Projet HODOI ELEKTRONIKAI Présentations d'auteurs : Pausanias (IIe s. ap. J.-Chr.)
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Jean SIRINELLI, Les enfants d'Alexandre
La littérature et la pensée grecques (334 av. J.-Ch. - 519 ap. J.-Ch.) Paris, Fayard, 1993, pp. 329-331 |
Un des monuments littéraires de cette époque qui a constamment retenu l'attention des historiens et des archéologues est certainement la Periégèse de la Grèce de Pausanias. Elle leur livrait en effet une masse considérable d'informations sur l'état des sites grecs au IIe siècle aussi bien que sur les légendes et traditions qui avaient cours. Par elle on connaît les monuments disparus depuis lors et la disposition des lieux, voire leur utilisation. Cette perspective a probablement contribué à détourner l'attention des lecteurs de l'auteur lui-même : il mérite pourtant qu'on s'intéresse à lui, à ses intentions, à ses curiosités. On n'est pas parvenu à l'identifier avec certitude.
Tout laisse penser qu'il est originaire de la région de Magnésie du Sipyle. Il a écrit son oeuvre entre 160 et 180 ap. J.-C. Il a du naître vers 120. Il a beaucoup voyagé et parcouru la Syrie, la Palestine, la Haute-Égypte, la Macédoine, l'Epire, Rome et la Campanie et peut-être la Sicile. Sans doute a-t-il écrit aussi sur d'autres régions; ce qu'il nous laisse, en tout cas, ne concerne que la Grèce au sens le plus restrictif du terme, c'est-à-dire, outre le Péloponnèse, l'Attique, la Phocide et la Béotie. C'était donc pour lui en toute hypothèse l'élément le plus précieux de ce qu'il avait à transmettre, le noyau incontestable du patrimoine culturel qu'il défendait. Le choix qu'il fait de l'Attique pour commencer son ouvrage nous renvoie à cette conception culturelle de l'hellénisme selon laquelle Athènes est l'école de la Grèce, et la Grèce l'école du monde, tout au moins de ce monde hellénisé qui se sentait au sein de l'Empire si cohérent dans ses valeurs. C'est la conception d'Isocrate reprise et confortée par Hadrien.
On a beaucoup discuté sur ses intentions ainsi que sur la valeur de son témoignage et les deux discussions n'ont pas manqué, assez maladroitement, de se gêner. Wilamowitz voyait dans Pausanias un compilateur dont il mettait en cause l'expérience directe. C. Robert à son tour voyait dans la Périégèse un procédé comme un autre pour rassembler des légendes ou traditions. Assurément tous ces points de vue contiennent du vrai mais la perspective qui en découle est sujette à caution. En réalité on peut avancer peut-être les observations suivantes : Pausanias, grec d'Asie, conçoit le projet (peut-être en concurrence avec d'autres auxquels il servirait d'entrée en matière) de décrire pour ses contemporains la Grèce, source historique de l'héritage qui est devenu commun à tous les citoyens cultivés et hellénisés. Cette description, de ce fait, concerne la Grèce ancienne ainsi que les monuments qui sont venus s'ajouter, plus récemment, à ceux-ci. Pausanias ne s'intéresse absolument pas aux Grecs contemporains; on peut même dire qu'il a peu de considération pour eux : leur vie, leurs activités n'éveillent pas un instant sa curiosité d'auteur. Il ne promène pas son lecteur dans les pays vivants et animés, mais uniquement devant les monuments qui immortalisent la Grèce et ceux qui sont venus les parfaire; l'essentiel de sa pensée s'applique à ces monuments sans qu'il ait le moins du monde le sentiment que le parti qu'il a pris méritait examen et justification. En outre ces descriptions sont complétées par le récit de légendes et traditions en général liées aux sites et aux chefs-d'oeuvre.
Mais sur ce point encore nous nous éloignons du guide touristique à quoi on a souvent voulu réduire la Périégèse. Pausanias nous livre pêle-mêle des explications historiques ou mythologiques qui, mieux encore que les descriptions, enracinent son récit dans le passé. Et elles le font revivre, assez confusément sans doute puisque ces narrations s'accrochent à la topographie et aux monuments, mais avec une continuité et une persévérance efficaces, car le lecteur se sent vite dans un univers assez particulier d'où le présent vivant est rayé comme sans importance, mais où l'héritage visible est constamment représenté comme nimbé de la gloire de ses origines et des grandes heures qu'il a connues. C'est une extraordinaire gageure par moments irritante mais combien révélatrice de ce qui pouvait être l'état d'esprit d'un citoyen profondément fier de sa culture hellénique et préoccupé de la faire revivre, non dans un présent rabougri mais dans ses sources qui la ravivent et l'expliquent. Il y a du pèlerinage dans ce livre mais un pèlerinage aux origines dans l'espace comme le temps.
Il n'en est que plus à l'aise pour entremêler interminablement ses souvenirs ou le produit de ses enquêtes. On a voulu voir un plan dans cette démarche, rien n'est moins sûr; ce qui en revanche est clair, c'est que toutes les époques y sont sollicitées, tous les événements qui intéressent les peuples hellénisés (et quelques autres) à l'exception des Grecs contemporains. C'est la culture d'un citoyen du IIe siècle qui se livre là à notre analyse : diverse et cependant digérée et en définitive unifiée, une culture dont le centre reconnu est l'époque classique de la Grèce mais autour de laquelle s'entrelace sans cacophonie l'histoire de tous les peuples dès lors que l'hellénisation les a entraînés dans son mouvement.
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