[3,0] Ovide, Fastes, livre III. Mars guerrier, pose un instant ton bouclier et ta lance, seconde-moi, et libère de ton casque tes brillants cheveux. Peut-être demandes-tu ce qui lie Mars à un poète: c'est que le mois qu'il chante tient son nom de toi. 5 Tu connais bien les guerres féroces mises en oeuvre par Minerve: en est-elle pour autant moins libre pour s'adonner aux arts libéraux? À l'exemple de Pallas, prends le temps de poser ton trait: même désarmé, tu trouveras des champs où t'activer. Tu étais désarmé aussi lorsque, séduit par la prêtresse romaine, [3,10] tu donnas ainsi à notre ville ta noble semence. La vestale Silvia (pourquoi en effet ne pas partir de là?) était allée, un matin, chercher de l'eau pour laver les vases sacrés. Un sentier en pente douce l'avait amenée à la rive escarpée: elle posa à terre l'urne d'argile qu'elle portait sur la tête; 15 fatiguée, elle s'assit par terre, offrant au souffle des brises son sein découvert, et recoiffa ses cheveux désordonnés. Assise à l'ombre des roseaux, elle s'assoupit, bercée par les chants des oiseaux et le léger murmure de l'eau. Un doux sommeil furtivement glisse sur ses yeux vaincus [3,20] et de dessous son menton, sa main mollement retombe. Mars la voit; sitôt vue, il la désire; sitôt désirée, il la prend, et son pouvoir divin lui permet de dissimuler sa ruse. Le sommeil quitte Silvia, qui reste étendue, gravide; c'est sûr, dans ses entrailles vit déjà le fondateur de la ville de Rome. 25 Alanguie elle se relève, ignorant le pourquoi de sa langueur, et, appuyée contre un arbre, elle formule ces paroles: "Puisse la vision de mon sommeil m'être utile et propice: cette vision n'était-elle pas plus claire qu'un songe? Je me tenais près des feux d'Ilion quand, glissant de mes cheveux, [3,30] ma bandelette de laine tomba devant le foyer sacré. D'elle, en même temps, deux palmiers surgissent, admirable prodige: l'un des deux était plus grand, ses lourdes branches couvraient tout l'univers, et le sommet de sa cime atteignait les étoiles. 35 Voici mon oncle paternel, qui dirige contre eux son fer: à ce souvenir, je suis atterrée et mon coeur s'agite de frayeur. Un pivert, oiseau de Mars, et une louve se battent pour défendre les deux palmiers, qui leur durent le salut". Ilia avait parlé, et de ses forces peu assurées souleva l'urne pesante [3,40] qu'elle avait emplie tout en racontant son rêve. Entre-temps, Rémus grandissait, Quirinus grandissait, et le ventre d'Ilia se gonflait du poids céleste. Avant que l'année disparaisse, sa révolution accomplie, le dieu de la lumière n'avait plus que deux signes à parcourir. 45 Silvia devint mère; on raconte que la statue de Vesta posa sur ses yeux ses mains virginales. L'autel de la déesse trembla, quand la prêtresse accoucha, et la flamme terrifiée se glissa sous les cendres. À cette nouvelle, Amulius, qui méprisait la justice, [3,50] (en effet, il occupait le trône qu'il avait ravi à son frère), fit noyer les jumeaux dans le fleuve, crime que l'onde refusa: les enfants sont déposés à terre, en un endroit sec. Qui ignore que les enfants exposés furent nourris au lait de bête sauvage et qu'un pivert souvent leur apporta de quoi manger? 55 Non, Larentia, nourrice d'une si grande lignée, je ne tairai pas ton nom, ni non plus l'assistance que vous avez prodiguée, pauvre Faustulus: Honneur vous sera rendu, lorsque je dirai les Larentalia: elles ont lieu en décembre, mois apprécié des Génies. La progéniture de Mars avait grandi durant dix-huit ans, [3,60] et une jeune barbe déjà s'ajoutait à leur blonde chevelure: À tous les laboureurs et aux maîtres des troupeaux, les frères nés d'Ilia rendaient la justice qu'on leur réclamait. Souvent ils rentraient au logis heureux d'avoir mis à mal des voleurs, et ramenaient dans leurs pâtures les bêtes qu'on leur avait dérobées. 65 Leur naissance connue, découvrir l'identité de leur père accrut leur vaillance, et voir leur renom limité à quelques cabanes leur fit honte; alors, Amulius tombe, transpercé par l'épée de Romulus, l'aïeul chargé d'ans voit son trône lui revenir; on fonde des remparts, peu élevés sans doute, [3,70] Rémus pourtant n'eut pas à se louer de les avoir franchis. Ce qui naguère servait seulement de bois et de refuges aux troupeaux était désormais une cité, quand le fondateur de la Ville éternelle dit: "Maître des armées, du sang de qui on me croit issu, (et je donnerai des preuves de ce fait, pour l'accréditer), 75 nous décidons que l'année romaine part de toi: le premier mois portera le nom de mon père". Sa parole ratifiée, il donne au mois le nom de son père: cette marque de piété, dit-on, fut agréable au dieu. Et pourtant nos ancêtres déjà vénéraient Mars plus que tout autre dieu: [3,80] la foule belliqueuse suivait en cela son ardeur naturelle. Les Cécropides honorent Pallas et la Crète de Minos, Diane, la terre d'Hypsipyle rend un culte à Vulcain, Sparte et Mycènes, ville des fils de Pélops, vénèrent Junon, et la région du Ménale, Faunus à la tête couronnée de pins. 85 Le Latium devait vénérer Mars, puisqu'il préside aux armes: armes qui assuraient richesse et gloire à ce peuple farouche. Et si tu en as le temps, examine les calendriers étrangers: là aussi tu trouveras un mois dénommé Mars. C'est le troisième pour les Albains, le cinquième pour les Falisques, [3,90] le sixième pour ta population, terre des Herniques; le calendrier des Albains est adopté par les habitants d'Aricie, et par ceux de la cité aux remparts qu'éleva la main de Télégone; c'est le cinquième mois chez les Laurentes, le dixième chez les âpres Équicoles, le quatrième chez les habitants de Cures; 95 et toi aussi, soldat péligne, tu t'accordes avec tes ancêtres sabins; chez l'un et l'autre de ces peuples, le dieu occupe le quatrième rang. Romulus, pour l'emporter sur eux, du moins par le classement, attribua le premier rang à l'auteur de sa lignée. En outre, les anciens n'avaient pas autant de Calendes que nous: [3,100] leur année était plus courte de deux mois. La Grèce n'avait pas encore transmis à ses vainqueurs les arts des vaincus, ce peuple éloquent mais peu courageux. L'art pour les Romains, c'était d'être habile au combat; savoir lancer des javelots conférait l'éloquence. 105 Quel homme, à l'époque, avait remarqué l'existence des Hyades ou des Pléiades, filles d'Atlas, ou des deux pôles sous la voûte céleste? Qui connaissait les deux Ourses: Cynosaure, repère pour les Sidoniens, et Hélicè servant de guide aux carènes de Grèce? Qui savait que Phébus parcourt en une longue année les signes [3,110] que les chevaux de sa soeur traversent en un seul mois? Les astres couraient librement, au long de l'année, sans être observés; mais cependant on s'accordait à dire qu'ils étaient des dieux. Les gens d'alors ne détenaient pas la clé des signes glissant dans le ciel, mais pour eux c'était un crime de perdre ses enseignes. 