[14,0] LIVRE XIV (fragments). [14,1] I. (1) Peut-être un exposé préliminaire des faits accomplis en chaque olympiade éveille-t-il l'attention du lecteur en lui marquant tout d'abord le nombre et la grandeur des événements dont il doit être témoin. (2) L'histoire de l'univers se trouve ainsi présentée tout entière à ses regards. Mais je ne pense pas qu'on puisse désirer de trouver ici dans un tableau synoptique ce qui s'est passé durant l'olympiade où nous sommes parvenus, et cela pour deux causes : d'abord la fin des guerres d'Afrique et d'Italie coïncide avec cette époque, et qui ne voudrait en connaître au plus tôt la catastrophe et l'issue? (3) car, telle est notre nature, nous sommes toujours pressés d'arriver au dénouement; (4) ensuite, les conseils des rois sont aujourd'hui révélés, et tout ce qui s'est passé à leur cour est devenu manifeste et clair aux yeux mêmes des plus indifférents. (5) Aussi, curieux de donner au récit de chaque fait la valeur qu'il mérite, nous avons résumé en ce seul livre les douze années de l'histoire d'Egypte, comme nous l'avons promis plus haut (et nous avons surtout insisté sur la fin de la lutte entre Annibal et Scipion). 1a. (2) Il venait d'apprendre, durant son quartier d'hiver, que les Carthaginois équipaient une flotte, il s'occupa de faire de son côté les mêmes préparatifs, et surtout de presser le siège d'Utique. (3) Il se flattait, d'ailleurs, de gagner de nouveau Syphax à l'alliance romaine, et comme les deux armées n'étaient pas éloignées l'une de l'autre, il lui envoyait sans cesse des députés afin de le détacher de Carthage. (4) Il comptait que Syphax serait bientôt las de cette jeune fille pour qui il avait embrassé la cause de Carthage, las de ses nouveaux amis; car il connaissait la mobilité d'humeur propre aux Numides, et leur esprit facilement infidèle envers les dieux et les hommes. (5) Tandis qu'il flottait entre mille pensées, incertain de l'avenir, et qu'il reculait devant une bataille rangée, avec un ennemi de beaucoup supérieur en nombre, tout à coup s'offrit à lui une occasion favorable qu'il se hâta de saisir. (6) Quelques-uns des députés qu'il avait envoyés à Syphax lui rapportèrent un jour que les Carthaginois avaient, pour passer l'hiver, élevé des huttes de bois et de feuillages de toute espèce sans y mêler de terre ; (7) que les Numides, arrivés les premiers, avaient employé à ces constructions des roseaux, et que ceux qui se rendaient successivement au camp formaient leurs habitations de feuilles seulement; qu'enfin quelques-unes de ces cabanes étaient dans l'intérieur du retranchement, mais la plupart en avant et par delà le fossé. (8) Sur ce rapport, Publius convaincu qu'il ne pouvait y avoir de coup plus inattendu pour les Carthaginois, et plus avantageux pour les Romains qu'une tentative d'incendie, ne songea plus qu'à faire les préparatifs nécessaires à cette entreprise. (9) Syphax, dans ses relations avec Publius, était toujours revenu sur cette pensée que les Carthaginois devaient évacuer l'Italie, les Romains l'Afrique, et demeurer les uns et les autres en possession des pays intermédiaires dont ils étaient maîtres avant les hostilités, et Publius n'avait jamais prêté l'oreille à ces instructions. (10) Mais alors il fit entendre par ses agents, à Syphax, que ce qu'il désirait n'était pas impossible. (11) Syphax, excité par cette espérance, favorisa plus que jamais les entrevues. Les députations devinrent plus nombreuses, les conférences plus fréquentes, (12) les envoyés des deux partis demeurèrent même quelquefois plusieurs jours dans le camp de l'un ou de l'autre sans exciter la moindre défiance. (13) Dès lors Scipion eut toujours soin d'envoyer avec les commissaires des hommes intelligents et