Saint Irenee de Lyon - Livre 3 Irénée de Lyon Contre les Hérésies Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur LIVRE III PREFACE Tu nous avais prescrit, cher ami, de produire au grand jour les doctrines soi-disant « secrètes » des disciples de Valentin, d'en montrer la diversité et d'y joindre une réfutation. Nous avons donc entrepris, en les démasquant à partir de Simon, le père de tous les hérétiques, de faire connaître leurs écoles et leurs filiations et de nous opposer à eux tous. Mais, s'il suffit d'un ouvrage pour les démasquer, il en faut plusieurs pour les réfuter. D'où les livres que nous t'avons envoyés : le premier contient leurs doctrines à tous, révèle leurs usages et les particularités de leur comportement ; le second réfute leurs enseignements pervers, les met à nu, les fait apparaître tels qu'ils sont. Dans ce troisième livre, nous ajouterons des preuves tirées des Ecritures : de la sorte, tu ne seras frustré d'aucune des choses que tu nous avais prescrites, et même, par delà ton attente, tu recevras de nous les moyens de démasquer et de réfuter tous ceux qui, de quelque façon que ce soit, enseignent l'erreur. Car la charité qui est enracinée en Dieu est riche et généreuse : elle donne plus qu'on ne lui demande. Rappelle-toi donc ce que nous avons dit dans les deux premiers livres ; en y joignant le présent ouvrage, tu disposeras d'une argumentation très complète contre tous les hérétiques, et tu lutteras contre eux avec assurance et détermination pour la seule foi vraie et vivifiante, que l'Eglise a reçue des apôtres et qu'elle transmet à ses enfants. PRELIMINAIRE LA VÉRITÉ DES ÉCRITURES Comment, par les apôtres, l'Eglise a reçu l'Évangile Le Seigneur de toutes choses a en effet donné à ses apôtres le pouvoir d'annoncer l'Évangile et c'est par eux que nous avons connu la vérité, c'est-à-dire l'enseignement du Fils de Dieu. C'est aussi à eux que le Seigneur a dit : « Qui vous écoute m'écoute, et qui vous méprise me méprise et méprise Celui qui m'a envoyé. » Car ce n'est pas par d'autres que nous avons connu l'« économie » de notre salut, mais bien par ceux par qui l'Evangile nous est parvenu. Cet Evangile, ils l'ont d'abord prêché ; ensuite, par la volonté de Dieu, ils nous l'ont transmis dans des Ecritures, pour qu'il soit le fondement et la colonne de notre foi. Car il n'est pas non plus permis de dire qu'ils ont prêché avant d'avoir reçu la connaissance parfaite, comme osent le prétendre certains, qui se targuent d'être les correcteurs des apôtres. En effet, après que notre Seigneur fut ressuscité d'entre les morts et que les apôtres eurent été, par la venue de l'Esprit Saint, revêtus de la force d'en haut, ils furent remplis de certitude au sujet de tout et ils possédèrent la connaissance parfaite ; et c'est alors qu'ils s'en allèrent jusqu'aux extrémités de la terre, proclamant la bonne nouvelle des biens qui nous viennent de Dieu et annonçant aux hommes la paix céleste : ils avaient, tous ensemble et chacun pour son compte, l'« Evangile de Dieu». Ainsi Matthieu publia-t-il chez les Hébreux, dans leur propre langue, une forme écrite d'Evangile, à l'époque où Pierre et Paul évangélisaient Rome et y fondaient l'Eglise. Après la mort de ces derniers, Marc, le disciple et l'interprète de Pierre, nous transmit lui aussi par écrit ce que prêchait Pierre. De son côté, Luc, le compagnon de Paul, consigna en un livre l'Évangile que prêchait celui-ci. Puis Jean, le disciple du Seigneur, celui-là même qui avait reposé sur sa poitrine, publia lui aussi l'Évangile, tandis qu'il séjournait à Éphèse, en Asie. Et tous ceux-là nous ont transmis l'enseignement suivant : un seul Dieu, Créateur du ciel et de la terre, qui fut prêché par la Loi et les prophètes, et un seul Christ, Fils de Dieu. Si donc quelqu'un leur refuse son assentiment, il méprise ceux qui ont eu part au Seigneur, méprise aussi le Seigneur lui-même, méprise enfin le Père ; il se condamne lui-même, parce qu'il résiste et s'oppose à son salut, — ce que font précisément tous les hérétiques. Les hérétiques n'admettent ni les Écritures ni la Tradition En effet, lorsqu'ils se voient convaincus à partir des Écritures, ils se mettent à accuser les Écritures elles-mêmes : elles ne sont ni correctes ni propres à faire autorité, leur langage est équivoque, et l'on ne peut trouver la vérité à partir d'elles si l'on ignore la Tradition. Car, disent-ils, ce n'est pas par des écrits que cette vérité a été transmise, mais de vive voix, ce qui a fait dire à Paul : « Nous "parlons" sagesse parmi les parfaits, mais sagesse qui n'est pas celle de ce siècle » Et cette sagesse, chacun d'eux veut qu'elle soit celle qu'il a découverte par lui-même, autrement dit une fiction de son imagination. Aussi est-il normal que, d'après eux, la vérité soit tantôt chez Valentin, tantôt chez Marcion, tantôt chez Cérinthe, puis chez Basilide, ou encore chez quelque autre disputeur n'ayant jamais pu prononcer une parole salutaire. Car chacun d'eux est si foncièrement perverti que, corrompant la règle de vérité, il ne rougit pas de se prêcher lui-même. Mais lorsqu'à notre tour nous en appelons à la Tradition qui vient des apôtres et qui, grâce aux successions des presbytres, se garde dans les Eglises, ils s'opposent à cette Tradition : plus sages que les presbytres et même que les apôtres, ils ont, assurent-ils, trouvé la vérité pure, car les apôtres ont mêlé des prescriptions de la Loi aux paroles du Sauveur ; et non seulement les apôtres, mais le Seigneur lui-même a prononcé des paroles venant tantôt du Démiurge, tantôt de l'Intermédiaire, tantôt de la Suprême Puissance ; quant à eux, c'est sans le moindre doute, sans contamination aucune et à l'état pur qu'ils connaissent le mystère secret. Et voilà bien le plus impudent des blasphèmes à l'endroit de leur Créateur ! Il se trouve donc qu'ils ne s'accordent plus ni avec les Ecritures ni avec la Tradition. Tels sont les gens qu'il nous faut combattre, mon cher ami. Glissant comme des serpents, ils cherchent à s'échapper de tous côtés : aussi est-ce de toutes parts qu'il faut leur tenir tête, dans l'espoir que nous pourrons, en les refoulant, amener quelques-uns d'entre eux à se convertir à la vérité. Car, s'il n'est pas facile de faire changer de sentiment une âme possédée par l'erreur, du moins n'est-il pas absolument impossible que l'erreur s'enfuie quand on met en face d'elle la vérité. La Tradition apostolique de l'Église. Ainsi donc, la Tradition des apôtres, qui a été manifestée dans le monde entier, c'est en toute Église qu'elle peut être perçue par tous ceux qui veulent voir la vérité. Et nous pourrions énumérer les évêques qui furent établis par les apôtres dans les Églises, et leurs successeurs jusqu'à nous. Or ils n'ont rien enseigné ni connu qui ressemble aux imaginations délirantes de ces gens-là. Si pourtant les apôtres avaient connu des mystères secrets qu'ils auraient enseignés aux « parfaits », à part et à l'insu des autres, c'est bien avant tout à ceux à qui ils confiaient les Églises elles-mêmes qu'ils auraient transmis ces mystères. Car ils voulaient que fussent absolument parfaits et en tout point irréprochables ceux qu'ils laissaient pour successeurs et à qui ils transmettaient leur propre mission d'enseignement : si ces hommes s'acquittaient correctement de leur charge, ce serait un grand profit, tandis que, s'ils venaient à faillir, ce serait le pire malheur. Mais comme il serait trop long, dans un ouvrage tel que celui-ci, d'énumérer les successions de toutes les Églises, nous prendrons seulement l'une d'entre elles, l'Église très grande, très ancienne et connue de tous, que les deux très glorieux apôtres Pierre et Paul fondèrent et établirent à Rome; en montrant que la Tradition qu'elle tient des apôtres et la foi qu'elle annonce aux hommes sont parvenues jusqu'à nous par des successions d'évêques, nous confondrons tous ceux qui, de quelque manière que ce soit, ou par infatuation, ou par vaine gloire, ou par aveuglement et erreur doctrinale, constituent des groupements illégitimes : car avec cette Église, en raison de son origine plus excellente, doit nécessairement s'accorder toute Église, c'est-à-dire les fidèles de partout, — elle en qui toujours, au bénéfice de ces gens de partout, a été conservée la Tradition qui vient des apôtres. Donc, après avoir fondé et édifié l'Eglise, les bienheureux apôtres remirent à Lin la charge de l'épiscopat ; c'est de ce Lin que Paul fait mention dans les épîtres à Timothée. Anaclet lui succède. Après lui, en troisième lieu à partir des apôtres, l'épiscopat échoit à Clément. Il avait vu les apôtres eux-mêmes et avait été en relations avec eux : leur prédication résonnait encore à ses oreilles et leur Tradition était encore devant ses yeux. Il n'était d'ailleurs pas le seul, car il restait encore à cette époque beaucoup de gens qui avaient été instruits par les apôtres. Sous ce Clément, donc, un grave dissentiment se produisit chez les frères de Corinthe ; l'Eglise de Rome adressa alors aux Corinthiens une très importante lettre pour les réconcilier dans la paix, renouveler leur foi et leur annoncer la Tradition qu'elle avait naguère reçue des apôtres, à savoir : un seul Dieu tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre, qui a modelé l'homme, fait venir le déluge, appelé Abraham, fait sortir son peuple de la terre d'Egypte, conversé avec Moïse, donné la Loi, envoyé les prophètes, préparé un feu pour le diable et ses anges. Que ce Dieu-là même soit annoncé par les Eglises comme étant le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, tous ceux qui le veulent peuvent l'apprendre par cet écrit, tout comme ils peuvent connaître par lui la Tradition apostolique de l'Église, puisque cette lettre est plus ancienne que les actuels fauteurs d'erreur qui imaginent faussement un autre Dieu au-dessus du Créateur et de l'Auteur de tout ce qui existe. A ce Clément succède Évariste ; à Évariste, Alexandre ; puis, le sixième à partir des apôtres, Xyste est établi; après lui, Télesphore, qui rendit glorieusement témoignage ; ensuite Hygin ; ensuite Pie ; après lui, Anicet ; Soter ayant succédé à Anicet, c'est maintenant Eleuthère qui, en douzième lieu à partir des apôtres, détient la fonction de l'épiscopat. Voilà par quelle suite et quelle succession la Tradition se trouvant dans l'Eglise à partir des apôtres et la prédication de la vérité sont parvenues jusqu'à nous. Et c'est là une preuve très complète qu'elle est une et identique à elle-même, cette foi vivifiante qui, dans l'Église, depuis les apôtres jusqu'à maintenant, s'est conservée et transmise dans la vérité. Mais on peut nommer également Polycarpe. Non seulement il fut disciple des apôtres et vécut avec beaucoup de gens qui avaient vu le Seigneur, mais c'est encore par des apôtres qu'il fut établi, pour l'Asie, comme évêque dans l'Église de Smyrne. Nous-même l'avons vu dans notre prime jeunesse — car il vécut longtemps et c'est dans une vieillesse avancée que, après avoir rendu un glorieux et très éclatant témoignage, il sortit de cette vie —. Or il enseigna toujours la doctrine qu'il avait apprise des apôtres, doctrine qui est aussi celle que l'Église transmet et qui est la seule vraie. C'est ce dont témoignent toutes les Églises d'Asie et ceux qui jusqu'à ce jour ont succédé à Polycarpe, qui était un témoin de la vérité autrement digne de foi et sûr que Valentin, Marcion et tous les autres tenants d'opinions fausses. Venu à Rome sous Anicet, il détourna des hérétiques susdits un grand nombre de personnes et les ramena à l'Église de Dieu, en proclamant qu'il n'avait reçu des apôtres qu'une seule et unique vérité, celle-là même qui était transmise par l'Église. Certains l'ont entendu raconter que Jean, le disciple du Seigneur, étant allé aux bains à Éphèse, aperçut Cérinthe à l'intérieur ; il bondit alors hors des thermes sans s'être baigné, en s'écriant : « Sauvons-nous, de peur que les thermes ne s'écroulent, car à l'intérieur se trouve Cérinthe, l'ennemi de la vérité ! » Et Polycarpe lui-même, à Marcion qui l'abordait un jour et lui disait : «Reconnais-nous», «Je te reconnais, répondit-il, pour le premier-né de Satan. » Si grande était la circonspection des apôtres et de leurs disciples, qu'ils allaient jusqu'à refuser de communier, même en paroles, avec l'un de ces hommes qui falsifiaient la vérité. Comme le dit également Paul : « L'hérétique, après un premier et un deuxième avertissement, rejette-le, sachant qu'un tel homme est perverti et qu'en péchant il est lui-même l'auteur de sa condamnation. » Il existe aussi une très importante lettre de Polycarpe écrite aux Philippiens, où ceux qui le veulent et qui ont le souci de leur salut peuvent apprendre et le trait distinctif de sa foi et la prédication de la vérité. Ajoutons enfin que l'Eglise d'Ephèse, fondée par Paul et où Jean demeura jusqu'à l'époque de Trajan, est aussi un témoin véridique de la Tradition des apôtres. Telle étant la force de ces preuves, il ne faut donc plus chercher auprès d'autres la vérité qu'il est facile de recevoir de l'Eglise, car les apôtres, comme en un riche cellier, ont amassé en elle, de la façon la plus plénière, tout ce qui a trait à la vérité, afin que quiconque le désire y puise le breuvage de la vie. C'est elle, en effet, qui est la voie d'accès à la vie ; « tous » les autres « sont des voleurs et des brigands». C'est pourquoi il faut les rejeter, mais aimer par contre avec un zèle extrême ce qui est de l'Eglise et saisir la Tradition de la vérité. Eh quoi ! S'il s'élevait une controverse sur quelque question de minime importance, ne faudrait-il pas recourir aux Eglises les plus anciennes, celles où les apôtres ont vécu, pour recevoir d'elles sur la question en cause la doctrine exacte ? Et à supposer même que les apôtres ne nous eussent pas laissé d'Ecritures, ne faudrait-il pas alors suivre l'ordre de la Tradition qu'ils ont transmise à ceux à qui ils confiaient ces Eglises ? C'est à cet ordre que donnent leur assentiment beaucoup de peuples barbares qui croient au Christ : ils possèdent le salut, écrit sans papier ni encre par l'Esprit dans leurs cœurs, et ils gardent scrupuleusement l'antique Tradition, croyant en un seul Dieu, Créateur du ciel et de la terre et de tout ce qu'ils renferment, et au Christ Jésus, le Fils de Dieu, qui, à cause de son surabondant amour pour l'ouvrage par lui modelé, a consenti à être engendré de la Vierge pour unir lui-même par lui-même l'homme à Dieu, qui a souffert sous Ponce Pilate, est ressuscité et a été enlevé dans la gloire, qui viendra dans la gloire comme Sauveur de ceux qui seront sauvés et Juge de ceux qui seront jugés et enverra au feu éternel ceux qui défigurent la vérité et qui méprisent son Père et sa propre venue. Ceux qui sans lettres ont embrassé cette foi sont, pour ce qui est du langage, des barbares ; mais, pour ce qui est des pensées, des usages, de la manière de vivre, ils sont, grâce à leur foi, suprêmement sages et ils plaisent à Dieu, vivant en toute justice, pureté et sagesse. Et s'il arrivait que quelqu'un leur annonçât les inventions des hérétiques en s'adressant à eux dans leur propre langue, aussitôt ils se boucheraient les oreilles et s'enfuiraient au plus loin, sans même consentir à entendre ces discours blasphématoires. Ainsi, grâce à l'antique Tradition des apôtres, rejettent-ils jusqu'à la pensée de l'une quelconque des inventions mensongères des hérétiques. La nouveauté des hérésies Inventions mensongères, certes, car il n'y eut chez ces derniers ni groupement ni enseignement dûment institués : avant Valentin il n'y eut pas de disciples de Valentin, avant Marcion il n'y eut pas de disciples de Marcion, et aucun des autres tenants d'opinions fausses que nous avons catalogués précédemment n'exista avant que n'apparussent les mystagogues et les inventeurs de leurs perversités. Valentin vint en effet à Rome sous Hygin ; il atteignit son apogée sous Pie et se maintint jusqu'à Anicet. Cerdon, le prédécesseur de Marcion, vécut lui aussi sous Hygin, qui fut le huitième évêque ; il vint dans l'Eglise et y fit même publiquement pénitence ; mais il n'en persévéra pas moins dans l'hérésie, tantôt enseignant en secret, tantôt faisant à nouveau pénitence, tantôt enfin convaincu d'enseigner l'erreur et retranché de la communauté des frères. Marcion, qui lui succéda, atteignit son apogée sous Anicet, qui détint en dixième lieu l'épiscopat. Quant à tous ceux que l'on appelle « Gnostiques », ils tirent leur origine, comme nous l'avons montré, de Ménandre, disciple de Simon : chacun d'eux, suivant l'opinion qu'il a adoptée, est apparu comme le père et le mystagogue de cette opinion. C'est à une époque fort tardive, au moment où les temps de l'Église atteignaient déjà leur milieu, que tous ces gens-là se sont dressés dans leur apostasie. Le Christ et les apôtres ont prêché selon la vérité, non selon les idées préconçues de leurs auditeurs. Telle étant donc la manière dont la Tradition issue des apôtres se présente dans l'Église et subsiste parmi nous, revenons à la preuve tirée des Écritures de ceux d'entre les apôtres qui ont mis par écrit l'Évangile, Écritures dans lesquelles ils ont consigné leur pensée sur Dieu, non sans montrer que notre Seigneur Jésus-Christ était la Vérité et qu'il n'y avait pas de mensonge en lui. Ce que David, prophétisant sa naissance d'une Vierge et sa résurrection d'entre les morts, avait dit en ces termes : « La Vérité s'est levée de la terre. » Les apôtres aussi, dès lors, étant les disciples de la Vérité, sont en dehors de tout mensonge, car il n'y a pas de communion entre le mensonge et la vérité, non plus qu'entre les ténèbres et la lumière : la présence de l'un exclut l'autre. Étant donc la Vérité, notre Seigneur ne mentait pas. Partant, un être dont il aurait su qu'il était le «fruit de la déchéance», jamais assurément il ne l'aurait reconnu pour Dieu, pour Seigneur de toutes choses, pour grand Roi et pour son propre Père : jamais il n'aurait décerné de tels titres, lui, le parfait, à l'imparfait ; lui, le spirituel, au psychique ; lui, qui est dans le Plérôme, à celui qui eût été hors du Plérôme. Ses disciples non plus n'auraient pas donné le nom de Dieu ou de Seigneur à un autre que celui qui est vraiment le Dieu et le Seigneur de toutes choses. C'est pourtant ce que prétendent ces vains sophistes : selon eux, les apôtres, avec hypocrisie, ont composé leur enseignement suivant la capacité de leurs auditeurs et leurs réponses selon les préjugés de ceux qui les interrogeaient ; aux aveugles ils parlaient dans le sens de leur aveuglement, aux malades, dans le sens de leur maladie, aux égarés, dans le sens de leur égarement ; à ceux qui croyaient que le « Démiurge » est le seul Dieu, c'est celui-ci qu'ils annonçaient, tandis que, à ceux qui saisissaient le « Père » innommable, ils exprimaient à l'aide de paraboles et d'énigmes le mystère inexprimable. Ainsi, ce n'est pas selon les exigences de la vérité, mais avec hypocrisie et en se conformant à la capacité de chacun, que le Seigneur et les apôtres auraient livré leur enseignement. Ce n'est pas là, répondrons-nous, le fait de gens qui guérissent et qui vivifient, mais bien plutôt de gens qui aggravent et augmentent l'ignorance de leurs auditeurs, et la Loi se trouvera être beaucoup plus vraie qu'eux, elle qui déclare maudit quiconque égare l'aveugle en son chemin. En fait, les apôtres, envoyés pour retrouver les égarés, éclairer les aveugles et guérir les malades, ne leur parlaient certainement pas selon leurs opinions du moment, mais selon ce qu'exigeait la manifestation de la vérité. Car personne n'agirait bien, si, alors que des aveugles seraient sur le point de tomber dans un précipice, il les engageait à poursuivre une voie aussi périlleuse, comme si c'était réellement le droit chemin qui dût les conduire au terme. Et quel médecin, voulant guérir un malade, se conformerait aux caprices du malade plutôt qu'aux règles de la médecine ? Or, que le Seigneur soit venu comme médecin des mal portants, lui-même l'atteste, lorsqu'il dit : « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin du médecin, mais les mal portants. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence. » Comment donc les mal portants se rétabliront-ils ? Et comment les pécheurs feront-ils pénitence ? Est-ce en persévérant dans les mêmes dispositions ? N'est-ce pas au contraire en acceptant un profond changement et retournement de leur ancienne manière de vivre, par laquelle ils ont amené sur eux une maladie peu banale et de nombreux péchés ? Or l'ignorance, mère de tous ces maux, n'est détruite que par la connaissance. C'est donc bien la connaissance que le Seigneur produisait en ses disciples, et c'est par elle qu'il guérissait les malades et détournait les pécheurs de leur péché. Ce n'est donc pas dans le sens de leurs opinions antérieures qu'il leur parlait, ni selon les préjugés de ses interrogateurs qu'il répondait, mais selon la doctrine de salut, sans hypocrisie ni acception de personnes. Cela ressort également des paroles du Seigneur, qui, parlant à des circoncis, leur montrait que le Christ qu'avaient annoncé les prophètes était le Fils de Dieu ; autrement dit, il se manifestait lui-même comme étant Celui qui rend aux hommes la liberté et leur procure l'héritage de l'incorruptibilité. De leur côté, s'adressant à des païens, les apôtres leur enseignaient à abandonner les vaines idoles de bois et de pierre qu'ils prenaient pour des dieux, à honorer le vrai Dieu qui a constitué et fait toute la race humaine et qui par sa création la nourrit, l'accroît, l'affermit et lui donne de subsister, et à attendre son Fils Jésus-Christ, qui nous a rachetés à l'Apostasie par son sang afin que nous soyons, nous aussi, un peuple sanctifié, — lui qui descendra des cieux dans la puissance de son Père, fera le jugement de tous les hommes et donnera les biens venant de Dieu à ceux qui auront gardé ses préceptes. C'est lui qui, étant apparu aux derniers temps comme la pierre du sommet de l'angle, a rassemblé en un et réuni ceux qui étaient loin et ceux qui étaient près, c'est-à-dire les circoncis et les incirconcis, donnant de l'espace à Japhet et le faisant habiter dans la maison de Sem. PREMIÈRE PARTIE UN SEUL DIEU, CRÉATEUR DE TOUTES CHOSES 1. TÉMOIGNAGE GLOBAL DES ECRITURES SUR L'UNIQUE VRAI DIEU Témoignage de l'Esprit prophétique Donc ni le Seigneur ni l'Esprit Saint ni les apôtres n'ont jamais appelé Dieu, au sens propre du terme, qui que ce fût qui n'eût pas été le vrai Dieu; jamais non plus ils n'ont appelé Seigneur, de façon absolue, personne d'autre que Dieu le Père, qui domine sur toutes choses, et son Fils, qui a reçu de son Père la souveraineté sur toute la création. Comme le dit ce texte de l'Ecriture : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite, jusqu'à ce que je mette tes ennemis comme escabeau sous tes pieds. » Le Père y est montré parlant au Fils : il lui donne l'héritage des nations et lui soumet tous ses ennemis. Puisque le Père est vraiment Seigneur et le Fils vraiment Seigneur, c'est à bon droit que l'Esprit Saint les a désignés par l'appellation de «Seigneur». L'Ecriture dit de même dans le récit de la destruction de Sodome : « Le Seigneur fit pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe du feu et du soufre venant du Seigneur du ciel. » Cette phrase doit s'entendre en ce sens que le Fils, qui vient de s'entretenir avec Abraham, a reçu du Père le pouvoir de condamner les habitants de Sodome à cause de leur iniquité. Il en va pareillement du texte suivant : « Ton trône, ô Dieu, est pour toujours ; c'est un sceptre de droiture que le sceptre de ta royauté. Tu as aimé la justice et haï l'iniquité; c'est pourquoi, ô Dieu, ton Dieu t'a consacré par l'Onction. » L'Esprit les a désignés tous les deux par l'appellation de «Dieu», tant celui qui reçoit l'Onction, c'est-à-dire le Fils, que celui qui la confère, c'est-à-dire le Père. De même encore : « Dieu s'est tenu dans l'assemblée de Dieu; au milieu de celle-ci il juge les dieux. » Ce texte parle du Père, du Fils et de ceux qui ont reçu la filiation adoptive. Ces derniers sont l'Eglise : car elle est «l'assemblée de Dieu », que « Dieu », c'est-à-dire le Fils, a lui-même et par lui-même réunie. C'est encore de ce même Fils qu'il est dit : « Le Dieu des dieux, le Seigneur, a parlé et il a appelé la terre. » Quel est ce « Dieu » ? Celui dont il est dit : « Dieu viendra d'une manière manifeste, oui, notre Dieu viendra, et il ne gardera pas le silence. » Il s'agit du Fils, venu vers les hommes dans une manifestation de lui-même, lui qui dit : «Je me suis manifesté à ceux qui ne me cherchaient pas. » Et quels sont ces « dieux » ? Ceux à qui il dit : «J'ai dit : Vous êtes des dieux, vous êtes tous des fils du Très-Haut. » Il s'agit de ceux qui ont reçu la grâce de la filiation adoptive par laquelle « nous crions : Abba, Père ». Ainsi personne d'autre, comme je viens de le dire, n'est appelé Dieu ou Seigneur, sinon Celui qui est Dieu et Seigneur de toutes choses — lui qui a dit à Moïse : «Je suis Celui qui suis», et: «Tu parleras ainsi aux enfants d'Israël : Celui qui est m'a envoyé vers vous » — et son Fils, Jésus-Christ notre Seigneur, qui rend fils de Dieu ceux qui croient en son nom. Il en va encore de même lorsque le Fils dit à Moïse : «Je suis descendu pour délivrer ce peuple. » C'est bien lui, en effet, qui est descendu et qui est remonté pour le salut des hommes. Ainsi donc, par le Fils, qui est dans le Père et qui a en lui le Père, le Dieu « qui est » s'est manifesté, le Père