[2,27] CHAPITRE XXVII. Des Aruspices Chiromanciens et Pythoniciens et de la dégradation de Saül. Que dirai-je des Négromanciens, dont l'impiété, grâce à Dieu, s'est partout rendue détestable d'elle-même sinon que ceux qui veulent emprunter leur science de la mort, sont dignes de la mort ? Car il serait hors de propos d'entreprendre un plus long discours contre les auspices, les augures les sauteurs, les Arioles, les pythoniciens, les aruspices, et quantité d'autres dont le dénombrement serait ennuyeux, vu qu'il n'y en a plus qui osent paraître au jour, et que s'il en reste quelqu'un il n'ose pratiquer ses oeuvres de ténèbres que dans l'obscurité des caves et des antres les plus retirés. Je ne laisserai pas néanmoins d'en toucher quelque chose en passant pour certaine cause; car bien que la détestable science des aruspices soit cachée, elle subsiste encore au grand dommage de ceux qui la professent. Nous avons dit qu'ils devinaient en partie sur les entrailles des animaux. On comprend sous ce mot d'entrailles tout ce qui est couvert de la peau : d'où il s'ensuit qu'il faut compter en ce nombre ceux qui devinent sur des palettes de mouton et sur les os de quelques autres animaux. Les Chiromanciens encore se vantent de savoir découvrir les vérités cachées dans les lignes de la main. Il n'est pas nécessaire de battre à force de raisons ces erreurs qui n'en ont aucune, il est bien aisé de les renverser : la raison qui les détruit est qu'elles ne sont défendues par aucune raison. Je vous demanderais avec grande instance une chose, si vous la vouliez écouter avec autant de patience. Quel avantage avez-vous tiré de ces imposteurs (car je sais bien que vous en connaissez) quand vous les avez interrogés sur quelque doute? de quoi vous avertit le devin que vous consultâtes sur le voyage que le roi fit contre les Bretons Ninicollins, quoique vous fissiez mal de l'interroger sur une vérité si occulte, et que vous deviez plutôt ajouter foi aux menteries d'une sentinelle, qu'a ce faux prophète ? J'ai dit à une sentinelle, car lorsqu'on veut accuser quelqu'un de mensonge, on dit seulement qu'il est plus menteur qu'une sentinelle. Et de quoi vous servit ce Chiromancien dont vous prîtes l'avis ? car quelqu'un je ne sais qui ce fut, les consulta tous deux sur le même article, et cependant peu de jours après vous perdîtes l'étoile qui devait apporter le jour à votre maison, aussi bien que si vous n'en eussiez pas été avertis. Je passe sous silence les autres choses que vous savez mieux que moi, vu même que par leur fourbe ils ont mérité d'être là délaissés. Mais il est plus dangereux de consulter des Pythoniciens, d'autant que la tromperie de l'esprit malin y et plus manifeste ; car soit qu'ils mentent, soit qu'ils disent vrai, leur dernier but est toujours de nuire. Ils trompent quelquefois avec dessein, et d'autres fois sont trompés eux-mêmes par leur aveuglement. Mais ils tendent tous à se faire passer pour savants ès choses futures. Voila pourquoi ils embrouillent leurs prédictions par l'ambiguïté des paroles, afin que si l'on les trouve menteurs, ils ayent quelque couverture pour pallier leur tromperie, avec laquelle ils ne cessent d'abuser le monde jusqu'à tant qu'ils le guident dans le précipice. Qui jamais profita des réponses des devins, fut-ce Crésus ou Pyrrhus, ou quelque autre avant ou après eux ? Le prince Thébain Polynice est tué par son frère dans l'espérance de la victoire que l'oracle lui promettait. Son aïeul Laius sembla pourtant lui révéler le succès de la guerre, ce qu'il voulait signifier par la réponse qu'il rendit, après un long embarras d'ambiguïtés : "Mon neveu la victoire est assurée à Thèbes". Mais afin que Polynice ne l'accusât de mensonge pour dorer cette tromperie d'une feuille de vérité et pour avoir de quoi défendre sa malice il ajoute : "Mon père, ah quel malheur ! vaincre par les épées". Ainsi ce prince mal avisé est traîné à sa perte par la corde de l'impiété, lorsqu'il est invité par l'oracle et par les devins à commettre un fratricide. Le souhait du père parricide est pareillement accompli, en ce que ces deux frères dénaturés, auxquels ses interprétations avaient tant souhaité qu'ils coupassent les noeuds de leur accord à coups d'épée, s'entretuent de deux coups fourrés et se percent mortellement l'un l'autre. Crésus sur la foi des oracles s'assure de la conquête de plusieurs belles provinces s'il passe une fois la rivière d'Halys, mais comme la chose va tout au rebours, le hâbleur d'Apollon se purge de menterie par une petite équivoque. Que dirai-je de Pyrrhus, il se promet l'empire d'Italie par la déroute des Romains qu'il avait souvent défaits, mais ayant été battu sans ressource il en rejeta la faute sur ce qu'il avait mal entendu l'amphibologie de l'oracle. Passons à des histoires plus connues. Appius par le conseil d'Apollon cherche le repos dans l'île de Négrepont, pour éviter la tempête de la