[2,12] CHAPITRE XII. Qu'il ne se fait rien contre la Nature, suivant l'opinion de Platon, qui dit que la Nature est la volonté de Dieu. Mais, si nous suivons la doctrine de Platon, qui dit que la Nature est la même chose que la volonté de Dieu, il est certain qu'aucune de ces choses n'arrive contre la Nature, puisque l'écriture nous apprend, "Qu'il a fait tout ce qu'il a voulu". Donc Platon traitant des causes de toutes choses, met la bonté de Dieu pour leur fin dernière : "Il est très bon", dit-il, "mais la souveraine bonté est exempte de tous reproches". C'est pourquoi il a voulu que toutes choses lui fussent semblables, autant que la nature de chacune était capable de la béatitude. Que si quelqu'un met cette volonté de Dieu pour origine certaine des choses, j'y consentirai volontiers. Et pour dire vrai, la sagesse et la bonté de Dieu, de laquelle tout dérive, est à bon droit appelée Nature, contre laquelle il ne se fait rien ; car qui pourrait empêcher l'ordre que Dieu établit et priver de leur effet les causes qui de toute éternité sont dans l'entendement de celui qui a fait les cieux avec intelligence. Il y a donc dans toutes les parties de l'univers des causes qui sont comme la semence des événements et des raisons primitives qui produisent enfin leurs effets en certain temps. Elles sont admirables, non pas en ce qu'elles n'ont point de raisons, mais en ce qu'elles en ont de bien cachées. Par exemple, l'humeur, qui est attirée des entrailles de la terre, par les racines des arbres et des vignes, par le moyen de leur vertu appétitive, est par après départie à tous les rameaux, et lorsque la chaleur naturelle l'a cuite suffisamment, elle en forme Ies bourgeons et puis emploie ce qui reste de la nourriture de la plante à pousser des feuilles et des raisins que l'on foule dans la cuve, quand ils sont mûrs pour en tirer du vin. Par ainsi en certaine saison cette plante nous donne règlement du vin. Mais si la puissance secrète de Dieu trouve des voies dans la Nature, qui nous soient inconnues, pour cuire et pour mûrir cette humeur, et qu'elle la change en vin, sans employer l'espace ordinaire du temps, cela doit s'appeler un miracle. Parce que la profondeur de celui qui dispense de l'ordre naturel est au-dessus de notre portée. Mais comme dit un sage, "si nous pouvons chasser les obscurités de l'ignorance, ces choses cesseront de nous sembler merveilleuses". {Boèce, Consolation de la philosophie, IV, 5c} Je ne veux pas pour cela rien diminuer de la croyance et du respect que l'on doit aux merveilles que Dieu opère. Mais j'admire avec une profonde et respectueuse humilité l'abîme des richesses, de la science et de la sagesse de Dieu. Car je sais fort bien que ce qui est une pure ignorance aux yeux de Dieu, paraît une haute science aux yeux des hommes, et que comme c'est la perfection des anges ou plutôt de Dieu seul que de n'avoir que des connaissances véritables, c'est aussi l'infirmité des hommes de se tromper à chaque moment.