[31] XXII. Des monstres et prodiges merveilleux qui apparurent sur terre au temps que cestuy livre fut faict. Si comme nous avons dict devant, au commencement et proesme de cestuy livre, la matière en fut trouvée par diverses foys selon les confabulations qui se faisoyent entre les joyeulx hommes et congnoissans de la Court Rommaine. Mais, pour tant que l'entendement de l'homme n'est pas tousjours prompt à trouver choses d'une mesme essence, furent plusieurs foys assemblez les compaignons facétieux lesquelz ne pouvoient pas tous jours trouver matière pour rire, ou par adventure que le temps et jour ne se adonnoit pas qu'ils deussent parler de telle matière, si leur estoit force de passer temps en aultre chose, pour quoy Poge a mis en son livre aulcuns chapitres qui ne sont pas Facécies, mais seullement sont narratifs d'aulcunes choses méditatives et diverses, donnantes aulcuns esbahyssement aux hommes, lesquelles dit avoir esté racomptées en leurs fabulations, qu'ils faisoyent comme dit est. Pour ce en ceste translation, affin que aulcun n'y puisse imposer faulcetez ou imperfection, les chapitres, parlans d'iceulx prodiges et monstres, sont translatéz et déclairez selon que les parolles latines touchent, et aussi, en ensuyvant l'ordre du livre auquel il y a quatre chapitres, dont le premier commence : "Monstra hoc anno plura diuersis in locis, etc., met Poge que, celluy an que fut faicte l'invention de son livre, Nature produisit sur Terre en plusieurs lieux plusieurs monstres et choses merveilleuses. Premièrement au pays de Piscène, en ung champ nommé "ager Senegaliensis" une vache enfanta ung serpent, lequel estoit grant merveilleusement, et, pour le descripre, disoient ceux qui le virent qu'il avoit la teste plus grosse que ung veau, le col long comme un asne, le corps fait à la manière d'ung chien, fors qu'il estoit plus long. Oultre disoyent que, quant ceste vache eut enfanté ce serpent, elle le regarda et, comme toute espouventée, gecta ung grant mugissement et cry merveilleux et s'en fust voulentiers fouye; mais le serpent soubdainement se dressa et luy lya de sa queue les deux cuisses de derrière, tellement que la pouvre vache ne s'en peut partir. Si print le serpent en la gueulle la mamelle de la vache et la sussa et en tira tant de lait comme il peut, puis la laissa et s'en fuyt aux forestz qui estoient auprès. Et disoient les gens qui ce virent que, après ce fait, les cuisses et mamelles de la vache, partout où cestuy horrible serpent avoit touché, devindrent et demourèrent longuement tous noirs, comme se ilz eussent esté bruslés, et fut prouvée ceste chose par les pasteurs et bergiers, qui estoient aux champs, et aultres laboureurs, qui estoient présens et gardoient les bestes, lesquelz affermoyent ladicte vache avoir pépéry ledit serpent et l'avoir veu et ledict serpent estre fouy aux boys, comme dit est, après qu'il eut tout le laict sussé de ladicte vache par ses mamelles. Avecques ce ilz disoyent encore que depuis celle mesme vache porta ung veau lequel estoit naturel, et fut le tesmoignage, ainsi fait par ces ditz laboureurs et bergiers, rescript et envoyé par lettres en la cité de Ferrare. [32] XXIII. Le second chapitre est de ung chat monstreux qui avoit deux testes. En la seconde partie, au second chapitre, auquel Poge parle et racompte des choses monstreuses de Nature qui sont advenues au temps qu'il faisoit ce présent livre, dit qu'un noble homme, saige et prudent, nommé Hugues de Sènes, bien renommé et de bonne fame, luy racompta et tesmoigna de vérité avoir veu, et plusieurs aultres gens de bien, aussi estans avecques luy en Ferrare, ung chat qui avoit deux testes, laquelle chose difficilement n'eussent voulu croyre plusieurs si n'eust esté le tesmoignage de celluy noble homme Hugues de Sènes, homme de bien et digne de foy, qui approuvoit la chose à Ferrare estre advenue et l'avoit luy mesure voue. [33] XXIIII. La tierce partie est de ung veau monstreux, qui avoit deulx testes et ung seul corps. Et, pour la tierce partie de ces choses fort monstreuses et très admiratives dit Poge que au moys de juing nasquit en ung champ, au pays de Pade, ung veau, lequel avoit deux testes et ung corps seul, et avoit les cuisses et jambes de devant et de derrière doubles; elles estoient joinctes et collées ensemble, et la probation de cecy dit que plusieurs affermoyent par vérité l'avoir veu beaucoup de foys. [34] XXV. La quarte partie est d'ung monstre marin terrible, demy homme et demy poisson. Dit Poge, en la quarte partie des choses imparfaictes et monstreuses à Nature dont il a fait en son livre mention, que en la cité de Ferrare fut aporté la pourtraiture, semblance et ymage, d'ung horrible et merveilleux monstre de mer, lequel monstre n'avoit pas fort longtemps que on l'avoit trouvé, ainsi que l'on disoit, au rivaige de la