guerre civile qui seule ébranlait tout l'Univers. Lucain en rapporte les termes de l'oracle: "Pour te mettre à couvert d’une grande tempête, Dont le danger mortel te pendait sur la tête, Tu jouiras tout seul d'un aimable repos, Dans un sombre vallon tout entouré de flots, Où la mer par sept fois contre soi recourbée, Enferme de ses bras la belle île d'Eubée. [Lucain, La guerre civile, V, 194-196] Mais de peur qu'on ne rejette la fausseté plutôt sur les histoires que sur les oracles, lisons un peu l'histoire canonique que l'église a reçue comme une pièce sans reproche. Apres que Saul de prince qu'il était se fut changé en tyran, et que dieu, l'ayant abandonné pour ses fautes, eut souffert que les Israélites qu'il conduisait fussent battus par leurs ennemis, ce prince troublé d'angoisse et du désir de savoir quelle serait l'issue du mauvais état de ses affaires, consulta le seigneur, qui ne lui répondit ni par songes, ni par prêtres, ni par prophètes. Il lui avait néanmoins parlé quelques jours auparavant par son prophète Samuel qui lui avait dit hautement que dieu se repentait de l'avoir établi dans le trône, parce qu'il n'avait pas accompli sa parole, à la sollicitation de l'avarice qui lui avait conseillé de pardonner au gros roi Agag, et de réserver les plus gras troupeaux de ses brebis et de ses boeufs, les plus précieux habits, et tout le butin, qui agréa au peuple, n'ayant fait le dégât que des choses de rebut et de vil prix. Cependant il se vantait devant ses sujets de la grande force et du présent qu'il avait fait, sans en rendre gloire à l'auteur de tous les biens, qui seul en qualité de dieu des armées a le pouvoir de distribuer les victoires, voici le texte: "La parole du Seigneur fut faite a Samuel : Je me repens d'avoir établi Saül roi, parce qu'il ma délaissé et n'a pas accompli mes paroles. Samuel s'en affligea, et cria toute la nuit au Seigneur, et s'étant levé de nuit pour aller vers Saül, le matin on lui raconta que ce roi était venu à la montagne de Carmel, et qu'il s' était érigé un arc de triomphe, et que s'en retournant il était descendu en Galgala". {I Livre des rois, XV, 11 sqq.} Apres comme Samuel l'en reprit, il aima mieux excuser son crime de désobéissance par le prétexte de religion que de l'effacer par la pénitence, qui sert au pêcheur d'esquif après le naufrage. Car il répondit : "J'ai écouté la voix du Seigneur, j'ai cheminé par la voie par laquelle il m'a envoyé, j'ai amené Agag roi d'Amalech, et passé les Amalécites par le fil de l'épée, et le peuple a pris du butin des brebis et des boeufs pour prémices de ce qui a été tué pour immoler au Seigneur Dieu vivant en Galgala". Voyez comme il s'excuse, comme il amoindrit sa faute, et la rejette sur le peuple. Sur quoi Samuel lui réplique: "Le Seigneur veut-il des holocaustes et des victimes, et non pas plutôt que l'on obéisse à sa voix ? obéissance vaut mieux que victime, parce que c'est comme un péché de suivre les Arioles que de contredire, et comme un crime d'idolâtrie que de ne vouloir pas obéir, pour ce que tu as rebutté la parole du Seigneur, le Seigneur t'a rebuté que tu ne sois plus roi". C'est ce qui arrive à tous ceux qui du faîte de quelque grandeur se précipitent après leurs désirs déréglés, tranchant des Dieux, parce qu'ils sont princes, comme si la souveraineté était quelque chose de divin, à ceux, dis-je, qui exercent leur orgueil sur leurs pauvres sujets, et qui s'imaginent qu'ils doivent avoir autant de permission qu'ils ont de volonté, comme s'ils ne devaient pas ployer sous la loi de Dieu, ou qu'ils ne fussent pas obligés d'accomplir ses commandements. Mais pensez-vous que cet épouvantable tonnerre de la menace de Dieu ait pu briser la conscience endurcie de ce Prince, ni ramollir la tumeur de son orgueil, que la tyrannie avait si fort enraciné dans son coeur. Tant s'en faut, qu'au contraire il répondit a Samuel: "J'ai péché, parce que j'ai violé la parole du Seigneur, et la tienne, pour la crainte que j'ai eu du peuple et de ses crieries : mais maintenant, je te prie, porte mon péché, et retourne avec moi que j'adore le Seigneur". Et Samuel lui dit : "Je n'en ferai rien, tu as rejeté la parole du Seigneur, et le Seigneur t'a rejeté". Remarquez-vous combien il est malaisé de guérir la malice, quand une fois elle s'est enracinée par le moyen de l'orgueil. J'ai péché, dit-il, par la crainte que j'ai eue du peuple". Ne confesse-il pas sa faute d'une telle façon que premier que de s'en démêler il y enveloppe son peuple qu'il devait excuser, s'il eût été bon Prince? avait-il ouï dire que Moïse eût fait ainsi, quand la colère de Dieu s'épandait sur le peuple, et que le Seigneur lui disait : "Laisse-moi que ma fureur s'étende sur le peuple que, je l'extermine, et puis je te ferai croître en une grande Nation?" {Exode, XXXII, 10} Que fit donc ce charitable conducteur, ce prince très fidèle établi en cette charge par le choix de Dieu ; "Ou