115 Ces enseignes étaient faites de foin, mais on accordait au foin tout le respect que tu vois attribué aujourd'hui à tes aigles. Une longue perche portait ces bottes (maniplos) pendues à son sommet; de là, le nom de maniplaris donné au soldat. Donc ces esprits, ignorants et encore privés de l'art du calcul, [3,120] connurent des lustres plus courts de dix mois. Une fois accompli le dixième cycle de la lune, l'année était finie. Ce chiffre était fort en honneur à cette époque; est-ce à cause de notre habitude de compter sur dix doigts, ou parce que la femme s'accouche au dixième mois, 125 ou parce que la suite croissante des chiffres arrive à dix, avant de recommencer ensuite une nouvelle série. De là le classement en groupes de dix des cent sénateurs, décidé par Romulus, qui institua aussi dix corps de hastati, autant de corps de principes, et autant de pilani; [3,130] et autant de cavaliers disposant régulièrement d'un cheval. En outre, il attribua les mêmes divisions aux Titienses, de même qu'à ceux qu'on appelle Ramnes et Luceres. Il maintint donc pour l'année ce chiffre très répandu; c'est la durée pendant laquelle une épouse pleure son époux. 135 On ne doit pas douter qu'autrefois les Calendes de Mars furent les premières: tu peux te référer aux indices suivants. Le laurier, resté dressé chez les Flamines toute l'année, est alors enlevé, et remplacé à la place d'honneur par un feuillage nouveau; on place alors devant le porche du roi l'arbre verdoyant de Phébus; [3,140] le même acte se reproduit devant tes portes, vieille Curie. Pour que Vesta aussi resplendisse, parée de feuillage nouveau, le laurier flétri, écarté du foyer iliaque, cède la place. Ajoute qu'on allume, dit-on, dans le secret du temple un feu nouveau et que la flamme ravivée reprend force. 145 Et une preuve importante à mes yeux que jadis l'année débutait en mars, c'est qu'on commença en ce mois à rendre un culte à Anna Perenna. En mars aussi, nous dit-on, entraient en charge les anciens magistrats, jusqu'au temps de ta guerre, perfide Carthaginois. Enfin, c'est à partir de mars que Quintilis était le cinquième mois, [3,150] et de mars partent ceux qui tirent leur nom du rang qu'ils occupent. Amené à Rome depuis ses champs d'oliviers, Pompilius fut le premier à remarquer qu'il manquait deux mois; soit le sage de Samos, qui pense que nous pouvons renaître, l'en avait instruit, soit son Égérie l'en avait averti. 155 Mais, le calendrier restait encore peu fixé, jusqu'au jour où César, parmi tous ses soucis, prit ce problème à coeur. Ce dieu, fondateur d'une lignée si prestigieuse, ne considéra pas cette charge comme mineure; il voulut connaître avant le temps le ciel qui lui était promis, [3,160] et, devenu dieu, ne pas entrer en étranger dans une demeure inconnue. C'est lui, rapporte-t-on, qui détermina avec des notations précises les délais mis par le soleil pour parcourir les signes du zodiaque; c'est lui qui ajouta à trois cent cinq jours dix fois six jours, plus le cinquième d'un jour entier. 165 Telle est la mesure de l'année: il faut ajouter à chaque lustre un jour entier, constitué de ces parties de jour. "Si les poètes peuvent entendre les avis secrets des dieux, comme sans nul doute le pense la tradition, Gradivus, toi qui es attaché aux travaux virils, [3,170] dis-moi pourquoi les matrones célèbrent ta fête". Telles furent mes paroles. Alors Mavors posa son casque, et tenant un javelot dans sa main droite, il me dit: "Pour la première fois, moi, le dieu qui manie les armes, je suis appelé à oeuvrer à la paix, et je pénètre dans un camp nouveau. 175 Et cette entreprise ne me pèse pas: il me plaît même de m'y attarder, pour que Minerve ne se figure pas être seule compétente en la matière. Laborieux poète du calendrier latin, apprends ce que tu cherches, grave mes paroles en ton coeur, et souviens-t-en. Si tu veux te reporter à ses débuts, Rome était petite, [3,180] mais sa petitesse pourtant laissait présager la Rome actuelle. Déjà ses remparts se dressaient, étroits eu égard à la population à venir, mais jugés trop grands à l'époque pour la foule de ses occupants. Si tu veux savoir ce qu'était le palais de notre fils, regarde cette cabane de roseaux et de chaume. 185 Il récoltait sur de la paille les bienfaits d'un sommeil paisible, c'est de cette couche pourtant qu'il monta jusqu'aux astres. Déjà les Romains avaient plus de renom que de territoire, et ils n'avaient ni épouses ni beaux-pères. Leurs riches voisins méprisaient des gendres démunis, [3,190] et il n'était guère facile de voir en moi l'auteur de ce sang. On les blâmait d'avoir habité des étables et gardé des moutons, et de ne posséder que quelques arpents de terre inculte. Les oiseaux et les bêtes sauvages s'accouplent, chacun avec son pareil, même le serpent possède aussi un être avec qui procréer. 195 Des mariages sont accordés aux pires nations: mais pas une femme ne consentait à épouser un Romain. J'en fus peiné, et je t'insufflai, Romulus, l'esprit paternel. J'ai dit: "Renonce aux prières; les armes te donneront ce que tu cherches". Romulus prépara des fêtes en l'honneur de Consus. Consus te dira [3,200] les autres événements du jour, quand tu chanteras sa fête sacrée. Les habitants de Cures et leurs compagnons d'infortune s'indignèrent. Ce fut alors la première fois qu'un beau-père s'arma contre un gendre. Déjà presque toutes les filles enlevées portaient le titre de mère, les guerres entre voisins se prolongeaient depuis longtemps. 205 Les épouses se fixèrent rendez-vous dans le temple de Junon, et parmi elles, ma bru osa prendre la parole en ces termes: "Ô vous, qui comme moi avez été enlevées, puisque nous partageons ce sort, nous ne pouvons rester pieuses, en persistant dans l'indifférence. Les deux armées s'affrontent: pour laquelle prier les dieux? [3,210] Choisissez: ici c'est un époux qui tient les armes, là, c'est un père. Demandez-vous si vous préférez être veuves ou orphelines. Je vais vous proposer un plan aussi courageux que pieux". Hersilie avait dévoilé son projet: les brus obéissent, dénouent leurs cheveux, et en signe d'affliction, couvrent leurs corps d'un vêtement de deuil. 215 Déjà les armées avaient pris position, prêtes à lutter et à mourir, déjà la trompette allait donner le signal du combat, quand les femmes enlevées s'avancent entre leurs pères et leurs époux, tenant sur leur coeur leurs nouveau-nés, ces gages de tendresse. Lorsque, cheveux défaits, elles atteignent le centre du champ de bataille, [3,220] elles se prosternent, un genou posé à terre; et comme s'ils comprenaient, les petits-fils, babillant tendrement, tendaient leurs petits bras vers leurs grands-pères. Celui qui en était capable appelait son aïeul qu'il voyait enfin, et celui qui y arrivait à peine, on le poussait à le faire. 