[21,0] LIVRE XXI (fragments). [21,1] I. Quand la nouvelle de la victoire remportée sur la flotte du roi fut parvenue à Rome, les consuls ordonnèrent au peuple d'observer neuf jours fériés. On entend par là des vacances générales et la célébration de sacrifices aux dieux en l'honneur du succès récemment obtenu. On reçut ensuite dans le sénat les députés envoyés par les Étoliens et par Manius. Après une assez longue discussion entre les deux parties, le sénat décida de présenter aux Étoliens cette alternative : ou de s'en remettre pour leur sort à la bonne foi du sénat, ou de donner immédiatement mille talents et d'avoir pour amis ou pour ennemis ceux du peuple romain. Comme les Étoliens demandèrent qu'on leur expliquât nettement ce qu'ils devaient remettre à la bonne foi du sénat, on n'admit pas cette distinction et la guerre continua. [21,2] II. Informés du triste état des assiégés et de la présence de P. Scipion , les Athéniens envoyèrent une ambassade, sous la conduite d'Échédémus, saluer de leur part Lucius et son frère, et essayer, s'il était possible, de procurer la paix aux Étoliens. Publius fit à ces députés un accueil empressé et leur témoigna une grande bienveillance, car il voyait qu'ils pouvaient être utiles à ses desseins. Ce qu'il voulait, c'était régler le différend avec les Étoliens, ou s'ils n'y consentaient pas, les laisser de côté et passer, sans différer davantage, en Asie, comprenant bien que la fin de cette guerre n'était pas de soumettre l'Étolie à Rome, mais d'abattre Antiochus et d'unir ainsi l'Asie à l'empire romain. Aussi, dès que les Athéniens parlèrent de traité de paix, il reçut cette proposition avec empressement et les pria de sonder les sentiments des Étoliens à cet égard. Échédémus dépêcha en avant quelques députés et bientôt alla lui-même à Hypata parler aux chefs étoliens de réconciliation. Les Étoliens agréèrent cet avis et choisirent des commissaires chargés de conférer avec Scipion. Ils se rendirent auprès de lui, le trouvèrent campé à soixante stades environ d'Amphissa et lui rappelèrent en de longs discours les services qu'ils avaient rendus aux Romains. Scipion leur répondit tout d'abord avec beaucoup de bonté, leur raconta ce qu'il avait fait en Espagne et en Afrique, comment il s'était conduit en ces pays avec ceux qui s'en étaient remis à sa foi, et finit par leur conseiller de capituler et de se livrer à lui, si bien que les officiers présents espérèrent alors voir la paix bientôt rétablie. Et quand les Étoliens demandèrent à quelle conditions ils pourraient poser les armes, et que Lucius déclara qu'il leur laissait le choix entre ces deux choses : de s'abandonner sans réserve à la merci des Romains ou de donner sur le champ mille talents et avoir les mêmes amis et ennemis que Rome, ils se récrièrent, avec toute l'énergie possible, de telles exigences ne répondant pas au langage que Publius venait de tenir. Néanmoins ils promirent de faire un rapport aux Étoliens sur ce qu'on proposait. [21,3] III. Les députés retournèrent auprès de leurs concitoyens pour délibérer. Echédémus, réuni aux apoctètes, tint aussitôt conseil. Des deux clauses, l'une était impossible à cause de l'énormité de la somme, l'autre était dangereuse parce que déjà les Étoliens s'étaient vu trompés par Rome, alors que pour s'être livrés à la bonne foi des Romains, ils avaient failli être jetés dans les fers. Embarrassés, incertains, ils envoyèrent les mêmes ambassadeurs demander aux Romains d'exiger une somme moins forte qu'ils pussent payer, ou du moins de ne pas comprendre dans l'abandon qu'ils devaient faire à Rome de tout ce qu'ils possédaient les citoyens et leurs femmes. Les députés exposèrent à Publius ces réclamations, mais Lucius leur répondit que le sénat lui avait donné ordre de ne faire la pais qu'à ces conditions, et ils reprirent le chemin d'Hypata. Echédémus et les autres commissaires athéniens qui les suivirent dans cette ville conseillèrent aux Étoliens, puisqu'il y avait obstacle à une paix définitive, de