[1,0] LIVRE PREMIER. Histoire des empires des Assyriens, des Mèdes et des Perses, jusqu'à Darius, fils d'Hystaspe. [1,1] I. Le genre humain fut d'abord gouverné par des rois, qui devaient cette suprême dignité, non à la faveur d'un peuple séduit, mais à leurs vertus et au suffrage des gens de bien. Les peuples n'étaient régis par aucune loi : la loi, c'était la volonté du souverain. Les princes s'attachaient plus à défendre qu'à reculer les limites de leur empire : chacun en bornait l'étendue aux frontières de la patrie. Ninus, roi d'Assyrie, guidé par une ambition jusque-là inconnue, porta la première atteinte à cet usage antique, et pour ainsi dire héréditaire. Le premier, il entra en ennemi sur les terres de ses voisins, et soumit, jusques aux confins de la Libye, des nations encore inhabiles à se défendre. Avant lui, il est vrai, on avait vu Sésostris, roi d'Égypte, Tanaüs, roi de Scythie, pénétrer, l'un jusqu'au Pont, et l'autre jusqu'à l'Egypte. Mais c'était dans des contrées lointaines qu’ils avaient porté leurs armes ; et, songeant à la gloire de leurs peuples plus qu'à leur propre puissance, ils se contentaient de vaincre, sans chercher à commander. Ninus, au contraire, affermit son vaste pouvoir par une longue domination : maître des pays voisins, il ajouta leurs forces aux siennes, pour subjuguer les autres peuples ; et, faisant de chaque victoire l'instrument d'une victoire nouvelle, il soumit l'Orient tout entier. La dernière guerre qu'il entreprit fut contre Zoroastre, roi de Bactriane, qui inventa, dit-on, la magie, et se livra le premier à l'étude approfondie des principes de l'univers et de la révolution des astres. Ce prince fut tué : Ninus mourut bientôt après, lassant son fils Ninyas encore enfant, et son épouse Sémiramnis. [1,2] II. Cette princesse n'osant confier le sceptre aux mains débiles de son fils, ni se déclarer ouvertement la reine de tant de nations puissantes, trop peu disposées à supporter le joug d'un homme pour souffrir celui d'une femme, déguise son sexe, son âge, et l'épouse de Ninus se fait passer pour son fils. La mère et le fils étaient d'une taille médiocre ; tous deux avaient une voix grêle et des traits à peu près semblables : elle couvre son corps de longs voiles, cache sa tête sous une tiare ; et pour que la nouveauté de ce costume n'excitât aucun soupçon, elle le fait prendre à ses peuples, qui depuis en ont fidèlement gardé l'usage. A la faveur de ce déguisement, elle régna d'abord sous le nom de son fils ; elle se signala ensuite par des actions d'éclat ; et lorsqu'elle crut avoir vaincu l'envie par sa gloire, elle déclara son nom et son artifice : cet aveu, loin de lui coûter le trône, ajouta à l'admiration des peuples ; on s'étonna de ce courage, qui l'élevait au dessus de son sexe et même au dessus des héros. Cette princesse fonda Babylone, et l'entoura d'un mur de briques, cimentées, non avec du sable, mais avec le bitume qui sort en bouillonnant du sol de ce pays. Elle s'illustra encore par beaucoup d'autres faits éclatants : non contente de conserver les conquêtes de son époux, elle ajouta l'Éthiopie à son empire, et porta la guerre jusque dans l'Inde, où Alexandre-le-Grand pénétra seul après elle. Enfin, égarée par une passion incestueuse, elle périt de la main de son fils : elle avait régné quarante-deux ans depuis la mort de Ninus. Ninyas, goûtant en paix le fruit des travaux de sa famille, vécut loin des combats ; et, comme s'il eût en effet changé de sexe avec sa mère, il se déroba aux regards des hommes, pour vieillir obscur au milieu de ses femmes. A son exemple, ses descendants ne répondirent aux demandes de leurs peuples que par la bouche des gouverneurs. L'empire des Assyriens, appelés plus tard Syriens, dura treize cents ans. [1,3] III. Leur dernier roi fut Sardanapale, homme