[9,0] LIVRE NEUVIÈME. MARTIAL A SON CHER TURANIUS, SALUT Bonjour, Turanius, mon très cher frère. L'épigramme détachée des pages de ce livre a été écrite par moi au très illustre Stertinius, qui a voulu mettre mon portrait dans sa bibliothèque. J'ai cru devoir t'en écrire, pour que tu n'ignores pas qui j'ai désigné sous cet Avitus. Adieu et prépare-toi à me recevoir. [9,1] I. — A AVITUS Poète à l'inspiration sublime, célèbre malgré toi, et dont la cendre recueillera tardivement la récompense due à ton génie, Avitus, rends immortelle cette piécette, en l'inscrivant sous mon portrait, placé par toi parmi les hommes illustres : « JE SUIS CELUI QUI NE LE CÈDE A PERSONNE DANS LE GENRE FRIVOLE, CELUI QUE TU N'ADMIRES PAS, LECTEUR, MAIS QUE SANS DOUTE, TU AIMES. A DE PLUS GRANDS GÉNIES, DE PLUS GRANDS POÈMES. POUR MOI, DISEUR DE PETITS RIENS, IL ME SUFFIT DE REVENIR SOUVENT DANS TES MAINS. » [9,2] II. - SUR LE TEMPLE DE LA FAMILLE FLAVIENNE Tant que Janus donnera son nom aux hivers, Domitien aux automnes, Auguste aux étés, tant que le grand jour des calendes germaniques rappellera par son nom glorieux la conquête du Rhin, tant que se dresseront la roche tarpéïenne et le temple du dieu souverain, tant que la riche matrone adressera des prières et offrira, pour l'apaiser, de l'encens à la divinité bienfaisante de Julie, la gloire de la famille flavienne se maintiendra à la hauteur du soleil, des astres et de la splendeur romaine. Tout ce qu'a élevé une main victorieuse est le ciel lui-même. [9,3] III. CONTRE LUPUS Si tu es pauvre avec tes amis, Lupus, tu ne l'es point avec ton amie, et ton membre du moins n'a pas à se plaindre de toi. Elle s'engraisse, l'adultère, d'un pain blanc en forme de vulve, tandis que tu fais manger à ton convive du pain noir. Pour ta maîtresse coule le vin de Sétia, qui chaufferait la neige elle-même, et nous, nous buvons le poison boueux des jarres corses. Tu paies de ton patrimoine une nuit, encore pas tout entière, et ton camarade abandonné laboure des terres qui ne sont pas à lui. Ta concubine est toute brillante des perles de l'Erythrée, et pendant que tu t'emploies avec elle, on conduit ton client à la prison pour dettes. Tu donnes à ta belle une litière portée par huit esclaves syriens, et le poids de ton ami s'allongera nu dans la bière. Va maintenant, Cybèle, châtrer de misérables débauchés. Voici une verge qui était autrement digne de ton couteau. [9,4] IV. A DOMITIEN Si tu redemandais aux dieux et au ciel autant que tu leur as donné, César, si tu voulais être leur créancier, quel que fût le montant des enchères ouvertes dans l'Olympe éthéré, les dieux fussent-ils obligés de vendre tout ce qu'ils ont, Atlas ferait banqueroute et le père des dieux lui-même serait à peine en état de te donner douze pour cent. Combien, en effet, te payer les temples du Capitole et les couronnes de feuillage offertes aux jeux tarpéiens? Combien, pour l'épouse du maître du tonnerre, ses deux temples? Je passe sous silence Pallas : elle fait tes affaires. Que dire d'Alcide, de Phébus et des frères Laconiens, si chers l'un à l'autre? Citerai-je le temple des Flaviens, ajouté à l'Olympe latin? Il faut, César Auguste, que tu patientes, que tu fasses des remises : les coffres de Jupiter n'ont pas de quoi te payer. [9,5] V. CONTRE ESCHYLUS Quand on peut posséder Galla pour deux pièces d'or, et lui faire mieux encore en doublant la somme, pourquoi donc, Eschylus, reçoit-elle de toi dix pièces d'or? Elle ne met pas sa bouche à si haut prix. Alors, quoi? Elle la ferme. [9,6] VI. CONTRE PAULLA Tu veux épouser Priscus, Paulla; rien d'étonnant, tu as raison. Mais Priscus ne veut pas de toi, il a raison aussi. [9,7] VII. - A DOMITIEN Suprême vainqueur du Rhin, père du globe, chaste prince, les villes te rendent grâces : elles auront des habitants. Enfanter ne sera plus un crime. Le garçonnet, mutilé naguère par l'art d'un avide courtier d'esclaves, ne pleure plus le dommage de sa virilité perdue, et la mère indigente ne vend plus à l'entremetteur hautain son enfant destiné à la prostitution. La pudeur, qui, avant toi, n'existait même plus au lit conjugal, a commencé, par tes soins, à pénétrer jusqu'au lupanar. [9,8] VIII. - CONTRE AFER Depuis ton retour de la Libye, Afer, j'ai voulu, pendant cinq jours de suite, te dire bonjour : « Il est occupé » ou : « Il dort, » m'a-t-on répondu à deux et trois reprises. En voilà assez, Afer. Tu ne veux pas que je te dise bonjour? Eh bien ! Bonsoir ! [9,9] IX. - A DOMITIEN Comme si ce n'eût été qu'une légère offense pour notre sexe de livrer nos enfants mâles à la prostitution, le berceau déjà appartenait à l'entremetteur et l'enfant, arraché du sein maternel, semblait réclamer par ses vagissements un honteux salaire. Des corps à peine formés subissaient un abominable supplice. Le père de l'Ausonie n'a pu supporter de telles monstruosités, lui qui naguère secourait les tendres éphèbes et empêchait qu'un libertinage cruel ne rendît stériles les hommes ! Chéri déjà des jeunes gens, des adultes et des vieillards, tu vas l'être maintenant, César, des bébés. [9,10] X. A BITHYNICUS Bithynicus, il ne t'a rien légué, ce Fabius à qui tu faisais, s'il m'en souvient, une pension annuelle de six mille sesterces. Il n'a laissé davantage à personne. Cesse donc, Bithynicus, de te plaindre, c'est une rente annuelle de six mille sesterces qu'il t'a léguée. [9,11] XI. — CONTRE CANTHARUS Quoique tu dînes volontiers en ville, Cantharus, tu cries, tu médis, tu menaces. Crois moi, quitte ces rodomontades. On ne peut être, à la fois, libre et goulu. [9,12] XII. — SUR EARINUS, MIGNON DE DOMITIEN Nom qui naquis avec les violettes et les roses, nom qui es celui de la plus belle saison de l'année, qui sens bon l'Hybla et les fleurs attiques, qui dégages l'odeur des nids de l'orgueilleux phénix, nom plus doux que le nectar céleste, nom que préférerait au sien l'enfant chéri de Cybèle, l'échanson du maître du tonnerre, nom auquel répondent les Grâces et les Amours, quand tu retentis dans le palais impérial, nom plein de noblesse, de douceur, de délicatesse, je voudrais te faire entrer dans un vers sans rudesse, mais toi, syllabe rebelle, tu t'y opposes ! Cependant des poètes disent Earinon, mais ce sont des Grecs, à qui tout est permis, et qui ont le droit de scander à leur gré ces mots "Arès, Arès". A nous de pareilles licences de virtuoses sont défendues, nous qui cultivons des Muses plus sévères. [9,13] XIII. SUR LE MÊME Si l'automne me donnait son nom, je serais Oporinus; Chimérinus, si c'était l'horrible hiver; Thérinus, si je le tenais du