[147,0] LETTRE CXLVII. AU DIACRE SABINIEN. [147,1] Samuël pleurait autrefois le malheur de Saül, que Dieu s'était repenti d'avoir fait roi d'Israël. Saint Paul plaignant les Corinthiens, dont les péchés étaient plus grands que ceux des idolâtres, leur parlait en ces termes : « Je crains que Dieu ne m'humilie en retournant à Corinthe, et que je ne sois obligé de pleurer la perte de plusieurs qui sont tombés dans le péché sans faire pénitence de leurs crimes et de leur impureté. » Si un prophète et un apôtre dont la sainteté est connue parlaient ainsi, que dirai-je, moi, à un criminel qui, bien loin de vouloir être relevé de sa chute et de regarder le ciel, mange avec plaisir à l'auge des porcs, après avoir dissipé ce que son père lui avait donné, et qui tombe dans l'abîme du faite de l'orgueil? « Vous faites un dieu de votre ventre, écrivait saint Paul, vous mettez votre gloire dans votre propre honte, vous n'avez de pensées et d'affections que pour la terre, et il semble que vous vous engraissiez vous-même pour être tué. Vous vivez comme ceux qui ont été punis sans craindre un châtiment pareil au leur, et sans considérer que la bonté de Dieu vous invite à la pénitence. Et, par la dureté et l'impénitence de votre coeur, vous vous amassez un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu. » Votre coeur, à l'exemple de celui de Pharaon, ne s'endurcit-il que parce que votre faute n'est pas suivie de la peine et que votre châtiment est longtemps différé? Celui de ce prince le fut aussi ; néanmoins il sentit à la fin des coups qui étaient plutôt les avertissements salutaires d'un bon père qu'une punition véritable ; mais sa conversion étant désespérée, et ayant poursuivi dans le désert un peuple fidèle, il apprit de la mer à respecter celui à qui les éléments obéissent. Il disait comme vous, « et qu'il ne connaissait point de Dieu, et qu'il ne donnerait point la liberté aux Israélites. » Vous tenez à mon sujet le même langage que lui : « Les visions de ce bonhomme sont encore fort éloignées, et ses prophéties ne s'accompliront pas de sitôt. » Mais écoutez ce que dit ailleurs un prophète : « L'effet de mes paroles ne sera plus différé, je parlerai et agirai en même temps. » David chancela et fut tout près de tomber en voyant les pécheurs (et vous êtes de leur nombre) jouir des délices du monde, et dire hautement : « Comment Dieu peut-il savoir cela, et le très-haut a-t-il connaissance de ces choses? » Ses pieds furent presque détournés du droit chemin, en considérant les méchants et les heureux du siècle qui multipliaient leurs richesses de plus en plus ; de sorte qu'il s'écria : « C'est donc en vain que je conserve mon coeur pur et que je tiens mes mains pures par l'innocence de mes actions. J'ai regardé les insensés avec un œil jaloux en voyant la paix et le bonheur des méchants ; car ils meurent sans peine et sans douleur, et ils jouissent pendant leur vie d'une santé vigoureuse. Ils ne sentent point les misères communes comme les autres, et ils ne souffrent point les plaies et les maux que souffre le reste des hommes; c'est pourquoi l'orgueil est comme un carcan d'or dont ils se parent, et la violence comme un habit magnifique dont ils se revêtent. Leur figure est tellement épanouie et rebondie qu'on n'y voit presque plus d'yeux. Les pensées de leur coeur vont au-delà de toute modération ; ils se répandent en paroles audacieuses, ils se vantent de leurs actions injustes, ils parlent avec faste comme étant au-dessus de tout. Leur bouche blasphème contre le ciel, et leur langue n'épargne personne sur la terre. » [147,2] Ce psaume ne semble-t-il pas avoir été fait pour vous? En effet vous jouissez d'une parfaite santé, et comme un apôtre de Satan, quand vous vous êtes fait connaître dans une ville, vous allez dans une autre; vous pouvez faire de la dépense, et vous n'essuyez point de rude disgrâce, car vous ne méritez pas d'être repris comme le reste des hommes, qui n'ont pas comme vous une dureté de