[CCI] De deux nouveaux mariés. Un charmant jeune homme de Vérone avait épousé une toute jeune fille. S'abandonnant plus que de raison aux plaisirs du mariage, son visage s'altéra et son corps devint maigre et débile. Dans sa sollicitude inquiète, sa mère craignant de le voir tomber gravement malade, le sépara de son épouse, le relégua loin d'elle à la campagne. La jeune femme triste et regrettant l'absent, apercevant deux moineaux qui se becquetaient : — « Retirez-vous et bien vite, dit-elle, si ma belle-mère vous voyait, elle ne manquerait pas de vous séparer. » [CCII] Discussion héraldique. Un Génois, patron d'un transport armé en guerre contre les Anglais, pour le compte du roi de France, portait un caisson sur lequel était peinte une tête de bœuf. Un gentilhomme français s'en aperçut et revendiqua ces armoiries comme lui appartenant. Une querelle s'ensuivit et le Français provoqua le Génois en duel, ce dernier accepta le défi et se rendit sur le terrain sans aucun apparat, l'autre y vint après, en grande pompe : « Quel est, dit le Génois, le motif qui nous amène ici? » — « C'est répondit le Français parce que tu as usurpé des armoiries ayant appartenu à mes ancêtres et à moi, avant d'être aux tiens, je le jure. » — « Quelles sont donc ces insignes? » reprit le Génois. — « Une tête de bœuf » répliqua le Français. — « Alors, ajouta le Génois, tout combat est bien inutile, car ce n'est pas une tête de bœuf, mais une tête de vache que je porte. » Ce propos plaisant mit à néant la jactance du Français. [CCIII] D'un médecin qui donnait des remèdes au hasard. Il est d'usage à Rome, pour obtenir une consultation, de faire parvenir au médecin, un peu de l'urine du malade et deux pièces d'argent. J'ai connu certain médecin qui écrivait sur des bouts de papier, dans la soirée, divers remèdes pouvant être employés dans différentes maladies (on nomme ces formules des recettes) et les jetait pêle-mêle dans un petit sac. Le matin venu, on lui apportait les urines pour obtenir une recette. Plongeant alors la main dans le sac, le médecin en retirait au hasard une formule et la présentant au client, il disait en italien : « Prega Dio te la mandi buona » autrement « Prie Dieu qu'il te la baille bonne. » Triste perspective réservée à ceux dont la santé dépendait de la chance et non de la raison. [CCIV] Conseil à un débiteur ennuyé. Triste et mélancolique, un habitant de Pérouse, circulait par les rues de la ville. Quelqu'un lui ayant demandé ce qui le préoccupait si fort ; le promeneur répondit qu'il avait des dettes qu'il ne pouvait acquitter. — « Bast! que tu es bête, répliqua l'autre, laisse donc ton créancier s'en inquiéter. » [CCV] De la peine infligée à des meurtriers Grecs et Génois. Des Génois habitant Péra, quartier près de Constantinople où résident spécialement les Génois, étant venus en ville pour les affaires de leur négoce, se disputèrent avec des Grecs et quelques-uns d'entre eux furent tués et blessés. L'Empereur, près de qui on implorait justice de ce meurtre, la promit prompte et bonne ; en conséquence, il ordonna qu'en expiation de leur crime, les coupables eussent la barbe rasée, ce qui est pour les Grecs une chose ignominieuse. Le Consul des Génois de Péra, pensant qu'on se moquait de lui, jura de venger lui-même ses compatriotes. A quelque temps de là, des Génois étant entrés dans Constantinople tuèrent et blessèrent un certain nombre de Grecs. L'Empereur aussitôt se plaignit grandement au Consul de Péra en réclamant un châtiment. Le Consul donna sa parole de punir les coupables. Le jour fixé pour l'exécution, il ordonna d'amener les coupables sur la place publique, comme s ils allaient avoir la tête tranchée. La foule, composée de beaucoup de Grecs et de toute la population de Péra, attendait anxieuse ; les prêtres mêmes avec la croix s'y