mer Dalmaticque, lequel monstre le long d'icelle marine prenoit et ravissoit les hommes, femmes et petis enfans, quant les pouvoit trouver sur le rivaige de la mer, et spéciallement les petites fillètes qui là alloyent pour laver leurs drapeaux, et cuydoient ceulx à qui les enfans appartenoyent qu'ilz fussent cheuz et périz par infortune et inconvénient dedans la mer, et ainsi les cuydoient perdre jusques à ce que vraye congnoissance et probation eussent eue de cestuy monstre, qui, ainsi comme dit est, les mangeoit et dévoroit. De cestuy monstre, ainsi comme dit est, après qu'il fut prins et tué, pour la grant admiration que le monde eut de sa stature et corpulence, affin qu'il en fust à perpétuité mémoire si fut pourtraicte sa figure et semblance, laquelle fut portée pour chose merveilleuse en la cité de Ferrare. Ainsi que par ceste figure et ymage estoit démonstré, cestuy monstre estoit depuis le nombril jusques au hault comme ung corps humain, et de là en bas estoit comme ung poisson fourché et desparty en deux. Oultre, quant à la partie d'en hault, qui estoit en forme de corps humain, comme dict est, il avoit grant barbe et longue; aussi avoit deux cornes, ou comme deux cornes, éminentes et apparoissantes sur les oreilles; la gueulle avoit merveilleusement grande et large, et si n'avoit aulx mains que quatre doys. Oultre avoit, despuis lesdictes mains jusques à l'aisselle et de là jusques au bas du ventre, esles de poisson ainsi comme les poyssons, desquelles esles il nagoyt par la mer. De la façon et manière comment cestuy merveilleux et espoventable monstre avoit esté trouvé et prins, disoyent ceulx, qui ladicte figure et remembrance avoyent portée à Ferrare et ainsi le comptèrent, que une foys estoient plusieurs femmes assemblées sur le rivaige de l'eaue lesquelles lavoyent leurs drapeaulx, ausquelles femmes ce monstre, qui adoncques estoit celle part comme mort de fain pour chercher et quérir sa proye, accourut et print l'une d'icelles femmes entre ses mains et de toute sa puissance et force se efforça de la vouloir tirer à luy en l'eaue; mais la femme, qui estoit hardye et courageuse et puissante, se desfendit vaillamment et luytta contre cestuy monstre tant qu'elle tint le monstre en sa subjection, avecques ce que l'eaue estoit petite, et aussi elle crya à haulte voix et appella les aultres femmes affin qu'elles luy venissent aider et deffendre contre ce horrible monstre. Tantost vindrent au cry de ycelle femme, qui ainsi horriblement crioyt, cinq femmes qui, avec gros bastons et pierres se combatirent contre ce monstre et le tuèrent, lequel, par la grandeur de luy et aussi pour l'eaue qui estoit fort petite, ne se pouvoit retourner et ne s'en povoit fouyr, ne soy mettre à garant ne à saulveté. Quant ce monstre fut ainsi tué, ilz le tirèrent et misrent hors de l'eaue, et adoncques, quant il fut tiré et mis hors de l'eaue, il ne fault pas doubter ne demander quelles admirations et esbahyssement il donna à tous ceulx qui le virent, car il avoit le corps fait en la propre façon et manière comme ung homme, mais il estoit plus grant ung petit. Et dit Poge, Florentin, que la semblante et grandeur de luy fut apportée en Ferrare et qu'il la veit en ladicte ville. Avecques ce fut apportée aussi sa semblance comme ledit monstre qui tenoit la femme qu'il avoit prince pour manger et dévorer, ce que plusieurs gens ne pouvoyent concéder ne croire avoir esté vray, jusques à ce que il fut tesmoigné et approuvé par plusieurs enfans et aulcuns hommes, qui disoyent que souventes fois, en allant sur la rive de la mer, ilz avoyent bien veu saillir le monstre hors de la mer, qui prenoit et ravissoyt jeunes fillettes, lesquelles venovent là pour laver leurs petis drappeaulx, et approuvèrent que plusieurs en avoyent perdues, cuydant qu'elles fussent cheustes en la mer par fortune, mais despuis creurent fermement et sans nulle doubte que le monstre les avoit ravies et dévorées. [41] {sans correspondance} [42] XXX. De l'homme qui demanda pardon à sa femme quant elle se mouroit, Ung bon Jannot fut, qui avoit sa femme malade au lict, dont il estoit fort marry, et se venoit souvent approcher du lict où elle estoit couchée pour la consoler et conforter; mais elle, qui disoit estre très fort malade et venue à la fin de ses j ours, faisoit les regretz et, entre les aultres regretz qu'elle faisoit, c'estoit que son mary jamais ne luy avoit fait aulcun bien, ne bon service, sinon par contraincte et envis. Adoncques commença le mary à plourer et luy dire : « Ma doulce amye, je te requiers, pardonne moy de tous les maulx que je fis oncques envers toy, car je te prometz que de mon corps je ne fis faulte, ne me tarday de te servir au lict, sinon quant tu estoyes malade. C'est la plus grande faulte que jamais je fis envers toy et ne l'ay faict sinon par crainte