même des soldats mal vêtus et déguisés en esclaves pour qu'ils pussent impunément observer à leur aise les entrées et les sorties des deux camps; (14) car il y en avait deux : l'un était occupé par Asdrubal avec trente mille fantassins et trois mille cavaliers; l'autre, placé à dix stades du premier, était celui des Numides : il contenait dix mille cavaliers et cinquante mille fantassins environ. (15) L'abord en était plus aisé, et les tentes plus faciles à incendier, parce que les Numides, comme nous l'avons dit, les avaient construites, non pas en bois ou en terre, mais simplement en roseaux et en feuillage. [14,2] II. (1) Lorsque le printemps fut de retour, et que Scipion eut suffisamment étudié ce qu'il lui fallait connaître dans le camp de l'ennemi, (2) il remit ses navires à flot et y embarqua des machines de guerre comme s'il se fût proposé d'attaquer Utique. (3) Deux mille fantassins environ prirent position pour la seconde fois sur une éminence qui domine la ville, se fortifièrent et s'entourèrent à grands frais d'un fossé. (4) Il faisait mine de ne pousser ces travaux que pour hâter le succès du siège, mais son véritable but était de veiller du haut de ce poste sur ce qui se passerait durant l'expédition qu'il méditait, et d'empêcher qu'à la vue de ses troupes lancées dans la plaine, la garnison d'Utique ne fît quelque sortie contre le camp qui était assez proche, et y assiégeât les soldats chargés de le garder. (5) Au milieu de ces préparatifs, Scipion ne manqua pas d'envoyer à Syphax une ambassade nouvelle pour lui demander si, dans le cas où lui, Scipion, accepterait ses anciennes propositions, les Carthaginois les accepteraient également, ou s'ils ne voudraient pas délibérer de nouveau sur les conventions arrêtées entre eux. (6) Il avait recommandé à ses ambassadeurs de ne pas revenir sans avoir reçu une réponse positive. Ce langage persuada aux Numides que Scipion s'occupait sérieusement de conclure la paix : (7) l'ordre qu'il avait donné aux ambassadeurs de ne pas retourner dans le camp sans réponse, la crainte qu'il exprimait au sujet du consentement des Carthaginois, les confirmèrent dans cette croyance. Il dépêcha donc aussitôt vers Asdrubal, pour l'instruire de ce fait et l'engager à la paix ; (8) puis il retomba dans son indolence, laissant les troupes numides qui survenaient s'établir hors de l'enceinte du camp. (9) Publius affectait le même calme, mais il n'en poursuivait pas avec moins d'ardeur les préparatifs. (10) Cependant, les Carthaginois firent savoir à Syphax qu'ils souscrivaient aux conditions proposées, et ce prince, au comble de la joie, se hâta d'en informer les députés romains, qui reprirent le chemin du camp pour annoncer à Scipion le succès des négociations. (11) Celui-ci fit immédiatement repartir une ambassade chargée de répondre à Syphax que Scipion était toujours dans les mêmes dispositions, mais que son conseil ne partageait pas son avis, et déclarait qu'il fallait poursuivre les hostilités. (12) L'ambassade alla porter cette nouvelle aux Barbares. (13) Scipion avait cru devoir l'envoyer afin de ne point encourir le blâme de perfidie qu'il n'eût pu éviter si , au milieu d'un armistice conclu pour négocier la paix, il eût fait quelque tentative contre l'ennemi. (14) Il lui sembla qu'après une telle déclaration il pourrait tout oser sans mériter aucun reproche. [14,3] III. (1) La réponse des Romains affligea d'autant plut Syphax qu'il espérait la paix davantage. Il se rendit auprès d'Asdrubal et lui porta cette triste nouvelle. (2) Elle jeta les deux chefs dans un grand embarras, et ils délibérèrent longuement sur la conduite qu'ils devaient tenir. Mais de cette délibération ne sortit ni conseil, ni mesure qui pût les défendre du