[1] Déjà mon dixième lustre est accompli, et, jusqu'à présent, ma muse a toujours été inoffensive : on ne lirait pas, dans la grande quantité de mes écrits, un seul mot blessant pour qui que ce soit ; nul autre que moi n'a été victime de mes ouvrages : c'est son art qui a tué l'ouvrier. Un seul homme (et je me le reproche pourtant avec amertume) m'obligea à démentir ma bonté naturelle. Je veux bien encore taire son nom ; mais, quel que soit cet homme, [10] il me force à saisir une arme dont j'ignorais encore l'usage ; il empêche un malheureux, relégué sur les rivages glacés d'où souffle l'Aquilon, d'y vivre en paix dans l'oubli ; le cruel irrite des blessures qui ont besoin de calme, et fait retentir de mon nom tout le forum. Il défend à celle qui fut associée à ma couche par des liens éternels de porter le deuil de son époux. Lorsque, dans mon naufrage, j'embrasse les restes fracassés de mon vaisseau, il me dispute la dernière planche de salut ; et lui qui aurait du étouffer la flamme à son premier jet [20] me dépouille et vient, au foyer même de l'incendie, ravir sa proie ; il cherche enfin à affamer ma vieillesse errante. Oh ! qu'il mérite plus que moi les maux que je souffre ! Ils furent pour moi plus humains, les dieux, dont le plus grand, à mes yeux, ne voulut pas que l'indigence me suivît dans l'exil ! Toujours et partout où je le pourrai, je lui rendrai des actions de grâces pour sa rare mansuétude. Le Pont les entendra, et peut-être ce dieu fera-t-il un jour que je prenne à témoin de ma reconnaissance une contrée plus rapprochée. Mais toi, barbare, qui me foulas aux pieds quand je fus terrassé, [30] ma juste inimitié t'atteindra jusque dans l'infortune ; l'eau cessera d'être contraire au feu, le soleil et la lune uniront leur clarté, le Zéphyre et l'Eurus souffleront des mêmes points du ciel, la tiède haleine du Notus s'exhalera du pôle glacé ; les fumées que divise l'antique haine des frères thébains se rejoindront pour la première fois au-dessus du bûcher ; le printemps et l'automne, l'été et l'hiver, seront confondus ; la même contrée servira de patrie commune au couchant et à l'aurore, avant que, déposant les armes, [40] je renoue avec toi cette amitié que tu as rompue par tes outrages ; avant que mon ressentiment s'évanouisse jamais ; avant que la suite des jours adoucisse ma haine. Tant que j'aurai un souffle de vie, notre paix à nous sera celle des loups avec les timides brebis. Je préluderai d'abord au combat par ce genre de vers, quoique le mètre de l'élégie ne soit guère propre aux attaques guerrières ; mais comme le vélite, avant d'être échauffé par le carnage, plonge sa lance dans le sol sablonneux, ainsi, je ne décocherai pas encore contre toi mes traits les plus acérés, [50] et ma lance épargnera, quant à présent, ta tête odieuse. Ce livre ne dira ni ton nom ni tes méfaits, et, pour quelque temps encore, je souffrirai que tu restes inconnu ; mais, si tu continues, l'iambe audacieux m'armera de traits trempés dans le sang de Lycambe. Aujourd'hui, pareil au fis de Battus qui maudit son ennemi Ibis, je te maudis aussi, toi et les tiens. Comme lui, et malgré mon inexpérience de cette manière d'écrire, j'envelopperai mes vers de fables obscures ; on dira [60] qu'oubliant mes allures et mon goût habituels, j'ai imité les détours dont il use dans son Ibis ; et, puisque je ne révèle pas encore ton nom à ceux qui voudraient l'apprendre, reçois, en attendant, celui d'ibis. De même qu'une certaine obscurité voilera le sens de mes vers, puisse une obscurité plus ténébreuse envelopper aussi chaque phase de ta vie ! Et je ferai en sorte qu'au jour de ta naissance, et aux calendes de janvier, une bouche véridique te lise cet écrit. Dieux de la terre et de la mer, et vous tous ! qui, avec Jupiter, habitez dans le ciel un séjour plus fortuné, prêtez, je vous en conjure, prêtez-moi toute votre attention, [70] et faites que mes voeux s'accomplissent ! Toi-même, ô Terre ! et vous, flots de l'Océan ! sublime Éther, entendez ma prière ! Astres, Soleil au front radieux ; Lune, dont le disque brillant change souvent de forme, et nuit aux ténèbres majestueuses ; et vous, triples soeurs qui filez la trame de nos destinées ; fleuve aux ondes redoutées du parjure et qui roulent avec un horrible murmure, à travers les vallées de l'enfer ; vous dont la chevelure est entremêlée de serpents, [80] et qui veillez, dit-on, aux sombres portes de l'infernale geôle ; vous aussi, dieux subalternes, faunes, satyres, lares, fleuves, nymphes, demi-dieux ; vous toutes, enfin, divinités contemporaines de l'antique chaos, et divinités plus récentes, venez à moi maintenant ; tandis que je vais appeler la malédiction sur une tête impie ; tandis que la colère et le ressentiment vont accomplir leur oeuvre vengeresse, soyez tour à tour favorables à mes voeux ! Qu'aucun de ces