que tu ne fusses fatiguée de mon attouchement". — "O", dist la femme, combien qu'elle fust moult malade, « maulvais mary, si sçay bien que tu as failly envers moy touchant cela ; tu me demandes pardon, mais jamais ne te le pardonneray ne remettray pour tant que je sçay bien que ce venoit de ta maulvaise voulenté, non pas pour me espargner, car je ne fus oncques si malade ne si débille que je ne me puisse bien coucher et gésir à revers, ainsi qu'il fault estre pour accomplir le désir de la nuyt". Ainsi demoura le pouvre Jannot sans rémission de son péché, et dit Poge que c'est une chose dont les hommes ne doivent point demander pardon aux femmes, comme ainsi soit que droictureusement la rémission en puisse estre denyée. [43] XXXI. De la belle fille qui cuidoit que son mary deust avoir la Marguet aussi grant que celle d'ung asne. En la cité de Florence estoit ung riche homme, Chevalier, nommé Nerius de Pacis, qui avoit une moult belle fille et bien honneste, preste de marier, laquelle vint demander à mariage ung très beau jeune adolescent, noble de lignaige, beau de corps, saige, prudent et si bien pourveu des dons et parfection de nature qu'il ne luy failloit aulcune chose. A cestuy noble Escuyer fut donnée ceste belle jeune fille, qui tant en fut amoureuse pour une espace de temps que c'estoit merveilles ; mais, pour mieulx entendre la cause pourquoy faillit l'amour, il est cy à noter que ceste belle fille, qui desjà congnoissoit que c'estoit des délitz de Nature et comme l'homme pouvoit servir à la femme, entra en l'ung de leurs jardins là où estoit ung petit asne, qui avoit le membre tyré hors du corps aussi grant que le bras. Quant ceste belle jeune fille vit le membre de cest asne ainsi grant, commença à penser à elle-mesme que par raison les hommes le doivent avoir plus grant que les asnes; si commença à murmurer contre son mary, qui si grant ne l'avoit pas, et disoit qu'il n'estoit pas homme parfaict, dont ung très grant desplaisir elle print en son courage et délaissa à l'aymer. Advint ung jour que le père et la mère de ceste jeune fille voulurent assembler les parens et faire ung beau disner, auquel furent invitez ceste fille et son mary. Toutesfoys n'y allèrent-ilz pas l'ung quant et l'aultre, mais partit la fille la première, qui s'en vint à la maison de son père triste et desplaisante, portant la veue en bas et faisant une piteuse chière, dont le père et la mère d'elle furent moult courroucéz quant ilz la virent, ygnorans de sa douleur. Si l'appela la mère à part derrière en ung petit lieu où elle couchoit, et luy demanda : «Ma fille, ma mye, que avez-vous ? Vos choses ne sont-elles point en bon estat ? Dictes-moy ce que vous avez". Adoncques la jouvencelle en plourant commença à respondre « Ha, ma mère, vous ne m'avez pas mariée à ung homme, car de cette noble partie, pour qui se font les mariages, il n'a riens, aulmoins que bien petit, et luy deffaillent en droit tous les principaulx membres virilles, dont je suis mal fortunée". Quant la mère eut ouy ce que sa fille luy dist, cuydant que son gendre n'eust point de Marguet, elle fut fort courroucée et s'en alla à son mary et à tous ces parens, qui là estoient assemblez pour attendre le disner, et leur compta ceste matière en leur disant comme sa fille disoit que son mary ne estoit pas homme, que le principal point pour qui les mariages se faisoyent luy failloit et que, s'il en avoit, c'estoit si petit que rien, et de ce furent le père et tous les aultres parens tant couroucéz que merveilles, et la maison fut toute plaine de douleur pource qu'ilz croyoient avoir suffoqué leur fille, qui tant estoit belle jouvencelle, et l'avoir donnée à ung homme impotent et impourveu des instruments de nature principaulx. Tantost après que ceste douleur fut espandue par toute la maison, survint le nouveau marié de qui la complaincte estoit faicte, qui moult fut esbahy de veoir ainsi les assistens tristes et faisant maulvaise chière. Oultre nul ne luy osoit dire la cause de ceste douleur, fors ung qui s'en vint à luy et luy dist : « Beau cousin, mon amy, saichez que vostre femme, son père, sa mère et tous ses amys sont fort courroucez pour tant que elle leur a donné à entendre que vous n'estes pas homme naturel comme les aultres et que n'avez pas, ou bien peu, de bras séculier pour servir les dames, dont ilz sont tant marris que plus ne peuvent et cuydent avoir leur fille perdue". Quant ce jeune galant eut entendu la cause du courroux, il fut bien joyeulx et dist à celluy qui lui déclaira que bien ceste douleur rapaiseroit et que tous fissent hardiement grande chière, car il se sentoit aussi bien et mieulx fourny de baston pastoral que homme qui fust en toute la compaignie. Si se assirent à table et beurent et mangèrent à leur appétit, non pas joyeulx tant qu'ils furent reconfortez par le nouveau