péril qui les menaçait. (3) Ils étaient si loin de se tenir sur leurs gardes et de s'imaginer qu'ils courussent quelque danger, qu'ils ne songèrent qu'à prendre l'initiative, à appeler l'ennemi dans la plaine ; ce fut là leur seul but, leur seule pensée. (5) De son côté, Publius faisait croire à ses troupes, et par la nature de ses ordres, et par ses préparatifs, qu'il comptait se rendre maître d'Utique par de secrètes menées. Enfin, il convoqua vers le milieu du jour les tribuns de qui le dévouement et la fidélité lui inspiraient le plus de confiance, les informa de son dessein, et leur prescrivit de faire sortir les troupes du camp, après le repas du soir, lorsque, (6) suivant la coutume, toutes les trompettes auraient sonné à la fois. C'est un usage chez les Romains que, vers l'heure du souper, les trompettes et les clairons donnent ensemble auprès de la tente du général, parce qu'en ce moment on envoie les gardes de nuit à leurs différents postes. (7) Il appela ensuite auprès de lui les espions qu'il avait eu soin d'envoyer chez l'ennemi, et examina, compara leurs rapports à propos des entrées et des issues du camp en s'éclairant des lumières et des conseils de Massinissa, à qui ces localités étaient familières. [14,4] IV. (1) Lorsque tout fut prêt pour l'expédition, Scipion laissa dans le camp un nombre suffisant de soldats d'élite, et sortit avec le reste vers la fin de la première veille; soixante stades séparaient les Romains de l'ennemi ; (2) il l'atteignit que la troisième veille allait s'achever, il remit la moitié de ses troupes à Caïus Lélius et à Massinissa avec tous les Numides, et leur laissa le soin d'attaquer le camp de Syphax, il (3) leur recommanda en quelques mots d'être fidèles à leur ancienne valeur, et de ne rien hasarder en hommes qui savaient bien que plus les ténèbres gênent et empêchent la vue, plus il faut par la prudence et l'énergie remédier aux difficultés d'une attaque nocturne; puis, suivi de ses autres soldais, (4) il se dirigea vers Asdrubal. Il avait résolu de ne point agir avant que les soldats sous les ordres de Lélius eussent mis le feu au camp des Numides. (5) Aussi ne fît-il marcher ses troupes qu'au petit pas, tandis que Lélius et Massinissa, se partageant leurs forces, se jetèrent ensemble sur l'ennemi. (6) Les tentes, et par leur construction, et par leur disposition, semblaient, on le sait, avoir été comme à plaisir préparées pour un incendie. Les soldats du premier rang eurent à peine lancé leurs brandons contre les cabanes qui étaient les plus rapprochées, que le mal devint irrémédiable et la contiguïté de ces frêles édifices, l'abondance des matières inflammables, entretenaient le feu à l'envi. (7) Lélius était resté en arrière comme réserve; Massinissa, qui savait par où les Barbares, fuyant l'incendie, devaient nécessairement se retirer, plaça sur leur passage ses soldats. (8) Cependant aucun Numide, pas même Syphax, ne soupçonnait la vérité : on croyait que le feu avait pris par accident. (9) Les uns sortaient de leurs cabanes à demi endormis, les autres épuisés par l'orgie et le vin, tous sans défiance. (10) Ils périrent en grand nombre au sortir même du camp, foulés aux pieds les uns des autres; beaucoup aussi moururent au milieu des flammes ; ceux enfin qui avaient pu échapper à l'incendie tombèrent entre les mains de l'ennemi, et y laissèrent leur vie avant de savoir ce qu'ils faisaient ou subissaient eux-mêmes. [14,5] V. (1) Cependant les Carthaginois, à la vue de ces torrents de flamme et de ces nuages énormes d'une épaisse fumée, n'attribuant qu'au hasard l'incendie du camp numide, coururent en partie au secours de leurs frères ; (2) le reste demeura au pied du retranchement, sans armes, occupé à regarder cet