plus énervé qu'une femme. Arbaces, son lieutenant, gouverneur de la Médie, ayant obtenu, à force d'instances, la permission de paraître devant lui, jusque-là refusée à tout autre, le trouva couvert d'une robe de femme, formant un tissu de pourpre, au milieu de ses courtisanes, dont il dirigeait les travaux, et qu'il effaçait par la mollesse de ses attitudes et la lubricité de ses regards. Indigné de voir une telle femme commander à tant d'hommes de coeur, et des guerriers armés du glaive s'humilier sous une main qui manie la quenouille, il retourne vers les siens ; il leur rapporte ce qu'il a vu ; il refuse d'obéir plus longtemps à un prince qui renonce honteusement à son sexe. On conspire, on s'arme contre Sardanapale. Celui-ci, à l'approche des révoltés, loin de défendre courageusement sa couronne, cherche d'un oeil timide un asile qui protège sa vie, puis, à la tête de quelques soldats en désordre, il ose enfin marcher au combat. Vaincu, assiégé dans sen palais, il fait élever un vaste bûcher, s'y jette avec ses trésors, et sait du moins mourir en homme. Arbaces, l'auteur de sa mort, lui succède au trône, et transfère l'empire des Assyriens aux Mèdes, dont il était gouverneur. [1,4] IV. Après une longue suite de rois, le sceptre passa, par droit de succession , aux mains d'Astyage. Ce monarque vit en songe une vigne naître du sein de sa fille unique, et étendre sur l'Asie entière l'ombrage de ses rameaux . Les devins consultés répondirent que la princesse lui donnerait un petit-fils, dont ce prodige annonçait la grandeur, mais qui ravirait le sceptre à son aïeul . Astyage épouvanté ne voulut marier sa fille ni à un homme de haut rang, ni a un Mède, de peur de trouver dans son petit-fils la fierté d'une origine doublement illustre il choisit donc pour gendre Cambyse, homme sans non, issu de la nation des Perses, alors presqu'inconnue. Máis ses terreurs n'étaient pas calmées ; et, pendant la grossesse de sa fille, il la fit venir près de lui , pour qu'on pût immoler le petit-fils sous les yeux même de son aïeul . A peine l'enfant eut-il vu le jour, qu'Astyage le livre à Harpagus, son confident, avec ordre de le mettre à mort. Celui-ci, craignant que la princesse, appelée un jour au trône d'Astyage, qui n'avait aucun enfant mâle, ne vengeât sur lui le meurtre dont elle ne pouvait punir son père, fait exposer le nouveau-né par un pasteur des troupeaux du roi . Un fils venait aussi de naître au berger . Sa femme, sachant qu'il avait exposé le jeune prince , conjura son mari de le lui apporter pour le voir . Celui-ci, cédant à ses prières, rentre dans la forêt, trouve prés de l'enfant une chienne qui le nourrissait de son lait, et écartait de lui les bêtes sauvages et les oiseaux de proie. Touché lui-même d'une pitié dont une bête lui donnait l'exemple, il rapporte l'enfant dans la chaumière, où la chienne le suit avec inquiétude . Placé dans les bras de sa femme, le jeune prince sembla la connaître, et se joua sur son sein ; étonnée de sa force, charmée de la grâce et de la douceur de son sourire, elle supplia sen mari, au nom de la fortune de cet enfant, au nom de leur intérêt, d'exposer leur propre fils, et de nourrir le prince à sa place . Ainsi change le sort des deux enfants; l'un est élevé comme fils d’un pasteur, l'autre exposé comme petit-fils du roi : la nourrice reçut plus tard le nom de Spacos, mot qui signifie chienne dans la lange des Perses. [1,5] V. L'enfant, élevé parmi les bergers, reçut plus tard le nom de Cyrus. Un jour que, dans les jeux de son âge, le sort l'avait nommé roi, il fit frapper de verges quelques-uns de ses compagnons, qui bravaient en riant son autorité. Leurs parents, indignés qu'un esclave du roi eût fait subir à des enfants de race libre la honte d'un tel châtiment, vont se plaindre à Astyage ; mais Cyrus, appelé