LES DIONYSIAQUES ou BACCHUS. Chant treizième. Bientôt le père des dieux détache Iris vers les crèches divines de Rhéa ; elle doit annoncer au belliqueux Bacchus qu'il chassera d'Asie avec son thyrse vengeur la race orgueilleuse de ces Indiens a qui la justice est inconnue, qu'il vaincra dans un combat naval le fils cornu d'un fleuve, le roi Dériade, et enseignera à toutes les nations les joies des danses nocturnes et le fruit vineux de la vendange. Iris, s'élançant impétueusement sur ses ailes qui battent l'air, arrive à l'entrée des grottes bruyantes habitées par les lions. Elle y pénètre sans bruit, soumet sa bouche au plus rigoureux silence, et se tient d'abord inclinée auprès de la reine des montagnes. Puis elle se prosterne, et baise de ses lèvres suppliantes les pieds de Rhéa. A un signe de l'auguste divinité, les Corybantes conduisent Iris auprès des coupes de la table divine; elle s'étonne d'y boire cette liqueur nouvelle qui la charme, l'enivre ; puis, la tête alourdie des fumées du vin, elle dévoile au fils de Jupiter, qui est auprès d'elle, les volontés de Jupiter lui-même : « Courageux Bacchus, ton père t'ordonne d'exterminer la race impie des Indiens. Prends dans tes mains le thyrse guerrier, et mérite l'Olympe par tes exploits. La cour immortelle de Jupiter ne t'accueillera pas sans épreuves; et les Heures ne t'ouvriront les portes du ciel que si tu combats. Mercure y est à peine parvenu pour avoir, sous son caducée, fait périr le berger Argus, tout couvert, des pieds aux cheveux, de ses yeux étincelants, et pour avoir détaché les fers de Mars. Apollon n'habita les cieux qu'après avoir dompté Delphine (01). Ton père lui-même, le premier des dieux, le grand Jupiter, n'a pas sans fatigue occupé le trône des astres, car il a auparavant enchaîné les assaillants de l'Olympe, et enseveli les Titans dans les antres du Tartare. Quand tu auras souffert, comme Apollon et Mercure, tu auras aussi en héritage le séjour des airs « pour prix de ton labeur. » Elle dit, et retourna dans l'Olympe. Aussitôt Rhéa, la mère universelle, fit partir eu héraut pour rassembler ses troupes, Pyrrhique, le danseur au bruyant tambourin ; il est chargé de proclamer la guerre et d'en annoncer les préparatifs. Pyrrhique parcourt toutes les contrées du monde éternel, et forme des éléments les plus divers l'armée de Bacchus; il réunit les générations de l'Europe, les nations de l'Asie, et les conduit toutes ensemble chez les voluptueux Lydiens. Mais cette héroïque race de guerriers si différents, les satyres velus, la génération des centaures, les tribus des silènes aux jambes hérissées de poils, et les phalanges des bassarides; dites-les vous-mêmes, ô Muses des Corybantes ! car pour dénombrer la multitude que Bacchus rallie sous sa lance, dix langues ne pourraient me suffire, ni même dix bouches à la voix d'airain. Pour célébrer leurs chefs, j'appellerai à mon secours Homère; Homère, asile de tout le beau langage. Eh quoi ! les navigateurs errants pour les aider dans leur course vagabonde n'implorent-ils pas aussi Neptune (02)? Et d'abord, à l'appel du dieu du thyrse accourut Actcon. Il a, pour faire honneur à leur commune origine, quitté sa patrie, l'Aonie, que sept fleuves traversent. Les phalanges de la Béotie le suivent. Ce sont les citoyens de Thèbes aux belles tours, d'Oncheste, séjour de Neptune (03), de Pétéone (04), Ocalée (05), Érythré (06), d'Arné la Vineuse, dont Bacchus fait la richesse (07); ceux qui habitent Midée (08), et les célèbres villes d'Hilésie (09), Scole (10), Thisbé, fondée sur les ondes, port chéri des colombes de la Vénus des mers (11), et la plaine de Schoenos (12), et Eléone aux belles forêts (13), et le sol fertile de Copas (14), où l'on m'assure que le lac de ce nom est fameux encore par les anguilles qu'il nourrit, et Médéon, aux ombrages touffus (15), et ceux qui ont en partage Hylé (16), aux riches pâturages et aux larges penchants, nourrice de Tychos (17), l'habile artiste en boucliers; et la vaste plaine destinée à l'oracle terrestre qui doit porter plus tard le nom laissé par le char d'Amphiaraüs (18),et la ville des Thespiens (19). et Platée (20) aux collines prolongées, et Haliarte (21), que baigne le fleuve Hélicon, torrent de la montagne, dont les flots la divisent en deux