imposant spectacle. (3) Aussitôt Scipion, qui voyait tout aller au gré de ses désirs, tomba sur ces malheureux, tua les uns, poursuivit les autres, et dans sa poursuite mit le feu aux cabanes. (4) Alors se passèrent, dans le camp des Carthaginois, les mêmes scènes d'incendie et de carnage que dans celui des Numides. (5) Asdrubal ne songea pas un instant à combattre le feu, car il comprenait bien que cet incendie qui dévorait à la fois ses tentes et celles de Syphax, n'était pas un événement fortuit, comme on l'avait cru d'abord, mais une surprise audacieuse des Romains. (6) Il ne s'occupa que de se sauver, lui et son armée, quelque faible que fût encore l'espoir qui lui restait de ce côté. (7) Le feu s'était répandu avec rapidité et déjà couvrait tout l'espace; les issues étaient encombrées de chevaux, de bêtes de somme, d'hommes à demi étouffés par les flammes ou bien hors d'eux-mêmes et consternés. (8) Ce désordre était un nouvel obstacle au courage , et au milieu de cette confusion générale, on ne pouvait guère se flatter d'échapper à la mort : (9) la situation de Syphax et des autres chefs n'était pas moins affreuse. Enfin, Asdrubal et Syphax parvinrent à sortir du camp avec quelques cavaliers; (10) mais le reste de l'armée, les chevaux, les bêtes de somme, périrent par milliers de la manière la plus déplorable. (11) Quelques soldais, qui avaient su se dérober à l'incendie allèrent mourir sans gloire et misérablement sous les coups des ennemis apostés, qui égorgèrent à l'envi ces malheureux nus et sans armes. (12) Ce n'était partout que gémissements, que cris confus, que terreur; ajoutez à cela les tourbillons de flamme s'échappant de cette fournaise : (13) une seule de ces circonstances eût suffi pour jeter l'épouvante dans tout cœur d'homme, que devaient donc faire tant d'horreurs si soudainement réunies? (14) L'imagination même ne saurait se représenter rien de semblable, tant cet événement l'emporte, par ce qu'il a de terrible, sur tous ceux que nous avons déjà dits. (15) Scipion s'est illustré par de nombreux exploits, mais il me semble que ce coup de main est le plus hardi, le plus étonnant qu'il ait jamais tenté. [14,6] VI. (1) Dès qu'il fit jour, Scipion, voyant une partie des ennemis tués, et l'autre tumultueusement en fuite, fit un nouvel appel au courage des centurions, et se mit à la poursuite de l'armée carthaginoise. (2) D'abord Asdrubal attendit de pied ferme le vainqueur, dont on lui avait annoncé l'arrivée, car il comptait sur la force de la place ; (3) puis, comme les habitants étant divisés entre eux, l'approche de Scipion l'effrayait fort, il abandonna la ville avec ce qui lui restait de soldats, c'est-à-dire cinq cents cavaliers et deux mille fantassins, (4) et les Andéates se rendirent d'un commun accord aux Romains. (5) Publius leur fit grâce, mais il laissa piller par ses soldats deux villes voisines, et revint ensuite dans son ancien camp. (6) Les Carthaginois, qui voyaient les événements si mal répondre à leurs espérances, supportèrent ce désastre avec peine. (7) Ils s'étaient flattés de pouvoir cerner l'armée romaine entière, en l'enfermant sur le promontoire à l'est d'Utique, où elle campait, entre leurs troupes de terre d'un côté et leur flotte de l'autre; (8) ils avaient, pour assurer ce succès, multiplié les préparatifs, et voilà que, par un revers qu'on ne pouvait prévoir, non seulement ils sont contraints de céder la plaine à l'ennemi, mais encore de trembler pour l'existence de leur patrie et pour la leur. (9) La consternation, la terreur étaient au comble; de plus, les circonstances exigeaient de la prudence et de l'accord dans les délibérations, et le sénat tout entier flottait incertain entre mille opinions diverses. (10) Les uns