voeux ne soit stérile, et que mes imprécations se réalisent, afin qu'il croie qu'elles sont sorties, non pas de ma bouche, [90] mais bien de la bouche du gendre de Pasiphaë ; s'il est des peines que j'omette, qu'il les endure encore ; que ses malheurs surpassent même tout ce que je pourrais imaginer ; que ma malédiction, pour s'adresser à un nom supposé, n'en soit pas moins efficace ; qu'elle ne touche pas moins vivement les dieux ! Je maudis donc celui que ma pensée désigne sous le nom d'Ibis, et qui sait bien avoir mérité cette exécration. Hâtons-nous ; prêtre, je prononcerai des voeux qui seront exaucés. Vous tous, témoins de ce sacrifice, secondez-moi ; vous tous, témoins de ce sacrifice, faites entendre de lugubres paroles. [100] Approchez-vous d'Ibis le visage arrosé de larmes ; accourez, en avançant d'abord le pied gauche, et, sous de lugubres auspices, soyez couverts de vêtements noirs. Et toi, Ibis, pourquoi hésiter à ceindre les fatales bandelettes ? Ne vois-tu pas, dressé devant toi, l'autel funèbre ? La cérémonie est prête ; l'expiation ne souffre plus de retard : victime dévouée, tends la gorge au couteau ! Que la terre te refuse ses moissons, et les fleuves leurs eaux ; que le vent te refuse son souffle, et la brise son haleine ; que le soleil soit pour toi sans lumière, et la lune sans clarté ; [110] que les astres soient voilés à tes yeux ; que le feu, que l'air manquent à tes besoins ; que toute voie te soit fermée sur terre et sur mer ; qu'exilé, pauvre et vagabond, tu visites le seuil de l'étranger, mendiant, d'une bouche tremblante, un peu de nourriture ; que la douleur plaintive assiége sans cesse ton corps et ton âme, épuisée par la souffrance ; que la nuit te soit plus affreuse que le jour, et le jour que la nuit ! Sois toujours malheureux et toujours privé de la pitié d'autrui ; que tous, hommes et femmes, se réjouissent de ton infortune ; que leur haine ajoute à tes larmes, [120] et que plus tu auras souffert, plus tu sembles digne de souffrir encore ; que l'aspect odieux de ta misère n'excite pas l'intérêt qu'on porte toujours au malheur ; que mille raisons te fassent désirer la mort, sans que tu puisses la rencontrer jamais ; et que cette vie, qui te sera imposée, échappe sans cesse à sa destruction ; qu'enfin le souffle n'abandonne ton corps épuisé qu'après une lente agonie, qu'après une longue et pénible lutte ! Oui, ces voeux seront exaucés ; Apollon lui-même vient de me dévoiler l'avenir : un oiseau de sinistre présage a volé à ma gauche. Oui, je croirai toujours que mes imprécations seront entendues des dieux, [130] et toujours je me nourrirai, perfide, de l'espoir de ta mort. Il finira, ce jour qui te dérobera à ma vengeance ; il finira ce jour, pour moi si lent à venir, et ce jour si lent à venir terminera ma vie, trop souvent en butte à tes outrages, avant que le temps fasse disparaître mon ressentiment, ou qu'il calme ma haine. Tant que les Thraces combattront avec le javelot, que l'arc sera l'arme des Jazyges ; tant que les eaux du Gange seront tièdes, et celles du Danube glacées ; tant qu'il y aura des chênes sur les montagnes, et dans les plaines de gras pâturages ; tant que le Tibre roulera ses ondes dorées, je te ferai la guerre ; et, loin de mettre un terme à ma colère, [140] la mort elle-même armera mes mânes contre tes mânes ! Oui, alors même qu'elle se sera évanouie dans les airs, mon ombre conservera le ressentiment de sa haine contre ta perfidie ; alors aussi je viendrai, spectre menaçant, te rappeler le souvenir de ces méfaits, et, squelette décharné, attacher sur toi mon regard. Soit que je meure (ce dont me préserve le ciel !) épuisé par de longues années ; soit que je sorte de la vie volontairement ; soit que, ballotté après le naufrage sur l'immensité des flots, mon corps serve de pâture aux poissons d'une mer lointaine ; soit que des oiseaux étrangers se repaissent de mes membres ; [150] soit que des loups rougissent leur gueule de mon sang ; soit qu'une main amie daigne confier mon cadavre à la terre ou jeter ces restes insensibles sur le bûcher public ; quelle que soit ma fin, je tâcherai de m'échapper des bords du Styx, et, altéré de vengeance, je promènerai sur ton visage mes mains glacées ; je t'apparaîtrai dans tes veilles, et, au milieu des ombres silencieuses de la nuit, je serai là pour troubler ton sommeil. Enfin, quoi que tu fasses, je volerai devant tes yeux, devant ta bouche ; je me plaindrai sans cesse, et nulle part tu ne trouveras de repos. Des fouets noueux siffleront à tes oreilles, [160] et des torches entrelacées de serpents brûleront toujours devant tes coupables regards ; vivant, ces furies te poursuivront ; mort, elles te poursuivront encore, car ta vie serait trop courte pour ton châtiment. Tu n'obtiendras des tiens ni larmes, ni honneurs funèbres, et ton corps sera jeté