[27,0] LIVRE XXVII (fragments). [27,1] I. À ce moment arrivèrent Lasys et Callias de la part des Thespiens, et Isménias de celle de Néon. (2) Lasys mit sa patrie à la disposition des Romains, Isménias livra à la discrétion de leurs commissaires toutes les villes de la Béotie. (3) Cette remise collective était tout à fait contraire au dessein qu'avait Marcius de détacher ces villes les unes des autres. (4) Aussi reçut-il avec bienveillance et distinction Lasys, les Chéroniens, les Lébadiens et tous ceux qui vinrent au nom d'une seule cité. (5) Mais il traita Isménias avec dédain, le tenant à l'écart et repoussant ses offres. (6) Aussi quelques exilés conspirèrent contre ce même Isménias, et ils l'auraient lapidé s'il n'eût trouvé un asile sur le tribunal des Romains. Thèbes, (7) à cette époque, était agitée par des dissensions intestines : (8) les Thébains voulaient livrer la ville aux Romains, tandis que les habitants de Coronée et d'Haliarte qui, accourus à Thèbes, prétendaient vivement à la direction des affaires, soutenaient qu'il fallait demeurer dans l'alliance de Persée. (9) D'abord les forces des deux partis se balancèrent, mais sitôt qu'Olympique de Coronée eut changé d'opinion et conseillé tout à coup de s'unir à Rome, une révolution, un revirement soudain eut lieu dans tous les esprits. (10) D'abord on força Dicétas d'aller trouver Marcius pour excuser Thèbes de son alliance avec le roi de Macédoine, (11) on envahit ensuite la demeure de Néon et d'Hippias, on les en chassa et on leur ordonna de rendre compte de toute leur administration : c'étaient eux qui avaient négocié l'alliance avec la Macédoine. (12) Après leur départ, l'assemblée fut convoquée : elle vota en faveur des Romains quelques honneurs et des présents, et recommanda aux magistrats de presser la conclusion de l'alliance. (13) Enfin elle choisit des députés pour aller remettre Thèbes aux Romains et y ramener les exilés. [27,2] II. Pendant que cette affaire s'arrangeait à Thèbes, les exilés réunis à Chalcis, ayant à leur tête Pompidas, accusèrent l'un d'eux, Isménias, Néon et Dicétas. (2) Leur crime était manifeste, la faveur des Romains assurée aux bannis, (3) et Hippias et ses partisans se trouvèrent ainsi dans le plus grand danger ; ils coururent même risque de la vie (tant le peuple était irrité) jusqu'au moment où les Romains daignèrent intervenir quelque peu en leur faveur, et réprimèrent l'impétuosité de la multitude. (4) A l'arrivée des Thébains, qui vinrent à Chalcis annoncer le décret et les honneurs votés aux Romains, tout prit une face nouvelle, et ce changement ne se fit pas attendre, grâce à la petite distance qui sépare les deux villes. (5) Marcius reçut les députés avec bienveillance, fit l'éloge de Thèbes et leur conseilla le rappel des exilés; (6) il ajouta qu'il fallait que chaque cité envoyât à Rome des députés pour se mettre isolément à la discrétion des Romains, (7) puis, après un si beau succès, c'est-à-dire après avoir dissous la ligue béotienne et tourné tous les esprits contre la Macédoine, (8) il manda d'Argos Servius et le laissant à Chalcis, se rendit dans le Péloponnèse avec ses collègues. Néon, quelques jours après, passa en Macédoine ; (9) Isménias et Dicétas, jetés en prison, se donnèrent bientôt la mort. (10) C'est ainsi que les Béotiens qui, longtemps réunis en un seul corps, avaient échappé contre toute espérance à tant de dangers, après avoir embrassé follement et sans cause le parti de Persée, furent tout à coup saisis d'une terreur puérile, et se laissèrent dissoudre et partager en villes isolées. (11) Aulus et Marcius traitèrent à Argos avec les