voulaient qu'on rappelât Annibal d'Italie, et disaient qu'en ce général seul et ses troupes reposait le salut de la république; les autres étaient d'avis qu'on demandât à Scipion un armistice, et qu'on traitât avec lui des conditions de paix; (11) quelques-uns, relevant le courage de leurs concitoyens, les engageaient à rassembler des troupes, à députer une ambassade auprès de Syphax (12) qui se trouvait assez près de Carthage, dans la ville d'Abbe, où il recueillait les débris de son armée. A la fin, cet avis l'emporta, les Carthaginois envoyèrent donc Asdrubal faire de nouvelles levées. (13) En même temps des députés allèrent prier Syphax de secourir au plus vile la république en danger, de persévérer dans ses premiers sentiments, et lui dire que bientôt, d'ailleurs, Asdrubal irait le rejoindre avec ses forces. [14,7] VII. (1) Cependant Scipion pressait de loin le blocus d'Utique; mais à la nouvelle que Syphax s'était arrêté dans sa fuite, et que les Carthaginois levaient des soldats de toute part, il s'établit sous les murs mêmes de la ville. (2) Là, il partagea les dépouilles, (3) et les marchands retirèrent de la vente qu'on en fit d'énormes bénéfices. Ne doutant pas, au souvenir de leur dernier succès, du résultat définitif de la prochaine bataille, les soldats, qui faisaient peu de cas de leur butin, l'abandonnèrent pour rien. (4) Le roi des Numides et ses amis avaient d'abord résolu de poursuivre leur retraite et de se retirer dans leurs foyers; (5) mais, lorsqu'à quelque distance d'Abbe, ils virent arriver quatre mille Celtibériens environ, que Carthage avait levés, ce renfort leur inspira de la confiance, et reprenant quelque courage ils firent halte. (6) En outre Sophonisbe, la fille d'Asdrubal et la femme de Syphax, comme j'ai dit plus haut, conjurait, suppliait ce prince de ne pas abandonner Carthage en un moment si critique. Il se laissa persuader par ses prières et se rendit à son désir. (7) Du reste, la présence des Celtibériens ne releva pas moins les espérances des Carthaginois que celles des Numides. Au lieu de quatre mille hommes on disait qu'il en était venu dix mille qui, par leur valeur et la force de leurs armures, étaient invincibles. (8) Ce bruit, et les mille propos du peuple ranimèrent les Carthaginois ; ils allèrent avec une nouvelle ardeur disputer la campagne aux Romains. (9) Après trente jours de marche, ils établirent leur camp dans un lieu qu'on appelle les Grandes Plaines : réunis aux Numides et aux Celtibériens, ils comptaient trente mille soldats. [14,8] VIII. (1) Sitôt cette nouvelle portée au camp romain, Publius résolut de partir sur-le-champ, donna aux troupes de terre et de mer, qu'il laissait sous les murs d'Utique, les instructions nécessaires, et sortit avec toute son armée légère : (2) cinq jours après il était près des Carthaginois dans les Grandes Plaines. Dès le premier jour il s'établit sur une colline, à trente stades de leur campement; (3) le lendemain il descendit en rase campagne, et poussant sa cavalerie en avant, se transporta à sept stades seulement de l'ennemi. (4) Les deux jours suivants, les uns et les autres, sans quitter leur position, se bornèrent à quelques légères escarmouches. Le quatrième, ils sortirent de leurs retranchements et se rangèrent en bataille. (5) Publius, suivant les principes de la tactique romaine, plaça sur la première ligne les hastaires, sur la seconde les princes, sur la troisième, enfin, les triaires. (6) La cavalerie italienne occupa l'aile droite, Massinissa et ses Numides la gauche. (7) Syphax et Asdrubal, de leur côté, opposèrent aux légions romaines, au centre, les Celtibériens, envoyèrent les Numides à l'aile gauche, et les Carthaginois à la droite. (8) Au premier choc, les Numides