pardonnez-leur cette faute (s'écria-t-il) ou m'effacez de votre livre?" Cette ardeur de charité si passionnée cherchait-elle sa propre gloire ? rien moins ; car ce prince très clément, ce père extrèmement affectionné au salut de ses enfants; cet orateur qui secondait l'éloquence de ses paroles par la puissance de ses effets, qui comme capitaine marchait en tête pour accomplir les commandements de Dieu, importunait la justice divine en ces termes : "Seigneur les Égyptiens diront que vous les avez finement tirés d'Egypte pour les tuer dans le désert". {Psaumes CV, 26} Vous voyez donc qu'il souhaitait la gloire de son maître à ses propres dépens, et qu'il procurait la délivrance du peuple qu'il conduisait. David semblablement ayant irrité la colère du Ciel par ses fautes, dont ses subjets portaient la principale punition, comme il eût vu l'ange qui frappait le peuple, élança des prières ardentes du plus profond du coeur, et s'écria : "Seigneur, c'est moi qui ai péché, c'est moi qui ai commis le crime, qu'ont fait ceux qui ne sont que les brebis?" {II Livre des rois, XXIV, 17} O le véritable roi ! ô le juste gouverneur! digne d'apaiser la colère de Dieu, qui présentant ses espaules au fouet, qui affligeait son peuple, mérita d'arrêter le bras de ce souverain, qui ne se laisse fléchir par aucune excuse, si l'on ne se condamne soi-même, qui ne pardonne jamais sinon quand le coupable découvre sa faute toute nue, de ce juge dont la miséricorde ne tend jamais les bras qu'à une âme embrasée de charité et mortifiée par la contrition ; rien ne le peut rendre propice si la volonté n'étend la main pour satisfaire. Ce n'est pas tout de confesser sa faute, la confession en est inutile, si l'intention de satisfaire ne pousse le criminel à demander le pardon. "J'ai péché, dit Judas, en livrant le sang du juste". {Matthieu XXVII, 4} Sa confession fut véritable de tous points, mais elle fut inutile, d'autant qu'il courut plutôt à la corde qu'il avait méritée qu'à la fontaine de miséricorde qu'il avait déméritée et qu'il s'était fermé par la dureté de son obstination. Il se repentit bien d'avoir commis le crime, mais non pas avec une ardeur de dévotion suffisante d'amollir la pierre de secours : ce faible repentir lui ayant attaché une corde au cou, finit sa vie par un digne supplice mais parce qu'il ne corrigea point sa méchanceté, il ne se procura point de pardon par aucun remède salutaire. L'on dit même qu'en enfer il y a une semblable pointe de repentir, bien qu'il n'y ait point d'amendement de volonté. C'est ainsi que Saül veut se décharger de son péché sur les épaules des autres et lorsqu'il fait semblant de vouloir s'exempter de la peine par l'intercession de Samuel, il s'enveloppe dans des filets plus forts que les précédents, se chargeant plus qu'il ne l'était et s'empêtrant lui-même dans une irrévocable sentence de condamnation. Lisez la suite : "Samuel se tourna pour s'en aller, or Saül prit le bout de son manteau qui se coupa et Samuel lui dit: Le Seigneur a coupé aujourd'hui le royaume d'Israël d'entre tes mains et l'a donné à ton prochain meilleur que toi". {I Livre des rois, XV, 27-28} Enfin ce brave qui triomphe devant le peuple d'Israël ne s'abaissera pas, ni ne se laissera pas fléchir au regret d'avoir failli ; ce n'est pas un homme à faire pénitence; il dit néanmoins : "J'ai péché, mais honore moi devant les plus vieux de mon peuple et devant Israël, et reviens avec moi pour adorer le Seigneur ton Dieu". {I Livre des rois, XV, 30} Voyez quelle orgueilleuse folie ! Samuel lui dit que Dieu l'a démis, et toutefois il se veut conserver la couronne malgré lui. Il ne doute pas que le sceptre n'ait été donné à un meilleur que lui, mais en ayant été debouté par un arrêt irrévocable, il veut frauduleusement en retenir la possession. Il se va rompre le col, pour vouloir monter a un degré défendu; il va devenir pire que lui-même pour vouloir être préféré en dépit de Dieu à un meilleur que lui. Il avoue bien sa faute, mais il ne veut pas en porter la peine, c'est ainsi qu'il l'entend: "J'ai péché, mais maintenant honore moi", n'est-ce pas dire ? Bien que j'aie mérité d'être délaissé et que je sois débouté justement à cause de mon crime, de ma superbe et de ma méchanceté tyrannique, je te prie, que ta tolérance maintienne ma gloire devant ceux auxquels il n'est pas encore apparu de la sentence divine. Reviens donc afin que je m'appuie sur tes épaules ne pouvant plus marcher, et qu'étant escorté d'une compagnie si remarquable, et respecté en faveur de ton autorité j'adore le Seigneur ton Dieu que je n'ose plus appeler le mien, parce que ma désobéissance m'en a éloigné et que mon opiniâtreté m'en éloigne encore. Son esprit était si fort perdu de vanité, qu'il se préférait en quelque façon, non pas à un homme seulement, mais encore à Dieu par un attentat aussi impie qu'il était audacieux. Car tant plus il reconnaissait de grâces dans