[1,4] De l'utilité de l'amour. Jusques ici nous avons parlé de son origine et noblesse. J'estime qu'il est maintenant temps de disputer de fon utilité. Et certainement il serait superflu de raconter tous les bénéfices que l'amour apporte a toute la génération humaine, même les pouvons tous réduire en un bref sommaire. Parce que l'office de la vie humaine consiste en ce point, c'en que nous nous éloignions du mal, et nous approchions du bien. Le mal de l'homme est, ce qui est déshonnête, et ce qui est son bien est ce qui est honnête. Sans doute toutes les lois et disciplines ne s'efforcent pour autre fin que pour donner aux hommes telles institutions de vie, qu'ils se gardent des choses viles et déshonnêtes, et mettent les honnêtes à exécution. A quoi peuvent à peine atteindre finalement après un long espace de temps les lois et sciences presque innumérables : et ici le simple amour en bref le met à effet. Parce qu'il met en arrière la vergogne des choses laides et le désir de l'être excellent attire les hommes aux choses honnêtes. Les hommes ne peuvent obtenir ces deux choses avec plus grande facilité et promptitude par un autre moyen que par amour. Or quand nous disons amour, entendez le désir de beauté: parce que telle est à l'endroit de tous les philosophes la définition d'amour et la beauté est une certaine grâce, laquelle principalement et le plus souvent naît de la correspondance de plusieurs choses. Laquelle correspondance est de trois sortes. Parce que la grâce, qui est en âmes, est par là correspondance de plusieurs vertus . Celle qui est en corps naît par la concorde de plusieurs couleurs et lignes. Il y a encore une fort grande grâce en sons par la consonance de plusieurs voix. Donc la beauté est de trois manières, c'est-à-dire, des âmes, des corps et et des voix. Celle de l'âme se connaît seulement avec l'entendement. Celle des corps avec les yeux. Celle des voix ne se comprend point avec autre chose qu'avec les oreilles. Considère donc que l'entendement et la vue et l'ouïe font les choses avec lesquelles seules nous pouvons jouir de cette beauté et que l'amour est désir de jouir de la beauté : l'amour toujours est content de la pensée, des yeux et des oreilles. Or que lui est-il besoin de flairer, de goûter ou de toucher, attendu que tels sens ne sont autre chose qu'odeurs, faveurs, chaud et froid, mol et dur, ou semblables choses ? Donc aucune de ces choses, puisqu'elles sont simples formes, n'est la beauté humaine. De même considère que la beauté du corps humain requiert une concorde de membres divers et l'amour regarde la jouissance de la beauté comme son but et fin. Cela seulement appartient à la pensée, à la vue et à l'ouïe. Donc l'amour se borne et termine en ces trois choses. Et l'appétit, qui suit les autres sens, n'est pas amour mais plutôt se nomme désir libidineux ou rage. En outre si l'amour envers l'homme désire la beauté humaine, et la beauté du corps humain consiste en une certaine correspondance et la correspondance est une certaine tempérance: il s'enfuit que l'amour n'appelle autre chose, sinon celles qui sont tempérées, modestes, et honorables. Et les plaisirs du goût et du touchement qui sont volupté, c'est-â-dire, plaisirs tant véhéments et furieux, qu'ils chassent l'entendement de son propre état et repos, et pertroublent l'homme, tant s'en faut que l'amour les désire, que plutôt il les a en abomination et les fuit, comme choses qui par leur intempérance sont contraires la beauté. La rage Vénérienne, c'est à savoir, la luxure, tire les hommes à l'intempérance et par conséquent à la non correspondance. Ce qui par semblable semble tirer à la déformité, c'est-à-dire, laideur et déshonnêteté et amour à la beauté. La déformité et la beauté sont contraires. Donc ces mouvements qui nous ravissent à la déformité et à la beauté, apparaissent aussi être entre eux contraires. A cette cause, l'appétit de l'embrassement et l'amour, non seulement ne sont pas mêmes mouvements mais aussi se démontrent être contraires. Ce que témoignent les antiques théologiens, lesquels