rendant témoignage au Fils et le Fils annonçant le Père, selon ce que dit aussi Isaïe : «Je suis témoin, dit le Seigneur Dieu, ainsi que l'Enfant que j'ai choisi, pour que vous sachiez et que vous croyiez et que vous compreniez que Je suis. » Par contre, lorsqu'elle veut désigner des dieux qui ne le sont pas, l'Écriture, ainsi que je l'ai déjà dit, ne les présente pas comme des dieux d'une façon absolue, mais avec quelque indication supplémentaire par laquelle elle fait bien voir qu'ils ne sont pas des dieux. Ainsi dans David : « Les dieux des nations, idoles de démons » ; et encore : « Vous ne suivrez pas des dieux étrangers. » Par là même qu'il les dit « dieux des nations » — les nations, on le sait, ignorent le vrai Dieu — et qu'il les nomme « dieux étrangers», il exclut qu'ils soient des dieux; d'autre part, parlant absolument, il dit ce qu'il en est de ces prétendus dieux : ce ne sont, dit-il, qu'« idoles de démons». Isaïe dit aussi : « Qu'ils soient couverts de confusion, tous ceux qui modèlent Dieu et sculptent des œuvres vaines ! » Il exclut que ce soient là des dieux ; s'il se sert du mot « Dieu », c'est seulement pour que nous sachions de quoi il parle. Jérémie dit de même : « Ces dieux qui n'ont pas fait le ciel et la terre, qu'ils disparaissent de la terre qui est sous le ciel ! » Par là même qu'il évoque la perspective de leur disparition, il fait bien voir qu'ils ne sont pas des dieux. Élie lui aussi, ayant convoqué tout le peuple d'Israël sur le mont Carmel et voulant le détourner de l'idolâtrie, lui dit : «Jusques à quand clocherez-vous sur les deux jarrets ? Il n'y a qu'un unique Seigneur Dieu, venez à sa suite. » Et une seconde fois, devant l'holocauste, il parla ainsi aux prêtres des idoles : « Vous invoquerez le nom de vos dieux, et moi j'invoquerai le nom du Seigneur mon Dieu : le Dieu qui nous exaucera aujourd'hui, c'est lui qui est Dieu. » En s'exprimant de la sorte, le prophète montrait que ceux qu'ils prenaient pour des dieux n'en étaient pas, et il les tournait vers le Dieu en qui il croyait lui-même et qui était vraiment Dieu, celui qu'il invoquait par ce cri : « Seigneur, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, exauce-moi aujourd'hui, et que tout ce peuple comprenne que c'est toi le Dieu d'Israël ! » Je T'invoque donc, moi aussi, Seigneur, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob et d'Israël, Toi qui es le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, Dieu qui dans l'abondance de ta miséricorde, T'es complu en nous en sorte que nous Te connaissions, Toi qui as fait le ciel et la terre, qui domines sur toutes choses et qui es le seul vrai Dieu au-dessus duquel il n'est point d'autre Dieu : Toi qui, par notre Seigneur Jésus-Christ, vas jusqu'à octroyer le don de l'Esprit Saint, donne à quiconque lira cet écrit de reconnaître que Tu es le seul Dieu, d'être affermi en Toi et de se séparer de toute doctrine hérétique, négatrice de Dieu et sacrilège ! Témoignage de Paul De son côté, l'apôtre Paul dit lui aussi : « Vous avez servi des dieux qui ne l'étaient pas, mais maintenant que vous avez connu Dieu, bien plus, que vous avez été connus de Dieu... » Il sépare de la sorte les dieux qui ne le sont pas de Celui qui est Dieu. Il dit encore à propos de l'Antéchrist : «... l'Adversaire, celui qui s'élève au-dessus de tout ce qui est appelé dieu ou est objet de culte. » Il désigne ainsi les dieux qui sont appelés tels par ceux qui ignorent Dieu, c'est-à-dire les idoles : car le Père de toutes choses est appelé Dieu et il l'est, et ce n'est pas au-dessus de lui que s'élèvera l'Antéchrist, mais au-dessus des dieux qui sont appelés tels et ne le sont pas. Que telle soit bien la vérité, Paul lui-même l'assure : « Nous savons qu'une idole n'est rien et qu'il n'y a de Dieu que le Dieu unique. En effet, s'il y a des êtres appelés dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre, pour nous il n'y a qu'un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses et vers qui nous allons, et qu'un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui viennent toutes choses et par qui nous allons. » Par là il distingue et sépare les êtres qui sont appelés dieux, mais qui ne le sont pas, du seul Dieu, le Père, de qui tout vient, et, parlant absolument, il confesse de la façon la plus catégorique un seul Seigneur Jésus-Christ. Les mots « soit dans le ciel, soit sur la terre » ne sont pas, comme l'expliquent les hérétiques, une allusion à de prétendus Auteurs du monde, mais sont à rapprocher de cette parole de Moïse : « Tu ne te feras d'aucun des êtres une représentation de Dieu, qu'il s'agisse de ceux qui sont en haut dans le ciel ou de ceux qui sont en bas sur la terre ou de ceux qui sont dans les eaux au-dessous de la terre. » Lui-même explique quelles sont ces choses qui sont dans le ciel : «... de peur, dit-il, que, levant les yeux vers le ciel et voyant le soleil, la lune, les étoiles et toute la parure du ciel, tu ne te fourvoies en les adorant et en leur rendant un culte. » Moïse lui aussi, parce qu'il était un homme de Dieu, fut constitué « dieu » devant le Pharaon ; cependant les prophètes ne le nomment ni Seigneur ni Dieu au sens vrai de ces termes, mais l'Esprit l'appelle le fidèle Moïse, le serviteur et le familier de Dieu, ce qu'il était effectivement. Mais, objectent-ils, Paul dit ouvertement dans sa seconde épître aux Corinthiens : «... chez qui le Dieu de ce siècle a aveuglé l'esprit des incrédules», et ils en infèrent qu'autre est le « Dieu de ce siècle » et autre celui qui est au-dessus de toute Principauté et Puissance. Ce n'est pas notre faute, répondrons-nous, si des gens qui prétendent connaître les mystères qui sont au-dessus de Dieu ne savent même pas lire Paul ! Car, comme nous allons le montrer par plusieurs autres exemples, Paul use volontiers d'inversions de mots. Si donc, en se conformant à cette habitude de Paul, on commence par lire : «... chez qui Dieu», puis qu'après un arrêt et un bref intervalle on lise d'une traite le reste : « de ce siècle a aveuglé l'esprit des incrédules », on obtiendra le vrai sens, qui est celui-ci : « Dieu a aveuglé l'esprit des incrédules de ce siècle. » Et ce sens est indiqué par l'arrêt que l'on fait. Car Paul ne parle pas d'un «Dieu de ce siècle», comme s'il en connaissait un autre qui serait au-dessus de lui, mais il reconnaît d'abord Dieu pour « Dieu » et il parle ensuite des «incrédules de ce siècle», ainsi nommés parce qu'ils n'hériteront pas du siècle à venir, qui est celui de l'incorruptibilité. Comment Dieu a-t-il aveuglé l'esprit des incrédules ? C'est ce que nous montrerons d'après Paul lui-même dans la suite du traité, pour ne pas trop nous écarter maintenant de notre propos. Que l'Apôtre use fréquemment d'inversions de mots à cause de la rapidité de ses paroles et de l'impétuosité de l'Esprit qui est en lui, on peut le constater en bien d'autres endroits. C'est ainsi qu'il dit dans l'épître aux Galates : « Qu'est-ce donc que la Loi des œuvres ? Elle a été établie jusqu'à ce que vienne la postérité à laquelle avait été faite la promesse, édictée par le ministère des anges avec le concours d'un médiateur. » L'ordonnance de la pensée est la suivante : « Qu'est-ce donc que la Loi des œuvres ? Edictée par le ministère des anges avec le concours d'un médiateur, elle a été établie jusqu'à ce que vienne la postérité à laquelle avait été faite la promesse. » C'est bien l'homme qui interroge, et l'Esprit qui répond. Paul dit encore dans la seconde épître aux Thessaloniciens, parlant de l'Antéchrist : « Et alors se révélera l'Impie, que le Seigneur Jésus tuera du souffle de sa bouche et anéantira par l'éclat de sa venue, lui dont la venue s'accomplira, grâce à l'intervention de Satan, parmi toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges mensongers. » L'ordonnance de la pensée est celle-ci : « Et alors se révélera l'Impie, dont la venue s'accomplira, grâce à l'intervention de Satan, parmi toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges mensongers, lui que le Seigneur Jésus tuera du souffle de sa bouche et anéantira par l'éclat de sa venue. » Car ce n'est pas la venue du Seigneur que Paul dit devoir s'accomplir grâce à l'intervention de Satan, mais bien la venue de l'Impie, que nous appelons aussi l'Antéchrist. Si donc on ne fait pas attention à la manière dont on lit et si l'on néglige d'indiquer par des pauses de quelle personne Paul veut parler, on énoncera non seulement une incohérence, mais un blasphème, en donnant à entendre que la venue du Seigneur s'accomplira grâce à l'intervention de Satan ! De même donc que, dans des textes de ce genre, il faut faire sentir l'inversion des mots par la manière de lire et sauvegarder ainsi la suite de la pensée de l'Apôtre, de même, dans le cas vu plus haut, nous ne lirons pas : « le Dieu de ce siècle», mais nous commencerons à bon droit par appeler « Dieu » celui qui est Dieu ; puis nous entendrons : « les incrédules et les aveugles de ce siècle », ainsi nommés parce qu'ils n'hériteront pas du siècle à venir, qui est celui de la vie. Témoignage du Christ Avec la réfutation de cette calomnie des hérétiques, la preuve est faite avec évidence que jamais les prophètes ni les apôtres n'ont appelé Dieu ou Seigneur un autre que le seul vrai Dieu. Cela est encore bien plus vrai du Seigneur lui-même, qui ordonne de rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu : il appelle César César et reconnaît Dieu pour Dieu. De même la parole « Vous ne pouvez servir deux Seigneurs » est expliquée par le Seigneur lui-même lorsqu'il dit : « Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. » Il reconnaît Dieu pour Dieu et nomme Mammon pour ce qu'il est. Il n'appelle donc pas Mammon Seigneur lorsqu'il dit : « Vous ne pouvez servir deux Seigneurs », mais il enseigne à ses disciples à servir Dieu et, par là même, à ne pas s'assujettir à Mammon et à ne pas se ranger sous sa domination, « car, dit-il, celui qui commet le péché est esclave du péché ». De même donc qu'il appelle esclaves du péché ceux qui servent le péché, sans pour autant appeler Seigneur le péché lui-même, de même il appelle esclaves de Mammon ceux qui servent Mammon, sans pour autant appeler Seigneur ce Mammon. Le mot « Mammon », dans le dialecte juif dont se servent les Samaritains, signifie «cupide». En hébreu, sous forme d'adjectif, ce mot se dit « Mamuel » et signifie «glouton». Tant selon l'une que selon l'autre de ces acceptions, nous ne pouvons servir Dieu et Mammon. De même, le Seigneur appelle le diable le « fort », non de façon absolue, mais par comparaison avec nous, tandis qu'il se présente lui-même comme le « fort » au sens absolu du terme et en toute vérité, lorsqu'il dit que nul ne peut s'emparer des meubles du « fort » s'il n'a d'abord enchaîné ce «fort», et qu'alors il pillera sa maison. Les meubles et la maison du diable, c'était nous-mêmes quand nous étions dans l'apostasie : car il se servait de nous comme il voulait, et l'esprit impur habitait en nous. Ce n'est pas en effet contre celui qui l'enchaînait et pillait sa maison qu'il était fort, mais bien contre les hommes, dont il disposait à son gré pour avoir fait apostasier leurs pensées à l'égard de Dieu. Ces hommes, le Seigneur les a délivrés, selon ce que dit Jérémie : « Le Seigneur a racheté Jacob, il l'a délivré de la main d'un plus fort que lui. » Si donc le Seigneur n'avait pas signalé celui qui enchaînait le « fort » et s'emparait de ses meubles et s'il s'était borné à l'appeler le «fort», celui-ci serait invincible. Mais le Seigneur a mentionné en outre celui qui triomphait du « fort » : car celui qui enchaîne est vainqueur, tandis que celui qui est enchaîné est vaincu. Et il l'a fait sans instituer de comparaison, pour qu'on ne compare pas au Seigneur un esclave apostat : car non seulement ce dernier, mais rien absolument de ce qui a été créé et se trouve dans une condition de dépendance ne peut se comparer au Verbe de Dieu par l'entremise de qui tout a été fait — ce Verbe qui est notre Seigneur Jésus-Christ. Créateur et créatures Qu'il s'agisse en effet des Anges, des Archanges, des Trônes ou des Dominations le Dieu qui est au-dessus de toutes choses les a tous créés et faits par l'entremise de son Verbe. C'est ce que Jean indique expressément, car, après avoir dit du Verbe de Dieu qu'il était dans le Père, il ajoute : « Tout a été fait par son entremise et, sans lui, rien n'a été fait. » David lui aussi, après avoir détaillé les louanges des créatures en nommant tous les êtres que nous venons de dire ainsi que les cieux et toutes leurs puissances , ajoute : « Car il a commandé, et ils ont été créés ; il a dit, et ils ont été faits. » A qui donc a-t-il commandé ? Au Verbe, « car c'est par son entremise, dit-il, que les cieux ont été affermis, et c'est par le Souffle de sa bouche qu'existé toute leur puissance. » Et qu'il ait fait toutes choses librement et comme il l'a voulu, c'est ce que dit encore David : « Notre Dieu, dans les cieux là-haut et sur la terre, tout ce qu'il a voulu, il l'a fait. » Or ce qui a été créé est autre que Celui qui l'a créé, et ce qui a été fait, autre que Celui qui l'a fait. Car ce dernier est incréé, est sans commencement ni fin, n'a besoin de rien, se suffit à lui-même et, de surcroît, donne à tout le reste jusqu'à l'existence même. Au contraire, tout ce qui a été fait par lui a reçu un commencement, et tout ce qui a reçu un commencement peut aussi connaître la dissolution, se trouve dans une condition de dépendance et a besoin de Celui qui l'a fait. Il est donc nécessaire que ces êtres aient une appellation différente, même chez ceux qui n'ont qu'un sens rudimentaire de ces distinctions, en sorte que Celui qui a fait toutes choses soit seul, avec son Verbe, à être légitimement appelé Dieu et Seigneur, tandis que ce qui a été fait ne pourra recevoir cette dénomination ni s'attribuer légitimement ce titre, qui appartient au Créateur. 2. EXAMEN APPROFONDI DU TÉMOIGNAGE DES ÉVANGÉLISTES SUR L'UNIQUE VRAI DIEU Témoignage de Matthieu Il a donc été montré clairement — et cela sera montré avec plus d'évidence encore — que ni les prophètes ni les apôtres ni le Seigneur Christ, parlant absolument, n'ont reconnu pour Seigneur et Dieu personne d'autre que Celui qui est de façon exclusive Dieu et Seigneur : car les prophètes et les apôtres ont confessé le Père et le Fils et n'ont appelé Dieu ou Seigneur personne d'autre, et, de son côté, le Seigneur lui-même n'a pas enseigné à ses disciples d'autre Dieu et Seigneur que son Père, qui est le seul Dieu et qui domine sur toutes choses. En conséquence il nous faut, si du moins nous sommes leurs disciples, suivre leurs témoignages, qui se présentent de la manière que voici. L'apôtre Matthieu ne connaît qu'un seul et même Dieu, qui a promis à Abraham de rendre sa postérité pareille aux étoiles du ciel et qui, par son Fils, le Christ Jésus, nous a appelés du culte des pierres à sa connaissance, afin que « celui qui n'était pas un peuple devînt un peuple et que celle qui n'était pas aimée devînt aimée » Il rapporte en effet comment Jean prépara la voie au Christ et comment, à ceux qui se glorifiaient d'une parenté charnelle, mais dont l'esprit était tortueux et rempli de toute espèce de malice, il prêcha la pénitence qui les ferait revenir de leur malice : « Race de vipères, leur disait-il, qui vous a appris à fuir la colère à venir ? Faites donc un digne fruit de pénitence, et ne dites pas en vous-mêmes . Nous avons Abraham pour père ! Car, je vous le dis, de ces pierres mêmes Dieu peut susciter des fils à Abraham. » Il leur prêchait donc la pénitence qui les retirerait de leur malice, mais il ne leur annonçait pas pour autant un autre Dieu, lui, le Précurseur du Christ, en dehors de Celui qui avait fait la promesse à Abraham. Matthieu dit encore à son propos, ainsi d'ailleurs que Luc : « C'est de lui que le Seigneur a dit par la bouche du prophète : "Voix de celui qui crie dans le désert . Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits les sentiers de notre Dieu, toute vallée sera comblée, et toute montagne et colline sera abaissée; les chemins tortueux deviendront droits, les chemins raboteux seront aplanis, et toute chair verra le Salut de Dieu". » Il n'y a donc qu'un seul et même Dieu, le Père de notre Seigneur : c'est lui qui, par les prophètes, a promis d'envoyer le Précurseur, et c'est lui qui a rendu son «Salut», c'est-à-dire son Verbe, visible pour toute chair, en le faisant chair lui-même, afin qu'à tous les êtres fût manifesté leur Roi; car il fallait que ceux qui seraient jugés vissent leur Juge et connussent Celui par qui ils seraient jugés, et il fallait aussi que ceux qui seraient glorifiés connussent Celui qui leur octroierait le don de la gloire. Matthieu dit encore, en parlant de l'ange « Un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph. » De quel Seigneur ? Lui-même l'explique « C'était afin que s'accomplît ce que le Seigneur avait dit par le prophète . "D'Egypte j'ai rappelé mon Fils". » « (C'était afin que s'accomplît ce que le Seigneur avait dit par le prophète) "Voici que la Vierge concevra en son sein et enfantera un Fils, et on lui donnera pour nom Emmanuel", ce qui se traduit Dieu avec nous. » De cet Emmanuel né de la Vierge David avait dit . « Ne détourne pas ta face de ton Christ. Le Seigneur a juré la vérité à David et il ne le reniera point : C'est du fruit de ton sein que je placerai sur mon trône » Et encore . « Dieu est connu en Judée ; son lieu s'est établi dans la Paix et sa demeure en Sion. » Il n'y a donc qu'un seul et même Dieu, qui a été prêché par les prophètes et est annoncé par l'Evangile, ainsi que son Fils, qui est l'Emmanuel, « fruit du sein » de David, c'est-à-dire de la Vierge issue de David De ce même Emmanuel l'étoile avait été prophétisée par Balaam en ces termes . « Une étoile se lèvera de Jacob, et un chef surgira en Israël. » Or, d'après Matthieu, des mages vinrent de l'Orient et dirent . « Nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l'adorer. » Puis, ayant été guidés par l'étoile vers la maison de Jacob jusqu'à l'Emmanuel, ils firent voir, par les présents qu'ils offrirent, quel était Celui qu'ils adoraient . la myrrhe signifiait que c'était lui qui, pour notre race humaine mortelle, mourrait et serait enseveli; l'or, qu'il était le Roi dont le règne n'aurait pas de fin; l'encens, enfin, qu'il était le Dieu qui venait de se faire connaître en Judée et de se manifester à ceux qui ne le cherchaient point Matthieu dit encore, à propos du baptême du Seigneur : « Les cieux s'ouvrirent, et il vit l'Esprit de Dieu qui descendait comme une colombe et venait sur lui. Et voici qu'une voix se fit entendre du ciel, disant : Tu es mon Fils bien aimé en qui j'ai mis mes complaisances. » Car il n'y eut pas alors une descente d'un prétendu Christ sur Jésus, et l'on ne peut prétendre qu'autre ait été le Christ et autre Jésus ; mais le Verbe de Dieu, le Sauveur de tous et le Seigneur du ciel et de la terre — ce Verbe qui n'est autre que Jésus, ainsi que nous l'avons montré déjà —, pour avoir assumé une chair et avoir été oint de l'Esprit par le Père, est devenu Jésus-Christ. Comme l'avait dit Isaïe : « Une tige sortira de la racine de Jessé, et une fleur s'élèvera de sa racine. Sur lui reposera l'Esprit de Dieu, Esprit de sagesse et d'intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété, et il sera rempli de l'Esprit de la crainte de Dieu. Il ne jugera pas selon l'apparence et ne condamnera pas d'après un ouï-dire, mais il rendra justice à l'humble et condamnera les grands de la terre. » Ailleurs encore Isaïe avait annoncé par avance son onction et la raison de celle-ci : « L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a oint pour porter la bonne nouvelle aux humbles ; il m'a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles la vue, proclamer une année de grâce du Seigneur et un jour de rétribution, consoler tous ceux qui se lamentent. » D'une part, en effet, en tant que le Verbe de Dieu était homme, issu de la racine de Jessé et fils d'Abraham, l'Esprit de Dieu reposait sur lui et il était oint pour porter la bonne nouvelle aux humbles ; d'autre part, en tant qu'il était Dieu, il ne jugeait pas selon l'apparence et ne condamnait pas d'après un ouï-dire — « il n'avait pas besoin qu'on lui rendît témoignage sur l'homme, parce qu'il savait ce qu'il y a dans l'homme » —, mais il consolait tous ceux qui se lamentaient, et, en accordant la délivrance à ceux que leurs péchés avaient rendus captifs, il les dégageait de ces liens dont Salomon avait dit : « Chacun est enserré par les liens de ses péchés. » C'est donc bien l'Esprit de Dieu qui est descendu sur lui — l'Esprit de ce Dieu même qui, par les prophètes, avait promis de lui conférer l'Onction —, afin que, recevant nous-mêmes de la surabondance de cette Onction, nous soyons sauvés. Tel est le témoignage de Matthieu. Témoignage de Luc Luc, compagnon et disciple des apôtres, parlant de Zacharie et d'Elisabeth, de qui Jean est né conformément à la promesse de Dieu, s'exprime ainsi : « Tous deux étaient justes devant Dieu, marchant dans tous les commandements et ordonnances du Seigneur d'une manière irréprochable. » Il dit encore au sujet de Zacharie : « Or il arriva, comme il s'acquittait de son office sacerdotal devant Dieu, au tour de sa classe, qu'il fut désigné par le sort, selon la coutume du sacerdoce, pour faire brûler l'encens » ; il vint pour offrir le sacrifice, et « il entra dans le Temple du Seigneur». Il remplissait donc sa fonction de présidence «devant Dieu», reconnaissant simplement, proprement et absolument pour Seigneur et Dieu Celui qui avait choisi Jérusalem et établi la loi du sacerdoce et dont Gabriel était l'ange. Il n'en connaissait point d'autre au-dessus de celui-là : s'il avait eu connaissance de quelque Dieu et Seigneur plus parfait en dehors de celui-là, il n'eût pas reconnu pour Dieu et Seigneur, au sens propre et absolu de ces termes, quelqu'un qu'il aurait su n'être que le « fruit d'une déchéance», ainsi que nous l'avons déjà montré. De même, à propos de Jean, nous lisons chez Luc : « Il sera grand devant le Seigneur, et il ramènera beaucoup des fils d'Israël au Seigneur leur Dieu, et lui-même marchera devant lui dans l'Esprit et la puissance d'Elie, afin de préparer pour le Seigneur un peuple bien disposée » Pour qui donc a-t-il préparé un peuple, et devant quel Seigneur a-t-il été grand ? Sans aucun doute devant Celui qui a dit que Jean avait quelque chose de «plus qu'un prophète» et que « personne d'entre les enfants des femmes n'était plus grand que Jean-Baptiste ». Car il préparait un peuple en annonçant d'avance à ses compagnons de servitude la venue du Seigneur et en leur prêchant la pénitence, afin que, lorsque le Seigneur serait présent, ils fussent en état de recevoir son pardon, pour être revenus à Celui auquel ils s'étaient rendus étrangers par leurs péchés et leurs transgressions, selon ce que dit David : « Les pécheurs se sont rendus étrangers dès le sein maternel, ils se sont égarés dès leur conception. » C'est pourquoi, en les ramenant à leur Seigneur, il préparait au Seigneur un peuple bien disposé, dans l'Esprit et la puissance d'Elie. Luc dit encore, en parlant de l'ange : « Or, à cette même époque, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu, et il dit à la Vierge : Ne crains pas, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. » Et l'ange dit au sujet du Seigneur : «Il sera grand et il sera appelé Fils du Très-Haut; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, et il régnera à jamais sur la maison de Jacob, et son règne n'aura pas de fin. » Quel autre doit régner sans interruption et à jamais sur la maison de Jacob, sinon le Christ Jésus notre Seigneur, le Fils du Dieu Très-Haut, de Celui qui, par la Loi et les prophètes, avait promis de rendre son « Salut » visible pour toute chair, de sorte que ce Fils de Dieu deviendrait Fils de l'homme pour qu'à son tour l'homme devînt fils de Dieu ? C'est pourquoi, dans son exultation, Marie s'écriait, prophétisant au nom de l'Eglise : « Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit a exulté en Dieu mon Sauveur ; car il est venu en aide à Israël son serviteur, se souvenant de sa miséricorde, selon qu'il avait parlé à nos pères, en faveur d'Abraham et de sa descendance à jamais. » Par ces paroles combien significatives, l'Evangile montre que le Dieu qui a parlé aux pères — c'est-à-dire Celui qui a donné la Loi par l'entremise de Moïse, car c'est par cette Loi que nous savons qu'il a parlé aux pères — ce même Dieu, selon sa grande bonté, a répandu sur nous sa miséricorde. Dans cette miséricorde même, en effet, « il nous a visités, Soleil levant venu d'en haut, et il a brillé pour ceux qui étaient assis dans les ténèbres et l'ombre de la mort, et il a dirigé nos pas sur le chemin de la paix. » C'est en ces termes que Zacharie, délivré du mutisme qu'il s'était attiré par son incrédulité et rempli d'un Esprit nouveau, bénissait Dieu d'une manière nouvelle. Car tout était dorénavant nouveau, du fait que le Verbe venait, par un processus nouveau, d'accomplir l'« économie » de sa venue dans la chair, afin que l'homme, qui s'en était allé hors de Dieu, fût réintégré par lui dans l'amitié de Dieu. Et c'est pourquoi cet homme apprenait à honorer Dieu d'une manière nouvelle, mais nullement à honorer un autre Dieu pour autant, « car il n'y a qu'un seul Dieu, qui justifie les circoncis en suite de la foi et les incirconcis au moyen de la foi». Zacharie prophétisait donc en