mois estival. Comment désigner celui qui doit son nom au printemps? [9,14] XIV. SUR LE MÊME Tu as un nom qui désigne la saison tendre de l'année, ce printemps si court que saccagent les abeilles attiques, un nom digne d'être écrit avec un roseau fait d'une flèche de l'amour, et que Vénus s'amuse à tracer avec son aiguille, un nom dont on devrait former les lettres avec des perles de l'Erythrée, avec le succin pressé par le pouce des Héliades, un nom fait pour être dessiné, haut dans les cieux, par les ailes de la grue, un nom enfin qui convient à la seule demeure de César. [9,15] XV. — CONTRE UN "AMI" COUREUR DE SOUPERS Cet homme que tes repas, que ta table ont rendu ton ami, tu lui crois le coeur fidèle en amitié? C'est le sanglier qu'il aime, les mulets, les tétines de truie, les huitres, et non pas toi. Si l'on mangeait aussi bien chez moi, il serait mon ami. [9,16] XVI. - SUR CHLOÉ Sur les tombes de ses sept maris, Chloé a inscrit qu'elles étaient son ouvrage : peut-on être plus naïf? [9,17] XVII. — SUR LA CHEVELURE D'EARINUS Ce miroir, conseiller de la beauté, ces souples cheveux ont été déposés comme présents consacrés au dieu de Pergame par cet enfant, le plus gracieux ornement de la cour du Maître, et dont le nom désigne la saison du printemps. Heureuse la contrée qui est jugée digne d'un tel présent ! Elle aimerait moins posséder la chevelure de Ganymède. [9,18] XVIII. — A ESCULAPE, SUR CETTE MÊME CHEVELURE Vénérable petit-fils de Latone, qui, par des herbes apaisantes, conjures les écheveaux des Parques et la rapidité de leurs fuseaux, c'est un de tes enfants qui, de la Ville latine, te fait hommage de ses cheveux loués par le Maître. A cette chevelure qu'il te consacre il a ajouté ce miroir brillant, image fidèle et complète de son gracieux visage. Conserve-lui en retour le charme de la jeunesse, afin que sa beauté ne soit pas moindre en cheveux courts qu'en cheveux longs. [9,19] XIX. A CÉSAR DOMITIEN Je possède, César, et je fais des voeux pour la posséder longtemps sous ton principat, une modeste campagne, et une maisonnette à la ville. Mais, d'une étroite vallée, une pompe tire péniblement les eaux pour les donner à mes jardins altérés. Et ma maison à sec se plaint de n'être pas rafraîchie par la moindre rosée, bien que la fontaine Martia murmure toute proche. L'eau que tu auras donnée à mes Pénates, César-Auguste, sera pour moi la fontaine de Castalie ou la pluie de Jupiter. [9,20] XX. - CONTRE SABELLUS Tu loues en trois cents vers les bains de Pontius, chez qui l'on dîne bien, Sabellus. Ce que tu convoites, Sabellus, ce n'est pas un bain, c'est un souper. [9,21] XXI. A DOMITIEN Ce sol, qui porte un temple ouvert à tout le monde et que recouvre le marbre et l'or, fut le témoin de l'enfance du souverain. Heureux ce sol, qui résonna de si nobles vagissements, qui vit et soutint le rampement de ses menottes. Là s'élevait la maison vénérable qui fournit au globe ce que Rhodes, ce que la pieuse Crète ont donné aux cieux étoilés. Les Curètes protégèrent la naissance de Jupiter en agitant leurs armes, telles qu'en pouvaient porter ces Phrygiens, moitiés d'hommes. Mais toi, César, c'est le père des dieux lui-même qui t'a protégé, non pas du javelot ni du bouclier, mais de la foudre et de l'égide. [9,22] XXII. — A AUCTUS Artémidore possède un mignon, mais il a vendu sa terre. Calliodore a payé du mignon le champ. Dis-moi, Auctus, qui des deux a fait la mauvaise affaire? Artémidore fait l'amour, Calliodore le laboure. [9,23] XXIII. A PASTOR Tu te figures peut-être, Pastor, que je désire la richesse pour ce qui la fait désirer vulgairement à la foule grossière, pour user mes hoyaux sur les mottes de Setia, pour entendre d'innombrables esclaves traîner leurs entraves dans les champs de Toscane, pour voir se dresser cent tables de Mauritanie sur des pieds d'ivoire libyens, pour avoir des lits étincelants de lames d'or, pour ne presser sous mes lèvres que de grands vases de cristal, et ne boire le noir Falerne que trempé de neige, pour faire suer l'esclave Syrien vêtu de laine de Canuse, sous ma litière assiégée d'une troupe de clients assidus, pour échauffer un convive éméché par la vue de mon jeune esclave, que je ne changerais pas pour Ganymède, enfin pour exposer mon manteau de pourpre aux éclaboussures d'une mule crottée et conduire à la baguette un cheval massylien? Rien de tout cela, j'en atteste les dieux et les astres. — Que veux-tu donc? — Donner, Pastor, et bâtir. [9,24] XXIV. A CARUS O toi qui as eu le bonheur de blondir sous l'or virginal, dis-moi, Carus, ce que tu as fait de ce trophée glorieux de Pallas. — Tu vois ce buste de marbre, brillante image du Maître? Eh bien ! ma couronne est venue d'elle-même se placer sur son front. Désormais le chêne sacré peut pâlir d'envie devant l'olivier du Mont Albain, puisque celui-ci, le premier, a couronné une tête invincible. [9,25] XXV. AU MÊME Quel artiste, en reproduisant les traits de l'empereur, a vaincu par le marbre de Latium l'ivoire de Phidias? Telle est la face, tels sont les traits de Jupiter dans sa majesté sereine. Tel est ce dieu, quand il tonne dans un ciel sans nuage. Pallas, mon cher Carus, ne t'a pas donné sa seule couronne. Elle t'a donné aussi l'image du Maître que tu adores. [9,26] XXVI. CONTRE AFER Chaque fois que je regarde ton Hyllus me versant à boire, tu me lances, Afer, un coup d'oeil furieux. Quel crime y a-t-il, je te prie, à regarder un charmant serviteur? Nous regardons bien le soleil, les astres, les temples, les dieux. Détournerai-je la tête, me voilerai-je les yeux et la face comme si c'était la Gorgone qui me tendît la coupe? Hercule était farouche, mais il permettait qu'on regardât Hylas. Mercure a licence de jouer avec Ganymède. Si tu ne veux pas que ton convive regarde tes jeunes serviteurs, n'invite, Afer, que des Phinées et des Œdipes. [9,27] XXVII. — SUR NERVA Oser adresser des vers à l'éloquent Nerva, c'est, Cosmus, comme si l'on te faisait présent du pâle glaucium, comme si l'on offrait des violettes et de blancs troènes au laboureur de Pestum et du miel de Corse aux abeilles de l'Hybla. Cependant la muse la plus modeste n'est pas sans quelque grâce. L'olive vile est recherchée, même après qu'on a servi le loup marin. Ne t'étonne donc pas, Nerva, si ma muse légère, consciente de sa faiblesse, appréhende ton jugement. Néron lui-même, dit-on, craignait ton oreille, lorsque dans sa jeunesse il mettait en scène devant toi ses badinages. [9,28] XXVIII. — CONTRE CHRESTUS Avec tes testicules épilés, ta verge pareille au cou d'un vautour, ta tête plus lisse