celui que le Seigneur lui avait préféré, tant plus son envie maligne s'aigrissait, tant plus elle lui dressait d'embûches, le persécutant par une inimitié aussi manifeste qu'injuste : et d'autant plus qu'il voyait que le Seigneur élevait visiblement David, il se hâtait non pas tant de le rabaisser que de l'étouffer tout à fait. Ne l'entreprend-il pas encore contre Dieu, lorsqu'il lui veut dérobe ou ravir le droit de conférer les royaumes? Il était donc bien juste que l'esprit de Dieu ne demeurait pas dans cet homme, dans le cœur duquel une si grande méchanceté ne s'était seulement pas logée mais encore y avait pris de très profondes racines. "Un esprit malin de la part du Seigneur le venait tourmenter" ; {I Livre des rois, XVI, 14} et dès lors toutes ses affaires, comme par un reflux commencèrent à décliner, les forces de son royaume reçurent divers échecs, le salut du peuple fut presque agité jusqu'au naufrage, et les fréquentes et très importantes victoires des ennemis abattirent puissamment le courage tant du roi que du peuple; cependant il avait chassé de ses terres celui à qui le souverain Seigneur avait conféré le royaume. Quelle résolution croyez-vous donc qu'il suivit, ce ne fut pas de livrer le gouvernement entre les mains du meilleur, suivant la volonté de Dieu, qui lui avait été clairement signifiée, afin de faire une pénitence salutaire avant la fin de ses jours. Il se laissa plutôt emporter aux mouvements de son orgueil, qui avait soulevé sou coeur contre Dieu. Il mena le peuple en bataille sur les montagnes de Gelboë, où il devait être puni de mort: car il méritait d'être tué sur une montagne, puis qu'il ne considéra rien en soi que de haut et de superbe. Or, voyant que la vérité l'avait abandonné, ce faux et méchant prince eut recours aux fontaines du mensonge. Il commanda donc ainsi à ses serviteurs : "Cherchez moi une femme qui ait un esprit de Python, afin que j'aille la consulter". {I Livre des rois, XXVIII, 7} Que pouvait dire autre chose un gentil ; que pouvait dire un infidèle, sont-ce pas des paroles de désespoir : "J'aurai secours d'enfer si le ciel m'en refuse". {Virgile, L'Énéide VII, 312} Ou plutôt sont-ce pas des paroles d'un homme, qui ayant connaissance de la vraie foi dirait par une fureur perfide: Si Dieu me cache la connaissance de la vérité, je la connaîtrai malgré lui par le moyen du père de mensonge, et qu'il le veuille ou non, je découvrirai les conseils de son cabinet, et les forces de mes ennemis. Ces serviteurs lui répondirent : "Il y a une Pythonisse en Endor", {I Livre des rois, XXVIII, 7} il n'était pas digne de trouver un homme pour consulter, puisqu'il avait l'esprit et le coeur si lâche dans son désespoir, qu'il implorait le secours des plus basses et des plus infirmes créatures pour se maintenir la couronne contre la puissance de son Seigneur qui l'en avait demis. "Il changea donc d'habit et s'en alla accompagné de deux hommes avec lesquels il arriva de nuit au logis de la Pythonisse". {I Livre des rois, XXVIII, 8} Toutes ces choses se font avec raison, car le saint esprit agit entre les méchants même de cette sorte. Celui qui prenait le malheureux chemin pour aller servir aux démons et non plus à son Dieu devait bien être dépouillé des habits royaux ; il ne pouvait plus porter les glorieuses marques de la puissance et de l'honneur, puisqu'il avait jeté par terre la robe d'innocence et changé le vêtement de justice. Et il s'en alla, après celui qui n'a pu se tenir ferme dans la vérité. Il avait deux hommes avec lui, c'étaient assurément deux hommes sans nom et sans condition, puisqu'ils purent au mépris de la foi suivre leur prince qui allait commettre une si grande perfidie. C'est encore avec sujet que le roi fut escorté de deux, lorsqu'il se reculait de la vérité suprême qui est unique. Il arriva de nuit, temps extrêmement propre pour traiter avec le prince des ténèbres et pour apprendre de lui la mort des rois, le carnage du peuple, et le deuil universel du royaume. Ainsi l'écriture dit que Salomon reçut la sagesse la nuit parce que l'amour des femmes, qui l'avait attiré pour le perdre, l'éloigna de l'amour de Dieu. Saint Pierre, destitué de la chaleur de la foi, se chauffant la nuit auprès du feu, tomba dans le crime de perfidie et rendit cette nuit insigne par ses parjures. Les autres disciples, frappés de crainte s'enfuirent aussi la nuit. Et Saül dit à la femme, car l'esprit Pythonique loge plus souvent dans les femmes, "Devine moi en esprit de Python, et ressuscite moi qui je te dirai". {I Livre des rois, XXVIII, 8} Lisez les saints livres, feuilletez les histoires anciennes, examinez les écritures, jamais vous ne trouverez ce mot de divination pris en bonne part. D'où vient que l'écriture appelle les faux prophètes devins et non pas prophètes, tels qu'étaient ceux d'Achab, qui par la permission de Dieu était abusê par leurs fourbes en punition de ses crimes, pour lesquels