[1,2] II. HYMNE DU MATIN. Nuit, ténèbres, nuages confus, brouillards qui voilez le monde, dissipez-vous; la lumière se lève, l’aube blanchit, le Christ approche. Traversé comme d’un dard par les rayons du soleil, le voile obscur de la terre se déchire; les objets reprennent leurs couleurs sous les regards de l’astre radieux. Ainsi les ténèbres de notre conscience coupable s’effaceront tout à coup, ainsi les nuages qui la couvrent s’évanouiront au jour où Dieu viendra régner. Alors il ne sera plus possible de cacher ses sombres pensées; les plus secrets désirs de l’âme s’éclaireront à ce nouveau matin. Le voleur, avant le jour, pèche impunément durant les heures obscures; mais la lumière, ennemie des brigandages, ne permet pas que le larcin demeure caché. La fraude trompeuse et rusée aime à s’envelopper de ténèbres; l’adultère désire, pour voiler sa honte, la nuit propice. Mais dès que se lève le soleil dans son éclat, le pécheur s’arrête, rougit et se repent. Qui peut persister dans son crime, quand la lumière en devient le témoin? Celui qui s’enivra hier, ne rougit-il pas, au matin, de ses excès? On voit alors le débauché feindre la tempérance et le libertin jouer la chasteté. Le matin on vit sérieusement, nul ne songe à se dissiper, tous s’efforcent de donner à leurs folies un air sérieux. Cette heure est utile à tous; soldat, magistrat, navigateur, ouvrier, laboureur, chacun s’y livre aux devoirs de son état. Celui-ci est emporté par la gloire du forum; celui-là par le son de la trompette guerrière. Ici c’est le marchand, là c’est le paysan que l’avarice fait soupirer après le lucre. Mais nous, sans songer au gain, à l’usure, à l’éloquence; nous, inhabiles dans l’art de la guerre, nous ne connaissons que toi, ô Christ. Nous apprenons à te prier d’un cœur pur et simple, à te prier avec nos voix et nos chants pieux, à te prier en fléchissant les genoux, en pleurant et en psalmodiant. Tels sont nos travaux et nos gains, telle est notre vie et notre art; nous commençons ce service dès que resplendit le soleil levant. O Christ, veillez sur nos sens, embrassez de vos regards toute notre vie. Que de choses en nous sont obscurcies et souillées per le vice. Purifiez-le par votre lumière. Faites que nous persévérions dans cette blancheur dont vous nous fîtes briller, lorsque nous fûmes lavés de nos taches dans les eaux du Jourdain. Tout ce que la nuit du monde a depuis infecté d’épais nuages, illuminez-le, ô notre Roi, des feux du soleil qui se montre serein à l’Orient. O Dieu très saint, qui donnez à la poix la plus noire, la blanche candeur du lait, qui changez l’ébène en cristal, effacez nos péchés livides. Sous les voiles azurés de la nuit, Jacob, luttant audacieusement contre un ange, soutint un combat inégal tant que le jour ne fut pas levé. Mais dès que le soleil resplendit, son jarret fléchit, sa cuisse devenue débile plia; il n’eut plus assez de force pour prolonger sa résistance. Il n’eut plus de force dans les parties basses du corps, qui sont les plus viles, et qui, éloignées du cœur, favorisent les pensées lascives. Cette image nous apprend que l’homme plongé dans les ténèbres, s’il ne cède pas à Dieu, perdra ses forces rebelles. Bienheureux celui qui, au lever du jour, trouve soumise et mortifiée l’intempérance de ses membres. Qu’enfin disparaisse l’aveuglement qui a longtemps entraîné dans des chutes malheureuses nos pas précipités, et nous a fait marcher dans les sentiers de l’erreur. Que cette lumière nous apporte la sérénité; qu’elle nous rende purs comme elle. Loin de nous les paroles trompeuses, loin de nous les sombres pensées. Qu’ainsi s’écoule le jour entier; ne péchons ni par notre langue menteuse, ni par nos mains, ni par nos yeux égarés. Qu’aucune faute ne souille notre corps. Là-haut réside un témoin qui chaque jour observe nos actions, depuis l’aurore jusqu’au soir. Ce témoin est aussi notre juge; il voit tout ce qui est, tout ce que conçoit l’esprit humain, et ce juge personne ne le trompe.