TIMOLAOS 4. Ah ! je me rappelle à présent, Samippos, à quel endroit Adeimantos est resté en arrière de nous. C'est lorsque nous nous sommes arrêtés quelque temps près du mât à regarder en l'air pour compter les peaux ajus- tées les unes aux autres 225, puis à admirer le matelot qui grimpait le long des cordages et courait sans crainte sur l'antenne en haut du mât, en se tenant aux balancines. SAMIPPOS Tu as raison. Mais alors que faut-il que nous fassions? L'attendrons-nous ici, ou veux-tu que je retourne au vaisseau? TIMOLAOS Pas du tout; continuons plutôt notre chemin. Il est vraisemblable qu'il nous a déjà dépassés et qu'il s'est hâté de remonter vers la ville, quand il a vu qu'il ne pouvait plus nous retrouver. Sinon, Adeimantos connaît la route et il ne risque pas de se perdre, s'il est resté der- rière nous. LYKINOS Voyez s'il ne serait pas malhonnête de partir et d'aban- donner un ami. Marchons cependant, si tel est l'avis de Samipp os. SAMIPPOS Oui c'est mon avis. Peut-être trouverons-nous encore la palestre ouverte. 5. Mais parlons un peu de ce vaisseau. Quel bâtiment ! Cent vingt coudées de long, disait le constructeur, un peu plus du quart en largeur, et vingt- neuf coudées du pont à la cale et à la sentine, où se trouve la plus grande profondeur ! D'ailleurs quel mât, quelle antenne il supporte et quel câble il a fallu pour le main- tenir ! Comme sa poupe s'élève et se courbe insensible- ment, revêtue d'un chénisque d'or ! La proue, vis-à-vis, monte à la même hauteur et s'allonge en avant, et porte de chaque côté la déesse Isis qui a donné son nom au vaisseau. Quant au reste du grément, les peintures, la ralingue couleur de feu, surtout les ancres, les cabes- tans, les treuils et les cabines à la poupe, tout cela m'a paru admirable. 6. Les matelots sont si nombreux qu'on dirait une armée, et le vaisseau, disait-on, porte une telle quantité de blé qu'elle suffirait à nourrir pendant une année tous ]es habitants de l'Attique. Et c'est un petit vieux qui veille au salut de tout cela en tournant avec une mince perche ces gouvernails énormes. TIMOLAOS C'est un homme admirable dans son art, à ce que disaient les passagers, et qui connaît la mer mieux que Protée. 7. Avez-vous entendu dire de quelle manière il a conduit ici ce vaisseau, ce qu'ils ont souffert au cours de la navigation et comment l'astre des marins les a sauvés? LYKINOS Non, Tilnolaos, mais nous aurions plaisir à l'entendre. TIMOLAOS Je tiens ce récit de l'armateur lui-même, un brave homme et un fin causeur. Il m'a dit qu'étant partis de Pharos 22s par un vent modéré ils avaient, sept jours après, aperçu l'Acamas 227, puis qu'ayant eu vent debout, ils avaient été emportés obliquement jusqu'à Sidon, qu'au sortir de Sidon, étant tombés sur un gros temps, ils étaient arrivés le dixième jour en passant par l'Au- lon 228 aux îles Chélidonées et que là ils avaient failli être tous engloutis sous les flots. 8. Je sais pour avoir côtoyé moi-même les Chélidonées jusqu'à quelle hauteur le flot s'élève en cet endroit, surtout quand les vents soufflent à la fois du sud-ouest et du sud; c'est juste- ment à cet endroit que la mer de Pamphilie se sépare de celle de Lycie. Le flot, poussé par plusieurs courants se brise contre le promontoire, formé de rochers nus et pointus, aiguisés par les vagues, et rend le rivage infi- niment redoutable. La vague y fait un formidable fracas