selon la parole de Dieu, il sortit un esprit mensonger qui leur remplit la bouche, et promit bon succès au roi Achab, qui était prêt de monter en Ramotgalaadus, Michée seul ayant contredît à ces dangereuses prophéties. Davantage, la divination ne se faisait point sans présents, qui témoignaient qu'elle été exercée, avec esprit de méchanceté et d'avarice. De là vient que le saint esprit reproche à Jérusalem, qui devait être désolée, "Tes juges jugeaient par présents, tes prêtres répondaient pour le salaire, et tes prophètes devinaient pour de l'argent, et se reposaient sur le Seigneur disant : le Seigneur est-il pas en nous? les maux ne viendront pas sur nous ; pour cela dit le Seigneur Sion sera labourée comme un guéret, et Jérusalem sera comme la garde du lieu de derrière tes murailles". {Michée, III, 11-12} Ceux donc qui devinent pour de l'argent, quoiqu'ils se vantent du nom de prophète, sont toujours menteurs, toujours trompeurs et toujours destitués de la vertu et de la vérité de prophétie. "Devine en l'esprit de Python, dit-il, puisque l'esprit du Seigneur s'est retiré de moi", qu'au moins celui de Python m'assiste, "Ressuscite-moi qui je te dirai". Une tromperie en attire une autre, ce roi abandonné au sens reprouvé, qui s'était persuadé que le Python était l'esprit souverain de la science, savant aux choses futures, conseiller des conseils d'état de Dieu, et véritable interprète de la vérité, se persuade encore qu'il a le pouvoir de ressusciter les morts et croit qu'il a tant de douceur et de courtoisie qu'il voudra le gratifier d'un bienfait si difficile et si rare, qu'il n'en peut pas obliger ses plus grands amis. Il avait sans doute oublié ou ne méditait pas le cantique de la religieuse Anne, qui dit, "Que c'est le Seigneur qui mortifie et qui vivifie, qui mène aux enfers et qui en ramène, qui enrichit et qui appauvrit, qui abaisse et qui relève, et qui fait" (ce que Saül avait vu en sa propre personne) "lever un gueux de la poussière pour lui donner place entre les princes", {I Livre des rois, II, 6-8} et pour le faire asseoir dans le trône de gloire : il ne considérait pas que celui qui fait ces changements est le Seigneur des sciences. "Et la femme lui dit : tu sais bien comme Saül a exterminé les magiciens et les Arioles de dessus la terre : Pourquoi donc mets-tu des embûches à ma vie ? lors Saül lui jura par le Seigneur, vive le Seigneur, qu'il ne t'arrivera rien de mal pour cette chose". {I Livre des rois, XXVIII, 9-10} Ah! qu'il est véritable que qui demeure dans la boue se pourrit davantage et que les extrémités de celui que la grâce abandonne deviennent encore pires que les commencements. La Pythonisse se sentant coupable d'un sacrilège prend l'épouvante, mais le magistrat établi de Dieu pour arracher les sacrilèges, donne de l'assurance aux idolâtres ; il prête son autorité royale aux impies, lui qui demeure lâche et timide quand il faut s'employer pour les affaires publiques, et pour les querelles de Dieu. "Ne laissez vivre, dit le Seigneur, ni magiciens, ni Arioles". Et cependant celui à qui s'adresse ce commandement, celui qui porte l'épée pour la punition des malfaiteurs et pour la gloire des bons, ne donne seulement pas sûreté aux méchants, mais Ieur confirme encore par serment la paix qu'il leur promet ; et par ainsi il advient qu'il apprend a son propre dommage, "Combien sont entortillés les nerfs de Léviathans", s'étant tendu un filet de sa propre main, dont il ne saurait se démêler sans préjudice de son salut. Il est serré de tous côtés par un dilemme dont il ne saurait se dépêtrer : S'il pardonne à la Pythonisse, il viole le commandement de Dieu ; et s'il ne lui pardonne, il enfreint la religion de son serment. "La femme lui dit donc, qui te réssusciterai-je? il lui dit, ressuscite-moi Samuel". {I Livre des rois, XXVIII, 11} C'est une croyance tenue par tous les siècles, qu'il y a un Dieu juste et bon, qui récompense ceux qui espèrent en lui, et qui satisfait pleinement aux mérites de tous devant la loi, dans la loi et dans la grâce. Jamais homme de sens commun n'en a douté et sans cette croyance jamais personne n'est entré dans le port de salut. Mais celui qui erre dans de petites choses, glisse peu à peu dans les plus grandes. Ainsi Saül qui fut négligent du commencement devint désobéissant, puis contumax, après obstiné, et à la fin tellement aveugle, qu'il ne garda pas seulement cet article de foi. Car en quelque façon il ne crut pas que Dieu fût juste, puis qu'il eut cette opinion que la bonté divine eût concédé aux démons quelque puissance sur les saints qui sont en l'autre monde. Il savait bien que Samuel, homme saint, n'avait point obéi aux Pythonisses, ni fait aucun commerce ou pacte avec ces esprits durant qu'il avait vécu. Et maintenant il demande et se promet qu'il sera ressuscité au commandement du Python et le veut contraindre après sa mort à une chose qu'il n'avait su obtenir