ces termes : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, parce qu'il a visité et racheté son peuple et qu'il a dressé pour nous une Corne de salut dans la maison de David son serviteur, comme il l'avait annoncé par la bouche de ses saints prophètes d'autrefois, pour nous sauver de nos ennemis et de la main de tous ceux qui nous haïssent, afin d'exercer sa miséricorde envers nos pères et de se souvenir de son alliance sainte, du serment qu'il avait fait à Abraham, notre père, de nous accorder que sans plus craindre, délivrés de la main de nos ennemis, nous le servions dans la sainteté et la justice, en sa présence, tous les jours de notre vie. » Ensuite il dit à Jean : « Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut, car tu marcheras devant la face du Seigneur pour préparer ses voies, pour donner la connaissance du Salut à son peuple en vue de la rémission de ses péchés. » C'était bien là, en effet, la «connaissance du Salut » qui leur manquait, à savoir celle du Fils de Dieu. Cette connaissance, Jean allait la leur procurer, en disant : « Voici l'Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. C'est de lui que j'ai dit : Après moi vient un homme qui est passé devant moi parce qu'il était avant moi, et nous avons tous reçu de sa plénitude. » Telle était la « connaissance du Salut ». Il ne s'agissait donc ni d'un autre Dieu, ni d'un autre Père, ni d'un Abîme, ni d'un Plérôme de trente Bons, ni d'une Mère décorée du nom d'Ogdoade ! Mais la « connaissance du Salut », c'était la connaissance du Fils de Dieu, qui est appelé et est en toute vérité Salut, Sauveur et Vertu salvatrice : — Salut, dans ce texte : « En vue de ton Salut je t'ai attendu, Seigneur»; Sauveur, dans cet autre : « Voici mon Dieu, mon Sauveur, je me confierai en lui» ; Vertu salvatrice, enfin, dans ce troisième : « Dieu a fait connaître sa Vertu salvatrice à la face des nations. » Il est en effet Sauveur parce que Fils et Verbe de Dieu ; il est Vertu salvatrice parce qu'Esprit, « car, est-il dit, l'Esprit de notre face, c'est le Christ Seigneur » ; enfin il est Salut, parce que chair, car « le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous ». Telle était la « connaissance du Salut » que Jean procurait à ceux qui faisaient pénitence et croyaient en l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Luc dit encore qu'un ange du Seigneur apparut aux bergers, leur annonçant la bonne nouvelle de la joie : « Il est né, leur disait-il, dans la maison de David, un Sauveur, qui est le Christ Seigneur. » C'était ensuite « une troupe nombreuse de l'armée céleste qui louait Dieu et disait : Gloire à Dieu dans les hauteurs, et sur la terre paix aux hommes en qui il se complaît. » Il s'agirait, au dire des « Gnostiques » au nom menteur, d'Anges venus de l'Ogdoade et annonçant la descente du Christ d'en haut. Mais ces « Gnostiques » ruinent leur propre thèse, lorsqu'à l'opposé ils affirment que le Christ et Sauveur d'en haut n'est pas né, mais qu'après le baptême du Jésus de l'économie il est descendu sur celui-ci sous la forme d'une colombe. Ils mentent donc, d'après eux, les Anges de l'Ogdoade, lorsqu'ils disent : « Il vous est né aujourd'hui un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David. » Car ni le Christ ni le Sauveur ne sont nés à ce moment-là, s'il faut en croire les hérétiques, mais bien le Jésus de l'économie, qui relève de l'Auteur du monde et en qui, après son baptême, c'est-à-dire trente ans plus tard, serait descendu le Sauveur d'en haut. Et pourquoi les anges ont-ils ajouté « dans la ville de David», sinon pour annoncer cette bonne nouvelle que la promesse faite par Dieu à David — à savoir qu'il y aurait un Roi éternel qui serait le « fruit de son sein » — était maintenant un fait accompli ? C'est bien en effet le Créateur de cet univers qui avait fait cette promesse à David, comme le dit David lui-même : « Mon secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre » ; et encore : « En sa main sont les extrémités de la terre, et les cimes des montagnes sont à lui : car c'est à lui qu'appartient la mer, et c'est lui qui l'a faite, et ce sont ses mains aussi qui ont modelé la terre ferme. Venez, adorons-le et prosternons-nous devant lui, et pleurons en présence du Seigneur qui nous a faits, car c'est lui notre Dieu. » De toute évidence, l'Esprit Saint annonçait ainsi d'avance par la bouche de David, à l'intention de ceux qui l'écoutent1, qu'il s'en trouverait pour mépriser Celui qui nous a modelés et qui est aussi le seul Dieu : d'où les paroles que nous venons de citer. Il voulait dire ceci : « Ne vous laissez pas induire en erreur, car en dehors ou au-dessus de lui il n'existe pas d'autre Dieu vers lequel il faille plutôt vous tourner. » Il nous disposait de la sorte à la piété et à la reconnaissance envers Celui qui nous a faits, nous a créés et nous nourrit. Qu'adviendra-t-il, dès lors, de ceux qui ont imaginé un blasphème aussi énorme contre leur Créateur ? Le même avertissement nous est donné aussi par les anges, car, en disant : « Gloire à Dieu dans les hauteurs, et paix sur la terre», ils ont, par ces paroles mêmes, glorifié Celui qui a fait les « hauteurs », c'est-à-dire les régions supracélestes, et créé tout ce qui se rencontre sur la terre, et qui a envoyé du ciel à l'ouvrage par lui modelé, c'est-à-dire « aux hommes », sa bonté salvatrice. Et c'est pourquoi « les bergers, est-il dit, s'en retournèrent, glorifiant Dieu pour tout ce qu'ils avaient entendu et vu, comme il leur avait été annoncé ». Car ce n'est pas un autre Dieu que glorifiaient les bergers Israélites, mais Celui qui avait été annoncé par la Loi et les prophètes, l'Auteur de toutes choses, Celui-là même que glorifiaient aussi les anges. Si, au contraire, les Anges prétendument venus de l'Ogdoade avaient glorifié un Dieu et les bergers un autre, c'est l'erreur, et non la vérité, que leur eussent apportée ces Anges venus de l'Ogdoade. Luc dit encore au sujet du Seigneur : « Lorsque furent accomplis les jours de la purification, ils le conduisirent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, conformément à ce qui est écrit dans la Loi du Seigneur : "Tout mâle premier-né sera proclamé consacré au Seigneur", et pour donner en sacrifice, ainsi qu'il est dit dans la Loi du Seigneur, un couple de tourterelles ou deux petits de colombes. » Luc donne manifestement ici l'appellation de «Seigneur», au sens absolu de ce terme, à Celui qui a établi la Loi. Et Siméon lui aussi, poursuit-il, « bénit Dieu et dit : Maintenant tu libères ton esclave, ô Maître, dans la Paix, car mes yeux ont vu ton Salut que tu as préparé à la face de tous les peuples, Lumière pour éclairer les nations et Gloire de ton peuple Israël. » Et Anne, la prophétesse, est-il dit, glorifiait pareillement Dieu à la vue du Christ, « et elle parlait de lui à tous ceux qui attendaient la rédemption de Jérusalem ». Tous ces textes montrent qu'il n'y a qu'un seul Dieu, qui a ouvert aux hommes le Testament nouveau de la liberté par l'« économie » nouvelle de la venue de son Fils. Témoignage de Marc C'est pourquoi aussi Marc, interprète et compagnon de Pierre, commence ainsi sa rédaction de l'Evangile : « Commencement de l'Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu, selon qu'il est écrit dans les prophètes : "Voici que j'envoie mon messager devant ta face pour te préparer le chemin. Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits les sentiers devant notre Dieu ». De toute évidence, il situe le commencement de l'Evangile dans les paroles des saints prophètes, et il montre d'emblée que Celui qu'ils ont reconnu pour Seigneur et Dieu, c'est lui le Père de notre Seigneur Jésus-Christ. C'est lui qui avait promis à celui-ci d'envoyer son messager devant sa face, et ce messager était Jean, qui, « dans l'Esprit et la puissance d'Elie», criait dans le désert : «Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits les sentiers devant notre Dieu. » Car les prophètes n'annonçaient pas tantôt un Dieu et tantôt un autre, mais un seul et le même, encore qu'au moyen de désignations diverses et d'appellations multiples. Car multiple et riche est le Père, ainsi que nous l'avons montré dans le livre précédent et que nous le montrerons, par les textes des prophètes eux-mêmes, dans la suite de notre ouvrage. Marc dit, d'autre part, à la fin de son Evangile : « Et le Seigneur Jésus, après leur avoir ainsi parlé, fut enlevé dans les cieux et s'assit à la droite de Dieu. » C'est la confirmation de ce qu'avait dit le prophète : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite, jusqu'à ce que je fasse de tes ennemis un escabeau pour tes pieds. » Ainsi donc il n'y a qu'un seul et même Dieu et Père, qui a été prêché par les prophètes et transmis par l'Evangile, Celui-là même que nous, chrétiens, nous honorons et aimons de tout notre cœur, à savoir le Créateur du ciel et de la terre et de tout ce qu'ils renferment. Témoignage de Jean C'est cette même foi qu'a annoncée Jean, le disciple du Seigneur. Il voulait, en effet, par l'annonce de l'Evangile, extirper l'erreur semée parmi les hommes par Cérinthe et, bien avant lui, par ceux qu'on appelle les Nicolaïtes — il s'agit d'une ramification de la Gnose au nom menteur —. Il désirait les confondre et les persuader qu'il n'y a qu'un seul Dieu, qui a fait toutes choses par son Verbe, et qu'il est dès lors faux d'affirmer, comme ils le font, qu'autre est le Démiurge et autre le Père du Seigneur ; qu'autre aussi est le Fils du Démiurge et autre le Christ d'en haut, qui serait demeuré impassible lors de sa descente sur Jésus, le Fils du Démiurge, et se serait envolé de nouveau dans son Plérôme ; que le Principe est le Monogène, tandis que le Logos est le Fils de ce Monogène ; qu'enfin notre monde créé n'a pas été fait par le premier Dieu, mais par une Puissance située dans des régions tout à fait inférieures et coupée de toute communication avec les réalités invisibles et innommables. C'est toutes ces erreurs que voulut éliminer le disciple du Seigneur, et en même temps établir dans l'Église la règle de vérité, à savoir qu'il n'y a qu'un seul Dieu tout-puissant qui, par son Verbe, a fait toutes choses, les visibles et les invisibles. Il voulut aussi indiquer que dans ce même Verbe, par lequel il avait effectué la création, Dieu a procuré le salut aux hommes qui se trouvent dans cette création. Il commença donc son enseignement évangélique par ces mots : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était, au commencement, auprès de Dieu. Toutes choses ont été faites par son entremise et, sans lui, rien n'a été fait. Ce qui a été fait en lui est vie, et la Vie était la Lumière des hommes, et la Lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point saisie. » «Toutes choses, dit-il, ont été faites par son entremise » : dans ce « toutes choses » est évidemment inclus notre monde créé, car on ne peut concéder aux hérétiques que l'expression « toutes choses » désignerait ce qui se trouve à l'intérieur de leur Plérôme. En effet, si leur Plérôme contient aussi ces choses qui nous entourent, notre vaste monde créé n'est donc pas en dehors de lui, ainsi que nous l'avons montré dans le livre précédent ; si, au contraire, ces choses sont en dehors du Plérôme — ce qui d'ailleurs est apparu comme impossible —, leur prétendu Plérôme n'est plus « toutes choses ». Donc ce vaste monde créé n'est pas en dehors de ce « toutes choses ». Jean a d'ailleurs lui-même écarté de nous toute divergence d'opinions, en disant : « Il était dans le monde, et le monde a été fait par son entremise, et le monde ne l'a pas connu. Il est venu dans son propre domaine, et les siens ne l'ont pas reçu. » D'après Marcion et ses pareils, au contraire, le monde n'a pas été fait par son entremise, et il n'est pas venu dans son propre domaine, mais dans un domaine étranger. Selon certains d'entre les « Gnostiques», c'est par des Anges qu'aurait été fait ce monde, et non par l'entremise du Verbe de Dieu. Selon les disciples de Valentin, il n'aurait pas davantage été fait par l'entremise du Logos, mais par celle du Démiurge. En effet, d'un côté, le Logos agissait en sorte que telles ou telles similitudes fussent produites à l'imitation des réalités d'en haut, comme ils disent, et, de l'autre, le Démiurge effectuait la production de la création. Car ils prétendent que ce dernier fut émis par la Mère comme Seigneur et Démiurge de l'œuvre de création et ils veulent que ce monde ait été fait par l'entremise de ce Démiurge, alors que l'Évangile dit clairement que toutes choses ont été faites par l'entremise du Verbe, qui était au commencement auprès de Dieu. Et c'est ce «Verbe», dit Jean, qui «s'est fait chair et a habité parmi nous». D'après les hérétiques, par contre, ni le Logos ne s'est fait chair, ni le Christ, ni le Sauveur issu de tous les Eons. Car ils soutiennent que le Logos et le Christ ne sont même pas venus en ce monde ; quant au Sauveur, il n'aurait connu ni incarnation ni souffrance, mais il serait seulement descendu sous forme de colombe dans le Jésus de l'économie et, après avoir annoncé le Père inconnaissable, il serait remonté dans le Plérôme. D'après les uns, seul aurait revêtu une chair et aurait souffert le Jésus de l'économie, qui serait passé à travers Marie comme de l'eau à travers un tube ; pour d'autres, ce serait le Fils du Démiurge, en lequel serait descendu le Jésus de l'économie; pour d'autres encore, Jésus serait né de Joseph et de Marie, et en lui serait descendu le Christ d'en haut, qui est sans chair et impassible. Or, selon aucune de ces opinions hérétiques, « le Verbe » de Dieu ne « s'est fait chair ». En effet, si l'on scrute les systèmes de tous ces gens, on constate que tous introduisent un Logos de Dieu et un Christ d'en haut qui sont sans chair et impassibles : les uns pensent que le Logos ou Christ en question s'est manifesté en revêtant la forme d'un homme, mais nient qu'il soit né et se soit incarné ; d'autres n'admettent même pas qu'il ait pris la forme d'un homme, mais veulent qu'il soit descendu sous forme de colombe sur le Jésus né de Marie. Tous ces gens-là donc, le disciple du Seigneur fait la preuve qu'ils sont de faux témoins, lorsqu'il dit : « Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous. » Et pour que nous n'ayons pas à nous livrer à des recherches, lui-même nous enseigne au surplus de quel Dieu est ce Verbe qui s'est fait chair : « Il y eut, dit-il, un homme envoyé par Dieu : son nom était Jean. Il vint comme témoin, pour rendre témoignage à la Lumière. Il n'était pas la Lumière, mais il venait pour rendre témoignage à la Lumière ". » Ce Jean le Précurseur, qui rendait témoignage à la Lumière, par quel Dieu avait-il donc été envoyé ? Sans aucun doute par Celui dont Gabriel était l'ange — car c'est celui-ci qui annonça la bonne nouvelle de la naissance de Jean — et qui déjà, par les prophètes, avait promis d'envoyer son messager devant la face de son Fils pour lui préparer le chemin, c'est-à-dire pour rendre témoignage à la Lumière, « dans l'Esprit et la puissance d'Elie ». Et Elie, à son tour, de quel Dieu fut-il le serviteur et le prophète ? De Celui qui avait fait le ciel et la terre, ainsi qu'il le confesse lui-même. Si donc Jean était envoyé par le Créateur et l'Auteur de ce monde, comment aurait-il pu rendre témoignage à une Lumière prétendument descendue des lieux innommables et invisibles ? Car tous les hérétiques ont décrété que le Démiurge ignore la Puissance qui est au-dessus de lui — cette Puissance dont Jean se trouve précisément être le témoin et l'indicateur. Et c'est d'ailleurs pour cela que, au dire du Seigneur, Jean a eu « plus qu'un prophète » : tous les autres prophètes ont annoncé la venue de la Lumière du Père et ont désiré être jugés dignes de voir Celui qu'ils prêchaient, mais Jean, tout en l'annonçant par avance de la même manière que les autres, l'a vu présent, l'a désigné et a persuadé à beaucoup de croire en lui, si bien qu'il a tenu à la fois la place d'un prophète et celle d'un apôtre. C'est cela même que signifient les mots « plus qu'un prophète », car il y a « premièrement les apôtres, et deuxièmement les prophètes », encore que tous les dons viennent d'un seul et même Dieu. Car il était déjà bon, ce vin qui avait été produit par Dieu dans la vigne par le processus de la création et qui fut bu en premier lieu : nul de ceux qui en burent ne le critiqua, et le Seigneur lui-même en accepta. Mais meilleur fut le vin qui, par l'entremise du Verbe, en raccourci et simplement, fut fait à partir de l'eau à l'usage de ceux qui avaient été invités aux noces. En effet, quoique le Seigneur eût le pouvoir, sans partir d'aucune créature préexistante, de fournir du vin aux convives et de combler de nourriture les affamés, il n'a pas procédé de cette façon, mais c'est en prenant des pains qui provenaient de la terre et en rendant grâces, comme c'est encore en changeant de l'eau en vin, qu'il a rassasié les convives et désaltéré les invités aux noces. Il montrait par là que le Dieu qui a fait la terre et lui a commandé de porter du fruit, qui a établi les eaux et fait jaillir les sources, ce même Dieu octroie aussi au genre humain, dans les derniers temps, par l'entremise de son Fils, la bénédiction de la Nourriture et la grâce du Breuvage, lui, l'Incompréhensible, par Celui qui peut être compris, lui, l'Invisible, par Celui qui peut être vu : car ce Fils n'est pas en dehors de lui, mais se trouve dans le sein du Père. En effet, « Dieu, est-il dit, personne ne l'a jamais vu ; seul le Fils unique de Dieu, qui est dans le sein du Père, l'a lui-même fait connaître ». Car ce Père, qui est invisible, le Fils qui est dans son sein le fait connaître à tous. C'est pourquoi ceux-là le connaissent à qui le Fils l'a révélé; de son côté, le Père donne la connaissance de son Fils, par ce Fils même, à ceux qui l'aiment. C'est pour l'avoir appris du Père que Nathanaël le connut, lui à qui le Seigneur rendit ce témoignage qu'il était « un véritable Israélite en qui il n'y avait pas de fraude ». Cet Israélite connut son Roi, et il lui dit : « Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le Roi d'Israël. » C'est aussi pour l'avoir appris du Père que Pierre connut « le Christ, le Fils du Dieu vivant », de ce Dieu qui disait : « Voici mon Fils bien-aimé, en qui je me suis complu. Je mettrai mon Esprit sur lui, et il fera connaître le jugement aux nations. Il ne disputera ni ne criera, et nul n'entendra sa voix sur les places. Il ne brisera pas le roseau à demi rompu et il n'éteindra pas la mèche qui fume encore, jusqu'à ce qu'il assure le triomphe du jugement, et c'est en son nom que les nations mettront leur espoir. » l'Evangile tétramorphe Tels sont les commencements de l'Evangile : ils annoncent un seul Dieu, Créateur de cet univers, qui fut prêché par les prophètes et donna la Loi par l'entremise de Moïse ; ils proclament que ce Dieu est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ et, en dehors de lui, ils ne connaissent point d'autre Dieu ni d'autre Père. Si grande est l'autorité qui s'attache à ces Evangiles, que les hérétiques eux-mêmes leur rendent témoignage et que chacun d'eux leur arrache quelque lambeau pour tenter d'appuyer son enseignement. Ainsi les Ebionites se servent du seul Évangile selon Matthieu; mais ils sont convaincus par cet Evangile même de ne pas penser correctement au sujet du Seigneur. Marcion ampute l'Evangile selon Luc ; mais les fragments qu'il en conserve encore prouvent qu'il est un blasphémateur à l'égard du seul vrai Dieu. Ceux qui séparent Jésus du Christ et veulent que ce Christ soit demeuré impassible, tandis que Jésus seul aurait souffert, vantent l'Évangile selon Marc; mais, s'ils le lisent avec l'amour de la vérité, ils ont la possibilité de revenir à des idées saines. Quant aux disciples de Valentin, ils utilisent abondamment l'Evangile selon Jean pour accréditer leurs syzygies ; mais ils sont convaincus par cet Evangile même de ne rien dire de correct, ainsi que nous l'avons montré dans le premier livre. Ainsi donc, puisque nos contradicteurs rendent témoignage aux Évangiles et les utilisent, solide et vraie est la preuve que nous élaborons à partir d'eux. Par ailleurs, il ne peut y avoir ni un plus grand ni un plus petit nombre d'Evangiles. En effet, puisqu'il existe quatre régions du monde dans lequel nous sommes et quatre vents principaux, et puisque, d'autre part, l'Eglise est répandue sur toute la terre et qu'elle a pour colonne et pour soutien l'Evangile et l'Esprit de vie, il est naturel qu'elle ait quatre colonnes qui soufflent de toutes parts l'incorruptibilité et rendent la vie aux hommes. D'où il appert que le Verbe, Artisan de l'univers, qui siège sur les Chérubins et maintient toutes choses, lorsqu'il s'est manifesté aux hommes, nous a donné un Evangile à quadruple forme, encore que maintenu par un unique Esprit. C'est ainsi que David, implorant sa venue, disait : « Toi qui sièges sur les Chérubins, montre-toi. » Car les Chérubins ont une quadruple figure, et leurs figures sont les images de l'activité du Fils de Dieu. « Le premier de ces vivants, est-il dit, est semblable à un lion», ce qui caractérise la puissance, la prééminence et la royauté du Fils de Dieu ; « le second est semblable à un jeune taureau», ce qui manifeste sa fonction de sacrificateur et de prêtre ; « le troisième a un visage pareil à celui d'un homme», ce qui évoque clairement sa venue humaine ; « le quatrième est semblable à un aigle qui vole », ce qui indique le don de l'Esprit volant sur l'Eglise. Les Evangiles seront donc eux aussi en accord avec ces vivants sur lesquels siège le Christ Jésus. Ainsi l'Évangile selon Jean raconte sa génération prééminente, puissante et glorieuse, qu'il tient du Père, en disant : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu », et : « Toutes choses ont été faites par son entremise et sans lui rien n'a été fait. » C'est pourquoi aussi cet Evangile est rempli de toute espèce de hardiesse : tel est en effet son aspect. L'Evangile selon Luc, étant de caractère sacerdotal, commence par le prêtre Zacharie offrant à Dieu le sacrifice de l'encens, car déjà était préparé le Veau gras qui serait immolé pour le recouvrement du fils cadet. Quant à Matthieu, il raconte sa génération humaine, en disant : « Livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David, fils d'Abraham», et encore : « La génération du Christ arriva ainsi . » Cet Evangile est donc bien à forme humaine, et c'est pourquoi, tout au long de celui-ci, le Seigneur demeure un homme d'humilité et de douceur. Marc enfin commence par l'Esprit prophétique survenant d'en haut sur les hommes, en disant : « Commencement de l'Evangile, selon qu'il est écrit dans le prophète Isaïe. » Il montre ainsi une image ailée de l'Evangile, et c'est pourquoi il annonce son message en raccourci et par touches rapides, car tel est le caractère prophétique. Les mêmes traits se retrouvent aussi dans le Verbe de Dieu lui-même : aux patriarches qui existèrent avant Moïse il parlait selon sa divinité et sa gloire; aux hommes qui vécurent sous la Loi il assignait une fonction sacerdotale et ministérielle; ensuite, pour nous, il se fit homme ; enfin, il envoya le don de l'Esprit céleste sur toute la terre, nous abritant ainsi sous ses propres ailes. En somme, telle se présente l'activité du Fils de Dieu, telle aussi la forme des vivants, et telle la forme de ces vivants, tel aussi le caractère de l'Evangile : quadruple forme des vivants, quadruple forme de l'Évangile, quadruple forme de l'activité du Seigneur. Et c'est pourquoi quatre alliances furent données à l'humanité : la première fut octroyée à Noé après le déluge; la seconde le fut à Abraham sous le signe de la circoncision ; la troisième fut le don de la Loi au temps de Moïse; la quatrième enfin, qui renouvelle l'homme et récapitule tout en elle, est celle qui, par l'Évangile, élève les hommes et leur fait prendre leur envol vers le royaume céleste. S'il en est ainsi, ils sont vains, ignorants, et audacieux de surcroît, ceux qui rejettent la forme sous laquelle se présente l'Evangile et qui introduisent à l'encontre soit un plus grand, soit un plus petit nombre de figures d'Evangile que celles que nous avons dites, les uns pour paraître avoir trouvé plus que la vérité, les autres pour rejeter les « économies » de Dieu. En effet, Marcion, qui rejette tout l'Évangile ou, pour mieux dire, qui se retranche lui-même de l'Evangile, ne s'en vante pas moins de posséder une partie de cet Évangile. D'autres, pour rejeter le don de l'Esprit répandu aux derniers temps sur le genre humain selon le bon plaisir du Père, n'admettent pas la forme de l'Evangile selon Jean, dans laquelle le Seigneur a promis d'envoyer le Paraclet. Mais ils repoussent du même coup et l'Evangile et l'Esprit prophétique. Ils sont vraiment infortunés, ces gens qui soutiennent qu'il y a de faux prophètes et qui en prennent prétexte pour repousser de l'Eglise la grâce prophétique, se comportant comme ceux qui, à cause de gens qui viennent en hypocrites, s'abstiennent même des relations avec les frères. Il est normal que de tels hommes n'acceptent pas non plus l'apôtre Paul, car, dans l'épître aux Corinthiens, il a parlé avec précision des charismes prophétiques et il connaît des hommes et des femmes qui prophétisent dans l'Église. Par tout cela donc, ces gens pèchent contre l'Esprit de Dieu et tombent de ce fait dans un péché irrémissible. Quant aux disciples de Valentin, se situant en dehors de toute crainte et publiant des écrits de leur propre fabrication, ils se vantent de posséder plus d'Évangiles qu'il n'en existe. Ils en sont venus en effet à ce degré d'audace d'intituler « Évangile de vérité » un ouvrage composé par eux récemment et ne s'accordant en rien avec les Évangiles des apôtres, si bien que même l'Evangile n'est pas chez eux à l'abri du blasphème. Car si l'Evangile publié par eux est l'Évangile de vérité et s'il diffère de ceux que nous ont transmis les apôtres, tous ceux qui le veulent peuvent se rendre compte, comme il apparaît par les Ecritures elles-mêmes, que ce qu'ont transmis les apôtres n'est plus l'Évangile de vérité. Mais que, en fait, les Evangiles des apôtres soient les seuls vrais et solides et qu'il ne puisse en exister ni un plus grand ni un plus petit nombre qu'il n'a été dit, nous l'avons abondamment montré : car, puisque Dieu a fait toutes choses avec harmonie et proportion, il fallait que la forme sous laquelle se présente l'Évangile fût, elle aussi, harmonieuse et proportionnée. Après avoir ainsi examiné la doctrine de ceux qui nous ont transmis l'Évangile, d'après les commencements mêmes de ces Évangiles, venons-en aux autres apôtres et recherchons avec soin leur doctrine sur Dieu ; plus tard, nous entendrons les paroles mêmes du Seigneur. 