marié qui, environ le millieu du disner, print à parler en général et dist : « O vous, les amys de ma femme, qui estes ici en desplaisance de aulcune chose dont je suis blasmé et acusé, de laquelle je vueil que vous soyez tesmoinz pour dire s'il est vray ou non se le vice est en moy dont l'en me accuse. » Lors le galant , qui adonc avoit vestemens cours, tira de ses chausses et mist sus le bout de la table un beau manche et gros, de si belle forme qu'il convertit tous les assistens à regarder la beaulté de l'instrument, et leur demanda s'il devoit estre blasmé en ce cas et si sa femme avoit cause de faire plaincte sus luy. En cest esbahissement de veoir ce membre, tant estoit grant, la plus grant part des femmes qui y estoient prioyent et desiroyent que leurs marys en eussent autant. Les hommes aussi le desiroyent, si que tous furent contre la jeune fille en la incrépant et blasmant de sa folie en luy disant aussi qu'elle n'avait cause de se plaindre. Si respondit la fille que si et que elle avoit vu leur petit asne en ung jardin, qui avoit l'oustil aussi gros que le bras d'ung homme entendu et que c'estoit très grant villenie à ung homme, grant et fort comme son mary, de l'avoir plus petit de la moytié que une beste, et croyoyt la simple pucelle que les hommes devoyent plus avoir long instrument que les bestes. Toutesfoys en la fin fut refaicte la paix et congneut qu'elle avoit failly. [44] XXXII. Du Prédicateur qui dist en preschant qu'il aymeroyt mieulx despuceler dix vierges que avoir une femme mariée. Dist celluy, qui narroit, ceste Facécie ensuyvant : Ung Frère Religieux preschoit à Tybure, qui n'estoit pas homme de grant spéculation pour exposer haulte théologie; toutesfois assez parloit competamment des péchés en les blasmant et, entre les aultres sur tous d'adultaire, disant que c'estoit le plus détestable pesché qui fust, spéciallement à gens mariez, et que plus il aymeroit avoir la compaignie de dix vierges que de une femme mariée. "Vrayement", dirent aulcuns fins hommes qui furent là présens, «beau Père, nous vous croyons bien de ce que vous avez dict, c'est que mieux aimeriez avoir la compaignie de dix vierges que d'une femme mariée. Aussi ferions-nous, plusieurs qui sommes en ceste compaignie". Adonc fut ledict Prédicateur tout honteux quand il vit que on prenoit les propositions qu'il disoit en aultre sens qu'il ne les entendoit. [45] {sans correspondance} [46] XXXIII. Du Confesseur, qui bailla son ostil en la main d'une femme, qu'il confessoit. Une belle jeune femme fut, ce dict Poge, Florentin, laquelle luy racompta cornment une foys elle avoit esté à confesse, ainsi que de coustume on y va en Karesme, que, quant elle fut devant son Confesseur, luy commença à dire et racompter tous ses péchez et, entre les aultres, comme elle avoit plusieurs foys joué du Fébé à son mary et ne luy avoit pas tousjours tenu ce que par foy luy avoit promis. Quant ce Cordelier, qui estoit ung Frère Frappart embrasé de chaleur naturelle et du desir de luxure, ouyt la confession de ceste jeune touchant luxure, il fut esmeu de la requérir, et mesmes le bras séculier luy dressa gros et royde comme ung pal de haye; si le tira hors de son repositoire et le mist en la main de ladicte femme, en luy disant plusieurs parolles persuasives, requérant qu'elle luy voulsist faire gràce et que en effet aultrement ne pouvoit estre absoulte jusques à tant que ce membre, qui ainsi soubdain estoit devenu gros et enflé, fust assouply, aussi que le Saint-Esperit l'avoit ainsi soubdainement fait pour luy donner sa pénitence affin que elle peust gaigner le pardon; mais, pour tant que l'Eglise n'estoit pas le lieu pour donner telle discipline, le maistre Frappart luy assigna heure d'aller en sa chambre quérir le demourant de son absolution. Quant ce maistre Frère eut ainsi persuadé ceste jeune femme et assigné heure comme dict est, elle partit de devant luy toute rouge de honte, qu'elle avoit eue de ce que son confesseur luy demandoyt; s'en alla devers sa mère, qui n'estoit pas loing de l'Église, et, quand elle vit sa fille ainsi rouge, luy demanda d'ont ceste rougeur si hastivement luy venoit. La fille Iuy respondit : "C'est de la honte que nostre Confesseur m'a faicte, car, ainsi que je me confessoye à luy de mes péchéz, le petit bras luy est dressé et par dessoubz son habit royde comme ung baston, et me l'a mis en la main, en me disant que ainsi l' avoit faict le Sainct Esperit pour me donner ma pénitence et que jamais ne desroidiroit tant que je luy eusse faict grâce, et par ce ne m'a point donné totalle absolution, mais me a dit que à telle heure je voyse à sa chambre sur peine de damnation et aussi pour luy faire ce plaisir affin que son bras ne demourast pas toujours ainsi". —"Ha", dist la mère, « ma fille, j'entens bien que c'est, car par la pasque