[11,0] LIVRE XI. [11,1] (I.) <1> Les Insectes sont nombreux et de diverses espèces, et leur vie est celle des animaux terrestres et des oiseaux. Les uns sont ailés, comme les abeilles; les autres sont ailés et sans ailes, comme les fourmis ; quelques-uns manquent et d'ailes et de pattes. Tous ces animaux ont été appelés avec raison insectes, à cause des divisions qui les coupent tantôt au col, tantôt à la poitrine et à l'abdomen, en segments réunis l'un à l'autre seulement par un conduit ténu. <2> Chez quelques insectes la division n'est pas complète ; un repli l'enveloppe, et les commissures s'imbriquent soit à l'abdomen, soit à la partie supérieure du corps. Nulle part la nature n'a déployé plus d'habileté. (II.) Dans les grands animaux, ou du moins dans les animaux plus grands, le travail fut facile et la matière obéissante ; mais dans ces animaux si petits, si voisins du néant, quelle sagesse, quelle puissance, quelle perfection ineffable ! Où a-t-elle pu mettre un aussi grand nombre de sens dans le cousin? et il y a des animaux encore plus petits! <3> Où a-t-elle placé la vue en sentinelle? où a-t-elle appliqué le goût? où a-t-elle inséré l'odorat? où a-t-elle disposé l'organe de cette voix farouche et relativement si forte? avec quelle subtilité n'a-t-elle pas agencé les ailes, prolongé les pattes, disposé une cavité affamée, espèce de ventre, et allumé une soif avide de sang, et surtout de sang humain? avec quelle adresse n'a-t-elle pas aiguisé l'arme propre à percer la peau, et, comme si elle était au large dans cet appareil si ténu qu'on peut à peine l'apercevoir, n'y a-t-elle pas créé un double mécanisme qui le rend pointu pour perforer, et creux pour pomper? <4> Quelles dents a-t-elle données au taret (teredo navalis) pour percer les planches de chêne avec un bruit attestant son action destructive, et trouver sa principale nourriture dans le bois ? Nous admirons les épaules des éléphants chargées de tours, le cou des taureaux, leur force lancer en l'air ce qu'ils saisissent, les déprédations des tigres, les crinières des lions, tandis que la nature n'est tout entière nulle part plus que dans les êtres les plus petits. En conséquence, je prie les lecteurs, malgré le mépris qu'on a pour beaucoup de ces insectes, de ne pas condamner et dédaigner ce qui est rapporté ici : dans l'observation de la nature rien ne peut paraître superflu. [11,2] (III.) <1> Beaucoup d'auteurs ont refusé la respiration aux insectes, alléguant que, dans les viscères intérieurs, on ne trouve pas d'organe respiratoire; ils ont soutenu que ces animaux vivaient comme les plantes et les arbres, et qu'il y avait une grande différence entre respirer et vivre ; que pour la même raison ils n'avaient pas de sang, liquide qu'on ne trouve chez aucun animal privé de cœur et de foie ; que, de la même façon, ceux qui n'ont pas de poumon ne respirent pas. <2> De là sort une série de nombreuses questions. En effet, les mêmes auteurs disent que les insectes n'ont pas de voix, malgré le bourdonnement bruyant des abeilles, le chant des cigales, et les sons de plusieurs autres dont il sera question en lieu et place. En contemplant la nature je me suis habitué à penser qu'en elle rien n'est incroyable; et je ne vois pas pourquoi on comprendrait mieux la vie de ces animaux sans respiration, que leur respiration sans poumon ; doctrine que j'ai soutenue (IX, 6) pour les animaux marins, malgré la densité et la profondeur de l'eau, qui met obstacle à la respiration. <3> Quoi donc ! la respiration ne sera pas dévolue aux insectes ; et ces animaux volent, vivent au milieu de l'élément respirable, ont les instincts de la nourriture, de la génération, du travail, et même le soin de l'avenir, jouissent, bien que dépourvus des organes qui sont en quelque sorte le support des sens, de l'ouïe, de l'odorat, du goût, et ont reçu en outre de la nature des dons précieux, l'adresse, le courage, l'habileté! Ils n'ont pas de sang, je l'avoue, liquide qui ne se trouve pas même chez tous les animaux terrestres ; mais ils ont quelque chose d'équivalent. <4> De même que, dans la mer, les sèches ont une liqueur noire au lieu de sang (IX, 46), et les pourpres ce suc colorant qui teint les étoffes (IX, 60), de même chez les insectes le liquide qui entretient la vie, quel qu'il soit, sera le sang. Mais laissons à chacun l'opinion qu'il se fait; il nous suffit, pour atteindre notre but, d'indiquer les conditions manifestes des choses, sans juger les questions douteuses. [11,3] (IV.) <1> Les insectes, autant qu'il est possible de s'en assurer, ne paraissent point avoir des parties nerveuses, des os, des épines, des cartilages, de la graisse, de la chair, pas même une croûte fragile comme certains animaux marins (IX, 50), ni rien qu'on puisse appeler peau avec raison; mais ils ont un corps d'une nature intermédiaire en quelque sorte entre toutes ces choses, un corps pour ainsi dire aride, plus mou que les parties nerveuses, et dans le reste plutôt sec, à bien parler, que dur. Voilà tout ce qu'ils ont, rien de plus; à l'intérieur rien, si ce n'est dans un petit nombre un intestin replié. Aussi, même coupés, jouissent-ils d'une grande vitalité, et les parties isolées palpitent. <2> Quel le que soit la source de leur vie, elle n'est pas attachée à certains membres, mais elle est dispersée dans le corps entier, toutefois dans la tête moins que partout ailleurs; la tête, séparée, ne se meut pas, à moins qu'elle ne soit arrachée avec le corselet. Aucune espèce n'a plus de pieds que les insectes. Ceux qui en ont le plus vivent le plus longtemps coupés en morceaux, comme on le voit dans les scolopendres. Ils ont des yeux, et en outre, parmi les sens, le tact et le goût; quelques-uns ont l'odorat; peu ont l'ouïe. [11,4] (V.) <1> Entre tous le premier rang appartient aux abeilles, et elles méritent la principale admiration, étant seules, parmi tous les insectes, faites pour l'homme. Elles extraient le miel, suc très doux, très léger et très salutaire; elles fabriquent les rayons et la cire, qui ont mille usages dans la vie; elles se soumettent au travail, exécutent des ouvrages, ont une société politique, des conseils particuliers, des chefs communs, et, ce qui est plus merveilleux, elles ont une morale. <2> De plus, sans qu'elles soient ni apprivoisées ni sauvages (VIII, 82), la nature est si puissante, que d'un avorton, que de l'ombre d'un animal elle a fait une merveille incomparable. Quelle puissance musculaire, quelle force mettre de pair avec tant d'habileté et d'industrie? et même quels génies humains comparer à leur intelligence? Elles ont au moins cet avantage de ne rien posséder qu'en commun. Ne parlons pas de l'âme, admettons seulement qu'elles aient du sang; la quantité en sera bien petite en un si petit corps. Faites maintenant la proportion entre si peu de sang et tant d'instinct. [11,5] (VI.) <1> Elles se tiennent cachées pendant l'hiver ; car où prendraient-elles des forces pour supporter les frimas, les neiges et le souffle de l'Aquilon? Tous les insectes hivernent aussi, mais moins longtemps ; ceux qui ont leur retraite dans nos maisons se réchauffent de bonne heure. Quant aux abeilles, les saisons ou les climats ont varié, ou bien les anciens se sont trompés. Elles se renferment après le coucher des Pléiades, mais elles restent cachées au delà du lever de cette constellation; à plus forte raison elles ne sortent pas au commencement du printemps, comme on l'a dit; et en Italie personne n'a cette idée sur les ruches. Avant la floraison des fèves, elles sortent pour se livrer à leur travail, et, tant que l'atmosphère est favorable, elles ne perdent pas un seul jour. <2> D'abord elles construisent les rayons, pétrissent la cire, c'est-à-dire bâtissent leurs cellules et leurs maisons; puis elles font leurs petits, enfin le miel ; la cire avec les fleurs, le melligo avec les larmes des arbres qui produisent une glu, avec le suc, la gomme, la résine du saule, de l'orme et du roseau. Avec ces substances et d'autres sucs plus amers, elles font d'abord un enduit dont elles revêtent tout l'intérieur de la ruche, sorte de défense contre l'avidité d'autres petites bêtes; car elles savent bien qu'elles vont fabriquer ce qui peut être un objet de convoitise. Puis avec la même matière elles rétrécissent les portes trop larges. [11,6] (VII.) <1> Les personnes du métier appellent commosis les premiers fondements, pissoceros les seconds, et les troisièmes propolis : la propolis est placée entre ces deux couches et la cire ; on s'en sert beaucoup dans les compositions médicamenteuses (XXII, 50). La commosis forme la première couche ; elle a un goût amer : la pissoceros vient ensuite ; c'est une cire plus molle, comme si les abeilles voulaient poisser leurs constructions. La propolis provient de la gomme plus douce des vignes (XXIII, 3) et des peupliers (XXIV, 32) : c'est une substance déjà plus dense, à laquelle du suc de fleurs a été ajouté; mais ce n'est pas encore de la cire; elle est le fondement des rayons, et ferme les issues au froid et à toute influence nuisible ; elle a aussi une odeur forte, à tel point qu'on s'en sert généralement en place de galbanum. [11,7] <1> En outre, les abeilles amassent l'érithace, que quelques-uns nomment sandaraque, d'autres cérinthe : c'est la nourriture des abeilles pendant qu'elles travaillent ; on la trouve souvent en réserve dans les cavités des rayons ; elle a aussi une saveur amère. Elle est le produit de la rosée du printemps et du suc gommeux des arbres, moins abondante par le vent Africas, plus noire par le vent du midi, meilleure et rouge par l'Aquilon, très abondante sur les noyers grecs (amandiers). Ménécrate dit que la fleur de ce noyer donne des indices sur ce que sera la récolte en miel; mais il est le seul qui le dise. [11,8] (VIII.) <1> Les abeilles font la cire avec les fleurs de tous les arbres et de toutes les plantes cultivées, excepté la patience (XIX, 40 ; XX, 85) et l'échinopode ; ce sont des herbes. On excepte à tort le spart (XIX, 7) : plusieurs miels d'Espagne provenant de lieux plantés de spart ont le goût de cette plante. Je pense aussi que c'est à tort qu'on excepte l'olivier (XXI, 41); car il est certain que l'abondance des olives est favorable à la multiplication des essaims. Les abeilles ne nuisent à aucun fruit; elles ne se posent même pas sur une fleur morte, bien moins encore sur un corps mort. Elles opèrent dans un espace de soixante pas autour de la ruche, et quand les fleurs du voisinage sont consommées, elles envoient des explorateurs chercher des pâturages plus éloignés. Surprises par la nuit dans une expédition, elles veillent couchées sur le dos, afin de protéger leurs ailes contre la rosée. [11,9] (IX.) <1> On ne s'étonnera pas que des hommes se soient épris d'amour pour elles, par exemple Aristomaque de Soles, qui pendant cinquante-huit ans ne fit que s'occuper des abeilles, et Philiscus de Thasos, qui vécut dans les lieux déserts élevant des abeilles, et qui fut surnommé le Sauvage. Tous deux ont écrit sur les abeilles. [11,10] (X.) <1> Voici la règle de leur travail : pendant le jour, une garde veille aux portes comme dans les camps; pendant la nuit on se repose, jusqu'au matin, qu'une abeille éveille les autres en bourdonnant deux ou trois fois, comme si elle sonnait de la trompette. Alors elles s'envolent toutes ensemble, si la journée doit être douce ; elles prévoient en effet les vents et les pluies, et se tiennent renfermées dans leur ruche. Quand le temps est beau (et elles ont aussi la faculté de le deviner), la troupe sort et va se mettre à l'ouvrage : les unes chargent de fleurs leurs pattes, les autres remplissent d'eau leur bouche, et de gouttes tout le duvet de leur corps. <2> La jeunesse travaille ainsi au dehors, et rapporte ces provisions; les abeilles plus âgées s'occupent à l'intérieur. Celles qui portent les fleurs chargent avec leurs pattes de devant leurs pattes de derrière, qui à cette fin sont rugueuses, et leurs pattes de devant avec leur trompe; puis, toutes chargées, reviennent pliant sous le faix. Elles sont reçues par trois ou quatre abeilles, qui les déchargent. Car, à l'intérieur aussi, les emplois sont divisés : les unes construisent, les autres polissent; d'autres passent les matériaux, d'autres préparent des aliments avec ce qui a été apporté. <3> En effet, elles ne mangent pas à part, pour qu'il n'y ait aucune inégalité ni dans le travail, ni dans la nourriture, ni dans la distribution du temps. Elles commencent leurs constructions à la voûte de la ruche, et, comme dans le tissage de la toile, elles conduisent la contexture de leurs cellules de haut en bas, laissant deux sentiers autour de chaque construction, pour l'entrée des unes et la sortie des autres. Les rayons, fixés par le haut et aussi un peu par le côté, tiennent ensemble et sont également suspendus ; ils ne touchent pas le plancher ; ils sont anguleux ou ronds, suivant que l'exige la forme de la ruche ; quelquefois anguleux et ronds, lorsque deux essaims qui vivent dans la concorde ont des procédés différents. Elles soutiennent les rayons qui s'affaissent, à l'aide de piliers partant du sol et disposés en arcades, pour que le passage ne soit pas fermé aux réparations. <4> Elles laissent vides les trois premières rangées environ, pour ne pas exposer à la vue ce qui pourrait tenter les voleurs. Les dernières rangées sont les plus remplies de miel ; aussi est-ce par le derrière de la ruche qu'on retire les rayons. Les abeilles chargées recherchent les vents favorables; s'il s'élève un orage, elles prennent une petite pierre dont le poids leur sert de lest ; quelques auteurs prétendent qu'elles la mettent sur leur épaule. Quand le vent est contraire, elles volent à ras-terre, en évitant les ronces. Le travail est merveilleusement surveillé. Les paresseuses sont remarquées, puis châtiées, enfin punies de mort. Leur propreté est extraordinaire : elles enlèvent tout de la ruche, et ne laissent aucune immondice au milieu de leurs travaux. Les excréments des ouvrières sont accumulés en un seul endroit dans l'intérieur, afin qu'elles ne s'écartent pas trop loin ; et, dans les journées de mauvais temps, quand on ne travaille pas, elles les transportent au dehors. <5> Sur le soir le bourdonnement va diminuant dans la ruche, jusqu'à ce qu'une abeille volant autour, et faisant entendre un bourdonnement semblable à celui du réveil, donne, pour ainsi dire, le signal du repos. C'est encore une habitude militaire. Alors soudainement toutes gardent le silence. (XI.) Elles construisent d'abord des maisons pour la multitude, puis pour les rois : si on attend une année abondante, elles ajoutent des logements pour les bourdons; ce sont les plus petites cellules, bien que les bourdons soient plus gros que les abeilles. [11,11] <1> Les bourdons sont sans aiguillon, espèce d'abeilles imparfaites, produites les dernières, ébauchées par des parents fatigués et épuisés, progéniture tardive, et, pour ainsi dire, les esclaves des abeilles véritables. Aussi leur commandent-elles; elles les poussent les premiers à l'ouvrage, et punissent sans miséricorde leur paresse. Les bourdons non seulement les aident dans leur travail, mais encore ils leur sont utiles pour la propagation de l'espèce, la multitude contribuant beaucoup à entretenir la chaleur. Dans tous les cas, plus le nombre de ces bourdons est grand, plus la production des essaims est féconde. Lorsque le miel commence à mûrir, elles les chassent; et, se mettant plusieurs après un seul, elles les tuent. Ces bourdons ne se voient qu'au printemps. Un bourdon auquel on a ôté les ailes, remis dans la ruche, les enlève aux autres. [11,12] <1> Dans le bas de la ruche elles construisent, pour leurs chefs futurs, des palais spacieux, magnifiques, séparés, et surmontés d'une espèce de dôme; si on ôte cet appendice, il ne se produit pas de progéniture. Toutes les cellules sont hexagones, chaque patte ayant fait son côté. Aucun travail n'est à jour fixe; mais elles se hâtent, pendant les beaux temps, d'accomplir leur tâche; en une ou deux journées au plus elles remplissent les cellules de miel, (XII.) Cette substance vient de l'air, surtout au lever des constellations; elle se fait principalement quand Sirius est dans son éclat, jamais avant le lever des Pléiades, au moment de l'aube. <2> Aussi trouve-t-on alors, à la première aurore, les feuilles des arbres humectées de miel ; et ceux qui le matin sont en plein air sentent que leurs vêtements et leurs cheveux sont enduits d'une liqueur onctueuse. Sueur du ciel, ou espèce de salive des astres, ou suc de l'air qui se purifie, plût aux dieux que le miel fût pur, limpide, et tel qu'il a coulé d'abord! mais, tombant d'une aussi grande hauteur, il se salit beaucoup dans son trajet vers nous, et il se corrompt par les exhalaisons terrestres qu'il rencontre ; en outre, il est pompé sur le feuillage et les herbages, accumulé dans les petites poches des abeilles (car elles dégorgent par leurs trompes), altéré par le suc des fleurs, macéré dans les ruches, et modifié mille fois; néanmoins il fait éprouver un grand plaisir, effet de son origine céleste. [11,13] (XIII.) <1> Il est toujours le meilleur là où il a pour réservoirs les calices des fleurs les plus exquises. Les plus renommés sont ceux du mont Hymette en Attique et du mont Hybla en Sicile, puis ceux de l'île Calydna (IV, 23, 5; V, 36, 1). Au commencement le miel est liquide comme de l'eau ; il bouillonne pendant les premiers jours comme du moût, et il se purifie; au vingtième jour il s'épaissit, puis il se couvre d'une pellicule mince : c'est l'écume qui se concrète par l'effet de la chaleur. Le meilleur au goût, celui qui est le moins altéré par les feuilles, provient des feuilles du chêne, du tilleul et des roseaux. [11,14] (XIV.) <1> L'excellence des produits dépend, comme nous venons de le dire, du pays, mais à divers titres : ici, en effet, des rayons remarquables par la cire, comme chez les Pélignes et en Sicile; là, un miel abondant comme en Crète, en Chypre, en Afrique ; ailleurs, la grandeur du rayon est extraordinaire : comme dans les régions septentrionales ; on en a vu en Germanie un de huit pieds de long, noir dans la partie creuse. <2> Toutefois, en quelque contrée que ce soit, on distingue trois espèces de miels. La première est le miel du printemps : le rayon a été formé avec les fleurs; on l'appelle anthinum (g-anthos, fleur). Quelques-uns défendent d'y toucher, afin qu'une nourriture abondante produise une génération vigoureuse ; pour d'autres, c'est le miel dont il faut laisser le moins aux abeilles, parce que les produits abonderont au lever des grandes constellations. Du reste, le solstice d'été, quand le thym (XXI, 81) et la vigne commencent à fleurir, est le moment principal de l'approvisionnement des cellules. <3> Il est une juste mesure à garder en taillant les ruches : la disette désespère les abeilles, elles meurent ou elles s'enfuient ; au contraire, l'abondance les rend paresseuses, et alors elles se nourrissent de miel et non d'érithace. Aussi les bons éleveurs laissent aux abeilles un douzième. Le jour fixé pour commencer la récolte est déterminé par une sorte de loi naturelle : je dirai, pour ceux qui veulent savoir ou pratiquer, que c'est le trentième jour après la sortie de l'essaim ; cette récolte se fait presque toujours dans le mois de mai. <4> La seconde espèce est le miel d'été ; on l'appelle g-hohraion, parce qu'il est produit dans la saison (g-hohra, saison) la plus favorable, quand Sirius est dans tout son éclat, trente jours environ après le solstice. La nature a révélé dans cette substance aux mortels des propriétés merveilleuses; mais la fraude de l'homme falsifie et perd toutes choses. Après le lever de chaque constellation, mais surtout des