3. EXAMEN APPROFONDI DU TÉMOIGNAGE DES AUTRES APÔTRES SUR L'UNIQUE VRAI DIEU Témoignage de Pierre et des disciples L'apôtre Pierre donc, après la résurrection du Seigneur et son enlèvement aux cieux, voulant compléter le nombre des douze apôtres et leur adjoindre, en remplacement de Judas, un autre apôtre choisi par Dieu, dit à l'assistance : « Frères, il faut que s'accomplisse cette parole de l'Écriture que l'Esprit Saint a prédite par la bouche de David au sujet de Judas, qui s'est fait le guide de ceux qui ont arrêté Jésus — car il comptait au nombre des nôtres — : "Que sa demeure devienne déserte et que personne n'y habite", et : "Qu'un autre reçoive sa charge"». Pierre complétait ainsi le nombre des apôtres en s'appuyant sur ce qui avait été dit par David. De même encore, lorsque l'Esprit Saint fut descendu sur les disciples, de telle sorte que tous prophétisaient et parlaient en langues, comme quelques-uns se moquaient d'eux en les accusant d'être ivres de vin doux, Pierre déclara qu'ils n'étaient point ivres, puisqu'on était seulement à la troisième heure du jour, mais que c'était là ce qui avait été dit par le prophète : « Il arrivera dans les derniers jours, dit le Seigneur, que je répandrai de mon Esprit sur toute chair, et ils prophétiseront. » Le Dieu donc qui par le prophète avait promis d'envoyer son Esprit sur le genre humain, celui-là l'a également envoyé, et c'est ce Dieu-là que Pierre annonce en proclamant qu'il vient d'accomplir sa promesse. « Israélites, dit-il en effet, écoutez mes paroles : Jésus de Nazareth, cet homme accrédité par Dieu auprès de vous par les miracles, les prodiges et les signes que Dieu a faits par lui au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes, cet homme, livré selon le dessein déterminé et la prescience de Dieu, vous l'avez fixé à la croix et vous l'avez fait mourir par la main des impies. Mais Dieu l'a ressuscité, le délivrant des douleurs des enfers, parce qu'il n'était pas possible qu'il fût retenu sous leur pouvoir. David dit en effet à son sujet : "Je voyais le Seigneur devant moi constamment, car il est à ma droite afin que je ne vacille pas. C'est pourquoi mon cœur s'est réjoui et ma langue a exulté. De plus, même ma chair reposera dans l'espérance, parce que tu n'abandonneras pas mon âme aux enfers et tu ne permettras pas que ton Saint voie la corruption. " » Ensuite Pierre leur dit encore hardiment, au sujet du patriarche David, qu'il était mort, qu'il avait été enseveli et que son tombeau était parmi eux jusqu'à ce jour. «Mais, poursuit-il, comme il était prophète et qu'il savait que Dieu lui avait juré avec serment de faire asseoir du "fruit de son sein" sur son propre trône, il a, par une vue anticipée, parlé de la résurrection du Christ, en disant qu'il n'a pas été abandonné aux enfers et que sa chair n'a pas vu la corruption. Ce Jésus, Dieu l'a ressuscité, nous en sommes tous témoins. Elevé ensuite par la droite de Dieu et ayant reçu du Père l'Esprit Saint promis, il a répandu ce don qu'en ce moment même vous voyez et entendez. Car ce n'est pas David qui est monté aux cieux, mais il dit lui-même : "Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite, jusqu'à ce que je fasse de tes ennemis un escabeau pour tes pieds". Que toute la maison d'Israël sache donc avec certitude que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié. » Et comme la foule s'écriait : «Que ferons-nous donc ? », Pierre leur dit : «Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez le don de l'Esprit Saint. » Ainsi, les apôtres n'annonçaient pas un autre Dieu ni un autre Plérôme, pas plus qu'ils ne distinguaient un Christ qui aurait souffert et serait ressuscité d'un autre qui se serait envolé et serait demeuré impassible, mais ils annonçaient un seul et même Dieu Père, ainsi qu'un seul et même Christ Jésus, celui-là même qui est ressuscité des morts. C'est la foi en lui qu'ils prêchaient à ceux qui ne croyaient pas au Fils de Dieu, et c'est par les prophètes qu'ils leur démontraient que le Christ que Dieu avait promis d'envoyer, il l'avait envoyé en la personne de ce Jésus même qu'ils avaient crucifié et que Dieu avait ressuscité. De même encore, lorsque Pierre, accompagné de Jean, vit le boiteux de naissance assis devant la porte du Temple appelée la Belle Porte et demandant l'aumône, « il lui dit : Je n'ai ni argent ni or ; mais ce que j'ai, je te le donne : au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche. Et aussitôt les plantes et les chevilles de ses pieds s'affermirent, et il marchait, et il entra avec eux dans le Temple, marchant, sautant et glorifiant Dieu. » Comme toute une foule s'était rassemblée autour d'eux à cause de ce miracle, Pierre leur dit : « Israélites, pourquoi vous étonnez-vous de cela et pourquoi nous regardez-vous pareillement, comme si c'était par notre puissance que nous l'avions fait marcher? Le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob, le Dieu de nos pères, a glorifié son Fils, que vous, vous avez livré en jugement et renié à la face de Pilate qui voulait le relâcher. Pour vous, vous avez accablé le Saint et le Juste, et vous avez demandé que l'on fît grâce à un meurtrier. Le Prince de la vie, vous l'avez fait mourir, mais Dieu l'a ressuscité des morts, nous en sommes témoins. C'est en vertu de la foi en son nom que ce nom a rendu la force à cet homme que vous voyez et connaissez, et la foi qui vient par lui a donné à cet homme une parfaite guérison en présence de vous tous. Et maintenant, frères, je sais que c'est par ignorance que vous avez fait le mal. Dieu a accompli par là ce qu'il avait prédit par la bouche de tous les prophètes, à savoir que son Christ souffrirait. Faites donc pénitence et convertissez-vous pour que vos péchés soient effacés, que des temps de rafraîchissement viennent pour vous de la face du Seigneur et qu'il envoie Celui qui vous a été destiné, le Christ Jésus, que le ciel doit recevoir jusqu'aux temps de la restauration de toutes choses dont Dieu a parlé par ses saints prophètes. Moïse a dit à nos pères : "Le Seigneur votre Dieu vous suscitera d'entre vos frères un prophète comme moi ; vous l'écouterez en tout ce qu'il vous dira. Quiconque n'écoutera pas ce prophète sera exterminé du sein du peuple. " Et tous les prophètes depuis Samuel et tous ceux qui ont parlé dans la suite ont aussi annoncé ces jours-là. Vous êtes, vous, les fils des prophètes et de l'alliance que Dieu a conclue avec vos pères, lorsqu'il a dit à Abraham : "En ta postérité seront bénies toutes les familles de la terre." C'est pour vous d'abord que Dieu a suscité son Fils et l'a envoyé pour vous bénir, afin que chacun de vous se détourne de ses iniquités. » C'est donc une prédication claire que Pierre leur prêcha avec Jean, proclamant cette bonne nouvelle que la promesse faite par Dieu aux pères venait d'être accomplie en Jésus. Il n'annonçait assurément pas un autre Dieu, mais il portait à la connaissance d'Israël le Fils de Dieu qui s'était fait homme et avait souffert la Passion, il prêchait en Jésus la résurrection des morts, et il faisait savoir que tout ce que les prophètes avaient annoncé au sujet de la Passion du Christ, Dieu l'avait accompli. C'est pourquoi encore, les princes des prêtres s'étant réunis, Pierre leur dit hardiment : « Chefs du peuple et anciens d'Israël, puisque nous sommes aujourd'hui interrogés par vous à l'occasion d'un bienfait accordé à un infirme, pour savoir comment cet homme a été guéri, sachez-le bien, vous tous et tout le peuple d'Israël : c'est au nom de Jésus-Christ de Nazareth, que vous, vous avez crucifié et que Dieu a ressuscité des morts, c'est par lui que cet homme se présente devant vous en pleine santé. C'est lui la pierre dédaignée par vous, les bâtisseurs, qui est devenue la pierre angulaire. Et il n'y a pas d'autre nom sous le ciel qui ait été donné aux hommes, en lequel nous devions être sauvés. » Ainsi les apôtres ne changeaient pas Dieu, mais ils annonçaient au peuple que le Christ était ce Jésus même qui avait été crucifié : ce Jésus, le Dieu qui avait envoyé les prophètes — c'est-à-dire Dieu en personne — l'avait ressuscité et avait donné en lui le salut aux hommes. Couverts de confusion tant par cette guérison — « car, dit l'Ecriture, l'homme à qui était arrivée cette guérison miraculeuse avait plus de quarante ans » — que par l'enseignement des apôtres et l'explication des prophètes, les grands prêtres relâchèrent Pierre et Jean. Ceux-ci revinrent donc vers les autres apôtres et les disciples du Seigneur, c'est-à-dire vers l'Eglise, et ils racontèrent ce qui s'était passé et comment ils avaient agi hardiment au nom de Jésus. « Ce qu'entendant », est-il dit, toute l'Église, « d'un seul cœur, éleva la voix vers Dieu et dit : Maître, c'est toi le Dieu qui as fait le ciel et la terre et la mer et tout ce qu'ils renferment, toi qui as dit par l'Esprit Saint parlant par la bouche de notre père David, ton serviteur : "Pourquoi les nations ont-elles frémi et les peuples ont-ils tramé de vains projets ? Les rois de la terre se sont présentés et les princes se sont ligués ensemble contre le Seigneur et contre son Christ." Car ils se sont ligués en vérité dans cette ville contre ton saint Fils Jésus que tu avais oint, Hérode et Ponce Pilate avec les nations et les peuples d'Israël, pour faire tout ce que ta main et ton conseil avaient par avance décidé. » Telles étaient les voix de cette Église de laquelle toute Église tire son origine; telles étaient les voix de la Cité mère des citoyens de la nouvelle alliance ; telles étaient les voix des apôtres, telles étaient les voix des disciples du Seigneur : ils étaient véritablement «parfaits», pour avoir été, après l'enlèvement du Seigneur, rendus parfaits par l'Esprit, et ils invoquaient le Dieu qui a fait le ciel et la terre et la mer, celui-là même qui avait été prêché par les prophètes, ainsi que son Fils Jésus, que Dieu a oint, et ils ne connaissaient point d'autre Dieu. Car il n'y avait là, à ce moment, ni Valentin ni Marcion ni aucun de ces gens qui se perdent eux-mêmes et perdent ceux qui se fient à eux. Et c'est pourquoi la prière des disciplines fut entendue du Dieu Créateur de toutes choses : « Le lieu où ils étaient réunis trembla, est-il dit, et ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et ils annonçaient la parole de Dieu avec assurance à quiconque voulait croire. » Car, est-il dit, « les apôtres rendaient puissamment témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus». Ils disaient aux Juifs : « Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, que vous avez mis à mort en le suspendant au bois. C'est lui que Dieu a exalté par sa gloire comme Prince et Sauveur, afin d'accorder à Israël le repentir et la rémission des péchés. Et nous, nous sommes en lui témoins de ces choses, ainsi que l'Esprit Saint, que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent.» « Chaque jour, est-il encore dit, au Temple comme dans les maisons particulières, ils ne cessaient d'enseigner et d'annoncer la bonne nouvelle du Christ Jésus», Fils de Dieu. C'était là, en effet, la connaissance du Salut , celle qui rend parfaits à l'égard de Dieu ceux qui connaissent la venue de son Fils. Mais certains ont l'impudence de dire que, prêchant chez les Juifs, les apôtres ne pouvaient leur annoncer d'autre Dieu que celui auquel croyaient ces Juifs. Nous leur répondrons que, si les apôtres ont parlé suivant les opinions reçues antérieurement parmi les hommes, personne n'a appris d'eux la vérité ; et, bien auparavant déjà, personne ne l'avait apprise du Seigneur, puisque, à en croire ces gens, lui-même avait déjà parlé de cette manière. Par conséquent, les hérétiques eux-mêmes ne connaissent pas non plus la vérité, mais, comme ils avaient d'avance telle idée sur Dieu, ils ont reçu un enseignement accommodé à leur entendement. Dans une telle perspective, il n'y aura de règle de vérité chez personne, mais tous se verront attribuer par tous la connaissance de cette vérité, puisqu'on aura parlé à chacun pour abonder dans son sens et selon sa façon de voir. Superflue et sans objet apparaîtra dès lors la venue du Seigneur, s'il est vrai qu'il n'est venu que pour autoriser et conserver l'idée que chacun se faisait jusque là de Dieu. Au surplus, il était bien autrement incommode d'annoncer aux Juifs que l'homme qu'ils avaient vu et qu'ils avaient crucifié, cet homme même était le Christ, le Fils de Dieu, leur Roi éternel. Ce n'est donc pas suivant les opinions antérieures des Juifs que les apôtres leur parlaient : eux qui les traitaient en face de meurtriers du Seigneur, combien plus hardiment leur eussent-ils annoncé un Père qui aurait été au-dessus du Démiurge à l'encontre de ce que chacun croyait déjà ! Le péché des Juifs eût d'ailleurs été bien moindre, puisque le Sauveur d'en haut vers lequel ils auraient eu à monter était impassible et, par conséquent, ne pouvait avoir été crucifié par eux. De même en effet que les apôtres ne parlaient pas aux païens selon les croyances de ceux-ci mais leur disaient hardiment que leurs dieux étaient des idoles de démons et non des dieux, de même ils eussent annoncé aux Juifs, s'ils l'avaient effectivement connu, un autre Père plus grand et plus parfait, plutôt que d'entretenir et d'accroître la fausse idée qu'ils se seraient faite de Dieu. Ajoutons qu'en détruisant l'erreur des païens et en les arrachant à leurs dieux, ils ne leur inculquaient assurément pas une autre erreur, mais, en balayant des dieux qui n'en étaient pas, ils présentèrent Celui qui est le seul Dieu et le vrai Père. Ainsi, par les paroles qu'à Césarée Pierre adressa au centurion Corneille et aux païens qui se trouvaient avec lui — c'était la première fois que la parole de Dieu était annoncée à des païens —, nous pouvons savoir ce qu'annonçaient les apôtres, quelle était leur prédication et quelle doctrine ils avaient sur Dieu. Ce Corneille, est-il dit, était « un homme pieux et craignant Dieu, ainsi que toute sa maison; il faisait beaucoup d'aumônes au peuple et priait Dieu continuellement. Il vit donc vers la neuvième heure du jour un ange de Dieu qui entrait chez lui et qui lui dit : Tes aumônes sont montées en mémorial devant Dieu. C'est pourquoi envoie des hommes vers Simon, qu'on appelle Pierre. » Pendant ce temps, Pierre voyait une révélation, au cours de laquelle une voix céleste lui répondait : « Ce que Dieu a purifié, ne l'appelle pas souillé. » Car le Dieu qui par la Loi avait distingué entre les aliments purs et impurs, ce Dieu même avait purifié les nations par le sang de son Fils, et c'est ce Dieu qu'honorait Corneille. Quand donc Pierre arriva près de Corneille, il dit : « En vérité, je me rends compte que Dieu ne fait pas acception des personnes, mais qu'en toute nation celui qui le craint et pratique la justice lui est agréable. » Il indiquait par là clairement que le Dieu que Corneille craignait déjà auparavant, dont il avait été instruit par la Loi et les prophètes et à cause de qui il faisait ses aumônes, celui-là était véritablement Dieu. Mais il manquait à Corneille la connaissance du Fils. C'est pourquoi Pierre ajouta : « Vous savez vous-mêmes ce qui s'est passé dans toute la Judée, à partir de la Galilée, après le baptême que Jean a prêché : comment Dieu a oint d'Esprit Saint et de force Jésus de / Nazareth, qui est passé en tout lieu en faisant le bien et en guérissant tous ceux qui étaient opprimés par le diable, car Dieu était avec lui. Et nous, nous sommes témoins de tout ce qu'il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem, lui qu'ils ont fait mourir en le suspendant au bois. Ce Jésus, Dieu l'a ressuscité le troisième jour et il lui a donné de se manifester, non à tout le peuple, mais aux témoins choisis d'avance par Dieu, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d'entre les morts. Et il nous a prescrit de prêcher au peuple et d'attester que c'est lui qui a été constitué par Dieu Juge des vivants et des morts. C'est à lui que tous les prophètes rendent ce témoignage que tout homme qui croit en lui reçoit par son nom la rémission des péchés. » C'est donc le Fils de Dieu et sa venue, encore ignorés des hommes, qu'annonçaient les apôtres à ceux qui avaient déjà été instruits sur Dieu, mais ils n'introduisaient pas un autre Dieu pour autant. Car, si Pierre avait connu quelque doctrine de ce genre, il aurait librement prêché aux païens qu'autre était le Dieu des Juifs et autre celui des chrétiens ; et, comme ils étaient effrayés à cause de la vision de l'ange, ils auraient cru tout ce qu'il leur aurait dit. Mais les paroles de Pierre montrent que, d'une part, il a gardé le Dieu qui leur était déjà connu, et que, de l'autre, il leur a attesté que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, le Juge des vivants et des morts — ce Jésus-Christ même en qui il commanda de les baptiser pour la rémission des péchés — ; et non seulement cela, mais il a attesté aussi que c'est bien Jésus lui-même qui est le Fils de Dieu, ce Jésus qui, pour avoir été oint par l'Esprit Saint, est appelé Jésus-Christ. Et c'est ce même Jésus qui est né de Marie, comme l'implique le témoignage de Pierre. Est-ce que par hasard Pierre n'aurait pas encore eu à ce moment-là la connaissance parfaite, celle que ces gens-là ont découverte par la suite ? Imparfait serait donc Pierre, à les en croire, imparfaits aussi les autres apôtres. Il faudra donc qu'ils reviennent à la vie et qu'ils se fassent leurs disciples, pour devenir parfaits eux aussi ! Mais cela est ridicule. La preuve est ainsi faite que ces gens sont les disciples, non des apôtres, mais de leur propre jugement perverti : d'où la diversité de leurs opinions, chacun d'entre eux recevant l'erreur suivant sa capacité. L'Eglise, au contraire, qui tire des apôtres sa ferme origine, persévère à travers le monde entier dans une seule et même doctrine sur Dieu et sur son Fils. Témoignage de Philippe Et Philippe encore, à l'eunuque de la reine d'Ethiopie qui revenait de Jérusalem et lisait le prophète Isaïe, qui donc, seul à seul, a-t-il annoncé ? N'est-ce pas Celui dont le prophète a dit : « Comme une brebis il a été mené à regorgement, et, comme un agneau muet devant celui qui le tond, ainsi il n'a pas ouvert la bouche. Pourtant, qui racontera sa génération ? Car sa vie sera retranchée de la terre » ? Ce personnage, expliquait Philippe, c'était Jésus, et l'Écriture s'était accomplie en lui. Et c'est bien ce que l'eunuque lui-même, ayant cru et demandant aussitôt à être baptisé, disait : «Je crois que Jésus est le Fils de Dieu. » Il fut ensuite envoyé vers les régions de l'Ethiopie pour y prêcher cela même qu'il avait cru, à savoir : d'abord, qu'il n'y a qu'un seul Dieu, Celui qu'ont prêché les prophètes ; ensuite, que le Fils de ce Dieu a déjà accompli sa venue comme homme, qu'il a été, telle une brebis, mené à regorgement et qu'il a réalisé tout ce que les prophètes disent de lui. Témoignage de Paul Paul lui aussi, après que le Seigneur lui eut parlé du haut du ciel, lui montrant qu'il persécutait son Maître en persécutant les disciples de celui-ci, et qu'il eut envoyé Ananie vers lui pour qu'il recouvrât la vue et fût baptisé — Paul donc, « dans les synagogues de Damas, prêchait en toute hardiesse Jésus, proclamant qu'il est le Christ, le Fils de Dieu». C'est là le mystère qu'il dit lui avoir été manifesté par une révélation, à savoir que Celui qui a souffert sous Ponce Pilate, c'est lui le Seigneur de tous les hommes et leur Roi et leur Dieu et leur Juge, car il a reçu du Dieu de toutes choses la puissance, pour « s'être fait obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix. » Et la preuve qu'il en est bien ainsi, c'est que, annonçant l'Évangile aux Athéniens à l'Aréopage, c'est-à-dire dans un lieu où, en l'absence des Juifs, il lui était loisible de prêcher librement le vrai Dieu, il leur dit : « Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qu'il renferme, lui qui est le Seigneur du ciel et de la terre, n'habite pas dans des temples faits de main d'homme, et il n'est pas servi par des mains humaines, comme s'il avait besoin de quoi que ce soit, lui qui a donné à tous la vie, le souffle et toutes choses. Il a fait, à partir d'un seul sang, habiter toute la race des hommes sur la face de toute la terre, fixant les temps dans les limites de leur habitat, pour qu'ils cherchent le divin, si toutefois ils peuvent le toucher et le trouver, encore qu'il ne soit pas loin de chacun de nous. Car en lui nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes, et, comme l'ont dit certains des vôtres : "De sa race aussi nous sommes. " Si nous sommes donc de la race de Dieu, nous ne devons pas croire que le divin soit semblable à l'or, à l'argent ou à la pierre, travaillés par l'art ou le génie de l'homme. Sans tenir compte des temps d'ignorance, Dieu enjoint maintenant aux hommes d'avoir tous et partout à se repentir et à revenir à lui, parce qu'il a fixé un jour pour juger l'univers en justice par l'homme Jésus qu'il a désigné, l'accréditant auprès de tous en le ressuscitant d'entre les morts. » Dans ce passage, Paul ne leur annonce pas seulement le Dieu Créateur du monde, et cela en l'absence des Juifs, mais il déclare encore que ce Dieu a fait habiter un seul genre humain sur toute la terre. Comme le dit aussi Moïse : « Quand le Très-Haut sépara les nations comme il avait dispersé les fils d'Adam, il fixa les frontières des nations d'après le nombre des anges de Dieu » ; par contre, le peuple qui croyait en Dieu n'était plus sous le pouvoir des anges, mais sous celui du Seigneur, car «la part du Seigneur, ce fut son peuple Jacob, et la portion de son héritage, ce fut Israël ». De même encore, pendant que Paul se trouvait avec Barnabé à Lystres de Lycaonie, comme il venait de faire marcher un boiteux de naissance au nom du Seigneur Jésus-Christ et que la foule voulait les honorer comme des dieux à cause de ce prodige, il leur dit : « Nous sommes des hommes de même condition que vous, qui vous annonçons la bonne nouvelle de Dieu, pour que vous quittiez ces vanités et que vous vous tourniez vers le Dieu vivant qui a fait le ciel et la terre et la mer et tout ce qu'ils renferment. Au cours des générations passées, il a permis que toutes les nations suivent leurs voies ; néanmoins, il ne s'est pas laissé lui-même sans témoignage, répandant ses bienfaits du haut du ciel, vous donnant les pluies et les saisons fertiles, rassasiant vos cœurs de nourriture et de joie. » Qu'avec ces prédications concordent toutes les épîtres de Paul, nous le montrerons au lieu opportun d'après ces épîtres mêmes, lorsque nous exposerons la doctrine de l'Apôtre. Tandis que nous peinons sur ces preuves tirées des Écritures et que nous tâchons de présenter brièvement et en raccourci ce qui s'y trouve dit de façon multiple, applique-toi aussi toi-même avec patience à ces preuves et ne crois pas que ce soit du verbiage : tu dois comprendre que des preuves contenues dans les Écritures ne peuvent être produites qu'en citant ces Écritures mêmes. Témoignage d'Étienne De même encore Étienne, qui fut choisi par les apôtres comme premier diacre et qui, le premier aussi de tous les hommes, suivit les traces du martyre du Seigneur, ayant été mis à mort le premier pour avoir confessé le Christ, parlait hardiment au milieu du peuple et l'enseignait en ces termes : « Le Dieu de gloire apparut à notre père Abraham et lui dit : Sors de ton pays et de ta parenté, et viens dans le pays que je te montrerai. Et il le fit émigrer dans ce pays où vous-mêmes habitez maintenant. Il ne lui donna pas d'héritage dans ce pays, pas même un pouce de terrain, mais il promit de le lui donner en possession, ainsi qu'à sa postérité après lui. Dieu lui déclara que sa postérité séjournerait en terre étrangère, qu'on l'asservirait et la maltraiterait pendant quatre cents ans. "Mais la nation à laquelle ils seront asservis, je la jugerai, dit Dieu ; après quoi ils s'en iront et me serviront dans ce lieu-ci." Et il lui donna l'alliance de la circoncision, et ainsi Abraham engendra Isaac. » Le reste des paroles d'Étienne annonce le même Dieu, qui fut avec Joseph et avec les patriarches et qui s'entretint aussi avec Moïse. Tout l'enseignement des apôtres annonce donc un seul et même Dieu, qui a fait émigrer Abraham, lui a promis