Dieu, vous avez laissé aller le chat au fourmaige, et est ce qui a fait esmouvoir ledict Confesseur quant vous luy avez confessé, mais, si son membre, que le feu arde, devoyt demourer en ce point et vous sans absolution, si n'y entrerez vous jà en sa chambre. Facent Dieu et le Sainct Esperit ce qu'il leur plaira". Ainsi demoura la fille sans absolution et fut messire Frappart frustré de son intention. [47] XXXIIII. Joyeuse responce d'une femme à ung homme touchant le bas mestier. Ainsi que, quant hommes et femmes sont ensemble, voulentiers ilz se devisent de aulcunes choses joyeuses, si advint une foys que ung homme et une femme se devisoyent du bas mestier en diverses manières, en faisant l'ung à l'autre plusieurs interrogations, entre lesquelles l'homme demanda à la femme assavoir mon pourquoy ce estoit et d'ont procédoit que les hommes estoyent trop plus enclins à suyvir les femmes et leur demander le délict que les femmes aux hommes. Respondit la femme et dist : "Sire, vous me demandez pourquoy c'est que les femmes ne demandent aussi tost la courtoysie aux hommes que les hommes font à elles. Sachez que c'est pour tant que les hommes ne sont pas tousjours au point de ce faire et les femmes sont tousjours prestes de les recepvoir, et, si ainsi estoit que les femmes fussent aussi enclines à demander aux hommes que les hommes à elles, peut estre qu'elles demanderoyent à celle heure que l'homme ne seroit pas prest, par quoy il est de nécessité qu'elles attendent que les hommes soyent disposez, car, quant des femmes, elles sont tousjours prestes". [48] XXXV. D'ung Médecin qui joyeusement escondit ung pouvre qui luy demandoit l'aumône. Comme l'en trouve en plusieurs Croniques anciennes, au temps passé souloyent avoir guerre ceux de Florence au Duc de Millan, si que une guerre fut entre eulx si grande que ceulx de Florence ordonnèrent entre eulx de jamais ne traicter accord aux Millannoys, et, en signe de ce, firent ung esdit en leur Ville que quiconques parleroit de la paix seroit condempné à mort comme pour crime capital. Après ceste loy establie, ung Médecin, Ancien en la Cité, nommé Bernard, tournoyoit par le Vieil Marché de la Ville pour aulcunes choses; il vint à luy ung de ces Frères de l'Ordre de Bélistrerie, qui terriblement l'infestoit de luy donner aulcune chose et, en faisant sa demande, tousjours la fin estoit : "Seigneur, seigneur, la paix soyt à toy". Quant le Médecin vit qu'il ne sçavoit comment escondire ce bélistre, qui tant l'infestoit disant : « La paix soit à vous », luy dist : "O mon amy, qu'est ce que tu dis? Va-t-en; se la Justice sçayt que tu ayes parlé de la paix, tu seras destruit. Ne sçez tu pas l'esdit, qui est qu'on ne parle point de paix ? Je m'en vois, de paour que je ne soye trouvé avecques toy. » Ainsi se évada le Médecin de la moleste que ce quoquin luy faisoit. [49] XXXVI. De l'homme qui menassa sa femme de luy faire sa maison plaine d'enfans. Ainsi que les compaignons Secrétaires de la Court Rommaine firent les Dictz et Facéties contenues en ce livre, comme devant dit est, estant une foys en leur consistoyre, esmeurent une question, c'est assavoir quelle punition on devroit faire à une femme adultaire. c'est assavoir qui ront son mariage. L'ung dist qu'on la devoit brusler, l'aultre qu'on la devoit escorcher, et ainsi chascun donnoit son oppinion de divers tourmens et suplices, si que l'ung d'entr'eulx, nommé Boniface, natif de Boulongne, dist, par manière de joyeuseté, que aultreffois il avoit veu un Bolonien qui avoit ung assez belle femme et qui gracieusement faisoit voulentiers plaisir aux gens de bien, dont son mary se appercevoit, et en avoient souvent noyse ensemble par tant qu'elle estoit trop courtoyse de faire plaisir aux serviteurs des dames. Cestuy Bolonien menassa sa femme d'ung meilleur genre de tourment que on sçauroit ymaginer; car, ainsi que une foys luy et sa femme tensoyent à ung soir, le mary luy dist qu'elle estoit paillarde et la femme disoit que non, mais très prude femme et meilleure que à luy n'appartenoit, si que le mary en fin ne sçeut que faire, fors qu'il luy dist : "Jehanne, Jehanne, je ne te battray, ne frapperay, mais je te feray tant cela que tu auras toute plaine maison d'enfans, et puis après te laisseray et habandonneray tout". Adonc tous les compaignons de Boniface, qui cecy luy ouyrent racompter, se prindrent à rire et dirent que vrayement c'estoit genre de supplice et tourment fort exquis. [50] XXXVII. Du Cardinal qui racompta la facécie pour se farcer du Pape. Par advant que Grégoire, douziesme de ce nom, fust esleu, courut à Romme un grant scisme pour la controversie qui fut entre les Clercz, si que de ce scisme parloit souvent Grégoire, disant que, se il estoit auctorisé comme le Pape, il y mettroit bien remède. Or advint que, par permission de Fortune, après le trespas