Tullus Hostilius, troisième roi des Romains. (1) Tullus Hostilius, le petit-fils de cet Hostilius qui était mort à l’époque de Romulus dans le combat contre les Sabins, fut nommé roi grâce au souvenir de la valeur de son aïeul et au mérite de la sienne propre. Il fut le troisième à régner à Rome. C’était un personnage très violent, très différent du second roi et plus féroce encore que le premier. Il fut appelé « l’artisan de la guerre » parce que les guerres que Romulus avait menées avec un esprit impétueux et un ardent courage, il les mena, lui, avec le même esprit, mais plus prudemment, usant de méthode et appliquant des techniques militaires. (2) Il soutint d’abord contre les Albains une guerre presque familiale et civile, les deux peuples ayant une seule et même origine. C’était comme une lutte née entre des fils et des pères, et cela aurait été quelque chose de féroce et de malheureux, si la sagesse des chefs ne l’avait pas ramenée à un combat étonnant, il est vrai, et qui ne fit presque pas couler de sang. (3) La demande avait été formulée par le chef albain, pour épargner le sang de parents, et le chef romain, bien que davantage confiant en son courage, ses forces et son espoir de vaincre, n’avait pas refusé. Et au projet des chefs, la fortune n’avait pas fait défaut. En effet de part et d’autre on trouva par hasard deux groupes de trois frères, égaux par le nombre, et semblables par leur noblesse et leur courage : les trois Romains s’appelaient les Horaces, les trois Albains les Curiaces. (4) À l’appel de leurs chefs, des deux côtés ils s’étaient présentés spontanément, et c’est sur eux que reposèrent le destin des deux états et le lourd fardeau de toute la guerre. Un traité est conclu d’une manière particulièrement solennelle entre les deux parties : la suprématie reviendrait au peuple dont les citoyens obtiendraient la victoire. (5) L’accord conclu, les trois frères en armes avancent chacuns de leur côté. Les deux armées, davantage inquiètes de la servitude future que du danger présent, observent les combattants, inquiets eux aussi, moins pour leurs propres personnes que pour le sort de leur patrie respective. Et sous les yeux de tant de milliers d’hommes commence une bataille, petite certes mais atroce. (6) Le début en fut animé, tout comme la fin en fut étonnante et presque incroyable. En effet lors de la première rencontre, d’un côté deux Romains furent tués et les trois Albains furent blessés. L’armée albaine exultait déjà, tandis que l’armée romaine, frappée de stupeur, avait abandonné tout espoir et songeait à l’esclavage qui la menaçait. Mais le seul Romain survivant, qui était encore indemme, sans aucune blessure, prend une décision brusque et rusée, preuve durable pour les combattants en difficulté, qu’est nécessaire un esprit agile et mobile, et non pas engourdi et sans ressort. (7) Et assurément se sentant sain et sauf, avec des forces intactes, voyant ses adversaires blessés et pensant - à juste titre - qu’affectés différemment par leurs blessures, inégaux en vigueur et à la course, ils ne pourraient absolument pas le suivre chacun à la même allure, il chercha à disperser et à distancer ceux qui l’entouraient, et, espérant que, inférieur devant les trois, il serait supérieur à chacun d’eux isolément, il prend la fuite. Il n’avait pas encore parcouru un long trajet que, regardant derrière lui, il voit - ce qu’il avait bien imaginé - que ses ennemis étaient déjà séparés, tandis qu’un seul le menaçait derrière lui. (8) Se retournant, il le massacre avec une grande violence, tandis que les Albains exhortaient en vain les deux autres à porter secours à leur frère et que les Romains, reprenant courage suite à cet espoir inopiné, encourageaient leur champion avec des cris et des vœux. Et comme le début de son plan avait heureusement réussi, celui-ci continue son attaque en se lançant sur le second Albain, qu’il tue également avant que n’arrive le