trouvaient prêts à porter les cadavres en terre. Le crieur public ayant fait faire silence, le Consul ordonna de raser le cul aux coupables, déclarant que les Génois, s'ils ne portent point de barbe au menton, ils ont du moins du poil au cul. Ainsi, en rasant la figure des uns et le cul des autres, la peine fut égale pour les malfaiteurs. [CCVI] Pourquoi les Romains mangent des vertus. Aux Calendes de mai, les habitants de Rome préparent et mangent le matin plusieurs variétés de légumes qu'ils appellent vertus. Un jour, on plaisantait entre amis, à propos de cet usage, Francesco Lavegni, de Milan, qui était présent, dit : — « Je ne m'étonne plus maintenant de ce que les Romains aient dégénéré de leurs ancêtres, puisque chaque année, ils anéantissent leurs vertus en les mangeant. » [CCVII] Voeu imprudent à la Vierge Marie. Me trouvant en Angleterre, j'ai entendu citer un mot plaisant d'un capitaine de navire marchand, irlandais d'origine. Le navire, ballotté par les flots, fut assailli en pleine mer par une violente tempête ; il était tellement désemparé que l'équipage désespérait du salut. Le capitaine fit vœu, si l'on échappait à ce grand danger, de donner à certaine église placée sous le vocable de la Vierge Marie, Mère de Dieu, très renommée par suite de faveurs obtenues en pareilles circonstances, un cierge aussi élevé que le grand mât. Le second, blâmait un pareil vœu, parce qu'on ne trouverait pas en Angleterre, assez de cire pour confectionner un cierge de pareille dimension : — « Eh ! tais-toi donc, dit le capitaine, laisse-moi faire à la Mère de Dieu toutes les promesses qu'il me plaira pour nous tirer du péril. Si nous sommes sauvés, elle se contentera bien d'une petite chandelle. » [CCVIII] Histoire de celui qui fit également un vœu à Saint Cyriaque. Dans une circonstance semblable, certain marchand d'Ancône, agit de la même façon à l'égard de Saint Cyriaque, patron de la cité et qu'on représente portant une longue barbe. Son navire étant secoué par des vagues énormes, notre homme fît vœu d'offrir une maison à Saint Cyriaque, dans un délai qu'il fixa. La date indiquée étant passée, le marchand vint se confesser et avoua au curé de la paroisse le vœu qu'il avait fait. Le prêtre, qui comprenait l'utilité que cela aurait plus tard pour lui, exhorta son pénitent à accomplir sa promesse. Le marchand répondit qu'il s'empresserait de décharger sa conscience d'une si lourde préoccupation; toutefois, il ne s'exécutait pas malgré des remontrances souvent réitérées et quelques fois un peu vives. Un jour, enfin, fatigué peut-être de l'insistance de son curé, ou désirant afficher par fanfaronnade son impiété, il répondit à une nouvelle interpellation : — « De grâce, ne me tracassez plus à ce sujet, j'ai roulé maintes fois de plus longues barbes que celle de Cyriaque. » [CCIX] D'une veuve qui désirait se remarier avec un homme âgé. Une femme veuve disait à une voisine que, bien que la vie du monde n'ait plus de charme pour elle, elle désirait, cependant, épouser un homme âgé, plutôt pour avoir une société et l'aider à supporter l'existence que pour tout autre chose, car il était l'heure pour elle de songer à son salut et non point à la satisfaction de ses sens. La voisine promit de lui trouver un mari à sa convenance, et, dès le lendemain, elle vint dire à la veuve qu'elle avait trouvé un sujet ayant toutes les qualités désirées, particulièrement celle dont il avait été surtout question. C'est-à-dire, qu'il manquait de virilité. Mais la veuve se récria : — « Je n'épouserai jamais cet homme-là. Car si le Pacificateur (c'est ainsi qu'elle appelait l'outil à fabriquer les hommes) fait défaut, quel Médiateur (car on doit vivre en paix avec un mari) viendra apaiser les querelles qui pourront surgir entre nous ? » [CCX] D'un moine qui engrossa une abbesse. Un