225 Les armes et l'ardeur des combattants tombent, on relègue les épées, les beaux-pères échangent des poignées de main avec leurs gendres, complimentent et embrassent leurs filles; un aïeul porte son petit-fils sur son bouclier : c'était là un usage bien paisible pour un bouclier. Dès lors, en ce premier jour de mon mois, les mères oebaliennes [3,230] considèrent comme un devoir fort important de célébrer les Calendes. Est-ce parce que, ayant osé s'engager au milieu des épées brandies, elles avaient, par leurs larmes, mis un terme aux combats de Mars, ou parce que, grâce à moi, Ilia avait eu le bonheur de devenir mère, que les matrones célèbrent rituellement mon culte ce jour-là? 235 Est-il besoin de dire qu'alors l'hiver avec son manteau de gel se retire enfin, et que les neiges glissent et fondent à la douce chaleur du soleil? Sur les arbres reviennent les frondaisons ravagées par le froid, et sur le tendre sarment gonfle un bourgeon plein de sève; chaque graine, longtemps cachée, se dresse maintenant dans l'air, [3,240] pousse fertile qui a trouvé son chemin secret. C'est l'heure où le champ est fécond, l'heure de recréer un troupeau, l'heure où l'oiseau sur une branche se construit un nid et un foyer. Les mères du Latium ont raison de vénérer ces temps féconds: leurs voeux et leur combat ne sont-ils pas de procréer? 245 Ajoute que, sur la colline où le roi de Rome montait la garde, et qui aujourd'hui porte le nom d'Esquilies, à cet endroit, mes brus latines élevèrent un temple à Junon, consacré officiellement ce jour-là, si j'ai bon souvenir. Pourquoi m'attarder et te surcharger l'esprit de causes diverses? [3,250] Voici, bien évident sous tes yeux, ce que tu demandes. Ma mère aime les jeunes épousées: les mères en foule me célèbrent. Voilà la raison qui, pour sa grande piété, nous agrée particulièrement." Apportez des fleurs à la déesse: elle se complaît dans les plantes écloses, cette déesse; ceignez-vous la tête de fleurs délicates. 255 Dites-lui: "C'est toi, Lucina, qui nous as donné la lumière"; dites-lui: "C'est à toi d'exaucer le voeu de la femme en couches!" Cependant, si une femme est enceinte, qu'elle dénoue ses cheveux et prie la déesse de la délivrer en douceur de ses couches. Qui maintenant me dira pourquoi les Saliens portent les armes de Mars [3,260] tombées du ciel et pourquoi ils chantent Mamurius? Instruis-moi, nymphe préposée au bois et au lac de Diane; nymphe, épouse de Numa, viens expliquer ce que tu fais. Dans la vallée d'Aricie, se trouve un lac, entouré d'une forêt touffue, et consacré par un culte ancien. 265 Hippolyte s'y cache, mis en pièces par les brides de ses chevaux; c'est pourquoi nul cheval ne pénètre dans ce bois. Des fils pendent comme des voiles le long des haies, où sont posés de nombreux ex-voto à la déesse bienfaisante. Souvent, forte d'un voeu exaucé, le front ceint d'une couronne, [3,270] une femme y apporte de la Ville des flambeaux allumés. La royauté revient aux mains vigoureuses et aux pieds agiles, et puis le roi, à son tour, périt selon l'exemple qu'il a donné. Un ruisseau au murmure léger descend sur un lit caillouteux: souvent j'y ai bu, mais à petites gorgées. 275 C'est Égérie, déesse aimée des Camènes, qui produit ces eaux: elle fut de Numa l'épouse et la conseillère. D'abord, on décida d'adoucir les Quirites trop prompts à la guerre par l'institution du droit et par la crainte des dieux. Dès lors on établit des lois, évitant l'octroi de tout le pouvoir au plus fort [3,280] et l'on commença à respecter fidèlement les rites sacrés des ancêtres. Toute sauvagerie est bannie; le droit est plus fort que les armes, et l'on juge honteux d'en venir aux mains avec un concitoyen; à la vue d'un autel, tel, naguère farouche, se transforme désormais, et fait des libations de vin et d'épeautre salé sur les cendres tiédies du foyer. 285 Voici que le père des dieux répand à travers les nuages d'ardentes flammes, et à force de déverser des eaux, il met l'éther à sec. Jamais feux envoyés du ciel ne tombèrent plus serrés, Le roi est épouvanté et la terreur envahit tous les coeurs. La déesse lui dit: "Ne sois pas si effrayé: la foudre se conjure, [3,290] et le courroux furieux de Jupiter se fléchit. Mais ce sont Picus et Faunus qui pourront te transmettre le rite de conjuration, tous deux étant divinités du sol romain. D'ailleurs, ils ne le feront pas sans contrainte: saisis-les et lie-les". Et elle révéla par quel artifice il pourrait les capturer. 295 Au pied de l'Aventin un bois de chênes dispensait son ombre obscure; rien qu'à le voir, on pouvait dire: "un dieu y habite". Au centre, il y avait de l'herbe et, sous un vert manteau de mousse, le filet d'une eau intarissable sourdait d'un rocher. À cet endroit, Faunus et Picus étaient presque seuls à se désaltérer. [3,300] Le roi Numa s'y rend et immole une brebis à la Source, puis y dispose des coupes pleines d'un vin parfumé; avec ses compagnons, il se cache au fond d'une caverne. Les divinités sylvestres s'approchent de leur source familière et à larges traits de vin apaisent leurs gosiers assoiffés. 305 Après le vin, vient le sommeil: Numa sort de la fraîche caverne et enchaîne dans des liens serrés les mains des dieux endormis. Dès leur réveil, ceux-ci se débattent, tentant de rompre les liens qui, pendant la lutte, se resserrent plus fortement. Alors Numa: "Dieux des forêts, pardonnez-moi cet acte, [3,310] vous qui savez mon esprit exempt d'intention criminelle; et montrez-moi de quelle façon on peut conjurer la foudre." Ainsi parla Numa; Faunus, secouant ses cornes, dit ainsi: "Tu exiges une grande chose, qu'il nous est interdit de te révéler et de t'enseigner: nos pouvoirs divins ont leurs limites. 315 Nous sommes des dieux rustiques, ayant pour domaine les sommets des monts; c'est Jupiter qui décide dans son palais. Seul, tu ne pourras le faire descendre du ciel, mais tu pourras peut-être y arriver avec notre aide." Telle fut la réponse de Faunus; Picus émit le même avis. [3,320] "Enlève-nous ces liens", dit cependant Picus, "Jupiter viendra ici, notre talent pourra l'y amener; Le sombre Styx sera le garant de ma promesse." Tout ce qu'ils font, une fois libérés de leurs liens, leurs incantations, leurs artifices pour attirer Jupiter de son séjour céleste, 325 cela ne peut être connu des hommes. Je chanterai ce qui est permis, et ce que peut légitimement émettre la bouche d'un poète pieux. Ils t'attirent (eliciunt) du ciel, Jupiter; c'est pourquoi maintenant encore la postérité te célèbre, t'invoquant sous le nom d'Elicius. On sait que les cimes de la forêt de l'Aventin ont tremblé, [3,330] et que la terre s'est affaissée sous le poids de Jupiter: le coeur de Numa tressaille, de tout son corps le sang se retire, et ses cheveux hérissés se raidissent. Revenu à lui, il dit: "Fais-moi connaître les sacrifices sûrs qui conjurent la foudre, ô roi et père des dieux d'en haut, 335 si ces mains qui ont touché tes tables d'offrande sont pures, si la langue qui fait cette demande est pieuse elle aussi". Le dieu approuva sa prière mais il dissimula la vérité par d'énigmatiques détours et des paroles ambiguës. "Coupe une tête", dit-il; Numa lui répondit: "J'obéirai; [3,340] je ferai couper un oignon arraché dans mon jardin". Le dieu précisa: "la tête d'un homme"; "tu prendras ses cheveux", dit le roi. Le dieu exige une vie; "celle d'un poisson", dit Numa. Le dieu rit et dit: "Sers-toi de ces moyens pour détourner mes traits, ô mortel qui ne crains pas de converser avec les dieux. 