ont attribué à Dieu le nom d'amour. Laquelle chose encore les théologiens chrétiens souverainement confirment et aucun nom commun avec les choses déshonnêtes n'est à Dieu convenable. Et pourtant chacun, qui est de sain entendement, se doit garder que l'amour, nom certainement divin, ne soit sottement transféré aux folles perturbations. Soit donc honteux Dicéarque et quelconque autre d'oser reprendre la majesté de Platon d'avoir trop attribué à l'amour. Car aux affections honnêtes, honorables et divines, tant s'en faut que nous puissions trop attribuer, que nous n'y saurions pas atteindre à suffisance . D'ici naît que tout amour est honnête, et tout amoureux est juste parce que tout amour est beau et bienséant, et aime proprement les choses qui lui sont semblables. Mais l'embrasement effréné, duquel nous sommes tirés aux actes lascifs, comme ainsi soit qu'il tire à la déformité, il se juge être contraire à la beauté'. Afin donc que nous retournions quelques-fois à l'utilité d'amour, la crainte de l'infamie, qui nous éloigne des choses déshonnêtes, et le désir de la gloire qui nous rend chauds et hardis aux entreprises honorables, promptement et allègrement procèdent de l'amour. Et premièrement d'autant que l'amour appelle les choses belles, toujours il désire les louables et magnifiques et celui, qui a en haine les déformes, il est nécessaire qu'il fuie toujours les déshonnêtes et laides. Davantage si deux ensembles s'entraînent, ils se respectent l'un l'autre avec diligence, et désirent de se pouvoir plaire mutuellement ; en tant que l'un est de l'autre respecté, comme ceux qui ne manquent jamais de témoignage, toujours ils se gardent des choses déshonnêtes ; en tant que chacun s'efforce de complaire à l'autre, toujours avec toute sollicitude et diligence ils se mettent entre les magnifiques, afin qu'ils ne soient pas en mépris de la chose aimée, ainsi soient-ils estimés dignes d'amour réciproque. Or Phèdre démontre copieusement cette raison, et met trois exemples d'amour, l'un de la femelle énamourée du mâle, où il parle d'Alceste femme d'Admète, laquelle fut contente de mourir pour son mari, l'autre de mâle énamouré de femelle, comme fut Orphée d'Eurydice. Le troisième exemple d'homme à homme, comme fut Patrocle d'Achille, là où il démontre qu'il n'y a aucune chose qui, tant que l'amour, rende les hommes forts. Mais nous ne rechercherons pas pour le présent l'allégorie d'Alceste ou d'Orphée, parce que ces choses les récitant comme histoires, montrent beaucoup plus la force et l'empire d'amour, que non pas en les voulant donner à tels sens allégoriques. Donc nous confessons du tout qu'amour est un grand Dieu et admirable et encore noble et très utile, et de telle manière travaillons à l'amour que de sa fin, qui est la beauté, nous puissions demeurer contents. On jouit de cette beauté avec cette partie seulement par laquelle elle est connue : par l'entendement, par la vue et l'ouïe nous la connaissons. Donc avec ces trois nous en pouvos jouir avec les autres sens, non la beauté, laquelle désire amour, mais plutôt nous possédons quelque autre chose dont le corps a besoin. Donc avec ces trois nous chercherons la beauté et par celle qui se montre en corps, ou en voix, comme par certaines traces, c'est-à-dire, moyen convenable, nous rechercherons celle de l'âme. Nous louerons la corporelle et elle nous l'approuverons et toujours nous efforcerons d'observer qu'aussi grand soit l'amour comme est grande la beauté et où non l'âme, mais seulement le corps serait beau, et lui aimerons-nous comme ombre et caduque image de la beauté c'est-à-dire légèrement et sans nous y arrêter. Là où seulement l'âme serait belle, lors aimons ardemment ce perpétuel ornement de l'âme. Et ou l'une et l'autre beauté se rencontrerait ensemble véhémentement nous en prendrons admiration. Et ainsi procédant, nous démontrerons en vérité que nous sommes famille Platonique, laquelle certainement ne pense rien que choses gaies, célestes, et divines. Or que ceci suffise quant à l'oraison de Phèdre, venons maintenant a Pausanias.