constellations de premier rang, ou l'apparition de l'arc-en-ciel, s'il ne survient pas de la pluie et que la rosée s'échauffe par les rayons du soleil, ce ne sont plus des miels, ce sont des médicaments qui se produisent ; dons célestes pour les yeux, les plaies et les viscères intérieurs. Si on recueille ce miel au lever de Sirius, et que le lever de Vénus, ou de Jupiter, ou de Mercure, tombe le même jour, ce qui arrive souvent, la douceur de cette substance, et la vertu qu'elle possède pour rappeler les mortels à la vie, ne sont pas moindres que celles du divin nectar. [11,15] (XV.) <1> Le miel est plus abondant dans la pleine lune, plus gras dans un jour serein. Dans tout miel, celui qui a coulé spontanément, comme la mère-goutte et l'huile vierge, et qu'on appelle acetum, est le plus estimé. Tout miel d'été est d'une couleur rouge, ayant été produit dans des journées plus sèches. Le miel blanc ne se fait pas avec du thym ; on le regarde comme très bon pour les yeux et les plaies. Quant à celui qui provient du thym, il est d'une couleur d'or et d'un goût très agréable. Celui que nous voyons formé dans les calices des fleurs est gras; celui du romarin (XXIV, 59) est épais ; celui qui a des grumeaux est très peu estimé. Le miel du thym ne se coagule pas, il est filant au toucher; c'est la première preuve de sa pesanteur. <2> Quand il se détache aussitôt et rejaillit en gouttes, c'est la preuve qu'il ne vaut rien. Les autres conditions, c'est qu'il soit parfumé, d'un doux tirant sur l'acre, gluant et transparent. Cassius Dionysius pense qu'on doit laisser aux abeilles le dixième de la récolte d'été, si les ruches sont pleines; si elles ne le sont pas, une part proportionnée ; et si elles sont vides, il ne faut pas y toucher du tout. Les habitants de l'Attique ont fixé l'époque de cette récolte au commencement de la caprification; d'autres, au jour consacré à Vulcain (en août). <3> (XVI.) La troisième espèce de miel, la moins estimée, est le miel sauvage; on l'appelle miel de bruyère. Les abeilles le recueillent après les premières pluies d'automne, lorsque la bruyère seule fleurit dans les forêts ; aussi a-t-il l'aspect sablonneux. Il se produit principalement après le lever d'Arcturus, à partir de la veille des ides de septembre (19 septembre). Quelques-uns retardent la récolte d'été jusqu'au lever d'Arcturus, parce que de là jusqu'à l'équinoxe d'automne il reste quatorze jours, et que de l'équinoxe au coucher des Pléiades, pendant quarante-huit jours, la bruyère est le plus abondante. <4> Les Athéniens appellent cette plante tétralix, les Eubéens sisare ; ils la regardent comme très agréable aux abeilles : elle ne l'est peut-être que parce qu'alors il n'y a pas d'autres fleurs. Cette récolte se termine donc avec les vendanges et le coucher des Pléiades, vers les ides de novembre (18 novembre). L'expérience enseigne, qu'il faut laisser aux abeilles deux tiers de cette récolte, indépendamment de la partie des rayons qui contient l'érithace. Depuis le solstice d'hiver jusqu'au lever d'Arcturus, pendant soixante jours, elles sont plongées dans un sommeil qui leur tient lieu de toute nourriture. Depuis le lever d'Arcturus jusqu'à l'équinoxe du printemps, dans les climats plus chauds, elles sont éveillées, mais elles se tiennent renfermées dans leur ruche, et ont recours aux provisions qu'elles ont mises en réserve pour cette époque; mais en Italie elles y ont recours après le lever des Pléiades; elles dorment jusqu'à cette époque. <5> Quelques-uns en retirant le miel le pèsent, et en prennent autant qu'ils en laissent : l'équité doit être observée même à leur égard, et on assure qu'elles meurent si le partage est frauduleux. On recommande avant tout que la personne chargée de retirer le miel soit lavée et propre. Elles haïssent les voleurs (XIX, 37), et les femmes pendant la menstruation. Quand on retire le miel, il est très avantageux de les chasser par la fumée, de peur qu'elles ne s'irritent, et qu'elles ne dévorent avidement le miel. On emploie souvent la fumée pour les réveiller de leur paresse au travail, car si elles ne restent pas sur les gâteaux, ils deviennent livides. D'un autre côté, en les enfumant trop souvent, on les infecte; le miel, qui s'aigrit au moindre contact de la rosée, se ressent très promptement du mal quelles éprouvent : aussi, parmi les diverses espèces de miels, on en a une qu'on appelle acapnos (sans fumée). [11,16] <1> La génération des abeilles a été parmi les savants un objet de grandes controverses et de recherches subtiles ; en effet, on ne les a jamais vues s'accoupler. Plusieurs ont pensé qu'elles devaient naître de fleurs artistement arrangées pour cette destination : quelques-uns admettent qu'elles proviennent de l'accouplement d'un seul individu qui est appelé roi dans chaque essaim; qu'il est le seul mâle; qu'il l'emporte par la taille pour qu'il ne s'épuise pas; qu'aussi nulle progéniture n'est produite sans lui ; que les autres abeilles sont des femelles qui l'accompagnent en sa qualité de mâle, et non de chef. Cette opinion, du reste probable, est réfutée par la génération des bourdons. Comment, en effet, se pourrait-il que le même accouplement produisit des individus parfaits et des individus imparfaits ? L'opinion que j'ai rapportée la première serait plus vraisemblable, s'il ne s'y présentait une difficulté différente: en effet, il naît quelquefois à l'extrémité des rayons des abeilles plus grosses, qui mettent les autres en fuite ; cette espèce nuisible s'appelle oestrus. Comment naît-elle, si les abeilles façonnent elles-mêmes leur progéniture? <2> Un fait certain, c'est qu'elles couvent à la manière des poules : ce qui éclôt présente d'abord l'apparence d'un vermisseau blanc, couché en travers, et tellement adhérent à la cire, qu'il en paraît être une partie intégrante. Le roi est, dès le premier temps, de la couleur du miel, comme étant formé du choix de toutes les fleurs ; ce n'est pas un vermisseau, et tout d'abord il a des ailes. Les autres abeilles, quand elles commencent à prendre une forme, s'appellent nymphes, comme les bourdons se nomment sirènes ou céphènes. Si on ôte la tête à l'une ou à l'autre espèce avant qu'elles aient des ailes, le reste du corps est le mets le plus agréable pour les mères. Au bout de quelque temps elles leur instillent de la nourriture, et elles les couvent en bourdonnant très fort, pour produire, pense-t-on, la chaleur qui est nécessaire à l'éclosion des petits. Enfin, les membranes qui les enveloppent, comme l'œuf enveloppe le poussin, se rompent, et toute l'armée paraît à la lumière. <3> Cela a été vu aux environs de Rome, à la campagne d'un consulaire qui avait fait des ruches avec la corne transparente des lanternes. Les petits ont pris tout leur développement en quarante-cinq jours. Dans certains rayons il se forme ce qu'on appelle le clou; c'est une cire dure et amère qu'on rencontre quand elles n'ont pas mené à bien leur couvain, soit par maladie, soit par paresse, soit par une stérilité naturelle ; c'est l'avortement des abeilles. Les petits, aussitôt après leur éclosion, travaillent avec les mères comme pour se former; leur jeune roi est accompagné d'un essaim de son âge. <4> Les abeilles, dans la crainte de manquer de rois, en élèvent plusieurs; puis, quand la progéniture royale commence à grandir, elles s'accordent unanimement pour mettre à mort les plus mauvais, de peur qu'ils ne soient une cause de discorde. Il y en a de deux sortes; le meilleur est noir et tacheté. Tous ces rois ont toujours une forme distinguée; ils sont deux fois plus gros que les autres, leurs ailes sont plus courtes, leurs pattes sont droites, leur démarche est plus fière, et sur le front ils ont une tache blanche en forme de diadème : ils diffèrent beaucoup aussi du vulgaire par leur éclat. [11,17] (XVII.) <1> Qu'on recherche maintenant s'il y a eu plusieurs Hercule, et combien de Bacchus, et ces autres questions ensevelies dans les profondeurs de l'antiquité. Voici une petite chose, elle est attachée à nos maisons de campagne, on l'a constamment sous la main ; et cependant les auteurs ne sont pas d'accord sur ceci : si le roi seul est sans aiguillon, sans autre arme que la majesté; ou si la nature, lui en ayant donné un, s'est contentée de lui en refuser l'usage. Ce qui est certain, c'est que le roi ne se sert pas de l'aiguillon. Le peuple lui obéit merveilleusement. Quand le roi sort, tout l'essaim est avec lui, se groupe alentour, l'enveloppe, le protège, et ne le laisse pas voir. Le reste du temps, quand le peuple est à l'ouvrage, le roi visite les travaux dans l'intérieur, paraît donner des exhortations, et seul est exempt du travail. <2> Il a autour de lui des espèces de satellites et de licteurs, gardes assidus de son autorité. Il ne sort de la ruche que quand l'essaim doit émigrer. Cette émigration se connaît longtemps d'avance à un bourdonnement qui, entendu pendant quelques jours dans 1'intérienr, indique que les abeilles, attendant une journée favorable, font leurs apprêts. Si on coupe une aile au roi, l'essaim ne part pas. Quand elles sont en route, chacune ambitionne de s'approcher de lui, et se réjouit d'être remarquée, remplissant son devoir; fatigué, elles le soulèvent sur leurs épaules ; plus fatigué encore, elles le portent tout à fait. Si une d'elles reste en arrière par lassitude, ou s'égare, elle suit le reste à l'odeur. Le camp est toujours là où il s'arrête. [11,18] <1> Alors elles forment pour les particuliers et pour les États, suspendues en grappe dans les maisons ou dans les temples, des présages souvent accomplis par de grands événements. Elles se posèrent sur la bouche de Platon encore enfant, annonçant ainsi la suavité de cette éloquence si douce ; elles se posèrent au camp de Drusus imperator (frère de Tibère), lors de l'éclatante victoire d'Arbalon (Germanie : preuve que les conjectures des aruspices ne sont pas immanquables, car ils pensent que c'est toujours un funeste augure). En tenant le chef, on tient tout l'essaim; le chef perdu, la troupe se disperse et se joint à d'autres chefs. <2> Jamais elles ne peuvent être sans roi. Elles les tuent à regret, quand il y en a plusieurs ; et elles préfèrent détruire les cellules de ceux qui naissent, quand elles désespèrent de la récolte; alors elles chassent aussi les bourdons. A l'égard de ces derniers il y a des doutes ; et quelques auteurs pensent qu'ils forment une espèce à part, comme cette abeille très grande parmi les autres, appelée larronnesse, parce qu'elle dévore furtivement le miel, mais noire et à large ventre. Il est certain que les abeilles mettent à mort les bourdons ; ces derniers n'ont pas de roi. Mais comment naissent-ils sans aiguillon, c'est ce qu'on n'explique pas. <3> Avec un printemps humide, les essaims multiplient davantage; avec un printemps sec, le miel est plus abondant. Si une ruche vient à manquer de nourriture, l'essaim dirige une attaque contre la ruche voisine, dans le dessein de la piller; les autres se rangent en bataille pour résister; et si un gardien est présent, celui des deux essaims qui se sent soutenu par lui ne l'attaque pas. Elles se livrent souvent aussi des combats pour d'autres causes, et les deux généraux rangent l'une contre l'autre les armées ennemies. C'est surtout dans la récolte des fleurs que surgissent les querelles; chacune appelle ses compagnes à son secours. Un peu de poussière ou de fumée sépare les combattants. Les deux partis se réconcilient, si on les mouille avec du lait ou de l'eau miellée. [11,19] (XVIII.) <1> Il y a aussi des abeilles des campagnes et des bois, d'un aspect rude, beaucoup plus irascibles, mais l'emportant par le travail et le produit. Les abeilles domestiques sont de deux espèces : les meilleures sont courtes, nuancées, et ramassées dans leur rondeur ; celles qui sont allongées, et ont la forme des guêpes, sont mauvaises, et encore plus, parmi ces dernières, les velues. Dans le Pont il y a une espèce blanche, qui fait du miel deux fois par an. Sur les bords du fleuve Thermodon on en trouve deux espèces, l'une qui fait le miel sur les arbres, l'autre, sous terre; toutes deux construisent un triple gâteau et sont très productives. <2> La nature a donné aux abeilles un aiguillon attaché au ventre. Quelques-uns pensent qu'au premier coup il reste fixé dans la piqûre, et que l'abeille meurt aussitôt ; suivant d'autres, ce n'est qu'autant qu'il a été enfoncé assez avant pour entraîner une portion de l'intestin ; ils ajoutent qu'après avoir perdu leur aiguillon elles deviennent des bourdons ; qu'elles ne font plus de miel, châtrées pour ainsi dire, et incapables également de nuire et d'être utiles. On cite des exemples de chevaux tués par elles. <3> Elles haïssent les mauvaises odeurs, les fuient au loin, et même les parfums artificiels; aussi attaquent-elles ceux qui sont parfumés. Elles-mêmes sont exposées aux attaques de plusieurs animaux : les guêpes et les frelons, de la même race, mais abâtardis, leur font la guerre, et même une espèce de cousins qu'on nomme mulions leur est nuisible. Les hirondelles et d'autres oiseaux les détruisent. La grenouille les guette quand elles vont chercher de l'eau, ce qui est leur grande occupation pendant le temps où elles élèvent leur progéniture. Et ce ne sont pas seulement les grenouilles qui occupent les étangs et les ruisseaux, mais la grenouille buissonnière vient même les chercher, et, se traînant jusqu'à la porte de la ruche, elle souffle par cette ouverture : au bruit les abeilles arrivent, et sont aussitôt enlevées. On dit que les grenouilles ne sentent pas les piqûres des abeilles. Les moutons encore sont dangereux pour elles; elles s'embarrassent dans la toison. L'odeur des écrevisses que l'on fait cuire dans le voisinage leur cause la mort. [11,20] <1> Elles sont aussi sujettes par leur propre nature à des maladies. On s'en aperçoit aux indices suivants : elles sont tristes, dans la torpeur ; les unes offrent des aliments à des malades amenées devant la porte de la ruche à la chaleur du soleil; les autres emportent les mortes, et accompagnent les corps comme pour leur rendre les derniers devoirs. Si le roi périt par ce fléau, le peuple reste plongé dans une douleur inerte; les abeilles ne ramassent plus d'aliments, elles ne sortent plus, elles ne font que se grouper autour de son corps, avec un bourdonnement triste. On l'enlève en écartant cette multitude ; autrement la vue de leur roi mort entretiendrait leur deuil. Alors aussi, si on ne vient pas à leur secours, elles meurent de faim. C'est donc à leur allégresse et à leur bonne apparence qu'on juge de leur santé, (XIX.) Il y a aussi des maladies qui affectent leurs produits : le cleros quand elles ne remplissent pas leurs rayons, et la blapsigonie quand elles ne mènent pas à bien leur progéniture. [11,21] <1> L'écho, dont le son redoublé les frappe et les effraye, leur nuit ainsi que le brouillard. Les araignées leur font le plus de mal ; quand elles sont parvenues à tendre leur toile dans la ruche, elles tuent tout l'essaim. Ce papillon (teigne des ruches, phalœna tinea mellonella et phalœna tortrix cereana), lâche et vil, qui vole autour des flambeaux allumés, leur est funeste, et de plus d'une façon : il mange la cire, et laisse des excréments qui engendrent des teignes ; de plus, partout où il va il masque les fils d'araignée, qu'il couvre du duvet de ses ailes. Il s'engendre aussi dans le bois même de la ruche des teignes, qui font des ravages surtout dans la cire. Les abeilles sont encore victimes de leur propre avidité : quand elles se gorgent de fleurs, surtout au printemps, il en résulte le cours de ventre. <2> L'huile tue les abeilles comme tous les autres insectes, surtout si on les met au soleil après leur en avoir enduit la tête. Quelquefois aussi elles s'occasionnent la mort à elles-mêmes lorsque, voyant qu'on se dispose à enlever leur miel, elles se mettent à le dévorer. Du reste, elles sont très économes; et, dans les autres circonstances, elles chassent les abeilles prodigues et gourmandes, non moins que les paresseuses et les lâches. Leur miel même leur nuit : enduites par-devant avec cette substance, elles meurent. Tels sont les ennemis, tels sont les accidents (et je n'en ai rappelé que la moindre partie) auxquels un animal aussi bienfaisant est exposé; nous dirons en lieu et place les remèdes (XXI, 42) ; maintenant il s'agit de leur histoire. [11,22] (XX.) <1> Le tintement de l'airain les réjouit et les rallie ; ce qui prouve qu'elles sont aussi douées du sens de l'ouïe. Leurs travaux terminés, leur progéniture élevée, quittes de toute besogne, elles se livrent à des exercices solennels : elles se répandent dans la campagne, s'élèvent dans l'air, volent en tournant, jusqu'à ce que l'heure du repas les rappelle. Le terme le plus long de leur existence, en supposant qu'elles échappent aux ennemis et aux accidents, est de sept ans au plus ; on dit que jamais ruche n'a duré plus de dix ans. Il y a des gens qui pensent que, après leur mort, conservées pendant l'hiver dans la maison, exposées au soleil du printemps et échauffées pendant un jour entier dans de la cendre de figuier, elles reviennent à la vie. [11,23] <1> Selon ces auteurs, l'espèce étant complètement détruite, on peut la renouveler dans le ventre d'un boeuf tué récemment et couvert de fumier : d'après Virgile (Géorg. IV, 284), avec le cadavre d'un jeune taureau, de même qu'on reproduit les guêpes et les frelons avec le cadavre des chevaux, et les scarabées avec celui des ânes, la nature opérant des métamorphoses d'une espèce en une autre. Mais on aperçoit l'accouplement des guêpes, des frelons et des scarabées, cependant leurs petits s'élèvent à peu près de la même manière que ceux des abeilles. [11,24] (XXI) <1> Les guêpes font, avec de la boue, des nids dans des lieux élevés, et de la cire dans ces nids ; les frelons les font dans des trous ou sous terre. Les cellules sont hexagones chez ce deux espèces. Leur cire ressemble à de l'écorce et à de la toile d'araignée. Il n'y a pas dans cette race barbare de régularité dans la naissance des petits; l'un prend son vol, un autre est à l'état de nymphe, un troisième à l'état de ver. Tout cela s'opère en automne, et non au printemps; c'est surtout pendant la pleine lune qu'ils croissent. <3> Les guêpes appelées ichneumons (elles sont plus petites que les autres) tuent une espèce d'araignée qu'on nomme phalange; elles portent le corps dans leur nid, le couvrent d'un enduit, et en font naître par l'incubation leur progéniture. Toutes les guêpes se nourrissent de chair tandis que les abeilles ne touchent à aucune substance animale. Les guêpes pourchassent les grosses mouches; elles leur coupent la tête, et emportent le reste du corps. Les frelons des bois vivent dans les trous des arbres; en hiver, ils se tiennent cachés comme les autres insectes; leur vie ne passe pas deux ans. <4> Leur piqûre ne manque guère de causer la fièvre. Des auteurs disent que trois fois neuf piqûres suffisent pour tuer un homme. D'autres frelons qui paraissent moins malfaisants, sont divisés en deux espèces : les ouvriers, plus petits de corps, qui meurent en hiver; les mères, qui durent deux ans; ces dernières sont inoffensives. Ils font au printemps des nids qui d'ordinaire ont quatre ouvertures, et dans lesquels les ouvriers sont engendrés; ils construisent (ceux-ci venus à bien) d'autres nids plus grands pour élever la mères qui doivent naître; des ce moment les ouvriers commencent à s'acquitter de leurs fonctions, et ils les nourrissent. Les mères sont plus larges; et on ne sait si elles ont un aiguillon, attendu qu'elles ne le font jamais voir. Les frelons ont aussi leurs bourdons; des auteurs pensent que lues ces insectes perdent leurs aiguillons à l'hiver. Les frelons et