[1,41] La ville de Gènes fut encore une fois remise sous la puissance du Roi, et Lautrec, à qui, de l'avis du roi d'Angleterre, on avait donné la conduite de la guerre en Italie, ayant pris plusieurs villes dans le Milanais, fit entrer enfin son armée dans le royaume de Naples, à la sollicitation du Pape. Pierre Navarre et Renzo de Ceri, qui était très aimé du roi pour avoir défendu Marseille avec beaucoup de courage, avaient déjà fait de grands progrès dans l'Abruzze et dans la Pouille. Le Prince d'Orange qui après la mort de Lannoi avait été fait vice-roi de ce royaume, s'enferma dans Naples et en soutint le siège avec beaucoup d'habileté et de courage. Mais Hugues de Moncade, vice-roi de Sicile et général de l'armée de mer, ayant été défait et tué dans un combat naval par Philippin Doria, les Français se flattèrent d'être bientôt les maîtres de la ville. Cependant cette victoire nous fut désavantageuse : car aussitôt après, Doria, soit par caprice, soit par mécontentement, quitta le parti de la France ; le marquis du Guast fut mis en liberté, la maladie se mit dans notre armée et la ruina et Lautrec mourut de chagrin. Alors Michel Antoine, marquis de Salusses, qui après la mort de ce général avait été élu chef de l'armée par nos troupes, leva le siège et les conduisit à Averse. Mais dans sa marche il fut attaqué et blessé à mort par les impériaux, et ayant été contraint de leur rendre la place, il fut transporté à Naples, où il mourut de sa blessure. Nos affaires n'allèrent pas mieux dans le Milanais ni à Gènes. Car André Doria ayant repoussé Charles de la Rochefoucauld, seigneur de Barbesieux, général des galères, entra dans la ville de Gènes, dont il se rendit maître, ainsi que du château, et bientôt après il chassa les Français de Savone. François de Bourbon comte de Saint Paul marchant à Pavie, où il avait envoyé devant lui le comte Gui Rangone, fut défait et pris auprès de Landriano, par Antoine de Leve. Tous ces événements firent penser à la paix. Le Pape se rendit à Barcelone et conclut en son particulier un traité d'alliance avec l'Empereur. Ensuite François en personne fit la même chose à- Cambrai, et traita avec Marguerite, tante de l'Empereur, sans la participation des alliés et, lorsqu'ils se plaignirent à lui de ce procédé, il s'excusa sur le désir ardent qu'il avait de voir ses enfants en liberté. Enfin les Vénitiens et les autres confédérés traitèrent aussi à certaines conditions, dont la principale fut de rendre toutes les villes dont ils s'étaient emparés dans l'Abruzze, dans la Marche d'Ancône et dans la Pouille. [1,42] Les Français ayant abandonné toute l'Italie, l'empereur jugea à propos de s'y rendre mais y ayant trouvé la paix bien établie et n'ayant plus à craindre aucuns troubles dans ses états, il repassa en Autriche, où il s'opposa vivement et avec un très grand courage aux efforts de Soliman, qui assiégeait Vienne. L'année suivante, Charles reçût à Boulogne des mains du pape la couronne impériale et cette cérémonie se fit le jour de sa naissance. Ensuite il alla-tenir la diète à Augsbourg, où l'on agita, mais sans aucun fruit, les disputes de la religion. Enfin, voyant que tout lui réussissait et ne voulant laisser échapper aucune occasion d'augmenter sa puissance, il fit élire roi des Romains Ferdinand son frère, dans la vue de perpétuer l'empire dans sa maison. La ville de Florence, cette même année, se rendit à l'empereur après un long siège, où le prince d'Orange fut tué. Ferdinand de Gonzague eut le commandement de l'armée en sa place et Alexandre de Médicis, fils naturel de Laurent, fut fait duc de Florence, suivant le traité conclu entre l'empereur et le pape, qui, quoique pasteur universel des chrétiens, employait contre eux les armes des plus puissants princes, pour les opprimer et satisfaire son ambition particulière et celle de sa maison. Le