l'héritage, lui a donné l'alliance de la circoncision au temps opportun, a rappelé d'Egypte sa descendance conservée d'une façon visible grâce à cette circoncision — car c'est comme un signe que Dieu la leur avait donnée, pour qu'ils ne fussent pas semblables aux Égyptiens — ; et c'est ce Dieu-là qui est le Créateur de toutes choses, c'est lui le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, c'est lui le Dieu de gloire : voilà ce que peuvent apprendre, par les paroles mêmes et par les actes des apôtres, ceux qui le veulent, tout comme ils peuvent aussi se rendre compte que c'est lui le seul Dieu, au-dessus duquel il n'en est point d'autre. Si d'ailleurs il en existait un autre au-dessus du Créateur, nous dirions que, en comparaison, ce dernier est infiniment meilleur que lui, car le meilleur se révèle par les œuvres, ainsi que nous l'avons déjà dit, et, comme ces gens-là sont incapables de montrer la moindre œuvre de leur Père, la preuve est faite que le Créateur est le seul Dieu. Si quelqu'un, «en mal de recherches», croit devoir entendre allégoriquement ce que les apôtres ont dit au sujet de Dieu, qu'il examine nos précédents exposés, où nous avons montré qu'il n'y a qu'un seul Dieu, Créateur et Auteur de toutes choses, et où nous avons réfuté et mis à nu leurs assertions. Il constatera que nos exposés sont en accord avec l'enseignement des apôtres et qu'ils présentent ce qu'ils enseignaient et croyaient, à savoir qu'il n'y a qu'un seul Dieu, Créateur de toutes choses. Et quand cet homme aura rejeté de sa pensée une aussi monstrueuse erreur et un tel blasphème contre Dieu, il retrouvera de lui-même la raison, comprenant que la Loi de Moïse aussi bien que la grâce du Nouveau Testament, toutes deux adaptées à leurs époques respectives, ont été accordées pour le profit du genre humain par un seul et même Dieu. Car tous les tenants d'opinions fausses, impressionnés par la Loi de Moïse et estimant qu'elle est dissemblable de l'enseignement de l'Evangile, voire contraire à celui-ci, ne se sont pas dès lors appliqués à rechercher les causes de cette différence entre les deux Testaments. Vides de l'amour du Père et enflés par Satan, ils se sont tournés vers la doctrine de Simon le Magicien; ils se sont ainsi séparés du vrai Dieu par leurs pensées et ont cru avoir trouvé eux-mêmes mieux que les apôtres en inventant un autre Dieu : les apôtres, à les en croire, auraient encore pensé comme les Juifs lorsqu'ils annoncèrent l'Evangile, tandis qu'ils sont, eux, plus au fait de la pure doctrine et plus sages que les apôtres. Voilà pourquoi Marcion et ses disciples se sont mis à tailler dans les Ecritures, rejetant totalement certaines d'entre elles, mutilant l'Evangile de Luc et les épîtres de Paul et ne reconnaissant pour authentique que ce qu'ils ont ainsi tronqué. Pour nous, même à l'aide des seuls passages qu'ils conservent encore, nous les réfuterons, avec la grâce de Dieu, dans un autre ouvrage. Tous les autres qui sont enflés d'une Gnose au nom usurpé admettent bien les Ecritures, mais ils en pervertissent l'interprétation, comme nous l'avons montré dans le premier livre. Les disciples de Marcion blasphèment d'entrée de jeu le Créateur, en disant qu'il est l'auteur du mal ; leur thèse de base est de la sorte plus intolérable, car ils affirment qu'il existe deux Dieux par nature, séparés l'un de l'autre, dont l'un serait bon et l'autre mauvais. Les disciples de Valentin, de leur côté, usent de termes plus honorables, en proclamant le Créateur Père, Seigneur et Dieu; mais leur thèse se révèle en fin de compte plus blasphématoire encore que la précédente, puisque, d'après eux, le Démiurge n'a pas même été émis par l'un quelconque des Eons du Plérôme, mais bien par le déchet qui fut expulsé du Plérôme. Ce qui les a jetés dans toutes ces aberrations, c'est leur ignorance des Écritures et de l'« économie» de Dieu. Pour nous, dans la suite de notre traité, nous exposerons le pourquoi de la différence entre les Testaments en même temps que leur unité et leur harmonie. Ainsi les apôtres et leurs disciples enseignaient exactement ce que prêche l'Eglise ; en enseignant de cette manière, ils étaient parfaits et, pour cette raison même, appelés à la perfection. Etienne donc, après avoir enseigné tout cela, alors qu'il était encore sur terre, « vit la gloire de Dieu et Jésus à la droite de celui-ci, et il dit : Voici que je vois les cieux ouverts et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu. » Il parla ainsi et fut lapidé : il accomplit de la sorte l'enseignement parfait, imitant en tout le Maître du martyre, priant pour ceux qui le tuaient et disant : « Seigneur, ne leur impute pas ce péché. » C'est de cette manière qu'étaient parfaits ceux qui ne connaissaient qu'un seul et même Dieu, présent au genre humain, du commencement à la fin, par des « économies » diverses, selon ce que dit le prophète Osée : «J'ai moi-même multiplié les visions et j'ai été représenté par la main des prophètes. » Ceux donc qui ont livré leur vie jusqu'à mourir pour l'Évangile du Christ, comment auraient-ils pu parler suivant les opinions qui avaient cours parmi les hommes ? S'ils l'avaient fait, ils n'auraient point souffert. Mais ils ont prêché dans un sens diamétralement opposé à ceux qui refusaient la vérité, et c'est pour cela qu'ils ont souffert. Il est donc clair qu'ils n'abandonnaient pas la vérité, mais qu'ils prêchaient en toute indépendance aux Juifs et aux Grecs : aux Juifs, ils proclamaient que Jésus, qu'ils avaient crucifié, était le Fils de Dieu, le Juge des vivants et des morts, et qu'il avait reçu du Père le règne éternel sur Israël, comme nous l'avons montré ; aux Grecs, ils annonçaient un seul Dieu, Créateur de toutes choses, et son Fils Jésus-Christ. Témoignage du Concile de Jérusalem Mais cela ressort avec plus d'évidence encore de la lettre que les apôtres envoyèrent, non aux Juifs ni aux Grecs, mais à ceux des païens qui croyaient au Christ, afin d'affermir leur foi. Des gens étaient en effet descendus de Judée à Antioche , ville en laquelle pour la première fois les disciples du Seigneur, à cause de leur foi au Christ, furent appelés chrétiens. Ces gens conseillaient à ceux qui avaient cru au Seigneur de se faire circoncire et de s'acquitter des autres observances de la Loi. Paul et Barnabé montèrent alors à Jérusalem vers les autres apôtres pour traiter de cette question. Lorsque toute l'Église fut réunie, Pierre leur dit : « Frères, vous savez que, dès les premiers jours, Dieu m'a choisi parmi vous afin que les gentils entendent de ma bouche la parole de l'Évangile et embrassent la foi. Et Dieu, qui connaît les cœurs, leur a rendu témoignage en leur donnant l'Esprit Saint comme à nous-mêmes ; et il n'a fait aucune différence entre eux et nous, puisqu'il a purifié leurs cœurs par la foi. Maintenant donc, pourquoi tentez-vous Dieu en voulant imposer sur la nuque des disciples un joug que ni nos pères ni nous n'avons eu la force de porter ? Bien au contraire, c'est par la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ que nous croyons pouvoir être sauvés, de la même manière qu'eux. » Après lui, Jacques dit : « Frères, Syméon a raconté comment Dieu a daigné prendre parmi les gentils un peuple consacré à son nom. Et ainsi s'accordent les paroles des prophètes, selon qu'il est écrit : "Après cela je reviendrai et je relèverai la tente de David qui s'était effondrée, et je relèverai ses ruines et je la redresserai, afin que le reste des hommes recherche le Seigneur, ainsi que toutes les nations sur lesquelles mon nom a été invoqué, dit le Seigneur, qui fait ces choses." Depuis toujours Dieu connaît son ouvrage : c'est pourquoi j'estime quant à moi qu'on ne doit pas inquiéter ceux d'entre les gentils qui se convertissent à Dieu, mais qu'on leur prescrive seulement de s'abstenir de la vanité des idoles, de la fornication et du sang, et qu'ils ne fassent pas à autrui ce qu'ils ne veulent pas qu'on fasse à eux-mêmes. » Après ces paroles, tous marquèrent leur accord et l'on rédigea la lettre suivante : « Les apôtres et les presbytres vos frères, aux frères issus de la gentilité qui sont à Antioche, en Syrie et en Cilicie, salut ! Ayant appris que des gens venus de chez nous sans aucun mandat de notre part vous ont troublés par leurs discours et ont jeté le désarroi dans vos âmes, en vous disant : "Faites-vous circoncire et observez la Loi", nous avons, d'un accord unanime, jugé bon de choisir des délégués que nous vous enverrions avec nos bien-aimés Barnabé et Paul, ces hommes qui ont livré leur vie pour le nom de notre Seigneur Jésus-Christ. Nous vous envoyons donc Jude et Silas, qui eux aussi vous transmettront de vive voix notre décision. Il a en effet paru bon à l'Esprit Saint et à nous-mêmes de ne vous imposer aucune autre charge hormis celles-ci qui sont de rigueur : vous abstenir des idolothytes, du sang et de la fornication, et ne pas faire à autrui ce que vous ne voulez pas qu'on vous fasse. En vous gardant de ces choses, vous agirez bien et marcherez dans l'Esprit Saint. » Il résulte clairement de tout cela que les apôtres n'enseignaient pas un autre Père, mais qu'ils donnaient un Testament nouveau de liberté à ceux qui, d'une manière nouvelle, par l'Esprit Saint, croyaient en Dieu. D'ailleurs, par le seul fait qu'ils se demandèrent s'il fallait encore circoncire les disciples ou non, ils montrèrent avec évidence qu'ils n'avaient pas même l'idée d'un autre Dieu. S'il en avait été autrement, ils n'auraient pas eu une telle révérence à l'égard du premier Testament, au point de ne pas même vouloir manger avec les gentils. Car Pierre lui-même, quoique ayant été envoyé vers eux pour les instruire et tout impressionné qu'il fût par la vision qu'il avait eue, leur parla cependant avec une grande crainte : « Vous savez vous-mêmes, leur dit-il, qu'il n'est pas permis à un Juif d'avoir contact avec un étranger ou de l'approcher. Mais Dieu m'a montré qu'il ne faut dire aucun homme souillé ou impur. C'est pourquoi je suis venu sans faire d'objection. » Ces paroles indiquaient qu'il ne serait pas allé chez eux s'il n'en avait reçu l'ordre. Peut-être ne leur eut-il pas non plus donné si facilement le baptême, s'il ne les avait entendus prophétiser sous l'action de l'Esprit Saint qui reposait sur eux. Et c'est pourquoi il disait : « Peut-on refuser l'eau du baptême à ces gens qui ont reçu l'Esprit Saint tout comme nous ? » Il laissait entendre par là et indiquait aux assistants que, si l'Esprit Saint n'était pas venu reposer sur eux, il se fût trouvé quelqu'un pour leur refuser le baptême ! Quant à Jacques et aux apôtres qui l'entouraient, ils permettaient bien aux gentils d'agir librement, nous confiant à l'Esprit de Dieu ; mais eux-mêmes, sachant qu'il s'agissait du même Dieu, persévéraient dans les anciennes observances. C'est au point qu'un jour Pierre lui-même eut peur d'encourir leur blâme : jusque-là il mangeait avec les gentils à cause de la vision qu'il avait eue et à cause de l'Esprit qui avait reposé sur eux, mais, après que certains furent venus d'auprès de Jacques, il se tint à l'écart et ne mangea plus avec les gentils. Et Paul souligne que Barnabé aussi en fit autant. Ainsi les apôtres que le Seigneur fit témoins de tous ses actes et de tout son enseignement — car partout on trouve à ses côtés Pierre, Jacques et Jean — en usaient-ils religieusement à l'égard de la Loi de Moïse, indiquant assez par là qu'elle émanait d'un seul et même Dieu. Ils ne l'eussent assurément pas fait, comme nous l'avons dit déjà, si, en dehors de Celui qui a donné la Loi, ils avaient appris du Seigneur l'existence d'un autre Père. 4. NOTATIONS COMPLÉMENTAIRES Contre ceux qui n'admettent que le témoignage de Paul Il en est qui prétendent que seul Paul a connu la vérité, puisque c'est à lui que, « par une révélation, a été manifesté le mystère». Mais Paul lui-même les convainc d'erreur, lorsqu'il dit qu'un seul et même Dieu a agi en sorte que Pierre fût l'apôtre des circoncis, et lui-même, celui des gentils. Pierre était donc l'apôtre de ce Dieu même dont Paul était aussi l'apôtre ; le Dieu — et le Fils de Dieu — que Pierre annonçait chez les circoncis, Paul l'annonçait aussi chez les gentils. Car ce n'est pas pour sauver Paul seul qu'est venu notre Seigneur, et Dieu n'est pas pauvre au point de n'avoir qu'un seul apôtre pour connaître l'« économie» de son Fils. D'ailleurs, en disant : « Qu'ils sont beaux, les pieds de ceux qui annoncent la bonne nouvelle du bonheur, la bonne nouvelle de la paix !», Paul manifeste qu'il n'y en avait pas un seul, mais plusieurs, à annoncer la bonne nouvelle de la vérité. De même encore, dans l'épître aux Corinthiens, après avoir mentionné tous ceux qui ont vu le Seigneur après sa résurrection, il ajoute : « Qu'il s'agisse donc de moi ou d'eux, voilà ce que nous annonçons et voilà ce que vous avez cru», proclamant ainsi qu'il n'y a qu'une seule et même prédication chez tous ceux qui ont vu le Seigneur après sa résurrection d'entre les morts. Le Seigneur aussi répondait à Philippe qui voulait voir le Père : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe? Qui m'a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : Montre-nous le Père ? Car je suis dans le Père et le Père est en moi. Dès à présent vous le connaissez et vous l'avez vu. » Ainsi, de ceux-là auxquels le Seigneur rend ce témoignage qu'ils ont connu et qu'ils ont vu en lui le Père — et le Père est Vérité —, on ose dire qu'ils n'ont pas connu la vérité ! Mais c'est là le fait de faux témoins et de gens étrangers à la doctrine du Christ. Car pourquoi le Seigneur envoyait-il les douze apôtres aux brebis perdues de la maison d'Israël, s'ils n'avaient pas connu la vérité ? Et comment les soixante-dix disciples auraient-ils prêché, s'ils n'avaient préalablement connu la vérité qu'ils allaient avoir à prêcher ? Ou comment Pierre aurait-il pu ignorer cette vérité, lui à qui le Seigneur rendit ce témoignage que ce n'était pas la chair ni le sang qui la lui avaient révélée, mais le Père qui est aux cieux ? De même donc que « Paul » < devint > « apôtre, non par le fait des hommes ni par un homme, mais par Jésus-Christ et Dieu le Père», de même Pierre et les autres apôtres connurent-ils eux aussi le Fils et le Père , le Fils les ayant amenés au Père et le Père leur ayant révélé le Fils. Par ailleurs, lorsque certains le citèrent devant les apôtres à propos d'une question controversée, Paul acquiesça, et il monta avec Barnabé à Jérusalem pour y voir les apôtres : il ne le fit pas sans raison, mais afin que fût confirmée par eux la liberté des gentils. C'est ce qu'il dit lui-même dans l'épître aux Galates : « Ensuite, au bout de quatorze ans, je montai à Jérusalem avec Barnabé, ayant pris aussi Tite avec moi. J'y montai à la suite d'une révélation, et je leur exposai l'Evangile que je prêche parmi les gentils. » Il dit encore : « Sur le moment nous cédâmes aux injonctions, pour que la vérité de l'Evangile fût sauvegardée parmi vous. » Or, si l'on recherche exactement, d'après les Actes des Apôtres, l'époque où se situe cette montée à Jérusalem à cause de la question susdite, on constatera que les années dont Paul vient de faire mention correspondent bien à cette époque-là : ainsi sont concordantes et pour ainsi dire identiques la prédication de Paul et le témoignage de Luc relatif aux apôtres. Contre ceux qui rejettent le témoignage de Luc Que ce Luc ait été inséparable de Paul et son collaborateur dans la prédication de l'Evangile, c'est ce que Luc lui-même fait connaître, non pour se glorifier, mais mis en avant par la vérité elle-même. En effet, lorsque Barnabé et Jean appelé Marc se séparèrent de Paul et s'embarquèrent pour Chypre, «nous vînmes, dit-il, à Troas ». Et après que Paul eut vu en songe un Macédonien qui lui disait : « Paul, passe en Macédoine et viens à notre aide », «aussitôt, dit Luc, nous cherchâmes à partir pour la Macédoine, comprenant que le Seigneur nous appelait à y prêcher l'Evangile. Nous étant donc embarqués à Troas, nous cinglâmes droit vers Samothrace. » Puis il indique de façon précise tout le reste de leur traversée jusqu'à Philippes et comment ils y annoncèrent pour la première fois la parole : « Nous étant assis, dit-il, nous parlâmes aux femmes qui s'étaient assemblées là. » Et il rapporte quels sont ceux qui crurent et leur nombre. Il dit encore ailleurs : « Pour nous, nous nous embarquâmes à Philippes après les jours des azymes, et nous arrivâmes à Troas, où nous passâmes sept jours. » Et ainsi de tout le reste de son voyage avec Paul, que Luc relate dans l'ordre, signalant avec toute la précision possible les lieux, les cités, le nombre de jours, jusqu'à ce qu'ils fussent montés à Jérusalem ; ce qui y arriva à Paul et comment, chargé de chaînes, il fut envoyé à Rome; le nom du centurion qui le prit en charge ; les enseignes des navires; comment ils firent naufrage et dans quelle île ils furent sauvés ; comment ils y furent reçus avec humanité, tandis que Paul guérissait le premier magistrat de l'île; comment ils s'embarquèrent pour Pouzzoles et , de là, parvinrent à Rome; enfin, combien de temps ils restèrent à Rome. Ayant été présent à tous ces événements, Luc les a consignés de façon précise. On ne peut surprendre chez lui ni mensonge ni vantardise, car tous ces faits étaient patents ; il vivait d'ailleurs bien avant tous ceux qui enseignent présentement l'erreur et il n'ignorait pas la vérité. Qu'il ait été non seulement le compagnon, mais encore le collaborateur des apôtres, et surtout de Paul, c'est ce que Paul lui-même manifeste dans ses épîtres, lorsqu'il dit : « Démas m'a abandonné et il est parti pour Thessalonique, Crescens pour la Galatie, Tite pour la Dalmatie ; Luc seul est avec moi. » Ce qui montre bien que Luc a toujours été uni à Paul et ne s'est jamais séparé de lui. Il dit encore dans l'épître aux Colossiens : « Luc, le médecin bien-aimé, vous salue. » Si donc Luc, qui a toujours prêché avec Paul, qui a été appelé par lui «bien-aimé», qui a annoncé avec lui l'Évangile et s'est vu confier la mission de nous rapporter cet Evangile, n'a appris de lui rien d'autre, comme nous l'avons montré par ses paroles, comment ces gens-là, qui n'ont jamais été adjoints à Paul, peuvent-ils se vanter d'avoir appris des « mystères cachés et inexprimables » ? Que Paul ait enseigné simplement ce qu'il savait, non seulement à ses compagnons, mais à tous ceux qui l'écoutaient, c'est ce que lui-même fait clairement connaître. Ayant convoqué à Milet les évêques et les presbytres d'Éphèse et des autres villes voisines " — car il se hâtait afin de célébrer la Pentecôte à Jérusalem —, après leur avoir attesté nombre de choses et leur avoir dit ce qui devait lui arriver à Jérusalem, il ajouta : «Je sais que vous ne verrez plus mon visage. J'atteste donc aujourd'hui devant vous que je suis pur de votre sang à tous. Car je ne me suis pas dérobé à la mission qui m'incombait de vous annoncer tout le dessein de Dieu. Veillez donc sur vous-mêmes et sur tout le troupeau dont l'Esprit Saint vous a constitués évêques pour paître l'Eglise du Seigneur, qu'il s'est acquise par son propre sang. » Puis, dénonçant les faux docteurs qui allaient venir, il dit : « Pour moi, je sais qu'après mon départ s'introduiront chez vous des loups cruels qui n'épargneront pas le troupeau, et que du milieu de vous se lèveront des hommes aux discours pervers, qui tenteront d'entraîner les disciples à leur suite. » — «Je ne me suis pas dérobé, dit-il, à la mission qui m'incombait de vous annoncer tout le dessein de Dieu » : c'est ainsi que les apôtres transmettaient à tous, simplement et sans le refuser à personne, ce qu'eux-mêmes avaient appris du Seigneur. C'est donc ainsi que Luc également, sans le refuser à personne, nous a transmis ce qu'il avait appris des apôtres, ainsi qu'il l'atteste lui-même en disant : «... comme nous l'ont transmis ceux qui, dès le commencement, furent les témoins oculaires et les serviteurs du Verbe. » Or, si l'on rejette Luc, sous prétexte qu'il n'a pas connu la vérité, on rejettera manifestement l'Evangile dont on prétend être le disciple. Car il est un grand nombre d'événements de l'Évangile — et des plus essentiels — que nous connaissons précisément par Luc : ainsi, la génération de Jean et l'histoire de Zacharie ; la venue de l'ange vers Marie; l'exclamation d'Elisabeth; la descente des anges vers les bergers et les paroles qu'ils leur adressèrent; le témoignage d'Anne et de Siméon au sujet du Christ'; l'épisode du Christ demeuré à Jérusalem à l'âge de douze ans; le baptême de Jean, avec la mention de l'âge auquel le Seigneur fut baptisé et celle de la quinzième année de Tibère César. De même, dans l'enseignement du Seigneur, ces paroles à l'adresse des riches : « Malheur à vous, riches, car vous recevez votre consolation ! » Et : « Malheur à vous, qui êtes rassasiés, car vous aurez faim, et à vous, qui riez maintenant, car vous pleurerez !» Et : « Malheur à vous, quand tous les hommes diront du bien de vous, car c'est de cette manière que vos pères agissaient avec les faux prophètes. » Tout cela, nous ne le savons que par le seul Luc. Il est encore un grand nombre d'actes du Seigneur que nous connaissons par ce même Luc et dont tous les hérétiques font état : ainsi la multitude de poissons que prirent ceux qui se trouvaient avec Pierre, lorsque le Seigneur leur donna l'ordre de jeter le filet; la femme qui souffrait depuis dix-huit ans et qui fut guérie un jour de sabbat; l'hydropique que le Seigneur guérit un jour de sabbat, et comment le Seigneur se justifia de l'avoir guéri ce jour-là; comment il enseigna à ses disciples à ne pas rechercher les premières places ; qu'il faut inviter les pauvres et les estropiés, qui n'ont pas de quoi le rendre ; l'homme qui vient frapper durant la nuit pour avoir des pains et qui les obtient à cause de son importunité ; comment, tandis qu'il était à table chez un Pharisien, une pécheresse baisait ses pieds et les oignait de parfum, et tout ce qu'à cause d'elle le Seigneur dit à Simon au sujet des deux débiteurs; la parabole du riche qui renferma les produits de ses terres et à qui il fut dit : « Cette nuit on te redemandera ton âme : et ce que tu as préparé, qui l'aura ? » ; de même la parabole du riche qui s'habillait de pourpre et festoyait brillamment et du pauvre Lazare ' ; la réponse que le Seigneur fit à ses disciples quand ils lui dirent : « Augmente en nous la foi » ; la conversation du Seigneur avec Zachée le publicain; le Pharisien et le publicain qui priaient ensemble dans le Temple; les dix lépreux qu'il purifia ensemble tandis qu'ils étaient en chemin; l'ordre qu'il donna d'aller par les rues et les places et d'en rassembler les boiteux et les borgnes en vue des noces ; la parabole du juge qui ne craignait pas Dieu, mais que l'importunité de la veuve contraignit à lui faire justice; le figuier qui était dans la vigne et qui ne donnait pas de fruit. On pourrait trouver encore beaucoup d'autres traits qui n'ont été rapportés que par Luc, et que Marcion et Valentin ne laissent pas d'utiliser. Ajoutons à tout cela les paroles qu'après sa résurrection le Seigneur dit aux disciples le long du chemin, et comment ils le reconnurent à la fraction du pain. Les hérétiques doivent donc nécessairement accepter aussi tout le reste de ce qui a été dit par Luc, ou rejeter aussi ce que nous venons de mentionner : car aucun homme sensé ne leur permettra d'accepter certaines paroles de Luc comme exprimant la vérité, et de rejeter les autres sous prétexte qu'il n'aurait pas connu la vérité. Dès lors, de deux choses l'une : — ou bien ils rejetteront le tout : en ce cas, les disciples de Marcion n'auront pas d'Evangile, puisque c'est en mutilant l'Evangile selon Luc, comme nous l'avons dit déjà, qu'ils se vantent de posséder l'Evangile ; quant aux disciples de Valentin, ils cesseront leur copieux bavardage, puisque c'est précisément de cet Evangile qu'ils ont tiré de multiples prétextes à leurs subtilités, en osant mal interpréter ce qui s'y trouve bien exprimé ; — ou bien ils seront contraints d'accepter aussi tout le reste de l'Évangile de Luc : en ce cas, prêtant attention à l'intégralité de l'Évangile et de l'enseignement des apôtres, ils devront faire pénitence pour pouvoir être sauvés du péril. Contre ceux qui rejettent le témoignage de Paul Nous répéterons la même argumentation à l'adresse de ceux qui ne reconnaissent pas l'apôtre Paul : ou bien ils doivent renoncer aux autres paroles de l'Évangile qui sont venues à notre connaissance par le seul Luc et ne point s'en servir ; ou bien, s'ils les acceptent toutes, ils sont contraints de recevoir aussi son témoignage relatif à Paul. Car Luc rapporte que le Seigneur parla d'abord à Paul du haut du ciel en ces termes : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Je suis Jésus-Christ que tu persécutes. » Puis le Seigneur dit à Ananie au sujet de Paul : « Va, car cet homme m'est un instrument de choix pour porter mon nom devant les nations, les rois et les fils d'Israël. Je lui montrerai en effet moi-même combien il lui faudra souffrir pour mon nom. » Ceux donc qui n'acceptent pas celui qui a été choisi par le Seigneur pour porter hardiment son nom aux nations susdites méprisent le choix du Seigneur et se séparent eux-mêmes de la communauté des apôtres. Ils ne peuvent en effet prétendre que Paul n'est pas apôtre, puisqu'il a été choisi pour cette fonction même ; ils ne peuvent pas davantage prouver que Luc est menteur, lui qui nous annonce la vérité en toute exactitude. Car telle est peut-être