demander pour le moment un armistice, d'ajourner les menaces qui pesaient sur eux et d'envoyer une ambassade au sénat : peut-être réussiraient-ils dans leurs prières ou sinon d'épier les occasions favorables; il n'était pas possible que leur fortune fût dans un plus triste état, et elle pouvait, pour mille motifs, devenir meilleure. Ces conseils d'Échédémus parurent raisonnables, et les Étoliens sollicitèrent un armistice. Introduits près de Lucius, ils le prièrent de leur accorder provisoirement six mois de trêve, afin, dans l'intervalle, de consulter le sénat. Publius, qui depuis longtemps songeait à passer en Asie, poussa vivement son frère à céder. On rédigea les articles de la trêve. Manius quitta Amphissa, et après avoir remis au consul l'armée et tous les matériels de guerre, il retourna avec ses tribuns à Rome. [21,4] IV. Épuisés par les frais de logement que leur causaient les Romains laissés sur la flotte, et fatigués des contributions qu'on leur imposait, les Phocéens étaient entre eux divisés. Les magistrats, qui craignaient un mouvement populaire à cause de la famine et des intrigues pratiquées par les agents d'Antiochus, envoyèrent des députés à Séleucus qui se trouvait en Éolide, sur les limites du pays, pour le prier de ne point avancer davantage, leur intention étant de rester neutres, d'attendre paisiblement l'issue de la guerre et d'obéir ensuite à ce qu'on leur ordonnerait. Parmi les députés, ceux qui étaient du parti de Séleucus étaient Aristarque, Cassandre et Rhodon. Hégias au contraire et Gélias, penchaient pour les Romains. Dans son entrevue avec eux, Séleucus se montra plein de bienveillance à l'égard d'Aristarque et de ses amis , et négligea les autres. Informé des dispositions de la multitude et de la famine qui l'irritait, sans rendre réponse, sans même prêter l'oreille à ce qu'on lui demandait, il se dirigea vers Phocée, (dont bientôt il s'empara.) (Livius, amiral romain, se porte vers l'Hellespont, et menace d'assiéger Sestos : déjà ses soldats étalent sous les murs,) lorsque deux Gaulois, portant des figures et des images devant leur poitrine, vinrent le supplier de ne pas traiter la ville avec trop de sévérité. [21,5] V. La machine qu'avait imaginée le chef des Rhodiens était un vase rempli de feu. Des deux côtés de la proue étaient attachées face à face deux ancres contre la paroi intérieure du vaisseau, et à ces ancres on avait adapté deux crocs dont l'extrémité s'avançait assez loin sur les flots. Au sommet de chacun de ces crocs, un vase plein de feu était suspendu par une chaîne de fer. Aussi dans les abordages, soit de face, soit de côté, le feu tombait sur les navires ennemis, et par l'inclinaison même du croc restait à une bonne distance de celui que cette machine défendait. (Pamphilidas remplace Pausistrate.) Le nouveau chef de la flotte rhodienne sembla devoir mieux s'accommoder à toutes les circonstances que Pausistrate, car il y avait en lui plus de profondeur et de fermeté que d'audace. Tels sont les hommes: ils règlent leurs jugements non d'après la raison, mais sur le succès des choses. Les Rhodiens avaient tout à l'heure choisi Pausistrate comme un homme entreprenant et hardi, et à cause de sa défaite ils adoptèrent une manière de voir toute contraire. [21,6] VI. Bientôt arrivèrent à Samos des lettres adressées par Lucius et Publius Scipion à Émilius et à Eumène, où ils les informaient de l'armistice conclu avec les Étoliens, et de la marche de leur infanterie vers l'Hellespont. Les Étoliens donnèrent le même avis à Séleucus et à Antiochus. [21,7] VII. Antiochus avait envahi le territoire de Pergame; mais informé de la présence du roi Eumène, et sachant que toutes les forces de terre et de mer étaient réunies contre lui, il résolut de faire des ouvertures de paix aux Romains, à Eumène et aux Rhodiens. Il leva donc le camp et se rendit avec toutes ses troupes à Élée. Il s'empara d'une hauteur située en face de la place, y logea son infanterie et rangea sous les murs mêmes de la place ses