magistrats achéens et engagèrent le stratège Archon à envoyer mille hommes à Chalcis pour garder cette ville jusqu'à l'arrivée des Romains. (12) Archon n'hésita pas à obéir : les commissaires, après avoir achevé pendant l'hiver ces négociations, allèrent rejoindre Publius et s'embarquèrent pour Rome. [27,3] III. Cependant Tibérius et Postumius visitaient les îles et les villes d'Asie, ils s'arrêtèrent surtout à Rhodes, (2) quoique leur présence n'y fût pas nécessaire. (3) Car Hégésiloque, qui était alors prytane, homme d'une grande distinction et qui plus tard fut chargé d'une ambassade en Italie, avait engagé ses concitoyens, aussitôt qu'il avait vu que les Romains lutteraient bientôt contre Persée, à partager la fortune de Rome : il les avait même poussés à réparer quarante vaisseaux, (4) afin que, comme les Romains réclamaient leur assistance, ils ne se préparassent pas seulement à leur obéir, mais que suffisamment disposés ils fissent sur-le-champ ce qu'on leur demanderait. (5) Il étala tous ces travaux aux yeux des commissaires, qui partirent très satisfaits. Tibérius, après avoir loué le zèle des Rhodiens, revint à Rome. [27,4] IV. Persée, après sa conférence avec les Romains, exposa dans une lettre les droits des deux partis et les discours que chacun avait tenus ; (2) il espérait que sa cause paraîtrait la plus juste, et en outre il voulait sonder les dispositions des peuples. (3) Il fit tenir par de simples courriers la circulaire aux autres villes, mais il députa expressément vers Rhodes Anténor et Philippe. (4) Ils remirent dès leur arrivée la lettre aux magistrats. Introduits quelques jours après dans le conseil, ils engagèrent les Rhodiens à demeurer, pour le moment du moins, tranquilles spectateurs de ce qui se passait ; (5) et si les Romains, au mépris des traités, entreprenaient la guerre contre Persée et la Macédoine, à jouer le rôle de médiateurs; (6) « la paix, disaient-ils, était avantageuse pour tous, mais elle intéressait surtout les Rhodiens. (7) Plus ils étaient jaloux de l'égalité et de l'indépendance et se montraient au premier rang les défenseurs, non seulement de leur liberté, mais encore de celle des Grecs, plus ils devaient craindre et se garder de se laisser aller à une politique contraire. » (8) Tel fut à peu près le langage des députés, et il plut beaucoup à l'assemblée ; (9) mais les esprits étaient prévenus pour les Romains, et le parti le plus sage l'emportant, après avoir traité les députés avec distinction, on fit dire à Persée que dorénavant il s'abstînt de rien demander qui exposât les Rhodiens à paraître contraires aux désirs de Rome. (10) Anténor ne reçut pas d'autre réponse, et, comblé de bons procédés par les Rhodiens, il regagna la Macédoine. [27,5] V. Peu après, instruit que quelques places de la Béotie persévéraient dans leurs dispositions favorables envers lui, Persée leur envoya Antigone, fils d'Alexandre. (2) Antigone, arrivé en Béotie, faute de prétexte suffisant pour les attirer à l'alliance de son maître, laissa de côté toutes les villes, (3) à l'exception de Coronée, de Thèbes et d'Haliarte, dont il engagea les habitants à demeurer amis des Macédoniens. (4) Ils accueillirent avec faveur ses paroles et décrétèrent l'envoi de députés en Macédoine. (5) Antigone alla aussitôt rendre compte au roi de sa mission, et bientôt arrivèrent les députés des villes alliées, (6) car les Thébains, voisins incommodes, les menaçaient, disaient-elles, et déjà même les inquiétaient, parce qu'elles ne voulaient pas s'entendre avec eux et s'unir à Rome. (7) Persée leur répondit que la trêve conclue avec les Romains ne lui permettait pas