là sans regret ; tu seras, aux applaudissements du peuple, traîné par la main du bourreau lequel enfoncera un croc dans ta chair. Des flammes, qui dévoreront tout, te fuiront, et la terre repoussera justement ton cadavre odieux. Un vautour déchirera lentement tes entrailles, et des ongles et du bec ; [170] des chiens avides dévoreront ton coeur perfide, et des loups affamés, bien que tu doives en être fier, se disputeront les lambeaux de ton corps. Tu seras chassé loin des champs Élysées, dans ces lieux occupés par la foule des ombres coupables, et que tu habiteras avec elles. C'est là qu'on voit Sisyphe roulant son rocher, et le ressaisissant pour le rouler encore ; et cet autre attaché à la roue qui l'entraîne dans son rapide mouvement circulaire ; et ces Danaïdes, troupe sanglante, brus du proscrit Egyptus, qui portent sur leurs épaules une eau éternellement fugitive. Là, le père de Pélops s'efforce en vain de cueillir les fruits qui sont à sa portée ; [180] toujours, autour de lui, abonde une eau limpide, et toujours il est dévoré par la soif. Là est ce géant dont le corps étendu couvre neuf arpents, et dont les entrailles servent à jamais d'aliment à l'oiseau qui les déchire. Là, pour t'arracher l'aveu de tes crimes, une furie te sillonnera les flancs de coups de fouet ; une autre livrera tes membres en lambeaux aux serpents du Tartare ; la troisième fera rôtir sur le feu tes joues fumantes ; ton ombre criminelle sera tourmentée de mille manières. Eaque s'ingéniera à trouver pour toi de nouveaux supplices ; il t'infligera ceux des anciens coupables, [190] lesquels, grâces à toi, pourront jouir de quelque repos. Tu trouveras, ô Sisyphe ! sur qui te décharger de ton fardeau roulant ; et de nouveaux membres tourneront sur la roue rapide ; c'est lui qui essaiera vainement d'atteindre à cette eau, à ces fruits trompeurs ; c'est lui qui nourrira le vautour de ses entrailles sans cesse renaissantes. Une seconde mort ne viendra point mettre un terme aux tourments de la première, et le dernier jour n'arrivera jamais pour tant de souffrances. Mais je ne dirai qu'une partie de tes maux, comme celui qui dérobe quelques branches aux forêts de l'Ida, ou quelques gouttes à la mer de Libye. Je ne pourrais en effet compter toutes les fleurs qui naissent sur l'herbe en Sicile ; [200] tout le safran que produit la terre de Cilicie; tous les grêlons qui blanchissent le mont Athos, lorsque le triste hiver frissonne sur l'aile de l'Aquilon. Quand tu me donnerais cent bouches, elles ne suffiraient pas au récit de tous tes supplices. Malheur à toi ! telles et si nombreuses seront tes infortunes qu'elles m'arracheront, je crois, des larmes à moi-même ! Ces larmes seront pour moi une source éternelle de bonheur ; elles me seront plus douces que le rire. Tu es né malheureux ; ainsi l'ont ordonné les dieux; [210] nulle étoile propice ou bienfaisante n'a présidé à ta naissance. Alors ne brillaient ni Vénus ni Jupiter ; ni la lune ni le soleil n'avaient un aspect de bon augure, ni le dieu que la belle Maïa conçut du grand Jupiter ne t'éclaira d'une lumière favorable ; Mars et le vieillard qui porte la faux ont fait peser sur toi leur influence funeste ; et, pour que tu nevisses rien que de sinistre, le jour où tu naquis, comme s'il eût été honteux de lui-même, se voila de sombres nuages. C'est celui qui, dans nos fastes, tire son nom du fatal combat d'Allia ; [220] ce fut le même qui fut témoin de la naissance d'Ibis, cette calamité publique. A peine tombé du sein impur de sa mère, il pressa de son corps hideux la terre de Ciniphye ; l'oiseau des nuits, le hibou, se plaça sur une hauteur, vis-à-vis de lui, et sa voix lugubre fit entendre des sons funestes. Aussitôt les Euménides le plongèrent dans les herbes des marais fangeux formés par les débordements du Styx ; elles frottèrent sa poitrine du fiel d'une couleuvre de l'Érèbe ; puis, trois fois elles frappèrent dans leurs mains ensanglantées ; elles humectèrent le gosier de l'enfant avec le lait d'une chienne, [230] et ce fut là le premier repas de leur nourrisson. Avec ce lait il suça la rage de sa nourrice, et c'est pourquoi le Forum retentit aujourd'hui de ses aboiements. Elles enveloppèrent ses membres de haillons couverts de rouille, qu'elles enlevèrent d'un bûcher mal éteint, et, pour qu'il ne reposât point sans appui sur le sol nu, elles placeront des cailloux sous sa tête délicate. Avant de s'éloigner, elles approchèrent de ses yeux, et tout près de son visage, des torches de bois vert : l'enfant pleura dès qu'il sentit cette fumée amère. [240] Alors une des trois soeurs prononça ces paroles : "C'est pour un temps infini que nous le vouons aux larmes, et tu ne manqueras jamais de motifs suffisants pour les répandre." Elle dit ; Clotho ratifia ces promesses, et, de sa main ennemie, ourdit une trame sinistre ; puis, pressée d'apprendre à la terre ton avenir : "Un poète, dit-elle, naîtra pour dévoiler ta destinée." Ce poète, c'est moi ; par moi tu apprendras tes malheurs. Puissent seulement les dieux donner à mes vers quelque chose de leur puissance ; puissent les événements confirmer mes prédictions, [250] et toi-même en reconnaître la vérité à l'étendue de ces infortunes ! Qu'on ne trouve des exemples de ta mort qu'en remontant jusqu'aux premiers âges ; que tes maux ne le cèdent en rien à ceux de Troie ; que ta jambe, comme celle du fils de Péan, l'héritier d'Hercule à la lourde massue, soit frappée d'un trait empoisonné ; que tes souffrances égalent les souffrances de celui qui suça le lait d'une biche, et qui, blessé par l'arme d'un ennemi, fut guéri, lui désarmé, par cette arme même ; ou de celui qui, jeté à bas de son cheval, tomba dans les champs aléiens, et fut presque la victime de sa beauté ! Que tes yeux n'y voient pas plus que les yeux du fils d'Amyntor, [260] et que, privé de la lumière, et appuyé sur un bâton, tu interroges ta route en hésitant ; que tes yeux n'y voient pas plus que les yeux de celui dont sa fille guidait les pas, et qui tua son père et sa mère. Tel était ce vieillard célèbre dans l'art d'Apollon, après qu'il eut été pris pour juge d'une contestation ridicule ; tel était celui qui fit donner, par ses conseils, une colombe pour guide au vaisseau des Argonautes ; tel était celui qui fut privé de ses yeux, coupables d'avoir été tentés par l'appât de l'or, et, à cause de cela, offert en holocauste par une mère en deuil aux mânes de son fils. Sois encore semblable au berger de l'Etna, [270] à qui Télémus, fils d'Euryme, avait présagé ses malheurs futurs ; aux deux fils de Phinée, qui furent privés de la lumière du jour par celui-là même qui la leur avait donnée ; à Thamyre et à Démodocus ! Qu'on te mutile comme Saturne mutila celui dont les parties l'avaient engendré ; que les flots irrités de Neptune ne t'épargnent pas plus qu'ils n'épargnèrent celui dont le frère et l'épouse furent subitement métamorphosés en oiseaux ; et ce guerrier industrieux que la soeur de Sémélé ne put voir sans pitié s'attacher aux débris de son vaisseau fracassé ; que tes entrailles, pour que ce genre de supplice n'ait pas été connu d'un seul coupable, [280] soient déchirées par des chevaux lancés en sens contraire, et que ton corps subisse les tourments infligés par le général carthaginois à celui qui regardait comme honteux pour un Romain d'étre racheté ; que nulle divinité ne vienne à ton aide, comme à celui qui se réfugia en vain près de l'autel de Jupiter hercéen ; sois, comme le fut Thessalus des hauteurs de l'Ossa, précipité du sommet d'un rocher ; ou que tes membres, comme ceux d'Euryale, son successeur au trône, servent de pâture aux serpents affamés. [290] Que des flots d'eau bouillante, versés sur ta tête, renouvelant sur toi le supplice de Minos, hâtent l'instant de ta mort ; que, nouveau Prométhée, et comme lui justement enchaîné, tu abreuves les habitants de l'air de ton sang criminel ; et que, massacré comme les fils d'Etracus, le cinquième qui porta le nom d'Hercule trois fois grand, tu sois précipité dans la vaste mer; qu'un enfant, objet d'un honteux amour, te haïsse, ainsi qu'il advint au fils d'Amyntas, et te perce d'un glaive homicide. Que jamais ton breuvage ne soit moins perfide que celui qui fut versé au fils de Jupiter Ammon. Puisses-tu mourir pendu comme Achéus captif, [300] lequel expirait ainsi misérablement près du fleuve aux flots d'or, témoin de son supplice, ou par une tuile lancée par une main féminine, comme ce descendant d'Achille qui portait avec gloire un si grand nom ! Que tes os ne reposent pas plus tranquilles que les os de Pyrrhus jetés et gisants dans les rues d'Ambracie. Puisses-tu mourir percé de flèches comme la fille du descendant d'Éaque ; c'est un crime que Cérès ne peut ignorer. Comme le petit-fils de celui que je viens de nommer, puisses-tu, des mains de ta mère, boire les sucs de la cantharide ! Qu'une femme adultère soit dite vertueuse apres t'avoir donné la mort, [310] comme on appela vertueuse celle dont la main vengeresse immola Leucon. Qu'avec toi sur le bûcher montent les objets les plus chers à ta tendresse ; c'est ainsi que finit Sardanapale. Que les sables poussés par le Notus t'engloutissent, comme ils engloutirent autrefois ceux qui se préparaient à piller le temple de Jupiter libyen ; qu'une cendre brûlante te dévore le visage, comme ces victimes de la perfidie du second Daréus; ou, comme l'exilé de Sicyone, fertile en oliviers, puisses-tu mourir et de froid et de faim ; puisses-tu, comme le roi d'Atarna, cousu dans une peau de taureau, [320] devenir la proie ignominieuse de quelque ennemi ton vainqueur ! Que, semblable au roi de Phères immolé par le fer de son épouse, tu sois égorgé dans ta couche ; et, comme Alébas de Larisse, puisses-tu connaître à leurs coups quelle était la perfidie de ceux que tu nommais tes fidèles amis. Ainsi que Milon, qui fit gémir les Pisans sous son sceptre tyrannique, sois précipité vivant dans un gouffre d'eau souterraine ; que les traits lancés par Jupiter contre Adimantus, roi de Phliasie, te percent aussi toi-même ; ou, comme Lénéus, chassé d'Amastris, [330] sois délaissé nu sur la terre qui porte le nom d'Achille ; ou, comme Eurydamas, traîné trois fois par son ennemi, sur un char de Larisse, autour du bûcher de Thrasyllus ; ou comme ce guerrier dont le corps fut promené autour des murs qu'il avait défendus si longtemps, et qui bientôt devaient s'écrouler ; ou comme la fille d'Hippomène, qui subit un nouveau genre de supplice tandis que son amant adultère était traîné, dit-on, dans les champs de l'Attique : qu'ainsi, lorsque ta vie odieuse aura quitté ton corps, des coursiers vengeurs traînent ton hideux cadavre. Que tes entrailles soient clouées sur quelques récifs, [340] comme le furent celles des Grecs dans le golfe d'Eubée ; que la foudre qui s'unit à l'eau pour faire périr un farouche ravisseur s'unisse encore à elle pour t'y engloutir ; que ton esprit pervers soit le jouet des Furies et poursuivi par elles, comme celui dont le corps entier n'était plus qu'une plaie, comme le fils de Dryas, roi de Rhodope aux pieds inégaux; comme autrefois l'habitant de l'OEta, et le gendre des deux serpents, et le père de Tisamène, et l'époux de Callirhoé. Puisses-tu n'avoir pas une femme plus chaste [350] que celle dont rougissait Tydée, son beau-père, que cette Locrienne qui se livra aux caresses incestueuses du frère de son mari, et qui, pour cacher son crime, donna la mort à six esclaves. Que les dieux t'accordent une compagne fidèle comme l'étaient celles des sept gendres de Talaüs et de Tyndare, comme le furent les filles de Bélus, qui, pour avoir voulu attenter aux jours des enfants de leur oncle, sont aujourd'hui courbées sous le poids d'une eau sans cesse fugitive ; qu'elle brûle comme aujourd'hui des mêmes feux que Byblis et Canacé ; que ta soeur ne te soit connue que par un crime ; si tu as une fille, qu'elle suit pour toi ce que Pélopée fut pour Thyeste, [360] Myrrha pour son père et Nyctimène, pour le sien ; qu'elle soit pieuse et fidèle envers son père comme le fut la tienne, ô Ptérélaüs, ou la tienne, ô Nisus ; comme celle qui flétrit d'un nom odieux le lieu théâtre de son crime, et qui, sous les roues de son char, écrasa le corps de son père. Puisses-tu périr comme ces jeunes gens dont les têtes furent jadis plantées au-dessus des portes de Pise ; comme ce roi qui, après avoir arrosé si souvent l'arène du sang de malheureux prétendants, finit plus justement par la rougir du sien ; comme, après sa trahison, ce cocher d'un tyran barbare, [370] qui donna un nouveau nom aux eaux du Myrto ; comme ceux qui essayaient vainement d'atteindre cette jeune fille, laquelle, retardée un jour dans sa course par trois pommes, devint le prix de celui qui l'avait vaincue ; comme ceux qui pénétrèrent, pour n'en sortir jamais, dans le labyrinthe obscur qui recelait un monstre étrange ; comme ceux dont Achille furieux livra les douze cadavres aux flammes du bûcher ; comme ceux que le Sphinx, faisait périr, dit-on, d'une mort cruelle, trompés qu'ils étaient par ses énigmes insidieuses ; comme ceux qui furent immolés dans le temple de Minerve de Bistonie ; [380] et, c'est pour cela que la statue de la déesse reste encore voilée ; comme ceux qui ensanglantèrent jadis de leurs débris les étables du tyran de Thrace ; comme ceux que dévorèrent les lions de Thérodamas, et ceux que Thoas offrait en sacrifice à la déesse de la Tauride ;et ceux que la vorace Scylla et sa voisine Charybde enlevèrent tremblants sur les vaisseaux du roi d'Ithaque ; comme ceux que Polyphême engloutit dans l'abîme de ses flancs ; comme ceux qui payèrent la terrible hospitalité des Lestrigons ; comme ceux que le chef carthaginois noya dans un puits [390] dont il blanchit les eaux par une grêle de pierres ; comme périrent les douze suivantes de Pénélope et ses prétendants, et le traître qui leur fournissait des armes contre la vie de son maître ; comme expira, broyé entre les bras vigoureux de son hôte d'Aonie, le merveilleux athlète qui, terrassé, se relevait vainqueur ; comme ceux qu'étreignirent les bras vigoureux d'Antée ; comme ceux que tuèrent sans pitié les femmes de Lemnos ; comme cet inventeur d'un abominable sacrifice, qui enfin victime lui-même de son invention, obtint du ciel une pluie bienfaisante ; comme le frère d'Antée, qui teigni les autels de son sang, [400] juste expiation des exemples barbares qu'il avait donnés ; comme cet impie qui nourrissait ses redoutables coursiers d'entrailles humaines au lieu d'herbe ; comme Nessus et legendre