Frère, de l'ordre des Minimes, aimait l'abbesse de certain monastère de Rome (que j'ai bien connue) et lui demandait, sans cesse, de coucher avec elle. Cette femme refusait toujours, parce qu'elle craignait de devenir grosse et d'encourir de ce fait une punition des plus sévères. Le Frère lui promit alors de lui apporter ce qu'il appelle un brève qu'il suffit de porter suspendu au cou par un fil de soie pour n'avoir jamais d'enfant, et de cette façon être à même de faire l'amour sans crainte, avec qui lui plairait. Elle le crut, parce qu'elle le désirait et le Frère posséda maintes fois la femme. Au bout de trois mois, celle-ci s'aperçut qu'elle était grosse, mais le Frère, ayant flairé la chose, avait pris la fuite. L'abbesse, se voyant jouée, détacha le fameux brève et l'ouvrit pour voir ce qu il contenait. Il portait ces mots, en très mauvais latin : "Asca imbarasca, non facias te supponi, et non implebis tascam". [CCXI] Spirituelle réponse à un enfant précoce. Angelotto, cardinal romain, esprit caustique, prompt à la riposte, parlait beaucoup et la prudence n'était pas toujours son fait. Pendant le séjour du pape Eugène, à Florence, un enfant de dix ans, charmant, espiègle, lui fut présenté. Fort avisé, il adressa quelques mots seulement au cardinal, et des mieux tournés. Angelotto frappé du sérieux et de la tenue de cet enfant, lui fit quelques questions auxquelles celui-ci répondit avec à propos; se tournant alors vers ceux qui l'entouraient, le Cardinal, dit : — « Ceux qui dès l'enfance montrent tant d'esprit et de connaissances, voient, avec les années, leur intelligence décroître et lorsque vient la maturité, ils ne sont plus que des imbéciles, » Le gamin répartit sur le champ : — « S'il en est ainsi, vous avez dû être de bien bonne heure aussi savant que spirituel. » Brusque et plaisante réponse qui abasourdit le cardinal honteux d'être repris de sa sottise par un enfant. [CCXII] Un apprenti savetier et la femme de son patron. L'apprenti d'un cordonnier d'Arezzo revenait souvent à la maison, prétextant qu'il y cousait plus commodément les chaussures. Ces allées et venues fréquentes éveillèrent les soupçons du patron qui, un beau jour, en rentrant inopinément, trouva le gars en train de besogner sa femme. — « Voilà une couture pour laquelle je ne te donnerai point d'argent, fit-il, et je te charge de mes malédictions. » [CCXIII] Plaisante histoire d'une jeune femme qui faisait des pets. Une jeune mariée allant voir ses parents avec son époux, vit, en traversant une forêt, plusieurs béliers qui sautaient les brebis ; elle demanda pourquoi ils allaient plutôt aux unes qu'aux autres. Son mari lui répondit, en riant : — « C’est que dès qu'une brebis a fait un pet le bélier la saute ». Alors, elle lui demanda si c'était aussi l'habitude des hommes. Comme il lui dit qu'il en était de même, elle fit aussitôt un pet, et son mari gaiement imita le bélier. Ils s'étaient à peine remis en route, que la femme fit un nouveau pet et que l'homme recommença la besogne. Enfin, ils n'étaient pas sortis de la forêt que la femme, prenant goût à ce jeu, fit un troisième pet, mais l'homme, épuisé par le travail et le voyage, se récria en disant : — « Non, tu chierais ton cœur, que je ne t'en ferai pas davantage ! » [CCXIV] Dire ou faire ? Je connais un farceur qui demanda à un religieux ce qui était plus agréable à Dieu, dire ou — faire : « Faire, répondit le religieux. » — « Alors répliqua le plaisant, celui qui fait des chapelets a plus de mérite que celui qui les dit. » [CCXV] D'un Egyptien qu'on cherchait a convertir. Un Egyptien, venu en Italie, fut encouragé par un chrétien qu'il connaissait de longue date, à entrer au moins une fois dans une église, pendant la célébration d'une messe solennelle. Le mécréant y consentit et, mêlé aux fidèles, assista à