de les secourir ; (8) mais il leur conseilla de repousser comme elles le pourraient les attaques des Thébains, sans combattre les Romains et de vivre en paix avec eux. [27,6] VI. Enfin, après avoir entendu le rapport des commissaires sur l'Asie, sur Rhodes et sur les autres villes, le sénat donna audience aux ambassadeurs de Persée. (2) Solon et Hippias s'efforcèrent de traiter tous les points en litige et d'apaiser les Romains : ils s'appliquèrent surtout à justifier Persée des embûches tendues à Eumène. (3) Le plaidoyer terminé, le sénat, qui depuis longtemps avait décidé la guerre, ordonna aux ambassadeurs, ainsi qu'aux autres Macédoniens, d'évacuer Rome aussitôt et l'Italie dans trente jours. (4) On recommanda ensuite aux consuls de ne pas perdre de temps et de ne négliger aucune des mesures nécessaires à la guerre. [27,7] VII. Caïus, dont la flotte était encore à l'ancre à Céphallénie, écrivit aux Rhodiens pour leur demander des vaisseaux, et chargea de sa lettre Socrate, (2) qui gagnait sa vie à frotter d'huile les lutteurs. Lorsqu'elle arriva à Rhodes, Stratonice était prytane du second semestre. (3) Le conseil ayant été réuni au sujet de la missive consulaire, Agathagète, Rodophon, Astymède, ainsi que plusieurs autres, furent d'avis d'envoyer sur-le-champ les navires demandés et de prendre parti pour les Romains dès le commencement de la guerre, sans hésiter davantage ; (4) mais Dinon et Polyarate, qui désapprouvaient toutes les avances amicales faites aux Romains, mirent en avant le nom du roi Eumène, et modifièrent ainsi les sentiments de la multitude à leur égard. (5) En effet, on se défiait d'Eumène. On lui en voulait pour une vieille injure, datant de sa guerre avec Pharnace, alors qu'il avait voulu occuper l'entrée de l'Hellespont pour fermer le Pont-Euxin à la navigation, et que les Rhodiens avaient, par leur résistance, rendu ses efforts inutiles, (6) et la querelle, à une époque plus rapprochée, pendant la guerre de Lycie s'était encore envenimée à propos de quelques châteaux et d'un pays nommé Péréa, situé à l'extrémité du continent, en face de Rhodes, que ravageaient sans cesse les soldats de ce prince. (7) Les Rhodiens, pour ces deux griefs, accueillaient avec faveur toutes les attaques dirigées contre lui. (8) Dinon s'arma de ce prétexte pour attaquer la lettre apportée par Socrate. Il dit qu'elle ne venait pas des Romains, mais d'Eumène, qui mettait tous ses soins à pousser Rhodes à la guerre et à jeter le peuple dans des dépenses et dans des embarras inutiles, (9) et il invoqua pour preuve que celui qui avait apporté ce message était un vil esclave, bref un homme tel que Socrate: or les Romains, loin d'agir ainsi d'habitude, choisissaient avec un grand soin des hommes distingués pour ces sortes d'affaires. (10) En tenant ce langage, Dinon et Polyarate n'ignoraient pas que Lucrétius était l'auteur de la missive; mais ils voulaient amener le peuple à ne point obéir sur-le-champ aux Romains, à temporiser sans cesse, et à fournir ainsi quelque occasion de querelle et de rupture; (11) ils voulaient enfin écarter les Rhodiens de l'alliance de Rome et les jeter dans celle de Persée autant qu'il était en eux. (12) Du reste, ces deux hommes étaient si zélés pour Persée, parce que Polyarate, homme vain et fastueux, avait engagé tous ses biens, et que Dinon, avare sans pudeur, avait toujours fait métier de s'enrichir des largesses des rois et des puissants. (13) Stratoclès, le prytane, prit à son tour la parole, s'éleva vivement contre Persée, loua beaucoup au contraire les Romains et amena la majorité de la multitude à sanctionner le décret qui