les guêpes n'ont pas de rois et ne forment pas d'essaims; la multitude se renouvelle successivement par des procréations. [11,25] (XXII) <1> Une quatrième espèce analogue aux précédentes est le bombyx; il vient en Assyrie; il est plus grand que ceux dont nous venons de parler. Les bombyx construisent avec de la boue leurs nids, qui ont l'apparence du sel, qui sont appliqués contre les pierres, et tellement durs qu'on peut à peine la percer avec un dard. Ils y font de la cire en plus grande quantité que le abeilles; le ver qu'ils produisent est plus gros (abeilles maçonnes). [11,26] <1> Voici d'autres bombyx, dont l'origine est différente: ils proviennent d'un gros ver munie de deux cornes particulières proéminentes. Ce ver devient d'abord chenille, puis ce qu'on appelle bombyle; de cet état il passe à celui de nécydale, et au bout de six mois à celui de bombyx. Ces insectes forment, comme les araignées, des toiles, dont on fait, pour l'habillement et la toilette des femmes, une étoffe nommée bombycine. L'art de les dévider et d'en faire un tissu a été inventé dans l'île de Céos (IV, 20) par Pamphila, fille de Latoüs : ne la privons pas de la gloire d'avoir imaginé pour les femmes un vêtement qui les montre nues. [11,27] (XXII.) <1> On dit qu'il naît aussi des bombyx dans l'île de Cos, les exhalaisons de la terre donnant la vie aux fleurs que les pluies ont fait tomber du cyprès, du térébenthinier, du frêne, du chêne. Ce sont d'abord de petits papillons nus; bientôt, ne pouvant supporter le froid, ils se couvrent de poils, et se font contre l'hiver d'épaisses tuniques, en arrachant avec les aspérités de leurs pieds le duvet des feuilles. Ils forment un tas de ce duvet, le cardent avec leurs ongles, le traînent entre les branches, le rendent fin comme avec un peigne, puis le roulent autour d'eux, et s'en forment un nid qui les enveloppe. <2> C'est dans cet état qu'on les prend ; on les met dans des vases de terre, on les y tient chauds, les nourrissant avec du son : alors il leur naît des plumes d'une espèce particulière ; et quand ils en sont revêtus, on les renvoie travailler à une nouvelle tâche. Leurs coques jetées dans l'eau s'amollissent, puis on les dévide sur un fuseau de jonc. Les hommes n'ont pas eu honte de se servir de ces étoffes, parce qu'elles sont légères en été. Les mœurs ont tellement dégénéré, que, loin de porter la cuirasse, on trouve trop lourd même un vêtement. Toutefois, nous laissons jusqu'à présent aux femmes le bombyx d'Assyrie. [11,28] (XXIV.) <1> Il ne sera pas déraisonnable de joindre ici l'histoire des araignées, digne d'une admiration toute particulière. Il y en a plusieurs espèces, qu'il n'est pas nécessaire de nommer, parce qu'elles sont très connues. On nomme phalanges (XXIX, 27) des araignées dont la morsure est venimeuse, le corps petit, bigarré, pointu, et qui avancent par sauts. <2> Une autre espèce de phalange est noire, et a les pattes de devant très longues. Toutes ont trois articulations aux pattes. Parmi les araignées-loups les petites ne font pas de toile ; les grosses tendent des toiles au-devant du vestibule étroit de leur trou, dans la terre. Une troisième espèce d'araignée-loup est remarquable par l'habileté de ses opérations : elle ourdit ses toiles, et son abdomen suffit aux matériaux d'un si grand travail, soit que, comme le veut Démocrite, les résidus contenus dans le ventre se transforment régulièrement à cet effet, soit qu'elle ait en elle-même la faculté de produire une espèce de laine. Avec quel ongle régulier, avec quel fil uni et égal elle conduit sa trame, son propre corps lui servant de poids ! <3> Elle commence par le milieu son tissu, qu'elle étend par des anneaux comme tracés au compas; les mailles, d'étroites qu'elles sont, vont s'élargissant graduellement, à des intervalles toujours égaux, et elle les assujettit par un nœud indissoluble. Avec quel art elle cache ses filets disposés en réseau ! Qu'il y a loin, ce semble, d'un piège à cette toile moelleuse et peluchée, à cette trame tenace et qu'on dirait polie par l'art? Que le fond en est lâche pour céder aux vents, et ne pas repousser ce qui arrive ! Vous croiriez que l'araignée fatiguée a laissé au haut de sa toile les fils qui y sont tendus ; mais ces fils se voient difficilement, et, comme les cordons de nos filets qu'on vient à heurter, ils précipitent la proie au fond de la toile. <4> La caverne même, avec quelle habileté d'architecture elle est voûtée ! Combien elle est plus rembourrée que le reste contre le froid ! Comme l'araignée se tient à l'écart, et paraît occupée de tout autre chose ! tellement renfermée qu'on ne peut voir s'il y a ou non quelqu'un dans l'intérieur. Ajoutez la solidité : quels vents peu vent rompre cette toile? quel amas de poussière peut la faire tomber? la largeur : c'est souvent l'espace entre deux arbres, quand l'insecte s'exerce et apprend à tisser; la longueur : l'araignée étend son fil du haut de l'arbre au sol, et du sol remonte rapidement le long de ce fil ; et en remontant elle en fait un autre. <5> Quand une proie s'est prise, quelle vigilance, et quelle promptitude à accourir! Quand même la proie serait à l'extrémité de la toile, elle court toujours au milieu, parce que c'est de cette façon qu'elle secoue le plus sa toile, et enlace le captif. Sa toile déchirée, elle la répare aussitôt, et la reprise ne se voit pas. Elle fait même la chasse aux petits des lézards : elle leur enveloppe d'abord la tête avec sa toile, et alors elle leur mord les lèvres; spectacle digne de l'amphithéâtre pour celui qu'un hasard heureux en rend témoin. L'araignée fournit aussi des présages : quand les rivières doivent croître, elle place sa toile plus haut. Ces insectes ne tissent pas par un temps serein, ils tissent par un temps nuageux ; aussi le grand nombre de toiles d'araignées est une annonce de pluie. On pense que celle qui tisse est la femelle, et celle qui va à la chasse, le mâle : ainsi dans ce ménage les services sont égaux. [11,29] <1> Les araignées s' accouplent par derrière; elles produisent des vermisseaux semblables à des œufs. Je ne veux pas remettre à parler de leur génération, car il n'y a presque rien autre à dire sur les insectes. Elles pondent ces œufs dans les toiles, mais dispersés, parce qu'elles sautent en les pondant. Les phalanges seules en couvent un grand nombre dans leur trou ; dès que la progéniture a éclos, elle dévore la mère et souvent le père; car celui-ci aide aussi à l'incubation. Elles font jusqu'à trois cents œufs ; les autres en font moins. Elles couvent trois jours ; les petits ont atteint leur développement au bout de quatre septénaires. [11,30] (XXV.) <1> De la même façon les scorpions de terre produisent des vermisseaux en forme d'oeufs, et de la même façon ils périssent. C'est une bête dangereuse, dont le venin est semblable à celui des serpents ; avec cette seule différence que le supplice est plus cruel, la mort étant lente et ne venant qu'au bout de trois jours. La piqûre est mortelle pour les vierges toujours, presque toujours pour les femmes; elle l'est pour les hommes le matin, quand le scorpion, sortant de son trou à jeun, n'a pas encore déchargé son venin par un coup fortuit. <2> Sa queue est toujours en action; elle menace incessamment, pour ne jamais faillir à l'occasion. Il frappe de biais, et en repliant sa queue. Apollodore assure que le venin des scorpions est blanc : il les a divisés en neuf espèces, principalement d'après la couleur ; mais à quoi bon ? car on ne sait quels sont ceux qu'il regarde comme moins dangereux. Il ajoute que quelques-uns ont deux aiguillons, et que les mâles, car il leur attribue l'accouplement, sont les plus funestes (on les reconnaît à leur corps mince et allongé) ; <3> que tous ont du venin au milieu de la journée, quand les ardeurs du soleil les ont échauffés, et aussi lorsqu'ils ont soif; or, ils sont toujours altérés. Il est certain que ceux qui ont sept articulations à la queue sont plus redoutables; la plupart n'en ont que six. Ce fléau de l'Afrique, les vents du midi lui donnent des ailes, l'insecte étendant ses bras et s'en servant comme de rames. Le même Apollodore dit expressément que quelques-uns ont vraiment des ailes (panorpes ou mouches-scorpions?). Souvent les Psylles, qui, colportant les venins des autres contrées pour gagner de l'argent, ont rempli l'Italie de fléaux étrangers ; les Psylles, dis-je, ont aussi essayé d'y importer les scorpions volants ; mais ces insectes n'ont pu vivre au delà du climat de la Sicile. <4> On en voit quelquefois en Italie, mais ils sont inoffensifs, ainsi qu'en beaucoup d'autres lieux, par exemple près de Pharos en Égypte. Dans la Scythie, ils tuent même les porcs, qui ailleurs résistent mieux que d'autres animaux à de pareils venins ; et les noirs plus vite que les autres, s'ils se plongent dans l'eau. On pense qu'un homme piqué se guérit en buvant de la cendre de scorpion dans du vin (XXIX, 29). On croit que rien n'est plus contraire aux scorpions que l'huile, ainsi qu'aux stellions : ces derniers ne sont inoffensifs que pour les animaux dépourvus aussi de sang ; ils ressemblent aux lézards. En général, les scorpions ne font pas de mal aux animaux qui n'ont pas de sang. <5> Quelques auteurs pensent qu'ils dévorent leurs petits; que le plus adroit échappe seul, se plaçant sur le derrière de sa mère, et par là se trouvant à l'abri de la morsure et de la queue; qu'il est le vengeur des autres, et que, de cette position élevée, il finit par mettre à mort ses parents. La portée est de onze petits. [11,31] (XXVI.) <1> Les stellions (XXIX, 22) (gecko, lacerta mauritanica) tiennent jusqu'à un certain point de la nature des caméléons; ils ne vivent que de rosée; ils mangent aussi des araignées (VIII, 95 ; XI, 28; XXX, 27). [11,32] <1> Les cigales vivent aussi de rosée; il y en a deux espèces : les plus petites viennent les premières et périssent les dernières, elles sont muettes; l'autre espèce vole rarement; celles qui chantent sont nommées achètes (chanteuses), et les plus petites d'entre elles, tettigontes ; mais les grandes ont plus de voix. Dans tous les cas, les mâles chantent; les femelles sont muettes. Des nations orientales en mangent, même les Parthes, qui sont dans l'abondance. <2> On préfère les mâles avant l'accouplement, les femelles après, lorsqu'elles ont conçu leurs œufs, qui sont blancs. Elles s'accouplent renversées. Elles ont au dos une pointe dure et très aiguë, avec laquelle elles creusent une loge en terre pour leurs petits. C'est d'abord un vermisseau, devenant ensuite ce qu'on appelle tettigomètre (mère des cigales); la coque se rompt vers le solstice d'été et laisse s'envoler les petits, toujours pendant la nuit. Les cigales sont d'abord noires et dures. De tous les animaux c'est le seul qui n'ait pas de bouche ; en place, elles ont quelque chose de semblable à la langue des insectes pourvus d'un aiguillon : cet organe est situé à la poitrine, et leur sert à sucer la rosée. <3> Leur poitrine elle-même est fistuleuse; c'est par là que chantent les achètes, comme nous avons dit. Du reste, elles n'ont dans le ventre aucun viscère. Quand on les fait lever, elles rendent une humeur, qui est la seule preuve qu'elles se nourrissent de rosée. La cigale est aussi le seul animal qui n'ait aucun pertuis pour l'évacuation des excréments. Leur vue est tellement mauvaise, que si on approche d'elles un doigt qu'on fléchit et qu'on étend, elles y vont comme sur une feuille. Quelques auteurs en distinguent deux autres espèces : la surculaire, qui est la plus grande, et la fromentaire, que d'autres nomment avenière ; elle paraît en effet au moment où les céréales jaunissent, (XXVII.) <4> Les cigales ne naissent pas là où les arbres sont rares; c'est pour cette raison qu'il n'y en a pas dans les environs de Cyrène . ni dans les plaines; il n'y en a pas non plus dans les forêts froides et fourrées. Elles font aussi des différences entre les localités. Dans le pays de Milet, on n'en trouve qu'en certains endroits; à Céphalénie, une certaine rivière sépare le pays où elles sont abondantes du pays où il n'y en a pas; dans le territoire de Rhégium, toutes sont muettes ; de l'autre côté du fleuve, dans le territoire de Locres, elles chantent. Leurs ailes sont conformées comme celles des abeilles, mais plus grandes, en raison de leur taille. [11,33] (XXVIII.) <1> Quelques insectes ont deux ailes, comme les mouches; d'autres en ont quatre, comme les abeilles. Les ailes des cigales sont membraneuses. Les insectes qui sont armés d'un aiguillon placé au ventre en ont quatre. Aucun de ceux qui ont une arme à la bouche n'a plus de deux ailes; les premiers ont reçu l'aiguillon pour se venger, les autres pour satisfaire à leurs besoins. Chez aucun de ces insectes les ailes arrachées ne repoussent. Aucun insecte ayant l'aiguillon au ventre n'a deux ailes. [11,34] <1> Quelques-uns, pour la protection de leurs ailes, sont recouverts d'une écaille, tels que les scarabées, dont l'aile est mince et fragile; l'aiguillon leur a été refusé. Mais une grande espèce de scarabées a des cornes très longues, présentant à l'extrémité une tenaille dentelée qui se rapproche, quand l'animal veut, pour pincer ; ces cornes servent de remède dans les maladies des enfants, au cou desquels on les suspend. Nigidius les appelle lucaniens (cerf-volant, lucanus cervus). Une autre espèce de scarabées roule, en marchant à reculons, d'énormes pelotes de fumier, et y dépose comme dans un nid, à l'abri des rigueurs de l'hiver, de petits vers, sa progéniture. <2> D'autres voltigent avec un grand bourdonnement et mugissement; d'autres creusent des trous nombreux dans les foyers (grillons domestiques) et dans les prés (taupes-grillons), et la nuit font entendre un cri aigre. Les larapyrides (XVIII, 66) (lampyris noctiluca) brillent la nuit comme des feux, par la couleur de leurs flancs et de leur croupe, tantôt resplendissant quand leurs ailes s'entr'ouvrent, tantôt éclipsées quand elles les ferment ; on ne les voit pas avant que les fourrages soient mûrs, on ne les voit plus quand ils ont été fauchés (XVIII, 66). Au contraire, la vie des blattes (XXIX, 39) se passe dans les ténèbres ; elles fuient la lumière, et naissent surtout dans la chaleur humide des bains. Des scarabées dorés et très grands, appartenante la même espèce, creusent la terre aride, construisent des rayons semblables à une éponge ; petite et poreuse, et y déposent un miel empoisonné. Dans la Thrace, auprès d'Olynthe, est une petite localité qui tue cet animal, et qui ne tue que lui ; on l'appelle, pour cette raison, Cantharolethrus (mort des scarabées). <3> Tous les insectes ont les ailes sans division. Aucun n'a de queue, si ce n'est le scorpion ; il est aussi le seul qui ait à la fois des pinces et un aiguillon à la queue. Parmi les autres, quelques-uns ont un aiguillon à la bouche, comme l'asile ou tabanus (taon), quelque nom qu'on veuille lui donner. Il en est de même du cousin et de quelques mouches. Tous ces insectes ont l'aiguillon dans la bouche, et il leur tient lieu de langue. Chez d'autres, l'aiguillon n'est pas acéré; il sert non pas à piquer, mais à pomper, par exemple chez les mouches, où la langue est évidemment un canal (XI, 65). Ces insectes n'ont pas non plus de dents. D'autres ont devant les yeux de petites cornes sans force, par exemple les papillons. Quelques insectes sont dépourvus d'ailes, par exemple les scolopendres (XXIX, 39). [11,35] <1> Parmi les insectes, ceux qui ont des pattes les meuvent obliquement. Chez quelques- uns les pieds de derrière sont les plus longs et courbés en dehors : telles sont les sauterelles, (XXIX.) Ces dernières pondent, en enfonçant dans la terre la pointe de leur queue, des œufs qu'elles accumulent. Cette ponte se fait en automne; les œufs passent l'hiver sous terre ; l'année suivante, à la fin du printemps, il en sort des sauterelles petites, noirâtres, sans pattes, et se traînant à l'aide de leurs ailes. <2> Aussi les pluies du printemps font-elles périr leurs œufs, et leur multiplication est plus grande avec un printemps sec. Des auteurs prétendent qu'elles produisent deux fois et qu'elles périssent deux fois; qu'elles pondent au lever des Pléiades (le 7 mai), puis qu'elles meurent au lever de la Canicule (18 juillet), et que d'autres renaissent; suivant quelques-uns, c'est au coucher d'Arcturus (le 11 mai) que se fait cette seconde production. Il est certain que les mères meurent après avoir pondu; il leur naît aussitôt dans la gorge un petit ver qui les étrangle; les mâles périssent dans le même temps. Cet insecte, qui succombe par une cause si petite, tue quand il lui plaît, seul à seul, un serpent en le mordant à la gorge. Les sauterelles ne naissent que dans les lieux crevassés. <3> On rapporte qu'en Inde il y a des sauterelles de trois pieds de long : leurs pattes desséchées servent de scie. Elles périssent aussi d'une autre manière : le vent les soulève; par troupes, et les précipite dans les mer ou dans les étangs, ce qui arrive par des circonstances fortuites, et non, comme les anciens l'avaient pensé, parce que leurs ailes ont été détrempées par l'humidité de la nuit. Les mêmes auteurs ont rapporté qu'elles ne volaient pas non plus pendant la nuit, à cause du froid ; ils ignoraient qu'elles traversent même de vastes mers, supportant, chose très merveilleuse ! pendant plusieurs jours, la faim, qui leur apprend à chercher de lointains pâturages. <4> On les regarde comme un fléau de la colère céleste : en effet, elles apparaissent plus grandes, et volent avec un tel bourdonnement d'ailes, qu'on les prendrait pour des oiseaux ; elles obscurcissent le soleil, et les peuples, effrayés, les suivent de l'œil pour savoir si elles s'abattront sur le pays. Elles ont en effet des forces de reste : comme si c'était peu d'avoir franchi les mers, elles traversent d'immenses espaces, et les couvrent d'un nuage funeste aux moissons; brûlant par leur contact beaucoup de choses, elles rongent tout, même les portes des maisons. C'est surtout de l'Afrique qu'elles se lèvent pour venir infester l'Italie; et plus d'une fois le peuple romain a été obligé de recourir aux remèdes sibyllins, de peur de la famine. <5> Dans la Cyrénaïque, une loi oblige de leur faire la guerre trois fois par an, en écrasant d'abord les œufs, puis les petits, puis les grandes ; celui qui y manque est puni de la peine des déserteurs. Dans l'île de Lemnos, ou a fixé une certaine mesure que chaque individu doit apporter aux magistrats, pleine de sauterelles tuées ; pour cette raison on y respecte le choucas, qui accourt à leur rencontre pour les détruire. En Syrie, les troupes sont employées à les tuer. <6> Tant ce fléau est répandu sur de vastes contrées! Les Parthes regardent la sauterelle, ainsi que la cigale (XI, 32), comme un mets agréable. La voix des sauterelles parait sortir de l'occiput ; on croit qu'en ce lieu, à la réunion des épaules, elles ont des espèces de dents, et qu'en les frottant l'une contre l'autre elles produisent un bruit : c'est surtout vers les deux équinoxes qu'on les entend, tandis qu'on entend les cigales vers le solstice d'été. L'accouplement des sauterelles est celui de tous les insectes qui s'accouplent; la femelle porte le mâle; l'extrémité de la queue de la femelle est retournée vers lui; les deux individus ne se séparent qu'au bout d'un long temps. Dans toute cette espèce les mâles sont plus petits que les femelles. [11,36] (XXX.) <1> La plupart des insectes produisent un vermisseau. Les fourmis font au printemps un vermisseau semblable à un œuf. Elles travaillent en commun, comme les abeilles; mais celles-ci fabriquent des aliments utiles, tandis que les fourmis les enfouissent. Si l'on compare à la taille des fourmis les fardeaux dont elle se chargent, on