qu'un derrière qui se prostitue, tes jambes où aucun poil ne tient, tes lèvres blanches que tu émondes sans cesse avec des pinces, tu parles comme les Curius, les Camille, les Quinctius, les Numa, les Ancus et tout ce que nous connûmes jamais de personnages barbus, tu éclates en paroles pompeuses et menaçantes, tu fais la guerre aux théâtres, au siècle. Se présente-t-il alors quelque jeune impudique, tout frais affranchi du pédagogue et dont le chirurgien a récemment débouclé le pénis turbulent, vite tu lui fais signe, et j'ai honte de dire, Chrestus, ce que fait alors ta langue de Caton. [9,29] XXIX. ÉPITAPHE DE LATINUS Doux ornement de la scène, honneur des jeux, je suis ce Latinus que vous avez tant applaudi, tant aimé, celui qui aurait pu attirer Caton au spectacle et dérider la gravité des Curius, des Fabricius. Ma vie n'a rien pris des habitudes du théâtre et je n'appartiens à la scène que par mon art. Sans moeurs, je n'aurais pu plaire au Maître, ce dieu qui voit jusqu'au fond des consciences. Appelez-moi, vous autres, le parasite d'Apollon porte-laurier, pourvu que Rome sache que je suis le serviteur de son Jupiter. [9,30] XXX. ÉPITAPHE DE PHILÉNIS Après avoir, comme Nestor, vécu des siècles, te voilà donc entraînée, Philénis, si vite vers les eaux infernales de Pluton? Tu ne comptais pas encore autant de jours que la Sibylle de Cumes : elle est morte plus vieille que toi de trois mois. Hélas ! quelle langue se tait ! Moins bruyants sont mille tréteaux où l'on expose les esclaves à vendre, moins bruyante la foule des adorateurs de Sérapis, la bande d'écoliers aux cheveux frisés qui courent de bon matin chez leur maître, moins étourdissants les cris des grues sur les bords du Strymon. Qui saura désormais évoquer la lune avec le rhombe thessalien? Quelle entremetteuse saura faire les affaires des couples? Que la terre te soit légère, qu'une mince couche de sable te recouvre, afin que les chiens ne soient pas empêchés de déterrer tes os. [9,31] XXXI. SUR LA PIÉTÉ CONJUGALE DE NIGRINA Antistius Rusticus est mort sur les rives barbares de la Cappadoce : ô terre coupable d'un crime odieux ! Nigrina, rapportant dans les plis de sa robe les ossements de son cher mari, se plaignait que la route ne fût pas plus longue, et, lorsqu'elle confia l'urne sacrée au tombeau dont elle est jalouse, il lui sembla qu'elle perdait une seconde fois son cher homme. [9,32] XXXII. - SUR LE VŒU DE VÉLIUS Tandis que Vélius accompagnait César dans son expédition contre les Sarmates, il fit voeu, pour assurer la victoire à son maître, de sacrifier à Mars cet oiseau. La lune n'avait pas encore parcouru huit fois sa carrière, que le dieu réclamait l'accomplissement du voeu. Joyeuse, l'oie se hâta de voler vers l'autel, et, modeste victime, elle s'abattit sur le foyer sacré. Tu vois ces huit pièces d'argent suspendues au bec aplati de l'oiseau? Elles étaient auparavant cachées dans ses entrailles. Une victime qui répand pour toi, ô César, l'argent au lieu de sang, nous enseigne que le fer désormais nous est inutile. [9,33] XXXIII. QUELLE MAITRESSE IL VEUT J'en veux une facile et courant çà et là, voilée du palliolum. J'en veux une éprouvée déjà par mon jeune esclave. J'en veux une qu'on ait tout entière pour deux deniers. J'en veux une qui suffise à elle seule à trois galants. Quant à celle qui réclame de l'or et qui fait de belles phrases, je l'abandonne au membre d'un épais Bordelais. [9,34] XXXIV. - A FLACCUS Quand tu entendras, Flaccus, des applaudissements dans un bain, sois sûr qu'il s'y trouve la verge de Morion. [9,35] XXXV. SUR LE TEMPLE DE LA FAMILLE FLAVIENNE En voyant le temple élevé par le divin César à la famille Flavienne, Jupiter ne put s'empêcher de rire du tombeau menteur qu'on éleva pour lui sur le mont Ida. Puis, comme il savourait, dans l'abandon du festin, le nectar à pleines coupes, et tendait la sienne à Mars son fils, il tourna les yeux à la fois vers Phébus et la soeur de Phébus, auprès desquels se trouvaient Hercule et le pieux Mercure, et leur dit : « Vous qui m'avez élevé ce monument à Cnosse, voyez comme il vaut mieux être le père de César. » [9,36] XXXVI. CONTRE PHILOMUSUS Voici le moyen dont tu te sers toujours, Philomusus, pour gagner un souper : tu inventes force nouvelles, que tu rapportes comme vraies. Tu sais ce qu'a décidé dans son Conseil le roi des Parthes, Pacorus. Tu dénombres l'armée du Rhin et celle de Sarmatie. Tu as décacheté la lettre à laquelle le chef Dace a confié ses ordres. Tu vois le laurier de la victoire avant qu'il arrive. Tu sais combien de fois le Ciel d'Égypte arrose les noirs habitants de Syène, combien de vaisseaux quittent le rivage de Libye, pour quelle tête poussent les oliviers de César, à quel vainqueur le père Céleste destine la guirlande triomphale. Enlève-moi les inventions, Philomusus. Aujourd'hui tu dînes chez moi, à une condition : ne pas raconter de nouvelles. [9,37] XXXVII. - ENTRETIEN DE GANYMÈDE ET DE JUPITER, AU SUJET D'EARINUS ET AUTRES MIGNONS DE DOMITIEN En voyant naguère le mignon ausonien faire couper ses cheveux, le mignon phrygien, illustres amours de l'autre Jupiter, dit à son maître : «Vois. Ce que ton César a permis à son adolescent, permets-le au tien, souverain maître du monde. Déjà mon premier duvet se cache sous mes longs cheveux et déjà Junon, pour se moquer de moi, me traite d'homme ». « Enfant chéri, lui répond le père des dieux, ce n'est pas moi, mais la force des choses même qui s'oppose à ce que tu réclames. Mon bien-aimé César a mille serviteurs aussi beaux que toi, et c'est à peine si son palais peut contenir cette troupe céleste. Mais si tes cheveux coupés te donnent l'air d'un homme, quel autre trouverai-je pour me verser le nectar? » [9,38] XXXVIII. - CONTRE GALLA Pendant que ton corps est chez toi, Galla, on s'occupe de ta parure dans la rue de Suburra, où l'on frise tes cheveux postiches. Chaque soir tu ôtes tes dents comme ta robe. Tes charmes sont renfermés dans cent boites de buis, et ton visage ne couche pas avec toi. Tu me fais pourtant de l'oeil avec ce sourcil qu'on t'apporte le matin et tu n'as pas honte de montrer une vulve chenue que tu peux déjà compter au nombre de tes aïeux. Tu as beau me promettre monts et merveilles, mon membre fait la sourde oreille et, tout borgne qu'il est, il te voit bien. [9,39] XXXIX. - A AGATHINUS Quoique tu te joues, agile Agathinus, des exercices les plus périlleux, tu ne parviendras pas à lâcher ce bouclier. Il te suit malgré toi et revient toujours, dans l'air subtil, se replacer ou sur ton pied, ou sur ton dos, ou sur ton