ordonnait l'envoi des vaisseaux. (14) Six galères furent aussitôt équipées: cinq se rendirent à Chalcis, sous la conduite de Timagoras, la sixième gagna Ténédos sous un autre chef du même nom. (15) Ce dernier trouva dans cette île Diophane que Persée envoyait à Antiochus : il ne put s'emparer de lui, mais il prit son vaisseau. (16) Lucrétius reçut avec bienveillance tous les alliés qui lui avaient amené quelques navires, mais il n'accepta pas leurs offres de service, disant qu'il n'en avait nul besoin pour le moment. (VII a). Dès que la nouvelle du combat de cavalerie et de la victoire des Macédoniens se fut répandue dans la Grèce, les bonnes dispositions des Grecs à l'égard de Persée, jusqu'alors soigneusement cachées par la plupart, éclatèrent aussitôt de tout côté, ainsi qu'une flamme. (2) Il en fut de cette manifestation comme de celles que souvent éveillent les jeux du cirque. (3) Lorsqu'à un athlète illustre et regardé comme invincible, on en voit opposer un obscur et de beaucoup inférieur en force, la multitude lui accorde tout d'abord sa bienveillance ; elle l'exhorte à avoir bon courage et le soutient de ses applaudissements. (4) Que s'il atteint son adversaire au visage et montre qu'il lui a fait quelque blessure, les esprits s'aigrissent en s'échauffant, (5) et quelquefois même on va jusqu'à railler le blessé, sans que le mépris ou le blâme y soit pour rien, par le seul effet d'une sympathie instinctive, d'une compassion naturelle pour le plus faible. (6) Mais qu'on adresse à propos à ces spectateurs quelque sage représentation, ils changent sur-le-champ et reconnaissent leur erreur. (VII b). Ainsi fit Clitomaque. (7) Il passait pour invincible, dans l'art des athlètes, et sa réputation s'était répandue par tout l'univers. Ptolémée, désireux d'abaisser cette gloire, fit préparer avec un soin particulier l'athlète Aristonique qu'on regardait comme merveilleusement doué pour ces luttes, et l'envoya en Grèce. (8) Aristonique se rendit aux jeux olympiques, y provoqua Clitomaque, et, suivant l'usage, la multitude ne manqua pas d'encourager, d'exciter son ardeur, joyeuse de voir qu'on osât se mesurer à tel adversaire. (9) Enfin quand descendu dans la lice, il se montra digne de cette lutte difficile, et qu'il eut même blessé grièvement son ennemi, des applaudissements retentirent de tous les côtés, et bon nombre de spectateurs le soutinrent de leurs vœux et l'engagèrent à tenir ferme. (10) C'est alors que Clitomaque, après s'être un moment retiré pour reprendre baleine, se tourna, dit-on, vers l'assemblée et lui demanda pourquoi elle encourageait ainsi Aristonique et l'aidait de tout son pouvoir? (11) N'avait-il donc pas combattu loyalement? ignoraient-ils que lui Clitomaque luttait pour la gloire de la Grèce et Aristonique pour celle du roi Ptolémée? (12) Aimaient-ils mieux voir un Égyptien vainqueur des Grecs et paré de la couronne olympique que d'entendre proclamer pour vainqueur au pugilat un Thébain et un Béotien? (13) A ces paroles la disposition des esprits tourna si subitement qu'Aristonique fut vaincu plus encore par ce changement de la multitude que par Clitomaque lui-même. (VII c). C'est ce qui eut lieu à l'égard de Persée chez les masses. (2) Que quelqu'un leur eût brusquement demandé, à la vue de leur enthousiasme, si elles désiraient voir une telle puissance échoir à un seul homme et faire sous lui l'épreuve de l'autorité d'un monarque et du despotisme, je pense qu'elles auraient aussitôt changé d'opinion pour en adopter une toute contraire. (3) Supposons encore qu'on leur eût alors rappelé en peu de mots la tyrannie de la maison de Macédoine sur