parts; et ceux qui tiennent Anthédon (22) à la dernière limite vers la mer, petite ville de l'immortel pécheur Glaucos (23), habitant des eaux, et Ascrée (24), d'un accès si difficile, illustre patrie du chantre immortel des pâturages, et la sainte citadelle de Gréa (25), et la large Mycalesse (26), qui garde le nom imité du gosier la gorgone Euryale, et les champs de Nyssa (27), et la ville qui a reçu le nom de Coronos (28). Tous partaient sous la conduite d'Actéon pour les légion orientales ; et son aïeul paternel (29), le dieu du laurier, prophétisait au jeune héros la victoire. La seconde partie de l'armée béotienne se rangeait sous les ordres d'Hyménée à la riche chevelure ; il n'avait encore qu'une barbe dessinée à peine, et tout jeune, il était chéri de Bacchus. Un guerrier aux cheveux blancs le suivait pour veiller sur lui; il s'appelait Phénix (30). Ainsi, Laocoon s'embarqua jadis sur Argo, le vaisseau de Jason, pour accompagner en Colchide Méléagre, et naviguer avec lui. Tel était, dans la fleur de son adolescence, l'élégant Hyménée, quand il se préparait à la guerre des Indes. Des deux côtés de ses joues s'agitait une moitié de sa chevelure, et des combattants de son âge lui obéissaient. C'étaient les habitants de la citadelle d'Asplédon (31), d'Orchomène, ville de Minyas, où est le bois consacré aux danses amoureuses ; Orchomène (32), que la déesse Charis n'abandonne jamais; ceux qui habitent Hyrie dont le sol, asile des dieux, a reçu le nom de l'hospitalier Hyriée (33). C'est là que le géant immense, Orion, né de trois pères qui n'avaient pas connu le mariage, s'élança du sein maternel de la terre ; lorsque l'urine accumulée des trois dieux générateurs se transforma en un produit spontané, imprégna le sillon d'une peau de bœuf féconde, et fit croître dans des flancs de cuir un mortel qu'aucune union n'avait enfanté. Et ceux qui occupent les champs hospitaliers, où se rassemblèrent les Grecs, la pierreuse Aulis (34), séjour de Diane, où la déesse irritée agréa sur son autel montagnard le sacrifice d'une fausse Iphigénie. Un faon des collines y fut consumé par le feu sacré, trompeuse image de la véritable Iphigénie disparue. C'était elle que le cauteleux Ulysse avait amenée pour épouser Achille avant la guerre, et de là vient qu'Aulis passe pour la conciliatrice des noces d'Iphigénie, qui ne se maria jamais. Dès lors, un vent favorable aux vaisseaux des Grecs souffla, frappa sans bruit une surface immobile, et soumit la brise rebelle au roi meurtrier d'une biche. Plus tard, après avoir traversé les airs et abordé en Tauride, la jeune nymphe y apprit les lois inhospitalières des chaudières horribles, et y sacrifia des humains. Mais, tout près de l'autel homicide, elle reconnut et sauva son frère Oreste, poursuivi par ses terreurs jusque sur les mers. Telle était, l'innombrable troupe des Béotiens, qui suivirent Hyménée à la guerre des Indes. A ceux-ci se joignirent auprès de la roche fatidique de Delphes, les Phocéens leurs limitrophes, ceux qui habitaient la contrée de Cyparisse (35), et Hyampolis (36), dont le nom est celui de la laie aonienne qui leva, m'a-t-on dit, vers le ciel une tête orgueilleuse, et crut l'emporter sur Minerve en beauté. Les possesseurs de Pythone (37), de la fameuse Crissa (38) et ses vergers suspendus aux flancs de la montagne, et Daulis (39) et Panopée (40), qui ont Bacchus pour voisin; car Apollon, le dieu du laurier, a mis en commun avec Bacchus, son frère, le Parnasse à la double cime, son héritage. Alors, à ce grand concours de peuples, l'oracle de la Pythie, sa roche divine et le trépied qui parle de lui-même retentirent à la fois, et la source éloquente de l'immortelle Castalie fit bouillonner ses flots intelligents. Les troupes de l'Eubée étaient ces mêmes Corybantes armés de boucliers qui avaient élevé et vu croître Bacchus ; ils occupaient le golfe Phrygien auprès de Rhéa, qui se plaît dans les montagnes ; et ils avaient, avec ces mêmes boucliers, formé le cercle autour du jeune dieu, quand jadis ils trouvèrent parmi les rochers l'enfant cornu enveloppé dans un manteau de pourpre de la couleur du vin ; c'était là qu'Ino l'avait remis aux soins de Mystis, la mère des guirlandes (41). Tous accouraient alors de l'île célèbre d'Eubée. Prymnée, Mimas aux pieds