[1,0] ÉPIGRAMMES d'OWEN. LIVRE PREMIER. [1,1] {sans correspondance} [1,2] AU LECTEUR. Vous qui sur cet ouvrage Daignez jeter les yeux, Si vous n'y blâmez rien, vous n'étes pas trop sage, Si vous y blâmez tout, vous étes envieux. [1,3] Sur son Livre. Mon livre est un monde, je crains, Comme mes vers en sont les hommes, Que l'on ne juge d'eux, ainsi que des humains, Dont on voit peu de bons dans le siècle où nous sommes. [1,4] A une Dame, belle et vertueuse. Iris, sur votre front agréable et sévère, Brille de la candeur l'aimable caractère: On ne saurait vous voir, qu'on ne soit enchanté Ou de votre sagesse, ou de votre beauté. [1,10] A un Ivrogne qui voulait se marier. Prends femme, à ce bonheur, puisque ton coeur aspire; Mais femme chez qui la raison Exerce un souverain empire, Et qui toutes les nuits puisse te reconduire Du cabaret à ta maison. [1,11] Sur Aulus. Aulus, tu doit tout à tes pères, De qui tu dégénères, Mais jamais si j'augure bien, Tes enfants ne te devront rien. [1,12] A un Homme sans esprit. Tu ne l'as acheté, dis-tu, qu'une pistole, Ce cheval, qui n'est pas sûrement des plus beaux; Quand il n'aurait coûté seulement qu'une obole, Il t'aurait coûté plus encore que tu ne vaux. [1,13] Sur l'Amour. L'Amour est doux, quand il commence A nous faire sentir l'atteinte de ses coups ; Mais lorsque le cruel s'est emparé de nous, Il nous fait éprouver sa fatale puissance; Comme un fleuve, qui court de sa source à la mer, Dès qu'il en a goûté, de doux devient amer. [1,18] La Vérité, Démocrite l'a dit : Vainement recherchée, La vérité nous est cachée; Mais si c'est dans le vin, Teuton la cherchera Si bien, qu'avec le temps Teuton la trouvera. [1,21] A un Médecin. Toi qui dans ce pays sans argent est venu, Te voilà donc déjà médecin devenu? Au malade affaibli tu donnes des remèdes, Le malade à son tour t'en récompense bien ; Redevables tous deux à l'art que tu possèdes, Tu soulages son mal, il adoucit le tien. [1,23] Contre un mauvais Philosophe. Avec ton emphase ordinaire Tu soutiens, et n'en démords pas, Qu'il n'est point de vide ici-bas, Ta téte prouve le contraire. [1,28] Sur la Mort d'un Impie. A l'impie Acerra la lumière est ravie, Plaignons, plaignons son triste sort: Il a vécu sans penser à la mort, Il meurt sans penser à la vie. [1,31] Le Prophète et le Poète. Dire vrai du futur, c'est le soin du prophète; Dire faux du passé, c'est le soin du poéte. [1,38] Le Mari. Je croyais de ma femme avoir seul les faveurs , Je me trompais, l'hymen est une étrange chose: C'est ainsi que du miel, que son travail compose, L'abeille n'est pas seule à goûter les douceurs. [1,47] A Licas. Je mange peu, dis-tu, soigneux de ma santé; Pourquoi vouloir masquer ton vice ? Ce n'est point par sobriété, Licas, mais c'est par avarice. [1,48] L'Amour de la Patrie. S'il est beau de servir son roi , Et de mourir pour sa patrie; Vivre pour tous deux, selon moi, Est encore plus digne d'envie. [1,52] Aux Athées. Selon vous, ici bas tout a son maître, et rien N'est exempt de la loi qu'à tous vous nous en faites; Pourquoi voulez-vous donc, insensez que vous étes, Que l'univers n'ait pas le sien? [1,56] A un Borgne. De la perte d'un oeil tes douleurs sans pareilles Doivent enfin cesser, et même avec raison; Je n'entends rien de vrai, j'ai pourtant deux