conviendra qu'aucun animal n'a proportionnellement plus de force. Elles les portent avec leur bouche; les fardeaux plus lourds, elles les poussent à reculons avec leurs pattes de derrière, en appuyant leurs épaules. Elles ont une société politique, de la mémoire, de la prévoyance : avant d'enfouir les graines, elles les rongent, de peur qu'elles ne germent en terre; les graines trop grosses pour entrer, elles les divisent; celles qui sont mouillées par la pluie, elles les tirent dehors et les font sécher. <2> Elles travaillent même de nuit pendant la pleine lune; elles se reposent quand il n'y a pas de lune. Dans le travail quelle ardeur, quelle exactitude! Et comme elles font leurs provisions en divers lieux sans se voir l'une l'autre, certains jours sont fixés, espèces de foires où l'on passe mutuellement en revue ce qui a été apporté. Alors quel concours! avec quelle sollicitude elles s'entretiennent pour ainsi dire ensemble, et semblent s'interroger ! Nous voyons les cailloux usés par leur passage, des sentiers frayés par leurs travaux : tant il est vrai qu'en toute chose il n'est rien que ne puisse faire la continuité du plus petit effort! Seules de tous les êtres vivants, avec l'homme, elles donnent la sépulture aux morts. En Sicile il n'y a pas de fourmis ailées. <3> (XXXI.) Les cornes d'une fourmi indienne, attachées dans le temple d'Hercule à Érythres (V, 31), ont excité l'étonnement. Cette fourmi tire l'or des cavernes, dans le pays des Indiens septentrionaux appelés Dardes. Elle a la couleur du chat, la taille du loup d'Égypte. Cet or, qu'elle extrait durant l'hiver, est dérobé par les Indiens pendant les chaleurs de l'été, dont l'ardeur fait cacher les fourmis dans des terriers. Cependant, mises en émoi par l'odeur, elles accourent, et souvent déchirent les voleurs, bien qu'ils s'enfuient sur des chameaux très rapides ; tant sont grandes leur agilité et leur férocité, jointes à la passion de l'or! [11,37] (XXXII.) <1> Beaucoup d'autres insectes ont une origine différente ; ainsi il en naît de la rosée. La rosée est, aux premiers jours du printemps, posée sur la feuille du chou, et, épaissie par le soleil, elle se réduit à la grosseur d'un grain de millet. Puis elle s'allonge en un petit ver qui, au bout de trois jours, devient une chenille. Les jours suivants elle croit, immobile et recouverte d'une enveloppe dure; elle ne se meut que si on la touche; elle est entourée d'une toile d'araignée qu'on appelle chrysalide ; l'enveloppe se rompt, et le papillon s'envole (papillon de chou, papilio brassicœ). [11,38] (XXXIII.) <1> De la même façon quelques insectes naissent de la pluie dans la terre. D'autres s'engendrent dans le bois, non seulement les cessons (XVII,37), mais encore le tabanus (taon), qui naît aussi partout où il y a excès d'humidité. De même il se produit, dans l'intérieur de l'homme, des ténias longs de trente pieds et plus. [11,39] <1 Il s'en produit aussi dans la chair morte, et dans la chevelure des hommes vivants ; c'est cette vermine qui fit périr le dictateur Sylla et Alcman, poète grec des plus illustres. Elle infeste aussi les oiseaux ; elle tue les faisans, à moins qu'ils ne se roulent dans la poussière. Des animaux couverts de poils, l'âne et le mouton sont les seuls qu'on en croit exempts. La vermine se produit dans certaines étoffes, et surtout dans celles où entre la laine de moutons tués par le loup. Je lis aussi dans les auteurs que certaines eaux où nous nous baignons favorisent la multiplication de cette vermine. La cire même engendre un animal qui est regardé comme le plus petit de tous. D'autres naissent des ordures sous l'influence des rayons du soleil ; ils sont appelés sauteurs à cause de l'agilité de leurs jambes postérieures ; d'autres proviennent de la poussière humide dans les cavernes, ils sont ailés. [11,40] (XXXIV.) <1> Il est un animal (tique), produit aussi des chaleurs de l'été, qui, la tête toujours plongée dans le sang, vit de ce liquide et gonfle ; c'est le seul qui n'ait pas de voie d'excrétion pour ses aliments ; trop rempli, il crève, et meurt par sa nourriture même. On ne le voit jamais sur les bêtes de somme ; il est commun sur les bœufs; on le trouve parfois sur les chiens, sujets à toute espèce de vermine. C'est le seul qu'on rencontre sur les moutons et les chèvres. La passion qu'ont pour le sang les sangsues au sein des eaux marécageuses n'est pas moins singulière; elles y plongent aussi leur tête entière. Il y a encore un insecte ailé (cynips), fléau particulier des chiens; il les attaque surtout aux oreilles, que la gueule ne peut défendre. [11,41] (XXXV.) <1> La poussière crée des teignes dans la laine et les étoffes, surtout si une araignée y est renfermée en même temps; l'araignée a soif, et, absorbant toute l'humidité, elle augmente la sécheresse. La teigne naît aussi dans les papyrus. Une espèce traîne une carapace comme les escargots, mais on voit les pieds de ces teignes; dépouillées de cette tunique, elles meurent; développées, elles font une chrysalide. Le figuier sauvage produit le cousin appelé ficaire (XV, 21) ; <2> les petits vers du figuier, du poirier, du pin, de l'églantier, du rosier (XXIX, 30) produisent les cantharides. Les cantharides portent avec elles leur contre-poison : les ailes en sont le remède (XXIX, 30) ; quand on les ôte, cet insecte cause la mort. Les substances qui aigrissent engendrent, à leur tour, d'autres espèces de moucherons. On trouve des vermisseaux blancs jusque dans la neige ancienne; à une profondeur moyenne ils sont rouges, couleur que prend la neige elle-même en vieillissant : ces vers sont velus, grands, et presque immobiles. [11,42] (XXXVI.) Quelques animaux naissent même de l'élément destructeur de la nature : dans les fourneaux où à Chypre on fait le cuivre, et au milieu du feu, vole un animal à quatre pattes, ailé, de la taille d'une grosse mouche; on le nomme pyralis, d'autres l'appellent pyrauste. Tant qu'il est dans le feu, il vit; quand son vol l'en éloigne un peu, il meurt. [11,43] <1> Le fleuve Hypanis, dans le Pont, entraîne, vers le solstice d'été, des membranes ténues ayant la forme de grains de raisin ; il en sort un animal à quatre pattes, ailé, comme cela dont il vient d'être parlé. Il ne vit pas plus d'un jour ; d'où lui vient son nom d'hémérobion. Les autres insectes du même genre sont assujettis, depuis le commencement jusqu'à la fin, à des nombres septénaires : trois fois sept pour le moucheron et le vermisseau ; quatre fois sept pour ceux qui sont vivipares. Les changements et les métamorphoses s'opèrent en trois ou quatre jours. Les autres insectes ailés de ce genre meurent généralement à l'automne ; les tabanus (taons) meurent même aveugles. Les mouches noyées reviennent à la vie, si on les plonge dans la cendre. [11,44] (XXXVII.) <1> Maintenant ajoutons, à et que nous avons déjà dit, l'histoire de chacune des parties du corps. Tous les animaux qui ont du sang ont une tête. Chez un petit nombre d'animaux, et sortant chez les oiseaux, la tète est garnie d'aigrettes de diverse espèce : le phénix porte un rang de plumes, et du milieu de cette aigrette s'en élève une autre; le paon, un petit bosquet chevelu; l'oiseau de Stymphale, une boucle ; le faisan, de petites cornes (X, 67). <2> Un petit oiseau (cochevis), appelé jadis galerita à cause de sa huppe, a reçu depuis le nom gaulois d'alaude, nom qui a été donné même à une légion. Nous avons parlé de l'oiseau auquel la nature a accordé une crête qui se replie à volonté (X, 44) ; les foulques ont reçu d'elle une crête qui s'étend sur le milieu de la tête, à partir du bec; le pic de Mars et la grue des Baléares (X, 69) (grue demoiselle, ardea virgo) ont une huppe. Mais ce qu'il y a de plus remarquable en ce genre, c'est, chez les gallinacées, cette crête consistante et dentelée ; ce n'est ni une chair ni un cartilage, ni une callosité ; c'est quelque chose de particulier. Quant aux crêtes des dragons, on ne trouve personne qui en ait vu. [11,45] <1> Des cornes diversement configurées ont été données à plusieurs animaux aquatiques, marins et reptiles ; mais ce qu'on entend proprement par cornes ne se trouve que chez les quadrupèdes, car je regarde comme fabuleux Actéon et même Cipus dans l'histoire romaine. Nulle part la nature ne s'est plus amusée. Elle s'est jouée dans les armes des animaux : elle les a ramifiées, comme chez les cerfs ; chez d'autres, elle les a faites simples, comme chez cette espèce de cerfs appelés pour cela subulons (daguet, cerf de 2e année) ; chez d'autres elle leur a donné une forme palmée et digitée; de là le nom de platycéros (cervus dama) Elles sont rameuses chez les chevreuils, mais petites, et ne tombent pas. <2> Chez les béliers, elles sont contournées, comme si la nature leur donnait des cestes. Elles sont menaçantes chez le taureau; dans cette espèce la femelle en a aussi ; dans beaucoup d'espèces les mâles seuls en sont pourvus (VIII, 50). Celles des chamois sont recourbées en arrière ; celles du dama (antilope redunca), en avant. Le strepsicéros, que l'Afrique appelle addax, a les siennes droites, parcourues par des cannelures qui forment un léger relief, de sorte qu'on dirait des sillons. Elles sont mobiles comme des oreilles, chez les bœufs de Phrygie ; ceux des Troglodytes les ont dirigées vers la terre ; aussi paissent-ils le cou tourné de côté. D'autres n'ont qu'une corne (VIII, 29 et 31), située au milieu de la tête ou sur le nez. <3> Elles sont fortes chez les uns pour un choc, chez les autres pour un coup ; chez ceux-ci la pointe est recourbée en dedans, chez ceux-là en dehors; chez d'autres, elles sont propres à lancer en l'air, de diverses manières : couchées en arrière, convexes, concaves, toutes terminées en pointe. Dans une espèce elles servent, en place de mains, à gratter le corps. Les escargots les emploient pour sonder leur chemin; les leurs sont charnues comme celles des cérastes (coluber cerastes) ; mais les reptiles quelquefois n'en ont qu'une; lès escargots en ont toujours deux, tellement disposées qu'elles peuvent s'allonger et rentrer. <4> Les barbares du Nord boivent dans les cornes des urus, dont chaque paire contient une urne; d'autres en font des pointes à leurs traits. Chez nous on les coupe en lames, elles sont alors transparentes, et elles rendent même visible à une plus grande distance la lumière qu'on y renferme. On les emploie encore à plusieurs autres usages de luxe, soit qu'on les colore, soit qu'on les vernisse, soit qu'on s'en serve pour le genre de peinture appelé cestrote (XXV, 41). Chez tous les animaux les cornes sont creuses, et ce n'est qu'à la pointe qu'elles sont massives, excepté chez les cerfs, où elles sont complètement solides, et qui les perdent tous les ans. Quand les ongles des bœufs sont usés, les cultivateurs y remédient en leur graissant les cornes. La substance des cornes est tellement ductile, que, même sur le vivant, on les rend flexibles avec de la cire bouillante, et que, fendues sur un animal naissant, on les tourne en sens opposés, de sorte que la tête en porte quatre. <5> Les femelles ont généralement les cornes plus minces, de même que les individus châtrés parmi les bêtes à laine. Il n'y a de cornes ni chez les brebis ni chez les biches (VIII, 50), ni chez les digités, ni chez les solipèdes, excepté l'âne indien, qui est armé d'une seule corne (rhinocéros). La nature en a accordé deux aux pieds fourchus; elle n'en a accordé à aucun de ceux qui ont les dents de devant à la mâchoire supérieure. Ceux qui pensent que la matière de ces dents est employée à la formation des cornes sont facilement réfutés par l'observation des biches, qui n'ont pas plus de dents que les mâles, et qui cependant n'ont pas de cornes. Les cornes sont adhérentes aux os, excepté chez les cerfs, qui les ont implantées seulement dans la peau. [11,46] <1> La tête des poissons est très grosse, à proportion de leur corps, peut-être pour qu'ils puissent plonger. La tête n'existe ni chez les huîtres, ni chez les éponges, ni généralement chez aucun des animaux qui n'ont que le sens du toucher. Quelques-uns l'ont confondue avec le reste du corps, par exemple les écrevisses. [11,47] <1> De tous les animaux, l'homme est celui qui a les poils les plus longs à la tête, et l'homme aussi bien que la femme, du moins chez les nations qui ne se coupent pas les cheveux ; de là même les noms de Chevelus (III, 7) que portent les habitants des Alpes, et de Gaule Chevelue (IV, 31). Cependant les pays exercent là-dessus une certaine influence : dans l'île de Mycone les habitants naissent sans cheveux, de même qu'à Caunos ils naissent avec la rate gonflée. Certains animaux aussi sont naturellement chauves, tels que les autruches et les corbeaux aquatiques, qui ont tiré de là leur nom grec (X, 68). <2> Il est rare que la femme perde ses cheveux ; les eunuques ne les perdent jamais, et aucun homme ne les perd avant l'usage des plaisirs vénériens. Les cheveux ne tombent pas des parties inférieures de la tête, ni autour des tempes et des oreilles. La calvitie ne se voit que chez l'homme : nous exceptons les animaux qui sont naturellement chauves. L'homme aussi et le cheval sont les seuls qui blanchissent ; chez l'homme les cheveux commencent toujours à blanchir par devant, puis ils blanchissent par derrière. [11,48] <1> Quelques hommes, en petit nombre, paraissent avoir, par la disposition de leurs cheveux, deux sommets de tête. Les os du crâne sont plats, minces, dépourvus de moelle, unis par des sutures dentelées. Rompus en morceaux, ils ne peuvent se consolider ; mais l'extraction d'une pièce de médiocre étendue ne cause pas la mort : la perte de substance est remplacée par une cicatrice charnue. Nous avons dit en son temps que les ours (VIII, 54) ont la tête la plus faible, et les perroquets (X, 68), la plus dure. [11,49] <1> Le cerveau existe chez tous les animaux qui ont du sang; il existe même chez les animaux marins que nous avons appelés mous, bien qu'ils soient dépourvus de sang, tels que les poulpes. L'homme est celui qui pour sa taille a le cerveau le plus volumineux. C'est le plus humide et le plus froid de tous les viscères ; il est enveloppé en dessus et en dessous de deux membranes : la rupture de l'une ou de l'autre entraîne la mort. Du reste, il est plus volumineux chez les hommes que chez les femmes. Chez l'homme, le cerveau est dépourvu de sang et de veines; de graisse, chez les autres animaux. Les savants enseignent que le cerveau est autre chose que la moelle, vu qu'il se durcit par la cuisson. Dans le cerveau de tous les animaux il se trouve de petits osselets. <2> L'homme est le seul chez lequel, pendant l'enfance, cet organe présente des battements (VII, 1, 4), et il ne se raffermit qu'après les premiers essais de la parole. C'est le plus élevé des viscères, le plus voisin de la voûte de la tête ; dépourvu de chair, dépourvu de sang, sans souillures. C'est la citadelle où' les sens résident, c'est là que se rendent toutes les veines parties du cœur, c'est là qu'elles aboutissent ; c'est le point culminant, c'est le régulateur de l'entendement. Chez tous les animaux il est avancé sur la partie antérieure, parce que les sens se dirigent en avant. Du cerveau part le sommeil ; c'est pour cela que la tête tombe. Les êtres qui n'ont pas de cerveau ne dorment pas. On dit que les cerfs ont à la tête des vers (larves d'oestre), au nombre de vingt, qui sont au-dessous de la langue, et autour de l'articulation qui joint la tête au cou. [11,50] <1> L'homme est le seul qui ait les oreilles immobiles. Les surnoms de Flaccus viennent des oreilles. Aucune autre partie ne fait faire de plus grandes dépenses aux femmes, à cause des perles qu'elles y suspendent; dans l'Orient, les hommes même se font un honneur de porter de l'or aux oreilles. Parmi les animaux les uns les ont plus grandes, les autres plus petites. Chez les cerfs seulement elles sont fendues et comme partagées ; elles sont velues chez la souris. Tous les animaux vivipares ont des oreilles, excepté le veau marin, le dauphin, les poissons que nous avons appelés cartilagineux (IX, 40) et la vipère : <2> ces animaux ont des trous au lieu d'oreilles, excepté les poissons cartilagineux et le dauphin. Cependant il est certain que le dauphin entend, car il est charmé par le chant, et, étonné par le bruit, il se laisse prendre : mais comment entend-il? c'est ce qu'on ne comprend pas. Il n'a pas non plus de traces de l'organe de l'olfaction ; cependant ce sens est très subtil chez lui. Parmi les oiseaux, le hibou et l'otus (strix otus) ont des plumes en façon d'oreilles, les autres n'ont que des conduits auditifs; il en est de même des animaux couverts d'écailles et des serpents. Chez les chevaux et chez toutes les bêtes de somme, les oreilles indiquent la disposition morale : flasques dans la fatigue, tressaillantes dans la peur, dressées dans la colère, pendantes dans la maladie. [11,51] <1> L'homme seul a une face; les autres ont un museau ou un bec. D'autres animaux ont un front, mais chez l'homme seul se peignent sur le front la tristesse, la gaieté, la bonté, la sévérité; il est le miroir de l'âme. L'homme a deux sourcils mobiles ensemble et alternativement, et où se montre aussi une partie de l'âme ; ils refusent ou ils accordent ; ce sont eux qui indiquent surtout l'orgueil. La source de l'orgueil est ailleurs, mais c'est là qu'il siège; il naît dans le cœur, mais c'est là qu'il monte et se fixe : il n'a rien trouvé de plus élevé ni de plus escarpé dans le corps où il dominât solitaire. [11,52] <1> Au-dessous sont les yeux, la partie du corps la plus précieuse, celle qui, par l'usage de la lumière, distingue la vie de la mort. Tous les animaux n'en sont pas pourvus : les huîtres n'en ont pas. Ils sont probables chez quelques coquillages : car si l'on remue les doigts devant les pétoncles entr'ouverts, ils se ferment comme s'ils voyaient, et les solènes (X, 88) évitent l'approche d'un instrument de fer. Parmi les quadrupèdes, les taupes ne voient pas; on aperçoit chez elles un simulacre d'oeil, si l'on enlève la membrane qui est tendue au-devant. Parmi les oiseaux, l'espèce de héron qu'on appelle leucos (blanc) manque, dit-on, d'un œil. Cet oiseau est d'un excellent augure quand il vole vers le midi ou vers le nord ; on prétend que c'est la fin des périls et des craintes. Nigidius dit que ni les sauterelles ni les cigales n'ont d'yeux. Chez les escargots l'office d'yeux est rempli par deux petites cornes qui sondent le chemin. Les lombrics en sont dépourvus, ainsi que tout le genre des vers. [11,53] <1> Dans l'espèce humaine seule la couleur des yeux varie; elle est au contraire uniforme respectivement dans les autres espèces d'animaux. Quelques chevaux ont les yeux glauques. Mais dans l'homme les différences sont très nombreuses : yeux grands, moyens, petits, saillants, qu'on regarde comme plus faibles; enfoncés, qui passent pour voir le mieux, comme les yeux qui par la couleur ressemblent aux yeux de chèvre. [11,54] <1> En outre les uns voient de loin; les autres ne voient que les objets rapprochés. Chez beaucoup la vue ne s'exerce que si le soleil luit, ils ne voient point par un jour nuageux, ni après le coucher de cet astre ; d'autres ont la vue mauvaise pendant le jour, mais excellente pendant la nuit. Nous avons suffisamment parlé (VII, 2, 8) des prunelles doubles, et de ceux, dont le regard est nuisible. Les yeux bleus voient mieux, dans les ténèbres. <2> On raconte que l'empereur Tibère, seul entre tous les mortels, avait, réveillé au milieu de la nuit, la faculté d'apercevoir pendant quelques instants tous les objets, aussi bien que s'il était en plein jour; puis, peu à peu, tout rentrait pour lui dans l'obscurité. Le dieu Auguste avait les yeux glauques comme les chevaux, et le blanc en était plus