de lui durant qu'il vivait. "Mais comme la femme eut vu Samuel, elle s'écria à haute voix et dit à Saül: Pourquoi m'as-tu imposé, car tu es Saül" {I Livre des rois, XXVIII, 12} : elle crut être surprise et convaincue de son crime par la présence du prince. "Le roi lui dit ne crains point,qu'as-tu vu? Et la femme répondit à Saül : J'ai vu les Dieux montant de la terre". {I Livre des rois, XXVIII, 13} La réponse de la Pythonisse eut pu détourner de cette entreprise un homme que la foi n'eut pas entièrement abandonné. Car elle introduit la pluralité des Dieux qu'elle loge sous terre, et dans les ténèbres. "Saül donc lui dit, quelle est sa forme ? elle lui répondit, un homme vieil est monté couvert d'un manteau. Saül donc entendit que c’était Samuel, et s'inclinant sur son visage en terre adora". {I Livre des rois, XXVIII, 14} Il s'enquête soigneusement de la forme et de l'habit de celui qui apparaissait, abusé peut-être par cette erreur des Gentils, qui pensaient que la même forme d'habits et les mêmes inclinations qu'avaient eu les vivants leurs demeuraient encore en l'autre monde. "Les habits, les plaisirs, les jeux et les ébats Qu'ils aimaient ici haut, il les aiment là-bas, S'ils aimaient les chevaux, la course et l'exercice, Leurs ombres aux enfers se plaisent dans la lice". {Virgile, L'Énéide, VI, 653-655} Mais la gloire de ce saint patriarche pouvait-elle pas être plus illustre et son habit devait-il pas être changé après le trépas? Et certes l'écriture par prudence et par maxime de foi, ne dit pas que Samuel fut ressuscité par le commandement du Python mais elle nous exprime avec prudence l'aveuglement de cet impie, car elle dit qu'ayant "entendu la forme et l'habit de l'homme, il connut que c'était Samuel". Il fut bien trompé dans sa croyance, comme la suite le prouve, "S'inclinant il adora". Car si c'eût été Samuel il n'eut jamais permis qu'un homme l'eût adoré, puisque sa foi lui avait appris et qu'il avait enseigné qu'il ne fallait adorer qu'un seul Dieu. Et puis les âmes des saints ne sont pas sous la puissance des esprits malins, et si cette ombre eût été le vrai Samuel, elle n'eut pas entretenu l'erreur d'un homme abusé; ce qu'il fit pourtant, comme on le collige de ce qui suit. "Samuel dit donc à Saül, pourquoi m'as-tu inquiété pour me faire ressusciter ?" {I Livre des rois, XXVIII, 15} C'est la fraude des démons de faire semblant d'avoir beaucoup de peine dans les choses qu'ils font de leur bon gré et dans les conseils qu'ils donnent volontairement aux hommes afin qu'on estime qu'ils le font par contrainte. Ils feignent d'être forcés et traînés par la vertu des conjurations, et de peur qu'on ne s'aperçoive de leur ruse, ils les composent au nom de Dieu de sorte qu'elles semblent prendre leurs forces de la foi que nous avons du mystère de la trinité, de la vertu de l'incarnation et de la passion de Jésus-Christ : ils les donnent aux hommes et leur obéissent quand il les pratiquent, jusqu'autant qu'ils les enveloppent avec eux dans le crime de sacrilège et puis dans les supplices éternels. Ils se transfigurent quelquefois en anges de lumière, ne commandent que des choses honnêtes, défendent les mauvaises, affectent la pureté, pourvoient aux nécessités afin qu'on les admette plus familièrement, comme bons et propices, qu'on les écoute plus favorablement, qu'on les aime plus étroitement, et qu'on leur donne plus facilement ce qu'ils demandent. Ils se couvrent aussi de l'habit et de la forme des personn es vénérables, afin qu'on leur porte un plus grand respect et une plus prompte obéissance. "Et Saül dit : Je suis trop pressé les Philistins m'assaillent, Dieu s' est retiré de moi, et ne m'a point voulu écouter, ni par la main des prophètes, ni par songes. Je t'ai donc appelé, afin que tu me montres ce que je dois faire" {I Livre des rois, XXVIII, 15} c'est comme s'il disait ouvertement: je suis tombé dans un gouffre de désespoir ; les hommes m'assaillent, Dieu me délaisse, je me jette entre tes bras, à toi qui dans la vérité t'es rendu l'ennemi de Dieu et des hommes, enseigne-moi ce que je dois faire dans une si pressante détresse. Car quoiqu'il pensât parler à Samuel, il parlait véritablement a l'ange de Satan. Son ignorance ne le peut excuser, vu qu'il n'est permis à personne d'ignorer que la créature qui se laisse adorer est rebelle à son créateur et de perverse volonté. Il savait bien encore qu'il était défendu de consulter les Arioles et les magiciens, et d'interroger le Python sur les aventures du futur. Que si l'ignorance de la personne le peut excuser, la condition des sots serait meilleure que celle des savants, et celle des méchants plus avantageuse que celle des bons. Et Samuel, ou plutôt le démon sous sa figure, digne oracle de ce méchant roi répond: "Pourquoi m'interroges-tu? vu que le Seigneur s'est retiré de toi et qu'il est passé vers ton corival". {I Livre des rois, XXVIII, 16} Le commencement