oreilles, J'ai deux yeux, et pourtant je ne vois rien de bon. [1,57] A un Homme qui s'était fait faire un Mausolée magnifique. Pour t'immortaliser, avec des soins extrèmes Tu te fais élever un pompeux monument ; Ciel, quel est ton aveuglement! Les tombeaux périssent eux-mémes. [1,58] Sur un jeune Homme qui avait des cheveux blancs. Rufin, tes cheveux déjà blancs, Quoiqu'en la fleur de ta jeunesse, Te font bien voir que la vieillesse N'attend pas toujours les vieux ans. [1,63] Une Femme à son Mari. Pour bien faire, il faudrait plonger Tous les cocus dans la Tamise, Disait l'époux de la jeune Céphise, Qui lui répond : Sais-tu nager ? [1,65] Sur le Démenti. Vous, qui d'un démenti tant de fois mérité, Vous faites un affront extrême , Pourquoi pour vous est-ce un plaisir suprème, De mentir si souvent avec impunité? [1,73] A un Homme chauve. Par l'hiver détruite, ou flétrie, L'herbe renaît dans la prairie, La feuille revient aux forêts, ' Mais tes cheveux tombés ne reviendront jamais. [1,74] Sur un Amoureux. Des feux brûlent mon coeur, des pleurs baignent mes yeux, Depuis le temps qu'Amour m'a fait rendre les armes: Et toutefois mes pleurs n'éteignent point mes feux, Et toutefois mes feux ne sèchent point mes larmes. [1,84] A un Poète. Dans tes vers tu parles de moi, Tu veux que dans les miens je parle aussi de toi. [1,85] Sur la Mort. Les voleurs quelquefois nous rendent notre bien; La mort prend tout, et ne rend rien. [1,86] A un Ami. Pourquoi me répéter sans cesse, Oui, je suis tout à vous, et j'en jure ma foi? Livré depuis longtems entier à ta maîtresse, Pour qui tu sens une extrême tendresse, Tu n'es déjà qu'à peine à toi; Comment peux-tu donc être à moi? [1,87] L'honnête homme. De tout ce que l'on voit à Rome, De tout ce qu'on voit à Paris, Si la rareté fait le prix, De quel prix est un honnête homme? [1,88] A une Vieille. Depuis que la vieillesse incommode, inhumaine, Exerce sur vous son pouvoir, Votre tête a changé du noir au blanc, Climène, Et votre esprit du blanc au noir. [1,89] A un Homme à qui il demandait une grâce. Au lendemain A m'accorder ce que je vous demande, Vous remettez toujours, et mon esprit est vain. A vous remercier, il faudra qu'incertain, Toujours ainsi que vous, j'attende Au lendemain. [1,91] A un Mari. Ne compte pas trop sur la foi De ta chère et nouvelle femme; Elle est à toi la bonne dame, Mais elle n'est pas toute à toi. [1,95] A Marcus. Tes cheveux sont tombés, et ta barbe est, Marcus, Plus épaisse qu'à l'ordinaire ; Que l'on ne s'étonne donc plus, Si ta mâchoire est lourde, et ta tête légère. [1,96] A un Ami. Je vous vis, je vous estimai, Vous m'aimâtes, je vous aimai. La sagesse et mon cœur furent d'intelligence; La raison m'applaudit, sitôt que je formai, Forcé par une aimable et douce violence, Cet amour dégagé du commerce des sens, Que ne peut affaiblir le temps, Et que respecte l'inconstance. [1,97] Sur la Mort et sur la Douleur. La douleur fait sentir le plus funeste sort; La mort, de nos douleurs finit la rude crise : La douleur est donc, quoiqu'on dise, Encore pire que la mort. [1,98] Sur Philis. Ainsi que le Parthe qui fuit, D'un trait lancé d'une main sûre, Au fier ennemi qui le suit, Porte une mortelle blessure : De même cet objet vainqueur, Philis, par une adroite fuite, Évitant leur tendre