devant lui, répond, sans s'émouvoir, qu'il s'est conduit en roi. Le monarque, étonné d'une si grande fermeté, se rappelle alors son rêve et les menaçantes prédictions qui l'ont suivi. La conformité des traits, l'époque de l'exposition, l'aveu du berger, tout concourt à convaincre Astyage : il reconnaît son petit-fils. Cependant, croyant l'oracle accompli par cette royauté exercée entre les pasteurs, il consent à épargner Cyrus. Mais, irrité contre Harpagus, et voulant punir son infidélité, il égorge son fils, et le lui fait servir dans un festin. Harpagus déguise son ressentiment, et attend l'occasion de se venger. Quelque temps après, toujours animé par sa douleur et ses regrets, il écrit à Cyrus, dont l'âge avait développé les forces, lui dévoile les ordres donnés par Astyage pour le reléguer chez les Perses et le faire périr dès sa naissance ; il raconte comment lui-même a sauvé les jours du jeune prince, et comment ce bienfait, en allumant la colère du roi, a coûté au bienfaiteur la vie de son fils. II exhorte Cyrus à lever une armée, lui promet l'appui des Mèdes, et une route facile au trône. Pour soustraire la lettre, aux gardes placés par le roi sur toutes les routes, on la cache dans le corps d'un lièvre, qu'un esclave affidé, un filet à la main et sous le déguisement d'un chasseur, va porter en Perse et remet à Cyrus. [1,6] VI. Après la lecture de cette lettre, un songe vint confirmer Cyrus dans les desseins qu'on lui proposait d'embrasser, et lui prescrivit en même temps d'associer à son entreprise l'homme qui le lendemain se présenterait le premier à ses regards. Il sort de la ville avant le jour, et rencontre Sébaris, esclave d'un Mède, l'interroge sur son origine, et, apprenant qu'il est né dans la Perse, il lui ôte ses liens, l'adopte pour compagnon, et rentre à Persépolis. Là, il assemble le peuple, ordonne à tous les citoyens de prendre la hache, et d'abattre une forêt qui gênait la route : ce travail achevé, il les invite pour le lendemain à un festin magnifique ; puis, voyant les convives animés par la gaîté de la table, il leur demande si, maîtres du choix, ils préféreraient les fatigues de la veille aux plaisirs de ce jour : tous s'écriant qu'ils préféreraient les plaisirs : "Eh bien, dit-il, vos jours seront tous pénibles comme celui d'hier, si vous restez esclaves des Mèdes ; tous joyeux comme celui-ci, si vous consentez à me suivre." On lui répond par des cris de joie, et la guerre est déclarée. Astyage, oubliant ce qu'il doit attendre d'Harpagus, le met à la tête de ses troupes : celui-ci les livre à Cyrus, et se venge, par une trahison, de la cruauté de son maître. A cette nouvelle, Astyage rassemble des forces de toutes parts, et marche en personne contre les Perses : il engage la bataille avec vigueur, et place ensuite derrière les combattants une partie de son armée, avec ordre de présenter le fer à quiconque reculerait, et de le ramener à l'ennemi il annonce aux autres, qu'ils trouveront, en tournant le dos, des adversaires aussi redoutables que devant eux, et que, pour fuir comme pour vaincre, il leur faudra renverser une armée. La nécessité de combattre redouble leur valeur et leur force. Déjà les Perses commençaient à plier, quand leurs mères et leurs épouses accourent à eux pour les rappeler au combat, et, les voyant hésiter, elles découvrent leurs corps, et, présentant leurs flancs, demandent s'ils veulent se réfugier dans le sein de leurs mères et de leurs femmes. Émus de ces reproches, ils retournent au combat, et, par un dernier effort, renversent à leur tour les troupes devant lesquelles ils fuyaient : Astyage lui-même reste prisonnier. Cyrus se contenta de lui ôter le sceptre il le traita en aïeul plutôt qu'en ennemi vaincu ; et ce prince ayant refusé de retourner en Médie, il lui confia le gouvernement