brute. De là vient cet orgueil, ces habits en harmonie avec votre impureté, et ces entretiens dont les paroles sont autant de coups mortels. Vous ne vous souvenez point que vous mourrez un jour, et jamais vos crimes n'ont été suivis de pénitence. Vous vous laissez aller au torrent de vos passions déréglées; et afin qu'il ne semble pas que vous soyez sans compagnon dans vos désordres, vous imposez des crimes atroces aux serviteurs de Dieu; sans songer que c'est attaquer le ciel et blasphémer contre lui. Mais pourquoi s'étonner que des gens qui n'ont pas encore atteint un souverain degré de perfection soient exposés à vos calomnies, parce que vos semblables appelaient le Fils de Dieu Belzébub? Il n'y a pas de disciples au-dessus du professeur, et d'esclave au-dessus du maître. Si l'on a traité avec tant d'outrage le bois vert, que dois-je attendre de vous, moi qui suis un tronc sec et aride? Une populace mutinée est de votre sentiment et parle comme vous dans Malachie : « Celui qui obéit à Dieu est malheureux, » disait-elle, et pourquoi? « parce que nous avons gardé ses commandements, » continue-t-elle, « que nous nous sommes abaissés devant lui pour le prier, et cependant la félicité est le partage des autres; ils sont rétablis, et ils trouvent leur salut dans leur désobéissance. » Mais Dieu, par la bouche du même prophète, les menace ensuite du jour du jugement, et leur marque quelle différence il y aura alors entre l'innocent et le coupable. « Convertissez-vous », leur dit-il, « et vous verrez quelle différence il y a entre l’innocent et le coupable, entre celui qui obéit à Dieu et celui qui ne lui obéit point. » [147,3] Vous vous riez sans doute de ces paroles, vous qui vous repaissez de comédies et de chansons, quoique vous soyez si stupide que je doute que vous en connaissiez la beauté ; mais quelque peu de cas que vous fassiez de ce que disent les prophètes, je vous citerai encore ces paroles d'Amos : « Après trois ou quatre péchés, » dit le Seigneur, « n'aurai-je pas sujet d'être irrité contre eux? » Les habitants de Damas, de Tyr, les Juifs même et plusieurs autres, ayant méprisé les avis qu'on leur donnait de faire pénitence, Dieu leur apprend le surjet qu'il aura de se mettre en colère et leur dit : « Après trois ou quatre crimes, n'aurai-je pas sujet d'être irrité contre eux? C'est un crime d'avoir une méchante pensée , » dit Dieu par la bouche d'un autre prophète, « cependant je l'ai pardonné ; vouloir exécuter ce qu'on a pensé, c'est un crime plus grand , je l'ai encore souffert; mais a-t-il fallu pour cela en venir à l'exécution et abuser jusque-là de mon indulgence ? Néanmoins, comme je demande plutôt la conversion du pécheur que sa mort, et que celui qui se porte bien n'a point besoin de médecin, je tends les mains à celui qui est tombé, l'exhortant à effacer ses crimes par ses larmes; mais s'il ne veut point faire pénitence ni prendre une planche dans le débris pour se sauver du naufrage, je suis contraint de dire : après trois ou quatre crimes, n'aurai-je pas sujet d'être irrité contre lui ? » De là vient qu'il punit quelquefois les enfants de la troisième et de la quatrième génération des crimes de leurs ancêtres, éloignant des auteurs du péché le châtiment qu'il fait ensuite tomber sur leur postérité. Si la peine suivait immédiatement le péché, l'Église serait privée d'une infinité d'illustres convertis, et entre autres de saint Paul. Ezéchiel, dont nous avons déjà parlé, apprit la volonté de Dieu par ces paroles : « Ouvre la bouche, » lui dit le Seigneur, « et mange ce que je, te donnerai. Je vis aussitôt, » continue le prophète, « une main qui s'étendait vers moi avec un livre; l’ayant ouvert en ma présence, il se trouva écrit de tous côtés, et il y avait dedans une plainte, un cantique et une malédiction. » La première écriture de ce livre vous regarde si vous voulez faire pénitence; les justes sont excités par la seconde à chanter les louanges du Seigneur que la bouche du pécheur est