prince d'Orange dès le commencement avait témoigné hautement qu'il détestait cette entreprise et il ne craignit point de dire à l'empereur que c'était malgré lui qu'il allait à cette expédition, comme l'a écrit Guichardin, qui est à mon gré l'un des meilleurs historiens modernes. L'empereur, se voyant ensuite menacé d'une guerre de la part des Turcs, fit la paix avec les protestants, par la médiation d'Albert électeur de Mayence et de Louis électeur Palatin, et étant allé à Vienne à la tête d'une nombreuse armée, dont les soldats mal payés se mutinèrent, il s'en retourna en Italie et ensuite en Espagne. Le pape, qui par son alliance avec l'empereur avait ruiné la liberté de sa patrie, c'est-à-dire, de Florence, voulant avoir, comme on dit vulgairement, deux cordes à son arc, s'allia aussi avec François Ier, et ayant indiqué cette année un concile à Mantoue, il vint à Marseille, et y maria Catherine, fille de Laurent de Médicis et de Magdelaine de la Tour d'Auvergne, à Henri, second fils du roi. [1,43] Sur la fin de l'année suivante (1533), Clément VII mourut le 25 de septembre, et eut pour successeur Alexandre Farnèse, fils de Pierre-Louis Farnèse, élu le 11de Novembre, qui voulut d'abord prendre le nom d'Honoré V et qui ensuite prit celui de Paul III. Sa sobriété, son air modeste, son goût pour l'étude et une santé délicate qu'il affectait, servirent à voiler son ambition, et lui frayèrent le chemin à la papauté. L'année suivante fut signalée par la prise de Tunis, expédition glorieuse à l'empereur et avantageuse à la chrétienté car le château, qui fut alors bâti à l'entrée du lac, contint les corsaires et rendit la navigation plus sûre. Depuis que les enfants du roi avaient été mis en liberté par le traité de Cambrai, la France n'avait point fait la guerre mais elle prit les armes l'année suivante, à l'occasion que je vais dire. François Sforce, qui venait de faire sa paix avec l'empereur, avait prié le roi de lui envoyer pour résident l'écuyer Merveilles, gentilhomme Milanais, qui avait toujours été très considéré à la cour de Louis XII et à celle de François. Mais craignant que cela ne donnât quelque défiance à l'empereur, il souhaita que son ministère soit tenu secret. Merveilles, à la sollicitation de François Taverne, son neveu, qui avait beaucoup de crédit auprès du Duc, se rendit à Milan, comme pour des affaires particulières et personnelles; mais réellement en qualité de résident pour le roi. Cependant l'empereur, qui prenait aisément ombrage, eut quelques soupçons sur l'emploi de Merveilles et s'en plaignit plusieurs fois à Sforce, qui le nia toujours. Enfin ce duc, voyant que l'empereur qu'il craignait et dont il esperait beaucoup, le pressait sur cet article et y ajoutait même des menaces, il voulut se disculper par l'action la plus injuste et la plus noire. Il fit arrêter Merveilles, comme coupable d'un meurtre commis en la personne d'un gentilhomme de la maison de Castiglione et lui ayant fait faire son procès en trois jours, sans observer les formes ordinaires de la justice, il lui fit couper la tête pendant la nuit. Par cette action il fit si bien sa cour à l'empereur et mérita tellement ses bonnes grâces, que sans différer, ce prince lui fit épouser Christine, fille du roi de Dannemarc et de sa soeur Isabelle ; à quoi il avait jusqu'alors différé de consentir. Le roi, justement indigné que le droit des gens eût été ainsi violé en la personne de son ministre, s'en plaignit à tous les princes chrétiens et prétendit que le duc de Milan était obligé de lui en faire satisfaction. Mais l'empereur prit le parti du Duc, et soutint qu'il avait bien fait. Sforce de son côté répondit qu'il n'avait pas jugé que la conduite qu'on avait tenue à l'égard de Merveilles dût intéresser le roi, à qui il savait bien qu'il devait toute sorte d'égards et de respects. Taverne même