[31] Qu'est-il besoin de paroles, la chose parle d'elle-même. Les protestants s'étant saisis, à la faveur des troubles, de plulieurs villes du Royaume, et les ayant rendues depuis par la paix de 1563, ne fut-ce pas une merveille de voir renaître tout d'un coup la tranquillité ? Que ce calme, qui dura quatre ans, fut doux aux gens de bien, et utile en même temps à la religion, qui fut mise en sûreté par les lois, que fit faire celui qui avait alors la première charge de la robe ! Lois dont la France n'aura jamais lieu de se repentir, si elle est assez sage pour les observer. Mais par une conduite ennemie de notre bonheur, nous nous lassames de la sûreté publique qu'elles avaient rétablie. [32] Et rejetant les conseils de paix, nous nous engageames dans une nouvelle guerre, également funeste et au peuple et à ses auteurs. Ceux qui savent ce qui se passa à la fatale entrevue de Bayonne, entendent bien qui sont ceux dont je veux parler; car depuis ce temps-là tout se tourna chez nous à l'artifice et à la guerre, par l'illusion que nous firent les conseils pernicieux des étrangers. [33] Ce fut alors que le duc d'Albe, envoyé en Flandre avec une puissante armée, ôta d'abord l'autorité à la duchesse de Parme, qui gouvernait ces Provinces avec une grande modération, porta partout ensuite le fer et le feu, bâtit des citadelles de tous côtés, chargea ces pays libres d'impôts extraordinaires, pour fournir aux frais de la guerre, et ruinant la liberté des villes opulentes, les réduisit dans un état pareil à celui d'un corps robuste qu'on priverait de sa nourriture. Ces conseils violents et précipités furent suivis du désespoir, et enfin du soulèvement des peuplés. On crut pouvoir y remédier pour quelque temps mais le succès trompa les espérances. La plus granet la meilleure partie de ces Provinces et la plus commode pour la navigation, source de la grande richesse du pays, s'est comme arrachée du reste du corps. Elle se gouverne aujourd'hui par les États-Généraux, qui depuis ont toûjours fait la guerre avec d'heureux succés, tant contre les autres Provinces, que contre toute la puissance d'Espagne. [34] Pour prévenir ce malheur, François Baudouin d'Arras, l'un des plus célébres jurisconsultes de son temps, avait longtemps auparavant conseillé aux états de ces Provinces de présenter une requête à Philippe II et de lui demander la liberté des protestants persécutés de toutes parts, avec la surséance des supplices et de l'inquisition. Il en écrivit même un traité en français, qui prouvait par de solides raisons, qu'on pourrait mieux appaiser les différends de la religion par des conférences pacifiques, et laissant chaque parti dans ses droits, que par la force et par la voie des armes ; que si l'on continuait la violence, il prévoyait que les Protestants, qui n'avaient encore que des forces médiocres et qui d'ailleurs étaient divisés entr'eux, fe réuniraient, et qu'enfin des disputes de paroles, on en viendrait aux armes et à la révolte. [35] J'allègue d'autant plus volontiers, et surtout à VOTRE MAJESTÉ, ce présage d'un étranger sur les affaires de son pays, que ce savant homme ayant d'abord embrassé la doctrine des Protestants, mais l'ayant ensuite abandonnée, après une exacte lecture des pères, conserva néanmoins la même modération d'esprit ; et loin d'entrer dans des sentiments de haine contre ceux dont il avait quitté le parti, comme font la plupart des autres, sa propre erreur lui fit comprendre qu'on devait être touché de compassion pour celle d'autrui : exemple de charité rare dans ce siècle ici. Il s'appliqua depuis fortement à corriger, par l'étude des anciens docteurs, un mal introduit par l'amour des nouveautés et par la témérité. Pénétré de ces sentiments pleins de prudence et de religion, il repassa d'Allemagne en France; il en conféra avec le sérénissime roi, père de VOTRE MAJESTÉ, et n'eut pas de peine à