de la réponse est conforme à la foi et à la raison : car en quoi une créature pourrait-elle aider celui que Dieu délaisse et qu'il veut dépouiller. Mais l'ennemi de la foi biaise peu à peu et se coule insensiblement vers les maximes, mêlant les choses fausses avec les vraies, et déguisant ses mensonges d'avec la couleur de la vérité. La suite fait voir : "Le Seigneur te fera ce qu'il t'a dit par ma bouche, et coupera le royaume de ta main et le donnera à David ton prochain, parce que tu ne lui a pas obéi, ni exécuté la voix de sa fureur sur Amalech; pour cette cause le Seigneur t'a sait ce que tu souffres aujourd'hui et le Seigneur livrera Israël avec toi dans les mains de tes ennemis; demain toi et tes enfants seront avec moi, mais le Seigneur livrera aussi le camp d'Israël dans les mains des Philistins". {I Livre des rois, XXVIII, 17-19} Cet esprit infidèle lui expose fidèlement l'issue de la guerre, mais néanmoins il surprend méchamment cette infidèle et malheureuse âme par les filets de ses paroles, en confirmant l'erreur d'un homme égaré et lui promettant repos après la mort sans avoir fait pénitence. Car lorsqu'il lui dit : "Le Seigneur accomplira ce qu'il t'a déclaré par ma bouche", il se feint être Samuel mais quand il ajoute, "Toi et tes fils serez demain avec moi" îl lui prédit la vérité, quoique par une subtile tromperie car en effet le lendemain Saül devait passer aux enfers, en se tuant de sa propre main par désespoir, pour y partager les supplices avec celui qu'il avait ensuivi par son avarice, par son orgueil, et par son obstination. Mais le démon le flatte traîtreusement par espérance du repos, contrefaisant de contenance et de paroles le véritable Samuel, à qui sans doute le Seigneur a donné place dans la paix éternelle parmi ceux qui invoquent son nom. Que servirent donc à Saül les réponses de son Samuel, ou plutôt de son esprit Pythonique ? Peut-être que sans cette précaution il pouvait espérer quelque meilleur événement, et attendre son salut dans l'épée de ses ennemis mais, tenant cet oracle pour infaillible, il se penche sur la pointe de la sienne, ayant été réduit à cette extrémité pour avoir trop de soin de sa propre gloire. Lui qui eut pu trouver une fin plus glorieuse dans le combat, eut peur du vent de ces paroles, et par une résolution qu'il prit de sa faiblesse et de sa lâcheté, se donna la mort au corps et à l'âme tout ensemble. Que les païens se glorifient de leur courage et qu'ils louent de semblables actions, que leurs meilleures plumes écrivent hardiment leurs pensées sur ce sujet, lorsqu'ils chantent les magnifiques tiltres de leurs héros et qu'ils publient la générosité de leurs grands personnages. Qu'ils conseillent à Caton de se poignarder, que Vulteius par leur avis arme sa main et celles de ses compagnons contre leur propre estomac. Que la reine d'Égypte s'envoie du venin au coeur par la morsure de ses aspics, que Lucrèce lave l'adultère d'autrui par l'effusion de son propre sang, je ne pense pas qu'il arrive jamais d'extrémité qui puisse autoriser un homme de prendre la mort de sa propre main, sa chasteté même fut-elle en danger, quoique le docteur des docteurs, auquel je ne trouve presque point de semblable dans le sanctuaire des lettres, semble faire cette exception. Cette mort n'est que pour les désespérés et pour ceux qui, vivant encore du corps, sont morts de l'âme, et privés de la vie céleste, une telle mort n'est assurément pas la mort des vivants mais celle des morts. Si vous voulez encore des exemples de ceux qui ont malheureusement péri pour avoir consulté les devins, parcourez la suite de tous les rois infidèles : Jéroboam, Achab, JézabeI, Nabuchodonosor, Sennacherib, et les autres, dont j'aurais bien de la peine à raconter les méchancetés ; qu'ont-ils gagné par leurs devins, qui leurs prédisaient des mensonges et des faussetés dangereuses, au lieu de leur découvrir leur méchanceté pour les exciter à pénitence ? Ils se sont tous perdus après le prince de vanité, et voulant savoir ce qui n'est pas permis de savoir, ou le voulant savoir autrement qu'il n'est permis, furent réduits dans le néant. J'ai mis les rois d'lsraël de compagnie avec les infidèles, parce que comme parmi les rois de Juda il y en a eu de bons et de mauvais, ceux d'lsraël ont été tous méchants. "Ne vous élevez plus d'un vol ambitieux, Pour savoir les secrets du souverain des cieux". {Denys Caton, Distiques moraux} Dieu exécutera bien ce qu'il a disposé de vous, sans que vous y travailliez avec tant de peine. Vn poète a donné là-dessus un beau précepte : "Crois que le jour présent va tes jours limiter, Les autres que les Dieux, voudront ajouter, Étant moins espérés seront plus agréables". {Horace, Épîtres, I, 4, 13-14} Or la vérité ne se dément jamais, elle est toujours bien d'accord avec soi, et quoiqu'elle sorte de la demeure du mensonge et d'une bouche profane, elle ne se soucie non plus que fait