de Innocent fut esleu cestuy Grégoire, lequel, devant qu'il fust esleu Pape, faisoit merveille de se vanter et dire qu'il feroit de tant belles choses que ce serait merveilles et qu'il seroit content, pour oster discention, de soy démettre de son pontificat plus tost que souffrir et permettre aulcune des libertés estre perdue; mais ceste jactance ne sortit point effect, car, par la doulceur de la dignité qui luy fust donnée comme à ung pouvre qu'il estoit, il entra en aultre délibération et propos, car plus il ne luy souvint des juremens et promesses qu'il avoit auparavant faictes, et de ce estoyent plusieurs saiges gens courroucez, spéciallement ung Cardinal, dit Poge, lequel aulcuneffoys de ceste chose se parloit une foys entre les aultres et dist : « Ce Grégoire icy nous a fait ainsi que fist ung mocqueur Va-luy-dire, qui, n'avoit pas grant temps, avoit esté à Boulongne et publia partout qu'il volleroit d'une haulte tour, laquelle est hors de la Cité, auprès du Pont Sainct-Raphaël. Quant ceulx de Boulongne ouyrent ceste chose admirative que ung homme deust voller, ilz se assemblèrent tous, grans et petis, au jour qu'il avoit promis de ce faire. Or faisoit-il à l'heure très grant chault et auprèz de ceste tour estoyent tous assemblez à l'ardeur du soleil pour attendre ce beau sainct qui devoit voler, lequel monta tout au plus hault de la tour avecques ses esles, lesquelles faignoit tousjours approprier si que tout le dit jour fut passé presque au soleil resconsant que tous estoyent tant lasséz que plus ne povoient. Lors, quand le trompeur vit qu'il fut tout assemblé et qu'il estoit heure de s'en retourner, pour mieulx se farcer d'eulx, il leur tourna son cul tout à descouvert. Ainsi retournèrent tous, trompez et lassez et moquez, en leur cité, et en ceste manière, dist le Cardinal, « a fait nostre Pape Grégoire. Au devant qu'il fust Pape, il faisoit merveilles de bien voiler, et par ses juremens et promesses qu'il nous faisoit de bien régir la spiritualité si que sa renommée volleroit jusques auprès du pont Sainct-Raphael, c'est assavoir devant nostre Seigneur Jésucrist, il nous a tous assemblez en ung lieu là où il a été faict Pape; mais maintenant le soleil est resconcé, c'est assavoir qu'il n'a plus son regard en hault, ainsi que par avant disoit avoir, mais l'a du tout getté en bas; par le plaisir que il a prins aux délices de la spiritualité, il nous monstre son cul, c'est assavoir sa villaine voulenté et faulte de promesse". [51] {sans correspondance} [52] {sans correspondance} [53] XXXIX. Comment Rodolphe se farsa de ceux de Florence qui l'avoyent fait paindre en leur cité comme proditeur. Si tant estoit vantant cestuy Rodolphe en guerre et congnoissant pour bien conduyre une armée et servir son maistre loyaulment que tous ceulx contre qui il alloit disoyent que ce estoit ung proditeur de paix et espandeur de sang humain, spéciallemerit les Florentins, ausquelz par plusieurs foys il donna tant et si divers assaulx qu'ilz ne osoyent sortir de leur Ville, et pour ce l'appelloyent-ils proditeur, et, comme coulpable de prodition et non digne d'estre appellé victorieux, le firent paindre ès murailles de leur Ville comme proditeur et degasteur de ce pays, ce qui fut rapporté à Rodolphe, dont il ne tint compte. Toutes foys bien proposa de jamais ne partir de là tant qu'il les eust vaincus et leur tint si grant rigueur qu'ilz furent contrains de demander trèves pour traicter appointement, ce que Rodolphe, qui autant desiroit à plus de faire paix que mener guerre, accorda, nonobstant que de luy eussent faict la paincture vitupérable, et leur assigna le jour que devers luy viendroyent. Pour laquelle chose faire, les Florentins esleurent entre eulx de la Cité les plus saiges et congnoissans hommes qui y fussent, lesquelz allèrent au jour assigné, auquel Rodolphe, congnoissant leur venue, fist fermer sa chambre, alumer ung grant feu dedans et fist clore les fenestres et se couvrir de chauldes fourreures en son lict comme s'il fust le fons de l'iver, combien qu'il fust le moys d'aoust et fist grant chault. Quant les Orateurs Florentins furent venus au lieu, on les mena devant Rodolphe ainsi chauldement couché comme il estoit, dont ilz furent esbahis, et, cuydans que ce fust aulcune maladie, luy demandèrent quelle. Rodolphe, qui estoit au lict, si respondit : "Messeigneurs, c'est du froit que j'ay eu à estre tout l'hiver pendu contre vos parois tout descouvert". Quant ceste response fut faicte, les Orateurs de la ville de Florence entendirent que Rodolphe se railloit de leur painture, laquelle fut après effacée par l'appointement faict entre eulx. [54] {sans correspondance} [55] XXXVIII. Une fable de ung lourdault, qui quéroit l'asne sus quoy il estoit monté. Poge dit que au chasteau d'ont il estoit natif fut ung homme rusticque et