345 Mais, demain, lorsque le dieu du Cynthe aura présenté son disque entier, je te donnerai un gage sûr de souveraineté." Sur ces paroles, laissant Numa confondu d'adoration, il est emporté au-delà de l'éther ébranlé, dans un vacarme tonitruant. Numa revient très heureux, et rapporte l'événement aux Quirites: [3,350] ils furent lents et réticents à attacher foi à ses paroles. "Mais vous me croirez certainement", dit-il, "si mes paroles se vérifient: vous tous ici présents, écoutez, voici ce qui se passera demain. Lorsque le dieu du Cynthe aura présenté à la terre son disque entier, Jupiter nous donnera un gage sûr de souveraineté." 355 Ils s'en vont, perplexes; les promesses semblent lointaines et leur confiance dépend de ce qu'apportera le lendemain. La terre mollissait, tout humide de la rosée du matin: le peuple est là, devant le seuil du roi. Celui-ci s'avance et s'assied au centre sur un trône d'érable; [3,360] des hommes en foule l'entourent, debout et silencieux. Phébus s'était levé, n'ayant découvert que le haut de son disque: les esprits, pleins d'effroi, s'agitaient entre espoir et crainte. Le roi se dressa, et la tête couverte d'un voile blanc comme neige, leva les mains, déjà bien familières aux dieux, 365 et dit ainsi: "Voici le moment de la récompense annoncée; Jupiter, permets-nous de croire en tes promesses." Pendant qu'il parlait, le soleil déjà avait entièrement sorti son disque. Un craquement intense retentit, provenant de la voûte céleste. Le dieu tonna trois fois dans un ciel sans nuage et envoya trois éclairs. [3,370] Croyez en mes paroles: j'évoque des faits étonnants, mais vrais. Le ciel commença à se fendre en son milieu. Tous, la foule et son roi, levèrent ensemble les yeux. Voici que tombe un bouclier doucement porté dans l'air léger: du peuple une clameur monte vers le ciel. 375 Le roi soulève de terre le présent, après avoir sacrifié une génisse dont le cou jamais encore n'avait senti le poids du joug et il appelle ce bouclier ancile, parce que il est arrondi de tous côtés, et n'a pas un seul angle (angulus), où qu'on y porte les yeux. Alors, se souvenant que le sort de la souveraineté tenait à cet objet, [3,380] Numa prit une décision d'une extrême habileté: il ordonna de faire ciseler plusieurs boucliers de la même forme, pour induire en erreur celui qui y porterait les yeux pour s'en saisir. Mamurius, - il est difficile de dire s'il fut choisi pour ses moeurs ou ses talents d'artiste - réalisa cet ouvrage. 385 Numa généreusement lui dit: "Demande un prix pour ton travail; connaissant ma bonne foi, ta demande ne sera pas vaine". Déjà, il avait donné aux Saliens leur nom basé sur leur saut (saltus), leurs armes et un hymne à chanter sur des modes déterminés; alors Mamurius dit ainsi: "Que la gloire soit ma récompense, [3,390] et que mon nom résonne à la fin de leur hymne." Depuis lors, les prêtres s'acquittent du prix promis à cet antique ouvrage et ils invoquent Mamurius. Jeune fille, si tu veux convoler, si pressés que vous soyez tous deux, diffère ton projet; de petits délais comportent de grands avantages. 395 Les armes suscitent les combats; les combats éloignent les maris; une fois les armes remisées, les présages seront meilleurs. Ces jours-là aussi, ceinte de son voile, l'épouse du flamen Dialis coiffé de son bonnet pointu, doit porter ses cheveux sans y passer le peigne. Dès que la troisième nuit du mois aura allumé ses feux, [3,400] l'un des poissons jumeaux se sera caché. Ils sont deux, en effet: l'un est plus proche des vents du sud, l'autre des Aquilons; tous deux tiennent leur nom d'un vent. Lorsque l'épouse de Tithon aux joues safranées répandra sa rosée, ramenant le temps de la cinquième aurore, 405 le Gardien de l'Ourse ou, si tu veux, ce paresseux Bouvier, sera englouti et disparaîtra à ta vue. Mais le Vendangeur n'échappera pas à tes regards; une courte digression démontre l'origine de cet astre. Ampelos aux longs cheveux naquit d'un satyre et d'une nymphe; [3,410] on dit que Bacchus l'aima sur les sommets de l'Ismarus. L'enfant lui offrit la vigne qui pendait au feuillage d'un ormeau, et qui maintenant tient son nom de lui. En cueillant sur une branche des raisins colorés, il fut distrait et tomba: Liber emporta parmi les astres l'ami qu'il avait perdu. 415 Lorsque pour la sixième fois Phébus quitte l'Océan pour gravir l'Olympe escarpé et conquérir l'éther avec ses chevaux ailés, qui que tu sois, présente-toi et, dans son sanctuaire, honore la chaste Vesta, rends-lui hommage et dépose de l'encens sur les foyers d'Ilion. Aux nombreux titres que ce César a préféré devoir à son mérite, [3,420] s'est ajoutée la dignité du pontificat. La puissance éternelle de César préside aux feux éternels: se trouvent ainsi réunis les gages de notre souveraineté. Dieux de l'antique Troie, butin très digne d'Énée, leur porteur, que son fardeau protégea contre ses ennemis, 425 un descendant d'Énée sert les divinités de sa parenté: protège, ô Vesta, cette tête qui est de ton sang. Flammes attisées par la main sacrée de César, vous êtes bien vivantes; je prie pour que, flammes et maître, vous viviez sans vous éteindre. Une seule note concerne les Nones de mars: ce jour-là vit, pense-t-on, [3,430] la consécration d'un temple de Véiovis entre les deux bois sacrés. Dès qu'il eut entouré le bois d'un haut mur de pierre, Romulus dit: "Qui que tu sois, réfugie-toi ici; tu seras en lieu sûr". Quel accroissement a connu le peuple Romain, depuis son humble origine! Combien peu enviable apparaissait ce peuple aux temps anciens! 435 De peur que ton ignorance ne se heurte à ce nom inattendu, apprends qui est ce dieu, ou pourquoi on l'appelle ainsi. C'est Jupiter jeune homme: regarde son visage juvénile; ensuite, regarde sa main: elle ne tient pas de foudre. Ce n'est qu'après l'audacieuse tentative des Géants contre le ciel [3,440] que Jupiter prit la foudre: au commencement, il était sans armes; Les feux nouveaux de sa foudre embrasèrent l'Ossa et le Pélion, plus élevé que l'Ossa, et l'Olympe fut fixé sur un sol ferme. Près du dieu se dresse aussi une chèvre: on dit que les nymphes crétoises ont nourri cette chèvre, qui donna son lait à Jupiter enfant. 