indigne de proférer; la troisième enfin s'adresse à ceux qui vous ressemblent, que le désespoir jette dans toutes sortes de crimes, et qui croient que tout finit par la mort et qu'il n'y a rien au-delà. Toute l'Écriture sainte nous est marquée par le livre qui fut présenté au prophète; car elle contient les gémissements de ceux qui font pénitence, les louanges que les justes chantent à Dieu, et les malédictions qu'il prononce contre ceux qui se laissent aller au désespoir. D'ailleurs, il n'y a rien de plus ennemi de Dieu que le cœur qui ne se rend point à la pénitence ; ce péché est l'unique qui n'obtient point de rémission ; car comme les prières d'un criminel fléchissent son juge et qu'on pardonne à celui qui ne persévère point dans sa faute, de même l'impénitence allume la colère de Dieu, et le désespoir est un mal sans remède. Et pour vous montrer que Dieu appelle tous les jours les méchants à la pénitence, et qu'ils changent sa douceur en sévérité en ne l'écoutant pas, je vous rapporterai ce passage d'Esaïe : « Le Dieu des armées, » dit-il, « les exhortera à pleurer, à gémir et à porter le cilice ; mais ils se réjouiront, ils feront bonne chère, ils tueront des veaux et des brebis pour en manger la chair, et ils boiront du vin, disant: Buvons et mangeons, car nous mourrons demain. » A ces blasphèmes et à ces impiétés l'Écriture ajoute : « Cela est venu à la connaissance du Dieu des armées , et vous mourrez, sans que ce péché vous soit pardonné. Cependant si les pécheurs renoncent à leur péché, ils en obtiendront la rémission qu'ils ne doivent point attendre pendant qu'ils demeureront dans le crime. » [147,4] Je vous conjure donc d'avoir pitié de votre âme; croyez que Dieu vous jugera un jour; souvenez-vous de l'évêque, qui vous a fait diacre. Pour moi, quoi que ce soit un homme d'une grande sainteté, je ne m'étonne pas qu'il se soit trompé en vous choisissant parmi les autres. Dieu s'est bien repenti d'avoir fait Saül roi d'Israël, un traître a bien été mis au nombre des apôtres; et un certain Nicolas d'Antioche, homme abandonné à toute sorte d'impuretés et auteur d’une secte abominable, a bien été diacre comme vous. Je ne parle pas de la sorte parce qu'on dit que vous avez abusé de plusieurs filles, que vous avez déshonoré des personnes illustres en souillant leur lit, ce qui a donné lieu à des exécutions publiques, et que vous avez été dans les lieux infâmes satisfaire votre impureté et votre ivrognerie; quoique ces crimes soient énormes, néanmoins ils paraîtront peu de chose auprès de ce que je dirai dans la suite. Cependant quel peut-être le crime auprès de qui l'adultère et la fornication paraissent peu de chose? Misérable que vous êtes, vous avez médité vos débauches dans l'étable où le Fils de Dieu est né, où la vérité est sortie de la terre et où la terre a produit son fruit. Ne craigniez-vous point de faire pleurer l'enfant qui était dans la crèche, et d'être vu par la Vierge et par la mère d'un Dieu? Pendant que les anges jettent des cris d'étonnement, que les bergers accourent, qu'une nouvelle étoile brille au ciel, que les mages adorent, qu'Hérode s'épouvante et que le trouble se met dans Jérusalem, vous vous glissez dans la chambre de la Vierge pour y séduire une vierge. Tout mon corps tremble, malheureux, et mon âme est effrayée en vous rappelant vos crimes. Toute l'Eglise employait la nuit à chanter les louanges de Dieu, et les langues diverses de nations différentes composaient en même temps une agréable harmonie au Saint-Esprit, pendant que sous la porte d'une chapelle, autrefois la crèche de Jésus-Christ, vous glissiez des lettres d'amour qu'une malheureuse venait prendre et lire le genou en terre comme si elle eût voulu les adorer. Ensuite vous paraissiez un moment au choeur, où vous lui parliez encore par des signes lascifs. Crime déplorable ! [147,5] Je ne puis en dire davantage, mes larmes préviennent mes paroles que la douleur et l'indignation étouffent. Néanmoins continuons, s'il