derrière, ou sur ton ongle. La scène a beau devenir glissante sous une pluie de safran, le vent violent a beau secouer les toiles qui résistent, le bouclier se promène comme de lui-même sur tes membres infaillibles d'enfant et ni le vent ni la pluie ne nuisent à ta jonglerie. Quand tu voudrais manquer un coup, tu aurais beau faire, tu ne pourrais pas, et la chute de ton bouclier ne serait qu'un tour de plus. [9,40] XL. SUR L'ANNIVERSAIRE DE CÉSONIA Ce jour est le premier qui se leva pour le Dieu tonnant du Palatin, ce jour où Cybèle aurait voulu enfanter Jupiter. C'est en ce jour que naquit, pour mon cher Rufus, la chaste Césonia. Nulle jeune fille ne doit plus à sa mère. Son mari se réjouit du double bonheur qui comble ses désirs; puisque la chance veut qu'il ait deux raisons pour aimer ce jour. [9,41] XLI. - SUR DIODORE ET SUR LE VŒU DE PHILÉNIS SA FEMME Diodore ayant quitté le Phare pour venir à Rome recevoir les couronnes de chêne du Capitole, Philénis fit voeu, afin d'obtenir le retour de son époux, de se faire lécher par une jeune ingénue, telle que les aiment les chastes Sabines. Une affreuse tempête ayant mis son vaisseau en pièces, Diodore, lancé à l'eau et un moment submergé, dut au voeu de se sauver à la nage. O mari trop lent et trop paresseux ! Si ma maîtresse avait fait, du rivage, un pareil voeu, j'aurais été aussitôt de retour. [9,42] XLII. - CONTRE PONTICUS Ponticus, parce que tu ne fais jamais l'amour, que ta main gauche te sert de concubine, complaisante à tes désirs amoureux, tu ne crois pas mal faire? C'est un crime, crois-moi, un crime immense, inconcevable. Mais oui, d'un seul coup, le vieil Horace engendra ses trois fils, d'un seul coup Mars eut de la chaste Ilia deux jumeaux. C'en était fait de nous tous, si l'un et l'autre volupteux solitaires, eussent confié à leurs mains leurs honteux désirs. Crois-en la nature elle-même qui te dit : « Ce que tu gaspilles avec tes doigts, Ponticus, c'est un homme. » [9,43] XLIII. - PRIÈRE A APOLLON, EN FAVEUR DE SON AMI STELLA Riche des champs de Myrina, puisses-tu à jamais, Apollon, jouir de tes antiques cygnes ! Puissent les doctes Soeurs continuer à t'être dévouées et tes oracles de Delphes ne tromper personne ! Puisse le palais du Prince t'honorer et t'aimer ! Puisse César, prompt à exaucer ma prière, accorder à Stella les douze faisceaux ! Heureux alors, moi, et engagé envers toi par un voeu sacré, je conduirai auprès de tes autels rustiques, pour y être immolé, un jeune taureau aux cornes dorées. La victime est déjà née. Phébus, que tardes-tu? [9,44] XLIV. -- SUR UNE STATUE D'HERCULE Celui qui est assis sur ce bloc, dont il adoucit le rugueux avec sa peau de lion étendue, dieu grand dans ce bronze menu, lui qui, le visage tourné vers les astres, regarde le ciel qu'il a porté, lui qui presse de sa main gauche la massue, de la droite une coupe, n'est point une pièce d'aujourd'hui, une gloire de notre pays : tu vois un noble présent, un chef-d'oeuvre de Lysippe. Ce dieu figura sur la table du tyran de Pella, sitôt enseveli sous la terre qu'il avait conquise. Annibal enfant l'avait adjurée sur les autels de la Libye. C'est elle qui avait contraint Sylla à abdiquer la tyrannie. Dégoûté des cours, de leur orgueil et de leur terrorisme, il se plaît à habiter aujourd'hui un foyer privé et, comme il fut jadis le convive du placide Molorchus, il veut être aussi le dieu du savant Vindex. [9,45] XLV. - SUR LA MÊME STATUE Naguère, je demandais à l'Hercule de Vindex quel habile artiste l'avait ouvragé. Il se mit à rire (c'est assez son habitude) puis, branlant du chef : « Poète, me dit-il, ne sais-tu pas le grec? Regarde mon socle, un nom y est gravé. » Lysippe, ai-je lu. Je pensais lire : Phidias. [9,46] XLVI. - A MARCELLINUS Soldat prêt à partir pour les contrées hyperboréennes, à supporter les constellations paresseuses du ciel de Gétie, voilà que bientôt, Marcellinus, tes yeux verront la roche de Prométhée et ce mont fabuleux. Quand tu contempleras ces blocs, confidents éternels des plaintes du vieillard, tu diras : « Il fut encore plus dur qu'eux. » Et tu auras le droit d'ajouter : « Celui qui put ainsi souffrir, celui-là méritait de façonner le genre humain. » [9,47] XLVII. - CONTRE GELLIUS Gellius ne cesse de bâtir. Tantôt il pose une porte, tantôt il achète une serrure et y met une clef. Ses fenêtres, il les place, les déplace, les refait. Pourvu qu'il bâtisse, il n'y a rien qu'il ne fasse. Et cela, pour pouvoir dire à un ami qui lui demande de l'argent ce seul mot : « Je bâtis. » [9,48] XLVIII. - CONTRE PANNICUS Tu parles des Démocrite, des Zénon, de l'énigmatique Platon, et de tout ce lot de bonshommes hirsutes et crasseux, comme si tu étais le successeur de Pythagore, son héritier. Sans doute une barbe non moins longue te pend-elle au menton. Mais ce membre, si lent à se dresser chez les bouquins, si laid chez les poilus, tu le gardes volontiers, lorsqu'il est raide, entre tes fesses ramollies. Toi qui connais si bien les principes et la valeur des doctrines, dis-moi, Pannicus, y a-t-il une école pour les « passifs »? [9,49] XLIX. - CONTRE GALLICUS Quand tu me jurais par tes dieux, par ta tête, Gallicus, que j'hériterais d'un quart de ton bien, je te crus (doute-t-on jamais de ce qu'on désire?) et je te tenais les pieds chauds par des cadeaux sans arrêt. Entre autres, je t'envoyai un sanglier de Laurente, pièce rare : on eût cru le sanglier de Calydon. Alors, du coup, tu convoquas peuple et sénateurs, et les fines gueules de Rome rotent encore de mon sanglier. Et toi-même (qui le croirait?) je ne figurai point à la table, pas même comme le dernier des convives. On ne me donna pas même une côtelette, on ne m'envoya pas même un bout de queue. Comment espérer, Gallicus, un quart dans ta succession, quand ne m'est venue de toi pas même une once de mon sanglier? [9,50] L. - SUR UNE TOGE QUE PARTHÉNIUS AVAIT DONNÉE A MARTIAL La voilà, cette toge tant chantée dans mes vers, cette toge dont mes lecteurs savent l'histoire par coeur et qu'ils aiment. Elle me vient de Parthénius, ancien et mémorable présent poétique. Je me pavanais sous cette toge qui faisait valoir ma qualité de chevalier, quand sa laine encore neuve, encore blanche, brillait de tout son lustre, quand elle était digne du nom de son donateur. Vieille femme maintenant et à peine acceptable, même pour le plus transi des gueux, on pourrait l'appeler à bon droit une robe de neige. O longue suite de jours, ô années, que n'usez-vous pas ! Cette toge n'est plus celle de Parthénius, c'est la mienne. [9,51] LI. - CONTRE GAURUS Tu