vint en France pour justifier son maître sur cette action, devant le Conseil du roi. Mais ayant été vérifié par ses écrits et par son aveu même, que le duc avait su ce qu'il feignait d'ignorer et que Taverne lui-même avoir sollicité le roi d'envoyer Merveilles à Milan, on le renvoya chargé de honte et de confusion. Le roi ne pouvant tirer du duc aucune satisfaction sur cette injure, résolut enfin d'en avoir raison par la voie des armes, et sans croire violer en cela le traité de Cambrai, il leva une armée. [1,44] Mais prévoyant qu'il lui faudrait mener ses troupes en Italie par la Savoye, il envoya des ambassadeurs au duc, pour lui demander passage, et le prier en même temps de lui faire raison, au sujet de la succession de Louise sa mère, dont il lui avait déjà fait parler, mais inutilement. Le duc refusa absolument le premier article; et, quant au second, il répondit d'une manière subtile et artificieuse : ce qui fit résoudre le roi à faire marcher contre lui l'armée destinée à aller attaquer le duc de Milan, dont la mort arrivée en ce temps-là éteignit tout désir de vengeance, et tint lieu de satisfaction. Antoine de Leve se saisit de Milan au nom de l'empereur, qui à son retour d'Afrique passa par Naples. Veli, qui l'avait toujours accompagné dans cette expédition, lui avait fait part du dessein du roi. L'empereur, qui voulait, ou le détourner de cette guerre, ou du moins la lui faire différer, fit dire à Veli par Granvelle qu'il souhaitait s'allier plus étroitement avec son maître et lui laissa concevoir quelque espérance de la restitution du Milanais. Veli ne manqua pas de mander au roi les intentions de l'empereur ; mais François, pénétrant ses artifices, jugea à propos de ne point abandonner son entreprise, pour laquelle il avait fait tous les préparatifs nécessaires. Il envoya donc contre la Savoye le comte de Saint Paul et Philippe Chabot, comte de Brion, amiral de France, qui s'emparèrent de ce pays, et même de la plupart des autres terres de la dépendance du duc au-delà des Alpes. Mais le roi ne voulut pas que son armée entrât dans le Milanais. Cependant l'empereur, qui vint à Rome, irrité de ce qui s'était passé, prononça en présence du pape, des cardinaux et des ambassadeurs de France, un long discours qu'il avait préparé, où, après avoir beaucoup déclamé contre la France, il mit sur le compte du roi les guerres qui avaient jusqu'alors troublé la tranquillité des royaumes chrétiens : il ajouta, qu'il n'avait jamais tenu et qu'il ne tenait pas encore à lui, qu'on ne terminât tous Ies différends par les voies de la douceur et de la négociation. Mais comme dans ce discours il dit quelque chose qui avait un sens oblique et injurieux pour le roi, les ambassadeurs de France le supplièrent de vouloir bien expliquer certains termes dont il s'était servi. Le lendemain il parla avec plus de modération et adoucit ce qu'il avait dit la-veille avec trop d'aigreur. Ce discours de l'empereur et la réponse par écrit que le roi jugea à propos d'y faire, ont été insérés dans les livres qui nous restent d'un grand corps d'histoire générale, composée par Guillaume du Bellay, seigneur de Langey, homme également recommandable par son illustre naissance, par son rare savoir, par sa prudence, et par son courage à la guerre. [1,45] Le cardinal de Lorraine s'étant vainement employé pour ménager un accommodement et l'empereur ayant retiré la parole qu'il avait donnée de restituer le Milanais au roi, il fallut en venir aux armes. La première place qui fut attaquée, le fut par Antoine de Leve qui la prit. Vers le même temps, le marquis de Salusses, que le roi avait comblé de bienfaits, quitta le parti de la France, et s'attacha par une politique frivole à celui de l'empereur, parce que des devins lui avaient dit que Charles V se rendrait maître de toute la chrétienté et détrônerait même le roi de