est possible, quoique Cicéron et Démosthène seraient muets en cette circonstance, et que vous eussiez commis des actions dont l'éloquence la plus admirable, les plus excellents comédiens et les plus habiles bouffons ne sauraient donner une idée. C'est une coutume établie dans les monastères d'Egypte et de Syrie de couper les cheveux aux vierges et aux veuves qui renoncent aux délices et aux vanités du monde, de sorte que, ne pouvant plus se coiffer, elles suivent l'avis de l'apôtre et portent toujours un voile. Quoique cela se fasse en secret, tout le monde le sait parce que c'est un usage général. Cette coutume même est devenue une nécessité; car les religieuses ne se servant point des parfums qui nettoient la tête, elles préviennent ainsi quelques incommodités qui pourraient leur survenir. [147,6] Voyons, homme de bien, l'avantage que vous avez tiré de cette coutume. Vous avez revu dans ce lieu saint les cheveux d'une vierge, comme gage du mariage que vous lui promettiez. Elle vous a porté sa ceinture comme pour vous tenir lieu de sa dot, et vous lui avez juré que vous n'aimeriez jamais qu'elle ou que vous l'aimeriez toujours. De là, vous êtes allé à l'endroit où les bergers apprirent la nouvelle de la naissance du Sauveur, où, pendant que l'on entendait encore la voix des anges, vous avez réitéré vos promesses et vos serments. Je ne vous dirai point qu'il se passa quelque chose de criminel; ce n'est pas qu'on ne puisse tout croire de vous, mais le respect qui est dû à la sainteté du lieu où vous étiez me persuade que vous en êtes resté à l'intention et aux désirs. Quand vous vous êtes vu seul avec une religieuse dans la crèche où une Vierge enfanta, n'êtes-vous point devenu aveugle et muet? Vos bras ne sont-ils point restés immobiles, et n'avez-vous point chancelé? Avez-vous bien osé dans un lieu si saint recevoir des cheveux qu'on avait coupés pour servir d'otages à Jésus-Christ, et jurer que vous épouseriez celle qui s'était consacrée à Dieu par des voeux solennels? Ensuite l'on vous trouvait sous sa fenêtre depuis le soir jusqu'au matin, et ne pouvant pas vous approcher de plus près, vous vous envoyiez l'un à l'autre ce qu'il vous plaisait. Certes, Dieu a pris un soin particulier de vous, puisqu'avec des pensées si criminelles vous n'avez pu entrer dans sa chambre, vous ne l'avez vu que dans l'Eglise, et ne l'avez entretenu qu'à sa fenêtre pendant la nuit. Le jour, dont la venue vous causait un extrême déplaisir, paraissant, on vous voyait à l'Eglise pâle, maigre et sans couleur; vous vous y acquittiez des devoirs d'un diacre, et vous y lisiez l'Evangile afin qu'on ne vous soupçonnât en rien. Nous imputions votre pâleur à l'âpreté de vos jeûnes, et nous croyions que votre maigreur était un effet de vos veilles et de vos prières. Cependant on vous préparait des échelles, votre voyage était arrêté, l'embarquement résolu, et le jour et l'heure de votre fuite étaient pris; mais l'ange qui garde la porte de la chambre de la vierge, et devant qui tout se faisait, vous découvrit à la fin. [147,7] Quelle infortune à mes yeux? de quelle malédiction n'est point digne le jour où j'eus la douleur de lire vos lettres que je garde encore? De quelles impuretés ne sont-elles point remplies? quelle joie n'y marquez-vous point du succès de vos desseins criminels? Un diacre a-t-il pu, je ne dis pas parler de ces impuretés, mais en avoir la moindre connaissance? En quelle école les avez-vous apprises vous qui vous vantiez d'avoir été élevé dans l'Eglise? Il est vrai que dans ces lettres vous assurez que vous n'avez jamais été ni chaste ni diacre. Si vous osiez dénier cette vérité, je vous en convaincrais par ces mêmes lettres et par des caractères de votre main. Mais jouissez de vos crimes, puisque vous avez écrit en des termes dont je ne puis vous reprocher ici l’énormité. [147,8] Cependant vous êtes venu vous jeter à mes pieds , et me demander une miséricorde de sang pour parler comme vous; car, malheureux, vous