la Grèce et les avantages que lui avait procurés la domination de Rome, avec quelle promptitude ne seraient-elles pas revenues de leur erreur! (4) Cependant par un premier mouvement invincible, une joie manifeste accueillit la nouvelle de cette victoire, charmé qu'on était de voir un digne adversaire s'élever enfin tout à coup contre les Romains. (5) Je me suis étendu sur ce sujet, de peur que, faute de connaître le cœur humain, on ne se crût en droit de reprocher ici aux Grecs leur légèreté et leur ingratitude. [27,8] VIII. Dans le conseil que Persée réunit après sa victoire, quelques-uns de ses amis lui suggérèrent d'envoyer à Licinius une ambassade pour lui offrir, quoique vainqueur, (2) de payer les mêmes tributs que payait Philippe vaincu, et d'évacuer les mêmes places. (3) Si la paix se faisait à ces conditions, le roi, disaient-ils, terminerait la guerre d'une manière glorieuse par une victoire éclatante, et les Romains, qui venaient d'éprouver la valeur des Macédoniens, se montreraient à l'avenir plus modérés et n'oseraient plus rien demander d'injuste ou de tyrannique. (4) S'ils rejetaient la paix et s'opiniâtraient contre la fortune, les dieux les châtieraient de leur orgueil, tandis qu'ils viendraient, eux et les hommes, pour prix de sa modération, prêter assistance à Persée. (5) La plupart des amis du prince étaient de cet avis; il s'y rangea lui-même et choisit pour députés Pantauchus fils de Balacre et Médon, de Bérée. (6) A leur arrivée, Licinius rassembla son conseil; les députés lui communiquèrent leurs instructions, et quand ils furent congédiés la délibération commença. (7) L'avis unanime fut de faire la réponse la plus arrogante. (8) Car telle est l'antique et singulière coutume des Romains de se montrer dans l'adversité aussi hautains et opiniâtres que modérés dans la bonne fortune: (9) conduite noble, il faut le reconnaître; mais il est difficile de dire s'il est possible de la tenir en toute circonstance. (10) Quoi qu'il en soit, voici la réponse que fit le consul : il ordonnait à Persée de se livrer aux Romains et de laisser au sénat tout pouvoir de régler, suivant son bon plaisir, le sort de la Macédoine. (11) Pantauchus vint aussitôt rapporter ces conditions à Persée et à ses amis. (12) Étonnés de cette insolence, quelques conseillers du prince l'engagèrent à ne plus adresser aux Romains quoi que ce fût, ambassadeur ou message. (13) Mais Persée n'était pas en de tels sentiments, et il envoya plusieurs agents auprès de Licinius en ajoutant à la somme proposée. (14) Comme ses instances étaient vaines, et que ses amis le blâmaient hautement de se montrer, quoique vainqueur, aussi humble que s'il était vaincu et sans ressources, (15) il renonça bien que malgré lui à ces ambassades et établit de nouveau son camp à Sycurium. Voilà à quel point en étaient les affaires. [27,9] IX. Cette arme qu'on appelle cestre fut inventée dans la guerre contre Persée ; (2) le cestre était long de deux palmes et avait un tube égal au fer qui formait la partie supérieure du trait. (3) Ce tube recevait une hampe de bois de la longueur d'une palme et de l'épaisseur d'un doigt. (4) Au milieu étaient adaptées trois petites ailes de bois très courtes. (5) Les deux cordes de la fronde étaient inégales, et on assujettissait, entre elles deux, le trait au moyen d'une courroie dont il pût facilement se dégager. (6) Dans le mouvement de rotation, quand les deux cordes étaient tendues, il restait comme immobile, mais au moment du jet, l'une des cordes se détachant, le trait violemment chassé partait comme une balle de plomb (7) et, par la vigueur du coup, blessait fortement