[2,2] CHAPITRE II. Que tous les signes ne sont pas à mépriser. Je n'ôte pas néanmoins la croyance ni l'utilité aux signes que la providence divine a instituées pour enseigner ses créatures, encore que je tienne les augures et les présages pour une superstition à laquelle il ne faut point ajouter de foi. Car je sais bien que la sagesse souveraine a beaucoup de moyens pour nous instruire et que tantôt elle fait parler les éléments et que tantôt elle donne des signes aux corps sensibles ou aux insensibles pour avertir de choses de l'avenir, selon qu'il est expédient à ses effets. Ainsi nous avons des signes du beau temps et du mauvais, afin que les gens de travail puissent donner ordre à leurs affaires. Les laboureurs et les matelots conjecturent par quelques expériences ordinaires ce qu'ils doivent faire en tel temps, devinant la disposition du temps à venir par celle du passé. Les oiseaux même ne sont pas destitués de ce bienfait de la nature, notre commune mère. Le Plongeon, l'Alcyon et le Cygne nous découvrent bien souvent ses secrets ; car lorsque vous verrez sur le milieu de l'hiver que les Alcyons font leur nid et couvent leurs oeufs, soyez assuré de quinze jours de calme que les nautonniers attendent et observent soigneusement ; ces jours que la moindre haleine de vent n'oserait troubler s'appellent Alcioniens. Il est probable que la nature les a donnés à cet oiseau pour élever ses petits. Quand les oiseaux aquatiques se plongent plus avidement, il faut se préparer à la pluie. La corneille demande de l'eau quand elle crie dès le matin : "Non parce que remplis d'un esprit plus divin, Ils montrent aux mortels les secrets du destin". {Virgile, Les Géorgiques, I, 416} Mais parce que habitant dans l'air ils en ressentent plus promptement les altérations , d'où provient leur joie ou leur tristesse ; ce qui ne doit pas sembler merveilleux vu que les corps des plus pesants animaux ressentent bien les mouvements des choses extérieures et se conforment avec les éléments, par l'ordre secret que la nature a établi dans l'univers : c'est pourquoi la médecine a des préceptes assez probables pour connaître en quel état seront les corps des animaux, lorsque le temps sera bien ou mal disposé. Elle voit aussi fort bien par les pronostiques la santé, la maladie, et la disposition de neutralité et prédit même l'heure dernière, et, quand elle connaît parfaitement les causes du mal; y apporte de remèdes assurez pour le plus souvent. Mais si le médecin ignore les causes, pour parler dans les termes de l'art, il guérit plutôt par hasard que par science. Or le jugement qu’ils tirent des signes, quoiqu'il soit difficile à donner, est néanmoins le plus souvent très véritable. On juge encore de la beauté du temps, de la diverse dîsposition des saisons et des orages, par plusieurs apparences que le globe de la lune nous montre de loin comme d'une échauguette. Sa couleur rougeâtre annonce des vents. La pâle et bleuâtre des pluies, celle qui tient de l'une et de l'autre, des nues grosses de grêles et de tourbillons. Quand elle est sereine, elle promet aux matelots le calme qu'elle porte sur le visage, principalement si le quatrième jour, qui est le plus certain pour les indices, elle ne se montre ni rouge dans ses cornes émoussées, ni teinte d'aucune humeur livide. Car pour lors "Durant un mois entier ce jour, ni les suivants Ne feront point troubler d'orages ni de vents". {Virgile, Les Géorgiques, I, 434-435} Il importe beaucoup que le Soleil couchant répande des rayons égaux ou qu'il rougisse au travers d'un nuage, qu'il soit riant et d'une beauté lumineuse, ou que les vents qui s'apprêtent, le rendent de couleur de feu; que la neige le fasse pâlir, et que la pluie lui donne des taches. L'air même, la mer, la grandeur ou la figure des nues nous instruisent du temps â venir. Davantage, les oiseaux et les poissons en donnent des indices certains dont Virgile et Lucain ont divinement traité. Comme aussi Varron dans ses livres de la marine, quand il donne des préceptes aux matelots.