grand que chez les autres hommes : <3> aussi se fâchait-il quand on les regardait attentivement. L'empereur Claude avait à l'angle des yeux une carnosité blanche qui se remplissait de temps en temps de veines sanguines. Chez l'empereur Caligula les yeux étaient fixes. Néron ne voyait rien a moins qu'il ne clignât et que l'objet ne fût près. L'empereur Caligula avait vingt couples de gladiateurs : sur ce nombre, deux gladiateurs seulement, tant cela est difficile à l'homme, ne clignaient pas des yeux, quelque geste menaçant que l'on fit; aussi étaient-ils invincibles. Chez la plupart il est naturel de toujours cligner, ce qu'on regarde comme un signe de timidité. <4> Chez personne l'œil n'est d'une seule couleur ; celle de la partie moyenne tranche toujours avecle blanc du reste. Aucune partie n'indique mieux l'état de l'âme chez tous les animaux, mais surtout chez l'homme, où ils expriment la modération, la bonté, la compassion, la haine, l'amour, la tristesse, la joie. Le regard en varie le caractère : farouche, menaçant, étincelant, grave, oblique, de travers, soumis, caressant. Certes c'est dans les yeux que l'âme habite : ils deviennent ardents, fixes, humides, voilés. Des yeux coulent les larmes de la pitié. Quand nous les baisons nous semblons atteindre l'âme même. <5> Des yeux viennent les pleurs et ces ruisseaux qui arrosent le visage. Quel est donc ce liquide si abondant et toujours prêt dans la douleur ? et où est-il en réserve le reste du temps? Mais c'est par l'âme que nous voyons, par l'âme que nous discernons : les yeux, comme des espèces de canaux, reçoivent sa faculté visuelle et la transmettent. Ainsi une méditation profonde rend aveugle, la vue étant tournée à l'intérieur. Dans l'épilepsie, les yeux ouverts ne voient rien, l'âme étant couverte d'un brouillard. Bien plus, les lièvres dorment les yeux ouverts, et beaucoup d'hommes en font autant; les Grecs appellent cela g-korubantian. La nature les a composés de membranes multiples et minces; elle a mis à l'extérieur, contre le froid et la chaleur, des tuniques épaisses qui sont de temps en temps purifiées par l'humeur lacrymale; et, pour garantir les yeux des chocs, elle les a faits glissants et mobiles. [11,55] <1> La nature, au milieu de la cornée, a percé une fenêtre, la pupille, dont les petites dimensions ne laissent pas la vue s' égarer et être incertaine, la dirigent comme ferait un tube, et lui permettent d'éviter facilement le choc des corps étrangers. La pupille est entourée d'un cercle noir chez les uns, fauve chez les autres, glauque chez d'autres. Habile disposition! la lumière parvenue à l'œil a un blanc qui l'entoure, et, n'étant pas réfléchie brusquement, ne fait aucune discordance. Les yeux sont un miroir si parfait, que cette pupille toute petite rend l'image entière d'un homme : c'est ce qui fait que la plupart des oiseaux que nous tenons dans nos mains s'efforcent de becqueter nos yeux, parce que, y voyant leur image, ils s'y portent comme vers les objets de leur affection naturelle. <2> Quelques bêtes de somme seulement éprouvent des maux d'yeux vers les accroissements de la lune. L'homme seul est délivré de la cécité par l'évacuation de l'humeur qui l'a causée (abaissement du cristallin). Beaucoup ont recouvré la vue au bout de vingt ans. Chez quelques-uns la cécité est congénitale, sans qu'il y ait aucun vice dans les yeux. Beaucoup ont perdu subitement la vue, l'œil restant également intact, et sans aucune lésion antécédente. Les auteurs les plus savants rapportent que des veines se rendent des yeux au cerveau; je serais porté à croire qu'il s'en rend aussi des yeux à l'estomac ; <3> du moins l'œil n'est jamais arraché sans vomissements. C'est une coutume sacrée parmi les Romains de fermer les yeux des mourants et de les rouvrir sur le bûcher, l'usage ne permettant pas qu'ils soient vus par un homme aux derniers moments, et défendant de les cacher au ciel. L'homme est le seul des animaux chez qui les yeux soient sujets à des difformités; de là viennent les surnoms de Strabon (louche) et de Pœtus (qui n'a pas le regard certain). Les anciens nommaient Codes celui qui naissait borgne ; Ocella, celui qui avait les yeux petits; Luscinus, celui qui avait perdu un œil par accident. <4> Les animaux nocturnes, tels que les chats, ont les yeux brillants et rayonnants dans les ténèbres, au point qu'on ne peut les regarder. Les yeux des chèvres (VIII, 76) et des loups resplendissent et jettent de la lumière. Ceux des veaux marins et des hyènes (VIII, 44) passent successivement par mille couleurs. Les yeux desséchés de plusieurs poissons brillent dans les ténèbres, de même que de grosses souches pourries de vétusté. Nous avons dit (VIII, 45) que les animaux qui pour regarder tournaient non pas les yeux, mais la tête, ne clignaient pas. On prétend que le caméléon fait exécuter à ses yeux une révolution tout entière (VIII, 51). Les écrevisses regardent de coté. Les yeux des animaux qui ont un test fragile sont fixes. Les langoustes et les squilles, qui sont revêtues dans la plus grande partie de leur corps d'une semblable cuirasse, ont les yeux très durs et saillants. <5> Les animaux dont les yeux sont durs voient moins bien que ceux dont les yeux sont composés d'humeurs. On dit que si on arrache les yeux aux petits des serpents et des hirondelles, il leur en renaît d'autres. Les yeux de tous les insectes et de tous les animaux qui ont une enveloppe testacée se meuvent comme les oreilles des quadrupèdes. Les animaux qui ont des enveloppes fragiles ont les yeux durs. Tous les animaux de cette catégorie, ainsi que les poissons et les insectes, sont dépourvus de paupières, et leurs yeux ne se ferment pas. Chez tous, une membrane transparente comme le verre les recouvre. [11,56] <1> Chez l'homme les deux paupières sont garnies de cils, que les femmes prennent même soin de teindre tous les jours; telle est la recherche de la parure, que l'on va jusqu'à peindre les yeux ! C'était dans une autre intention que la nature avait donné les cils. Elle avait voulu qu'ils fussent, pour ainsi dire, une défense de la vue, et une fortification avancée contre la rencontre des insectes et d'autres corps étrangers. On prétend, non sans raison, que les cils tombent chez ceux qui font des excès vénériens. Parmi les autres animaux, ceux-là seuls ont des cils qui ont du poil dans le reste du corps; les quadrupèdes n'en ont qu'à la paupière supérieure, et les oiseaux à la paupière inférieure, ainsi que les animaux qui ont la peau molle, exemple les serpents, et les quadrupèdes ovipares, exemple les lézards. L'autruche seule parmi les oiseaux en a, comme l'homme, aux deux paupières. [11,57] <1> Les paupières même, et par conséquent le clignotement, manquent chez quelques animaux vivipares. Les oiseaux pesants ferment les yeux en élevant la paupière inférieure ; ils clignent en avançant une membrane qui part des angles. Les pigeons et autres semblables les ferment par les deux paupières. Parmi les quadrupèdes, ceux qui sont ovipares, les tortues par exemple et les crocodiles, n'ont que la paupière inférieure mobile, et ils ne clignent nullement, à cause de la dureté de leurs yeux. Le bord de la paupière supérieure était appelé par les anciens cilium (cil) ; de là vient le mot de supercilium (sourcil). La paupière fendue par une plaie ne se réunit pas : il en est de même pour un petit nombre des parties du corps humain. [11,58] <1> Au-dessous des yeux sont les joues, quel les anciens appelaient genae, mot dont se sont servies les Douze Tables en défendant aux femmes de se les déchirer avec les ongles . Là siège la pudeur; là se montre surtout la rougeur. [11,59] <1> Dans le milieu est cette fossette qui indique la gaieté et les ris. Chez l'homme seul le nez, où les opinions modernes ont placé l'indice du persiflage, est élevé. Aucun autre animal ne l'a saillant. Les oiseaux, les serpents, les poissons, ont seulement des trous pour l'olfaction, mais point de nez. Du nez dérivent les surnoms de Simus (camus), de Silon (nez retroussé). Il est arrivé souvent que les enfants nés à sept mois avaient les oreilles et les narines imperforées. [11,60] <1> Les lèvres ont fait donner aux Bochus le surnom de Labéon. Les animaux vivipares ont une bouche, bonne ou dure. Au lieu de bouche, les oiseaux ont un bec corné et aigu ; chez les oiseaux de proie il est crochu, droit chez ceux qui vivent en becquetant, large chez ceux qui arrachent les herbes et barbotent dans la vase, comme font les pourceaux. Les bêtes de somme se servent de leur bouche au lieu de main pour ramasser leur pâture. Les carnassiers l'ont plus fendue. Aucun animal, excepté l'homme, n'a de menton ni de joues. Chez le crocodile seul la mâchoire supérieure est mobile ; chez le crocodile terrestre (VIII, 38) c'est l'inférieure qui est mobile, comme chez tous les autres animaux, et en outre latéralement. [11,61] <1> Les dents sont disposées de trois façons : en scie, continues, ou saillantes; en scie et s'engrenant dans le rapprochement pour ne pas s'user, chez les serpents, les poissons et les chiens; continues chez l'homme, le cheval; saillantes chez le sanglier, l'hippopotame et l'éléphant. Des dents continues, celles qui coupent les aliments sont larges et tranchantes ; celles qui les broient sont doubles; celles qui séparent les incisives des molaires sont appelées canines; ces dernières sont très longues chez les animaux qui ont les dents en scie. Chez ceux qui les ont continues, ou bien elles le sont aux deux mâchoires comme chez le cheval, ou celles de devant manquent à la mâchoire supérieure, comme chez les bœufs, les moutons, et tous ceux qui ruminent. <2> La chèvre n'a à la mâchoire supérieure que les deux dents de devant. Aucun de ceux qui ont les dents en scie ne les a saillantes. Parmi les animaux à dents saillantes les femelles en ont rarement, et encore ces dents ne leur sont d'aucun usage ; aussi, tandis que les sangliers frappent, les laies mordent. Aucun animal cornu n'a de dents saillantes. Toutes les dents saillantes sont creuses; les autres sont pleines. Tous les poissons ont les dents en scie excepté le scare (IX, 29) ; seul des animaux aquatiques, il les a planes. Au reste, plusieurs d'entre eux en ont à la langue et dans toute la bouche; ils amollissent ainsi par une multitude de blessures ce qu'ils ne peuvent broyer. Plusieurs en ont au palais, et même à la queue. De plus, elles sont inclinées vers le fond de la bouche, afin que les aliments, que ces animaux n'ont aucun moyen de retenir, ne tombent pas. [11,62] <1> L'aspic et les serpents ont des dents semblables à celles des poissons ; mais de plus deux très longues à la partie supérieure, à droite et à gauche, sont percées d'un petit canal, et versent le venin comme les aiguillons des scorpions. Les auteurs les plus exacts écrivent que ce venin n'est pas autre chose que le fiel des serpents, et que de la vésicule biliaire il arrive par des veines sous l'épine jusqu'à la bouche. Quelques-uns assurent qu'il n'y a qu'une dent venimeuse, et qu'étant crochue elle se renverse après la morsure. D'autres disent que cette dent, facile à arracher, tombe alors et qu'elle repousse ; que les serpents que nous voyons manier ne l'ont pas; qu'elle est à la queue des scorpions, dont la plupart en ont trois. <2> La dent de la vipère est cachée par les gencives; toujours pleine de venin, elle le répand dans la morsure par l'effet de la pression. Aucun volatile n'a de dents, excepté la chauve-souris. Le chameau, seul des animaux sans cornes, n'a pas les dents de devant à la mâchoire supérieure. Aucun des animaux à cornes n'a les dents en scie. Les escargots ont aussi des dents : cela se voit par la feuille de vigne que rongent les plus petits d'entre eux. Quant à dire que parmi les animaux marins les crustacés et les cartilagineux ont les dents de devant, et que les oursins en ont cinq, je ne sais où on a pu prendre cette idée. L'aiguillon tient lieu de dents aux insectes. <3> Le singe a les dents comme l'homme. L'éléphant, dans l'intérieur de la bouche, a quatre dents pour manger, outre les dents qui sont au dehors, et qui, recourbées chez le mâle, sont droites et inclinées en avant chez la femelle. Le rat marin (IX, 88), qui précède la baleine, n'en a point; en place, des soies hérissent sa bouche, et même sa langue et son palais. Chez les petits quadrupèdes terrestres, les deux dents de devant en haut et en bas sont les plus longues. [11,63] <1> Tandis que les autres animaux naissent avec des dents, l'homme (VII, 15) n'en a qu'au septième mois après sa naissance; et tandis que les autres gardent toujours les leurs, les dents changent chez l'homme, le lion, les bêtes de somme, le chien et les ruminants; mais le lion et le chien ne changent que les dents nommées canines. La canine droite du loup joue un rôle parmi les amulettes importants (XXVIII, 78). Les dents maxillaires, qui sont placées après les canines, ne changent chez aucun animal. Chez l'homme les dents qui poussent les dernières et qu'on appelle génuines (appartenant à la joue, gènes} sortent vers la vingtième année, et quelque fois même, chez les femmes, à la quatre-vingtième; mais c'est chez des individus à qui elles n'étaient pas sorties dans la jeunesse. Il est certain que des dents tombées dans la vieillesse ont été remplacées par d'autres; <2> Mucianus prétend avoir vu Zancies de Samothrace, à qui elles avaient repoussé à plus de cent quatre ans. Au reste, les mâles (VII, 15) ont plus de dents que les femelles dans l'espèce humaine, chez le mouton, la chèvre et le porc. Timarchus, fils de Nicoclès de Paphos, avait une double rangée de molaires; les dents de devant ne changèrent pas chez son frère, qui, pour cette raison, se les lima. On a l'exemple d'un homme à qui une dent poussa au palais. Les canines perdues par quelque accident ne reviennent jamais. Tandis que chez tous les animaux elles jaunissent par l'effet de la vieillesse, elles blanchissent chez le cheval seul. [11,64] <1> L'âge des bêtes de somme est marqué par leurs dents. Le cheval en a quarante. A trente mois, il perd deux dents de devant à chaque mâchoire; l'année suivante, quatre autres dents à la suite des premières : c'est alors que poussent les dents appelées columellaires. Au commencement de la cinquième année, il en perd deux, qui repoussent la sixième année. A la septième année il a toutes ses dents, et celles qui ont été remplacées et celles qui ne tombent pas. Un cheval coupé avant la chute des dents n'en change pas. L'âne en perd semblablement quatre au trentième mois, et les autres de six mois en six mois; si l'ânesse n'a pas engendré avant la chute des dernières, la stérilité est certaine. Les boeufs en changent à deux ans. <2> Chez les porcs, elles ne tombent jamais. Quand ces indications de l'âge sont épuisées, on reconnaît la vieillesse chez les chevaux et les autres bêtes de somme au déchaussement des dents, à la blancheur des sourcils et à l'enfoncement des salières ; l'animal est alors réputé avoir environ seize ans. Les dents de l'homme ont un certain venin : mises à découvert devant un miroir, elles en ternissent le poli, et elles font périr les pigeonneaux sans plumes. Le reste de ce qui concerne les dents a été exposé (VII, 15) dans l'histoire de la génération de l'homme. La dentition est une époque de maladies pour les enfants. Les animaux qui ont les dents en scie font les morsures les plus cruelles. [11,65] <1> La langue n'est pas configurée de la même manière chez tous. Les serpents l'ont très mince, à trois pointes, vibrante, noire, et, si on la tire en dehors, très longue; les lézards, bifide et velue : chez les veaux marins aussi elle est bifide; mais chez les serpents elle a la ténuité d'un cheveu, tandis que chez les autres elle sert à lécher le pourtour de la bouche. Les poissons l'ont presque complètement adhérente, les crocodiles complètement; mais chez les animaux aquatiques, le palais, charnu, fait, pour le goût, l'office de langue. Les lions, les pards et tous les animaux de cette catégorie, même les chats, ont la langue garnie d'aspérités imbriquées, semblable à une lime, et capable d'user la peau de l'homme en léchant. Aussi ces animaux, même apprivoisés, quand la salive est parvenue au voisinage du sang, éprouvent des tentations de férocité. <2> Nous avons parlé des langues des pourpres (IX, 60). Chez les grenouilles, le bout de la langue est adhérent; la portion intérieure est libre du côté du gosier ; là se forment les sons que font entendre les mâles à l'époque où on les appelle ololygons (hurleurs). Cette époque est fixe; c'est celle où ils appellent les femelles à l'accouplement. Alors la lèvre inférieure étant abaissée au niveau d'un peu d'eau reçue dans le gosier, et la langue battant dans cette eau, une sorte de hurlement se produit; dans cet effort, les plis de leur bouche, distendus, sont transparents, les yeux sortent de la tête, et flamboient. Les insectes qui ont un aiguillon à la partie postérieure ont aussi des dents et une langue : chez les abeilles, elle est même très longue, et chez les cigales saillante. Ceux qui ont à la bouche un aiguillon fistuleux n'ont ni langue ni dents. Quelques-uns ont une langue dans l'intérieur, par exemple les fourmis. Elle est particulièrement large chez l'éléphant. <3> Tandis que chez les autres, chacun en son espèce, elle est toujours parfaite, chez l'homme seul elle est souvent liée de telle sorte par des veines, qu'il est nécessaire de les couper. On rapporte que le pontife Métellus (VII, 45) avait la langue tellement embarrassée qu'il se mit à la torture pendant plusieurs mois, en travaillant à prononcer distinctement pour la dédicace du temple d'Ops. Chez la plupart la langue articule nettement vers la septième année. Plusieurs savent s'en servir avec tant d'art, qu'ils imitent, à s'y méprendre, la voix des oiseaux et des animaux. Les animaux ont le sens du goût dans la partie antérieure de la langue; l'homme l'a en outre dans le palais. [11,66] <1> L'homme a des amygdales; le porc, des glandules. La partie qui est située entre les deux amygdales, et qui porte le nom de luette, pend à l'extrémité du voile du palais ; elle ne se trouve que chez l'homme. Au-dessous est une languette appelée épiglotte, qui n'existe chez aucun ovipare. Elle a deux fonctions, étant interposée entre deux conduits. L'antérieur, nommé trachée-artère, aboutit au poumon et au cœur ; l'épiglotte le recouvre pendant qu'on mange, de peur que les aliments ou les buissons, venant à s'engager dans ce conduit, qui n'est fait que pour le passage de l'air et de la voix, ne causent des souffrances. L'autre conduit est postérieur; il s'appelle proprement pharynx, et est destiné à la déglutition des aliments et des boissons; le pharynx conduit à l'œsophage, et celui-ci à l'estomac. L'épiglotte couvre le pharynx à son tour quand il n'y a que l'air ou la voix qui passent, afin qu'une régurgitation ne vienne pas intempestivement troubler ces fonctions. La trachée-artère est composée de cartilage et de chair ; le pharynx, de nerf et de chair. [11,67] <1> La nuque n'existe que chez les animaux qui ont ces deux organes; ceux qui n'ont que le gosier ont un cou. La nuque, composée de plusieurs vertèbres arrondies, est articulée et flexible, de manière à permettre de promener le regard alentour. Chez le lion, le loup et l'hyène seuls, elle est formée d'un os unique et rigide. La nuque est jointe à l'épine, l'opiné aux lombes. La colonne vertébrale est osseuse, mais arrondie et percée, dans le milieu, d'un trou par où la moelle descend du cerveau. On conclut que la moelle est de la même nature que ce viscère, parce qu'il suffit d'inciser la membrane très mince qui la revêt, pour que la mort survienne aussitôt. Les animaux qui ont de longues jambes ont un long cou ; le cou est long aussi chez les oiseaux aquatiques, bien que leurs jambes soient courtes; il en est de même de ceux qui ont les ongles crochus. [11,68] <1> L'homme seul et le porc sont sujets au goitre, causé le plus souvent par la mauvaise qualité des eaux qu'ils boivent. Le haut du pharynx s'appelle gosier ; le bas, œsophage. Ce nom désigne un conduit charnu situé derrière la trachée-artère, joint à la colonne vertébrale, et comparable pour la longueur et la largeur à une fosse. Ceux qui n'ont pas de gosier n'ont pas non plus d'oesophage, ni de cou, ni de gorge, les poissons par exemple; et la bouche est jointe à l'estomac. La tortue marine n'a ni langue ni dents ; elle brise tout avec la pointe de son museau. Après la trachée-artère est l'œsophage, armé d'aspérités dures, comme les ronces, pour achever de broyer les aliments ; aspérités dont les intervalles vont en décroissant à mesure qu'elles se rapprochent de l'estomac. La partie la plus voisine de ce viscère est comme une lime. [11,69] <1> Chez tous les animaux le cœur est au milieu de la poitrine, excepté chez l'homme, où, terminé en pointe et dirigé en avant, il est sous la mamelle gauche. Chez les poissons seuls cette pointe regarde la bouche. On assure que ce viscère est le premier formé chez l'embryon (X,17), puis le cerveau, comme les yeux sont les derniers formés ; que les yeux meurent les premiers, mais que le cœur meurt le dernier. Il est le siège principal de la chaleur ; il bat continuellement, et se meut comme un animal renfermé dans l'animal. Il est recouvert d'une enveloppe très souple et résistante, protégé par le mur des côtes et du sternum, comme il convenait pour la cause et l'origine principale de la vie. <2> Il offre en dedans de lui le premier domicile à l'âme et au sang dans une cavité sinueuse, triple chez les grands animaux, double chez tous les autres. Là réside l'intelligence. De cette source sortent deux grandes veines qui se dirigent l'une en avant, l'autre en arrière, et qui, se ramifiant successivement, portent, par des veines plus petites, le sang vivifiant dans toutes les parties. Seul de tous les viscères il n'est pas affecté de maladies, et ne prolonge pas le supplice de la vie; blessé, il cause aussitôt la mort. Tous les autres viscères étant lésés, la vitalité persiste encore dans le cœur. [11,70] <1> On répute stupides les animaux qui ont le cœur dur, audacieux ceux qui l'ont petit, timides ceux qui l'ont très gros. Il est, proportion gardée, le plus gros chez le rat, le lièvre, l'âne, le cerf, la panthère, la belette, l'hyène, et tous les animaux timides ou malfaisants par crainte. Dans la Paphlagonie, les perdrix ont deux cœurs. On trouve quelquefois des os dans le cœur des chevaux et des bœufs. On prétend qu'il croît chaque année dans l'homme, et qu'il augmente du poids de deux drachmes jusqu'à cinquante ans; qu'à partir de cet âge il décroît dans la même progression, et que pour cette raison l'homme ne vit pas au delà de cent ans, le coeur venant à manquer : c'est l'opinion des Égyptiens, dont l'usage est de conserver les corps embaumés. <2> On dit que certains hommes naissent avec un cœur velu, et que chez aucun le courage n'est aussi industrieux : tel fut Aristomène de Messène, qui tua trois cents Lacédémoniens. Couvert de blessures et pris, il s'échappa une fois par un trou de la carrière où on l'avait emprisonné, et passa par l'issue étroite qui servait à un renard. Pris une seconde fois, il s'approcha du feu pendant que les gardiens dormaient, et en se brûlant lui-même il brûla ses liens. Pris une troisième fois, les Lacédémoniens lui ouvrirent la poitrine tout vivant, et lui trouvèrent le cœur hérissé de poils. [11,71] <1> Au haut du cœur est une certaine graisse, dans les victimes d'heureux présage. Au reste, le cœur n'a pas toujours été compté parmi les entrailles. C'est sous L. Postumius Albinus, roi des sacrifices, après la 126e olympiade, lorsque le roi Pyrrhus eut quitté l'Italie, que les aruspices commencèrent à examiner le cœur avec les parties consacrées. Le premier jour où le dictateur César parut en public vêtu de pourpre et assis sur un siège d'or, par deux fois le cœur manqua dans les victimes qu'il sacrifiait. <2> De là, grande question parmi ceux qui argumentent sur la divination : La victime a-t-elle pu vivre sans cœur, ou l'a-t-elle perdu au moment même? On assure que le cœur de ceux qui ont succombé à la maladie cardiaque ne peut se brûler ; même assertion pour ceux qui sont morts par le poison. Toujours est-il que nous avons un discours de Vitellius, où il accuse Pison d'empoisonnement, en s'appuyant sur cet argument; et il attesta publiquement que le cœur de Germanicus ne put être consumé par le feu, à cause du poison. La nature de la maladie fut alléguée pour la défense de Pison. [11,72] <1> Au-dessous du cœur est le poumon, atelier de la respiration, attirant l'air et le rejetant, et pour cela spongieux et creusé de conduits vides. Peu d'animaux aquatiques, comme nous l'avons dit (IX, 6), ont un poumon. Chez les autres ovipares il est petit, fongueux, il ne contient pas de sang ; aussi ces animaux n'éprouvent-ils pas la soif. C'est pour la même raison que les grenouilles et les phoques restent longtemps plongés sous l'eau. La tortue aussi, bien qu'elle ait un poumon très grand et étendu sous toute la carapace, ne l'a pas moins dépourvu de sang. Plus ce viscère est petit en proportion de la taille, plus la vélocité de l'animal est grande. C'est chez le caméléon qu'il est le plus gros proportionnément; rien autre n'est dans l'intérieur de son corps. [11,73] <1> Le foie est à droite. C'est dans ce viscère qu'est ce qu'on appelle la tête des entrailles, sujette à de grandes variétés. Elle manqua dans la victime offerte par M. Marcellus le jour où, il périt dans un combat contre Annibal ; puis le lendemain on la trouva double. Elle manqua aussi à C. Marius, sacrifiant dans la ville d'Utique; à l'empereur Caligula aux calendes de janvier (1er janvier), quand il prit possession du consulat, l'année où il fut tué; à Claude, son successeur, le mois où il périt par le poison. <2> Le dieu Auguste, faisant un sacrifice dans la ville de Spolète le premier jour de sa puissance, trouva chez six victimes le foie roulé sur lui-même d'un lobe à l'autre; il lui fut répondu qu'il doublerait dans l'année son pouvoir. La tête des entrailles, incisée, est aussi d'un funeste augure, excepté dans l'inquiétude et la crainte; car alors c'est la fin des soucis. Les lièvres des environs du Briletum, de Tharne, et dans la Chersonèse sur la Propontide, ont deux foies ; et, chose singulière, quand on les transporte ailleurs, un des foies se perd. [11,74] <1> Dans le foie est la bile, qui n'existe pas chez tous les animaux. A Chalcis d'Eubée, le menu bétail n'en a pas; dans l'île de Naxos, il a un fiel très gros et double, de sorte qu'un étranger croit voir un prodige, dans l'une et l'autre de ces dispositions. Les chevaux, les mulets, les ânes, les cerfs, les chevreuils, les sangliers, les chameaux, les dauphins, n'en ont pas. Quelques rats en ont. Des hommes en sont dépourvus; leur santé est plus solide et leur vie plus longue. Des auteurs pensent que chez le cheval le fiel est non pas dans le foie, mais dans le ventre, et chez le cerf dans la queue ou les intestins; aussi leurs intestins sont-ils si amers que les chiens n'y touchent pas. La bile, au reste, n'est que la dépuration et la partie la plus mauvaise du sang; c'est pour cela qu'elle est amère. Toujours est-il qu'il n'y a de foie que chez les animaux qui ont du sang. Le foie reçoit le sang du cœur, auquel il est uni, et il le répand dans les veines. [11,75] <1> La bile noire est une cause de folie pour l'homme, et si elle est évacuée complètement, de mort. Le mot de bile sert à caractériser une disposition morale fâcheuse; tant le venin de cette substance est puissant, quand il s'étend à l'âme ! Bien plus, répandu par tout le corps, il ôte la couleur aux yeux, et, rejeté hors du corps, il l'ôte aux vases d'airain; ce qu'il touche noircit. <2> Qu'on ne s'étonne donc pas que le fiel des serpents soit leur venin (XI, 62). Les animaux qui dans le Pont se nourrissent d'absinthe en sont dépourvus. La vésicule du fiel est unie à la région rénale, et par un côté seulement à l'intestin, dans les corbeaux, les cailles, les faisans ; à l'intestin seulement, dans quelques-uns, les pigeons, l'épervier, les murènes. Peu d'oiseaux l'ont dans le foie. Chez les serpents et les poissons elle est très grande, proportion gardée. Chez la plupart des oiseaux elle s'étend tout le long de l'intestin, par exemple dans l'épervier, le milan. Elle est dans le foie chez tous les cétacés; le fiel du veau marin est renommé pour plusieurs usages. Du fiel des taureaux on fait une couleur d'or. Les aruspices l'ont consacré a Neptune et à la puissance de l'eau. L'empereur Auguste en trouva deux le jour où il gagna la bataille d'Actium. [11,76] <1> Dans le petit foie des rats le nombre des lobes correspond, dit-on, au nombre de la lune (XXIX, 15), et on en trouve autant que l'astre a de jours; on ajoute qu'il croît au solstice d'hiver. On trouve souvent un foie à deux lobes dans les lapins de la Bétique. Les fourmis ne touchent pas au second des lobes du foie de la grenouille buissonnière; on pense que c'est a cause; du venin. Le foie se conserve le plus longtemps, et des sièges nous ont offert des exemples de foies gardés sept ans. [11,77] <1> Les viscères thoraciques sont allongés chez les serpents et les lézards. On dit que, par un prodige heureux, Caecina de Volaterra vit des dragons s'élancer hors des viscères des victimes; et cela n'aura rien d'incroyable si un admet que le roi Pyrrhus sacrifiant le jour ou il périt, les têtes coupées des victimes rampèrent en léchant leur sang. Les viscères thoraciques chez l'homme sont séparés des viscères inférieurs par une membrane qu'on nomme praecordia, parce qu'elle est étendue au-devant du cœur ; les Grecs lui ont donné le nom de g-phrenes (diaphragme) . Tous les viscères principaux ont été renfermés dans des membranes spéciales, et pour ainsi dire dans des gaines, par la nature prévoyante. Pour le diaphragme il y eut une raison particulière, la proximité du ventre, de peur que les aliments n'interceptassent la respiration. Toujours est-il qu'on lui attribue la finesse de l'esprit; aussi n'a-t-il point de chair, il est nerveux et mince. Là aussi est le siège principal de la gaieté, ce que l'on reconnaît surtout par le chatouillement des aisselles, au-dessous desquelles il s'avance; nulle part la peau de l'homme n'est plus fine, nulle part le plaisir du chatouillement ne se fait sentir de plus près. Pour cette raison, dans les combats et dans les spectacles de gladiateurs, la blessure du diaphragme a causé le rire et la mort. [11,78] <1> Au-dessous, chez les animaux qui ont un œsophage, est l'estomac : simple chez les autres, il est double chez les ruminants; il manque chez ceux qui n'ont pas de sang. L'intestin en effet commence à la bouche, et chez quelques animaux il y revient, par exemple la sèche, le poulpe. Dans l'homme il est joint à l'extrémité de l'oesophage, et ressemble à celui du chien. Ce sont les seuls animaux chez lesquels il soit rétréci à l'extrémité inférieure (pylore); aussi sont-ils les seuls qui vomissent : le viscère se remplit, et l'orifice étroit empêche les aliments de passer ; ce qui ne peut arriver chez les animaux dont l'estomac transmet la nourriture par une large ouverture aux parties inférieures. [11,79] <1> Après l'estomac sont les intestins grêles, appelés lactes chez l'homme et le mouton, et hillae chez les autres ; c'est par là que passent les aliments. Viennent ensuite les gros intestins, qui aboutissent à l'anus, et qui, chez l'homme, ont un circuit très sinueux. Ceux chez qui le canal intestinal est le plus long sont les plus gros mangeurs; et ceux qui ont le ventre le plus chargé de graisse sont moins intelligents. Quelques oiseaux ont deux réservoirs : l'un, qui reçoit ce qui vient d'être avalé, le jabot ; l'autre (le gésier), où du jabot passent les aliments lorsque la digestion est déjà avancée; tels sont les poules, les ramiers, les pigeons, les perdrix. <2> Les autres oiseaux sont généralement dépourvus de jabot, mais l'œsophage est plus large; tels sont les choucas, les corbeaux, les corneilles. Quelques-uns ne sont constitués ni de l'une ni de l'autre façon ; mais ils ont l'estomac très près, ce sont ceux dont le cou est très long et étroit, par exemple le porphyrion. L'estomac des solipèdes est raboteux et dur. Chez d'autres animaux terrestres il est pourvu d'aspérités en forme de dents; chez d'autres, en forme de lime (XI, 68). Les animaux qui n'ont de dents qu'à une mâchoire, et qui ne ruminent pas, digèrent la nourriture dans l'estomac, d'où elle passe dans le ventre. Le ventre est chez tous annexé par le milieu à l'ombilic; chez l'homme, par sa partie inférieure, il ressemble à celui du pourceau; les Grecs l'appellent colon, et c'est une grande source de douleurs; <3> il est très étroit chez les chiens, aussi ne peuvent-ils le vider sans de grands efforts et même de la souffrance. Les animaux chez qui les aliments passent immédiatement de l'estomac dans un intestin non replié sont insatiables, par exemple le loup-cervier, et, parmi les oiseaux, les plongeons. L'éléphant a quatre estomacs; le reste des intestins est semblable à ceux du porc ; son poumon est quatre fois plus gros que celui du bœuf. Le gésier des oiseaux est charnu et calleux ; dans le gésier des jeunes hirondelles on trouve de petits cailloux blancs ou rougeâtres, appelés chélidoniens, et vantés dans les sortilèges. Dans le second estomac des génisses est un tuf noirâtre (XXVIII, 77,2), arrondi en forme de pelote, et fort léger : c'est, pense-t-on, un remède singulièrement efficace dans les accouchements laborieux, pourvu qu'il n'ait pas touché la terre. [11,80] <1> L'estomac et les intestins sont recouverts par l'épiploon, membrane mince et garnie de graisse, si ce n'est chez les ovipares. A cette membrane est attachée la rate, du côté gauche, à ('opposite du foie ; quelquefois cette disposition est renversée, mais c'est un prodige. Quelques auteurs pensent qu'une très petite rate existe chez les ovipares et chez les serpents ; du moins on la trouve telle dans la tortue, le crocodile, le lézard et la grenouille. Il est certain qu'elle manque dans l'oiseau appelé égocéphale (scolopax œgocephala), et dans les animaux dépourvus de sang. <2> Elle est quelquefois une gène toute particulière dans la course ; aussi brûle-t-on la région splénique aux coureurs qui en souffrent (XXVI, 83). On assure que des animaux à qui elle a été extraite par une incision vivent néanmoins. Il en est qui pensent que la perte de la rate amène, chez l'homme, la perte du rire, et que l'intempérance du rire dépend de la grosseur de ce viscère. Dans une contrée de l'Asie appelée Scepsis, le menu bétail a, dit-on, une très petite rate; c'est là qu'on a découvert les remèdes pour les affections de ce viscère. [11,81] <1> Dans le Briletum et à Tharne les cerfs ont quatre reins ; les animaux à plumes et à écailles n'en ont pas. Du reste, les reins sont adhérents au haut de la région lombaire. Chez tous le rein droit est plus élevé, moins gras et plus sec. Dans l'un et l'autre rein, du milieu sort un peloton de graisse excepté chez le veau marin. C'est aux reins que les animaux ont le plus de graisse ; et même l'accumulation de la graisse autour des reins donne la mort aux moutons. Quelquefois on y trouve de la gravelle. Ces organes existent chez tous les quadrupèdes vivipares; parmi les ovipares, dans la tortue seule, qui a aussi tous les autre viscères; mais elle les a, comme l'homme, semblables à ceux du bœuf, et comme composés de plusieurs reins. [11,82] <1> La nature a mis la poitrine, c'est-à-dire des os, à l'entour du diaphragme et des organes essentiels à la vie ; mais elle ne l'a pas fait pour le ventre, qui devait être susceptible d'ampliation. Nul animal n'a d'os au ventre. Chez l'homme seul la poitrine est large; chez les autres elle est en carène, davantage chez les oiseaux, et surtout chez les oiseaux aquatiques. L'homme n'a que huit côtes, le porc dix, les animaux ténus treize, les serpents trente. [11,83] <1> Sous le ventre, à la partie antérieure, est la vessie, qui ne se trouve chez aucun ovipare, excepté la tortue, chez aucun animal n'ayant pas un poumon sanguin, chez aucun animal dépourvu de pieds. Entre elle et le ventre sont des artères se rendant vers le pubis, région nommée iliaque. Dans la vessie du loup est une petite pierre appelée syrites. Chez quelques hommes il s'y forme des pierres causant des souffrances intolérables ; il s'y forme aussi des filaments en forme de soies (gravelle pileuse). La vessie est constituée par une membrane qui, blessée, ne se cicatrise pas, non plus que celle qui enveloppe le cerveau ou celle qui entoure le coeur, il y a en effet plusieurs espèces de membranes. [11,84] <1> Chez les femmes tout est semblable, si ce n'est qu'à la vessie est jointe une utricule, d'où vient le nom d'utérus. On l'appelle encore loci (lieux); chez les autres animaux elle porte le nom de vulve. Elle est double chez les vipères et chez les animaux qui enfantent au dedans d'eux-mêmes; chez les ovipares elle est annexée au diaphragme; chez la femme elle a deux sinus latéraux. C'est un fâcheux accident quand la matrice se déplaçant cause la suffocation (hystérie). On assure que les vaches ne portent que du côté droit de l'utérus, même quand elles portent deux petits. La vulve de truie est un meilleur manger après l'avortement qu'après le part naturel ; elle s'appelle alors ejectitia, l'autre porcaria: la meilleure est celle d'une truie primipare; la moins bonne, celle d'une vieille truie. Après le part naturel, à moins qu'on ne tue l'animal le même jour, elle est maigre et livide. On n'estime pas la vulve des jeunes truies si ce n'est celle des truies primipares; on aime mieux celle des vieilles, pourvu qu'elles ne soient pas épuisées, ni tuées deux jours avant le part, ou deux jours après, ou le jour même de l'avortement. La meilleure après l'éjectice est celle d'une truie tuée le lendemain du part. Les tétines (VIII, 77) de cette dernière sont excellentes, pourvu que les petits n'aient pas tété; les tétines de l'éjectice sont détestables. Les anciens appelaient cette partie abdomen; ils n'avaient pas l'habitude de tuer les truies près de mettre bas, et avant que les tétines fussent durcies. [11,85] <1> Les animaux à cornes, qui ont des dents à une seule mâchoire et des talus aux pieds, ont du suif. Les animaux à pied fourchu, ceux dont les pieds sont fendus en doigts, et ceux qui n'ont pas de cornes, ont de la graisse. Cette graisse est concrète, et quand elle est refroidie, cassante ; elle est toujours ramassée à l'extrémité de la chair ; au contraire, le gras qui est entre la chair et la peau est liquide. Quelques animaux ne prennent pas de graisse, tels que le lièvre et la perdrix. Tous les animaux gras, mâles ou femelles, sont plus stériles. Les animaux très gras vieillissent plus vite. Chez tous les animaux il y a quelque chose de gras dans les yeux. Chez tous la graisse est insensible, attendu qu'elle n'a ni artères ni veines. Chez la plupart des animaux l'embonpoint excessif produit l'insensibilité: aussi dit-on que des pourceaux vivants se sont laissé ronger par des rats. On dit même que le fils d'un personnage consulaire, de L. Apronius, se fit dégraisser, et allégea ainsi le poids qui rendait son corps immobile. [11,86] <1> La moelle paraît être une substance analogue ; elle tire sur le rouge dans la jeunesse, sur le blanc dans la vieillesse. Elle ne se trouve que dans les os creux. Elle n'existe pas dans les tibias