plièrent devant la cavalerie italienne, et les Carthaginois, découragés par tant de défaites, cédèrent le terrain à Massinissa. (9) Mais les Celtibériens combattirent contre les Romains avec une mâle valeur. S'ils fuyaient, pas d'espoir de salut au milieu d'un pays qu'ils ne connaissaient pas; s'ils étaient faits prisonniers, pas de merci pour eux auprès de Scipion, à cause de leur perfidie : (10) car, après avoir été épargnés par lui en Espagne, venir ensuite prêter l'appui de leurs armes aux Carthaginois contre les Romains, était une éclatante et lâche trahison. (11) Malgré leurs efforts, les ailes une fois enfoncées, ils furent bientôt enveloppés par les princes et les triaires : ils tombèrent presque tous à leur poste. (12) Ainsi périrent les Celtibériens ; et leur belle résistance ne protégea pas seulement les Carthaginois sur le champ de bataille, mais jusque dans leur fuite. (13) Sans cet obstacle, les Romains eussent tout d'abord poursuivi les fuyards, et peu auraient échappé à leurs coups. (14) Les Celtibériens les arrêtèrent, et dans l'intervalle Syphax put se retirer tranquillement dans son royaume avec sa cavalerie, et Asdrubal à Carthage avec les débris de ses troupes. [14,9] IX. (1) Le général romain, après avoir réglé tout ce qui avait rapport aux dépouilles et aux captifs, convoqua son conseil pour aviser à ce qu'il fallait faire. (2) Il fut décidé que Scipion resterait avec une partie de son armée dans le voisinage des Grandes Plaines et parcourrait les villes d'alentour, et que Lélius et Massinissa, suivis des Numides et d'une fraction des légions romaines, se lanceraient à la poursuite de Syphax sans lui laisser le temps de se remettre de son effroi et de faire des préparatifs. (3) Après cette délibération on se sépara : Lélius et Massinissa pour marcher contre Syphax avec les troupes qu'on leur avait assignées, et Scipion pour soumettre les villes d'alentour. (4) Les unes se rendirent par crainte aux Romains, les autres furent enlevées de vive force. (5) Du reste toute la population était disposée à secouer le joug de Carthage, au souvenir de ces impôts continuels et de ces mille privations que leur avaient coûtés les longues guerres d'Espagne. (6) À Carthage la consternation était déjà grande ; mais combien fut-elle encore plus forte après un second et si funeste échec, quand on vit tout l'espoir placé sur le dernier champ de bataille cruellement déçu ! (7) Cependant, les sénateurs qui passaient pour les plus énergiques proposèrent de lancer une flotte contre les troupes qui assiégeaient Utique, pour les forcer, s'il était possible, à lever le siège, et de livrer alors une bataille navale à l'ennemi qui, de ce côté, ne pouvait être prêt. (8) Ils demandèrent encore qu'on envoyât des députés à Annibal, et qu'on cherchât auprès de ce général une dernière chance de succès. (9) Cette double mesure présentait, suivant eux, des moyens de salut dont la réussite était plus que probable. (10) D'autres prétendaient que les circonstances ne permettaient plus de tels conseils ; qu'il fallait fortifier la ville et se mettre en état de soutenir un siège ; que la fortune, sans doute, leur amènerait enfin quelques jours plus heureux s'ils demeuraient d'accord ; (10) qu'il serait bon, dans l'intervalle, de délibérer sur la paix, d'examiner à quelles conditions elle serait acceptable, de faire tout ce qui était possible pour mettre un terme à tant de malheurs. (11) A la suite d'une longue discussion, toutes ces mesures furent simultanément adoptées. [14,10] X. (1) En conséquence, les députés qui devaient partir pour l'Italie se rendirent aussitôt à la mer. L'amiral monta sur ses vaisseaux ; les autres chefs s'occupèrent de ce qui concernait la sûreté de la ville, et