d'une vaste province, de l'Hyrcanie. Ainsi finit l'empire des Mèdes, qui avait duré trois cent cinquante ans. [1,7] VII. Dès le commencement de son règne, Cyrus donna à Sébaris (cet esclave qu'il avait, sur la foi d'un songe, délivré de ses fers et associé à tous ses projets le gouvernement de la Perse avec la main de sa soeur. Mais les villes autrefois tributaires des Mèdes, croyant leur condition changée avec le sort de l'empire, se révoltèrent contre Cyrus, qui, par cette défection, fut entraîné dans une longue suite de guerres. II avait enfin soumis la plupart des rebelles, et marchait contre Babylone, lorsque Crésus, roi de Lydie, fameux alors par sa puissance et ses richesses, vint au secours de cette ville ; il fut défait, trembla pour lui-mêmes, et se réfugia dans ses états. Cyrus ne se contenta pas de l'avoir vaincu : maître de Babylone, il porte la guerre en Lydie, et dissipe aisément l'armée de Crésus, découragée par un premier revers ; Crésus lui-même est fait prisonnier. Mais la victoire fut aussi généreuse qu'elle avait été facile : Crésus reçut du vainqueur, avec la vie, une partie de son patrimoine et la ville de Barène, pour y vivre, sinon en roi, du moins dans l'éclat d'une brillante fortune. Cette clémence ne fut pas moins utile au vainqueur qu'au vaincu ; car toute la Grèce, à la nouvelle de la guerre allumée en Lydie, avait envoyé ses forces avec autant d'empressement que si l'incendie l'eût menacée elle-même. Les Grecs étaient dévoués à Crésus, et, sans la modération de Cyrus, ils devenaient pour ce conquérant des ennemis redoutables. Quelque temps après, tandis que Cyrus était occupé à d'autres guerres, les Lydiens secouèrent le joug : défaits encore une fois, et forcés de livrer leurs chevaux et leurs armes, ils furent réduits aux vils métiers de baladins, d'hôteliers, et à l'exercice des plus infâmes trafics. Cette nation avait été active, puissante, belliqueuse ; amollie par le luxe, elle perdit son antique valeur : avant Cyrus, l'habitude des combats la rendait invincible ; elle se livra à de honteux plaisirs, et fut vaincue par l'oisiveté. De tous les rois qui précédèrent Crésus au trône de Lydie, et dont le règne fut marqué par des événements mémorables, aucune n'eut une destinée comparable à celle de Mandaule. Ce prince, follement épris des charmes de son épouse, ne cessait de les vanter à tous ses courtisans, et, non content de jouir en secret des douceurs de l'hyménée, il se plaisait à en révéler les mystères ; on eût dit que le silence lui paraissait un outrage à tant de beauté. Enfin, pour justifier ses éloges, il l'expose que aux regards de Gygès, son confident. Cette imprudence lui coûta cher : son confident devint son rival et son ennemi, et la reine cessa d'aimer un époux qui semblait l'abandonner aux désirs d'un étranger : bientôt le meurtre de Candaule fut le prix d'un nouvel hymen, et, dotée du sang de son mari, elle livra son sceptre et sa personne à son amant adultère. [1,8] VIII. Cyrus, vainqueur de l'Asie et maître de tout l'Orient, porte la guerre en Scythie. Les Scythes avaient alors pour reine Tomyris, qui, sans s'effrayer de l'approche des ennemis, qu'elle pouvait arrêter aux bords de l'Araxe, leur permit de le franchir, pour se ménager au sein de son royaume une victoire plus facile, et opposer l'obstacle du fleuve à la fuite de l'ennemi. Cyrus traverse l'Araxe, pénètre dans la Scythie, et campe à quelque distance du fleuve ; puis, le lendemain, feignant une alarme, il sort en désordre de son camp, qu'il laisse rempli de vin et de vivres. A cette nouvelle, la reine envoie à sa poursuite son fils, avec le tiers de l'armée. Arrivé au camp de Cyrus, ce jeune prince, sans aucune expérience de la guerre, semble avoir conduit ses soldats au festin, et non au combat : il ne songe plus à poursuivre