et un conseil général s'assemblant en un lieu appelé Hamarium pour décider les affaires communes, jugèrent à propos de ne plus élire qu'un seul stratège. Aratus, une fois élevé à cette dignité, enleva par surprise l'Acrocorinthe à Antigone et rattacha Corinthe, ainsi que Sicyone, sa ville natale, à la ligue Achéenne. Il y incorpora de même Mégare, et, continuant à détruire partout la tyrannie, fit de toutes ces villes affranchies autant de villes achéennes {...}, ainsi que, dans le Péloponnèse, il affranchit tour à tour Argos, Hermione, Phlionte et Mégalopolis, le chef-lieu de l'Arcadie, pour amener ensuite toutes ces villes à la ligue. C'est là le moment de la plus grande puissance des Achéens. Dans le même temps, les Romains qui venaient de chasser les Carthaginois de la Sicile commençaient à guerroyer contre les Gaulois des bords du Pô. La ligue Achéenne se maintint encore passablement jusqu'à la stratégie de Philopémen, mais on la vit alors se dissoudre peu à peu, par suite de la politique des Romains, qui, devenus maîtres de toute la Grèce, s'appliquèrent à ne pas traiter de même tous les Etats, maintenant et agrandissant les uns, tandis qu'ils démembraient et affaiblissaient les autres. [8,7,4] Voici dans quel ordre se succèdent les douze villes qui se partageaient naguère le territoire de l'Achaïe. Après Sicyone, la première qui se présente est Pellène ; puis vient Agira ; la troisième était Aegae, si célèbre par son temple de Neptune ; la quatrième Bura et la cinquième Hélicé. C'est dans cette dernière que les Ioniens se retirèrent après avoir été vaincus en bataille rangée par les Achéens et qu'ils essayèrent, mais en vain, de se maintenir. Au delà d'Hélicé, on rencontre successivement Aegium, Rhypes, Patrées, Pharées, et l'emplacement d'Olénus sur les bords du {Pirus}, cours d'eau assez considérable Dymé enfin et Tritée. Du temps des Ioniens, les populations vivaient disséminées dans des bourgs ouverts ; ce furent les Achéens qui les enfermèrent dans des villes. Il arriva aussi dans la suite que deux de ces villes fussent réunies ensemble et que les populations fussent transportées d'un point sur un autre : c'est ainsi qu'Aegae (les habitants de cette ville se nommaient Aegaeens) fut réunie à Agira et Olénus réunie à Dymé. On peut voir aujourd'hui encore, entre Patrae et Dymé, les vestiges de l'ancienne cité des Oléniens : son fameux temple d'Esculape, notamment, est encore debout et se trouve à 40 stades de Dymé et à 80 stades de Patrae. Il ne faut pas confondre cette ancienne ville d'Aegae avec la ville de même nom située en Eubée, non plus qu'Olénus avec la ville de même nom située en Béotie, qui du reste aujourd'hui n'offre plus également que des ruines. Homère ne parle pas de l'Olénus d'Achaïe, non plus que de mainte autre ville de l'Aegiale, qu'il se borne à indiquer d'une façon générale (Il. II, 576), «Et tous les peuples de l'Aegiale et ceux qui habitent aux environs de la vaste Hélicé», il nomme uniquement l'Olénus d'Atolie, «Possesseurs de Pleuron, d'Olénus...» (Ibid. II, 639). En revanche, il a fait mention de l'une et de l'autre Aegae, car si, dans le vers suivant, «Ils t'offrent cependant dans Hélicé, comme dans Aegae, ils t'offrent sans cesse de nouveaux dons» (Ibid. VIII, 203), l'Aegae d'Achaïe est clairement indiquée, dans cet autre passage, «Il atteint Aegae, où, dans les profondeurs de la mer, Neptune s'est bâti une splendide demeure : c'est là que le dieu arrête ses fiers coursiers» (Ibid. XIII, 21, 34), il vaut mieux reconnaître l'Aegae de l'île d'Eubée, d'autant que c'est elle qui paraît avoir donné son nom à la mer Egée et que dans l'Iliade l'action et le rôle de Neptune sont comme