la raison pour laquelle Dieu a fait en sorte que nombre de traits de l'Evangile fussent révélés par le seul Luc — traits que les hérétiques se verraient contraints d'utiliser — : Dieu voulait que, en se laissant guider par le témoignage subséquent de Luc relatif aux actes et à la doctrine des apôtres et en gardant ainsi inaltérée la règle de vérité, tous puissent être sauvés. Ainsi le témoignage de Luc est véridique, et l'enseignement des apôtres est manifeste, ferme, émanant d'hommes qui n'ont rien omis ni enseigné certaines choses en secret et d'autres au grand jour. Tel est en effet le manège des simulateurs, des séducteurs pervers et des hypocrites, et c'est précisément ainsi qu'agissent les disciples de Valentin. Ils font des discours à la foule, dans le but d'atteindre ceux qui appartiennent à l'Église et qu'ils appellent «gens du commun » et « gens de l'Église ». Par là ils surprennent les simples et les attirent à eux, contrefaisant notre parole pour qu'on vienne les écouter plus souvent. Ils se plaignent aussi à notre sujet : ils pensent comme nous, et nous refusons sans motif d'être en communion avec eux ; ils disent les mêmes choses que nous et ont la même doctrine, et nous les traitons d'hérétiques ! Et quand ils ont ruiné la foi de quelques-uns par leurs questions et qu'ils ont amené leurs auditeurs à ne plus les contredire, ils les prennent alors à part et leur dévoilent le « mystère inexprimable » de leur Plérôme. Ainsi se laissent séduire tous ceux qui se croient capables de distinguer de la vérité ce qui se dissimule sous des discours captieux : car l'erreur est captieuse et chercher à se farder, tandis que la vérité est sans fard et, pour cette raison, a été confiée aux enfants. Et s'il arrive qu'un de leurs auditeurs réclame des éclaircissements ou s'avise de les contredire, ils déclarent que cet homme ne saisit pas la vérité et qu'il ne possède pas la semence d'en haut provenant de leur Mère ; ils se refusent alors à lui dire quoi que ce soit, affirmant qu'il appartient à l'Intermédiaire, autrement dit à la race des psychiques. Mais si, telle une petite brebis, quelqu'un se livre à eux sans réserve, une fois initié à leurs mystères et devenu par là bénéficiaire de leur « rédemption », un tel homme ne se sent plus d'orgueil : il croit n'être plus ni au ciel ni sur terre, mais avoir fait son entrée dans le Plérôme et avoir déjà étreint son Ange ; il s'avance d'un air important, en regardant de haut, avec l'arrogance d'un coq. Il en est bien parmi eux pour dire que l'«homme venu d'en haut» doit atteindre à une conduite exemplaire, et c'est pourquoi ils affectent une gravité pleine de morgue. Mais la plupart d'entre eux méprisent de tels scrupules, sous prétexte qu'ils sont déjà « parfaits » ; vivant sans retenue et dans le dédain de tout, ils se décernent à eux-mêmes le titre de « pneumatiques » et prétendent connaître déjà, au sein de leur Plérôme, le lieu du « rafraîchissement ». Mais revenons à notre sujet. Il a été montré clairement que les prédicateurs de la vérité et les apôtres de la liberté n'ont appelé Dieu ou Seigneur personne d'autre que le seul vrai Dieu, c'est-à-dire le Père, et son Verbe, qui a la primauté en toutes choses. Dès lors, la preuve est faite avec évidence que c'est bien le Créateur du ciel et de la terre, Celui qui s'est entretenu avec Moïse, qui lui a donné la Loi et qui a appelé les pères, c'est lui que les apôtres ont confessé comme Seigneur et Dieu, et qu'ils n'en ont connu aucun autre. Et ainsi, d'après les paroles mêmes des apôtres et de leurs disciples, a été manifestée leur pensée sur Dieu. DEUXIÈME PARTIE UN SEUL CHRIST, FILS DE DIEU DEVENU FILS DE L'HOMME POUR RÉCAPITULER EN LUI SA PROPRE CRÉATION 1. LE FILS DE DIEU S'EST VRAIMENT FAIT HOMME Doctrines gnostiques rejetant la réalité de l'incarnation Il en est qui disent que Jésus a été le réceptacle du Christ : ce Christ est descendu d'en haut en Jésus sous la forme d'une colombe et, après avoir révélé le Père innommable, est rentré de façon insaisissable et invisible dans le Plérôme; car non seulement les hommes, mais même les Puissances et les Vertus qui sont dans le ciel n'ont pu le saisir ; on a donc de la sorte le Fils, qui est Jésus, le Père qui est le Christ, et le Père du Christ, qui est Dieu. D'autres disent que le Christ a souffert de façon purement apparente, étant impassible par nature. Quant aux disciples de Valentin, ils présentent les choses comme suit : il y a d'un côté le Jésus de l'économie, qui n'a fait que passer par Marie; sur lui est descendu le Sauveur d'en haut, appelé aussi Christ parce qu'il possède les noms de tous ceux qui l'ont émis ; celui-ci a rendu le Jésus de l'économie participant de sa puissance et de son nom, pour que, d'une part, la mort fût détruite par lui et que, de l'autre, le Père fût connu par l'intermédiaire de ce Sauveur descendu d'en haut, lequel est lui-même le réceptacle du Christ et de tout le Plérôme. Ils confessent ainsi de bouche un seul Christ Jésus, mais ils le divisent en pensée : car, d'après leur système, ainsi que nous l'avons déjà dit, autre est le Christ, qui fut émis par le Monogène pour le redressement du Plérôme, autre le Sauveur, qui fut émis pour la glorification du Père, et autre enfin le Jésus de l'économie, qu'ils disent avoir souffert tandis que remontait dans le Plérôme le Sauveur portant le Christ. Telles étant les thèses des hérétiques, il nous faut, de toute nécessité, présenter la doctrine des apôtres sur notre Seigneur Jésus-Christ et montrer que non seulement ils n'ont rien pensé de tel à son sujet, mais qu'ils ont même fait connaître d'avance par l'Esprit Saint ceux qui enseigneraient un jour de telles doctrines, gens envoyés en sous-main par Satan pour corrompre la foi de plusieurs et les arracher à la vie. Témoignage de Jean et de Matthieu Que Jean ne connaisse qu'un seul et même Verbe de Dieu, qui est le Fils unique et qui s'est incarné pour notre salut, Jésus-Christ notre Seigneur, nous l'avons suffisamment montré par les paroles de Jean lui-même. Mais Matthieu lui aussi ne connaît qu'un seul et même Christ Jésus. Voulant en effet raconter sa génération humaine du sein de la Vierge — cette génération qui répondait à la promesse faite par Dieu à David de susciter « du fruit de son sein » un Roi éternel, ainsi qu'à une promesse identique faite déjà longtemps auparavant à Abraham —, Matthieu dit : « Livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David, fils d'Abraham. » Puis, pour libérer notre esprit de tout soupçon à l'égard de Joseph, il dit : « Or, la génération du Christ arriva de la façon suivante : alors que sa mère avait été fiancée à Joseph, il se trouva, avant qu'ils eussent habité ensemble, qu'elle avait conçu de l'Esprit Saint. » Puis, comme Joseph pensait à répudier Marie parce qu'elle était enceinte, un ange de Dieu se présenta à lui, disant : « Ne crains pas de prendre chez toi Marie ton épouse, car ce qu'elle a en son sein vient de l'Esprit Saint ; elle enfantera un Fils, et tu lui donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. Tout cela est arrivé pour que fût accompli ce qu'avait dit le Seigneur par la bouche du prophète : "Voici que la Vierge concevra en son sein et enfantera un fils, et on lui donnera pour nom Emmanuel", c'est-à-dire Dieu avec nous. » Ces textes indiquent clairement que la promesse faite aux pères se trouve accomplie, que de la Vierge est né le Fils de Dieu et que celui-ci même est le Sauveur et le Christ annoncé par les prophètes : ce qui contredit, la distinction que font les hérétiques entre un Jésus né de Marie et un Christ descendu des régions supérieures. Matthieu aurait d'ailleurs pu dire : « La génération de "Jésus" arriva de la façon suivante... » ; mais l'Esprit Saint, qui voyait à l'avance ces pervers et voulait nous prémunir contre leurs fraudes, a dit par Matthieu : « La génération du "Christ" arriva de la façon suivante... », et il a spécifié que c'est lui l'Emmanuel, de peur que nous ne pensions qu'il n'est qu'un homme — car ce n'est pas par la volonté de la chair ni par la volonté de l'homme, mais par la volonté de Dieu, que « le Verbe s'est fait chair » — et pour que nous ne supposions pas qu'autre est Jésus et autre le Christ, mais que nous sachions que c'est un seul et le même. Témoignage de Paul C'est cela même qu'exposé Paul, lorsqu'il écrit aux Romains : « Paul, apôtre du Christ Jésus, désigné pour l'Évangile de Dieu, que celui-ci avait promis d'avance par ses prophètes dans les saintes Ecritures, touchant son Fils, qui est né de la race de David selon la chair, qui a été constitué Fils de Dieu dans la puissance selon l'Esprit de sainteté en suite de sa résurrection d'entre les morts, Jésus-Christ notre Seigneur. » Dans cette même épître aux Romains, il dit encore, à propos d'Israël : « C'est à eux qu'appartiennent les pères et c'est d'eux que le Christ est issu selon la chair, lui qui est, au-dessus de tout, Dieu béni dans les siècles. » Il dit encore dans l'épître aux Galates : « Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils, né d'une femme, né sous la Loi, pour racheter ceux qui étaient sous la Loi, afin que nous recevions la filiation adoptive. » Ces textes font apparaître avec évidence, d'une part, un seul Dieu, qui, par les prophètes, a fait la promesse touchant son Fils ; d'autre part, un seul Jésus-Christ notre Seigneur, issu de la race de David selon la génération qui lui vient de Marie, et constitué Fils de Dieu dans la puissance selon l'Esprit de sainteté en suite de sa résurrection d'entre les morts, pour être le Premier-né des morts, comme il était déjà le Premier-né dans toute la création, lui, le Fils de Dieu devenu Fils de l'homme afin que par lui nous recevions la filiation adoptive, l'homme portant et saisissant et embrassant le Fils de Dieu. Témoignage de Marc et de Luc C'est pourquoi Marc dit aussi : « Commencement de l'Evangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu, selon ce qui est écrit dans les prophètes... » Il ne connaît donc qu'un seul et même Fils de Dieu, Jésus-Christ, qui fut annoncé à l'avance par les prophètes : c'est lui l'Emmanuel, « fruit du sein » de David, le « Messager du grand dessein » du Père. C'est aussi Celui en la personne de qui Dieu a fait se lever « sur la maison de David » un « Soleil levant » juste, « a dressé » pour elle « une Corne de salutm » et, comme le dit David en expliquant les motifs de sa naissance, « a suscité un Témoignage en Jacob et établi une Loi en Israël, afin que le connaisse la génération ultérieure, c'est-à-dire les fils qui naîtront, qu'eux-mêmes se lèvent et le racontent à leurs fils, et qu'ainsi ils placent en Dieu leur espérance et recherchent ses préceptes». De même, lorsque l'ange annonce la bonne nouvelle à Marie, il lui dit : « Il sera grand et il sera appelé Fils du Très-Haut ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père. » L'ange proclame par là que le même, qui est Fils du Très-Haut, est aussi fils de David. D'ailleurs David lui-même, connaissant par l'Esprit l'«économie» de sa venue, par laquelle il règne souverainement sur tous les vivants et les morts, proclame qu'il est Seigneur et qu'il siège à la droite du Père Très-Haut. Et Siméon, « qui avait reçu de l'Esprit Saint cette révélation qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Christ », lorsqu'il eut reçu dans ses bras ce Premier-né de la Vierge, «bénit Dieu et dit : C'est maintenant que tu laisses aller ton serviteur, ô Maître, selon ta parole, dans la Paix, car mes yeux ont vu ton Salut que tu as préparé à la face de tous les peuples, Lumière pour éclairer les nations et Gloire de ton peuple Israël. » Il confessait par là que l'enfant qu'il portait dans ses bras, c'est-à-dire Jésus né de Marie, était en personne le Christ, Fils de Dieu, Lumière des hommes et Gloire d'Israël, Paix et Rafraîchissement de ceux qui se sont endormis. Car déjà cet enfant « dépouillait » les hommes, en enlevant leur ignorance, et, en leur octroyant la connaissance de lui-même, il faisait son « butin » de ceux qui le connaissaient, selon cette parole d'Isaïe : « Appelle son nom : "Dépouille promptement, fais du butin rapidement». Or ce sont précisément là les œuvres du Christ. C'est donc bien le Christ en personne que portait Siméon, lorsqu'il bénissait le Très-Haut. C'est aussi pour avoir vu le Christ que les bergers glorifiaient Dieu. C'est aussi le Christ que Jean, étant encore dans le sein de sa mère et lui dans le sein de Marie, reconnaissait comme son Seigneur et saluait par son tressaillement. C'est aussi après avoir vu et adoré le Christ, lui avoir offert les présents mentionnés antérieurement et s'être prosternés aux pieds du Roi éternel, que les mages s'en allèrent par un autre chemin au lieu de retourner vers le roi des Assyriens ; « car avant que l'enfant sache appeler "papa" ou "maman", il s'emparera de la puissance de Damas et des dépouilles de Samarie à la face du roi des Assyriens » : c'était faire voir de façon cachée, mais puissante, que « le Seigneur, d'une main secrète, triomphait d'Amalec». C'est pourquoi aussi il enlevait les enfants de la maison de David qui avaient eu l'heureuse fortune de naître à ce moment-là, afin de les envoyer au-devant de lui dans son royaume : étant lui-même tout-petit, il se préparait des martyrs parmi les tout-petits des hommes, car c'est bien pour « le Christ » né « à Bethléem de Judée », « dans la cité de David », qu'ils étaient mis à mort, comme en témoignent les Ecritures. C'est pourquoi encore le Seigneur disait à ses disciples après sa résurrection : « ? hommes sans intelligence et cœurs lents à croire tout ce qu'ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » Il leur dit encore : « Ce sont là les paroles que je vous ai dites quand j'étais encore avec vous : qu'il fallait que s'accomplît tout ce qui est écrit à mon sujet dans la Loi de Moïse, les prophètes et les psaumes. » « Alors il leur ouvrit l'intelligence pour qu'ils comprissent les Écritures. Et il leur dit : Ainsi a-t-il été écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d'entre les morts et qu'en son nom la rémission des péchés serait prêchée à toutes les nations. » Or ce Christ est bien Celui qui est né de Marie, car « il faut, disait-il, que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté, qu'il soit crucifié et qu'il ressuscite le troisième jour ». L'Evangile ne connaît donc pas d'autre Fils de l'homme que Celui qui est né de Marie et qui a aussi souffert la Passion; il ne connaît pas davantage un Christ qui se serait envolé de Jésus avant cette Passion, mais il reconnaît en Celui qui est né Jésus-Christ, le Fils de Dieu, et il proclame que c'est celui-ci même qui, après avoir souffert la Passion, est ressuscité. Suite du témoignage de Jean C'est exactement ce qu'affirmé Jean, le disciple du Seigneur, lorsqu'il dit : « Ces choses ont été écrites pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu'en croyant vous ayez la vie éternelle en son nom. » Jean voyait en effet d'avance les théories blasphématoires de ces gens qui divisent le Seigneur, autant qu'il est en leur pouvoir, en le déclarant fait de deux êtres distincts. C'est pourquoi, dans son épître, il nous a encore donné ce témoignage : « Mes petits enfants, c'est la dernière heure, et, comme vous avez appris que l'Antéchrist vient, voici que maintenant plusieurs Antéchrists ont été produits : par là nous connaissons que c'est la dernière heure. Ils sont sortis de chez nous, mais il n'étaient pas des nôtres. Car, s'ils avaient été des nôtres, ils seraient demeurés avec nous. Mais cela est arrivé afin qu'il fût mis en évidence qu'ils n'étaient pas des nôtres. Connaissez donc que tout mensonge est étranger et ne procède pas de la vérité. Qui est le menteur, sinon celui qui nie que Jésus soit le Christ ? Le voilà, l'Antéchrist ! » Or tous ces gens dont nous avons parlé, lors même qu'ils confessent de bouche un seul Jésus-Christ, se moquent d'eux-mêmes du fait qu'ils pensent une chose et en disent une autre. Car, encore qu'avec des modalités diverses, ainsi que nous l'avons montré, leurs systèmes proclament qu'autre est celui qui a souffert et qui est né, c'est-à-dire Jésus, et autre celui qui est descendu en lui et qui en est ensuite remonté, c'est-à-dire le Christ : le premier est celui qui relève du Démiurge, ou le Jésus de l'économie, ou encore celui qui est né de Joseph, et il est, exposent-ils, capable de souffrir; quant au second, il est descendu des régions invisibles et inexprimables, et il est, affirment-ils, invisible, insaisissable et impassible. Ainsi s'égarent-ils loin de la vérité, parce que leur pensée s'écarte du vrai Dieu. Ils ignorent en effet que le Verbe de Dieu, le Fils unique, qui était de tout temps présent à l'humanité, s'est uni et mêlé selon le bon plaisir du Père à son propre ouvrage par lui modelé et s'est fait chair : et c'est ce Verbe fait chair qui est Jésus-Christ notre Seigneur, et c'est lui qui a souffert pour nous, qui est ressuscité pour nous, qui reviendra dans la gloire du Père pour ressusciter toute chair, faire apparaître le salut et appliquer la règle du juste jugement à tous ceux qui subiront son pouvoir. Il n'y a donc qu'un seul Dieu, le Père, comme nous l'avons montré, et un seul Christ Jésus, notre Seigneur, qui est passé à travers toutes les « économies » et qui a tout récapitulé en lui-même. Dans ce « tout » est aussi compris l'homme, cet ouvrage modelé par Dieu : il a donc récapitulé aussi l'homme en lui, d'invisible devenant visible, d'insaisissable, saisissable, d'impassible, passible, de Verbe, homme. Il a tout récapitulé en lui-même, afin que, tout comme le Verbe de Dieu a la primauté sur les êtres supracélestes, spirituels et invisibles, il l'ait aussi sur les êtres visibles et corporels, assumant en lui cette primauté et se constituant lui-même la tête de l'Église, afin d'attirer tout à lui au moment opportun. Car il n'y a rien de désordonné ni d'intempestif chez lui, comme il n'y a rien d'incohérent chez le Père : tout est connu d'avance par le Père et accompli par le Fils de la manière voulue au moment opportun. C'est pourquoi, lorsque Marie avait hâte de voir le signe merveilleux du Vin et voulait participer avant le temps à la Coupe du raccourci, le Seigneur, repoussant sa hâte inopportune, lui dit : « Femme, qu'y a-t-il entre moi et toi ? Mon heure n'est pas encore venue » : il attendait l'heure connue d'avance par le Père. C'est pourquoi aussi, lorsqu'à maintes reprises les hommes voulurent se saisir de lui, « personne, est-il dit, ne mit la main sur lui, car l'heure n'était pas encore venue » où il devait être arrêté, non plus que le temps de sa Passion connu d'avance par le Père. Comme le dit le prophète Habacuc : « Quand approcheront les années, tu seras reconnu ; quand le temps sera venu, tu te montreras ; quand mon âme sera troublée par ta colère, tu te souviendras de ta miséricorde. » Paul dit aussi de son côté : « Quand fut venue la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils. » Il est clair par là que tout ce qui était connu d'avance par le Père, notre Seigneur l'a accompli selon l'ordre, le temps et l'heure connus d'avance et convenables : il est de la sorte un et le même, tout en étant riche et multiple, car c'est la riche et multiple volonté du Père qu'il sert en étant tout à la fois le Sauveur de ceux qui sont sauvés, le Seigneur de ceux qui subissent son pouvoir, le Dieu des choses qui furent créées, le Fils unique du Père, le Christ qui fut annoncé d'avance et le Verbe de Dieu qui s'incarna quand fut venue la plénitude du temps où il fallait que le Fils de Dieu devînt Fils de l'homme. Ils sont dès lors tous en dehors de l'« économie», ceux qui, sous prétexte de «gnose», en viennent à penser qu'autre est Jésus, autre le Christ, autre le Monogène, autre le Logos et autre le Sauveur, ce dernier étant l'émission des Eons tombés dans la déchéance, comme vont jusqu'à dire ces disciples de l'erreur. Au dehors, ce sont des brebis, car leur langage extérieur les fait paraître semblables à nous du fait qu'ils disent les mêmes choses que nous ; mais, au dedans, ce sont des loups car leur doctrine est homicide, elle qui invente une pluralité de Dieux et imagine une multitude de Pères et qui, d'autre part, met en pièces et divise de multiples façons le Fils de Dieu. Ces gens-là, le Seigneur nous a dit d'avance de nous en garder, et son disciple Jean, dans son épître déjà citée, nous a prescrit de les fuir, en disant : « Beaucoup de séducteurs sont venus dans le monde, qui ne confessent pas que Jésus-Christ est venu en chair. Le voilà, le séducteur et l'Antéchrist ! Prenez garde à eux, afin que vous ne perdiez pas ce que vous avez accomplit » Et encore dans cette épître : « Beaucoup de faux prophètes sont venus du siècle. En ceci vous reconnaîtrez l'Esprit de Dieu : tout esprit qui confesse que Jésus-Christ est venu en chair est de Dieu ; et tout esprit qui divise Jésus n'est pas de Dieu, mais de l'Antéchrist. » Ces paroles sont semblables à ce qu'il dit dans l'Évangile, à savoir que « le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous ». C'est pourquoi il dit encore dans son épître : « Quiconque croit que Jésus est le Christ est né de Dieu. » Il ne connaît qu'un seul et même Jésus-Christ, pour qui les portes du ciel se sont ouvertes à cause de son enlèvement dans la chair et qui, dans cette même chair en laquelle il a souffert, viendra nous révéler la gloire du Père. Suite du témoignage de Paul En accord avec cette doctrine, Paul s'exprime ainsi à l'adresse des Romains : «... à bien plus forte raison ceux qui reçoivent l'abondance de la grâce et de la justice régneront-ils dans la vie par l'unique Jésus-Christ. » Il ignore donc un Christ qui se serait envolé de Jésus, et il ne connaît pas davantage un Sauveur d'en haut prétendument impassible. Si en effet l'un a souffert, tandis que l'autre est demeuré impassible, et si l'un est né, tandis que l'autre est descendu sur le premier pour l'abandonner ensuite, ce n'est plus un unique sujet, mais deux, que l'on nous présente. Que l'Apôtre n'en connaisse qu'un seul, à savoir le Christ Jésus qui est né et qui a souffert, c'est ce qu'il dit encore dans la même épître : « Ou bien ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, c'est dans sa mort que nous avons été baptisés, afin que, comme le Christ est ressuscité d'entre les morts, nous marchions nous aussi dans une nouveauté de vie ? » De même encore, voulant indiquer que c'est bien le Christ qui a souffert et que c'est lui le Fils de Dieu qui est mort pour nous et nous a rachetés par son sang au temps fixé, il dit : « Pourquoi, alors que nous étions encore impuissants, le Christ, au temps marqué, est-il mort pour des impies ? Dieu prouve son amour pour nous en ce que, alors que nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous. A bien plus forte raison, maintenant que nous avons été justifiés dans son sang, serons-nous sauvés par lui de la colère. Car si, lorsque nous étions des ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, à bien plus forte raison, ayant été réconciliés, serons-nous sauvés dans sa vie. » De toute évidence Paul proclame par là que Celui-là même qui a été arrêté, qui a souffert et qui a répandu son sang pour nous, c'est lui le Christ, lui le Fils de Dieu, lequel est également ressuscité et monté aux cieux. Comme le dit Paul lui-même, tout ensemble : « Le Christ, qui est mort, bien plus, qui est ressuscité, qui est à la droite de Dieu. » Et encore : «... sachant que le Christ, une fois ressuscité des morts, ne meurt plus. » C'est en effet parce qu'il voyait d'avance lui aussi par l'Esprit les découpages de ces mauvais maîtres et pour leur enlever tout prétexte à dissentiment qu'il dit les paroles qui viennent d'être citées. < Il dit encore > : « Si l'Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ d'entre les morts vivifiera aussi vos corps mortels. » Peu s'en faut qu'il ne crie à ceux qui veulent bien l'entendre : Ne vous y trompez pas ! Il n'y a qu'un seul et même Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui par sa Passion nous a réconciliés avec Dieu, qui est ressuscité d'entre les morts, qui est à la droite du Père. Il est parfait en tout : frappé, il ne rendait pas les coups ; « souffrant, il ne proférait pas de menaces » ; crucifié, il priait son Père de pardonner à ceux qui le clouaient à la croix. Car c'est lui qui nous a vraiment sauvés, lui le Verbe de Dieu, lui le Fils unique issu du Père, le Christ Jésus notre Seigneur. La descente de l'Esprit Saint sur le Fils de Dieu fait homme Les apôtres auraient pu dire en effet que le Christ était descendu sur Jésus, ou le Sauveur d'en haut sur le Jésus de l'économie, ou celui qui provient des régions invisibles sur celui qui relève du Démiurge. Mais ils n'ont rien su ni rien dit de tel — car, s'ils l'avaient su, ils l'auraient dit sans aucun doute —. En revanche, ils ont dit ce qui était, à savoir que l'Esprit de Dieu descendit sur lui comme une colombe. C'est lui l'Esprit dont Isaïe avait dit : « Et l'Esprit de Dieu reposera sur lui», comme nous l'avons expliqué déjà ; et encore : « L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a oint. » C'est lui l'Esprit dont le Seigneur disait : « Car ce n'est pas vous qui parlerez, mais l'Esprit de votre Père qui parlera en vous. » De même encore, lorsqu'il donnait à ses disciples le pouvoir de faire renaître les hommes en Dieu, il leur disait : « Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » Cet Esprit, en effet, il avait promis par les