de Dexaménus, qui tous deux, à des époques différentes, tombèrent sous le même bras vengeur ; comme ton arrière petit-fils, ô Saturne, lorsque, du haut de ses murailles, le fils de Coronus le regardait expirer ; comme Sinis, et Sciron et Polypémon, et son fils ; et le monstre moitié homme et moitié taureau ; [410] comme celui dont la vue planait sur les deux mers et qui laissait se redresser soudain des arbres qu'il avait courbés jusqu'à terre ; comme Cercyon que Cérès vit avec joie périr de la main de Thésée. Voilà les maux qu'appelle sur toi ma juste colère ; puisses-tu en éprouver de plus terribles encore ! Sois comme Achéménide abandonné sur l'Etna en Sicile, quand il vit arriver les vaisseaux troyens ; sois pauvre comme Irus au double nom, et plus pauvre encore que ceux qui mendient sur les ponts ; qu'en vain le fils de Cérès soit l'objet assidu de ton culte ; [420] qu'il réponde à tes prières par la privation de ses faveurs ; comme on voit, après de nombreuses averses, le sable amolli se dérober sous le pied qui le foule, qu'ainsi on voie ta fortune je ne sais comment se fondre sans cesse, et que sans cesse tu la sentes s'écouler et s'échapper de tes mains. Comme le père de cette fille habituée à changer de formes, puisses-tu, gorgé de nourriture, être dévoré par la faim ; un festin de chair humaine ne t'inspirera nul dégoût, et, sous ce rapport du moins, tu seras le Tydée de notre époque. Puisses-tu commettre des crimes qui épouvantent de nouveau les coursiers du soleil, [430] et les fassent reculer du couchant à l'aurore. Tu renouvelleras le festin impie de Lycaon, et tu chercheras à tromper Jupiter par des mets perfides. Puisse quelqu'un aussi tenter la puissance d'une divinité en te servant toi-même sur sa table ! puisses-tu être et le fils de Tantale, et le fils de Térée ; que tes membres épars soient dispersés au loin dans les champs, comme ceux qui retardèrent la course d'un père ; qu'enfermé dans l'airain de Pérille, tu ressembles à un véritable taureau, et que tes cris justifient ta nouvelle forme ; [440] ou bien, qu'enfermé dans l'airain de Paphos, comme le féroce Phalaris, et la langue tranchée par le fer, tu pousses des gémissements semblables à ceux d'un boeuf ; et tandis que tu voudras revenir aux belles années de ta jeunesse, puisses-tu être trompé dans tes désirs, comme le vieux père de la femme d'Admète ; et, malencontreux cavalier, puisses- tu être englouti dans quelque gouffre fangeux, pourvu toutefois que ta gloire ne soit pas le prix deta mort ; puisses-tu périr, comme ces géants nés des dents semées dans les plaines de la Grèce par la main de Cadmus ! Que sur ta tête retombent les terribles imprécations du fils de Penthée et du frère de Méduse, ainsi que celles contenues dans un petit poème contre l'oiseau [450] qui lance lui-même l'eau dont il se purge les entrailles ; reçois autant de blessures qu'en reçut, dit-on, ce guerrier dont les sacrifices à ses mânes ne sont jamais ensanglantés par le couteau ; et qu'atteint de folie, tu te mutiles comme ces prêtres dont Cybèle façonne les membres déshonorés à la danse phrygienne. Quitte ton sexe, comme Attys ; ne sois plus ni homme ni femme, et frappe de tes doigts efféminés le rauque tambour ; sois changé tout à coup en cet animal consacré à la mère des dieux, comme le furent et le vainqueur et celle qui avait vaincu à la course. Mais, afin que Limoné n'ait pas connu seule ce supplice, [460] que, sous sa dent meurtrière, un cheval broie tes entrailles, ou que, non moins cruel que le tyran de Cassandrie, tu sois enseveli blessé sous la terre amoncelée ; ou que, pareil au petit-fils d'Abas, au héros rejeton de Cyence, tu sois enfermé dans une prison flottante et jeté dans la mer; ou que, victime offerte à Phébus, tu sois immolé sur ses autels ; genre de mort qu'un ennemi barbare fit subir à Theudotus ; ou qu'Abdère voue à jour fixe ta tête aux dieux, et qu'une grêle de pierres l'écrase, ainsi dévouée. Que Jupiter irrité lance sur toi ses triples carreaux, [470] comme il les lança sur le fils d'Hipponoüs, sur le père de Dosithoé, sur la soeur d'Autonoé, sur le neveu de Maïa, sur le guide imprudent du char paternel, objet de tous ses voeux, sur le farouche fils d'Eole, et sur celui qui naquit du même sang que l'Arctos aux ondes glacées. Comme la Macédonienne et son époux qui furent frappés de la foudre, puisses-tu tomber toi-même sous ses feux vengeurs ; puisses-tu être la proie de ces animaux qui, après la mort prématurée de Thrasus, ne durent plus revoir Delos, chère à Latone ; qui déchirèrent le chasseur dont les regards avaient surpris la chaste Diane, [480] et Linos, petit-fils de Crotope. Que le venin d'un serpent ne te blesse pas moins grièvement que la belle-fille d'OEagne et de Calliope, que le nourrisson d'Hypsipyle, que celui qui le premier perça d'une flèche acérée les