appréhendiez ma vengeance et vous ne craigniez pas les jugements d'un Dieu irrité. Je vous pardonnai, je l'avoue, et que devait-on attendre autre chose d'un chrétien ? Je vous exhortai à faire pénitence, à vivre sous le cilice et dans la cendre, à vous retirer dans un cloître, et à y apaiser la colère du ciel par un déluge continuel de larmes. Mais que devint mon espérance? Vous vous êtes irrité contre moi comme une couleuvre , vous m'avez couvert d'opprobres et vous êtes devenu mon ennemi, parce que je vous avais dit la vérité. Ce n'est pas que je me plaigne de vos calomnies, car on sait que vous ne louez que les méchants ; je me plains seulement de ce que vous ne vous plaignez pas vous-même, de ce que vous ne vous apercevez point de votre mort, et de ce que vous vous parez pour la recevoir, ainsi qu'un athlète qui va être tué dans le combat. Vous portez du beau linge, vos doigts sont couverts de bagues, vous frisez ce qui reste de cheveux sur votre tête chauve; vous la baissez et ne pouvez la soutenir à cause de sa réplétion, car je ne veux pas dire qu'elle soit usée par la débauche ; vous sentez les parfums, vous allez aux bains où l'on vous rase; vous marchez dans les rues et dans les places publiques en amant coquet; vous êtes effronté comme une femme débauchée. Revenez à Dieu, malheureux, afin qu'il revienne à vous; faites pénitence et détournez par là le châtiment qu'il vous prépare. [147,9] Pourquoi me calomnier plutôt que vous guérir vous-même? Pourquoi me déchirer comme un frénétique, moi qui vous ai donné sur-le-champ des avis salutaires? Vous avez raison, je suis un pécheur; mais faites pénitence avec moi; je suis un criminel, mais joignez vos larmes aux miennes, à moins que vous ne placiez la vertu dans ce qui fait mon péché, et que vous preniez plaisir à avoir des semblables. Qu'il tombe quelques larmes de vos yeux. Au milieu de ces étoffes de prix dont vous êtes paré, persuadez-vous que vous êtes nu comme un ver et réduit à la dernière pauvreté. On ne fait jamais pénitence trop tard; quoique vous soyez sorti de Jérusalem et que vous ayez été blessé sur le chemin, le Samaritain vous ramènera sur son cheval et vous fera guérir chez lui. Vous êtes dans le tombeau, le Seigneur vous en retirera quand même déjà vous sentiriez mauvais. Imitez ces aveugles qu'il aborda en allant à Jérico, et qui recouvrèrent la vue au milieu des ombres de la mort où ils étaient plongés. Sachant qu'il passait, ils lui crièrent : « Ayez pitié de nous, Fils de David. » Si vous l'invoquez à leur exemple, et que vous renonciez au péché quand il vous appellera , vous recouvrerez la vue comme eux; quand vous aurez donné des marques de votre conversion par des gémissements, vous serez en sûreté et vous connaîtrez où vous êtes. Que le Sauveur porte la main à vos cicatrices et. sur vos yeux. Quand vous seriez né aveugle, « et que votre mère vous aurait conçu dans le crime, il vous purifiera avec de l'hysope, et alors vous serez pur; il vous lavera, et vous deviendrez plus blanc que la neige. » Pourquoi avoir toujours le visage attaché à la terre et ramper dans la boue ? Aussitôt que Jésus-Christ eut guéri cette femme qui avait été possédée du démon pendant dix-huit ans, elle se leva et regarda le ciel. Croyez que ce qui fut dit à Caïn s'adresse à vous : « Tu as péché, arrête-toi; pourquoi t'éloigner de la présence de Dieu et aller demeurer dans la terre de Naïd? » Pourquoi être toujours exposé à la tempête, et ne vous mettre point en sûreté sur un rocher? Prenez garde que Phinée ne vous surprenne péchant avec la Madianite et ne vous tue de son épée, vous dont le crime est plus noir que celui de Thamar; vous qui avez abusé d'une vierge consacrée à Dieu comme vous, et qui avez tourné votre rage contre Absalon, qui vous plaignait vous voyant dans le tombeau et dans la désobéissance. Le sang de Nabutha, et la vigne de Jezraël dont vous avez fait un jardin de volupté et de débauches, demandent le châtiment de votre péché. Hélie vous