[0] SATIRE II. CONTRE LES VOEUX CRIMINELS ET INSENSÉS DES HOMMES. Marque d’un blanc caillou ce beau jour, Macrinus, Ce jour qui dans ta vie apporte un an de plus: Épanche à ton Génie un vin pur en offrande! Ces prières où l’homme avec les dieux marchands Ta bouche n’oserait jamais les confier Qu’à des dieux corrompus ! ... S’ils vont sacrifier, Nos grands font aux autels des offrandes muettes. Qui voudrait en bannir ces prières secrètes Qu’on murmure à voix sourde, et mettre à nu ses vœux? « Sagesse, honneur, vertu, c’est tout ce que je veux! » On dit cela bien haut, et pour se faire entendre. Mais en soi-même: « O dieux! si je pouvais étendre En un cercueil pompeux mon oncle ! ... » Ou bien encore: Si ma bêche heurtait une urne pleine d’or, Hercule!.... Plaise aux dieux qu’enfin je congédie Ce mineur dont j’hérite ! ... Il n’est que maladie, Il regorge d’humeurs !... Trois femmes! déjà trois, Que Nérius enterre ! Et dès l’aube, trois fois, Le Tibre aux flots sacrés baigne ta chevelure, Et de ta nuit coupable emporte la souillure. Çà, réponds, un seul mot: Qu’est-ce que Jupiter? Doit-on le préférer...— « A qui donc? »—Eh! mon cher, A Staius. — « Vous cherchez quel est le meilleur juge, Et du pauvre orphelin le plus digne refuge? » — Eh bien! alors ces vœux dont Jupiter est las, Cours les faire à Staius. Bon Jupiter! hélas! Va s’écrier notre homme. Et le maître suprême Ne crierait point aussi Jupiter à lui-même? Te crois-tu pardonné si la foudre, éclatant, Ne renverse qu’un chêne, et t’épargne un instant ?... Dans le sang des brebis si ton corps sur la terre Ne gît pas tristement en un lieu solitaire, Dont le prêtre Ergenna nous défend d’approcher, Pour cela Jupiter te permet d’arracher Sa barbe comme un sot ?... Enfin, par quel salaire Sais-tu des dieux vengeurs enchaîner la colère? Est-ce avec un poumon et des intestins gras? Une aïeule, une tante élève dans ses bras Un enfant au berceau; puis, fervente et craintive, Pour le purifier, elle enduit de salive, Avec un doigt, la lèvre et le front de l’enfant, Et des yeux meurtriers son charme le défend. D’un léger coup sa main le frappe; et dans son âme, Pour cet espoir si frêle, un vœu brûlant réclame Tes domaines, Crassus, et ton pompeux séjour. « Puisse un roi le nommer son gendre! et, quelque jour, Les belles s’arracher son cœur et sa tendresse! Sous chacun de ses pas qu’une rose paraisse! » — Nourrice, point de vœux ! — Daigne les rejeter, Malgré sa blanche robe, ô puissant Jupiter! Tu veux la force, un corps ferme dans ta vieillesse. Fort bien! Mais ces grands plats, succulents de mollesse, Arrêtent Jupiter, qui voudrait t’exaucer. Tu fais tuer tes bœufs, dans l’espoir d’amasser Puis, appelant Mercure avec des sacrifices: « Augmente mon avoir, féconde mes génisses! » Le moyen, malheureux? quand tu fais sans repos Fondre sur les charbons la graisse des troupeaux ! A force de victime et d’offrande, il espère Vaincre enfin l’immortel. Champ, bercail, tout prospère! J’aurai... bientôt!... bientôt!... Mais combien il frémit, Quand son dernier écu dans sa bourse gémit! Si je t’offrais, à toi, des coupes d’or massives, La sueur du plaisir, des larmes convulsives Inonderaient ton sein, bondissant et joyeux! De là ce fol espoir que tu plairais aux dieux En dorant leur visage; et, dans la foule antique Des frères immortels rangés sous le portique, Ceux qui d’un songe pur t’accordent le trésor Sur leur face de bronze ont une barbe d’or. L’or remplace et bannit des mains sacerdotales Les vases de Numa, les urnes des Vestales, Le cuivre de Saturne, et l’argile en débris... O cœurs vides du ciel! cœurs de fange pétris! Notre corruption, que sert de l’introduire Dans le temple des dieux?... Quoi! c’est pour les séduire, Qu’un luxe criminel marchande leur faveur Ce luxe, de l’olive altérant la saveur, Y détrempa la casse; et la pourpre qu’il souille Des brebis de Calabre a rougi la dépouille; Il arracha la perle à sa conque d’azur, Fit jaillir, d’un sol brut, l’or éclatant et pur. Ce luxe est né du vice: il sert du moins au vice! Mais, prêtres, dites-moi, l’or dans un sacrifice, Que fait-il? — Ce que font tous ces hochets parés, De la main d’une vierge à Vénus consacrés. Offrons ce qu’aux dépens des grands plats de sa table, Du noble Messala l’héritier détestable Ne peut offrir aux dieux un cœur juste, élevé, Une âme aux saints replis, où l’honneur est gravé... Riche de ces vertus, que j’approche du temple, Et d’un simple gâteau le sacrifice est ample?