la lumière du soleil par quelques ordures qu'elle passe : elle nous commande de ne craindre point la mort, et de nous tenir prêts à la recevoir à toute heure, afin que nous montions d'autant plus vite à la perfection par les degrés de la vertu que nous nous attendrons moins à la longueur de nos jours. La mort est un présent nécessaire à la nature corrompue ; car la corruption est la source du trépas. Ôtez la corruption, suivez la pureté de la vertu, vous marcherez dans le chemin de l'immortalité, vous avez pris des arrhes de votre divinité future ; vous en avez pris, dis-je, ou reçu, ou pour parler mieux, selon la foi, vous en avez pris et reçu. "Car ce n'est ni à celui qui veut, ni à celui qui court, mais à Dieu qui a pitié". Qui sait à quelle heure il viendra, s'il nous surprendra au soir ou à minuit, au chant du coq, au ou lever du soleil, car comme dit quelqu'un :"Rien n'est plus certain que la mort, rien de plus incertain que son heure", que nous ne devons pas craindre comme un mal, mais qu'il faut embrasser comme la fin de tous nos maux, quand elle se présentera. Nous devons fuir seulement une chose de toutes les forces de notre âme et de notre corps, voulez-vous savoir laquelle? c'est l'infamie du vice et tout ce qui est tant soit peu déshonnête, puisque ces taches sont cause que la mort n'est pas le terme de nos malheurs, mais plutôt la liaison des misères de ce monde et de celles de l'autre. Pour fuir cette mort, il n'est point besoin de consulter les oracles, ni le Python; la raison que nous avons reçue du ciel nous donne pour cela de meilleurs et de plus fidèles avis. Caton, réduit à une extrême détresse, lorsqu'il était dans la Lybie, dédaigna d'aller prendre l'oracle d'Ammon, estimant que la seule raison lui persuadait suffisamment de maintenir sa liberté et de fuir le joug de la tyrannie de César, avec tout ce qui porte la moindre tache de déshonneur. Quoique je sache bien qu'il ne garda pas toujours les maximes de générosité, s'étant abusé au dernier point, lorsque de sa propre autorité il se défit de la vie que Dieu lui avait donnée, contre la défense qu'en font non seulement les lois de notre croyance, mais encore les constitutions des peuples et des plus sages législateurs. Pythagore et Plotin, princes de l'ancienne philosophie, qui n'ont pas inventé cette ordonnance, mais qui seulement l'ont publiée les premiers, on enseigné qu'il n'était pas permis à un soldat de sortir de sa faction ou de son quartier, sans ordre de son capitaine ou de son prince. Cet exemple est fort propre au sujet, vu que la vie de l'homme est une milice sur terre. Que si les oracles des devins et les réponses du Python commandent le contraire, il ne les faut pas écouter, parce que l'on ne doit ajouter foi à qui que ce soit au préjudice de son innocence. Si vous ne m'en croyez pas, regardez Numa meilleur et le plus innocent de tous les princes Romains horsmis Titus. Ce bon roi étant sollicité de commettre un homicide par l'oracle qui lui demandait une tête en sacrifice, répondit qu'il couperait la tête d'un oignon, détournant la volonté de son Dieu trop cruel du côté de l'innocence, et comme ce Dieu ajoutât qu'il voulait qu'elle fut d'homme, il promit qu'il lui en offrirait les cheveux. L'esprit immonde le pressa encore, et lui demanda du sang, mais il dit qu'il lui immolerait un poisson. Ainsi sa bonté ne pouvant être circonvenue pour commettre un homicide, il fut prononcé digne de la conversation des Dieux, par le témoignage même du malin esprit dont il avait éludé la cruauté. C'est en vain qu'on voudrait couvrir cette erreur du prétexte des exorcismes qui n'ont été faits que pour diminuer la puissance des démons et pour rompre le commerce qu'ils ont avec l'homme, et qui sont privés de leur vertu ordinaire s'ils ne prennent leur force de la main de Dieu. Enfin, "l'esprit sain de la discipline s'enfuira d'un homme feint, et dédaignera de loger dans un corps sujet aux peines". Mais toutes les cérémonies qu'on fait en pareils mystères sont feintes et fantastiques, et sans aucune substance de vérité. L'esprit de Dieu semble bien y être présent quand on l'invoque par prières et par offrandes ; car l'effet suit la demande, et le sacrilège désir de l'âme est accompli. Mais en effet il en est si loin, qu'ayant ôté sa sauvegarde à ceux qui s'abandonnent à une si grande perfidie, il permet que les dérnons par diverses illusions traînent avec eux dans la gêne ceux qui les consultent de la sorte. N'a-il pas défendu par la voix publique de son église, contre laquelle "les portes d'Enfer ne prévaudront jamais" qu'on n'ait pas à l'appeler à de semblables impiétés. Il est donc certain puisque la grâce du saint esprit et l'autorité de l'église défendent ces conjurations, que ceux qui en usent, ou pour mieux dire qui en abusent, pèchent contre le S. Esprit, dont ils cherchent de retenir la vertu et l'efficace lors qu'il s'ensuit le plus loin d'eux.