apporte la nouvelle de votre mort et de votre damnation; couvrez-vous d'un sac et ployez un peu sous le joug de la pénitence , afin que Dieu parle de vous en ces termes: « Voyez-vous comme Achab me redoute? je ne me vengerai point de lui pendant sa vie. » [147,10] Vous vous flattez peut-être en vous souvenant de l'évêque qui vous a fait diacre; mais je vous ai déjà dit qu'on ne châtie point le père pour le fils, ni le fils pour le père. Celui qui aura péché mourra. Les enfants de Samuel perdirent la crainte de Dieu et s'abandonnèrent à l'injustice et au désir des richesses. Hélie était un prêtre de grande sainteté ; cependant ses enfants péchaient avec des femmes dans le tabernacle de Dieu, et avaient l'effronterie de servir dans le temple comme vous faites. De là vint la ruine du tabernacle, et le crime des prêtres fut cause de la démolition du sanctuaire de Dieu. Hélie même offensa le Seigneur par son trop d'indulgence envers ses enfants. Ainsi, bien loin que l'innocence de votre évêque vous mette à couvert, il faut craindre que votre dérèglement ne lui cause une chute dont il ne puisse être relevé. Oza, qui devait porter lui-même l'arche , mourut voulant l'appuyer quand elle tombait. Que vous arrivera-t-il à vous, qui la renversez quand elle est en sûreté et qu'elle ne tombe point? Vous êtes d'autant plus coupable d'avoir trompé votre évêque qu'il est élevé en Sainteté et en mérite. Ordinairement nous savons, les derniers, les désordres de notre maison, et nous ignorons la débauche de notre femme et de nos enfants, pendant que tout. le monde s'en entretient. Vous étiez connu dans toute l'Italie, on soupirait en vous voyant devant l'autel ; et néanmoins vous n'aviez pas l'esprit de cacher ce que vous êtes. Le plaisir vous avait tellement aveuglé , et vous étiez attaché à la volupté par des liens si forts, que c'était pour vous une occasion de trophée d'avoir satisfait votre sensualité. [147,11] Mais cette sensualité vous précipita à la fin dans les piéges d'un mari puissant; car vous ne craigniez pas de commettre un adultère dans une maison dont le maître pouvait vous tuer impunément; vous faisiez en son absence des parties de promenades avec sa femme; vous alliez ensemble à des maisons de campagne, et vous viviez avec elle comme si vous eussiez été son mari et qu'elle n'eût pas été une débauchée. Cependant elle est surprise, et tandis qu'on la tient prisonnière vous trouvez le moyen de vous sauver. Vous venez en secret à Rome, où vous vivez inconnu avec des soldats et des vagabonds; mais aussitôt que vous y apprenez l'arrivée du mari que vous redoutez comme un Annibal traversant les Alpes, vous croyez qu'il n'y a de sûreté pour vous que dans un vaisseau, et que les tempêtes de la mer sont moins dangereuses pour vous que la terre. A votre arrivée en Syrie, vous paraissiez vouloir aller à Jérusalem présenter à Dieu une offrande pénitente. Qui n'eût pas reçu un homme qui promettait de se faire religieux, surtout en ne sachant pas ce qui s'était passé, et voyant des lettres circulaires de votre évêque qui vous recommandait à tous les ecclésiastiques du pays? Mais vous n'aviez que la forme d'un ange de lumière, et vous étiez un partisan du démon. Pendant que vous feigniez de vous donner entièrement à Dieu, vous cachiez un loup sous la peau d'une brebis; et après avoir ravi l'honneur à un mari, vous vouliez encore le ravir à Jésus-Christ. [147,12] Au reste je vous fais ici la peinture de votre vie, de peur que la miséricorde de Dieu ne vous serve de prétexte à de nouveaux crimes, que vous ne crucifiiez encore son Fils et que vous ne vous moquiez de sa passion. Je finis et vous prie de lire ces paroles: « Lorsqu'une terre est souvent abreuvée des eaux de la pluie, elle produit des herbages propres à ceux qui la cultivent et reçoit la bénédiction de Dieu; mais quand elle ne produit que des ronces et des épines, elle est en aversion à son maître; elle est menacée de sa malédiction et à la fin il y met le feu. »