tardifs, Acmon le coureur de la montagne, Damnés, Ocythoos le sonneur de boucliers ; l'actif Métissée qu'Idéos accompagne. Tous ensemble, chassés de leur patrie maritime par la colère injuste et impie de leur père Socos (42), avec Combé (43), leur mère, qui lui avait donné sept enfants. Tous ils échappèrent, parvinrent à Gnosse, passèrent de nouveau de Crète en Phrygie, et de Phrygie à Athènes, sans se quitter jamais dans leur séjour sur le sol étranger, jusqu'à ce que Cécrops eut immolé Socos sous son fer vengeur. Alors, abandonnant la terre de Marathon, où la mer brise, ils retournèrent sur le sol sacré des Abantes, race terrestre des premiers Curètes dont la vie s'écoule au son des flûtes, au bruit mesuré des glaives, aux rondes cadencées et à la danse du bouclier. Avec eux se montrent les fils belliqueux des Abantes qui habitent la sourcilleuse Érétrie (44), Styra (45), Corinthe (46), et la fameuse Caryste (47), où sont le temple et l'aride plaine de Jupiter. Les citoyens d'Acré (48) ; Acré, où retentissent les vagues du cap Géreste qui ne se taisent jamais, et Tycha (49), et la montagne de Cotylée (50), et les bords du Cirès (51), et la colline de Marmarie (52), et la plaine de la vénérable Aegée (53). Auprès de ceux-ci vient se ranger le peuple dont Chalcis (54) est la patrie. Elle est la métropole de des Hellopiens dont la chevelure se déploie derrière la tête. Sept chefs les commandent; mais tous ils n'ont pour la guerre qu'un même cœur ; ils conjurent, sur un autel allumé, les astres qui habitent la voie du zodiaque, et divisent leurs troupes en autant de bataillons qu'ils comptent de pléiades. Érechthée, insatiable des combats, enrôla les Cécropides ; il est de l'illustre race de cet Érechthée aux nobles enfants, que, dans son réduit virginal, éclairé des feux du sacrifice, Minerve la Vierge, née d'elle-même, la chaste nourrice approcha de sa mamelle virile ; elle berça sur ses bras timides et inexpérimentés ce fils de Vulcain, lorsque le malheureux époux, trompé dans ses vœux, fit pénétrer au sein de la terre les germes spontanés de ses brûlants amours. Les troupes réunies de l'Attique paraissent ensuite. Athènes tout entière, parée de casques (55) excite b fureur de ses belliqueux enfants qui courent à la mêlée avec la lance et le glaive. Sous leur marche guerrière, le port Phalère retentit, et la cigale d'or (56), qui révèle leur origine autochtone, se multiplie sur les tresses élégantes de leur chevelure. Avec lui viennent les cultivateurs de la fertile plaine d'OEnoé (57), des penchants de l'Hymette voisin, patrie de l'abeille (58), et des tertres de Marathon, ombragés d'une forêt d'oliviers (59) ; les citoyens de Cythéros (60), et du port de Minerve, Brauron (61), la maritime, où est la tombe d'iphigénie, de la plaine Thorice (62), et de la riche Aphidna (63), et ceux qui tiennent la terre de Cérès, l'auguste mère, Éleusis (64), où les prêtres de la déesse aux beaux épis et aux lourdes corbeilles, se vantent de descendre de Triptolème; le divin Triptolème qui, fouettant la flancs mouchetés des dragons attelés au char de gerbes de Cérès, guida jadis ces monstres au milieu des airs. De nombreux vieillards d'Acharnes, vibrant ça et là leurs armes de fer (65), les tendent à leurs enfants pour les préparer au combat. Telle est l'armée des Athéniens, dont Érechthée est le chef; Siphnos (66), de la même ville, lui vient en aide. Éaque (67) quitta également son Égine; c'est lui que Jupiter, l'aigle aérien, l'époux ailé d'Égine, oiseau mensonger, fit naître en s'unissant a la fille de l'Asope après l'avoir ravie. Le nom d'Eaque lui était venu de cette union ; et plus qu'aucun autre il était pour son frère Bacchus un ardent auxiliaire. Il instruisit dans l'art des combats ces phalanges de Myrmidons qui furent originairement des fourmis toujours pressées de courir sur la terre à l'aide de leurs pieds nombreux; jusqu'au moment où le prudent Jupiter donna une forme supérieure à ce vil insecte né du sol. Les bataillons surgirent ainsi tout armés; et tout à coup l'essaim muet, sorti de terre, cette fourmi d'une autre nature, devint un corps doué de la forme humaine et de la parole. Éaque était leur chef. Sur son riche bouclier, en signe de son origine, il avait retracé l'oiseau intelligent, emblème de