démontres, Gaurus, que je suis un génie étriqué, parce que je fais des poèmes qui plaisent par leur brièveté. D'accord. Mais toi, qui racontes en vingt livres les énormes batailles de Priam, tu es un grand homme. Nous autres, nous peignons au vif le mignon de Brutus et Lagon. Toi, Gaurus, grand homme, tu fais un géant d'argile. [9,52] LII. - SUR LUCANUS ET TULLUS Ce que tu demandais toujours aux dieux d'en haut en dépit de ton frère, ils te l'ont accordé, Lucanus : tu es mort avant lui. Mais lui est jaloux de toi, car, bien qu'il fût ton cadet, Tullus souhaitait d'aller le premier aux eaux du Styx. Maintenant que tu habites l'Elysée et ses agréables bocages, pour la première fois tu désires être sans ton frère. Et si l'un des Gémeaux vient à descendre, à son tour, du firmament, tu avertis Castor de ne point venir remplacer Pollux. [9,53] LIII. A QUINTUS OVIDIUS Crois-moi, Quintus, j'aime (car tu le mérites) les calendes d'avril qui t'ont vu naître, Ovidius, autant que j'aime les Calendes de Mars qui m'ont vu naître, moi. O jours heureux l'un et l'autre, jours dignes d'être marqués pour nous d'un caillou blanc ! L'un m'a donné la vie, l'autre un ami. C'est à tes Calendes, Quintus, que je dois le plus. [9,54] LIV. AU MÊME Pour ton anniversaire, Quintus, je voulais te faire un petit cadeau. Tu m'en empêches. C'est de la tyrannie. Il faut t'obéir : mais qu'il soit fait à chacun selon sa volonté. Or, pour nous plaire à tous deux, toi donne-moi quelque chose, Quintus. [9,55] LV. - A UN COUSIN Si, pour moi, la grive s'engraissait de l'olive du Picenum, si les bois de la Sabine étaient tendus de mes filets, si je n'avais qu'à allonger mon roseau pour amener une proie légère ou qu'à disposer des gluaux pour y prendre de gras oiseaux, notre cher cousinage me ferait t'offrir le cadeau solennel et tu aurais le pas sur mon frère, sur mon aïeul. Mais en fait ma campagne n'entend que l'étourneau du pauvre, les plaintes du pinson et le passereau criard, à la naissance du printemps. Ici le laboureur répond au salut de la pie, là, tout près, le milan rapace s'enlève au haut des airs. Nous t'envoyons donc de petits présents de ma petite basse-cour. Si tu t'en contentes, tu seras souvent mon parent. [9,56] LVI. - A FLACCUS En ce jour voué aux parentés, où l'on envoie des foules d'oiseaux, tandis que je prépare des grives pour Stella et pour toi, Flaccus, je vois accourir chez moi une immense cohue de fâcheux, dont chacun se prétend le premier dans mon coeur. Complaire à deux, tel est mon désir. En offenser plusieurs n'est pas sans danger. Envoyer des cadeaux à tous est onéreux. Eh bien ! Le seul moyen de contenter tout le monde, je le prendrai : je ne donnerai de grives, Flaccus, ni à Stella ni à toi. [9,57] LVII. — SUR SPENDOPHORUS Spendophorus, l'écuyer de notre Maître, part aux villes de Libye. Prépare, Cupidon, pour cet enfant les traits dont tu perces les coeurs des jeunes gens et des douces jeunes filles. Cependant, que sa tendre main ne porte qu'une lance légère. Garde pour toi cuirasse, bouclier et casque. Pour engager sans risque le combat, il n'a qu'à y aller tout nu. La lance ni l'épée ni la flèche n'ont blessé Parthénopée tant qu'il n'eut point de casque. Quiconque sera percé par Spendophorus mourra d'amour. Heureux celui qu'attend un destin si doux ! Reviens, tandis que tu es encore enfant, que ton visage est poli. C'est ta Rome, non la Libye, qui doit te faire homme. [9,58] LVIII. — CONTRE HÉDYLUS Rien n'est plus usé que la casaque d'Hédylus, ni les anses des vieux vases de Corinthe, ni la jambe polie par dix ans de fers, ni le cou écorché d'une mule éreintée, ni les ornières qui sillonnent la voie Flaminienne, ni les galets qui brillent sur le rivage, ni le hoyau toscan fourbi en fouillant la vigne, ni la toge déteinte, linceul d'un gueux, ni la roue meurtrie du charretier nonchalant, ni le flanc du bison pelé contre le mur de l'étable, ni le vieux boutoir du farouche sanglier. Il y a pourtant une chose — lui-même n'osera le nier — plus usée que le pardessus d'Hédylus, c'est son derrière. [9,59] LIX. A LA NYMPHE DE SABINUS Reine d'une eau sacrée, nymphe, à qui Sabinus vient d'élever - pieux présent de gratitude - un temple durable, puisse la montueuse Ombrie toujours honorer ta source, et les habitants de ta chère Sarsina ne jamais lui préférer les eaux de Baïes ! Reçois avec indulgence mes ouvrages, jaloux d'un tel honneur : tu seras pour ma muse la fontaine de Pégase. Celui qui offre ses vers aux temples des Nymphes indique lui-même ce qu'on doit faire de ses livres. [9,60] LX. CONTRE MAMURRA Après avoir beaucoup et longtemps flâné dans ces bazars, où Rome, toute en or, exhibe ses richesses, Mamurra passe en revue de tendres esclaves et les mange des yeux, non pas ceux qui sont exposés sur le devant des boutiques, mais ceux qu'on tient en réserve dans des loges cachées de l'estrade et que ne voient ni le peuple ni la tourbe des gens comme moi. Rassasié, il passe de cet examen à celui des tables, en découvre le plateau puis demande un meuble en ivoire massif et placé tout en haut. Après avoir pris quatre fois la mesure d'un lit à six places incrusté d'écaille, il se désole de ce qu'il n'est pas assez grand pour sa table de citronnier. Il consulte ses narines pour s'assurer si ces vases sentent le bronze de Corinthe, et on l'entend, Polyclète, critiquer même tes statues. Il se plaint qu'on ait gâté par le mélange d'un peu de verre la pureté des cristaux, et pourtant il a noté et mis de côté dix cassolettes à myrrhe. Il marchande des corbeilles antiques et, s'il y en a, des coupes illustrées par la main de Mentor. Il compte les émeraudes enchâssées dans un vase d'or et ces pendants énormes qui tintent aux oreilles de neige des femmes. Il cherche sur chaque table de vraies sardoines et met un prix aux jaspes les plus gros. Enfin quand, à la onzième heure, la fatigue met fin à sa revue, il achète pour un as deux gobelets et les emporte lui-même. [9,61] LXI. - ENVOI D'UNE COURONNE DE ROSES A SABINUS Soit que tu aies vu le jour dans les campagnes de Pestum ou de Tibur, soit que la terre de Tusculum ait rougi sous tes fleurs, soit qu'une fermière t'ait cueillie dans un jardin de Préneste, soit que tu viennes d'être la gloire des plaines de la Campanie, couronne, pour que tu sembles plus belle à notre cher Sabinus, laisse-lui croire que tu viens de ma campagne de Nomente. [9,62] LXII. - SUR LE PLATANE DE CÉSAR Dans les terres de Tartesse est une demeure illustre, à l'endroit où, la riche Cordoue se plaît sur les bords du paisible Bétis, où, revêtues toutes