prophètes de le répandre dans les derniers temps sur ses serviteurs et ses servantes afin qu'ils prophétisent. Et c'est pourquoi cet Esprit est descendu sur le Fils de Dieu devenu Fils de l'homme : par là, avec lui, il s'accoutumait à habiter dans le genre humain, à reposer sur les hommes, à résider dans l'ouvrage modelé par Dieu ; il réalisait en eux la volonté du Père et les renouvelait en les faisant passer de leur vétusté à la nouveauté du Christ. C'est cet Esprit que David avait demandé pour le genre humain en disant : « Et, par ton Esprit qui dirige, affermis-moi. » C'est encore cet Esprit dont Luc nous dit qu'après l'ascension du Seigneur il est descendu sur les disciples, le jour de la Pentecôte, avec pouvoir sur toutes les nations pour les introduire dans la vie et leur ouvrir le nouveau Testament : aussi est-ce dans toutes les langues que, animés d'un même sentiment, les disciples célébraient les louanges de Dieu, tandis que l'Esprit ramenait à l'unité les tribus séparées et offrait au Père les prémices de toutes les nations. C'est pourquoi aussi le Seigneur avait promis de nous envoyer un Paraclet qui nous accorderait à Dieu. Car, comme de farine sèche on ne peut, sans eau, faire une seule pâte et un seul pain, ainsi nous, qui étions une multitude, nous ne pouvions non plus devenir un dans le Christ Jésus sans l'Eau venue du ciel. Et comme la terre aride, si elle ne reçoit de l'eau, ne fructifie point, ainsi nous-mêmes, qui n'étions d'abord que du bois sec, nous n'aurions jamais porté du fruit de vie sans la Pluie généreuse venue d'en haut. Car nos corps, par le bain du baptême, ont reçu l'union à l'incorruptibilité, tandis que nos âmes l'ont reçue par l'Esprit. C'est pourquoi l'un et l'autre sont nécessaires, puisque l'un et l'autre contribuent à donner la vie de Dieu. Ainsi notre Seigneur a-t-il pris en pitié cette Samaritaine infidèle, qui n'était pas demeurée dans l'appartenance d'un seul mari, mais avait forniqué dans de multiples noces : il lui a montré, il lui a promis une Eau vive, afin qu'elle n'ait plus soif désormais et ne soit plus astreinte à s'humecter d'une eau péniblement acquise, puisqu'elle aurait en elle un Breuvage jaillissant pour la vie éternelle, ce Breuvage même que le Seigneur a reçu en don du Père et qu'il a donné, à son tour, à ceux qui participent de lui, en envoyant l'Esprit Saint sur toute la terre. C'est parce qu'il voyait d'avance la grâce de ce don que Gédéon, cet Israélite que Dieu avait choisi pour sauver le peuple d'Israël de la domination des étrangers, changea sa demande : il prophétisa par là que sur la toison de laine, qui seule avait d'abord reçu la rosée et qui était la figure du peuple d'Israël, viendrait la sécheresse, c'est-à-dire que ce peuple ne recevrait plus de Dieu l'Esprit Saint — selon ce que dit Isaïe : «Je commanderai aux nuées de ne pas pleuvoir sur elle » —, tandis que sur toute la terre se répandrait la rosée, qui est l'Esprit de Dieu. C'est précisément cet Esprit qui est descendu sur le Seigneur, « Esprit de sagesse et d'intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété, Esprit de crainte de Dieu ». Et c'est ce même Esprit que le Seigneur à son tour a donné à l'Eglise, en envoyant des cieux le Paraclet sur toute la terre, là où le diable avait été précipité comme l'éclair, selon la parole du Seigneur : c'est pourquoi cette rosée de Dieu nous est nécessaire pour que nous ne soyons pas consumés ni rendus stériles et pour que, là où nous avons un accusateur, nous ayons aussi un Défenseur. Car le Seigneur a confié à l'Esprit Saint l'homme, son propre bien, qui était tombé entre les mains des brigands, cet homme dont il a eu compassion et dont il a lui-même bandé les blessures, donnant deux deniers royaux pour que, après avoir reçu par l'Esprit l'image et l'inscription du Père et du Fils, nous fassions fructifier le denier qui nous est confié et le remettions au Seigneur ainsi multiplié. Ainsi donc, c'est bien l'Esprit qui est descendu, à cause de l' «économie» que nous venons de dire; quant au Fils unique de Dieu, qui est aussi le Verbe du Père, lorsqu'est venue la plénitude du temps, il s'est incarné dans l'homme à cause de l'homme et il a accompli toute son « économie » humaine, étant, lui, Jésus-Christ notre Seigneur, un seul et le même. Voilà ce que le Seigneur lui-même atteste, ce que les apôtres confessent, ce que les prophètes proclament. Mensongères, dès lors, s'avèrent toutes les doctrines de ces gens qui ont inventé des Ogdoades, des Tétrades et des Décades et qui ont imaginé divisions et subdivisions ! Car, d'une part, ils éliminent l'Esprit ; d'autre part, ils estiment qu'autre est le Christ et autre Jésus, et ils enseignent de la sorte non un seul Christ, mais plusieurs ; même s'ils les disent unis, ils reviennent à la charge pour exposer que l'un a eu en partage la Passion, tandis que l'autre est demeuré impassible, que l'un est monté au Plérôme, tandis que l'autre est demeuré dans l'Intermédiaire, que l'un festoie et se délecte dans les régions invisibles et innommables, tandis que l'autre est assis aux côtés du Démiurge qu'il dépouille de sa puissance. Aussi faudra-t-il que toi-même, ainsi que tous ceux qui lisent cet écrit et ont le souci de leur salut, vous n'alliez pas, dès que vous entendez le son extérieur de leurs paroles, vous courber spontanément sous leur loi. Car tout en tenant aux fidèles le même langage que nous, ainsi que nous l'avons déjà dit, ils ont des pensées non seulement différentes, mais à l'opposé des nôtres et toutes remplies de blasphèmes, et ils tuent par là ceux qui, sous la ressemblance des mots, attirent en eux le poison fort dissemblable de leur sentiment intérieur. C'est comme si quelqu'un donnait du plâtre mêlé à de l'eau en guise de lait et trompait ainsi les gens par la ressemblance de la couleur. Comme le disait un homme supérieur à nous, à propos de tous ceux qui, d'une manière quelconque, corrompent les choses de Dieu et altèrent la vérité : « Il est mal de mêler le plâtre au lait de Dieu. » Suite du témoignage de Paul Il a donc été montré à l'évidence que le Verbe, qui était au commencement auprès de Dieu, par l'entremise de qui tout a été fait et qui était de tout temps présent au genre humain, ce même Verbe, dans les derniers temps, au moment fixé par le Père, s'est uni à son propre ouvrage par lui modelé et s'est fait homme passible. On a de la sorte repoussé l'objection de ceux qui disent : « Si le Christ est né à ce moment-là, il n'existait donc pas auparavant. » Nous avons en effet montré que le Fils de Dieu n'a pas commencé d'exister à ce moment-là, puisqu'il existe depuis toujours avec le Père; mais, lorsqu'il s'est incarné et s'est fait homme, il a récapitulé en lui-même la longue histoire des hommes et nous a procuré le salut en raccourci, de sorte que ce que nous avions perdu en Adam, c'est-à-dire d'être à l'image et à la ressemblance de Dieu, nous le recouvrions dans le Christ Jésus. En effet, comme il n'était pas possible que l'homme, une fois vaincu et brisé par la désobéissance, fût modelé à nouveau et obtînt le prix de la victoire, et comme il était également impossible qu'eut part au salut cet homme ainsi tombé sous le pouvoir du péché, le Fils a opéré l'un et l'autre : tout en étant le Verbe de Dieu, il est descendu d'auprès du Père, il s'est incarné, il est descendu jusque dans la mort", et il a ainsi consommé l' « économie » de notre salut. C'est pour nous exhorter à croire sans hésitation en ce Fils que Paul dit encore : « Ne dis pas dans ton cœur : Qui montera au ciel ? — à savoir, pour en faire descendre le Christ —, ou : Qui descendra dans l'abîme ? — à savoir pour faire remonter le Christ d'entre les morts —. » Il ajoute : « Car si tu confesses de ta bouche que Jésus est Seigneur et si tu crois dans ton cœur que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauvé. » Et il donne la raison pour laquelle le Verbe de Dieu a fait cela, en disant : « Car voici pourquoi le Christ a vécu, est mort et est ressuscité : c'est pour régner souverainement sur les morts et les vivants. » Il dit encore, écrivant aux Corinthiens : « Pour nous, nous prêchons le Christ Jésus crucifié. » Et il ajoute : « La coupe de bénédiction que nous bénissons, n'est-elle pas une communion au sang du Christ ? » Quel est donc Celui qui nous fait entrer ainsi dans une communion de nourriture ? Serait-ce le Christ d'en haut inventé par ces gens, celui qui s'est étendu sur la Limite et a formé leur Mère ? N'est-ce pas plutôt l'Emmanuel qui est né de la Vierge, qui a mangé du beurre et du miel et dont le prophète a dit : « Il est homme, et pourtant qui le connaîtra ? » C'est ce même Christ qui était annoncé par Paul : «Je vous ai en effet transmis, dit-il, tout d'abord ceci : que le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Ecritures, qu'il a été enseveli et qu'il est ressuscité le troisième jour, conformément aux Ecritures. » Il est donc manifeste que Paul ne connaît pas d'autre Christ, mais seulement Celui qui tout ensemble a souffert, a été enseveli et est ressuscité, qui est né aussi et auquel il donne le nom d'homme. Car, après avoir dit : « Si l'on prêche que le Christ est ressuscité d'entre les morts... », il ajoute, en donnant la raison de son incarnation : « Parce que la mort est venue par un homme, c'est aussi par un homme que vient la résurrection des morts. » Et partout, à propos de la Passion de notre Seigneur, de son humanité, de sa mise à mort, Paul emploie le nom de Christ. Ainsi, par exemple : « Ne va pas, avec ton aliment, causer la perte de celui pour qui le Christ est mort. » Et encore : « Mais à présent, dans le Christ, vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus proches, dans le sang du Christ. » Et encore : « Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la Loi en se faisant pour nous malédiction, car il est écrit : Maudit quiconque est suspendu au bois. » Et encore : « Et avec toute ta science va se perdre le faible, le frère pour qui le Christ est mort. » Ces textes montrent assez que jamais un Christ impassible n'est descendu en Jésus, mais que Jésus, qui était en personne le Christ, a souffert pour nous, et qu'il s'est endormi et est ressuscité est descendu et est remonté, lui, le Fils de Dieu devenu Fils de l'homme. C'est d'ailleurs ce qu'indiqué son nom même, car dans le nom de « Christ » est sous-entendu Celui qui a oint, Celui-là même qui a été oint et l'Onction dont il a été oint : celui qui a oint, c'est le Père, celui qui a été oint, c'est le Fils, et il l'a été dans l'Esprit, qui est l'Onction. Comme le dit le Verbe par la bouche d'Isaïe : « L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a oint» : ce qui indique tout ensemble et le Père qui a oint et le Fils qui a été oint et l'Onction qui est l'Esprit. Témoignage du Christ Au surplus, le Seigneur lui-même a bien fait voir quel est Celui qui a souffert. En effet, après qu'il eut demandé à ses disciples : « Qui dit-on que je suis, moi, le Fils de l'homme ? » et que Pierre lui eut répondu : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant», le Seigneur le loua de ce que ce n'était pas la chair ni le sang qui le lui avaient révélé, mais le Père qui est dans les cieux : il faisait bien voir par là que « le Fils de l'homme » en personne était « le Christ, le Fils du Dieu vivant». Or, est-il dit, «c'est à partir de ce moment-là qu'il commença à exposer à ses disciples qu'il lui fallait se rendre à Jérusalem, beaucoup souffrir de la part des prêtres, être rejeté, être crucifié et ressusciter le troisième jour». Ainsi Celui qui venait d'être reconnu par Pierre comme « le Christ », qui venait de déclarer Pierre bienheureux parce que le Père lui avait révélé «le Fils du Dieu vivant», Celui-là même annonçait qu'il lui faudrait beaucoup souffrir et être crucifié. Et c'est alors qu'il réprimanda Pierre, parce que celui-ci partageait l'idée que les hommes se faisaient du Christ et repoussait sa Passion, et qu'il dit à ses disciples: «Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, et celui qui la perdra à cause de moi la sauverai » Voilà ce que le Christ disait ouvertement, lui, le Sauveur de ceux qui, pour l'avoir confessé, seraient livrés à la mort et perdraient leur vie. Par contre, s'il s'agissait d'un Christ qui ne devait pas souffrir, mais s'envoler de Jésus, de quel droit exhortait-il ses disciples à porter leur croix et à le suivre, alors que lui-même, d'après les hérétiques, n'allait pas porter cette croix, mais déserter l'« économie» de la Passion? Car ce qui prouve bien que le Christ ne parlait pas de la connaissance d'une prétendue Croix d'en haut, comme certains ont l'audace de l'expliquer, mais de la Passion qu'il allait devoir souffrir et que ses disciples souffriraient eux aussi, ce sont les paroles qu'il ajoutait : « Car quiconque sauvera sa vie la perdra, et quiconque la perdra la trouvera. » Et que ses disciples auraient à souffrir à cause de lui, c'est ce qu'il disait aux Juifs : « Voici que je vous envoie des prophètes, des sages et des docteurs, et vous en tuerez et en crucifierez. » Et à ses disciples il disait : «Vous comparaîtrez devant les gouverneurs et les rois à cause de moi et, parmi vous, ils en flagelleront, ils en tueront et ils en pourchasseront de ville en ville. » Il connaissait donc ceux qui souffriraient la persécution, il connaissait ceux qui allaient être flagellés et mis à mort à cause de lui, et il ne parlait pas d'une autre Croix, mais de la Passion qu'il allait souffrir, lui, le premier, et ses disciples après lui. Aussi bien sa parole était-elle celle de quelqu'un qui voulait aussi les encourager : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent pas tuer l'âme; craignez plutôt celui qui a le pouvoir d'envoyer le corps et l'âme dans la géhenne. » Il les engageait à persévérer dans la confession de sa personne, car il promettait de confesser devant son Père ceux qui confesseraient son nom devant les hommes, mais aussi de renier ceux qui le renieraient et de rougir de ceux qui rougiraient de le confesser. Malgré cela, certains en sont venus à ce point de témérité qu'ils vont jusqu'à compter pour rien les martyrs et blâmer ceux qui sont mis à mort pour avoir confessé le Seigneur, qui supportent tout ce qui a été prédit par le Seigneur et qui s'efforcent en cela de suivre les traces de la Passion du Seigneur, en étant les «témoins» de Celui qui s'est fait passible. Ces gens-là, nous les remettons aux martyrs eux-mêmes, car, lorsqu'il sera demandé compte de leur sang et qu'ils recevront la gloire, alors le Christ confondra tous ceux qui auront méprisé leur martyre. De même, cette parole du Seigneur sur la croix : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font » — révèle la longanimité, la patience, la miséricorde et la bonté du Christ, puisque tout à la fois lui-même a souffert la Passion et a excusé ceux qui le maltraitaient. Car cette parole que nous a dite le Verbe de Dieu : « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous haïssent», il l'a lui-même mise en pratique sur la croix, en aimant le genre humain jusqu'à prier pour ceux-là mêmes qui le faisaient mourir. Si, par contre, quelqu'un admettait l'existence de deux êtres distincts et qu'il instituât un jugement sur eux, il devrait constater que celui qui, dans les blessures mêmes, les plaies et autres sévices, s'est montré bienfaisant et oublieux du mal perpétré contre lui, est bien meilleur, bien plus patient et plus véritablement bon que celui qui se serait envolé sans avoir souffert injustice ni opprobre. Le même raisonnement vaut également contre ceux qui disent qu'il n'a souffert qu'en apparence. En effet, s'il n'a pas réellement souffert, aucune gratitude ne lui est due, puisqu'il n'y a pas eu de Passion. Et quand nous aurons, nous, à souffrir réellement, il apparaîtra comme un imposteur en nous exhortant, lorsqu'on nous frappe, à présenter encore l'autre joue, si lui-même n'a pas en toute vérité souffert cela le premier : car en ce cas, comme il a trompé les hommes d'alors en paraissant être ce qu'il n'était pas, il nous trompe nous aussi en nous exhortant à supporter ce qu'il n'a pas supporté lui-même ; nous serons même au-dessus du Maître, quand nous souffrirons et supporterons ce que ce prétendu Maître n'a ni souffert ni supporté ! Mais, en fait, notre Seigneur est bien le seul vrai Maître; il est vraiment bon, lui, le Fils de Dieu; il a supporté la souffrance, lui, le Verbe de Dieu le Père devenu Fils de l'homme. Car il a lutté et vaincu : d'une part, il était homme, combattant pour ses pères et rachetant leur désobéissance par son obéissance; d'autre part, il a enchaîné le « fort », libéré les faibles et octroyé le salut à l'ouvrage par lui modelé, en détruisant le péché. Car « le Seigneur est compatissant et miséricordieux » et il aime le genre humain. Il fallait que le Fils de Dieu se fit vraiment homme pour sauver l'homme Il a donc mélangé et uni, comme nous l'avons déjà dit, l'homme à Dieu. Car si ce n'était pas un homme qui avait vaincu l'adversaire de l'homme, l'ennemi n'aurait pas été vaincu en toute justice. D'autre part, si ce n'était pas Dieu qui nous avait octroyé le salut, nous ne l'aurions pas reçu d'une façon stable. Et si l'homme n'avait pas été uni à Dieu, il n'aurait pu recevoir en participation l'incorruptibilité. Car il fallait que le « Médiateur de Dieu et des hommes», par sa parenté avec chacune des deux parties, les ramenât l'une et l'autre à l'amitié et à la concorde, en sorte que tout à la fois Dieu accueillît l'homme et que l'homme s'offrît à Dieu. Comment aurions-nous pu en effet avoir part à la filiation adoptive à l'égard de Dieu, si nous n'avions pas reçu, par le Fils, la communion avec Dieu ? Et comment aurions-nous reçu cette communion avec Dieu, si son Verbe n'était pas entré en communion avec nous en se faisant chair? C'est d'ailleurs pourquoi il est passé par tous les âges de la vie, rendant par là à tous les hommes la communion avec Dieu. Ceux donc qui disent qu'il ne s'est montré qu'en apparence, qu'il n'est pas né dans la chair et qu'il ne s'est pas vraiment fait homme, ceux-là sont encore sous le coup de l'antique condamnation. Ils se font les avocats du péché, puisque, d'après eux, la mort n'a pas été vaincue. Car celle-ci « a régné d'Adam jusqu'à Moïse, même sur ceux qui n'avaient pas péché par une transgression semblable à celle d'Adam». Puis, quand la Loi donnée par Moïse est venue et qu'elle a rendu sur le péché ce témoignage qu'il est « pécheur », elle lui a bien retiré son empire, en le convainquant d'agir en brigand, et non en roi, et en le faisant apparaître comme homicide; mais elle a d'autre part accablé l'homme, qui avait le péché en lui, en démontrant que cet homme était digne de mort. Car la Loi, toute spirituelle qu'elle était, a seulement manifesté le péché, elle ne l'a pas supprimé : car ce n'est pas sur l'Esprit que dominait le péché, mais sur l'homme. Il fallait donc que Celui qui devait tuer le péché et racheter l'homme digne de mort se fît cela même qu'était celui-ci, c'est-à-dire cet homme réduit en esclavage par le péché et retenu sous le pouvoir de la mort, afin que le péché fût tué par un homme et que l'homme sortît ainsi de la mort. Car, de même que, « par la désobéissance d'un seul homme » qui fut, le premier, modelé à partir d'une terre vierge, «beaucoup ont été constitués pécheurs » et ont perdu la vie, ainsi fallait-il que, « par l'obéissance d'un seul homme » qui est, le premier, né de la Vierge, « beaucoup soient justifiés » et reçoivent le salut . C'est donc en toute vérité que le Verbe de Dieu s'est fait homme, selon ce que dit aussi Moïse : « Dieu, ses œuvres sont vraies. » Si, sans s'être fait chair, il n'avait pris que l'apparence de la chair, son œuvre n'eût pas été vraie. Mais ce qu'il paraissait être, il l'était réellement, à savoir Dieu récapitulant en lui-même cet antique ouvrage modelé qu'était l'homme, afin de tuer le péché, de détruire la mort et de vivifier l'homme : c'est pourquoi ses œuvres étaient vraies. 2. JÉSUS N'EST PAS UN PUR HOMME, MAIS LE FILS DE DIEU INCARNÉ DANS LE SEIN DE LA VIERGE Seul le Fils de Dieu pouvait nous rendre libres A l'opposé, ceux qui prétendent qu'il n'est qu'un pur homme engendré de Joseph demeurent dans l'esclavage de l'antique désobéissance et y meurent, n'ayant pas encore été mélangés au Verbe de Dieu le Père et n'ayant pas eu part à la liberté qui nous vient par le Fils, selon ce qu'il dit lui-même : « Si le Fils vous affranchit, vous serez vraiment libres. » Méconnaissant en effet l'Emmanuel né de la Vierge, ils se privent de son don, qui est la vie éternelle ; n'ayant pas reçu le Verbe d'incorruptibilité, ils demeurent dans la chair mortelle; ils sont les débiteurs de la mort, pour n'avoir pas accueilli l'antidote de vie. C'est à eux que le Verbe dit, expliquant le don qu'il fait de sa grâce : «J'ai dit : Vous êtes tous des dieux et des fils du Très-Haut ; mais vous, comme des hommes, vous mourrez. » Il adresse ces paroles à ceux qui, refusant de recevoir le don de la filiation adoptive, méprisent cette naissance sans tache que fut l'incarnation du Verbe de Dieu, privent l'homme de son ascension vers Dieu et ne témoignent qu'ingratitude au Verbe de Dieu qui s'est incarné pour eux. Car telle est la raison pour laquelle le Verbe s'est fait homme, et le Fils de Dieu, Fils de l'homme : c'est pour que l'homme, en se mélangeant au Verbe et en recevant ainsi la filiation adoptive, devienne fils de Dieu. Nous ne pouvions en effet avoir part à l'incorruptibilité et à l'immortalité que si nous étions unis à l'incorruptibilité et à l'immortalité. Mais comment aurions-nous pu être unis à l'incorruptibilité et à l'immortalité, si l'Incorruptibilité et l'Immortalité ne s'étaient préalablement faites cela même que nous sommes, afin que ce qui était corruptible fût absorbé par l'incorruptibilité, et ce qui était mortel, par l'immortalité, « afin que nous recevions la filiation adoptive » ? Le Christ est homme et Dieu C'est pourquoi « qui racontera sa génération ? » Car « il est homme, et pourtant qui le connaîtra ? » Seul le connaîtra celui à qui le Père qui est dans les Cieux aura révélé que «le Fils de l'homme», qui « n'est pas né de la volonté de la chair ni de la volonté de l'homme», est «le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Que pas un seul d'entre les fils d'Adam ne soit appelé Dieu ou Seigneur au sens absolu de ces termes, nous l'avons montré par les Écritures ; mais que le Christ, d'une manière qui lui est propre, à l'exclusion de tous les hommes de tous les temps, soit proclamé Dieu, Seigneur, Roi éternel, Fils unique et Verbe incarné, et cela aussi bien par tous les prophètes que par les apôtres et par l'Esprit lui-même, voilà ce qu'il est loisible de constater à tous ceux qui ont atteint ne fût-ce qu'une infime parcelle de la vérité. Ce témoignage, les Écritures ne le rendraient pas de lui, s'il n'était qu'un homme comme tous les autres hommes. Mais parce que, seul entre tous, il a reçu la génération éclatante qui lui vient du Père Très-Haut et parce qu'il a accompli aussi la naissance éclatante qui lui vient de la Vierge, les Écritures rendent de lui ce double témoignage : d'une part, il est homme sans beauté, sujet à la souffrance, assis sur le petit d'une ânesse, abreuvé de vinaigre et de fiel, méprisé du peuple, descendant jusque dans la mort; d'autre part, il est Seigneur saint, admirable Conseiller, éclatant de beauté, Dieu fort, venant sur les nuées en Juge universel. Car, de même que le Seigneur était homme afin d'être éprouvé, de même il était aussi le Verbe afin d'être glorifié : d'un côté, le Verbe se tenait en repos lorsque le Seigneur était éprouvé, outragé, crucifié et mis à mort ; de l'autre, l'homme était « absorbé » lorsque le Seigneur vainquait, supportait la souffrance, montrait sa bonté, ressuscitait et était enlevé au ciel. Ainsi donc, le Fils de Dieu, notre Seigneur, tout en étant le Verbe du Père, était aussi Fils de l'homme : car de Marie, issue de créatures humaines et créature humaine elle-même, il avait reçu une naissance humaine. Le signe de l'Emmanuel C'est pourquoi aussi le Seigneur lui-même nous a donné un « signe» dans la profondeur et dans la hauteur, sans que l'homme l'eût demandé : car jamais celui-ci ne se fût attendu à ce qu'une Vierge devînt enceinte, tout en demeurant vierge, et mît au monde un Fils, à ce que le Fruit de cet enfantement fût «Dieu avec nous», à ce qu'il descendît dans les profondeurs de la terre pour y chercher la brebis perdue, c'est-à-dire son propre ouvrage par lui modelé, et à ce qu'il remontât ensuite dans les hauteurs pour offrir et remettre à son Père l'homme ainsi retrouvé, effectuant en lui-même les prémices de la résurrection de l'homme. Car, comme la tête est ressuscitée des morts, ainsi le reste du corps, c'est-à-dire tout homme qui sera trouvé dans la Vie, ressuscitera à son tour, une fois révolu le temps de sa condamnation due à la désobéissance; alors ce corps ne fera plus qu'un « grâce aux articulations et aux ligaments » et il atteindra sa pleine vigueur par la croissance qui lui viendra de Dieu, chacun des membres occupant, dans le corps, la place qui lui sera propre et qui lui conviendra : car il y aura beaucoup de demeures auprès du Père, parce qu'il y aura beaucoup de membres dans le corps. Le signe de Jonas Dieu a donc usé de longanimité devant l'apostasie de l'homme, parce qu'il voyait d'avance la victoire qu'il lui donnerait un jour par l'entremise du Verbe : car, tandis que la puissance s'est