flancs caverneux du cheval suspect. Ne monte point d'un pas plus assuré qu'Elpénor les degrés d'un palais, et supporte de la même manière que lui la force du vin. Puisses-tu tomber vaincu comme Dryope, qui répondit à l'appel du cruel Théodamas en lui portant secours ; [490] comme le sauvage Cacus, égorgé dans son antre après avoir été trahi par les mugissements d'une génisse qu'il y tenait captive ; comme celui qui remit à Hercule la robe trempée dans le poison de l'hydre de Lerne, et dont le sang rougit les eaux de l'Eubée. Jette-toi du haut d'un rocher dans le Tartare, comme celui qui venait de lire l'ouvrage d'un disciple de Socrate sur la mort ; comme celui qui aperçut la voile trompeuse du vaisseau de Thésée ; comme cet enfant précipité des tours d'Ilion ; comme celle qui fut à la fois tante et nourrice du jeune Bacchus ; comme celui qui mourut pour avoir inventé la scie ; comme cette vierge de Lydie qui se précipita d'un rocher élevé [500] après avoir blasphémé contre le dieu objet de sa haine. Que dans les champs de ta patrie, une lionne n'ayant pas encore mis bas vienne à ta rencontre et te fasse périr de la même mort que Phaylle. Qu'un sanglier te déchire et te tue comme le fils de Lycurgue, comme celui qui naquit d'un arbre, et comme l'audacieux Idmon ; qu'il te blesse même après sa mort, comme celui qu'une hure suspendue tua en tombant. Semblable au chasseur de Bérécynthe, meurs, comme lui frappé par une pomme de pin. Si ton vaisseau touche aux rivages de Minos, [510] que le peuple de Crète te regarde comme un habitant de Corcyre ; puisses-tu entrer dans une maison prête à s'écrouler, comme le descendant d'Aléva, quand une constellation amie sauva le fils de Léoprépis ; ou, noyé comme Evenus, ou Tibérinus dans quel que fleuve rapide, donner ton nom à ce fleuve. Que, détachée du tronc , comme celle du fils d'Astacus, ta tête, digne d''ailleurs d'être la pâture des bêtes, soit mangée par un homme ; qu'à l'exemple de Brotée vivement désireux, dit-on, de mourir, tu te livres toi-même aux flammes d'un bûcher ; ou qu'enfermé dans une cage, [520] comme cet historien que ne sauvèrent point ses écrits, tu y meures de faim. Sois victime de ta langue effrénée, comme le fut de la sienne l'inventeur de l'ïambe belliqueux ; comme celui qui, dans ses vers au pied boiteux, insultait Athènes ; que ta vie s'éteigne faute de nourriture ; et que ta foi violée te pousse à ta ruine, comme jadis ce poète aux sévères accords ; qu'une morsure envenimée te donne la mort, comme un serpent la donna à Oreste, fils d'Agamemnon ; que la première nuit de tes noces soit la dernière de ta vie : [530] ainsi périrent Eupolis et sa jeune épouse ; qu'une flèche pénètre dans tes entrailles, comme il advint à Lycophron le tragique, et qu'elle y reste fixée ; que la main des tiens sème parmi les bois les lambeaux de ta chair ; c'est ainsi que dans les champs thébains fut trahi celui dont le père naquit d'un serpent ; qu'à travers les montagnes un taureau te traîne après lui dans sa course, comme fut traînée l'orgueilleuse épouse de Lycus ; ou que ta langue arrachée tombe sanglante à tes pieds, comme celle de cette femme que la violence força d'être la rivale de sa soeur ; comme le roi surnommé Blésus, qui fut le fondateur de la tardive Myrrha, [540] puisses-tu être rencontré en mille régions diverses ; que l'industrieuse abeille te perce les yeux de son dard malfaisant, comme elle fit au poète Achéus ; que ton corps, comme celui de l'oncle de Pyrrha, soit attaché à un rocher aigu, et que tes entrailles soient déchirées de même ; puisses-tu, comme le fils d'Harpagus, avoir la destinée de Thyeste, et, après ta mort, servir de nourriture à ton père ; que ton corps mutilé par le glaive ne soit plus, comme celui de Mimnerme, qu'un tronc informe ; [550] et qu'un lacet, comprimant les voies de ta respiration, t'étrangle comme le poète de Syracuse ; que ta peau déchirée laisse à nu tes entrailles, comme celui dont un fleuve de Phrygie conserve le nom ; puisses-tu, malheureux, voir la tête pétrifiante de Méduse, qui causa seule la mort d'un grand nombre de Céphènes ; sentir, comme Glaucus, la dent des cavales de Potnie ; ou comme un autre Glaucus, t'élancer dans les llots de la mer ; ou, comme un troisième du même nom, être étouffé par du miel de Crète. Puisses-tu boire en tremblant le breuvage [560] que but jadis sans s'émouvoir le sage accusé par Anitus ; puisses-tu, si tu aimes jamais, être aussi malheureux qu'Hémon ; et, comme Macarée, jouir de ta soeur ; ou voir ce que vit le jeune fils d'Hector du haut des remparts de sa patrie, quand déjà elle était tout entière la proie des flammes ; que, pareil à cet enfant dont l'aïeul fut le père, et qui, par un horrible inceste, fut le fils de sa soeur, tu laves dans ton sang ton opprobre ; que dans tes os pénètre un trait semblable à celui