445 Maintenant, venons-en au nom: les paysans nomment uegrandia les blés mal venus, et uesca, les blés restés petits; si telle est la valeur de ce préfixe, pourquoi ne supposerais-je pas que le temple de Veiouis est le temple de Jupiter enfant? Désormais, dès que les astres nuanceront le bleu sombre du ciel, [3,450] lève les yeux: tu verras le col du cheval né de la Gorgone. On croit qu'il a surgi du cou tranché de Méduse gravide, bondissant, la crinière tout ensanglantée. Il glissait sous les étoiles, par dessus les nuages; pour lui le ciel était le sol, et ses ailes des pieds. 455 Et déjà sa bouche rebelle avait accepté le mors, nouveau pour lui, lorsque son sabot léger fit jaillir une source en Aonie. Maintenant il jouit du ciel que jadis il cherchait à atteindre au galop de ses ailes, et il brille et scintille de ses quinze étoiles. Bientôt, à la nuit tombante, tu verras la Couronne de la fille de Gnosse: [3,460] elle devint déesse grâce au crime de Thésée. Déjà Ariane, qui avait donné à un ingrat le fil qui devait le guider, se trouvait bien d'avoir remplacé par Bacchus un époux parjure. Heureuse du tour pris par son union, elle se dit: "Pauvre sotte, pourquoi pleurais-tu? Sa perfidie m'a bien servie". 465 Cependant Liber, vainqueur des Indiens aux cheveux nattés, revenait chargé de richesses du monde de l'Orient. Parmi de jeunes captives remarquables de beauté, une fille de roi ne paraissait que trop charmante à Bacchus. Son épouse aimante pleurait et, errant, les cheveux défaits, [3,470] le long du rivage sinueux, elle prononça ces paroles: "Ô flots, entendez mes plaintes, semblables aux précédentes! Ô sable du rivage, reçois à nouveau mes larmes! Je disais, je m'en souviens:'Parjure et perfide Thésée!' Il s'en est allé, mais Bacchus est aussi criminel que lui. 475 Maintenant je crie: 'Que jamais une femme ne croie un homme'; ma situation se répète, sous un autre nom. Ah! Pourquoi mon premier destin ne s'est-il pas accompli! Aujourd'hui, je n'existerais plus! Liber, pourquoi m'as-tu sauvée mourante sur une plage déserte? [3,480] J'ai pu, une fois, guérir de ma douleur. Inconstant Bacchus, plus léger que les feuilles ceignant tes tempes, Bacchus que je n'ai connu que pour verser des larmes, tu as osé, en amenant sous mes yeux une maîtresse, plonger dans les tourments notre union si harmonieuse? 485 Hélas! Où est la foi engagée? Où sont tes serments répétés? Malheureuse! que de fois vais-je prononcer ces paroles? Tu incriminais Thésée et le traitais toi-même d'imposteur: ton jugement rend ta faute plus vile encore. Que personne ne le sache, que la douleur me consume en secret! [3,490] Qu'on ne juge pas que j'ai mérité tant de trahisons! Je voudrais surtout que cela reste ignoré de Thésée, qu'il n'ait pas la joie de te voir complice de sa faute. Sans doute as-tu préféré un teint éclatant à la basanée que je suis: c'est ce teint de là-bas que je souhaite à mes ennemies! 495 Mais qu'importe? Ce défaut même la rend plus gracieuse à tes yeux. Que fais-tu? Cette femme te salit quand tu l'embrasses. Bacchus, montre-toi fidèle, et, dans tes amours, ne préfère aucune femme à ton épouse. J'ai toujours eu pour habitude d'aimer mon mari. Ma mère se laissa séduire par les cornes d'un beau taureau; [3,500] et moi, par les tiennes; mais mon amour était louable, le sien infamant. Il ne faut pas que mon amour me nuise; toi non plus, Bacchus, tu n'as pas eu à souffrir de m'avoir avoué ta flamme. D'ailleurs ce n'est pas étonnant que ton amour me brûle: on te dit né dans le feu, et arraché des flammes par la main de ton père. 505 C'est bien à moi que souvent tu as promis le ciel. Hélas pour moi, au lieu du ciel, quels présents puis-je emporter!" Elle avait parlé; depuis un moment Liber entendait ses plaintes, car, se trouvant justement derrière elle, il l'avait suivie. Aussitôt il la serre dans ses bras, sèche ses larmes par des baisers. [3,510] Et il dit: "Gagnons ensemble les sommets du ciel! Toi, compagne de ma couche, tu recevras un nom lié au mien: Car après ta métamorphose, tu porteras le nom de Libera. Et avec toi nous perpétuerons le souvenir de la couronne que Vulcain offrit à Vénus, qui à son tour te la donna". 515 Il fait ce qu'il dit et les neuf pierreries sont changées en feux. Maintenant cette Couronne d'or scintille parmi ses neuf étoiles. ] Lorsque le dieu qui entraîne sur son axe rapide le jour pourpré aura par six fois soulevé et immergé son disque, tu assisteras aux seconds Equirria, sur le gazon du Champ de Mars, [3,520] dont les flots du Tibre sinueux viennent frapper le flanc. Cependant, si par hasard une crue du fleuve occupe l'endroit, les chevaux seront accueillis sur le Célius qui se couvrira de poussière. Le jour des Ides se célèbre la joyeuse fête d'Anna Perenna, non loin de tes rives, ô Tibre qui viens de l'étranger. 525 Le peuple arrive et se répand parmi les herbes vertes; et l'on boit, chacun s'étendant avec sa chacune. La fête se prolonge à ciel ouvert, quelques-uns dressent des tentes; il en est qui font des cabanes de feuillage et de branches; d'autres ont monté des roseaux rigides en guise de colonnes, [3,530] ils déplient leurs toges et les étendent par dessus. Cependant, échauffés par le soleil et le vin, ils se souhaitent autant d'années que les coupes qu'ils écluseront, et ils les comptent en buvant. Tu trouveras là celui qui pourrait avaler les années de Nestor, celle que les coupes ingurgitées transformeraient en Sibylle. 535 Là aussi, les gens chantent ce qu'ils ont appris dans les théâtres, et règlent sur leurs paroles les battements de leurs mains; autour d'un cratère posé sur le sol, ils mènent des choeurs grossiers; toute parée, une fille danse, les cheveux dénoués. Au retour, ils titubent, se donnant en spectacle à la foule, [3,540] qui, en les croisant, les appelle "bienheureux". Récemment (cela vaut d'être mentionné), j'ai rencontré ce cortège: une vieille femme ivre traînait un vieillard ivre lui aussi. Comme l'identité de cette déesse est sujette à des divagations, je me propose de ne taire aucun de ces récits. 545 La malheureuse Didon pour Énée avait brûlé dans les flammes; elle avait brûlé sur le bûcher construit pour accomplir son destin. On recueillit ses cendres et, sur le marbre de son tombeau, on grava ce bref poème qu'elle-même avait laissé en mourant: "Énée fut la cause de cette mort et en fournit le glaive." [3,550] "Didon tomba, frappée de sa propre main". Aussitôt, les Numides envahissent son royaume sans défense et le Maure Iarbas règne en maître dans le palais qu'il a conquis; se souvenant du mépris encouru, il dit: "Me voici jouissant enfin de la couche d'Élissa, moi qu'elle a tant de fois repoussé". 