les lui inspirer. Il tint toujours depuis un rang honorable à la cour de ce Prince, il eut quelquefois part à ses confeils, et fut mis auprès du Prince, votre frère naturel, pour avoir soin de fon éducation. [36] Qu'on cesse donc de nous tant vanter le zèle de ces étrangers ambitieux, qui pour paraître plus attachés que nous à la vraie religion, ont fait si longtemps vanité, dans le dessein d'insulter à notre nation, de n'avoir jamais souscrit de traité de paix avec les hérétiques. Qu'ils voyent maintenant à quoi se sont terminés tous leurs beaux conseils : Qu'ils pleurent à loisir la perte de tant de belles provinces et la funeste dissipation de leurs propres richesses. Ne voudraient-ils pas aujourd'hui de tout leur coeur avoir été sages comme nous, qu'ils condamnaient autrefois avec tant de malignité? Ne rachèteraient-ils pas volontiers, par ce qu'ils ont de plus précieux, tant d'années perdues dans les guerres civiles? S'ils les eussent employées contre l'ennemi commun de la chrétienté, ils l'eussent aisénient chassé de la Hongrie et de l'Afrique: ce qui eût autant tourné à leur gloire, qu'à leur utilité. [37] Mais je crains que cette imprudence, que nous blâmons dans les autres, ne nous puisse être justement reprochée. Nous-mêmes, animés par notre propre fureur, ou par les mauvais conseils de ceux dont nous venons de parler, avons donné lieu à une infinité de troubles. Nous avons vu piller nos villes, démolir nos temples épargnés dans les premières guerres, désoler nos provinces, renouveller les haines assoupies par la paix, augmenter les défiances, reprendre enfin les armes, qu'on n'avait quittées pour quelque temps, que pour se faire la guerre ensuite avec plus d'animosité. [38] Il est vrai qu'on fit enfin la paix : mais plus elle devait être agréable et précieuse, plus elle devint funeste par son infraction et par un noir attentat, dont nous devons souhaiter que la mémoire soit ensevelie dans un éternel oubli. J'entends cette horrible boucherie, qui se fit deux ans après, dans laquelle peu s'en fallut, SIRE, que VOTRE MAJESTÉ, destinée par le ciel au rétablissement de la France, ne se trouvât enveloppée. [39] A peine étions-nous échappés d'un écueil si terrible, que dans l'espace de deux ans il s'en rencontra de nouveaux, contre lesquels nous allâmes faire naufrage avec la même imprudence. La vengence divine nous poursuivit de près, et punit le crime de la France par la mort de son roi, qui moins par son inclination que par de mauvais conseils, avait commis ce grand crime. [40] Que fit ensuite son successeur ? A son retour de Pologne, au lieu de profiter des sages avis de l'empereur Maximilien et du sénat de Venise, chez lesquels il s'arrêta, il préfera le parti de la guerre, dont ils avaient tâché de le détourner à celui de la paix, que les protestants lui demandaient avec soumission : mais s'en étant bientôt repenti, il leur accorda trois ans après un édit de pacification, dont depuis il se fit toujours honneur, l'appellant son édit. Pendant sept ans entiers cette profonde paix ne fut troublée que par de légers mouvements, et par quelques courses de gens de guerre, tantôt dans un endroit et tantôt dans un autre : mais on ne vit point de prise d'armes considérable; jusqu'à ce que des esprits remuants, qui ne pouvaient souffrir que la France se passât d'eux dans la paix, excitèrent à contre-temps une guerre funeste, à laquelle ce prince se laissa entraîner par un aveuglement fatal, et par les mauvais conseils de ceux qui approchaient alors de sa personne. Quoiqu'il parût d'abord que ce fut à vous, SIRE, qu'on en voulait, ce fut pourtant sur lui que retomba bientôt tout le poids des armes. Je frémis encore d'horreur au souvenir de ce détestable parricide, qui a couvert la France d'un opprobre éternel, comme il doit couvrir à jamais de confusîon et d'infamie ceux qui en témoignèrent alors tant de joie.