office. Or, quelques jours après, se trouvant en compagnie, on lui demanda ses impressions au sujet de la cérémonie. Il répondit que tout se passait fort bien, mais qu'il avait remarqué cependant que la charité faisait toutefois défaut : car un seul mange et boit, ne laissant aux autres ni une miette de pain, ni une goutte de vin. [CCXVI] D'un évêque espagnol qui mangea des perdreaux en guise de poissons. Un Evêque espagnol, voyageant un vendredi, s'arrêta dans une auberge et fit chercher du poisson par son domestique, mais celui-ci n'en pouvant trouver rapporta deux perdrix à son maitre. L'évêque, les ayant payées, ordonna de les faire cuire et de les lui servir. Très étonné, le domestique, qui croyait les réserver pour le dimanche, demanda à l'évêque s'il allait les manger un jour de chair défendue. L'évêque lui répondit : — « Je les mangerai comme si elles étaient poissons. » Le valet fut de plus en plus stupéfait : et l'évêque ajouta : — « Ne sais-tu pas que je suis prêtre ? Eh bien ! est-il plus difficile de changer le pain dans le corps du Christ, que des perdreaux en poissons. » Et, faisant le signe de la croix, il commanda aux perdreaux de se transmuer en poissons. [CCXVII] D'un fou qui, dormant avec l'Archevêque de Cologne, déclara que celui-ci était un quadrupède. Défunt l'archevêque de Cologne avait beaucoup d'affection pour un fou qu'il faisait coucher avec lui. Or, une fois que l'archevêque avait une nonne dans son lit, le fou qui était couché aux pieds s'aperçut qu'il y avait plus de jambes qu'à l'ordinaire. Tâtant un pied, il demanda à qui il était. L'archevêque répondit qu'il était à lui, il se précipita alors à la fenêtre, en criant de toutes ses forces : — « Accourez tous vite un phénomène nouveau et extraordinaire : Notre archevêque qui est devenu quadrupède ! » Il révéla ainsi la turpitude de son maître. [CCXVIII] Plaisanterie du pape Martin à un ambassadeur importun. Un ambassadeur du duc de Milan insistait avec acharnement pour obtenir je ne sais trop quelle concession, dont le pape Martin ne voulait pas entendre parler. Ce très importun ambassadeur harcelait sans cesse le Pontife, il le suivit même un jour jusqu'à sa chambre à coucher. Arrivé là, le Pape, pour échapper à cette obsession, porta la main à sa mâchoire — « Oh! fit il, que j'ai mal aux dents! » et plantant là l'ambassadeur, il rentra chez lui. [CCXIX] A propos du cardinal Angelotto. Dans un flot de paroles, quelqu'un récriminait contre la vie et le caractère du défunt cardinal Angeletto. Il fut, en effet, rapace, violent, sans conscience. Un des assistants ajouta : — « Je suppose bien que le diable l'a déjà mangé et chié plusieurs fois, à cause de sa scélératesse. » Alors, un plaisant de répliquer : — « Sa chair était si mauvaise, qu'aucun diable, même avec un excellent estomac, n'aura osé le manger de peur d'avoir des vomissements. » [CCXX] Puissance d'un cadeau. Autrefois, vivait à Florence un chevalier que nous avons bien connu; de petite stature, mais portant une barbe assez longue. Certain plaisant se mit à le taquiner chaque fois qu'il le rencontrait, à tourner en dérision l'exiguité de sa taille et la longueur de la barbe; il y mit tant d'acharnement que cela devint agaçant. Informée de la chose, la femme du chevalier fit venir notre homme, lui fit accepter un bon repas et de plus un vêtement, en lui recommandant de ne plus molester son mari à l'avenir. L'homme promit et par la suite, chaque fois qu'il rencontra le chevalier, il ne souffla plus mot. Surpris de ce silence, on voulut le faire parler, on lui demanda pourquoi il ne bavardait pas comme auparavant. Alors, le doigt posé sur les lèvres, il dit : — « On m'a rempli la bouche, afin que je ne puisse plus parler. » Un excellent moyen de se concilier la bienveillance, c'est de donner à manger aux gens.