555 Les Tyriens fuient en désordre, chacun où les mène une course éperdue, telles des abeilles hésitantes qui errent, une fois leur roi disparu. Pour la troisième fois l'aire avait reçu les moissons à battre, et trois fois le moût avait rejoint les cuves profondes. Expulsée du palais, Anna, en pleurs, quitte les remparts élevés par sa soeur; [3,560] auparavant, elle lui rend les honneurs imposés. Les cendres légères boivent les parfums mêlés de ses larmes et reçoivent l'offrande d'une touffe de ses cheveux. Trois fois elle dit: "Adieu", trois fois elle presse l'urne de cendres qu'elle porte à ses lèvres et croit y sentir la présence de sa soeur. 565 Elle trouve un bateau, des compagnons de fuite et s'échappe à pleine voile, se retournant pour voir les remparts, oeuvre chère à sa soeur. Voisine de l'aride Cosyra s'étend la fertile Mélitè, une île que viennent battre les flots du détroit de Libye. Elle s'y rend, confiante dans l'hospitalité ancienne du roi: [3,570] Battus, hôte riche et opulent, y régnait. Informé des malheurs des deux soeurs, il lui dit: "Cette terre, si petite qu'elle soit, est la tienne". Et il était disposé à respecter jusqu'au bout ses devoirs d'hôte mais il eut peur des forces puissantes de Pygmalion. 575 Le soleil avait parcouru deux fois le zodiaque, et la troisième année, il fallut se ménager une nouvelle terre d'exil. Le frère d'Anna est là, qui cherche la guerre. Battus abhorre les armes: "Nous ne sommes pas faits pour la guerre; fuis, sauve-toi!", dit-il. Sur cet ordre elle fuit, confiant son bateau au vent et aux flots: [3,580] son frère était plus intraitable que toutes les mers. Il existe, près du caillouteux Crathis aux eaux poissonneuses, une petite plaine que les gens du lieu appellent Caméré: C'est vers elle que se dirigeait le bateau. La distance qui l'en séparait ne dépassait pas neuf jets de fronde. 585 D'abord, les voiles tombent et balancent sous le vent hésitant. Le pilote crie: "Fendez les ondes à coups de rames!" Pendant qu'on tente de serrer les voiles à l'aide d'un cordage, un violent Notus vient frapper la nef courbe et l'emporte vers le large, malgré les efforts vains du pilote. [3,590] La terre entrevue disparaît à leurs yeux. Les vagues se soulèvent, et la mer surgie d'un tourbillon se retourne, emplissant la coque d'eaux blanches d'écume. La technique ne résiste pas au vent, le timonier ne maîtrise plus les rênes, mais lui aussi, de tous ses voeux, appelle des secours. 595 La Phénicienne en exil est ballottée sur les flots houleux et couvre de son vêtement ses yeux baignés de larmes. Alors pour la première fois, elle jugea "bienheureuses" sa soeur Didon et toutes les femmes dont le cadavre a pesé quelque part sur terre. Un immense coup de vent dirige la nef vers le rivage des Laurentes; [3,600] tous débarquent, mais le bateau est englouti et périt. Déjà le pieux Énée était devenu maître de ce royaume, ayant épousé la fille de Latinus, et il avait fusionné leurs deux peuples. Sur ce rivage reçu en dot, accompagné du seul Achate, Énée s'engage, pieds nus, sur un chemin écarté; 605 il aperçoit alors Anna qui errait, et ne peut croire que c'est elle: que viendrait-elle faire dans les champs du Latium? Tandis qu'il est perdu dans ses pensées, Achate s'écrie: "C'est Anna". Entendant son nom, elle leva son visage. Hélas! Va-t-elle fuir? Que faire? Où chercher un trou où se glisser? [3,610] Sous ses yeux se dressait celui qui avait perdu sa soeur infortunée. Le héros, né de Cythérée, comprend et dit à Anna toute tremblante, - en pleurant cependant, ému à ton souvenir, Élissa -: "Anna, par cette terre que me destinait un oracle plus favorable, comme tu l'as souvent entendu dire autrefois, 615 par les dieux emportés avec moi et installés depuis peu en ce lieu, je jure que souvent ils m'ont reproché mes atermoiements. Pourtant, je n'ai pas cru qu'elle mourrait: cette crainte ne m'a pas effleuré. Hélas, elle s'est montrée plus forte que je ne l'en croyais capable! Ne me raconte rien: j'ai vu les blessures imméritées marquant son corps [3,620] lorsque j'ai eu l'audace de visiter les demeures du Tartare. Mais, que tu abordes nos rivages poussée par la raison ou par un dieu, accepte les avantages que t'offre mon royaume. Je te dois beaucoup, je m'en souviens, et il n'est rien que je ne doive à Élissa: tu seras bienvenue en ton nom, et bienvenue au nom de ta soeur". 625 Devant de telles paroles, - il ne lui reste d'ailleurs pas d'autre espoir - elle prend confiance et lui fait le récit de ses errances. Dès qu'elle pénétra, en habits tyriens, dans la demeure royale, Énée prit la parole, tandis que l'assistance restait silencieuse: "Lavinia, chère épouse, c'est pour moi un devoir sacré [3,630] de te confier cette personne: naufragé, j'ai bénéficié de ses richesses. Originaire de Tyr, elle possédait un royaume sur la côte de Libye. Je te prie de l'aimer tendrement, comme une soeur". Lavinia promet de tout faire, mais en pensée elle réprime secrètement une blessure imaginaire, et la dissimule tout en frémissant. 635 Voyant passer sous ses yeux les nombreux présents offerts à Anna, elle se figure que beaucoup d'autres lui sont envoyés en secret. Elle n'a pas arrêté de plan précis : en proie à une haine folle, elle prépare un piège et veut mourir, après s'être vengée. C'était la nuit: devant son lit, Anna crut voir se dresser [3,640] sa soeur Didon, couverte de sang, les cheveux défaits, qui lui disait: "Fuis sans hésiter, fuis cette demeure de malheur!" À ces mots, le vent poussa les portes qui gémirent. Elle sauta, rapide, par une fenêtre basse et courut à travers champs: la peur même l'avait rendue audacieuse. 645 Emportée par la crainte, voilée d'une tunique mal ajustée, elle court, tel un daim effrayé qui a entendu les loups. On croit que le Numicius cornu l'aurait saisie dans ses ondes gonflées, et cachée au fond de son lit. Cependant, à grands cris, on chercha la Sidonienne à travers les champs; [3,650] on trouva des indices, des traces de pas; on parvint à la rive: on trouva ses marques sur la rive. Le fleuve complice contint le bruit de ses eaux; on crut l'entendre, elle: "Je suis la nymphe du paisible Numicius; cachée dans le fleuve au cours pérenne, on m'appelle Anna Perenna". 655 Aussitôt, tout joyeux, dans les champs parcourus à l'aventure, on festoie et on célèbre ce jour et soi-même dans des flots de vin. Il en est pour qui Anna est la Lune, parce que ses mois couvrent une année; certains pensent qu'elle est Thémis; d'autres, la génisse fille d'Inachus. Tu trouveras des gens pour dire que tu es une nymphe azanide, [3,660] et que c'est toi, Anna, qui as donné à Jupiter ses premiers aliments. Une autre tradition, que je vais rapporter, est parvenue à nos oreilles et elle n'est pas dépourvue de vraisemblance. Jadis la plèbe, que des tribuns ne protégeaient pas encore, avait pris la fuite et campait au sommet du mont Sacré. 