concentrés au sein de cette mer. Le Crathis, qui passe près de l'Aegae d'Achaïe, est un fleuve formé de deux cours d'eau et qui tire son nom précisément de ce mélange ou confluent. Il y a aussi en Italie un fleuve Crathis, mals qui n'a été appelé de la sorte qu'en souvenir de celui-ci. [8,7,5] Chacun des douze Etats de l'Achaïe comprenait sept ou huit dèmes, tant le pays était peuplé. Pellène n'est pas sur le littoral même, mais bien à 60 stades dans l'intérieur : c'est une place d'une assiette très forte. Il y a aussi le bourg de Pellène, entre la ville de ce nom et Aegium, où se fabriquent ces chloenes ou manteaux dits helléniques qu'on décerne en prix dans les jeux. Il faut se garder de confondre ces deux localités avec Pellane, autre bourg situé en Laconie, vers la frontière de la Mégalopolitide. Agira occupe le haut d'une colline. Bure, qui se trouvait à 40 stades environ de la mer, a été engloutie à la suite d'un tremblement de terre. On prétend que c'est de la fontaine Sybaris, située en ce lieu, que le fleuve Sybaris d'Italie a emprunté son nom. Aega ou Aegae (le nom a les deux formes) est aujourd'hui complètement abandonnée et son territoire a été réuni à celui d'Aegium. Cette dernière ville, au contraire, est restée un centre de population assez considérable. Suivant la tradition, Jupiter y naquit et y fut nourri du lait d'une chèvre. Aratus rappelle cette tradition dans le passage suivant : «Chèvre sacrée, qui approchas, dit-on, tes mamelles des lèvres de Jupiter» ; et, quand il ajoute que «Les prêtres de Jupiter nomment Olénie la chèvre qui nourrit leur dieu», il ne fait que rappeler indirectement le lieu de la scène par le nom d'une localité voisine, Olénus. Cérynée, bâtie ici auprès sur un rocher élevé, dépend aussi d'Aegium et il en est de même du territoire d'Hélicé et de l'Hamarium, ce bois consacré à Jupiter, où le conseil de la ligue achéenne délibérait sur les affaires communes. La ville d'Aegium est traversée par une rivière appelée Sélinus, comme celle qui passe à Ephèse le long de l'Artémisium et comme cette autre qui borde, en Elide, le terrain que Xénophon nous dit avoir acheté sur l'indication d'un oracle pour le consacrer à Diane. Il y a aussi un cours d'eau du nom de Sélinus qui arrose le territoire occupé par les Hyblaeens Mégariens avant leur expulsion par les Carthaginois. Mais passons aux autres villes ou cités de l'Achaïe : la première, qui est Rhypes, est aujourd'hui déserte, et son territoire, l'ancienne Rhypide, a été partagé entre les Aegiéens et les Pharéens. Myscellus, fondateur de Crotone, en était originaire. Leuctrum, l'un des bourgs de la Rhypide, formait en quelque sorte un dème de Rhypes. Après Rhypes, vient Patrae, ville très considérable. Il y a aussi entre Rhypes et Patrae, à 40 stades de cette dernière, Rhium, où Auguste, tout de suite après sa victoire d'Actium, établit une partie notable de son armée : déjà la nouvelle colonie forme un centre de population important. Elle possède d'ailleurs un port qui ne manque pas d'étendue. Dymé au contraire (c'est la ville qui lui fait suite) n'a point de port. De toutes les villes de l'Achaïe, Dymé est la plus occidentale ; elle doit même son nom actuel à cette circonstance. Anciennement, on l'appelait Strates. La limite de l'Elide et de l'Achaïe est formée, entre Buprasium et Dymé, par le cours du Larisus, fleuve qui descend d'une montagne appelée Scollis par les auteurs modernes, mais qu'Homère nomme la Roche Olénie. Quant à la qualification de Cauconide donnée par Antimaque à Dymé, on y voit soit une épithète dérivée du nom des Caucones et destinée à rappeler ce que nous disions plus haut, que ce peuple s'était avancé jusqu'à