des bêtes de somme ou des chiens ; aussi ces os fracturés ne se soudent pas ; soudure qui s'effectue par l'épanchement de la moelle. La moelle est grasse chez les animaux qui ont de la graisse ; sébacée chez les animaux à cornes; nerveuse et ne se trouvant que dans la colonne vertébrale, chez ceux qui n'ont pas d'os, comme les poissons. Les ours n'en ont pas. Le lion n'en a que dans un petit nombre d'os, ceux des cuisses et des bras ; du reste, ses os sont si durs qu'on en tire des étincelles comme d'un caillou. [11,87] <1> Les os sont durs aussi chez les animaux qui ne s'engraissent pas. Ceux des ânes sont assez sonores pour faire des flûtes. Les dauphins ont des os, non des arêtes ; ils sont en effet vivipares. Les serpents ont des arêtes. Les mollusques n'en ont pas ; mais leur corps est tenu par des cercles de chair; exemples la sèche, le calmar. On dit aussi que les insectes n'en ont point. Les poissons cartilagineux ont de la moelle dans la colonne vertébrale. Le veau marin a des cartilages, point d'os. Les oreilles, les narines, quand elles sont proéminentes, sont cartilagineuses et flexibles, par une prévoyance de la nature, afin qu'elles ne soient pas brisées. Un cartilage fracturé ne se consolide pas. Les os coupés ne repoussent pas, excepté, chez les bêtes de somme, de l'ongle au jarret. L'homme croît en hauteur jusqu'à trois fois sept ans, puis il épaissit; c'est surtout à l'époque de la puberté qu'il semble, et principalement par la maladie, se dénouer en quelque sorte. [11,88] <1> Les nerfs (tendons et nerfs) commencent au coeur, qui, chez le bœuf, en est même enveloppé; ils ont même nature et même principe que la moelle. Chez tous, ils sont appliqués sur les os glissants. Ils lient les jointures du corps nommées articulations, tantôt par leur position intermédiaire, tantôt en entourant l'articulation, tantôt en passant de l'une à l'autre; ici larges, là ronds, suivant que l'exige la configuration des parties. Coupés, ils ne se consolident pas : chose singulière, blessés, ils causent une extrême douleur ; coupés complètement, ils n'en causent aucune. Quelques animaux sont sans nerfs, par exemple les poissons, dont le corps est lié par les artères. Les artères même manquent chez les mollusques. [11,89] Partout où il y a des nerfs, les intérieurs produisent la flexion des membres, les extérieurs l'extension. Entre eux sont cachées les artères, c'est-à-dire les canaux de l'air; parmi elles sont les veines, c'est-à-dire les ruisseaux du sang. Le pouls des artères est surtout sensible à la superficie des membres : indicateur de presque toutes les maladies, suivant les âges régulier, ou accéléré, ou retardé, d'après des rythmes certains et des lois numériques qu'a exposées Hérophile, oracle de la médecine (XXIX, 5) art merveilleux, abandonné à cause de sa subtilité excessive : néanmoins l'observation de la fréquence ou de la lenteur du pouls règle la conduite de la santé. LXXXIX. <1> Les artères sont privées de sentiment, elles le sont aussi de sang. Mais elles ne contiennent pas tout l'esprit vital ; et quand une artère est coupée, la partie du corps est seulement engourdie. Les oiseaux n'ont ni veines ni artères; il en est de même des serpents, des tortues, des lézards, animaux qui n'ont que très peu de sang. Les veines, dispersées sous la peau entière en filaments très menus, finissent par s'atténuer tellement, que le sang n'y peut plus pénétrer ; il y entre seulement une humeur subtile appelée sueur, d'après ce liquide qu'on voit sourdre sous forme d'innombrables gouttelettes. Le nœud et la réunion des veines est à l'ombilic. [11,90] (XXXVIII.) Les animaux qui ont le sang abondant et épais sont irascibles; le sang est plus noir chez les mâles que chez les femmes dans la jeunesse que dans la vieillesse ; il est plus épais aussi dans les parties inférieures du corps. Il contient une grande part de la vitalité ; s'écoulant, il entraîne les esprits avec lui; cependant il ne sent pas les attouchements. Les animaux qui ont le sang plus épais sont plus courageux ; ceux qui l'ont plus ténu sont plus intelligents; ceux qui n'en ont que très peu ou pas du tout sont plus timides. Chez les taureaux il se coagule et se durcit très promptement; aussi est-il mortel, surtout pris en boisson. <2> Le sang des sangliers, des cerfs, des chevreuils et des bubales ne se coagule pas. Il est le plus épais chez l'âne, le plus ténu chez l'homme. Les animaux qui ont plus de quatre pieds n'ont point de sang. Il est moins abondant dans l'embonpoint, parce qu'il est consommé par la graisse. L'homme est le seul chez qui il y ait des hémorragies par le nez ; quelques-uns en ont par une seule narine ; d'autres, par les voies inférieures. Beaucoup rejettent du sang par la bouche a une époque réglée, par exemple, dans ces derniers temps, Macrinus Viscus, qui avait été préteur. Tous les ans Volusius Saturninus (VII, 12), préfet de Rome, en rejetait par la bouche : cependant il dépassa quatre-vingt-dix ans. Le sang est la seule substance qui, dans le corps, reçoive un accroissement temporaire : les victimes en répandent plus quand elles ont bu avant d'être immolées. [11,91] <1> Les animaux qui, avons-nous dit, se mettent en retraite à des époques fixes, n'ont pas alors de sang, si ce n'est quelques gouttelettes autour du cœur (VIII, 54). Admirable procédé de la nature, dont on voit aussi des effets dans l'homme! ainsi, chez lui, le sang présente des modifications pour les moindres causes : non seulement l'homme est le seul chez qui le sang se porte au visage, mais encore ce liquide suit l'impulsion des diverses affections morales, la honte, la colère, la crainte. Les modes de la pâleur sont multipliés, comme ceux de la rougeur; autre en effet est la rougeur de la colère, autre celle de la honte. Il est certain que dans la crainte le sang se retire et disparaît, et que beaucoup ont été percés de part en part sans rendre une goutte de sang. Ces variations ne se voient que chez l'homme; car les animaux qui, avons-nous dit (VIII, 51 et 52), changent de couleur, empruntent une couleur étrangère, qu'ils ne font que refléter : l'homme seul en change par une cause intérieure à lui. Toutes les maladies et la mort consument le sang. [11,92] (XXXIX.) <1> Il est des auteurs qui pensent que la subtilité de l'esprit ne dépend pas de la ténuité du sang, mais que les animaux sont plus ou moins stupides en raison de l'épaisseur de leur peau et de leurs enveloppes, comme les huîtres et les tortues ; que le cuir des bœufs, les soies des pourceaux s'opposent à la pénétration de l'air, élément ténu, et ne le laissent point passer pur et limpide; qu'il en est de même des hommes quand ils ont une peau trop épaisse ou trop calleuse. Comme si les crocodiles, à la dureté de la peau, ne joignaient pas l'adresse ! [11,93] <1> L'épaisseur du cuir de l'hippopotame est telle, qu'au tour on en fait des lances ; et cependant cet animal a l'intelligence de se donner certains soins médicaux (VIII, 40). Le cuir de l'éléphant sert à faire des boucliers impénétrables, et cependant on le reconnaît d'une intelligence supérieure à celle de tous les animaux. La peau est insensible par elle-même, surtout à la tête ; partout où elle est seule et sans chair, les plaies ne s'en cicatrisent pas, par exemple à la mâchoire et à la paupière. [11,94] <1> Les vivipares ont du poil ; les ovipares, des plumes, des écailles ou une carapace (IX, 14), comme la tortue, ou une peau nue, comme les serpents. Le tuyau des plumes est toujours creux ; coupées, elles ne croissent plus ; arrachées, elles repoussent. Les insectes volent à l'aide de membranes fragiles. Les ailes de l'hirondelle de mer (trigla volitans) (IX, 43) sont humides; celles de la chauve-souris dans nos habitations sont sèches (X, 81), et ont des articulations. Les poils sortant d'une peau épaisse sont rudes ; ils sont plus fins chez les femelles ; ils sont abondants au cou chez le cheval, aux épaules chez le lion. Le dasypode en a même dans l'intérieur de la bouche et aux pattes, double particularité que Trogue Pompée attribue aussi au lièvre : cet auteur en conclut que les hommes velus sont en même temps plus enclins aux plaisirs de l'amour. <2> Le plus velu des animaux est le lièvre. Chez l'homme seul le pubis se garnit de poils ; si cela n'arrive pas, l'individu est stérile, soit homme, soit femme. Il y a des poils que l'homme apporte en naissant, d'autres qui poussent plus tard. Les poils de naissance ne tombent guère chez les eunuques, ni même chez les femmes: cependant on en a vu quelques-unes qui avaient perdu leurs cheveux, de même qu'on en a vu à qui il était venu du duvet aux lèvres, les règles s'étant arrêtées. Chez quelques hommes, les poils d'après la naissance ne poussent pas. <3> Les quadrupèdes muent tous les ans. Chez les hommes, les poils qui s'allongent le plus sont les cheveux, puis la barbe; coupés, ils repoussent, non comme les herbes, par le bout, mais par la racine. Ils croissent aussi dans certaines maladies, surtout la phtisie ; ils croissent dans la vieillesse, et même après la mort. Chez les hommes livrés aux plaisirs de l'amour, les poils de naissance tombent plus tôt; ceux d'après la naissance croissent plus rapidement. Chez les quadrupèdes, dans la vieillesse, le poil et la laine deviennent plus gros, mais la laine devient moins serrée. Ils ont le dos velu, le ventre glabre. Avec le cuir du bœuf, et surtout avec celui du taureau, par la cuisson on fait de la colle. [11,95] <1> L'homme, seul parmi les mâles, a des mamelles ; les autres animaux n'en ont que la marque. Parmi les femelles, celles-là seules ont des mamelles à la poitrine qui peuvent porter leurs petits dans leurs bras. Aucun ovipare n'a de mamelles ; il n'y a non plus de lait que chez les vivipares ; parmi les volatiles, que chez la chauve-souris; car je regarde comme me fable ce qu'on dit des striges, qu'elles instillent le lait de leurs pis dans la bouche des enfants. Sans doute depuis longtemps le mot de strige est une injure, mais je ne pense pas qu'on sache quel est cet oiseau. (XL.) <2> Chez les ânesses les mamelles sont douloureuses après la mise bas; pour cela elles éloignent l'ânon au bout de six mois, tandis que les juments allaitent pendant une année presque entière. Les solipèdes et les animaux qui n'ont pas plus de deux petits ont tous deux mamelles, toujours placées entre les cuisses. Les animaux à pied fourchu et les animaux cornus les ont placées au même endroit, les vaches, quatre ; les brebis et les chèvres, deux. Les animaux qui font beaucoup de petits, et ceux qui ont des doigts aux pieds, en ont un plus grand nombre, distribuées dans tout le ventre sur un double rang, comme les truies; les bonnes en ont douze; les truies communes, deux de moins. Il en est de même pour les chiennes. <3> D'autres ont quatre mamelles au milieu du ventre, comme les panthères; d'autres, deux, comme les lionnes. L'éléphant n'en a que deux, qui sont au-dessous des épaules, non pas à la poitrine, mais en deçà, et cachées sous les aisselles. Aucun animal à pieds digités ne les a entre les cuisses. Les premiers-nés dans chaque portée de la truie s'attachent aux premières mamelles (les premières sont les plus voisines de la gorge); chaque petit de la portée connaît la sienne dans l'ordre où il est venu au monde; il tette celle-là, et non une autre. Si on ôte à la mamelle le petit qui la tette, elle se dessèche aussitôt et se rétracte ; s'il ne reste qu'un seul petit de toute la portée, la mamelle seule qui lui était dévolue dans l'ordre de la naissance s'allonge pour l'alimenter. Les ourses ont quatre mamelles; les dauphins en ont seulement deux au bas du ventre ; elles ne sont pas visibles, et sont dirigées un peu obliquement : c'est le seul animal qui donne à téter en allant. Les baleines et les veaux marins sont aussi mammifères. [11,96] (XLI.) <1> Chez la femme, le lait qui s'écoule avant le septième mois ne vaut rien; il est bon à partir de ce mois, attendu que dès lors le fœtus est viable. Chez quelques femmes il coule par la mamelle entière, et même par les aisselles. Les chamelles ont du lait jusqu'à ce qu'elles deviennent pleines de nouveau : ce lait, mêlé à trois parties d'eau, passe pour très agréable. La vache n'en a pas avant le part. Le lait qui suit immédiatement le part est le colostrum (XXVIII, 33) ; si on ne le mêle pas à l'eau, ce colostrum se durcit comme la pierre ponce. Les ânesses pleines ont aussitôt du lait : quand le pâturage est gras, les ânons meurent s'ils goûtent du lait maternel les deux premiers jours après le part ; l'espèce de maladie qui en résulte se nomme colostration (XXVIII, 83). <2> On ne fait pas de fromage avec le lait des animaux qui ont des dents aux deux mâchoires, attendu que ce lait ne se coagule pas. Le lait le plus clair est celui des chamelles, puis celui des juments; le plus épais est celui de l'ânesse, au point qu'on s'en sert au lieu de coagulum. On pense aussi qu'il contribue à la blancheur de la peau des femmes. Toujours est-il que Poppée, femme de Néron, menait toujours avec elle cinq cents ânesses nourrices (XXVIII, 50), et prenait des bains de corps avec ce lait, croyant qu'il donnait de la souplesse à la peau. Tout lait s'épaissit par le feu, et devient séreux par le froid. Le lait de vache rend plus de fromage que le lait de chèvre : à mesure égale, il en fournit à peu près le double. Le lait d'animaux qui ont plus de quatre mamelles ne fait pas de fromage; le meilleur est celui d'animaux ayant deux mamelles. <3> On vante la présure du faon, du lièvre et du chevreau; mais la meilleure est celle du dasypode, qui est aussi un remède pour la diarrhée ; c'est le seul des animaux ayant une rangée de dents à chaque mâchoire, dont la présure ait cette propriété. Il est singulier que les nations barbares qui vivent de lait ignorent ou méprisent depuis tant de siècles le mérite du fromage; et cependant elles savent transformer le lait en un liquide d'une acidité agréable, et en un beurre gras. Le beurre est l'écume du lait, plus épaisse que ce qu'on appelle sérum. Il ne faut pas omettre qu'il a une vertu huileuse, et qu'il est employé en onctions chez tous les barbares, et, parmi nous, pour les enfants. [11,97] (XLII.) <1> Le fromage le plus estimé à Rome, où l'on juge en présence l'une de l'autre les productions de tous les pays, est, parmi les fromages des provinces, celui qui provient de la contrée de Nîmes, de la Lozère et du Gévaudan ; mais le mérite en dure peu, et il ne vaut que tant qu'il est frais. Les pâturages des Alpes se recommandent par deux espèces de fromages. Les Alpes Dalmatiques envoient le Docléate; les Alpes Centroniennes (III, 24), le Vatusique. L'Apennin est plus fertile en espèces de fromages : il envoie de la Ligurie le fromage de Céba, qui se fait surtout avec le lait de brebis ; de l'Ombrie, l'Aesinate; de la frontière de l'Étrurie et de la Ligurie, le fromage de Luna, remarquable par sa grosseur, car chaque fromage pèse jusqu'à mille livres. Aux portes de Rome nous avons le Vestin ; le meilleur de ce canton se fait dans la campagne Céditienne (XIV, 8). <2> Les chèvres donnent aussi un fromage estimé, surtout à Agrigente, où on en augmente le mérite en le fumant ; tel qu'on le fait à Rome, il est préférable à tous les autres : le procédé qu'on suit dans les Gaules donne au fromage un goût de médicament. Au delà des mers, le plus renommé est généralement celui de la Bithynie. Ce qui prouve surtout que tous les pâturages ont un sel, c'est que, sans même avoir été salé, tout fromage prend un goût de sel en vieillissant. Macéré dans le vinaigre et le thym, il est certain qu'il reprend le goût qu'il avait étant frais. On rapporte que Zoroastre vécut dans la solitude, pendant vingt ans, avec du fromage tellement préparé qu'il ne vieillissait pas. [11,98] (XLIII.) <1> Des animaux terrestres, l'homme est le seul bipède, le seul qui ait une clavicule, des épaules; les épaules, chez les autres, portent le nom d'armi; c'est le seul qui ait un cubitus. Les animaux pourvus de mains les ont charnues à l'intérieur seulement ; au dehors, elles sont formées par des nerfs et de la peau. [11,99] <1> Quelques hommes ont six doigts aux mains. Nous lisons que C. Horatius, de famille patricienne, eut deux filles appelées Sedigitae, à cause de ce vice de conformation; et que, pour la même raison, Volcatius, poète célèbre, reçut le nom de Sedigitus. Les doigts de l'homme ont trois phalanges; le pouce en a deux, et il se fléchit en un sens opposé à celui des autres doigts réunis; par lui-même il s'étend obliquement, il est plus gros que les autres. Le petit doigt lui est égal en longueur; deux autres sont égaux l'un à l'autre; entre eux est celui du milieu, qui est le plus long. <2> Les quadrupèdes qui vivent de proie ont cinq doigts aux pieds de devant, quatre aux autres. Les lions, les loups, les chiens, et quelques autres encore, ont cinq ongles aux pieds de derrière ; un de ces ongles est placé à l'articulation de la jambe. Les animaux plus petits ont aussi cinq doigts. Chez tous les hommes les deux bras ne sont pas égaux : parmi les gladiateurs que l'empereur Caligula entretenait, on sait que le Thrace Studiosus avait le bras droit plus long. Quelques animaux font faire à leurs pattes de devant l'office de mains, et, assis, ils s'en servent pour porter les aliments à leur bouche, par exemple les écureuils. [11,100] (XLIV.) <1> Quant aux singes, ils offrent une imitation parfaite de l'homme par la face, le nez, les oreilles, les cils; ce sont les seuls quadrupèdes qui en aient à la paupière inférieure (XI, 57). Ils ont les mamelles à la poitrine, des bras et des jambes qui se fléchissent en sens contraire, comme chez l'homme (XI, 102); des doigts, des ongles aux mains, et le doigt du milieu plus long. Ils diffèrent un peu par les pieds : en effet, leurs pieds sont comme des mains, allongés, et la plante en est semblable à la paume des mains. Ils ont aussi un pouce et des phalanges comme l'homme; ils n'en diffèrent que par les parties génitales, et encore le mâle seulement. Tous leurs viscères intérieurs sont conformés sur le modèle de l'espèce humaine. [11,101] (XLV.) <1> On regarde les ongles comme la terminaison des nerfs. Tous les animaux qui ont des doigts ont des ongles. Ils sont en forme de tuile chez le singe, élargis chez l'homme. Ils croissent même après la mort. Crochus chez les rapaces, ils sont droits chez les autres, tels que les chiens, si ce n'est celui qui, chez la plupart, est attaché à la jambe. Tous les animaux qui ont des pieds (et non des sabots) ont des doigts, excepté l'éléphant. Chez cet animal les ongles sont bien au nombre de cinq, mais informes, soudés ensemble et à peine distincts ; Ils sont plus semblables à un sabot qu'à des ongles proprement dits ; les pieds de devant sont chez lui les plus gros ; à la jambe de derrière les malléoles sont courtes ; il fléchit aussi le genou d'arrière en avant, comme l'homme. Les autres animaux plient les jambes de devant et celles de derrière en sens contraire ; en effet, les vivipares fléchissent les genoux de devant en avant, et les jarrets en arrière. [11,102] <1> Chez l'homme le genou se fléchit en sens contraire du coude; il en est de même chez l'ours et chez le singe (XI, 100), et c'est pour cette raison qu'ils sont très peu rapides. Les quadrupèdes ovipares, crocodiles, lézards, fléchissent les pattes de devant en arrière, les pattes de derrière en avant ; leurs jambes sont situées obliquement, comme le pouce de l'homme. Il en est de même chez les insectes multipèdes, à l'exception des sauteurs pour les jambes de derrière. Les oiseaux ont les articulations comme les quadrupèdes : ils fléchissent les ailes en avant, les pattes en arrière. [11,103] <1> L'usage des nations a attaché quelque chose de