665 Déjà les vivres que les gens avaient emportés avec eux, et les fruits de Cérès, indispensables aux humains, venaient à manquer. Il se trouvait alors une certaine Anna originaire de Bovillae, dans les faubourgs de Rome, une vieille femme pauvre, mais très active. Les cheveux blancs entourés d'un léger bandeau, [3,670] elle façonnait de ses mains tremblantes des galettes grossières et avait l'habitude de les distribuer le matin encore fumantes à la population. Les gens apprécièrent cette générosité. Une fois établie la paix intérieure, ils élevèrent une statue à Perenna, parce qu'elle leur avait porté secours dans leur dénuement. 675 Il me reste maintenant à dire pourquoi les jeunes filles chantent des obscénités. En effet, elles se rassemblent et chantent traditionnellement des grivoiseries. Anna venait de devenir déesse; Gradivus s'approche d'elle, et l'emmenant à l'écart, lui tient ces propos: "Tu es honorée au cours de mon mois, mes temps et les tiens sont unis; [3,680] pour ma part, j'attache beaucoup d'espoir à tes services. Dieu guerrier, épris d'amour pour Minerve la guerrière, je me consume et nourris cette blessure depuis longtemps. Fais en sorte que, dieux aux goûts semblables, nous nous unissions. Ce rôle te convient, ma vieille commère". 685 Il avait parlé; elle fit au dieu une promesse vaine et trompeuse, et par de vagues délais prolongea sans fin le fol espoir qu'il éprouvait. Très souvent il insistait; elle lui dit: "J'ai accompli tes ordres; je l'ai convaincue; elle vient de se rendre à mes prières". Amoureux, il la croit et prépare la chambre nuptiale. [3,690] On y conduit Anna, visage voilé, comme une jeune épousée. Mars, prêt à lui donner un baiser, aperçoit soudain Anna: la honte et la colère tour à tour gagnent le coeur du dieu abusé. Tu te joues de l'amoureux; nouvelle déesse, tu es chère à Minerve, et rien ne fut plus apprécié de Vénus que cet incident. 695 De là proviennent les vieilles plaisanteries et les chansons obscènes, et on trouve plaisant qu'Anna ait ainsi répliqué à un grand dieu. J'allais omettre les glaives qui transpercèrent César, notre prince, lorsque Vesta, de son chaste foyer, me parla ainsi: "N'hésite pas à en faire mention; il fut mon prêtre; [3,700] c'est moi que des mains sacrilèges ont atteinte de leurs traits. Mais moi, j'ai enlevé le héros, lui substituant un vain simulacre: c'est l'ombre de César, qui fut frappée par le fer". Lui, installé au ciel, il a vu la cour de Jupiter, et il possède sur le vaste Forum un temple qui lui est dédié. 705 Par contre, tous ceux qui ont eu l'audace sacrilège d'enfreindre la sainte volonté des dieux et ont profané la tête d'un pontife sont morts d'une mort méritée: vous en témoignerez, Philippes, et vous, qui blanchissez la terre de vos ossements épars. Les premiers principes mis en oeuvre par la piété de César, [3,710] ce fut de venger son père avec des armes justes. Lorsque l'aurore suivante aura fait revivre les herbes tendres, on pourra observer la première partie du Scorpion. Le troisième jour après les Ides, une foule nombreuse célèbre Bacchus. Bacchus, protège ton poète, tandis qu'il chante ta fête. 715 Je ne parlerai pas de Sémélé, de qui s'étaient approché Jupiter et sa foudre, ce qui provoqua sur place ta naissance, qui eut lieu deux fois; je ne dirai pas comment, pour te permettre, enfant, de naître à terme, l'oeuvre maternelle s'acheva dans le corps de ton père. Ce serait trop long de narrer tes triomphes sur les Sithoniens et les Scythes, [3,720] et de rappeler tes peuples domptés, ô Indus, producteur d'encens. Toi aussi, tu seras omis, victime malheureuse de ta mère thébaine, de même que toi, Lycurgue, poussé par la folie à sévir contre ta famille. Cela me plairait de dire le prodige des marins tyrrhéniens qui furent subitement métamorphosés en poissons; mais ce n'est pas l'objet de ce poème. 725 Son objet est d'expliquer pourquoi une pauvre vieille femme invite les gens à s'intéresser à ses galettes. Avant ta naissance, Liber, les autels restaient dépourvus d'honneurs, et des herbes poussaient sur leurs foyers glacés. La tradition retient que tu réservas des prémices au grand Jupiter, [3,730] lorsque tu eus soumis le Gange et tout l'Orient: toi le premier, tu lui offris de la cannelle et de l'encens pris à l'ennemi, ainsi que les chairs rôties du boeuf de ton triomphe. Les libations (libamina) tirent leur nom de leur inventeur (Liber), et aussi les galettes (liba), offertes en partie depuis lors sur les foyers sacrés. 735 Les galettes sont faites pour le dieu, car il aime les sucs doux et, selon la tradition, le miel est une invention de Bacchus. Escorté de satyres, il revenait de l'Hèbre aux rives sableuses, (notre récit comporte des anecdotes bien plaisantes), et déjà il était arrivé près du Rhodope et du Pangée en fleurs: [3,740] les mains de ses compagnons firent retentir leurs cymbales. Voici que s'assemblent, guidés par ces tintements, des insectes inconnus, ce sont des abeilles qui suivent les sons des cymbales. Liber les recueille dans leur vol et les enferme au creux d'un arbre, et pour récompense, il découvre le miel. 745 Dès que les satyres et Silène, le vieillard chauve, eurent goûté cette saveur, ils cherchèrent à travers tout le bois les blonds rayons de miel. Le vieillard entend, au creux d'un orme, le bourdonnement de l'essaim; il aperçoit les alvéoles de cire, mais il en dissimule la présence. Paresseusement assis sur un âne à l'échine courbée, [3,750] il colle sa monture contre l'écorce creuse de l'orme. Il se hisse dessus, prenant appui sur une branche et cherche avidement le miel caché dans le tronc. Des frelons par milliers arrivent et enfoncent leur dard sur son crâne dénudé, marquant de piqûres sa face grimaçante. 755 Il tombe, tête en avant, et reçoit un coup de sabot du petit âne; il pousse un cri et appelle ses compagnons à l'aide. Les satyres accourent et se moquent du visage tuméfié du vieux bonhomme; lui boitille, avec son genou blessé. Le dieu rit, lui aussi, et montre comment faire un cataplasme de boue; [3,760] le vieux suit ces conseils et s'enduit la face de boue. Le miel est apprécié du Père Liber, et c'est à juste titre que nous offrons à son inventeur des coulées de miel éclatant sur un gâteau chaud. Pourquoi des galettes pétries par une femme? La raison en est claire: Ce sont des choeurs de femmes que Liber excite avec son thyrse. 