ceux qu'il rencontrait dans sa course. [27,10] X. Cotys était également remarquable par sa beauté et par son courage. Il n'avait rien d'un Thrace par le caractère : il était sobre, doux et d'une profondeur d'esprit peu ordinaire. [27,11] XI. Persée, dès qu'il fut délivré de la guerre contre Rome, envoya Anténor à Rhodes pour traiter du rachat des matelots qui avaient été surpris en mer avec Diophane et faits prisonniers. (2) Les magistrats hésitèrent beaucoup sur le parti à prendre. Polyphron et Théétète ne voulaient aucun rapport avec Persée. Dinon et Polyarate étaient de l'avis contraire. (3) Enfin on convint avec ce prince de la rançon des captifs. [27,12] Xll. Céphalus arriva alors d'Épire. Lié à la maison des rois de Macédoine par une ancienne amitié, les circonstances l'obligèrent aussi d'embrasser le parti de Persée. Voici comment. (2) L'Épirote Charops était un homme estimable à tout égard, et ami des Romains. Lorsque Philippe se fut emparé des défilés de l'Épire, ce fut lui qui contribua surtout à l'en chasser et à livrer à Titus le pays et les Macédoniens. (3) Il avait pour fils Machatas, père d'un second Charops (4) qui était encore tout jeune, quand, son père étant mort, son aïeul l'envoya à Rome avec un équipage convenable pour l'initier à la langue et à la littérature latines ; (5) ce jeune homme contracta dans l'Italie de nombreuses liaisons, et revint dans sa patrie après un certain temps. (6) A cette époque mourut le vieux Charops ; l'autre, naturellement léger, et l'esprit plein de mauvaises pensées, se mit à attaquer et à combattre les personnages les plus importants. (7) On n'y fit d'abord aucune attention, et Antinoüs qui l'emportait sur lui, et par l'âge et par le rang, continua de conduire avec Céphalus les affaires publiques. Mais la guerre de Persée étant survenue, (8) ce jeune ambitieux les accusa auprès des Romains, et il prit pour prétexte leur ancienne liaison avec le roi de Macédoine. (9) Il s'appliqua donc à les observer, à interpréter méchamment toutes leurs paroles et toutes leurs actions, soit en y ajoutant, soit en en retranchant quelque chose, et réussit à faire agréer ses calomnies. (10) Céphalus, homme d'une sagesse et d'une prudence consommées, était cependant alors dans les meilleurs sentiments. (11) Il avait d'abord demandé aux dieux que la guerre n'eût pas lieu, et que la querelle ne se jugeât point par les armes, (12) et aujourd'hui que la lutte était commencée, il voulait demeurer fidèle à l'alliance romaine, mais ne point aller lâchement au delà, et ne rien faire de déshonorant. (13) Malgré cela, Charops mit tous ses soins à le décrier, ainsi qu'Antinoüs, et à tourner en marque de mauvais vouloir tout ce qu'il ne faisait pas suivant les ordres du sénat. D'abord, ils méprisèrent ces attaques, certains de n'avoir en rien contrarié les intérêts de Rome ; (14) mais lorsqu'ils virent les Étoliens Hippoloque, Nicandre et Lochagus emmenés sans raison à Rome après le combat de cavalerie et les accusations d'un certain Lyciscus, qui jouait en Étolie le même rôle que Charops en Épire, admises, ils comprirent quel sort les attendait, et songèrent à leur salut, (15) Ils résolurent de tout faire pour ne pas être conduits à Rome sans jugement, victimes des calomnies de Charops. (16) C'est ainsi que Céphalus et Antinoüs furent forcés de se ranger malgré eux du côté de Persée, [27,13] XIII. C'est alors que Théodote et Philostrate tentèrent la perfidie sans contredit la plus noire et la plus odieuse. (2) Sur la nouvelle que le consul Aulus Hostilius allait rejoindre son armée en Thessalie, ils pensèrent que livrer Aulus à Persée