l'ennemi, et, quoique les Barbares ne fussent pas habitués au vin, il leur permet d'en boire avec excès : aussi les Scythes furent-ils vaincus par l'ivresse, avant de l'être par le fer. Instruit de leurs débauches, Cyrus revient pendant la nuit, les surprend sans défense, les égorge tous, et avec eux le fils de la reine. Ni la destruction d'une puissante armée, ni la perte plus cruelle d'un fils unique, n'arrachèrent de larmes à Tomyris ; sa douleur n'aspire qu'aux consolations de la vengeance. A son tour, elle fait tomber dans le piège ses ennemis enivrés de leur triomphe : elle recule, comme découragée par ce désastre, et attire Cyrus dans les gorges de ses montagnes : une embuscade y était préparée, et le roi est massacré avec deux cent mille Perses. Ce qu'il y eut de particulier dans cette victoire, c'est qu'il n'échappa point un seul homme au massacre pour en publier la nouvelle. La reine fit couper la tête de Cyrus, et, la plongeant dans une outre pleine de sang humain, lui reprocha ainsi sa cruauté : "Bois, dit-elle, bois ce sang ; apaise cette soif que rien n'a pu calmer" Cyrus avait régné trente ans, et non seulement les premières années, mais tout le cours de son règne avait été marqué par les succès les plus éclatants. [1,9] IX. Cambyse, son fils et son successeur, réunit l'Égypte à l'empire de son père ; mais, plein de mépris pour les superstitions du pays, il fit renverser les autels d'Apis et des autres dieux ; il envoya même, contre le temple fameux de Jupiter Ammon, une armée qui périt tout entière dans les tourbillons de vent, et sous les sables brûlants de ces déserts. Plus tard, effrayé d'un songe qui promettait la couronne à son frère Smerdis, il ajouta, sans hésiter, un parricide à tant de sacrilèges : quelle pitié un frère pouvait-il attendre d'un homme qui, dans son impiété, n'avait pas même épargné les dieux ? Il venait de confier à un mage de sa cour, nommé Prexaspes, l'exécution de ce crime, lorsque son épée, sortie par hasard du fourreau, lui fit à la cuisse une blessure dont il mourut ; juste châtiment du parricide du'il avait ordonné, du sacrilège qu'il avait accompli. Le mage, instruit de sa mort, se hâte d'en prévenir le bruit ; il égorge Smerdis, légitime héritier de Cambyse, et lui substitue Orospaste, son propre frère : leur taille et leurs traits étaient semblables ; nul ne soupçonna l'artifice, et Orospaste régna sous le nom de Smerdis. Le secret fut d'autant mieux gardé, que, chez les Perses, il est de la majesté des rois de se soustraire aux regards de leurs peuples. Les mages, pour se concilier la faveur de la nation, suspendent pour trois années les impôts et les levées de troupes, espérant affermir par la douceur et les largesses une domination usurpée. Mais cette bonté affectée excita les soupçons d'Otane, homme de haute paissance et d'une grande pénétration. Il fit demander à sa fille, l'une des femmes du roi, si son époux était vraiment le fils de Cyrus : elle répondit qu'elle l'ignorait, et ne pouvait le savoir de ses compagnes, toujours renfermées dans des appartements séparés. Il lui ordonna alors de toucher les oreilles du prince pendant son sommeil ; car Cambyse avait fait couper celles du mage. La réponse de sa fille confirma ses soupçons ; et aussitôt, réunissant les grands de la Perse, il leur révéla ce secret, et leur fit solennellement jurer la mort de l'imposteur. Les conjurés n'étaient qu'au nombre de sept pour prévenir tout remords, toute trahison, ils courent aussitôt au palais, armés de poignards qu'ils cachent sous leurs vêtements. Ils égorgent ceux qui les arrêtent, et arrivent aux mages, qui, se défendant eux-mêmes avec valeur, tuent de leur main deux des conjurés ; enfin, ils cèdent au nombre. Gobryas saisit l'in d’eux dans ses bras, et, voyant ses compagnons hésiter à frapper, de