vivantes d'une couche d'or, les toisons des troupeaux de 1'Hespérie s'éclairent des teintes fauves du métal que produit le fleuve. Au milieu de ce palais, s'élève un platane dont l'épaisse chevelure ombrage tout l'édifice. C'est le platane de César. C'est l'heureuse main de cet hôte invincible qui l'a planté, qui en a fait croître les premiers jets. A la richesse de sa verdure, à la hauteur de ses rameaux qui se tendent vers les astres, cet arbre-forêt semble sentir son maître. Souvent, sous cet arbre, les faunes ivres ont folâtré et troublé de leur flûte tardive le silence du palais. Souvent ses feuillages ont servi de retraite à la dryade rustique, fuyant à travers les champs solitaires les poursuites nocturnes de Pan. Souvent les lares qu'elle abrite ont exhalé l'odeur des libations bachiques et ses ombrages ont dû au vin répandu sur le sol de pousser plus abondants. Là aussi l'herbe se joncha de couronnes de roses et nul ne put dire le lendemain qu'il les y eût déposées. Arbre chéri des dieux, arbre du grand César, ne crains pas la hache ni la flamme sacrilège. Tu as le droit d'espérer l'honneur d'un feuillage éternel : ce ne sont pas des mains pompéiennes qui t'ont planté. [9,63] LXIII. - SUR PHILÉNIS Si Philénis porte nuit et jour des vêtements de pourpre, ce n'est pas qu'elle soit ambitieuse ni vaine : elle en aime l'odeur, non la couleur. [9,64] LXIV. - CONTRE PHÉBUS Tous les débauchés t'invitent à dîner, Phébus. Celui qui vit de son membre n'est pas, que je sache, un homme pur. [9,65] LXV. - SUR UNE STATUE DE CÉSAR DOMITIEN César, ayant daigné descendre jusqu'à prendre les traits du grand Hercule, fonde un temple nouveau sur la Voie Latine, à l'endroit où le voyageur qui va visiter le bois sacré de Diane compte qu'il est à huit bornes de la Ville Souveraine. Auparavant Hercule était honoré par des offrandes et des flots de sang. Maintenant c'est lui-même qui s'abaisse pour honorer un autre Alcide plus grand que lui. A celui-ci les uns demandent des richesses, les autres des honneurs. A celui-là on peut, sans crainte de le blesser, adresser des voeux moindres. [9,66] LXVI. - A HERCULE, SUR LA MÊME STATUE Alcide, toi que le Jupiter Tonnant du Latium doit maintenant reconnaître, depuis que tu offres les beaux traits du dieu César, si tu avais eu ce visage et ce port, lorsque tant de monstres farouches cédèrent à tes mains, les peuples ne t'auraient pas vu obéir en esclave au tyran de l'Argolide et subir une cruelle tyrannie. C'est toi, au contraire, qui aurais donné des ordres à Eurysthée, et l'hypocrite Lichas ne t'eût point apporté le perfide présent de Nessus. Affranchi du bûcher de l'OEta, dont le destin t'infligea la rigueur, tu serais remonté sauf aux cieux où règne ton père souverain. Tu n'aurais point, en Lydie, tourné le fuseau d'une maîtresse orgueilleuse ni vu le Styx et le chien du Tartare. Aujourd'hui Junon t'est propice. Aujourd'hui ton Hébé te chérit. Aujourd'hui, si elle te voyait, la Nymphe qui t'a pris ton Hylas te le rendrait. [9,67] LXVII. A FABULLUS Époux d'une femme belle, chaste et jeune, pourquoi, Fabullus, solliciter le privilège de père de trois enfants? Ce que tu demandes avec force suppliques à notre maître et dieu, tu te le donneras bien toi-même, si tu n'es pas impuissant. [9,68] LXVIII. CONTRE ESCHYLUS J'ai possédé toute la nuit une fille de joie qui n'a pas son égale en fait d'espiègleries. Las de mille ébats : «Veux-tu, lui dis-je, faire le petit garçon? » Sans se faire prier, au premier mot, elle accepte. Puis, moitié riant, moitié rougissant je lui demande quelque chose de plus malhonnête. Sans hésiter la polissonne me le promit. Pourtant elle est sortie propre de mes bras. Elle ne sortira pas ainsi des tiens, Eschylus. Mais, si tu la veux, je te la donne. Triste ménage... [9,69] LXIX. CONTRE UN MAITRE D'ÉCOLE Qu'avons-nous à faire avec toi, coquin maître d'école, tête odieuse aux garçonnets et aux fillettes? Le coq, dressant sa crête, n'a pas encore rompu le silence, que déjà tonnent ton affreuse musique et tes fouets. Aussi pesant résonne le bronze martelé sur l'enclume, lorsque le forgeron fixe sur un cheval la statue d'un avocat. Plus doux sont les cris frénétiques de l'amphithéâtre, quand le bouclier du vainqueur est applaudi par ses partisans. Nous ne te demandons pas, nous tes voisins, un somme d'une nuit entière, car c'est peu de chose qu'une veille de quelques heures. Mais une nuit blanche est un supplice. Renvoie tes élèves. Veux-tu, bavard, que l'on te donne pour te taire autant que tu reçois pour brailler? [9,70] LXX. CONTRE POLYCHARMUS Quand tu as fini de besogner une femme, Polycharmus, tu as coutume d'aller te soulager le ventre. Quand on te besogne, Polycharmus, que fais-tu? [9,71] LXXI. - CONTRE CÉCILIANUS « O temps ! O moeurs ! » s'écriait jadis Cicéron, alors que Catilina montait son complot sacrilège, que le gendre et le beau père tournaient l'un contre l'autre leurs armes funestes et que la terre affligée se mouillait du sang des guerres civiles. Pourquoi redis-tu maintenant : «O temps ! O moeurs ! » Qu'y a-t-il qui te déplaise, Cécilianus? Point d'ambition farouche, point de folie meurtrière. Il nous est loisible de goûter une paix certaine. Nous sommes comblés. Ce ne sont pas nos moeurs qui tachent ces temps dont tu te plains : ce sont les tiennes. [9,72] LXXII. SUR UN LION ET UN BÉLIER Merveilleux attachement qui unit ce lion, gloire des monts Massyliens, et ce bélier ! Voyez-les plutôt, habitant la même loge et prenant l'un et l'autre une égale pâture. Ils dédaignent les produits des forêts et les doux herbages : une simple brebis rassasie leur faim commune. Qu'ont fait de si méritoire la terreur de Némée et le ravisseur d'Hellé, pour briller en constellation au zénith? Si les bêtes fauves et les bêtes à laine pouvaient mériter de devenir des astres, ils en seraient dignes, ce bélier, ce lion. [9,73] LXXIII. - A LIBER Liber, toi dont le front s'est orné de la couronne d'Amyclée et dont le poing romain frappe des coups dignes d'un Grec, quand tu m'envoies mon casse-croûte enfermé dans un panier, pourquoi nul flacon ne vient-il escorter la mangeaille? Et pourtant, si tu faisais des présents dignes de ton nom, tu n'ignores pas, je pense, ceux que tu aurais à me faire. [9,74] LXXIV. - CONTRE UN SAVETIER Toi qui passais ton temps à allonger de vieux cuirs avec tes dents et à mordre des semelles pourries et usées par la boue, tu tiens aujourd'hui le domaine dont tu as dépossédé ton patron et qui n'avait pas le moindre coin digne de toi. Saoûl d'ardent Falerne, tu brises les cristaux et