serait donner au roi une marque éclatante de fidélité et causer aux Romains une perte cruelle : ils pressèrent donc par lettres Persée d'accourir. (3) Le roi se mit en devoir de se rendre auprès d'eux au plus vite; mais les Molosses qui s'étaient emparés du pont de l'Aoüs arrêtèrent sa marche et l'obligèrent à combattre. (4) Aulus, arrivé à Phanote, était descendu chez Nestor, offrant ainsi à ses ennemis, contre sa personne, une occasion magnifique à laquelle il n'eût pu, ce semble, échapper, si la fortune n'en avait décidé favorablement. (5) Mais Nestor, par un pressentiment divin, engagea son hôte à se retirer la nuit dans une ville voisine, (6) et Aulus, renonçant à traverser l'Épire, s'embarqua pour Anticyre, d'où il se rendit en Thessalie. [27,14] XIV. Cependant Attale prenait de son côté ses quartiers d'hiver à Élatée. Instruit de la douleur profonde causée à Eumène son frère par le décret qui, rendu en assemblée générale, ordonnait la destruction des monuments élevés en son honneur dans toutes les villes du Péloponnèse, et du soin qu'il mettait à dissimuler l'état de son âme, (2) il résolut de s'adresser à quelques-uns d'entre les Achéens, pour obtenir le rétablissement des statues de son frère, et même des inscriptions faites à sa louange. (3) Il espérait, en agissant ainsi, faire à Eumène un grand plaisir, et donner aux Grecs une haute opinion de son amour fraternel et de sa générosité. [27,15] XV. Les Cydoniates commirent à cette époque le plus épouvantable, le plus horrible, le plus noir des forfaits. (2) Bien que les perfidies soient assez communes en Crète, celle que nous allons dire semble l'avoir emporté sur toutes les autres. (3) Les habitants de Cydonie étaient unis aux Apolloniates, non seulement par l'amitié, mais par le droit de cité et par la communauté de tout ce que les hommes appellent droits. Les tables où leur serment était gravé se trouvaient auprès de la statue de Jupiter idéen ! (4) Cependant, au mépris de la foi jurée, ils envahirent la ville d'Apollonie, tuèrent les hommes, pillèrent leurs biens, et se partagèrent ensuite les femmes, les enfants, la ville et le territoire. [27,16] XVI. Antiochus Épimanes, aussitôt qu'il vit clairement les Alexandrins se préparer à envahir cette province, envoya Méléagre comme ambassadeur à Rome, (2) avec ordre de dire au sénat et de protester que l'agression de Ptolémée était contraire à toute justice. Le roi Antiochus se montra dans toute cette campagne, actif et digne du titre de roi, si ce n'est dans l'emploi de la ruse qu'il employa sous les murs de Péluse. [27,17] XVII. Ce Ptolémée n'avait pas le caractère frivole d'un Égyptien : il était sage et habile. Investi du gouvernement de Chypre pendant l'enfance du roi, il mit tous ses soins à amasser de l'argent, et il n'en donnait à personne bien qu'il fût sollicité par les intendants royaux, et qu'on l'accusât amèrement de ne rien perdre pour lui-même. Lorsque le roi eut atteint l'adolescence, il lui envoya à Alexandrie une assez forte somme ; aussi, Ptolémée et les courtisans louèrent hautement son économie et sa fidélité. [27,18] FRAGMENTS. XVIII, 1. En la plupart des choses humaines, nous devons nous conformer aux circonstances, car rien n'est plus puissant qu'elles ; mais c'est surtout dans ce qui concerne la guerre (2) qu'elles font pencher la balance d'un côté ou de l'autre ; n'en pas profiter est la plus grande des fautes. 2. (3) La plupart des hommes me paraissent aimer le bien, mais peu osent s'y appliquer, et parmi ceux-là même un petit nombre seulement sait faire, en chaque chose, ce qui convient. 3. Pharnace fut le plus injuste des rois.