France. L'expédition malheureuse de l'empereur en Provence, qui s'engagea dans cette entreprise contre le sentiment du marquis du Guast et de Ferdinand de Gonsague, fut pour nous un avantage considérable mais contrebalancé en même temps par la mort du dauphin François, prince de grande espérance, qui, comme on l'a su dans la suite, mourut empoisonné. On en accusa les ministres de l'empereur, qui en avaient d'avance répandu la nouvelle à Venise : cependant on n'a jamais pu découvrir certainement le véritable auteur de cette action et, quoique le roi eût été extrêmement sensible à la perte de son fils aîné, il ne put ou ne voulut pas approfondir cette affaire. Celui qui fut convaincu d'avoir donné le poison, avoua qu'il avait fait part de son dessein aux gens de l'empereur, mais, pour détourner les soupçons, il chargea d'autres personnes. [1,46] La conduite et la valeur d'Anne de Montmorenci ayant fait perdre à l'empereur l'espérance de s'emparer de la Provence, ce prince, qui voyait ses forces affaiblies, repassa en Italie et de là en Espagne, après la mort d'Antoine de Leve, qui avait été le principal auteur de cette entreprise et qui avait garanti à son maître une victoire certaine, s'il attaquait les Français dans leur pays, où ils ne s'attendaient pas de voir entrer l'ennemi. Cet Antoine de Leve, qui n'avait été d'abord que simple soldat, avait passé par tous les degrés de la milice et était enfin parvenu au comble des honneurs de la guerre : enflé du progrès rapide de sa fortune et de tous ses heureux succès, il était devenu si audacieux et si insolent qu'il publiait hautement, avec une orgueil vraiment espagnol, fondé sur certaines prédictions, qui lui avaient été faites, que Charles son maître serait roi de France, et que pour lui, selon ses désirs, il mourrait glorieusement à Paris dans le sein de la victoire. [1,47] Sur ces entrefaites, le comte Henri de Nassau, ayant formé sans succès le siège de Péronne sur la Somme, avec les troupes qu'il avait levées dans les Pays-Bas et pris Guise par la lâcheté des bourgeois, se retira en Flandre. Le roi vint alors à Paris, et s'étant rendu au parlement, il fit de grandes plaintes de la conduite de l'empereur à son égard ; ce qui détermina cet auguste corps à prononcer un arrêt contre lui. Le roi alla ensuite à Amiens, à la tête d'une armée, et ce fut là qu'Anne de Montmorenci fit paraître la même conduite et la même valeur, dont il avait donné des preuves en Provence. Il prit Hédin, forte place de l'Artois, et fit entrer dans Térouenne des soldats et des vivres. Mais le comte de Buren, ayant pris Saint Paul et Montreuil, on conclut pour trois mois une trêve, qui regardait les frontières des Pays-Bas et de la Picardie. Cependant le marquis du Guast, lieutenant général de l'empereur en Italie, s'était emparé de plusieurs villes et avait formé le siège de Pignerol ; le dauphin, accompagné d'Anne de Montmorenci, passa en Italie, par l’ordre du roi son père, et défit d'abord César Magi, capitaine Napolitain d'une grande réputation, qui avait entrepris avec des troupes d'élite, de disputer le passage des Alpes à l'armée de France. Cette victoire, à laquelle on ne s'attendait pas, fut complète. Le roi ne tarda pas à venir aussi en Italie, où l'on convint d'une trêve, jusqu'au mois de février, pareille à celle, qui avait été faite pour la Flandre et la Picardie. Alors le cardinal de Lorraine et Anne de Montmorenci se rendirent à Leucate, où l'on ne put convenir des conditions de la paix, et où l'on prolongea la trêve pour six mois. De là, Montmorenci, étant venu à Moulins, capitale du Bourbonnais, le roi lui donna l'épée de connétable, pour récompenser ses services et ses belles actions ; ce qui fut généralement approuvé. Cette même année (1538), le pape et le roi eurent une entrevue à Nice, où la trêve entre l'empereur et le roi fut