cavaliers, au nombre de plus de six mille. Placé entre ses deux corps d'armée, il envoya parler d'accommodement à Lucius Émilius qui était alors dans Élée. Aussitôt le général romain convoqua les Rhodiens et Eumène, et les pria de dire leur sentiment à cet égard. Eudamus et Pamphilidas ne se montrèrent pas contraires à une réconciliation ; mais Eumène soutint que la paix n'était en ce moment ni honorable, ni possible. «Comment, en effet, dit-il, serait-elle honorable, si nous la faisons enfermés dans ces murs, et de plus comment la conclure? Comment sans attendre le consul, sans avoir sa sanction, ratifier les clauses que nous aurons arrêtées? D'ailleurs, en supposant même qu'il y ait moyen de traiter avec Antiochus, nous ne pourrons ramener dans leurs foyers ni nos troupes de terre ni celles de mer avant que le peuple et le sénat aient déclaré valable notre traité ; et, en attendant, il nous faudra hiverner ici sans rien faire, épuisant par notre présence les ressources et les provisions en tout genre de nos alliés ; puis si le sénat n'approuve pas ces négociations, nous aurons à recommencer la guerre, après avoir perdu l'occasion présente, qui nous permettra, avec l'aide de Dieu, de mettre enfin un terme à cette lutte. » Ainsi parla Eumène, et Lucius approuvant ses conseils répondit aux envoyés d'Antiochus qu'avant l'arrivée du consul il ne pouvait rien faire. Antiochus sur cette réponse ravagea les environs d'Élée. Séleucus, après le départ de son père, demeura dans le pays, et le roi, parcourant en tout sens les campagnes, alla piller le territoire de Thèbes. Comme ce territoire était fertile et riche, il gorgea son armée de dépouilles de toute espèce. [21,8] VIII. Aussitôt qu'en Grèce arriva, chez les Achéens, de la part d'Eumène, l'ambassade qui demandait leur alliance, le peuple se rassembla, confirma le traité d'amitié proposé, et fit partir pour l'Asie mille fantassins et cent cavaliers sous la conduite du Mégalopolitain Diophane. C'était un homme très versé dans l'art militaire. Durant la longue guerre qu'avait faite Nabis aux portes mêmes de Mégalopolis, il avait servi constamment sous Philopoemen, et avait ainsi fait un sérieux apprentissage de la guerre. De plus, il y avait en son port et dans sa stature quelque chose d'imposant et de redoutable. Enfin, pour tout dire, en même temps qu'il était brave, il connaissait d'une manière supérieure le maniement des armes. [21,9] IX. Antiochus, après l'expédition contre Thèbes, dont nous avons parlé tout à l'heure, s'était rendu à Sardes, et de là il envoyait sans cesse des députés à Prusias pour solliciter son alliance. Prusias, dans le principe, n'était pas éloigné de s'unir à Antiochus, car il craignait que les Romains ne vinssent en Asie renverser tous les rois. Mais il reçut vers cette époque, de Lucius et de Publius, une lettre dont la lecture fixa quelque peu ses idées et lui fit voir plus nettement l'avenir. Pour le rassurer, Publius et son frère invoquaient dans cet écrit des raisons nombreuses et solides. Ils lui expliquaient, non seulement leurs intentions, mais encore celles du peuple romain. Ils lui rappelaient que, loin d'enlever le pouvoir à aucun roi légitime, Rome avait établi plus d'un prince sur le trône, et avait relevé la grandeur de quelques autres en agrandissant leur empire. Ils citaient d'abord Indibilis et Golichas en Espagne; en Afrique, Massinissa; en Illyrie, Pleuratus : Rome les avait faits, de chefs faibles et méprisés qu'ils étaient, des rois considérables. De même, en Grèce, Philippe et Nabis. Après avoir vaincu Philippe et l'avoir réduit à fournir des otages, à payer tribut, sur la moindre preuve de dévouement donnée par ce prince, elle lui avait rendu son fils et tous les jeunes gens retenus en Italie, l'avait déchargé du tribut, lui avait enfin restitué une foule de villes prises durant la guerre. Elle pouvait encore renverser Nabis, et elle ne l'avait pas fait; elle l'avait épargné, quoique tyran, et s'était contentée des garanties accoutumées. Les