[3,2] CHAPITRE IL Quelle est la première contemplation de l'homme qui aspire à la sagesse et quel est le fruit de sa contemplation. Celui qui veut acquérir la sagesse, doit premièrement considérer ce qu'il est, les choses qui sont au dedans et au dehors de lui, celles qui sont au dessus et au dessous, vis à vis, devant et après. C'est peut-être pour cette raison, que ceux, qui ont eu soin de laisser à la postérité les premiers éléments de toute la philosophie, ont estimé qu'il fallait considérer les neufs accidents de la catégorie avec leurs propriétés, regarder s'ils admettent intention et s'ils ont des contraires ou des répugnants. Ils ont traité ces matières avec de grandes raisons et des soins particuliers, quoiqu'au reste ils aient été si négligents, que parmi tant de lumières ils ne se sont pas connus eux-mêmes "Ils perdirent la connaissance de la lumière inaccessible, s'étant évanouis dans leurs pensées, et disant qu'ils étaient sages, ils sont devenus fous, et leur coeur fut obscurci par la folie" {Augustin, La Cité de Dieu, VIII, 9}. Pour preuve de cela, vous voyez que, s'étant abandonnés à des passions ignominieuses, ils faisaient des actions qui n'étaient bienséantes ni à leur sexe, ni à leur âge, ni à leur fortune, qui étaient contraires à la nature et dont la déformité fait horreur à tous ceux qui les considèrent, tant ils furent livrés au sens réprouvé, comme le savent bien ceux qui ont quelque connaissance de l'Antiquité. La plus forte preuve que je vous en saurais apporter sont leurs oeuvres, qui parlent assez de leur foi et de leur sincérité. Les oeuvres d'un homme servent de suffisante instruction pour le connaître. Mais celui qui ne se connaît pas, ne sait rien qui lui soit utile. "Si tu te méconnais, ô la plus belle des femmes, va t'en après les pas de tes compagnes, après les troupeaux; apprends à te connaître toi-même" {Le Cantique des Cantiques, I, 7} est un oracle descendu du Ciel. "Le Satyrique ne l'ignorait pas, puis qu'il criait : Apprenez malheureux et connaissez les causes Qui font naître et mourir au monde toutes choses; Sachez premièrement tout l'état des mortels, Ce qu'ils sont, pourquoi le Ciel les a fait tels ? Quel ordre ils doivent suivre, et devant et derrière? Comme ils doivent courir pour franchir la carrière ? Quel terme a leur argent, quels souhaits sont permis? Que le bien est utile à servir ses amis ; Ce qu'ils doivent donner ? et quelle est la partie Que leur Souverain veut qu'ils tiennent dans la vie". {Perse, Satire III, 67-72} Cette contemplation produit quatre beaux points, le profit pour soi-même, la charité pour le prochain, le mépris du monde et l'amour de Dieu. L'arbre qui porte des fruits si doux et si profitables, est-il pas bien précieux ? Certes, qui s'estime petit ne s'enorgueillit jamais ; que chacun considérant le nombre des choses souhaitables, regarde celles qu'il a et celles qu'il n'a pas, il rougira de se voir si pauvre. Qu'iI regarde après en soi les choses indignes d'être désirées, il aura toujours matière de douleur et d'humilité. Par cette méditation David s'humilie en soi-même, de quelque côté qu'il tourne la vue, et demande des forces à Dieu pour suppléer à ces défauts. "Jai été abaissé de tous côtés, vivifiez-moi selon votre parole". Et dans un autre endroit : "Je suis prêt à recevoir les coups de vos fouets et ma douleur est toujours devant mes yeux".