tu t'excites avec le Ganymède de ton maître. Et moi, mes parents ont eu la sottise de me faire étudier les lettres ! Qu'avais-je besoin de grammairiens et de rhéteurs? Brise ta plume légère, Thalie, déchire tes livres, puisque tout cela, un bouif peut le gagner avec un godillot. [9,75] LXXV. - SUR LE PORTRAIT DE CAMONUS La peinture ne nous a transmis que l'image de Camonus enfant et c'est le premier aspect d'un bébé qui nous reste. Si elle ne l'a pas fixé dans la fleur de l'âge, c'est que, dans sa tendresse, le père de Camonus a redouté la vue d'un visage muet. [9,76] LXXVI. SUR LE BAIN DE TUCCA Pas de pierre dure, pas de moellon de fondation, pas de cette brique cuite, dont Sémiramis entoura interminablement Babylone, rien de tout cela dans le bain construit par Tucca, mais des monceaux de bois, un vrai vaisseau de pins, au point que Tucca pourrait se figurer qu'il navigue dans sa baignoire. D'autre part le richard a édifié des thermes somptueux, tout en marbre venu de Caryste, de Synnas en Phrygie, envoyé de l'Africaine Numidie, lavé par les eaux glauques de l'Eurotas. Mais le bois manque : place donc, Tucca, le bain sous les thermes. [9,77] LXXVII. - SUR LE PORTRAIT DE CAMONUS Le portrait que vous voyez est celui de mon cher Camonus. Tels étaient ses premiers traits, sa figure d'enfant. Vingt années de croissance avaient rendu plus mâle ce visage. La barbe se plaisait à estomper ses joues, dont le rasoir avait, une fois seulement, effleuré le teint chaud, quand, jalouse, une des trois Parques coupa précocement la trame de sa vie. Une urne rapporta à son père la cendre de son fils mort loin de lui. Mais, pour que la peinture ne soit pas seule à nous parler de cet enfant, mes vers en feront un plus sûr portrait. [9,78] LXXVIII. SUR LE FESTIN DE PRISCUS Priscus dans une page éloquente discute sur le meilleur festin. Gracieux ou sublime, tout ce qu'il dit est d'une savante inspiration. Quel est, demandez-vous, le meilleur festin? Celui où il n'y a pas de joueurs de flûte. [9,79] LXXIX. - A PICENTINUS Après avoir enterré sept maris, Galla t'épouse. Picentinus : Galla, je pense, veut aller rejoindre ses maris. [9,80] LXXX. - A DOMITIEN Avant ton principat, Rome haïssait les valets des princes, les tyrans en sous-ordre et toute la morgue Palatine. Mais maintenant, César, on a tant d'amour pour toute ta maison, Auguste, que chacun ne se soucie plus, en premier lieu, de la sienne. Tant ils ont de douceur, de déférence, de placidité, de réserve ! Personne n'a de caractère à soi (c'est le propre d'une cour puissante). Tous ont le caractère de César leur maître. [9,81] LXXXI. - SUR GELLIUS Pauvre, et le ventre vide, Gellius a épousé une riche vieille. Gellius a la pâture, mais aussi le reste. [9,82] LXXXII. - A AUCTUS Lecteur et auditeur, Auctus, goûtent mes ouvrages. Mais certain poète les déclare médiocres. Peu m'en chaut : j'aimerais mieux que les plats de ma table plaisent aux convives qu'aux cuisiniers. [9,83] LXXXIII. - CONTRE MUNNA Un astrologue avait prédit que tu mourrais vite, et, selon moi, il disait vrai. Car, dans ta crainte de rien laisser après toi, tu as épuisé à faire la noce tout ton patrimoine. Deux millions de sesterces ont fondu en moins d'un an. Dis-moi, Munna, n'est-ce pas là mourir vite? [9,84] LXXXIV. - A CÉSAR DOMITIEN Au milieu des merveilles de ton amphithéâtre, César, qui surpasse en éclat les munificences des anciens chefs, les yeux reconnaissent te devoir beaucoup, mais les oreilles plus encore, parce que les acteurs habituels sont devenus spectateurs. [9,85] LXXXV. - A NORBANUS Alors que, pieusement fidèle à César, tu te tenais, Norbanus, devant lui pour le défendre contre des fureurs sacrilèges, moi, bien à l'abri, à l'ombre chère aux poètes, moi profiteur notoire de ton amitié, je m'amusais à écrire ces vers. Au pays des Vindélices on te racontait que j'étais mort. Ainsi le Nord n'ignorait plus mon nom. Oh ! que de fois, songeant à ton ancien ami, t'es-tu dit : « C'est lui, c'est mon poète ! » Ces poésies que le lecteur, pendant six ans, n'a offertes que par bribes à ton oreille, l'auteur t'en offre aujourd'hui le recueil. [9,86] LXXXVI. - SUR PAULLUS Si d'aventure notre ami Paullus est souffrant, Atilius, ce n'est pas lui, mais ses convives qu'il met à la diète. Cette maladie subite dont tu es atteint est une comédie : le vrai, c'est que ma sportule, Paullus, est à l'eau ! [9,87] LXXXVII. SUR LA MORT DE SÉVÉRUS SILIUS Tandis que Silius, si glorieux pour l'Ausonie comme poète et comme orateur, déplorait la fin prématurée de son cher Sévérus, je mêlais mes plaintes à celles d'Apollon et des Muses : « Moi-même, disait Apollon, j'ai pleuré Linus », et se tournant vers sa chère Calliope, qui était la plus près de lui : « Toi aussi tu as ta blessure. » Vois le dieu du Capitole, le porte-foudre du Palatin. La funeste Lachésis a osé blesser l'un et l'autre Jupiter. Quand on voit les dieux soumis comme nous aux destins inflexibles, comment être jaloux d'eux? [9,88] LXXXVIII. - A LUPERCUS C'est quand j'ai vidé sept grands verres d'Opimianus et vautré mon balbutiement dans une coupe bien tassée que tu m'apportes je ne sais quelles tablettes, en me disant : « Je viens d'affranchir Nasta (le jeune esclave qui me vient de mon père). Mets ton sceau.» Cela se fera mieux demain, Lupercus. Maintenant le sceau de mon anneau est pour la bouteille. [9,89] LXXXIX. A RUFUS Quand tu voulais m'attirer, tu m'envoyais des présents. Maintenant que tu m'as conquis, Rufus, tu ne me donnes plus rien. J'y avais été pris. Veux-tu me retenir? Fais-moi des cadeaux. Autrement le sanglier mal nourri s'échappe de sa cage. [9,90] XC. A STELLA Trop dure loi que celle où tu soumets ton convive, Stella: tu veux à toute force des vers? Soit! Tant pis s'ils sont mauvais. [9,91] XCI. — A FLACCUS Couché sur un gazon fleuri, près d'un ruisseau dont l'eau soulevée roule çà et là sur les rives chatoyantes les cailloux, à l'écart de tous les fâcheux éconduits, la tête couronnée de roses, verse ton vin frappé de glace. Jouis seul d'un mignon et du désir qu'a de toi une fille pudique. Mais, je t'avertis et te conjure, Flaccus, méfie toi des chaleurs excessives de Chypre la perfide, alors que l'aire broie les moissons qui craquent et que sévira la crinière fauve du Lion. Et toi, déesse de Paphos, rends-nous, rends à nos voeux, sans blessures, ce jeune homme. Puissent les Calendes de Mars t'être toujours consacrées ; Puissent, avec l'encens, le vin pur et les victimes, t'être offerts sur tes blancs autels de nombreux quartiers de gâteaux. [9,92] XCII. FLATTERIE A DOMITIEN