confirmée pour dix ans, afin que dans cet espace de temps on put tranquillement tenir le concile et se préparer à la guerre contre le Turc. Peu de temps après, ces deux princes conférèrent ensemble à Aigues-Mortes et se donnèrent mutuellement quelques signes d'une amitié fraternelle. L'empereur fit espérer au roi qu'à certaines conditions ils pourraient établir entre eux une paix solide et durable. Mais ce qui les devait unir étroitement, fut presque la cause d'une rupture entière. Car l'année suivante, il arriva que les habitants de Gand, soit par légèreté, soit à cause des impôts, dont la princesse Marie leur gouvernante les accablait, se révoltèrent et envoyèrent à François des députés pour le prier de vouloir bien les prendre sous sa protection, comme anciens sujets de la couronne de France. Le roi fidèle à la trêve et à l'amitié nouvelle, qui était entre l'empereur et lui, ne voulut point accepter la proposition des Gantois. L'empereur, informé de leur révolte et de leur démarche, résolut alors de se rendre dans les Pays-Bas pour arrêter le progrès d'un si dangereux exemple. Mais voyant qu'il ne pouvait passer ailleurs que par la France, sans être obligé de lever une nombreuse année, qu'il ne pourrait mettre sur pied aussi promptement qu'il était nécessaire, il envoya des ambassadeurs au Roi pour lui demander la permission de passer par ses états. Il regardait ce passage par la France d'autant plus avantageux pour lui, que cela ferait juger qu'il y avait une liaison étroite entre le roi et lui et que les Gantois, n'ayant rien à espérer du côté de la France, qui les abandonnait, rentreraient plus aisément dans leur devoir. Pour obtenir cette permission avec plus de facilité, il avait fait espérer à George de Selve, évêque de Lavaur, ambassadeur du roi auprès de lui, la restitution du Milanais. Il souhaita néanmoins qu'on ne traitât point alors de cette affaire de peur qu'il ne semblât qu'il eût fait cette restitution malgré lui et non librement et de son plein gré. Mais il promit de satisfaire le roi, dès qu'il serait arrivé dans les Pays-Bas. [1,48] Il fut reçu en France avec les plus grands honneurs. Les enfants du roi allèrent au-devant de lui sur les frontières du royaume et il entra dans Paris avec une pompe magnifique étant accompagné par le roi même. Il est difficile de décider lequel de ces deux princes montra plus de grandeur en cette occasion ; ou Charles, qui venait librement et sans crainte se mettre au pouvoir d'un roi, qu'il avait si souvent irrité et qu'il avait traité avec si peu d'égards dans sa prison ; ou François, qui généreux et magnifique en cette occasion, eut la délicatesse de ne lui faire aucune demande, quelque juste qu'elle pût être, et de ne lui parler d'aucune affaire pendant le séjour qu'il fit dans ses états. Cependant l'empereur promit expressément au connétable de rendre le Milanais ; jusque là, que ce seigneur en répondit au roi. Mais lorsque l'empereur fut arrivé à Valenciennes et qu'il vit qu'il n'avait plus rien à craindre de la révolte de Gand, l'évêque de Lavaur l'ayant vivement pressé d'exécuter sa promesse, il commença à tergiverser et ensuite déclara nettement qu'il n'en ferait rien. Le roi, justement irrité du procédé et de la mauvaise foi de l'empereur, disgracia le connétable, qu'il aimait beaucoup auparavant, et lui ordonna de s'éloigner de la cour ; et renonçant dès lors aux vues qu'il avait pour la paix, il ne songea plus qu'à recommencer la guerre. [1,49] Il avait envoyé à Venise l'année précédente, avec le marquis du Guast, ambassadeur de l'Empereur, Claude d'Annebaut, fait maréchal de France après la mort de Montejan : on les avait joints ensemble, pour faire connaitre à la république l'union des deux monarques et lui persuader de persévérer constamment dans sa confédération avec l'empereur contre le Turc, de laquelle elle paraissait