lourt, nommé Mancin, lequel ung jour chargea sept ou huyt asnes qu'il avoit de fourment pour aller au marché en ung aultre chastel prochain de là, environ à troys ou quatre petites lieues Françoyses. Quant cestuy Mancin eut vendu son fourment au marché, il monta dessus l'ung de ses asnes, le plus légier que il congnoissoit à chevaulcher, et chassa les aultres devant luy jusques auprès de sa maison, là où il commença à compter ses asnes sans celluy sur lequel il estoit monté, auquel il ne pensoit point. Si cuyda avoir perdu ung asne et qu'il fust demouré en chemin ; pour tant appela hastivement sa femme, luy dist que elle prenist garde aux asnes tant comme il yroit quérir celluy que il avoit perdu. Ceste femme print ces asnes et les mist en l'estable, ainsi que luy avoit dist son mari, lequel estoit dessus son asne auquel il ne pensoit point. Commença à courir tout le chemin qu'il estoit venu, demandant à ceulx qu'il trouvoit se ilz avoyent point veu ung asne perdu, et tous luy respondirent que non, si que le soutouart alla jusques au marché, cuydant trouver son asne. Puis, voyant que nouvelles n'en povoit avoir, tout de nuyt s'en retourna plorant en sa maison là où il trouva sa femme, à qui de première venue il dist que leur asne estoit perdu, dont elle fut fort marrie, jusques ad ce que, ainsi qu'il se descendoit, ilz se apperçeurent de sa follie, et dist : « O, maulgré ma vie, j'ay par faulte de sens beaucoup de peine. Voicy l'asne que j'ay tant cerché. Je estoye dessus et si le quéroye". [56] XL. De celuy qui monta sur son asne sa charrue à son cul. Il y avoit aux parties de Florence en ung vilaige ung laboureur nommé Piérus. Cestuy homme alloit chascun jour à la charrue avec deux beufz et ung asne. Un jour, après qu'il eut faicte sa journée et que son champ fust parachevé de labourer et arer et qu'il convint ramener la charrue à I'hostel, de la grant paour de la despecer, il la chargea sur son asne et puis après monta dessus, tant que le pouvre asne fut si chargé qu'il ne pouvoit aller et ployoit soubz la charge. Lors Piérus, voulant soulaiger son asne, descendit et chargea sa charrue sur son col, puis remonta dessus, disant à l'asne : "Or, va, tu peux maintenant bien aller. Ce ne es tu pas qui porte la charrue; ce suis je qui la porte". [57] XLI. Une élégante responce d'ung poëte Florentin, nommé Dantes. Pour congnoistre de la responce que fist Dantes Alligerus, poëte Florentin, il est à noter qu'il y a une place, au pays nommé Véronne, en laquelle aussi demouroit une lignée de gens nommés les CHIENS, nobles gens, grans seigneurs, riches et puissans, avec ce plaisans et récréatifz, qui bien aymoyent à avoir gens clercz avec eulx. Pour tant voulurent avoir cestuy Dantes, qui estoit homme clerc et bien sçavant ; aussi, du temps mesmes que Dantes demouroit en leur maison, y estoit ung aultre Florentin, homme imprudent, non saichant et non convenable à aulcune chose faire, fors à jouer et à faire rire les gens, duquel les joyeusetéz plaisoyent au Seigneur, nommé le Chien, tant qu'il luy faisoit des biens à grant habondance. Toutes foys Dantes desprisoit ce Fol, ainsi qu'il estoit de raison que ung homme sage et modéré ne tiengne pas grant compte des Folz, et aussi le Fol s'en appercevoit bien, qui, pour se venger, une foys vint à Dantes et luy demanda : « Dantes, je m'esbahys de ton cas. Dy moy pourquoy c'est que toy, qui es homme saige et très congnoissant, n'as de biens et comment es tu si pouvre, et moy, qui suis ung fol et ignare, ay plus de richesses que toy. » Adonc respondit Dantes : « Mon amy, tu me demandes pourquoy c'est que je n'ay plus de richesses, et je te dy que, quant je trouveray un maistre semblable à moy et à mes conditions et meurs ainsi que tu as trouvé à toy, il me enrichira ainsi qu'il a fait à toy". Et met Poge en la fin de cc chapitre : "Grauis sapiensque responsio"; "ceste response est grave et pleine de sagesse", et en rend la rayson en disant : "Semper enim Domini eorum consuetudine qui sibi sunt similes delectentur"; "tousjours les Seigneurs de coustume ilz se délectent aulx faitz de ceulx qui sont semblables à eulx". [58] XLII. Aultre joyeuse responce dudict Dantes, poëte Florentin. Voulentiers, ce dist Poge, Florentin, du temps que Dantes demouroit avecques lesdictz Seigneurs de Véronne, nomméz CHIENS comme dict est, l'ancien Chien, principal Seigneur, le faisoit seoir à table entre son filz et luy. Ainsi estoit Dantes entre le vieil Chien et le jeune, et, pour tant, comme dict est, que ces seigneurs icy prenoyent plus de plaisir à choses folles que saiges et à se railler d'autre et aussi inventer quelque nouvelle folie, ung jour, ainsi que Dames estoit assis au disner entre eulx deux, les serviteurs, par le commandement des maistres, gettèrent secrètement par dessoubz la table tous les os du disner devant les