Si l'on venait en même temps m'inviter à dîner aux deux Olympes, ici avec César, et là-haut avec Jupiter, le ciel fût-il plus près et le palais impérial plus loin, voici la réponse que je ferais transmettre aux dieux : « Cherchez un convive qui préfère la table de votre Porte-Foudre. Mon Jupiter à moi me retient ici-bas. » [9,93] XCIII. - A CONDYLUS Toi qui gémis de ton long esclavage, Condylus, tu ignores quels sont les ennuis du maître et les avantages de l'esclave. Une natte vile t'assure le sommeil et vois : couché sur la plume, Caïus ne ferme pas l'oeil. Caïus, dès le point du jour, va saluer en tremblant des maîtres tant et plus. Toi, Condylus, tu ne salues même pas le tien. « Caïus », crient d'un côté Phébus et de l'autre Cinnamus, « paie-moi ce que tu me dois ». Personne, Condylus, ne te dit cela. Tu crains les corrections, Caïus a pieds et mains tenaillés par la goutte; il aimerait mieux subir mille coups de verge. Ne pas vomir le matin, Condylus, ne pas lécher les charmes d'une femme, voilà pour toi qui vaut mieux que de vouloir être trois fois Caïus. [9,94] XCIV. — A CALOCISSUS Jeune esclave, pourquoi cesses-tu de verser l'immortel Falerne? Puise au plus vieux tonneau et remplis six fois ma coupe. Maintenant, dis-moi, quel sera celui des dieux en l'honneur de qui je te prie de verser ces six rasades? Ce sera César. Accrochons à nos cheveux dix couronnes de roses, pour épeler le nom de celui qui a élevé un temple à son illustre race. Et maintenant donne-moi dix baisers, pour épeler le surnom que notre Dieu a rapporté du monde nordique. [9,95] XCV. SUR HIPPOCRATE Hippocrate m'a fait boire une coupe de potion à l'herbe de Saintonge. Quel front ! il me demande du vin miellé. Tu ne fus pas aussi sot, à ce que je crois, Glaucus, lorsque tu donnas du bronze à qui t'offrait de l'or. Il veut comme cadeau du doux pour de l'amer? Il l'aura, mais à condition de le boire avec de l'ellébore. [9,96] XCVI. — SUR ATHENAGORAS Athénagoras était Alphicus. Il se mit, en prenant femme, à devenir Olficus. Crois-tu, Callistrate, qu'Athenagoras soit son vrai nom? — Que je meure, si je sais ce qu'est Athenagoras. — Mais je crois, Callistrate, dire son vrai nom. — Alors, ce n'est pas moi qui me trompe, c'est votre Athénagoras. [9,97] XCVII. — SUR HÉRODE Le médecin Hérode volait la tasse d'un malade. Pris sur le fait : « Malheureux ! quelle imprudence de vouloir boire!», dit-il. [9,98] XCVIII. A JULIUS Certain individu crève de jalousie, mon très cher Julius, de ce que Rome me lit. Il crève de jalousie. Il crève de jalousie de ce que toujours la foule me désigne du doigt. Il crève de jalousie. Il crève de jalousie de ce que l'un et l'autre César m'a accordé les privilèges de père de trois enfants. Il crève de jalousie. Il crève de jalousie de ce que j'ai une gentille maison de banlieue et un pied-à-terre en ville. Il crève de jalousie. Il crève de jalousie de ce que je suis cher à mes amis, le et convive recherché. Il crève de jalousie. Il crève de jalousie de ce qu'on m'aime et m'applaudit. Ah ! puisse-t-il crever, celui qui crève de jalousie. [9,99] XCIX. - A QUINTUS OVIDE Le rendement des vendanges n'a pas été nul partout, Ovide, on a mis à profit les grandes pluies. Coranus a fait cent amphores d'eau. [9,100] C. - A ATTICUS, SUR MARCUS ANTONIUS Marcus Antonius aime mes vers, Atticus, à en croire sa lettre flatteuse, Marcus, pure gloire de Toulouse chère à Pallas, Marcus qui naquit dans le calme, fils de la paix. Toi qui peux supporter les frais d'un long voyage, pars, mon livre, gage d'une amitié qui résiste à l'absence. Tu ne vaudrais pas cher, je l'avoue, si maintenant quelque marchand t'expédiait. Ta valeur vient de ce que tu es un hommage de l'auteur. Il est bien différent, crois-moi, de boire d'une eau courante ou d'une eau qui s'engourdit dans un lac paresseux. [9,101] CI. - CONTRE BASSUS Tu m'invites à un repas de trois deniers, Bassus, et tu veux que dès le matin, en toge, je fasse chez toi anti-chambre, qu'ensuite, pendu à ton côté ou précédant ta chaise, je t'accompagne chez dix ou douze veuves. Certes elle ne vaut plus grand chose, ma pauvre toge râpée, en loques. Telle qu'elle est cependant je n'aurais pas la pareille pour trois deniers. [9,102] CII. - FLATTERIES A DOMITIEN Voie Appienne, toi que la figure vénérable de César sous les traits d'Hercule a consacrée, ô toi, la plus célèbre de toute les routes italiennes, si tu désires connaître les travaux du premier Hercule écoute-moi : il soumit la Libye, il enleva les pommes d'or, il dénoua la ceinture de l'Amazone armée du bouclier scythe et ajouta la dépouille du lion à celle du sanglier d'Arcadie. Il délivra les forêts de la biche aux pieds d'airain et les airs des oiseaux du lac Stymphale. Il revint des eaux du Styx avec Cerbère enchaîné, empêcha que l'Hydre continuât à revivre et fit baigner dans le fleuve toscan les boeufs de l'Hespérie. Voilà les exploits d'Alcide le Petit. Voici maintenant ceux d'Alcide le Grand, de celui qu'on adore à six milles d'Albe, la haute ville. Il a sauvé le palais impérial des mains d'un usurpateur. Il a fait, jeune encore, la guerre pour Jupiter qui le protégeait. Puis, tenant seul les rênes du pouvoir des Jules, il le résigna, se contentant de la troisième place dans cet univers qui était à lui. Trois fois, sur les bords du Danube, il écrasa les perfides bandes Sarmates. Trois fois il plongea dans les neiges de la Gétie son cheval suant. Que de triomphes il a refusés! Il n'a rapporté qu'un nom de ses victoires du Nord. Il a donné des temples aux dieux, des moeurs aux peuples, du relâche au glaive, le ciel à sa famille, des astres au firmament, des couronnes à Jupiter. Pour de si hauts faits, c'est trop peu de la divinité d'Hercule. C'est à Jupiter Capitolin de prendre les traits de César ! [9,103] CIII. — A PHÉBUS Tu me rends, Phébus, un billet de quatre cent mille sesterces. Prête m'en plutôt cent mille autres. Va te vanter ailleurs d'un si misérable service : ce que je ne puis te payer, Phébus, est à moi. [9,104] CIV. - SUR DES FRÈRES JUMEAUX Quelle nouvelle Léda t'a enfanté ces deux serviteurs si ressemblants? Quelle Lacédémonienne a été surprise nue par un autre cygne? Pollux a donné ses traits à Hiéron, Castor à Asillus, et sur le visage de chacun brillent les charmes d'Hélène, la soeur de Tyndare. Si cette beauté que voici avait paru dans Amyclée de Thérapné, en Laconie, quand de moindres avantages causèrent la défaite de deux déesses, tu ne serais pas partie, Hélène, et Pâris le Dardanien serait retourné vers l'Ida Phrygien avec ce couple de Ganymèdes.