Jupiter, qui enlève une femme dans ses serres caressantes; on y voyait aussi le fleuve consumé par la foudre, et sur ses bords, la Nymphe triste et plaintive, bien qu'image inanimée, regardant de coté son père, le malheureux Asope, au cours ralenti, comme si elle gémissait sur son sort; elle semblait dire : « Ta victoire sur mon père est donc le premier gage de ton amour. » Astérios, que distingue sa beauté, commande les Crétois aux nombreux idiomes. Il est aussi aimable qu'il est vaillant. La nymphe Androgénie (68) de Phestos (69), oubliant sa sagesse virginale, et cédant à l'amour de Minos (70), l'avait jadis mis au inonde dans son palais de Cydonie (71); maintenant il amène à Bacchus le peuple des cent villes, et il honore ainsi la race dont son père est issu. Minos, en effet, avait la même origine que Cadmus, et il était cousin da Sémélé. A ce seul chef obéissaient tous ces combattants si divers. Les belliqueux habitants de Gnosse (72) et de Lyctos (73), réunis aux troupes de Milet (74). Avec eux s'armaient les nombreux citoyens de Gortyne (75), de Hytée (76), de la fertile Lycaste (77), du territoire de Jupiter Idéen (78), du sol de Théné (79), de la plaine de Cissamos (80), et des beaux remparts de Cytée (81). Tel était le chef de l'armée venue de Crète. Quand il marchait, l'astre de Mars, son homonyme, étincelait, et, par des rayons plus ardents, jetait un éclat précurseur prophétique de la victoire. Mais, après son triomphe, Astérios fut pris d'un goût étrange pour un pays inaccoutumé, et ne voulut pas revoir, après la guerre des Indes, l'antre belliqueux des rochers de l'Ida, son séjour paternel. Il préféra l'existence d'un expatrié ; au lieu de Dicté (82), le citoyen de Gnosse s'établit en Scythie. Il abandonna le vieux Minos, Androgénie, et il vint, homme civilisé, parmi les populations barbares de la Colchide, où l'on immole les hôtes ; il les appela Astériens, et donna ainsi une dénomination Crétoise à ces mêmes Colchiens dont la nature seule a réglé les lois bizarres, Puis, renonçant aux flots paternels de l'Amnise de Crète, qui avait vu son enfance, il but, dans sa maturité, l'onde étrangère du Phase. De tous ceux qui habitaient les contrées limitrophes de la Grèce, Aristée seul vint sans empressement et même le dernier. Enorgueilli d'avoir inventé le miel et les ruches aux mille compartiments, il avait disputé en vain au dieu créateur de la vigne le prix du plus doux breuvage. Tous les habitants de l'Olympe autant qu'il en est, furent leurs arbitres. Le fils de Phébus leur présenta le suc tout fraîchement écoulé des rayons; mais la victoire lui échappa ; car, en recevant cet épais produit de la féconde abeille, les immortels se dégoûtèrent bientôt de la fade boisson; ils s'en lassèrent dès la troisième coupe, et les plus altérés refusèrent d'y toucher quand elle revint pleine pour la quatrième fols ; tandis qu'ils se délectèrent à puiser à longs traits la liqueur limpide de Bacchus, et en burent incessamment pendant tout un jour. Dans leur ivresse, ils s'émerveillèrent successivement de la douceur de ce breuvage, demandèrent joyeusement une coupe après l'autre, et durent au vin, charme de l'imagination, une infatigable gaieté. Jupiter admira sans doute les travaux de l'abeille, les gouttes du miel, et l'ingénieuse multiplication des essaims, invention d'Aristée; mais il donna la palme à la liqueur de Bacchus, car elle apaise les douleurs. Et c'est ainsi qu'Aristée, mal guéri de ton dépit contre son heureux compétiteur, venait si lentement à la guerre des Indes, et quittait tardivement le séjour de Cyllène, demeure de Mercure ; car il n'avait pas encore habité la première île des Méropes (83). Il n'avait pas encore adouci la vapeur enflammée des heures de sécheresse et amené les souffles bienfaisants de Jupiter, le vainqueur du mal. Il n'avait pas encore, surveillant, sous un vêtement de fer, l'éclat de la constellation dévorante, arrêté et endormi pendant toute la nuit, l'incendie de la Canicule (84) ; grâce à lui, maintenant les vents rafraîchissent le monde de leurs haleines légères, pendant qu'elle lance de ton gosier brûlant le feu et l'aridité. Il demeurait encore dans la plaine de Parrhasie. Le peuple vagabond de l'Arcadie, qui se nourrit de glands, le suivait au combat, ainsi