765 Tu veux savoir pourquoi c'est une vieille? Elle est à un âge plutôt porté sur le vin, appréciant les dons de la vigne féconde. Pourquoi est-elle couronnée de lierre? Le lierre plaît beaucoup à Bacchus. Vous ne tarderez pas non plus à apprendre pourquoi il en est ainsi: Les nymphes de Nysa, dit-on, avaient tendu devant le berceau de l'enfant [3,770] un rideau de ce feuillage, tandis que sa marâtre le recherchait. Il me reste à trouver pourquoi on remet la toge virile aux enfants, le jour de ta fête, radieux Bacchus. Est-ce parce que tu sembles toujours un enfant et un adolescent, et que ton âge est intermédiaire entre les deux? 775 Ou bien, puisque tu es un père toi-même, les pères confient-ils à tes soins et à ta puissance les trésors que sont leurs enfants? Ou, parce que tu es Liber, prend-on aussi en ton nom la toge de l'homme libre et la voie vers une vie plus libre; ou bien, au temps où les anciens avaient plus d'ardeur pour les cultures, [3,780] où un sénateur travaillait sur la terre de ses pères, où un consul quittait sa charrue recourbée pour prendre les faisceaux, quand des mains calleuses n'étaient pas jugées infamantes, le peuple des campagnes venait dans la Ville pour assister aux jeux (mais c'était pour honorer les dieux, et non pour le plaisir; 785 l'inventeur de la vigne avait, à son jour, les jeux que maintenant il partage en commun avec la déesse porteuse de torche); dès lors, n'est-ce pas pour pouvoir fêter en foule le jeune débutant qu'on a jugé ce jour tout à fait propre à la remise de la toge virile? Dieu vénéré, tourne vers nous avec douceur et sérénité ton front cornu, [3,790] et souffle avec faveur dans les voiles de mon esprit! Ce jour-là, si j'ai bonne mémoire, et aussi la veille, on se rend aux Argées - on dira en son lieu de quoi il s'agit -. La constellation du Milan s'incline vers l'Ourse, la fille de Lycaon: cette nuit-là, elle devient visible. 795 Voici, si tu veux le savoir, ce qui valut le ciel à cet oiseau: Saturne avait été chassé de son royaume par Jupiter; plein de colère, il pousse les puissants Titans à prendre les armes et tente d'obtenir l'aide que lui devaient les destins. Il existait un taureau, né de la Terre Mère, monstre singulier, [3,800] dont la partie postérieure était un serpent. Sur le conseil des trois Parques, l'implacable Styx l'avait enfermé dans un sombre bois, derrière une triple muraille. D'après un oracle, celui qui aurait livré aux flammes du sacrifice les chairs de ce taureau pourrait vaincre les dieux éternels. 805 Briarée l'immole à l'aide d'une hache d'acier, et déjà il était prêt à livrer aux flammes les viscères du monstre: Jupiter ordonne à des oiseaux de l'enlever; c'est le milan qui le lui apporta et qui pour ses mérites parvint au rang des astres. Après un intervalle d'un jour, on célèbre les fêtes de Minerve [3,810] qui tirent leur nom des cinq jours liés qui les constituent. Le premier, on s'abstient de verser le sang, et il est interdit de croiser le fer: la raison en est que ce jour est celui de la naissance de Minerve. Le lendemain et les trois jours suivants, des jeux occupent l'arène plane: la déesse guerrière aime les épées dégainées. 815 Maintenant invoquez Pallas, jeunes garçons et tendres fillettes! Celui qui se sera concilié Pallas deviendra habile. Que les jeunes filles apprennent, grâce à sa bienveillance, à carder la laine et à dévider les quenouilles pleines. Elle enseigne aussi l'art de faire courir la navette sur le métier dressé [3,820] et c'est elle qui resserre avec le peigne la trame légère. Honore-la, toi qui enlèves les taches des vêtements abîmés. Honorez-la, vous qui préparez les bassins de bronze pour teindre les laines. Et, si Pallas n'y consent, personne, fût-il plus expert que Tychius, ne pourra bien adapter des lanières à un pied. 825 Et celui qui, comparé au vieil Épéus, le devancerait en habileté, sera comme un manchot, si Pallas est en colère. Vous aussi, qui chassez les maladies grâce à l'art de Phébus, rapportez à la déesse une petite part de vos gains. Et vous, foule des maîtres d'école, souvent frustrés de salaire, [3,830] ne la dédaignez pas (elle attire de nouveaux élèves), ni toi qui manies le ciseau, ni toi qui peins à l'encaustique, ni toi qui de tes mains habiles assouplis la pierre. Elle est la déesse de mille travaux; et certainement la déesse de la poésie. Si je le mérite, puisse-t-elle aimablement m'assister dans mes efforts! 835 À l'endroit où le mont Célius descend en pente vers la plaine, là où la route n'est pas tout à fait plane, mais presque, on peut voir le petit temple élevé à Minerve Captive, temple dont la déesse a pris possession le jour de son anniversaire. On hésite sur la raison de cette appellation. Nous qualifions de capital [3,840] un esprit ingénieux: la déesse a un esprit de ce type. Ou est-ce parce que, selon la tradition, sans mère, elle a bondi du sommet de la tête (caput) de son père, avec son bouclier? Ou est-ce parce que, après la soumission des Falisques, elle arriva chez nous en captive? C'est ce que dit une antique inscription sur la statue. 845 Ou est-ce parce qu'il existe une loi exigeant la peine capitale pour les vols commis dans ce sanctuaire? Quelle que soit la raison dont tu tires ton nom, Pallas, que toujours ton égide protège nos princes! Le dernier de ces cinq jours recommande de purifier les trompettes sonores [3,850] et de sacrifier à la vaillante déesse. Maintenant on peut lever le visage et dire au soleil: "Hier, il a pressé la toison du bélier de Phrixos". La perfidie d'une belle-mère scélérate avait grillé les semences et les jeunes pousses n'avaient porté aucun des épis attendus. 855 On envoie un messager s'enquérir au trépied de la Pythie du remède sûr qu'un oracle du dieu de Delphes prescrivait contre la stérilité de la terre. Ce messager, tout aussi corrompu que les semences, annonce que le destin exige la mort de Hellé et du jeune Phrixos. Longtemps le roi refusa, mais ses sujets, et les circonstances, et Ino, [3,860] le contraignirent à accepter ces ordres abominables. Phrixos et sa soeur, les tempes voilées de bandelettes, ensemble se dressent devant les autels, déplorant leur commune destinée. Leur mère, justement penchée du haut de l'éther, les aperçoit, et, effrayée, frappe de ses mains sa poitrine nue. 865 Elle saute dans le vide sur la ville née d'un dragon avec son escorte de nuées, et en arrache ses deux enfants. Pour assurer leur fuite, un bélier, tout resplendissant d'or, leur est envoyé, qui les emporte tous deux à travers le long détroit. Selon la légende, la jeune femme qui se tenait trop faiblement [3,870] à la corne gauche, tomba, donnant son nom à cette étendue d'eau. Son frère fut près de périr en même temps, en voulant la secourir, lui tendant désespérément les mains pendant qu'elle glissait. Il pleurait, croyant avoir perdu celle qui avait partagé deux fois ses périls; il ignorait qu'elle s'était unie au dieu des eaux azurées. 875 Le rivage atteint, le Bélier devint une constellation; mais sa toison d'or parvint au pays de Colchide. Quand l'aurore surviendra, précédée trois fois par l'Étoile du matin, la durée de tes jours égalera celle de tes nuits. Quand quatre fois le berger aura enfermé ses chevreaux repus [3,880] et que quatre fois, l'herbe aura blanchi sous la fraîcheur de la rosée, alors il faudra adorer Janus, et avec lui, la douce Concorde, et le Salut de Rome et l'autel de la Paix. La Lune règne sur les mois: la durée de ce mois aussi prend fin avec le culte rendu à la Lune, au sommet de l'Aventin.