poursuite, De ses amants blesse le coeur. [1,100] A un Avare. Plein d'inquiétude et de crainte, Vous êtes toujours, cher Philinte, Avare, quand vous accordez ; Prodigue, quand vous demandez. [1,101] La Mort. Pourquoi me demander ce que c'est que la mort Par leur fatal ciseau, lorsque les mains cruelles De la parque homicide auront tranché mon sort, Viens à moi, je pourrai t'en dire des nouvelles. [1,103] Contre Zoïle. Lorsque dans mes vers je critique Le vice et les hommes pervers, Zoïle contra moi se pique, ll faut que ce soit lui que condamnent mes vers. [1,106] A un Homme chauve. J'appris jadis l'arithmétique: Mais malgré le savoir que je mets en pratique, Malgré tous ses calculs, et malgré tous les miens, Je ne saurais compter mes cheveux, ni les tiens. [1,113] Le Chirurgien. Faut-il que je souhaite ou la guerre, ou la paix? Mars et Vénus, tous deux partagent mes souhaits. [1,123] Sur un Criminel qae l'on menait au supplice. Père François consolant un voleur, Que l'on menait à la potence, D'un énergique ton lui parlait du Seigneur, L'exhortant à la patience. Vous souperez tantôt, disait-il, avec lui. Le voleur lui répond : Ce repas m'embarasse, Mon Père, je jeûne aujourd'hui, Voudriez-vous prendre ma place? [1,150] Sur l'Absence. Mon coeur vit sous la douce loi Des beaux yeux dont je sens la suprême puissance, Plus leur feu, qui me brûle, est éloigné de moi, Plus j'en ressens la violence. [2,1] Sur son Livre. Je ne veux point que mes ouvrages, De tous mes lecteurs Gagnent les suffrages, De peur d'avoir des sots pour mes approbateurs. [2,2] A Milon. Que de mortels, vous le savez, Doivent leur gloire gratuite, A la verve fantasque, au zèle parasite Des poétes flatteurs qui les ont élevez ! Pour vous, Milon, vous ne devez La vôtre qu'à votre mérite. [2,3] A une Personne généreuse. Ta générosité chaque jour s'étudie A nous combler des biens qu'on m'entend publier; Et tout ce que ton coeur oublie, C'est de ne les par oublier. Autrement. Ton coeur trop généreux me comble tous les jours, De cent nouveaux bienfaits, qu'en tous lieu je publie, Le mien s'en ressouvient toujours, Et le tien toujours les oublie. [2,11] Le vrai remède de l'Amour. Pour guérir de l'amour, fuyez, fuyez les femmes, Contre ses traits, la fuite est un sûr bouclier; Si ce remède est vain, et n'éteint point vos flammes, Je n'en sais plus qu'un seul, c'est de vous marier. [2,28] La véritable Instruction. Quels coeurs ne doit-tu point gagner Par ton sublime esprit, par ta vie exemplaire; Puisqu'enseignant ce qu'il faut faire, Tu fais ce qu'il faut enseigner? [2,31] A un Père. La gloire de ton fils, est de t'avoir pour père, La tienne est de l'avoir pour fils; Quoique la nature eût pu faire, Vous ne pouviez tous deux étre mieux assortis. [2,36] L'Empire de soi-même. Nous devons modérer l'ambition extréme Qui nous porte à régner sur cent peuples divers, Et préférer toujours l'empire de nous-même A l'empire de l'univers. [2,42] Sur les Santés de Table. Vous buvez, Licidas, à coups précipités Aux amis que vous invitez, Tantôt à l'un, tantôt à l'autre : Plus vous buvez à leurs santés, Et plus vous altérez la vôtre. [2,46] Sur Héraclite et Démocrite. Héraclite à pleurer s'est toujours vu réduire, Et Démocrite a toujours ri: Faut-il pleurer de celui-ci Ou de celui-la faut-il rire ?