deux Scipion engageaient Prusias à tenir compte de ces faits, à ne rien craindre pour sa couronne, à embrasser hardiment la cause des Romains, et à bien se convaincre qu'il ne se repentirait jamais d'avoir pris un tel parti. Éclairé par ce langage, Prusias changea complètement d'opinion, et lorsqu'une ambassade, à la tête de laquelle était Livius, vint le trouver, à la suite de l'entrevue, il rompit tout à fait avec Antiochus. Déchu de cet espoir, ce prince se rendit à Éphèse, et comme il calculait qu'il ne pourrait réussir à empêcher le passage des Romains en Asie et à repousser la guerre de son royaume que s'il était maître de la mer, il résolut de livrer une bataille navale et de décider ainsi la question entre les Romains et lui. [21,10] X. Antiochus fut encore vaincu, et après sa défaite, retiré dans Sardes, où il perdait son temps sans vigueur et dans l'inaction, il eut à peine appris le passage de l'Hellespont par Lucius et par Publius, que, hors de lui, consterné et désespérant de tout, il résolut d'envoyer des députés traiter de la paix. Il choisit Héraclide de Byzance et le fit partir avec ces instructions : qu'il évacuerait Lampsaque, Smyrne et Alexandrie, causes de la guerre ; et même, que si les Romains voulaient détacher de son royaume quelques villes de l'Éolide et de l'Ionie qui avaient suivi leur parti, il y consentait; qu'enfin il rembourserait aux Romains la moitié des frais de la guerre. Telles étaient les conditions ostensibles qu'Héraclide devait communiquer au conseil; il en avait de confidentielles pour Scipion, dont nous parlerons tout à l'heure en détail. Héraclide, à son arrivée sur l'Hellespont, trouva les Romains campés à la place même où ils s'étaient arrêtés après leur débarquement. Il se réjouit d'abord de cette circonstance : il trouvait favorable à sa mission cette immobilité de l'ennemi, qui n'avait encore rien fait depuis son passage en Asie. Mais il apprit avec peine que Publius était encore sur l'autre bord : car c'était de sa volonté que dépendait surtout l'issue de l'affaire. Quoi qu'il en soit, si l'armée était restée dans son premier campement, si Publius était séparé de ses troupes, c'est qu'il était salien. Les saliens, comme nous l'avons dit dans notre livre sur le gouvernement des Romains, forment un des trois collèges qui sont chargés, à Rome, des principaux sacrifices aux dieux, et il est d'usage, quand la fête arrive, que les saliens, en quelque endroit qu'ils puissent être, y demeurent durant trente jours : c'était le cas où se trouvait Publius. L'armée allait traverser l'Hellespont à l'époque de cette cérémonie solennelle, si bien qu'il ne pouvait remuer. Il se sépara donc de ses troupes et demeura en Europe, tandis que les légions restaient immobiles, sans rien faire, en l'attendant sur l'autre bord. [21,11] XI. Publius arriva quelques jours après, et Héraclide, appelé au conseil, exposa ses instructions. Il dit qu'Antiochus était prêt à évacuer Lampsaque, Smyrne et Alexandrie, et même les villes qui, en Éolide et en Ionie, avaient embrassé la cause des Romains; qu'il se chargeait, en outre, de payer la moitié des frais de la guerre. Il ajouta à cet exposé de nombreuses raisons à l'appui de sa prière, et conjura les Romains de ne pas abuser de la fortune, de se souvenir qu'ils étaient hommes, de ne point étendre leur empire à l'infini, de lui donner plutôt pour limites celles de l'Europe : cette puissance, où jamais peuple n'était parvenu, était déjà assez vaste, assez admirable ; que si, ajouta-t-il, les Romains voulaient quelque partie de l'Asie, ils n'avaient qu'à déterminer leur choix : le roi se prêterait à tout. A la suite de ce discours, le conseil décida de faire répondre par l'ambassadeur qu'Antiochus devait payer, non pas la moitié, mais la totalité des dépenses, puisque lui, et non Rome, avait commencé la lutte; affranchir les villes de l'Éolide et de l'Ionie, et, de plus, évacuer toutes les provinces en deçà du Taurus. L'ambassadeur, sur cette réponse, dont les exigences