troisième, plus proche pourtant, mais plus gravement blessé. (9) Après quoi désormais, affronter le troisième n’était plus chose difficile : ils s’affrontent égaux en nombre mais inégaux en forces et en courage. Le Romain terrasse et égorge l’Albain, étourdi par le sort inattendu de ses frères et affaibli par ses blessures. Il leur enlève, à lui et aux autres, leurs dépouilles militaires. Accueilli par les siens avec une joie d’autant plus grande qu’elle était inespérée, il ramène dans sa patrie la victoire et le pouvoir. On montre ce qui était autrefois des tombeaux - ce ne sont plus aujourd’hui que des restes de tombeaux - à l’endroit où chacun des combattants était tombé : à Albe, deux tombes romaines l’une à côté de l’autre, et plus près de Rome, trois tombes albaines bien séparées, conformément à la distance qu’Horace vainqueur en fuyant avait établie entre elles. (10) Mais cette gloire si grande, le vainqueur la souilla bientôt par un triste parricide. En effet rentrant à Rome chargé des dépouilles des ennemis, il rencontra sa sœur, une jeune fille fiancée à l’un des Curiaces. Celle-ci aperçut sur les épaules de son frère le manteau militaire qu’elle avait tissé de ses propres mains et qui était un cadeau de fiançailles. Voyant sa sœur affligée et en pleurs au milieu de la liesse générale, le Romain en fut très fortement indigné et la transperça de son épée en s’exclamant : « Qu’il en soit ainsi de toute femme qui pleurera un ennemi de Rome ». Traduit en justice devant le roi pour ce crime et condamné par les duumvirs, il échappa à l’application du jugement par un appel au peuple, et s’en tira grâce aux prières et aux larmes de son vieux père, suppliant qu’on ne fasse pas de lui un père sans enfant. (11) C’est exactement de cette manière qu’Albe tomba sous l’autorité de Rome, un peu comme une mère tombe au pouvoir de sa fille. Suite à cela, Mettius Suffetius, chef des Albains, se sentant haï des siens pour avoir placé en si peu de mains la liberté et les biens de tous, voulut rentrer en grâce et pour cela poussa à la guerre contre Rome les Fidénates et les Véiens, après leur avoir promis d’être à leurs côtés et de leur fournir assistance au moment opportun. (12) Alors que, convoqué par Tullus en vertu du traité, il s’était présenté avec son armée et que, le combat engagé, il n’osait pas prendre vraiment parti pour les uns ni pour les autres, il gagna une colline voisine pour attendre l’issue de la bataille. Aux Romains qui s’inquiétaient de cette manœuvre étrange, Tullus dit à voix haute, de manière à être compris des deux armées, qu’il s’agissait d’un plan qu’il avait lui-même conseillé et ordonné, de manière à attaquer les ennemis par derrière. Ces paroles précipitèrent la victoire, en enlevant aux siens toute crainte et en éveillant les soupçons des ennemis. (13) Ensuite, comme Mettius joignait ses enseignes aux Romains en les félicitant, Tullus le blâma avec des mots sévères et le punit d’un supplice, qui était tout aussi sévère qu’il était juste. Qu’on en juge. En effet, de même que l’esprit du traître avait été partagé d’un côté et de l’autre, il donna l’ordre que son corps soit écartelé par des quadriges lancés dans des directions opposées. Il ordonna aussi de détruire Albe, de transporter à Rome le peuple frère et de l’installer sur le mont Célius, où lui-même choisit aussi de résider. (14) Enfin, contre les Sabins que Romulus avait laissés dans les limites de leur patrie, il y eut une rencontre près de la forêt appelée Malitiosa, combat terrible dont Tullus sortit vainqueur. Puis, alors qu’il paraissait ne pas devoir mettre fin aux guerres, comme la cité souffrait d’une peste très pénible, et comme lui-même devenu vieux et atteint d’une sévère maladie, s’était tourné tout entier vers la religion et ressemblait davantage à Numa qu’à Tullus, finalement, après un règne de trente deux ans, il fut frappé par la foudre et périt en même temps que toute sa maison.