religieux aux genoux. Les suppliants les touchent, ils y tendent les mains; ils les adorent comme des autels, peut-être parce que la vie en dépend : en effet, dans l'articulation même de chaque genou, à droite et à gauche, en avant, est un double vide, en forme de bouche; la vie s'enfuit par une blessure en cet endroit, comme par une blessure à la gorge. D'autres parties sont aussi l'objet d'idées religieuses : on baise le dos de la main droite, on étend cette main pour engager sa foi. <2> Les anciens Grecs avaient l'habitude de toucher le menton dans les supplications. Au bas de I'oreille est le lieu de la mémoire: en invoquant le témoignage de quelqu'un, nous lui touchons le bout de l'oreille. C'est derrière l'oreille droite qu'est le lieu de Némésis, déesse qui n'a pas trouvé un nom latin, même dans le Capitole (XXVIII, 5); nous y portons le doigt annulaire après l'avoir touché de la bouche, quand nous demandons pardon aux dieux d'une parole indiscrète. [11,104] <1> Les hommes seuls ont des varices aux jambes ; les femmes en ont rarement. C. Marius, sept fois consul, est, d'après Oppius, le seul qui ait endure qu'on les lui excisât étant debout. [11,105] <1> Tous les animaux se mettent en marche par le côté droit, et se couchent sur le côté gauche. Tandis que les autres font leurs pas comme ils veulent, le lion et le chameau, seuls, marchent de façon que le pied gauche ne dépasse pas le pied droit, mais reste en arrière. L'homme a les pieds les plus grands ; dans toutes les espèces les femelles les ont plus petits. L'homme seul a des mollets, et les jambes charnues. On trouve dans les auteurs qu'un certain Égyptien n'avait pas de mollets. L'homme seul a une plante de pied ; quelques individus en sont dépourvus. De là on a tiré des surnoms, Plancus (pied plat), Plautus (pied plat), Scaurus (pied bot), Pansa (pied large), de même que de la configuration des jambes ceux de Varus (bancal), de Vacia (cagneux), de Vatinius (jambe tortue) ; vices de conformation qu'on voit aussi chez les quadrupèdes. <2> Ceux qui n'ont pas de cornes ont l'ongle du pied solide ; le sabot est leur arme : les mêmes sont dépourvus de talus. Les pieds fourchus en ont; les digités n'en ont pas. Il n'y en a pas dans les pieds de devant. Les talus des chameaux sont semblables à ceux des bœufs, mais, un peu plus petits ; le chameau a en effet le pied fourchu, mais peu: la plante est charnue, comme chez l'ours ; aussi se fatigue-t-il dans les longues routes, si on ne lui met des chaussures. [11,106] (XLVI.) <1> La corne du pied ne repousse qu'aux bêtes de somme. En quelques endroits de l'Illyrie, les pourceaux ont des ongles solides. Presque tous les animaux à cornes ont le pied fourchu. Aucun animal n'est à la fois solipède et bicorne. L'âne indien n'est qu'unicorne. L'oryx (VIII, 79) est à la fois unicorne et à pieds fourchus. Seul des solipèdes, l'âne indien a des talus. Quant aux pourceaux, ils sont regardés comme appartenant aux deux genres ; aussi leurs talus sont-ils difformes. Les auteurs qui ont pensé que l'homme a des talus ont été facilement réfutés. Le lynx seul, parmi ceux qui ont le pied fendu en doigts, a quelque chose de semblable aux talus ; le talus est encore plus anfractueux chez le lion. Le talus est un os droit, situé au pied, à deux faces, l'une convexe, l'autre concave, et fixé dans l'articulation. [11,107] (XLVII.) <1> Des oiseaux (X, 1 3), les uns sont digités, les autres palmipèdes ; d'autres, intermédiaires, ont les doigts divisés, mais élargis par une membrane. Tous ont quatre doigts, trois en avant, l'autre au talon ; ce dernier manque chez quelques-uns qui ont de longues jambes. L'iynx (torcol) seul en a deux en avant, deux en arrière : cet oiseau a une langue semblable à celle des serpents, qu'il allonge démesurément. Il tourne le cou en arrière ; ses ongles sont grands comme ceux du choucas. Quelques-uns des oiseaux pesants ont des ergots aux jambes ; il n'y a d'ergots chez aucun de ceux qui ont les ongles crochus. Les longipèdes volent en allongeant les jambes vers la queue; ceux qui les ont courtes les ramassent vers le milieu du corps. Les auteurs qui prétendent qu'il n'y a pas d'oiseaux sans pieds assurent que les apodes (X, 5) en ont, ainsi que l'ote et la drépanis, laquelle se montre très rarement. On a vu aussi des serpents aux pattes d'oies (shellopusik, hypleropus, Pallas). [11,108] (XLVIII.) <1> Parmi les insectes, ceux qui ont les yeux durs ont les pieds de devant plus longs, afin de pouvoir s'essuyer de temps en temps les yeux avec leurs pattes, comme nous le voyons chez les mouches. Les insectes qui ont les pieds de derrière longs sautent, par exempte les sauterelles. Tous ces insectes ont six pieds. Quelques araignées ont deux longues pattes de plus. Chaque patte a trois phalanges. Nous avons dit (IX, 44) que des animaux marins ont huit pattes, tels que les poulpes, les sèches, les calmars, les cancres, animaux qui meuvent leurs bras en dedans, leurs pieds en rond ou obliquement; ce sont aussi les seuls animaux chez lesquels les pieds soient arrondis. <2> Chez les autres insectes, deux pieds règlent la marche ; quatre pieds, dans les cancres seulement. Les animaux terrestres qui ont un plus grand nombre de pieds, comme la plupart des vers, n'en ont pas moins da douze; quelques-uns en ont jusqu'à cent (XXIX, 39). Le nombre des pieds n'est impair chez aucun animal. Chez les solipèdes, les jambes ont dès la naissance la longueur qu'elles doivent avoir; dans la suite elles grossissent plutôt qu'elles ne croissent: aussi dans l'enfance se grattent- ils les oreilles avec les pieds de derrière, ce qu'ils ne peuvent plus faire dans l'âge adulte, parce que l'accroissement en hauteur ne porte que sur le corps. <3> Pour cette raison ils ne peuvent paître au commencement qu'en fléchissant les jambes, jusqu'à ce que le cou soit arrivé à son entière croissance. (XLIX.). Des nains se trouvent parmi tous les animaux, même parmi les oiseaux. [11,109] <1> Nous avons suffisamment dit (X, 83) quels sont parmi les animaux ceux dont les mâles ont les parties génitales tournées en arrière. Elles sont osseuses dans les loups, les renards, les belettes, les furets; c'est même la verge de ce dernier animal qui fournit les principaux remèdes pour la pierre chez l'homme. On dit que chez l'ours, dès qu'il a expiré, elles deviennent cornées. En Orient, les meilleures cordes pour l'arc se font avec la verge du chameau. Cette partie est, chez certaines nations, l'objet de coutumes différentes et même de pratiques religieuses. Les Galles, prêtres de la Mère des dieux, se la coupent (XXXV, 46) sans que l'amputation leur soit funeste. <2> Quelques femmes offrent une ressemblance monstrueuse avec les hommes, et les hermaphrodites (VII, 3) avec les deux sexes. Cet hermaphrodisme s'est vu même chez les quadrupèdes, et, je pense, pour la première fois, sous le règne de Néron. Toujours est-il que ce prince montrait pompeusement, attelées à son char, des juments hermaphrodites qu'on avait trouvées dans le territoire de Trêves; comme si c'était un beau spectacle que de voir le maître du monde traîné par des monstres. [11,110] <1> Le gros et le petit bétail ont les testicules pendants jusqu'aux jambes : chez le verrat ils sont adhérents ; chez le dauphin ils sont très longs, et cachés à la partie postérieure du ventre; chez l'éléphant on ne les voit pas; chez les ovipares ils sont adhérents à l'intérieur, aux lombes: ce sont les animaux les plus prompts dans l'acte vénérien. Les poissons et les serpents n'en ont pas : en place, deux veines se rendent de la région rénale aux parties génitales. Le buteo (buse) en a trois (X, 9). Chez l'homme seul les testicules se détruisent accidentellement ou par une maladie naturelle, et cela forme une troisième espèce d'hommes incomplets, avec les hermaphrodites et les individus châtrés. Dans toutes les espèces, les mâles sont plus courageux que les femelles, excepté chez la panthère et l'ours. [11,111] (L.) <1> Tous les vivipares et les ovipares ont, excepté l'homme et le singe, une queue appropriée aux besoins du corps. La queue est nue chez les animaux à poil hérissé, tels que le sanglier; petite chez les animaux velus, tels que l'ours ; garnie de crins chez les animaux très longs, tels que le cheval. Coupée chez le lézard et le serpent, elle repousse. Elle dirige comme un gouvernail les mouvements des poissons ; et même, remuée à droite et à gauche, elle agit comme une sorte de rame. On en trouve quelquefois deux chez le lézard. Chez le bœuf la tige de la queue est très longue ; elle, est garnie de poils à l'extrémité : cette tige est plus longue chez l'âne que chez le cheval ; elle est garnie de crins chez les bêtes de somme. Chez le lion, à l'extrémité, elle est semblable à celle du boeuf et de la souris. Il n'en est pas de même chez la panthère. Elle est velue chez les renards et les loups comme chez les moutons, chez lesquels elle est plus longue. Les pourceaux l'ont tordue; les chiens abâtardis la portent sous le ventre. [11,112] (LI.) <1> Aristote pense que parmi les animaux ceux-là seuls ont de la voix qui sont pourvus de poumon et de trachée-artère, c'est-à-dire qui respirent : qu'ainsi il y a son et non pas voix chez les insectes, l'air s'introduisant à l'intérieur, et résonnant par la compression qu'il éprouve; que d'autres bourdonnent, exemple les abeilles; que d'autres ont un bruit strident et de frôlement, exemple les cigales, parce que deux cavités placées sous le thorax reçoivent l'air, qui, y rencontrant une membrane mobile, résonne par son frottement contre elle; que les mouches, les abeilles et autres semblables, entendues quand elles volent, cessent de l'être quand elles ne volent plus; que le son que produisent ces animaux est le résultat de l'air intérieur ou du frottement, et non de la respiration. <2> On croit généralement que les sauterelles résonnent par le frottement de leurs ailes et de leurs jambes, que, parmi les animaux aquatiques, les pétoncles ne font du bruit que quand ils volent ; que les mollusques et les crustacés ne produisent ni voix ni son d'aucune espèce. Quant aux autres poissons, bien que privés de poumons et de trachée-artère, ils ne sont pas absolument dépourvus de la faculté de rendre quelques sons ; c'est une plaisanterie que de dire que le bruit qu'ils font entendre provient du frottement de leurs dents. Le poisson qu'on nomme caper (XXXII, 9) dans l'Achéloûs, et d'autres dont nous avons parlé (IX, 7), ont un grognement. Les ovipares sifflent; ce sifflement, prolongé chez les serpents, est saccadé chez les tortues. Les grenouilles ont un cri spécial, comme nous l'avons dit (XI, 65), qui, à moins qu'il ne faille aussi douter de ce fait, se forme dans la bouche et non dans le thorax. À cet égard la nature des lieux exerce une grande influence : on dit que les grenouilles sont muettes (VIII, 83) dans la Macédoine, et même les sangliers. <3> Les oiseaux les plus petits sont ceux qui babillent le plus, surtout à l'époque de l'accouplement. Les uns font entendre leur voix dans le combat, comme les cailles; les autres, avant le combat, comme les perdrix ; d'autres après la victoire, comme les coqs. Dans ces espèces les mâles ont une voix qui leur est propre ; dans d'autres espèces, par exemple le rossignol, la même voix que les femelles. Quelques-uns chantent toute l'année, d'autres à des époques fixes, comme nous l'avons dit en parlant de chacune en particulier (X). L'éléphant produit un son semblable à un éternuement, par la bouche et indépendamment des narines; par les narines, un son rauque comme celui d'une trompette. Dans l'espèce bovine seulement, les femelles ont la voix plus grave; dans toutes les autres espèces, la femelle a la voix plus grêle que le mâle ; dans l'espèce humaine elle est aussi plus grêle chez les individus châtrés. <4> L'enfant en naissant ne fait entendre aucun cri avant qu'il soit sorti tout entier de l'utérus; il commence à parler à un an. Le fils de Crésus parla à six mois dans son berceau ; prodige qui amena la chute de l'empire de son père. Ceux qui commencent à parler de meilleure heure marchent plus tard. La voix prend plus de force à quatorze ans, elle redevient plus grêle dans la vieillesse ; chez aucun animal elle n'est sujette à plus de changements. Il y a encore des observations singulières à faire sur la voix : dans les théâtres elle est absorbée ou par de la limaille ou par du sable répandu sur le sol, ou par une enceinte de parois raboteuses, ou même par des tonneaux vides; au contraire, elle court le long de parois concaves ou droites, et des paroles prononcées même à voix basse sont portées d'un bout à l'autre (XVI, 73), si aucune inégalité ne l'arrête. <5> La voix, chez l'homme, contribue beaucoup à constituer la physionomie individuelle : avant de voir une personne, nous la reconnaissons à la voix aussi bien qu'en la voyant. Il y a autant de voix que d'individus; et chacun a la sienne, comme sa physionomie. De là provient cette diversité des nations dans l'univers entier, et tant de langues différentes ; de là tant de chants, de modulations et d'inflexions. Mais, par-dessus tout, la faculté d'exprimer nos sentiments, faculté qui nous distingue des bêtes, établit entre les hommes eux-mêmes une nouvelle distinction, aussi grande que celle qui nous sépare des animaux. [11,113] (LII.) <1> Les membres surnuméraires chez les animaux sont inutiles; par exemple, le sixième doigt chez l'homme l'est toujours. On s'est plu, en Égypte, à nourrir un monstre humain qui avait deux yeux surnuméraires à la partie postérieure de la tête, mais qui ne voyait pas par ces yeux. [11,114] <1> Je suis surpris qu'Aristote ait non seulement cru, mais encore écrit qu'il y a dans le corps même des indices sur la durée de la vie. Bien que je regarde ces observations comme vaines, et comme ne devant pas être publiées sans réserve, de peur qu'on n'aille chercher en soi avec anxiété des pronostics, je dirai cependant quelques mots de ce que n'a pas dédaigné un aussi savant homme. Voici, suivant lui, ce qui annonce une vie courte : des dents écartées, des doigts très longs, une couleur plombée, et, dans la main, des lignes nombreuses qui sont interrompues. <2> Au contraire, les signes d'une longue vie sont : des épaules voûtées, dans une des mains deux longues lignes, plus de trente-deux dents et de grandes oreilles. Il attache le pronostic en bien ou en mal, non pas, je pense, à la réunion de tous ces signes, mais à chaque signe pris isolément. Ce sont dans tous les cas, à mon avis, des remarques frivoles, mais qui ont un cours général. Chez nous, Trogue Pompée, auteur qui est aussi très grave, a indiqué semblablement le rapport entre la physionomie et le moral ; je citerai ses propres paroles : « Un grand front annonce un esprit paresseux ; un front petit, un esprit mobile ; un front arrondi, un esprit irascible, comme si l'intumescence de la colère laissait une trace. Les sourcils étendus en ligne droite dénotent la mollesse ; <3> descendant vers le nez, l'austérité ; descendant vers les tempes, un esprit moqueur; abaissés complètement, la malveillance et l'envie. Des yeux très fendus indiquent un caractère malfaisant; des yeux dont l'angle du côté du nez est charnu, la méchanceté. Le blanc de l'œil, étendu, est un signe d'impudence; le clignotement fréquent, un signe d'inconstance. La grandeur des oreilles annonce la loquacité et la sottise. " Voilà ce que dit Trogue-Pompée. [11,115] (LIII) <1> L'haleine du lion est fétide, celle de l'ours, pestilentielle; aucun animal ne touche ce que sou haleine a touché, et ce qui a ressenti son souffle se putréfie plus promptement. C'est chez l'homme seul que la nature a voulu que l'haleine devint mauvaise par plusieurs causes, telles que la corruption des aliments, la carie des dents, et surtout la vieillesse. Le souffle ne pouvait ressentir la douleur, impalpable, insensible, lui, sans qui il n'y a pas de sensibilité; il sortait et entrait, toujours renouvelé, destiné à s'exhaler lors du dernier jour, et seul devant survivre à tout le reste ; enfin il avait son origine dans le ciel. Néanmoins il n'a pas été non plus épargné, afin que cela même qui fait vivre ne fût pas une cause de satisfaction. Cet inconvénient se trouve principalement chez les Parthes, et dès la jeunesse, à cause du mélange des aliments; les excès de vin leur donnent une mauvaise odeur de la bouche. <2> Mais les grands de la nation parthe y remédient avec les graines du citron (XII, 7), qui communiquent aux aliments où on les mêle un arôme agréable. L'haleine des éléphants arrache les serpents de leurs trous ; celle des cerfs les brûle (VIII, 50). Nous avons parlé (VII, 2, 5) des hommes qui ont la propriété d'extraire du corps, par la succion, le venin des serpents. Les pourceaux mangent les serpents, qui pour d'autres animaux sont un poison. Tous ceux que nous avons appelés insectes sont tués (XI, 21) par une aspersion d'huile. Les vautours, qui fuient les parfums, aiment d'autres odeurs; les scarabées fuient l'odeur de la rose. Le scorpion tue certains serpents. Les Scythes trempent leurs flèches dans le venin de la vipère et le sang humain : contre cette affreuse composition point de remède; elle cause une mort prompte à ceux qui sont seulement effleurés. [11,116] <1> Nous avons parlé des animaux qui se repaissent de poison (X, 33). Quelques-uns, innocents par eux-mêmes, deviennent nuisibles s'ils se nourrissent de substances vénéneuses. Les sangliers de la Pamphylie et ceux des montagnes de la Cilicie, s'ils avalent une salamandre, sont un poison pour ceux qui mangent de leur chair ; et cependant ni l'odeur ni le goût n'indiquent le péril. L'eau et le vin où meurt une salamandre empoisonnent; bien plus, il suffît que cet animal ait bu là même. C'est la même chose pour la grenouille appelée buissonnière ; tant il y a d'embûches dressées contre la vie ! Les guêpes sont avides de la chair de serpent, et cette nourriture rend leurs piqûres mortelles. Ainsi la différence est grande entre telle et telle nourriture. Dans le pays des ichthyophages, les bœufs, d'après Théophraste, mangent du poisson, mais seulement du poisson vivant. [11,117] <1> Pour l'homme la nourriture la plus profitable est une nourriture simple. L'accumulation des saveurs est nuisible, et l'assaisonnement la rend encore plus pernicieuse. Tout aliment âcre, ou pris en excès, ou avalé avidement, se digère difficilement. La digestion est moins active en été qu'en hiver, dans la vieillesse que dans la jeunesse. Les vomissements, que l'homme a imaginés pour remédier aux digestions difficiles, rendent le corps plus froid, et sont nuisibles surtout aux yeux et aux dents. [11,118] <1> Digérer en dormant sert plus à donner de la corpulence que de la force : aussi conseille-t-on aux athlètes de digérer en marchant. Ce sont surtout les veilles qui font digérer. (LIV.) Le corps s'accroît par les substances douces et grasses, et par les boissons; il décroît par les substances sèches, arides, froides, et par la soif. Quelques animaux (VIII, 26), et en Afrique le bétail, ne boivent que tous les quatre jours. Une abstinence de sept jours n'est pas nécessairement mortelle pour l'homme; il est certain que beaucoup sont allés même au delà du onzième jour. L'homme est le seul animal qui meure d'une maladie caractérisée par un besoin insatiable de manger (boulimie). [11,119] <1> D'un autre coté, quelques substances, en petite quantité, calment la faim et la soif, et conservent les forces, par exemple le beurre, l'hippace (XV, 44), la réglisse (XXI, 11; XXII, 44). En toute chose l'excès est ce qu'il y a de plus nuisible, mais surtout l'excès de la table ; et, en toute chose aussi, retrancher le superflu est ce qu'il y a de plus sage. Mais passons aux autres objets de la nature.