que les possesseurs des bords du Ladon (85), des grands bois sacrés du Lycée (86), de Stymphale l'escarpée (87;, et des villes chantées par le poète, Ripé (88), Stratie (89), Ênispe (90), Mantinée (91) enfin Parrhasie (92) aux grands arbres, où est la sainte plaine réservée à la déesse Rhéa, principe des générations ; et ceux qui tenaient le territoire de Phénée (93), et la ville du héros Orchoménos (94), Orchomène, riche en troupeaux, séjour des Aphidantes (95), et la ville Arcadie (96) que fonda jadis Arcas, fils de Jupiter et de Callisto ; son père l'établit dans la sphère des astres, où il en fil le grêleux Bouvier. C'étaient là les troupes qu'Aristée avait armées de la lance arcadienne. Il menait au combat ses chiens errants mêlés à ses guerriers. Cyrène, sa mère, autre Diane Chasseresse, exterminatrice des lions, l'avait jadis donné à l'amour de Phébus, quand le bel Apollon l'eut conduite au travers des airs, sur son char ravisseur et nuptial, au milieu des sables de la Libye. Le dieu lui-même, quittant son prophétique laurier, avait de ses propres mains armé son fils. Il lui fit don d'un arc, ajusta à son bras un bouclier merveilleux, et affermit, par une courroie sur ses épaules, le brillant carquois qui flottait le long de ses reins. Achate (97), qui lance au loin les traits, arriva de Sicile ; ses compatriotes qui le suivent portent des boucliers. Ce sont les troupes nombreuses des Cesyriens (98) et des Hélymes (99), les peuplades qui entourent le temple des Palices (100), ceux qui habitent Catane (101), ville maritime, voisine des Sirènes (102). Ces Sirènes, que la vermeille Terpsichore vit naître de son union avec son époux cornu, l'impétueux Achéloüs (103) ; et les possesseurs de Camarine (104), où le mobile Hipparis (105), vomit bruyamment ses ondes sinueuses, et la ville sacrée d'Hybla (106), et ceux qui vivent auprès de l'Etna, où des cratères de feu font jaillir du sein des roches incendiées les flammes incandescentes de la couche de Typhon, et ceux qui disséminent leurs habitations sur le sourcilleux Pachyne, la presqu'île allongée de Pélore, où la mer bat le rivage, et la Sicilienne Aréthuse (107), où rampe le voyageur Alphée, qui s'exile tout chargé des couronnes de Pise. Il se fraye une route à travers les vagues, roule, esclave de l'amour, à la surface des mers une onde que ne corrompt jamais leur amertume, et conserve sa flamme toujours brûlante sous la fraîcheur des flots. Avec eux vient Phaunos (108). Il a quitté cette prodigieuse plaine de l'Italie, dominée par un double sommet que stigmatise le feu (109). Circé, unie au roi des mers, fils de Saturne, le mit au monde; la magicienne Circé, la sœur d'Aète, qui séjourne à la limite des forêts, dans les obscures et circulaires profondeurs d'un palais de roches. Les Libyens s'enrôlèrent aussi. Ils habitent les villes rapprochées des nues que Cadmus fonda dans le cours de ses voyages au penchant occidental du monde. Car, emporté par les souffles des vents contraires, c'est là qu'il demeura longtemps avec la nymphe de Thrace, compagne de sa navigation, Harmonie, vierge encore. Sa beauté dont la renommée fait naître les combats, avait mis en armes tous les voisins rivaux. L'année libyenne l'avait surnommée sa Charis ; la charmante fille de la Bistonie florissait en effet comme une Charis mortelle, et n'y a-t-il pas en Libye une colline des grâces aussi (110)? Épris follement du désir de l'enlever, le peuple qui vit dans les déserte de Maurousie (111) se souleva tout entier dans son horrible fureur ; c'était une guerre barbare. Mais Cadmus fit vibrer dans ses mains conjugales la lance de Minerve libyenne, et combattit pour défendre son épouse Harmonie ; il fut secouru par Jupiter, Mars et Vénus, et mit en fuite toute la race des Éthiopiens de l'Hespérie. Ainsi le raconte l'antiquité. C'est là qu'auprès du lac Tritonis (112), la charmante Harmonie s'unit pour la première fois au vagabond Cadmus. Les nymphes Hespérides tirent entendre le chant de l'Hymen. Dans leurs jardins, Cypris et Éros, pour parer cet heureux mariage, suspendirent une vigne d'or au lit nuptial, dot bien digne d'un tel amour ; et, dans leur opulent réduit, Harmonie ainsi que Cadmus couronnèrent leurs cheveux de ce riche feuillage, en place de la rosé accoutumée. Chargée