dans de fréquentes réunions examinèrent sans relâche toutes les précautions de détail qu'il y avait à prendre. (2) Cependant, Publius qui voyait son armée regorgeant d'un butin que personne ne lui disputait, et que la prise de nouvelles villes grossissait incessamment, résolut d'envoyer dans son ancien camp ces riches dépouilles, (3) et, à la tête de ses troupes légères, d'aller prendre une forteresse qui dominait Tunis pour s'établir en face des Carthaginois : il espérait par là les frapper de terreur et d'effroi. (4) Bientôt les Carthaginois eurent équipé leurs navires et préparé les vivres ; et tandis qu'ils ne songeaient qu'à se mettre en mer et à poursuivre leur dessein, Publius s'avança vers Tunis et s'empara de cette ville que ses défenseurs intimidés lui livrèrent sans résistance. (5) Tunis est à cent vingt stades environ de Carthage , qui, de presque tous ses quartiers, peut la voir : c'est une place que la nature et l'art ont admirablement fortifiée, comme je l'ai déjà dit. (6) Les Romains donc y étaient à peine établis, que les Carthaginois mirent à la voile pour Utique. (7) Au bruit de cette expédition, Publius se troubla : il craignait que sa flotte ne souffrît beaucoup d'une attaque que personne ne soupçonnait, et dont rien ne pouvait la défendre. (8) Il leva le camp et vola au secours de ses troupes. (9) Mais si, dans sa flotte, les navires pontés étaient propres à élever des machines et à les approcher des murs ; s'ils pouvaient se prêter à tous les besoins d'un siège, ils n'étaient nullement faits pour un combat naval ; tandis que ceux de l'ennemi avaient été pendant tout l'hiver préparés pour cet usage. (10) En conséquence, Scipion résolut de ne pas se lancer en pleine mer pour livrer bataille ; il rassembla les vaisseaux pontés, les entoura d'un double et triple rang de bâtiments de charge, (11) en fit abattre les mâts et les antennes, et les attacha solidement à ceux qui les protégeaient; il jeta ensuite des ponts à la surface afin qu'on pût sans inconvénient courir de l'un à l'autre, (12) et enfin ménagea sous les ponts eux-mêmes des intervalles par où les vaisseaux légers pussent se lancer contre l'ennemi et revenir à leur gré. (1) Philon s'était fait le flatteur d'Agathocle, fils d'Énanthe et compagnon des plaisirs de Philopator. (2) On voyait à Alexandrie de nombreuses statues revêtues d'une seule tunique et la coupe à la main, élevées en l'honneur de Clino, échanson à la cour du roi Ptolémée Philadelphe, (3) les plus belles maisons portaient les noms de Myrtius, de Mnésis, de Pothine. (4) Mnésis était une joueuse de flûte comme Pothine; Myrtius une fille arrachée aux lieux de débauche. (5) Mais ne vit-on pas aussi la courtisane Agathoclée dominer Ptolémée Philopator et bouleverser l'empire? (1) Qu'on ne s'étonne pas si, après avoir raconté les faits des autres peuples dans un ordre synoptique et par année , nous avons cru devoir prendre de si haut l'histoire de l'Egypte : (2) nous avons eu nos motifs pour agir ainsi. (3) Le roi Ptolémée Philopator, dont il s'agit en ce moment, à la suite de la guerre faite en Célésyrie, renonça à la vertu pour se jeter dans cette vie de désordre et de crimes que nous avons dite. (4) Il fut forcé plus tard par les circonstances de prendre part à la guerre ici racontée, et, si on excepte les traits de cruauté et de perfidie que multiplièrent les deux rivaux, il ne se passa rien de remarquable comme bataille sur terre, comme siège ou comme combat naval. (5) J'ai donc cru, dans l'intérêt du lecteur et dans le mien, ne pas devoir présenter chaque année l'insignifiant récit de petits faits à peine dignes d'attention, mais me borner à faire comme un seul corps de tout ce que j'avais à exposer sur la conduite du roi.