[27,0] LIVRE XXVII. [27,1] I. Après la mort d'Antiochus, roi de Syrie, Seleucus, son fils et son successeur, souilla d'un double parricide les premiers jours de son règne : Laodice, sa mère, l'y excita, elle qui eût dû l'en détourner. Il fit égorger Bérénice sa marâtre, soeur de Ptolémée, roi d Egypte, avec un jeune frère qu'elle lui avait donné. Ce forfait couvrit son nom d'infamie, et arma Ptolémée contre lui. Bérénice, sachant qu'il avait fait partir des assassins pour la tuer, s'était renfermée à Daphné, où on l'assiégea avec son fils. A cette nouvelle, les villes de l'Asie, songeant à la grandeur de son père et de ses aïeux, et touchées d'un si affreux malheur, lui envoyèrent à l'envi des secours. Son frère Ptolémée, tremblant pour elle, avait réuni ses troupes et quitté son royaume pour voler à sa défense. Mais avant l'arrivée de ces forces, Bérénice, qu'on n'avait pu saisir de vive force, fut trahie et assassinée. L'indignation fut générale ; toutes les cités qui, révoltées contre Seleucus, avaient armé une flotte puissante, épouvantées d'une telle cruauté, et résolues à venger une reine qu'elles avaient voulu défendre, se livrent à Ptolémée : ce prince, si une sédition ne l'eût rappelé en Égypte, se serait rendu maître de tous les états de Seleucus ; tant l'horreur du parricide avait rendu l'un odieux, tant la mort cruelle d'une soeur avait fait aimer l'autre ! [27,2] II. Après la retraite de Ptolémée, une flotte nombreuse, mise en mer pour châtier les cités rebelles, fut tout à coup submergée par une tempête, comme si les dieux eux-mêmes avaient voulu punir son crime ; et d'une si puissante armée, il ne sauva que sa vie, son corps dépouillé, et quelques compagnons de son naufrage. Mais ce désastre lui devint heureux ; car des cités, qui dans leur courroux contre lui s'étaient déclarées pour Ptolémée, se trouvant assez vengées par les dieux, et, touchées de son naufrage, changèrent tout à coup de dispositions, et revinrent sous ses lois. Sauvé par ses malheurs, et enrichi par ses pertes, il se croit assez fort pour attaquer Ptolémée. Mais la fortune semblait ne l'avoir fait naître que pour lui servir de jouet, et ne lui avoir rendu ses forces que pour les lui ravir ensuite. Il est battu, et se retire tremblant à Antioche, presque aussi mal accompagné qu'après son naufrage. Il écrit alors à son frère Antiochus, pour implorer son secours, et lui offre pour récompense une partie de l'Asie jusqu'à la chaîne du Taurus. Antiochus, prince de quatorze ans, mais d'une ambition au dessus de son âge, n'accepta point cette offre d'aussi bonne foi qu'elle était faite : avec la rapacité d'un brigand, songeant à ravir tout à son frère, on le vit déployer dans l'enfance l'audace criminelle de l'âge viril. De là lui vint le surnom d'Hierax, parce que, avide comme un oiseau de proie, il ne songeait qu'à s'enrichir de dépouilles. Cependant Ptolémée Évergète, sachant qu'Antiochus venait secourir Seleucus, fit avec celui-ci une trêve de dix ans, pour n'avoir pas à la fois deux ennemis à combattre ; mais cette paix que donnait un ennemi, fut troublée par un frère. Antiochus, prenant une armée gauloise à sa solde, attaque son frère en ennemi, et lui apporte la guerre au lieu du secours qu'il implorait. La valeur des Gaulois donna la victoire à Antiochus ; mais ces barbares, croyant que Seleucus était mort dans la bataille, tournent leurs armes contre Antiochus lui-même, dans l'espoir de ravager plus facilement l’Asie, après y avoir massacré tous les rois. Instruit de leur dessein, Antiochus, pour se racheter, leur donna de l'or comme à des pirates, et devint l'allié de ses mercenaires. [27,3] III. Cependant Eumène, roi de Bithynie, voyant que cette guerre intestine avait dispersé, épuisé les forces des deux frères, veut s'emparer de l'Asie restée sans maître ; il attaque Antiochus et les Gaulois, qui venaient de vaincre, et, avec ses forces intactes, il triomphe aisément d'une armée lasse encore de ses derniers combats. Toutes ces guerres se faisaient alors pour la ruine de l'Asie ; elle semblait la proie destinée au plus fort. C'était pour la subjuguer que deux frères, Antiochus et Seleucus, avaient pris les armes, et Ptolémée, roi d'Égypte, sous prétexte de venger sa soeur, ne songeait qu'à envahir l'Asie. Ravagée d'un côté par Eumène de Bithynie, de l'autre par les Gaulois, toujours prêts à se vendre au plus faible, elle restait sans défenseur contre les brigands qui la désolaient. Lorsqu'Eumène, vainqueur d'Antiochus, l'eut presque entièrement conquise, les deux frères, privés ainsi de ce qui devait être le prix de leurs combats, ne purent cependant s'accorder ; et, au lieu de s'unir contre un ennemi étranger, ils s'arment pour se perdre l'un l'autre. Vaincu de nouveau, Antiochus, après une longue et pénible fuite, arrive à la cour de son beau-père Artaméne, roi de Cappadoce. Accueilli d'abord avec bonté, il s'aperçut, peu de jours après, qu'on lui dressait des embûches, et chercha son salut dans la fuite. Voyant sa vie partout menacée, il se réfugie près de Ptolémée, plus confiant dans un ennemi que dans un frère, et jugeant assez, par ce qu'il réservait naguère à ce dernier, quel sort il devait en attendre. Mais dans le malheureux qui se livrait à lui, Ptolémée voyait encore le rival qu'il avait combattu : il le fit jeter dans une étroite prison. Antiochus, aidé par une courtisane avec laquelle il vivait, trompe ses gardes, s'échappe, et périt dans sa fuite, massacré par des voleurs. Vers le même temps, Seleucus, dépouillé de ses états, meurt aussi d'une chute de cheval. Ainsi ces deux frères, qui le furent même par leurs malheurs, se virent tour à tour sur le trône et dans l'exil, et reçurent le châtiment qu'avaient mérité leurs forfaits.