peur de le percer lui-même dans l'obscurité, il leur crie. d'immoler le traître, le fer dût-il traverser son propre sein ; cependant, par un heureux hasard, ils tarente le mage sans atteindre Gobryas. [1,10] X. La mort des usurpateurs fut glorieuse pour leurs meurtriers ; mais ce qui fut plus honorable encore, c'est que leurs prétentions au même trône ne purent les désunir. Leur vertu état pareille, comme leur noblesse, et l'égalité du mérite eût rendu le choix du peuple difficile : pour décider entre eux, ils trouvèrent donc le moyen d'interroger le sort et la volonté des dieux. Ils convinrent de se rendre tous à cheval devant le palais, à un jour fixé, dés le lever de l'aurore, et de prendre pour roi celui dont le cheval hennirait le premier, au lever du soleil ; car le soleil est le seul dieu des Perses, et les chevaux lui sont consacrés. Au nombre des conjurés était Darius, fils d'Hystaspe : son écuyer, témoin de ses inquiétudes, lui dit que sa la couronne est à ce prix, il lui garantit le succès, et, la veille du jour fixé ; pendant la nuit, il mène devant le palais le cheval de son maître, et là lui livre une cavale, dans un espoir que l'événement confirma. Le lendemain, quand tous furent réunis à l'heure convenue, le cheval de Darius reconnaît le lieu, hennit aussitôt, au souvenir des plaisirs de la veille, et, le premier, donne le signal qui assure l'empire à son maître. Telle fut la modération des rivaux de Darius, qu'à l'instant même, se prosternant à ses pieds, ils le saluèrent du nom de roi : le peuple entier suivit leur exemple et confirma leur jugement. C'est ainsi que l'empire de la Perse, reconquis par le courage de sept illustres seigneurs, passa aux mains d'un seul, sans autre droit qu'une épreuve si frivole : on ne peut trop admirer, qu'ils aient cédé avec tant de résignation ce qu'ils avaient arraché aux mages en exposant leur propre vie. Au reste, le nouveau prince joignait à la dignité de la figure, à l'éclat d'us courage vraiment digne du trône, l'avantage d'une naissance qui l'attachait à la dynastie ancienne. Dès le commencement de son règne, il épousa la fille de Cyrus, pour affermir sa puissance en s'alliant au sang royal : par cette union, la couronne semblait moins passer à des étrangers que rentrer dans la famille de Cyrus. Quelque temps après, les Assyriens se révoltèrent, et s'emparèrent de Babylone. Le roi, après de vains efforts pour reprendre la ville, ne savait à quel moyen recourir, lorsque Zopyre, un de ceux qui avaient tué les mages, se fait déchirer le corps à coups de fouet, couper le nez, les lèvres, les oreilles, et vient s'offrir aux yeux de son maître. Darius étonné demande la cause et l'auteur de cette cruauté ; Zopyre l'instruit en secret de ses desseins, en concerte le plan avec lui, et, se présente comme transfuge aux portes de Babylone. Il montre au peuple ses membres mutilés, il accuse la barbarie du roi, son rival heureux, qui cependant doit le sceptre au hasard, et non au mérite, au hennissement d'un cheval, et non au 'suffrage de ses peuples : ennemis de Darius, que n'ont-ils pas à craindre d'un prince qui traite ainsi ses amis ? Il les exhorte à compter moins sur leurs remparts que sur leurs armes ; il offre d'ajouter à leurs efforts la première chaleur de son ressentiment. Tous connaissaient sa noblesse et ses talents ; l'outrage qu'il venait d'essuyer, les blessures dont il était couvert, semblaient des gages assurés de sa bonne-foi. Proclamé général d'une voix unanime, il remporte, à la tête d'une petite troupe, quelques succès sur les Perses, qui se retirent à dessein devant lui. Enfin, dès que l'armée entière est confiée à ses ordres, il la livre avec la ville au pouvoir de Darius. Après cette expédition, Darius fit la guerre aux Scythes, comme on le verra dans le livre suivant.