cette ville ; soit une indication topographique rappelant le voisinage d'un certain fleuve Gaucon, indication du même genre que celles qui se retrouvent dans les dénominations de Thèbes Dircéenne ou Asopide, d'Argos Inachien et de Troie Simuntide. Dymé, elle aussi, un peu avant la génération présente, avait reçu dans son sein une colonie : c'étaient des hommes de toute nation, ayant appartenu à cette agglomération de pirates dont Pompée venait de détruire les repaires. Epargnés par le vainqueur, ils furent établis par lui en partie à Soles en Cilicie, en partie dans d'autres lieux, et notamment ici. Au territoire de Dymé touche le bourg de Phara dont les habitants sont appelés Pharéens pour empêcher qu'on ne les confonde avec les habitants de Phara en Messénie, qui sont connus sous le nom de Phariates. Et près de Phara est une fontaine appelée Dircé, comme celle qui est à Thèbes. Quant à Olénus, ville située entre Patrie et Dymé, elle est aujourd'hui complètement abandonnée et son territoire a été réuni à celui de Dymé. Le cap Araxus, qui s'offre à nous maintenant, est en Elide : et sa distance par rapport à l'isthme de Corinthe est de 10 stades. [8,8,0] CHAPITRE VIII. [8,8,1] L'Arcadie occupe le centre du Péloponnèse, c'est-à-dire presque toute la portion montagneuse de la péninsule. Son plus haut sommet est le Cyllène, qui mesure, suivant les uns, 2O stades, suivant les autres 15 stades environ de hauteur perpendiculaire. Ses peuples, notamment les Azanes, les Parrhasiens, etc., passent pour les plus anciens de toute la Grèce. Mais, vu l'état de désolation où se trouve aujourd'hui le pays qu'ils habitent, il n'y a pas autrement lieu d'insister sur leur histoire. Les villes les plus célèbres autrefois ont péri sans laisser de traces par suite des guerres continuelles dont l'Arcadie a été le théâtre, et les campagnes elles-mêmes ont cessé d'être habitées et cultivées depuis que Mégalopolis a absorbé ce qui restait des anciennes cités. Ajoutons que Mégalopolis elle-même vérifie aujour-d'hui le jeu de mots d'un poète comique : «Son nom est Mégalérémie et non plus Mégalopolis». En revanche, le pays abonde en excellents pâturages, où l'on élève surtout des chevaux et des ânes mulassiers. Les chevaux d'Arcadie passent même pour être de race supérieure, comme ceux de la plaine d'Argos et de l'Epidaurie. L'Aetolie et l'Acarnanie, pays également très dévastés, renferment de même d'immenses espaces qui, pour l'élève des chevaux, ne le cèdent pas aux gras pâturages de la Thessalie. [8,8,2] Mantinée, rendue naguère si célèbre par la seconde victoire d'Epaminondas sur les Lacédémoniens, victoire qui malheureusement coûta la vie au héros, et, avec Mantinée, Orchomène, Hérée, Clitor, Phénée, Stymphale, Moenale, Methydrium, Caphyes et Cinoethe ou n'existent plus aujourd'hui, ou n'ont laissé d'elles-mêmes que de faibles et rares vestiges. Plus heureuse, Tégée s'est maintenue dans un état encore assez florissant. Il en est de même du temple de Minerve Alea {qui l'avoisine}. On continue à rendre certains honneurs à cette déesse ainsi qu'à Jupiter Lycéen dans son temple du mont Lycée. Quant aux trois villes mentionnées par Homère (Il. II, 606), «Et Rhipé et Stratie, et Enispé toujours battue des vents», il serait difficile de retrouver leurs traces, et, les retrouvât-on, la découverte offrirait peu d'intérêt, puisque le canton où elles étaient situées est aujourd'hui complétement désert. [8,8,3] Après le mont Cyllène, les montagnes les plus connues de l'Arcadie sont le Pholoé, le Lycée, le Ménale et le Parthénius, lequel se prolonge des environs de Tégée au territoire d'Argos. [8,8,4] Nous avons décrit ci-dessus le phénomène étrange