vouloir se départir. Cependant les plus sages crurent que cette jonction des deux ambassadeurs avait été un trait de la politique de l'empereur, dans le dessein d'indisposer Soliman contre le roi et de rendre aussi ce prince suspect au roi d'Angleterre, devenu son ennemi, pour avoir répudié Catherine sa tante, qui venait de mourir ; il comptait que par ce moyen il pourrait l'aliéner de la France et se le rendre favorable. Mais François, après tant de fourberies de la part de Charles, fit savoir aux Vénitiens l'état de ses affaires et résolut de renouveler son alliance avec Soliman. Il ordonna donc à César Fregose Gènois et à Antoine Rincon Espagnol, de se rendre ensemble à Venise et à Rincon d'aller de là à Constantinople. Mais le marquis du Guast leur dressa des embûches sur le chemin et dans le temps qu'ils défendaient le Tessin, ils furent tués, à trois milles au-dessus de l'endroit où cette rivière se décharge dans le Pô. Le roi se plaignit encore de ce procédé indigne à tous les princes chrétiens, surtout au pape, et aux princes d'Allemagne et, voyant que Charles ne lui en faisait aucune raison, il lui déclara la guerre. Mais afin de la faire avec plus de justice et de succès et d'affaiblir son ennemi en l'attaquant par différents endroits, il envoya une armée dans le Luxembourg, commandée par son fils le duc d'Orléans et une autre dans le Roussillon, sous la conduite du dauphin. Ii prétendait que le Luxembourg lui appartenait, du chef de Louis d'Orléans, son bisaïeul et frère du roi Charles VI, et que ce pays avait été usurpé par Philippe, duc de Bourgogne, et par Charles, son fils. Pour ce qui est du comté de Roussillon, il alléguait qu'on se souvenait encore que la cession que Charles VIII en avait faite au Roi Ferdinand, sous certaines conditions que ce dernier n'avait point remplies et au préjudice de la couronne de France, était nulle ; d'autant plus que Charles VIII n'avait consenti à cette cession qu'à la persuasion d'Olivier Maillard, qui était un traître et un scélérat. L'entreprise du dauphin contre Perpignan ne réussit point mais le duc d'Orléans fut plus heureux. [1,50] Cette même année, les habitants de la Rochelle, qui s'étaient révoltés, éprouvèrent la clémence du roi. Sa conduite louable en cette occasion sembla condamner celle de l'empereur, qui s'était montré si cruel dans la punition des rebelles de Gand, dont il avait fait mourir un grand nombre. L'année suivante fut employée à réparer les fortifications des villes et des citadelles d'Italie et des Pays-Bas. Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, gouverneur de Picardie, rendit celle qui suivit, très remarquable par un grand nombre d'exploits, par la prise de plusieurs villes, et surtout par la défense de Landreci, assiégée par les impériaux, qui étaient commandés par les plus vaillants capitaines. Cependant le roi, ayant en même temps sur les bras, d'un côté les forces des Anglais, qui avaient fait une descente en France, et de l'autre celles de l'empereur, qui était à la tête d'une armée nombreuse, qu'il avait levée en Allemagne, ne se trouvait guère en état de résister à ces deux puissants princes ligués contre lui et qui l'obligeaient de partager ses troupes. Il avait gagné quelques mois auparavant la fameuse bataille de Carignan, où notre armée était commandée par François de Bourbon, duc d'Anguien, frère du duc de Vendôme mais le Roi avait perdu plusieurs villes sur la frontière de Champagne; ce qui le porta à signer à Crépy le 24 de Septembre un traité de paix avec l'empereur, à des conditions honorables pour la France. Le roi d'Angleterre, qui assiégeait depuis longtemps Boulogne, dont il espérait se rendre bientôt le maître, ne voulut point être compris dans ce traité. Il la prit en effet peu de temps après, moins par la trahison que par la lâcheté de Vervins, qui la défendait.