de ces présente dorés offerts par la Vénus dorée, l'épouse ne s'en montra que plus belle. C'est alors que le Libyen Atlas, son aïeul maternel, éveillant les sons joyeux de la Lyre céleste, lit tournoyer en dansant la sphère qui reposait sur ses épaules voûtées; et d'une voix rapprochée il chanta la chanson des noces d'Harmonie. En souvenir de son épouse et de cet amoureux hymen, Cadmus fonda sur la terre de Libye des villes au nombre de cent (113), et les dota chacune de remparts inaccessibles dominés par des tours de pierre : reconnaissants de ces bienfaits, leurs belliqueux habitants se présentent aux premiers rangs pour prendre part aux guerres de Bacchus. Ils avaient quitté les terres voisines de la Lune quand elle vient de naître (114), et les retraites méridionales de Jupiter Asbyste (115), oracle cornu. Là, le Jupiter Hespérin, caché sous le nom d'Ammon, et sous la forme d''un bélier aux cornes triplement enroulées, annonçait autrefois l'avenir de sa bouche prophétique. Puis venaient les cultivateurs des rives du Chrémétès (116), la plaine sablonneuse et aride, voisine des eaux du Cinyphe (117), les Auschises et leurs compagnons les Cabales (118), favoris de Mars, que nourrit la vallée de Zéphyre. Telle était la nombreuse population des cent villes. Cratégone (119) la commandait. Anchinoé, fille du Chrémctès, l'avait mis au monde dans la plaine qu'arrose le fleuve son père, après son union si éphémère avec Psyllos (120) l'insensé; Psyllos, l'antagoniste des dieux, dont Notos, le vent torride, avait un jour desséché les moissons sous ses vapeurs consumantes. Aussitôt, transportant Mars et ses casques étincelants sur la mer, Psyllos avait rassemblé un essaim de guerriers maritimes pour soulever une lutte vengeresse contre ces vents dévastateurs; il veut immoler le brûlant Notos, et au bruit des boucliers, il amène une puissante flotte auprès des îles éoliennes. A la vue de sa folie, les vents s'arment aussi, attaquent ses vaisseaux de leurs tempêtes retentissantes, agitent tous ensemble leurs souffles réunis, l'emportent, et ensevelissent sous la mer Psyllos ainsi que ses troupes. Les phalanges des Cypriens sont sous les ordre» d'Agapénor (121) et de Lapithos à la belle chevelure. De nombreux guerriers les suivent ; ce sont les heureux habitants de Sphécle (122), que baigne la mer dans sa rondeur ; Cypre, retraite divine des amours aux ailes rapides; Cypre, honorée du nom de la primitive Cypris, et dont Nérée, traçant les contour avec la pointe de son trident maritime, fit la forme pareille au dauphin son compagnon. Car, au moment où la rosée productrice et divine, mêlée à un germe puissant, féconda l'écume des mers, et en créa la déesse de Paphos dans les parages de Cypre Cérastide (123), ce fut un dauphin qui courut, dans son instinct prudent, à la surface des ondes, et y soutint Vénus assise sur son dos ; les possesseurs de la plaine d'Hylate (124); des murs de Chytros (125); de Tamase (126); de Tembros (127); de la ville d'Erysthée (128), et des tertres ombragés du Panacre (129) montagneux ; enfin les Solons envoyèrent une troupe nombreuse (130) ; ainsi que les Lapéthes (131) : ceux-ci prirent plus tard cette dénomination, quand la chef qui les avait rassemblés périt dans la guerre des Indes, y fut enseveli, et laissa son nom à ses concitoyens ; puis les habitants de la ville de Cinyre, qui porte encore le nom des rochers de l'antique Cinyras (132); et la plaine où est située Uranie (133), l'homonyme de la céleste voûte, parce qu'elle renfermait des citoyens brillants à l'égal des astres du ciel ; et les maîtres de Carpasie (134), dont la mer environne le sol ; Paphos (135), le port orné des guirlandes des plus élégants amours. C'est là que le délicieux Satraque (136) roule des ondes chères à la fille de la mer, car elle a bien souvent inondé des eaux de ce fleuve le fils de Myrrha, son époux, quand il s'y livre aux plaisirs du bain. Enfin les États de l'antique Persée, où Teucer, fuyant Salami ne et la colère de Télamon, devaient fonder un jour une seconde Salamine (137), plus célèbre que la première. Les voluptueuses phalanges des Lydiens accoururent en foule. Ceux qui occupaient Cimpsos (138) aux riches cailloux; et la sourcilleuse Itone (139) ; et la vaste Torébie (140) ; et la nourrice