piedz de Dantes, et ainsi, quant on vint à oster la table, on demanda à Dantes pourquoy il avoit tant de os devant luy. Adoncques Dantes, qui estoit homme prompt à respondre, voyant que tout cela estoit faict par farceric, leur dist : « Messeigneurs, il ne se fault point esbahir si les deux chiens entre lesquels je suis ont mangé leurs os et se les miens sont demourez, car je ne suis pas chien. » Et de ceste responce commencèrent tous à rire pour tant que si soubdainement l'avoit trouvée. [59] XLIII. De la femme obstinée qui appella son mary pouilleux. Si nous dit Poge : "Quand nous estions en noz confabulations et joyeuses assemblées, nous parlions aulcuneffoys de la pertinacité et obstination d'une femme, disant qu'il est des femmes si persistentes en couraige endurcy qu'elles aimeroyent mieulx mourir que se despartir de leur sentence ne faire aultrement que à leur opinion. Adonc l'ung des assistens, pour approuver ceste chose par exemple, dit : "J'ay aultreffoys veu en noz cartiers une femme de cette condition, laquelle tousjours estoit contraire à la voulenté de son mary, et, spéciallement quant ilz tensoyent de parolles, elle vouloit tousjours avoir le dernier mot et ce qu'elle disoit soustenoit irrévocablement. Advint que une foys, par une altercation qu'ilz prindrent, son mary et elle, de parolles, elle l'appella pouilleux, ce qui despleut à l'homme tellement qu'il jura qu'elle se desdiroit et, pour ce faire, la commença à battre de coups de poing et de pied tant qu'il peult, mais tant plus la batoit, tant plus pouilleux l'appeloit. Adonc le mary, tout lassé de la batre, voyant la pertinacité de elle, se obstina et jura par ses bons Dieux qu'elle retireroit la parolle et mettroit fin à sa pertinacité, ou qu'il la getteroit en ung puis. Ceste femme obstinée jura du contraire que au Dyable fust-elle se jà se desdiroit, mais tous les jours par plus infestantes parolles pouilleux l'appelloit. Lors le mary print une corde, lya sa femme par les espaulles et la plonga dedans le puis jusques au menton et jura que, se elle ne se abstenoit de l'appeler pouilleux, qu'il la noyeroyt et suffocqueroit en l'eaue; mais nonobstant elle tousjours instantement sa parolle continuoit, et pour ce le mary, temptant et essayant luy oster sa pertinacité, pour la mettre en dangier de mort, la dcvalla dedans l'eaue jusques par dessus la teste tant que plus ne pouvoit parler. Et lors la faulce et pertinace femme leva les mains en hault par dessus sa teste hors de l'eaue, et, pour exprimer ce que de parolle ne pouvoit dire, commença à serrer les pouces de ses deux mains l'ung sus l'autre, faignant de tuer des poux, pour monstrer que en son courage elle disoit et appelloit son mary pouilleux. Ainsi, devant qu'elle fust morte, ledit mary, voyant et pensant que c'estoit chose impossible de la convertir, tantost la retira hors de l'eau et luy laissa dire et faire du pis qu'elle peut". [60] XLIIII. De celluy qui avoit getté sa femme en la rivière et l'alloit cercher contremont l'eaue. Adonc, quant la Facécie devant dicte eust esté racomptée, ung aultre des asistans dist qu'il en avoit veu une semblable adventure de ung homme, qui avoit une ainsi maulvaise femme et obstinée, tellement que tout le contraire de ce que son mary luy commandoit elle faisoit, et, quant il luy commandoit que elle luy baillast du blanc, elle luy bailloit du noir; si vouloit du chaut, elle luy bailloit du froit, et générallement elle faisoit tout à l'opposite de la voulenté de luy, dont il estoit tant desplaisant qu'il en perdoit presque patience. Advint une foys, ainsi comme cestuy mary et ceste femme alloyent en pélerinage, vindrent à passer une planche dessus une rivière; le mary voulut que sa femme passast devant et elle tousjours voulut passer derrière si que controversie s'esmeut entre eulx deux tellement que ledict mary jura, que si elle ne passoit, qu'il la getteroit dedans ladicte rivière, et elle, toujours obstinée, dist que elle aymeroit mieulx que ainsi fust. Finablement ledict mary, despité de son obstination, la print et la getta dedans la rivière où elle fut noyée, et, en la gettant, luy dist : "Va-t'en aval la rivière". Ce faict, le mary, qui oncques puis ne la vit, commença à courir contremont le cours de l'eaue et rencontra des gens, lesquelz luy demandèrent où il alloit, et il leur respondit que il alloit cercher sa femme qu'il avoit gettée en l'eaue. « Comment », dirent les aultres? "Tu ne vas pas bien; il est impossible que elle voyse contremont l'eaue". — "Certes", dist le mary, "si fait; car, en la gettant dedans l'eaue, je luy ay dit qu'elle allast aval et je sçay bien qu'elle va amont, car sa coustume tousjours a esté de faire tout au contraire de ce qne je luy disoye". Lors commencèrent à rire quant ilz congneurent la pertinacité et obstination de la dicte femme.