dépassaient de beaucoup ses pouvoirs, la regarda comme non avenue, et ne reparut plus dans le conseil; mais il fit soigneusement la cour à Publius. [21,12] XII. A la première occasion favorable, il l'entretint de ses instructions confidentielles. En voici la teneur : Le roi promettait à Scipion de lui rendre son fils sans rançon (ce jeune homme était tombé, au commencement de la guerre, au pouvoir d'Antiochus) ; il se déclarait ensuite prêt à lui fournir tout l'argent qu'il pourrait désirer, et à partager avec lui les richesses de son empire, s'il voulait appuyer le traité de paix tel qu'il l'avait proposé. Publius répondit qu'il acceptait l'offre que le roi lui faisait au sujet de son fils, et qu'il lui aurait une vive reconnaissance d'accomplir sa promesse; mais il ajouta qu'Antiochus s'était étrangement abusé pour le reste, et qu'il avait fort mal entendu ses intérêts, et dans cette entrevue particulière, et dans le conseil. S'il avait offert ces conditions alors qu'il était maître de Lysimaque et des portes de la Chersonèse, peut-être aurait-il pu réussir. Si même, chassé de ces positions, mais encore en armes sur l'Hellespont et se montrant décidé à empêcher notre passage, il eût, ajouta-t-il, envoyé une ambassade avec un semblable traité, il est probable que ses demandes eussent été écoutées. Mais en venant, après avoir laissé nos troupes passer en Asie, après avoir, coursier vaincu, reçu le frein et un maître qui lui presse le flanc, offrir la paix à des conditions égales, il devait échouer dans ses offres et voir son espoir trompé. Il engageait donc Antiochus à délibérer plus sagement sur les circonstances présentes, et à mieux apprécier sa position. Il ajouta que, pour reconnaître sa promesse au sujet de son fils, il voulait lui donner un conseil digne d'un tel bienfait, c'était de consentir à tout et de ne plus combattre les Romains. Héraclide, après cette conversation, partit et alla rendre compte au roi de son ambassade. Antiochus, convaincu qu'on ne saurait jamais lui imposer des clauses plus dures, même après une défaite, ne songea plus à la paix, et se prépara de toutes ses forces au combat. [21,13] XIII. A la suite de cette victoire, les Romains prirent Sardes et sa citadelle, et bientôt arriva un héraut nommé Musée, de la part d'Antiochus. Publius l'accueillit avec bienveillance, et le héraut lui dit que le roi désirait envoyer des députés afin de traiter de la paix. Il demanda pour eux un sauf-conduit, et, dès qu'il l'eut obtenu, repartit. Quelques jours après, on vit venir Zeuxis, ancien satrape de Lydie, et son neveu Antipater. Leur premier soin fut d'avoir une entrevue avec Eumène : car ils craignaient qu'au souvenir de leurs injures passées, il ne fût porté à leur nuire. Mais ils trouvèrent en lui plus de bonté et de modération qu'ils n'espéraient, et demandèrent aussitôt une audience. Admis au sein du conseil, parmi d'autres développements, ils prièrent les Romains d'user avec noblesse et réserve de leur victoire, réserve non moins utile, disaient-ils, à leurs intérêts qu'à ceux d'Antiochus, puisque la fortune leur avait donné l'empire de l'univers. Enfin, et c'était le point principal, ils demandèrent à quel prix Antiochus pouvait obtenir la paix et l'amitié du peuple romain. Déjà le conseil avait, dans des séances antérieures, délibéré sur ce sujet. Il chargea Publius de faire connaître ce qu'on avait décidé. [21,14] XIV. Publius commença par dire que jamais le peuple romain ne devenait, par la victoire, plus exigeant envers ses ennemis : qu'en conséquence, les députés d'Antiochus recevraient la même réponse que lorsqu'ils étaient venus, avant la dernière bataille, sur l'Hellespont. Antiochus devait donc évacuer l'Europe et céder l'Asie en deçà du Taurus ; donner, en outre, quinze mille talents euboïques pour les frais de la guerre, en payer sur-le-champ cinq cents, puis deux mille cinq cents quand le peuple aurait ratifié la paix, et le reste en douze ans, ce qui ferait mille par année; solder à Eumène un arriéré