de Plutus, Sardes (141), grosse d'une souterraine opulence, contemporaine de l'Aurore ; et la Terre, que parent les grappes de Bacchus, où ce dieu, tout enfant, remplissant une coupe du jus de la vigne, le versa pour la première fois à Rhéa, et en souvenir nomma la ville Cérassas (142); et ceux qui eurent en partage les penchants d'Hoanie (143) ; et les courants de l'Hermos (144); et les ondes du Métallos, dont les jaunes trésors font jaillir et briller dans ses eaux le li¬mon du Pactole; elles rangs multipliés des Stataliens(145). C'est là que vomissant les brûlantes exhalaisons de la foudre embrasée, Typhée avait incendié la contrée d'alentour. Sous la vapeur tourbillonnante de ses feux, les sommets des pics escarpés, desséchés par des étincelles dévorantes, tombaient en cendre. Alors, quittant le temple embaumé de Jupiter lydien, un prêtre se présente sans armes, pour combattre par sa parole dominatrice, et soumettre à l'obéissance le fils de la Terre ; parole pénétrante qui remplace le fer aigu. Sa lance est sa bouche intrépide ; son épée est sa langue ; son bouclier est sa voix. De son gosier inspiré il fait sortir ces mots : Arrête, misérable(146) ! Aussitôt le géant incandescent, enchaîné par la magique puissance de l'invincible parole, s'arrête, tremble devant cet homme armé de la lance de l'intelligence; et, mieux que le fer, ces mots vengeurs deviennent des entraves. Jamais le terrible Typhée aux deux cents bras n'avait frémi devant les flèches du tonnerre autant que devant le puissant magicien dont la bouche lance un trait éloquent ; atteint de ces mots acérés, il gémit sous le tranchant de la voix ; et déjà cicatrisé de la foudre, déjà percé d'une pique de feu, il a rencontré le feu de la pensée plus brûlant encore : il est frappé d'un coup qui ne laisse après lui ni sang ni trace, et il succombe; alors il suspend forcément sa marche, se solidifie, enfonce ses pieds monstrueux dans le sein de sa mère et s'y enracine... Mais toutes ces choses, le temps les a accomplies chez les hommes primitifs. Auprès des vaillants Lydiens se rangeaient les peuples Phrygiens; les habitants de Boudée (147); de Telmesse (148), ville célèbre, parée de ses beaux arbres et des ombrages de sa vaste forêt de Drésie (149), et des rives de l'Obrime (150), qui mêle ses eaux au cours sinueux du Méandre; de la terre qui porte le nom de Doias (151); les possesseursde la spacieuse Célène (152), et des bords de l'Orgas (153), aux flots adoucis. Avec eux viennent ceux qui ont l'heureux privilège d'habiter les villes voisines du Sangaris et les contrées de la Phrygie Épictète (154): Priase les commande; il a enfin quitté Dircé, séjour du dragon. Priase était devenu citoyen de la terre d'Aonie, lorsque le pluvieux Jupiter inonda la plaine phrygienne et versa les cataractes du ciel sur des mers s'élevant jusqu'aux nues ; quand les chênes furent engloutis, et que, dans leurs ravins buissonneux, les arides collines se virent assaillies par les fleuves. C'est alors que Priase abandonna son humide demeure envahie par les flots; et, fuyant ces torrents aériens qui sapaient les plus solides murailles, il se transporta dans un golfe de la terre d'Aonie pour se garantir des pluies meurtrières de Jupiter (155). Mais toujours, parmi ces hommes d'un autre pays, Priase pleurait au souvenir du Sangaria, redemandait sa fontaine accoutumée, et ne buvait qu'à regret l'onde étrangère du fleuve d'Aonie. Enfin le roi des deux suspendit les courants neigeux et les fatales inondations ; il chassa de la Phrygie submergée les eaux qui repoussaient les cimes du Sipyle; Neptune, avec son trident, ouvrit à tous ces torrents une issue dans les profondeurs de la mer qui n'en fut point altérée. La rochers se dégagèrent de ces bruyantes cascades; alors, abandonnant la Béotie, Priase, dont les pensées étaient restées en arrière, retourna dans son pays ; à peine arrivé, il se jeta dans les ondes pour secourir son père au pas chancelant qu'elles entraînaient ; il le saisit dans ses bras, et, pour prix de sa piété, le grand Jupiter, le dieu qu'on invoque sous le nom de Torrentiel le sauva de la fureur du torrent. Les guerriers de la Phrygie, glorieux d'un tel chef, se réunissent autour de Priase. Gabios (156) et Stamaos (157) mènent à la guerre des Indes