commun aux fleuves Alphée et Eurotas, ainsi que le changement survenu dans le cours de l'Erasinus, qu'on voit aujourd'hui à une certaine distance de sa sortie du lac Stymphalide reparaître dans la plaine d'Argos, tandis qu'il se trouvait autrefois interrompu et privé d'écoulement, les bérèthres où il tombe (les zérèthres pour mieux dire, car c'est ainsi que le mot se prononce en Arcadie) n'offrant alors aucune issue et retenant ses eaux en quelque sorte emprisonnées, changement par suite duquel la ville de Stymphale, située naguère sur les bords mêmes du lac, en est aujourd'hui à cinq stades. Eh bien ! le changement inverse s'est opéré dans le cours du Ladon : on a vu ce fleuve s'arrêter tout d'un coup par suite d'une obstruction de ses sources. Les bérèthres qui existent aux environs de Phénée et qui servaient au transport des eaux {dont ce fleuve est formé}, ayant été ébranlés par un tremblement de terre, s'effondrèrent, et leurs débris en atteignant et en comblant les veines les plus profondes de la source, occasionnèrent cette interruption momentanée du cours du fleuve. Du moins, est-ce ainsi que certains auteurs expliquent le phénomène. Erathosthène, lui, en voit la cause dans l'existence de ce lac temporaire que forme auprès de Phénée la rivière {Aroanius} : «cette rivière, dit-il, s'engouffre dans des pertuis appelés zérèthres, et, suivant qu'elles les trouvent obstrués ou libres, ses eaux refluent dans la plaine et l'inondent ou laissant la plaine à sec s'en vont rejoindre le Ladon et l'Alphée : c'est ainsi qu'on vit coïncider naguère avec le retrait de ce lac de Phénée l'inondation de la plaine qui environne le temple d'Olympie». Eratosthène ajoute «que le fleuve Erasinus, qui vient de Stymphale, s'engouffre de même sous le mont {Chaüs} et reparaît plus loin aux environs d'Argos ; qu'Iphicrate, après s'être épuisé en efforts inutiles au siège de Stymphale, songea à intercepter cette chute du fleuve, et se procura même une masse d'éponges à cet effet, mais qu'en présence d'un signe de la volonté céleste il renonça à son entreprise». Il y a près de Phénée également ce qu'on appelle l'Eau du Styx : c'est l'égout d'une eau infecte et malsaine, mais qui n'en est pas moins réputé comme sacré. Ici s'arrête notre description de l'Arcadie. [8,8,5] Polybe dit quelque part que la distance entre le cap Malées au S. et le cours de l'Ister au N. est de 10.000 stades environ. Mais Artémidore rectifie ce calcul, et, suivant nous, avec toute apparence de raison. Il compte d'abord depuis Malées jusqu'à Aegium par terre un trajet de 1400 stades ; puis d'Aegium {à Cirrha une traversée} de 200 stades ; un nouveau trajet de 500 stades jusqu'à {Thaumaci} en passant par Héraclée ; 340 stades ensuite jusqu'à Larisse et au Pénée ; puis, par {Tempé jusqu'aux} bouches du {Pénée}, 240 stades ; 660 stades enèore {jusqu'à Thessa}lonique et enfin de Thessalonique {à l'Ister en passant par Idom}éné, par Stobi et le pays des Dardaniens 3200 stades ; soit en tout 6500 stades pour la distance du cap Malées à l'Ister. Ce qui a causé l'erreur de Polybe, c'est qu'il n'a pas pris pour base de son calcul la voie la plus courte, mais le premier itinéraire venu d'un général marchant à la tête de son armée. Il ne sera peut-être pas hors de propos d'ajouter à ce qui précède, telle que nous la donne Ephore, la liste des différents chefs par qui furent fondés, après le retour des Héraclides, les principaux Etats du Péloponnèse. Corinthe le fut par Alétès, Sicyone par Phalcès, l'Achaïe par Tisomène, l'Elide par Oxylus, Messène par Cresphonte, Lacédémone par Eurysthène et Proclès, Argos par Téménus {et Cissus}, l'Attique enfin par Agaeus et Déiphonte.