qui, dit-on, donna la mort au gendre d'Icare ; [570] qu'une main ennemie intercepte le chemin de ta parole comme il arriva jadis à ce bavard étranglé dans le cheval de bois ; puisses-tu, comme Anaxarchus, être pilé dans un mortier ; puissent tes os, battus comme legrain, être moulus de même ; que Phébus te précipite au fond du Tartare, comme le père de Psamathe : c'est ainsi que lui-même y avait précipité sa fille. Que tout les tiens soient dévorés par ce monstre que vainquit Choroebus lorsqu'il vint au secours des malheureux habitants de l'Argolide ; sois exilé comme le petit-fils d'Éthra, victime réservée au courroux de Vénus, et sois, comme lui, renversé de ton char par tes chevaux épouvantés. Que, semblable à l'hôte qui fit périr, pour s'emparer de ses richesses, l'enfant confié à ses soins, [580] ton hôte, pour te ravir ta chétive fortune, soit ton assassin. Que tu meures avec toute ta race, comme Damosichthon, qui fut, dit-on, égorgé avec ses six frères. Puisses-tu comme cejoueur de lyre qui, privé de ses enfants, n'eut pas la force de leur survivre, succomber au dégoùt de la vie ! Que ton corps, comme celui de la soeur de Pélops et celui de Battus, que perdit l'indiscrétion de sa langue, se durcisse et se change en rocher. Que le disque lancé par toi dans le vide des airs retombe sur ta tête, et te frappe comme le fils d'OEbalus ; si, amenant tes bras tour à tour, tu fends les eaux d'un fleuve, [590] qu'elles soient pour toi plus funestes que les eaux d'Abydos. Puisses-tu , comme ce poète comique qui périt un jour en traversant la mer à la nage, être étouffé dans les eaux du Styx ; puisses-tu, lorsqu'après un naufrage tu auras triomphé de la mer orageuse, mourir, comme Palinure, en touchant la terre ; ou, comme le poète tragique, être mis en pièces par les chiens qui veillent autour de Diane, ou te lancer toi-même dans la bouche du géant sicilien, d'où l'Etna vomit des tourbillons enflammés ! [600] Que les femmes du Strymon, te prenant pour Orphée, te déchirent les membres de leurs ongles furieux. Comme le fils d'Althée, consumé par le feu invisible d'un tison, sois consumé toi-même par le feu d'un pareil tison. Comme cette nouvelle épouse qui périt après avoir reçu de Médée, sa rivale, une couronne ; comme le père de cette épouse, et sa maison avec lui ; comme Hercule, dont les membres furent infectés tout à coup par un sang impur, qu'ainsi ton corps soit dévoré par un venin mortel. Que les armes d'un nouveau genre qui servirent au petit-fils de Penthée pour venger Lycurgue, son père, soient aussi destinées à te frapper ; que, pareil à Milon, tu cherches à fendre un chêne entr'ouvert, [610] sans que tu puisses en dégager tes mains captives ; que tes propres présents te perdent, comme Icare, sur qui une multitude ivre et furieuse porta ses mains armées pour l'immoler ; que le noeud d'un lacet te serre la gorge, comme à cette tendre fille désolée de la mort de son père. Puisses-tu, emprisonné dans ta demeure, souffrir la faim, comme celui auquel sa mère elle-même imposa cet affreux supplice ; puisses-tu, comme celui qui, sur ses voiles légères, quitta le port de l'Aulide, profaner la statue de Diane ; ou comme le fils de Nauplius, [620] expier par la mort un crime supposé, et implorer en vain le secours de ton innocence ! Comme Éthalion fut mis à mort par un prêtre d'Isis, qu'Io, en punition d'un tel forfait, repousse encore aujourd'hui de ses sacrifices ; comme Mélanthée, cherchant dans les ténèbres un refuge contre le meurtre, fut trahi par l'éclat de la lampe de sa propre mère ; qu'ainsi ton coeur soit percé de traits ; qu'ainsi tu rencontres ta perte là où tu espérais ton salut. Puisses-tu passer une nuit pareille à celle que passa le lâche Phrygien qui prétendit à la possession des chevaux du vaillant Achille. Puisses-tu ne pas dormir d'un meilleur sommeil que Rhésus, [630] ou que les gens qui, ayant été les compagnons de son expédition, le furent aussi de sa mort, ou que ceux qui, avec le Rutule Rhamnès, furent égorgés par l'audacieux fils d'Hyrtacus et par son ami. Puisses-tu, entouré de flammes épaisses, porter comme le fils de Clinias, dans la barque du Styx, tes membres à demi-consumés ; ou comme Rémus, qui osa franchir les remparts à peine élevés de son frère, recevoir la mort d'un instrument champètre ; puis enfin, vivre et mourir dans les lieux où je suis, au milieu des flèches des Sarmates et des Gètes ! Tels sont les voeux que je me contente, quant à présent, de former dans ce libelle, [640] afin que tu n'aies pas à te plaindre de mon oubli ; c'est bien peu, je l'avoue : mais puissent les dieux t'accorder au delà de mes demandes ! puisse leur bienveillance ajouter quelque chose à mes souhaits ! Bientôt tu en liras davantage, et ton nom n'y sera pas dissimulé ; alors aussi je choisirai le mètre qui convient aux combats sanglants.