une population légère qui frappe le sol de ses pas cadences. A la vue de ces bataillons qui sautent et bondissent, vous diriez que leur chef conduit ses hommes armés dans un chœur, et non au combat C'est la lyre de Mygdonie qui règle leur marche par un chant de danse. Ses sons, au lieu de les mener dans les rondes, les précipitent dans la mêlée. Les pipeaux amoureux sont pour eux de belliqueuses trompettes. La double flûte de Bérécynte résonne; et les tambourins, frappés sur les deux faces par leurs mains bruyantes, retentissent sous des grelots d'airain. Le fils d'Astérios, qui marche dans l'armée d'un autre côté que son père, Milet (158), à la fleur de l'âge, se tient auprès de Bacchus. Son frère Caunos (159) l'accompagne : Caunos, tout jeune alors, chef des Cariens; il les guide à la guerre des Indes; il n'a pas encore éprouvé ce fatal et trompeur amour que lui réserve la destinée et que doit lui inspirer son innocente sœur, Il n'a pas encore célébré et invoqué dans ses chants Junon, sœur elle-même et compagne de Jupiter, image de cette union fraternelle qu'il doit souhaiter si ardemment un jour ; il n'a pas, auprès des antres du Latmos, où Phœbé ne dort jamais, envié les tendres amours de la Lune enivrée de désirs pour son époux Endymion, qui soupire sous la roche voisine. Byblis est encore la chaste Byblis. Dans son innocence de ces funestes passions d'un même sang, Caunos n'a encore appris que la chasse ; et la nymphe, au départ de son aimable frère, n'a pas encore perdu sa forme sous ses larmes, et fait jaillir de son corps inanimé les courants d'une source plaintive (160). Avec Milet, et sous ses ordres, accouraient les guerriers de Mycale et les habitants des bords du Méandre, dont le cours tortueux traverse des abîmes souterrains avant de ramper au grand jour. Puis venaient en foule les guerriers de Samothrace, robustes et membrus comme des Titans. C'est leur roi Hémathion qui les envoyé; Hémathion, ralenti par la vieillesse, à la barbe touffue et à la blanche chevelure. Avec eux les habitants de Myrmèce (161), sur la mer, et du mont Saoce (162), exposé aux vente; des champs de Tempyra (163); des forêts sacrées des Odrysiens (164), aux riches prairies ombragées de bosquets ; de la divine Zérynthe (165), séjour des Corybantes qui ne connaissent pas le sommeil. Elle fut bâtie par la célèbre Hécate Perséide (166), la où sont les roches consacrées par ses fêtes et par ses sanglantes cérémonies ; et ceux qui habitent Brisia (167), sur les bords d'une terre à tant de promontoires, et le pays voisin de la mer qu'on m'a dit s'appeler les sentiers du Neptune souterrain (168). Tels étaient les bataillons concitoyens qui obéissaient, issus d'une même tribu, à la génération de la primitive Électre. C'est dans leur patrie que Jupiter, Mars et Vénus avaient accordé pour épouse légitime Harmonie, race des deux, lignée de la mer, à Cadmus leur auxiliaire, bien qu'il n'eût aucune dot à lui offrir. Pendant que ces populations s'armaient en faveur du dieu du thyrse, Électre, septième constellation, s'élevait dans le ciel, heureux augure du combat. La voix répercutée des Pléiades, en l'honneur de leur sœur dont Bacchus était le descendant, répéta les chants de la victoire, et redoubla l'intrépidité de ses bataillons. Ogyros guidait leur marche : Ogyros (169), un second Mars dans les combats ; Ogyros, qui porte la tête élevée et l'apparence d'un géant. Ses forces ne se lassent jamais. Sa chevelure, semblable aux piquants des hérissons, tombe sur les nerfs de son cou, sur son dos et jusque sur ses flancs. Sa tête démesurée s'allonge comme la pointe d'une roche; il tient de son pays les coutumes barbares; nul ne le dépasse dans les exploits de la guerre orientale, si ce n'est Bacchus. Et il a juré par la victoire que, lui seul, il anéantirait sous «a lance les légions de l'Inde tout entière. Le vaillant Ois de Mars, Oeagre, a quitté sa ville de Pimplée (170), c'est là qu'il s'enorgueillit d'Orphée l'astre de la Thrace; il l'a laissé sur les genoux de Calliopée, si enfant qu'il n'a encore d'autre nom que le lait de sa jeune mère. Telle se présente l'armée. Sous les pas de ces nations rassemblées dans un même dessein, le palais de Cybèle retentit, et les rues de la ville de Mygdonie se peuplent de leur multitude.