de quatre cents talents et lui livrer des cargaisons de blé, qui, d'après le traité fait avec son père, lui étaient dues; remettre aux Romains Annibal le Carthaginois, Thoas l'Étolien, Mnasiloque l'Acarnanien, Philon et Eubulide les Chalcidiens; fournir enfin immédiatement vingt otages qui lui seraient désignés. Telles furent les conditions dictées par Scipion au nom de tout le conseil. Antipater et Zeuxis les acceptèrent. On décida d'envoyer des ambassadeurs à Rome pour engager le peuple et le sénat à les ratifier. Puis on se sépara. Le lendemain, les Romains distribuèrent leurs troupes dans les villes. Les otages furent amenés quelques jours après à Éphèse, et Eumène et les députés romains se préparèrent à partir pour Rome. Des députations de Rhodes, de Smyrne et de presque toutes les peuplades et villes en deçà du Taurus s'embarquèrent aussi pour l'Italie. [21,15] XV. Ils se demandaient qui se chargerait d'annoncer cet honneur à Philopoemen, et, bien que, le plus souvent, on s'acquitte volontiers de telles commissions afin d'en faire un titre d'amitié et de relations bienveillantes, personne cependant ne se présentait pour lui porter la couronne. Afin de sortir d'embarras, on eut recours au vote, et on choisit Timolaüs, que des liens d'hospitalité exercée par son père et une vieille amitié unissaient à Philopoemen. Deux fois Timolaûs se rendit à Mégalopolis, et deux fois il n'osa pas dire à Philopœmen l'objet de sa venue, jusqu'à ce qu'enfin, faisant un effort sur lui-même, il lui parla de la couronne que Lacédémone lui décernait. En voyant, contre son attente, Philopoemen fort bien accueillir ses paroles, Timolaüs, ravi, se flatta d'avoir complètement réussi dans sa mission. Philopoemen lui répondit qu'il se rendrait bientôt à Sparte pour remercier les chefs d'une telle faveur. En effet, il vint peu après à Lacédémone, et, admis dans le sénat, dit que depuis longtemps il connaissait la bienveillance des Lacédémoniens pour lui, et qu'il l'appréciait surtout par cette offre d'une couronne, par cette nouvelle marque d'honneur; qu'il était sensible à tant de bienveillance ; mais qu'il hésitait à recevoir leur présent; que ces distinctions et ces dons ne devaient pas être réservés pour leurs amis, qui, en les acceptant, ne pourraient jamais effacer la tache qu'ils en contracteraient, mais bien plutôt à leurs ennemis, afin que leurs amis, en gardant leur indépendance, trouvassent créance auprès des Achéens, s'ils proposaient de secourir Sparte, et que leurs ennemis, après avoir dévoré cet appât, se vissent forcés, ou d'embrasser leur parti, ou du moins de se taire et de ne plus nuire. [21,16] XVI. Lorsque Ptolémée assiégea Lycopolis, les chefs égyptiens, frappés de terreur, se livrèrent à sa merci; et il les traita avec une dureté qui l'exposa aux plus grands périls. Il usa de la même sévérité quand Polycrate eut soumis le reste des rebelles. Athénis, Pausiras, Chésuphus et Irobastus, qui avaient seuls échappé aux massacres des seigneurs, étant venus à Saïs faire leur soumission au roi, sans respect pour les garanties qu'il leur avait données il les fit enchaîner, traîner derrière un char, et, après s'être ainsi vengé, les mit à mort. Il se rendit ensuite avec son armée à Naucratis, où il trouva Aristomaque et les mercenaires qu'il avait amenés de Grèce, les joignit à ses troupes et rentra par mer à Alexandrie. Ptolémée, jusque-là, n'avait pris part à aucune expédition militaire, grâce aux perfides conseils de Polycrate, et cependant il avait déjà vingt-cinq ans. [21,17] XVII. Aristomaque était un des eunuques du roi; il avait été élevé à la cour dans la compagnie de ce prince, dès l'âge le plus tendre. Il acquit, avec les années , un courage, une audace singulière pour un eunuque. Il était naturellement porté à la guerre, et s'exerçait sans relâche aux armes et à tout ce qui s'y rattache. Il ne manquait pas de finesse dans la conversation, et avait un grand sens naturel, qualité assez rare ; enfin c'était un homme disposé à rendre service.