déployée dans la faiblesse, le Verbe a fait apparaître la bonté de Dieu et sa magnifique puissance. Il en a été, en effet, de l'homme comme du prophète Jonas. Dieu a permis que celui-ci fût englouti par un monstre marin, non pour qu'il disparût et pérît totalement, mais pour qu'après avoir été rejeté par le monstre il fût plus soumis à Dieu et qu'il glorifiât davantage Celui qui lui donnait un salut inespéré. C'était aussi pour qu'il provoquât un ferme repentir chez les Ninivites, en sorte que ceux-ci se convertissent au Seigneur qui les délivrait de la mort, terrifiés qu'ils seraient par le signe accompli en Jonas. Comme le dit à leur sujet l'Écriture : « Et ils se détournèrent chacun de sa voie mauvaise et de l'iniquité qui était dans leurs mains, en disant : Qui sait si Dieu ne se repentira pas et ne détournera pas de nous sa colère, en sorte que nous ne périssions pas ? » De la même manière, dès le commencement, Dieu a permis que l'homme fût englouti par le grand monstre, auteur de la transgression, non pour qu'il disparût et pérît totalement, mais parce que Dieu préparait à l'avance l'acquisition du salut qu'a effectuée le Verbe, par le moyen du « signe de Jonas », au bénéfice de ceux qui auront eu sur Dieu le même sentiment que Jonas, qui l'auront confessé et qui auront dit : «Je suis le serviteur du Seigneur, et j'honore le Seigneur, le Dieu du ciel, qui a fait la mer et la terre ferme. » Dieu a voulu que l'homme, recevant de lui un salut inespéré, ressuscite d'entre les morts, qu'il glorifie Dieu et qu'il dise la parole prophétique de Jonas : «J'ai crié vers le Seigneur mon Dieu dans ma détresse, et il m'a exaucé du ventre de l'enfer. » Dieu a voulu que l'homme demeure toujours fidèle à le glorifier et à lui rendre grâces sans cesse pour ce salut reçu de lui, « en sorte qu'aucune chair ne se glorifie devant le Seigneur», que l'homme n'admette jamais plus sur Dieu des pensées contraires à celui-ci, en prenant pour une propriété naturelle l'incorruptibilité dont il jouissait, et qu'il ne délaisse plus jamais la vérité pour la jactance d'un vain orgueil, comme s'il était naturellement semblable à Dieu. Car cet orgueil même, en le rendant bien plutôt ingrat envers son Créateur, lui avait masqué l'amour dont il était l'objet de la part de Dieu et avait aveuglé son esprit, l'empêchant d'avoir sur Dieu des pensées dignes de celui-ci, le poussant au contraire à se comparer à Dieu et à s'estimer son égal. Telle a donc été la longanimité de Dieu. Il a permis que l'homme passe par toutes les situations et qu'il connaisse la mort, pour accéder ensuite à la résurrection d'entre les morts et apprendre par son expérience de quel mal il a été délivré : ainsi rendra-t-il toujours grâces au Seigneur, pour avoir reçu de lui le don de l'incorruptibilité, et l'aimera-t-il davantage, s'il est vrai que celui à qui on remet plus aime davantage; ainsi saura-t-il que lui-même est mortel et impuissant et comprendra-t-il que Dieu est au contraire à ce point immortel et puissant qu'il donne au mortel l'immortalité et au temporel l'éternité; ainsi connaîtra-t-il toutes les autres œuvres prodigieuses de Dieu rendues manifestes en lui, et, instruit par elles, aura-t-il sur Dieu des pensées en rapport avec la grandeur de Dieu. Car la gloire de l'homme, c'est Dieu ; d'autre part, le réceptacle de l'opération de Dieu et de toute sa sagesse et de toute sa puissance, c'est l'homme. Comme le médecin fait ses preuves chez ceux qui sont malades, ainsi Dieu se manifeste chez les hommes. C'est pourquoi Paul dit : « Dieu a enfermé toutes choses dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde. » Ce n'est pas des Eons pneumatiques qu'il parle, mais de l'homme, qui, après avoir désobéi à Dieu et avoir été rejeté de l'immortalité, a ensuite obtenu miséricorde par l'entremise du Fils de Dieu, en recevant la filiation adoptive qui vient par lui. Car cet homme-là, gardant sans enflure ni jactance une pensée vraie sur les créatures et sur le Créateur — qui est le Dieu plus puissant que tout et qui donne à tout l'existence — et demeurant dans son amour, dans la soumission et dans l'action de grâces, recevra de lui une gloire plus grande, progressant jusqu'à devenir semblable à Celui qui est mort pour lui. Celui-ci en effet s'est fait « à la ressemblance de la chair du péché » pour condamner le péché et, ainsi condamné, l'expulser de la chair, et pour appeler d'autre part l'homme à lui devenir semblable, l'assignant ainsi pour imitateur à Dieu, l'élevant jusqu'au royaume du Père et lui donnant de voir Dieu et de saisir le Père, — lui, le Verbe de Dieu qui a habité dans l'homme et s'est fait Fils de l'homme pour accoutumer l'homme à saisir Dieu et accoutumer Dieu à habiter dans l'homme, selon le bon plaisir du Père. Le Seigneur lui-même s'est fait le Sauveur de l'homme impuissant à se sauver Telle est donc la raison pour laquelle le signe de notre salut, à savoir l'Emmanuel né de la Vierge, a été donné par « le Seigneur lui-même » : c'était le Seigneur lui-même qui sauvait ceux qui ne pouvaient se sauver par eux-mêmes. Aussi Paul proclame-t-il cette impuissance de l'homme : «Je sais, dit-il, que le bien n'habite pas dans ma chair. » I indique par là que ce n'est pas de nous, mais de Dieu, que vient ce « bien » qu'est notre salut. Il dit encore : « Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort? » Il présente ensuite le Libérateur : « C'est la grâce de Jésus-Christ notre Seigneur. » C'est ce qu'Isaïe dit aussi de son côté : « Affermissez-vous, mains défaillantes et genoux chancelants ; prenez courage, cœurs pusillanimes, affermissez-vous, ne craignez point ! Voici que notre Dieu rend le jugement, et il le rendra ; il viendra lui-même et il nous sauvera. » Ces paroles témoignent assez que ce n'est pas par nous-mêmes, mais par le secours de Dieu, que nous pouvions être sauvés. De même encore, que Celui qui devait nous sauver ne serait ni purement un homme, ni un être sans chair — car les anges n'ont pas de chair —, Isaïe l'a annoncé en disant : « Ce n'est pas un ancien, ni un ange, mais le Seigneur lui-même qui les sauvera, parce qu'il les aime et qu'il les épargne; lui-même les délivrera.» Et qu'il serait un homme véritable et visible, tout en étant le Verbe Sauveur, Isaïe le dit encore : « Voici, cité de Sion, que tes yeux verront notre Salut. » Et qu'il n'était pas simplement un homme, Celui qui mourait pour nous, c'est ce que dit Jérémie : « Le Seigneur, le Saint d'Israël, s'est souvenu de ses morts endormis dans la terre du tombeau, et il est descendu vers eux pour leur annoncer la bonne nouvelle du salut qui vient de lui, pour les sauver. » C'est identiquement ce que dit le prophète Amos : « Lui-même se retournera vers nous et aura pitié de nous ; il immergera nos iniquités et jettera au fond de la mer tous nos péchés. » II indique encore le lieu de sa venue : « De Sion le Seigneur a parlé, et de Jérusalem il a fait entendre sa voix. » Et que de cette région qui est au midi de l'héritage de Juda viendrait le Fils de Dieu, qui serait Dieu — région à laquelle appartenait Bethléem, où est né le Seigneur, qui a répandu de la sorte sa louange sur toute la terre —, c'est ce que dit en ces termes le prophète Habacuc : « Dieu viendra du côté du midi, et le Saint, du mont Ephrem ; sa puissance a couvert le ciel, et la terre est remplie de sa louange ; devant sa face marchera le Verbe, et ses pieds avanceront dans les plaines. » Il indique clairement par là qu'il est Dieu ; ensuite, que sa venue aura lieu en Bethléem, du mont Ephrem, qui est vers le midi de l'héritage ; enfin, qu'il est homme, car « ses pieds, précise-t-il, avanceront dans les plaines », ce qui est la marque propre d'un homme. Une altération juive de la prophétie de l'Emmanuel Dieu s'est donc fait homme, et le Seigneur lui-même nous a sauvés en nous donnant lui-même le signe de la Vierge. On ne saurait dès lors donner raison à certains, qui osent maintenant traduire ainsi l'Écriture : « Voici que la jeune femme concevra et enfantera un fils. » Ainsi traduisent en effet Théodotion d'Éphèse et Aquila du Pont, tous les deux prosélytes juifs. Ils sont suivis par les Ébionites, qui disent Jésus né de Joseph, détruisant ainsi autant qu'il est en eux cette grande « économie » de Dieu et réduisant à néant le témoignage des prophètes, qui fut l'œuvre de Dieu. Il s'agit en effet d'une prophétie qui fut faite avant la déportation du peuple à Babylone, c'est-à-dire avant l'hégémonie des Mèdes et des Perses ; cette prophétie fut ensuite traduite en grec par les Juifs eux-mêmes longtemps avant la venue de notre Seigneur, en sorte que personne ne puisse les soupçonner d'avoir traduit comme ils l'ont fait dans l'éventuelle pensée de nous faire plaisir : car, s'ils avaient su que nous existerions un jour et que nous utiliserions les témoignages tirés des Ecritures, ils n'auraient certes pas hésité à brûler de leurs mains leurs propres Écritures, elles qui déclarent ouvertement que toutes les autres nations auront part à la vie et qui montrent que ceux-là mêmes qui se vantent d'être la maison de Jacob et le peuple d'Israël sont déchus de l'héritage de la grâce de Dieu. En effet, avant que les Romains n'eussent établi leur empire, alors que les Macédoniens tenaient encore l'Asie sous leur pouvoir, Ptolémée, fils de Lagos, qui avait fondé à Alexandrie une bibliothèque et ambitionnait de l'orner des meilleurs écrits de tous les hommes, demanda aux Juifs de Jérusalem une traduction grecque de leurs Écritures. Ceux-ci, qui dépendaient encore des Macédoniens à cette époque, envoyèrent à Ptolémée les hommes de chez eux les plus versés dans les Ecritures et dans la connaissance des deux langues, c'est-à-dire soixante-dix Anciens, pour exécuter le travail qu'il voulait. Lui, désireux de les mettre à l'épreuve et craignant au surplus que, s'ils s'entendaient entre eux, il ne leur arrivât de dissimuler par leur traduction la vérité contenue dans les Écritures, les sépara les uns des autres et leur ordonna à tous de traduire le même ouvrage; et il fit de même pour tous les livres. Or, lorsqu'ils se retrouvèrent ensemble auprès de Ptolémée et qu'ils comparèrent les unes aux autres leurs traductions, Dieu fut glorifié et les Écritures furent reconnues pour vraiment divines, car tous avaient exprimé les mêmes passages par les mêmes expressions et les mêmes mots, du commencement à la fin, de sorte que même les païens qui étaient là reconnurent que les Écritures avaient été traduites sous l'inspiration de Dieu. Il n'est d'ailleurs nullement surprenant que Dieu ait opéré ce prodige : quand les Écritures eurent été détruites lors de la captivité du peuple sous Nabuchodonosor et qu'après soixante-dix ans les Juifs furent revenus dans leur pays, n'est-ce pas Dieu lui-même qui, par la suite, au temps d'Artaxerxès, roi des Perses, inspira Esdras, prêtre de la tribu de Lévi, pour rétablir de mémoire toutes les paroles des prophètes antérieurs et rendre au peuple la Loi donnée par Moïse ? Ainsi donc, puisque c'est avec tant de vérité et par une telle grâce de Dieu qu'ont été traduites les Ecritures par lesquelles Dieu a préparé et formé par avance notre foi en son Fils — car il nous a gardé ces Écritures dans toute leur pureté en Egypte, là où avait grandi la maison de Jacob fuyant la famine qui sévissait en Chanaan, là où notre Seigneur aussi fut gardé lorsqu'il fuyait la persécution d'Hérode —, et puisque cette traduction des Écritures a été faite avant que notre Seigneur ne descendît sur la terre et avant que n'apparussent les chrétiens — car notre Seigneur est né vers la quarante et unième année du règne d'Auguste, et le Ptolémée au temps duquel furent traduites les Écritures est beaucoup plus ancien — : ils font vraiment montre d'impudence et d'audace, ceux qui veulent présentement faire d'autres traductions lorsqu'à partir de ces Écritures mêmes nous les réfutons et les acculons à croire en la venue du Fils de Dieu. Vraie teneur de la prophétie de l'Emmanuel Solide, en revanche, non controuvée et seule vraie est notre foi — elle qui reçoit une preuve manifeste de ces Ecritures traduites de la manière que nous venons de dire —, et la prédication de l'Église est pure de toute altération. Car les apôtres, qui sont plus anciens que tous ces gens-là, sont en accord avec la version susdite, et cette version est en accord avec la tradition des apôtres : Pierre, Jean, Matthieu, Paul, tous les autres apôtres et leurs disciples ont repris tous les textes prophétiques sous la forme même sous laquelle ils sont contenus dans la version des Anciens. C'est en effet un seul et même Esprit de Dieu qui, chez les prophètes, a annoncé la venue du Seigneur et ce qu'elle serait, et qui, chez les Anciens, a bien traduit ce qui avait été bien prophétisé, et c'est encore lui qui, chez les apôtres, a annoncé que la plénitude du temps de la filiation adoptive était arrivée, que le royaume des cieux était proche, qu'il résidait au dedans des hommes qui croyaient en l'Emmanuel né de la Vierge. Ainsi les apôtres ont-ils attesté qu'avant que Joseph eût habité avec Marie — donc celle-ci demeurant en sa virginité —, « il se trouva qu'elle avait conçu de l'Esprit Saint ». Ils ont également attesté que l'ange Gabriel lui dit : « L'Esprit Saint surviendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre ; c'est pourquoi l'être saint qui va naître de toi sera appelé Fils de Dieu. » Ils ont enfin attesté que l'ange dit en songe à Joseph : « Cela est arrivé pour que s'accomplît la parole dite par le prophète Isaïe : Voici que la Vierge concevra en son sein. » Quant aux Anciens, voici comment ils avaient traduit les paroles d'Isaïe : « Le Seigneur parla encore à Achaz : Demande pour toi un signe au Seigneur ton Dieu, soit dans les profondeurs, soit dans les hauteurs. Et Achaz dit : Je ne demanderai pas et ne tenterai pas le Seigneur. Et Isaïe dit : < Ecoutez donc, maison de David ! > Est-ce peu pour vous de mettre les hommes à l'épreuve ? Et comment le Seigneur met-il à l'épreuve ? C'est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : voici que la Vierge concevra en son sein et enfantera un Fils, et vous lui donnerez le nom d'Emmanuel ; il mangera du beurre et du miel ; avant qu'il ne connaisse ou ne choisisse le mal, il choisira le bien, car, avant que l'enfant ne connaisse le bien ou le mal, il repoussera le mal afin de choisir le bien. » De façon précise l'Esprit Saint a fait connaître par ces paroles trois choses : — la génération du Seigneur : elle lui vient de la Vierge ; — son être : il est Dieu, car son nom d'Emmanuel signifie cela même ; — sa manifestation, enfin : il est homme, ce qu'indiquent la phrase «il mangera du beurre et du miel», l'appellation d'« enfant » et les mots « avant qu'il ne connaisse le bien ou le mal », car ce sont là autant de traits qui caractérisent un homme venu depuis peu à l'existence. Quant au fait de repousser le mal afin de choisir le bien, c'est là, en revanche, le propre de Dieu : l'Ecriture souligne ce trait pour que le fait que l'enfant mangera du beurre et du miel ne nous incite pas à voir en lui simplement un homme, et pour qu'à l'opposé le nom d'Emmanuel ne nous fasse pas supposer un Dieu non revêtu de chair. Les mots «Ecoutez donc, maison de David !» donnent eux aussi à entendre que le Roi éternel que Dieu avait promis à David de susciter «du fruit de son sein» est Celui-là même qui est né de la Vierge issue de David. Car c'est pour cela que Dieu lui avait promis un Roi qui serait « le fruit de son sein » — ce qui caractérise une Vierge enceinte —, et non « le fruit de ses reins » ni « le fruit de sa virilité » — ce qui est le propre d'un homme qui engendre et d'une femme qui conçoit de cet homme —. Ainsi donc, dans cette promesse, l'Ecriture exclut le pouvoir générateur de l'homme ; bien mieux, elle n'en fait même pas mention, car Celui qui devait naître ne venait pas « de la volonté de l'homme ». Par contre, elle pose et affirme vigoureusement l'expression «fruit du sein», pour proclamer par avance la génération de Celui qui devait naître de la Vierge. C'est ce qu'Elisabeth, remplie de l'Esprit Saint, a attesté en disant à Marie : « Bénie es-tu parmi les femmes, et béni est le fruit de ton sein! » Par ces paroles, l'Esprit Saint indique à qui veut l'entendre que la promesse faite par Dieu à David de susciter un Roi « du fruit de son sein » a été accomplie lorsque la Vierge, c'est-à-dire Marie, a enfanté. Ceux qui changent le texte d'Isaïe pour lire : «Voici que la jeune femme concevra en son sein» et qui veulent que l'enfant en question soit le fils de Joseph, qu'ils changent donc le texte de la promesse qui se lit en David, là où Dieu lui promettait de susciter « du fruit de son sein » une « Corne » qui ne serait autre que le Christ Roi ! Mais ils n'ont pas compris ce texte, sans quoi ils auraient eu l'audace de le changer lui aussi. Quant à l'expression d'Isaïe « soit dans les profondeurs, soit dans les hauteurs », elle signifie que « Celui qui est descendu est aussi Celui qui est remonté ». Enfin la phrase « Le Seigneur lui-même vous donnera un signe » souligne le caractère inattendu de sa génération : celle-ci n'aurait jamais eu lieu si le « Seigneur», le Dieu de toutes choses, n'avait lui-même donné ce signe dans la maison de David. Car qu'aurait eu de remarquable ou quel signe eût constitué le fait qu'une «jeune femme » conçût d'un homme et enfantât, puisque c'est là le fait de toutes les femmes qui mettent au monde ? Mais, parce qu'inattendu était le salut qui devait advenir aux hommes par le secours de Dieu, inattendu aussi était l'enfantement qui aurait pour auteur une Vierge c'est Dieu qui donnerait ce signe, et l'homme n'y serait pour rien Complément de preuve en faveur de la naissance virginale du Fus de Dieu C'est pourquoi aussi Daniel, ayant vu d'avance sa venue, a parlé d'une pierre détachée sans l'intervention d'une main et venue dans le monde. C'est là en effet ce que signifiait l'expression « sans l'intervention d'une main » sa venue dans le monde a eu lieu sans le travail de mains humaines, c'est-à-dire de ces hommes qui ont l'habitude de tailler la pierre, autrement dit sans l'action de Joseph, Marie étant seule à coopérer à l' «économie» Car cette pierre vient certes de la terre, mais elle a été constituée par la puissance et l'art de Dieu C'est pourquoi aussi Isaïe dit « Ainsi parle le Seigneur Voici que je mets pour fondement en Sion une pierre de grand prix, pierre de choix, pierre d'angle, pierre comblée d'honneur» il veut nous faire comprendre que sa venue humaine résulte, non de la volonté de l'homme, mais de la volonté de Dieu C'est pourquoi aussi Moïse, pour faire apparaître une figure du Seigneur, «jeta son bâton à terre», pour qu'en s'incarnant il vainquît et «engloutît» toute la prévarication des Égyptiens qui __ s'insurgeait contre l'« économie » de Dieu et pour que les Egyptiens eux-mêmes rendissent témoignage que c'est le « doigt de Dieu » qui opère le salut du peuple, et non un prétendu fils de Joseph. Si en effet le Seigneur était fils de Joseph, comment pouvait-il avoir plus que Salomon ou plus que Jonas ou être plus que David, alors qu'il aurait été engendré de la même semence et serait leur rejeton ? Et pourquoi eut-il déclaré Pierre bienheureux pour l'avoir reconnu comme « Fils du Dieu vivant » ? De plus, s'il avait été fils de Joseph, il n'aurait pu être ni roi ni héritier, d'après Jérémie. En effet, Joseph apparaît comme fils de Joachim et de Jéchonias selon la généalogie exposée par Matthieu. Or Jéchonias et tous ses descendants ont été exclus de la royauté, comme le montrent ces paroles de Jérémie « Par ma vie, dit le Seigneur, quand même Jéchonias, fils de Joachim, roi de Juda, serait un anneau à ma main droite, je t'en arracherai et te livrerai aux mains de ceux qui en veulent à ta vie. » Et encore «Jéchonias a été déshonoré, comme un vase dont on n'a pas besoin, car il a été expulsé dans une terre qu'il ne connaissait pas Terre, écoute la parole du Seigneur Inscris cet homme comme un homme rejeté, car nul de sa descendance ne grandira de manière à s'asseoir sur le trône de David et à devenir prince en Juda » Dieu dit encore au sujet de Joachim son père « C'est pourquoi ainsi a parlé le Seigneur au sujet de Joachim, roi de Juda. Aucun de ses descendants ne s'assoira sur le trône de David, et son cadavre sera jeté dehors à la chaleur du jour et au froid de la nuit, mon regard s'appesantira sur lui et sur ses enfants, je ferai venir sur eux, sur les habitants de Jérusalem et sur la terre de Juda tous les maux que j'ai annoncés à leur sujet » Ceux donc qui disent que le Seigneur a été engendré de Joseph et mettent leur espérance en lui s'excluent eux-mêmes du royaume, car ils tombent sous la malédiction et le châtiment qui frappent Jéchonias et sa descendance. Car si ces choses ont été dites de Jéchonias, c'est parce que l'Esprit, sachant d'avance ce que diraient un jour les faux docteurs, voulait faire comprendre que le Seigneur ne naîtrait pas de la semence de Jéchonias — autrement dit de Joseph —, mais que, selon la promesse de Dieu, c'est du « sein de David » que serait suscité le Roi éternel qui récapitulerait toutes choses en lui-même. 3. LA RÉCAPITULATION D'AD?? Le nouvel Adam : naissance virginale C'est donc aussi l'ouvrage modelé à l'origine qu'il a récapitulé en lui-même. En effet, de même que, par la désobéissance d'un seul homme, le péché a fait son entrée et que, par le péché, la mort a prévalu, de même, par l'obéissance d'un seul homme, la justice a été introduite et a produit des fruits de vie chez les hommes qui autrefois étaient morts. Et de même que ce premier homme modelé, Adam, a reçu sa substance d'une terre intacte et vierge encore — « car Dieu n'avait pas encore fait pleuvoir et l'homme n'avait pas encore travaillé la terre » — et qu'il a été modelé par la Main de Dieu, c'est-à-dire par le Verbe de Dieu — car « tout a été fait par son entremise », et : « Le Seigneur prit du limon de la terre et en modela l'homme» —, de même, récapitulant en lui-même Adam, lui, le Verbe, c'est de Marie encore Vierge qu'ajusté titre il a reçu cette génération qui est la récapitulation d'Adam. Si donc le premier Adam avait eu pour père un homme et était né d'une semence d'homme, ils auraient raison de dire que le second Adam a été aussi engendré de Joseph. Mais si le premier Adam a été pris de la terre et modelé par le Verbe de Dieu, il fallait que ce même Verbe, effectuant en lui-même la récapitulation d'Adam, possédât la similitude d'une génération identique. — Mais alors, objectera-t-on, pourquoi Dieu n'a-t-il pas pris de nouveau du limon et a-t-il fait sortir de Marie l'ouvrage qu'il modelait ? — Pour qu'il n'y eût pas un autre ouvrage modelé et que ce ne fût pas un autre ouvrage qui fût sauvé, mais que celui-là même fût récapitulé, du fait que serait sauvegardée la similitude en question. Le nouvel Adam : vraie naissance humaine Ils sont donc dans l'erreur ceux qui disent que le Christ n'a rien reçu de la Vierge, parlant de la sorte afin de rejeter l'héritage de la chair, mais rejetant du même coup la similitude. Si en effet Adam a reçu son modelage et sa substance de la terre par la main et l'art de Dieu, et si, de son côté, le Christ ne les a pas reçus de Marie par cet art de Dieu, on ne pourra plus dire que le Christ ait gardé la similitude de cet homme qui fut fait à l'image et à la ressemblance de Dieu, et l'Artisan apparaîtra comme manquant de suite, faute d'avoir un objet en lequel il puisse faire la preuve de son savoir-faire. Autant dire que le Christ ne s'est montré qu'en apparence, comme s'il était un homme alors qu'il ne l'était pas, et qu'il s'est fait homme sans rien prendre de l'homme ! Car s'il n'a pas reçu d'un être humain la substance de sa chair, il ne s'est fait ni homme ni Fils de l'homme. Et s'il ne s'est pas fait cela même que nous étions, peu importait qu'il peinât et souffrît ! Or nous sommes un corps tiré de la terre et une âme qui reçoit de Dieu l'Esprit : tout homme, quel qu'il soit, en conviendra. C'est donc cela même qu'est devenu le Verbe de Dieu, récapitulant en lui-même son propre ouvrage par lui modelé. Et c'est pourquoi il se proclame Fils de l'homme, et il déclare « bienheureux les doux, parce qu'ils posséderont la terre en héritage» De son côté, l'apôtre Paul dit ouvertement dans l'épître aux Galates « Dieu a envoyé son Fils, né d'une femme » Il dit encore dans l'épître aux Romains « touchant son Fils, qui est ne de la race de David selon la chair, qui a été constitué Fils de Dieu dans la puissance selon l'Esprit de sainteté en suite de sa résurrection d'entre les morts, Jésus-Christ notre Seigneur » S'il en eût été autrement, sa descente en Marie était elle-même superflue. Pourquoi serait-il descendu en elle, s'il ne devait rien recevoir d'elle. Au reste, s'il n'avait rien reçu de Marie, il n'eût pas pris les aliments tirés de la terre, par lesquels se nourrit le corps tiré de la terre, il n'eût pas, après avoir jeûné quarante jours comme Moïse et Elie, ressenti la faim, du fait que son corps réclamait sa nourriture, Jean, son disciple, n'aurait pas écrit de lui «Jésus, fatigué du voyage, était assis», David non plus n'aurait pas proclamé d'avance à son sujet « Ils ont encore ajouté à la douleur de mes blessures », il n'aurait pas pleuré sur Lazare, il n'aurait pas sué des gouttes de sang, il n'aurait pas dit « Mon âme est accablée de tristesse » , de son côté transpercé ne seraient pas sortis du sang et de l'eau. Ce sont là en effet autant de signes caractéristiques de la chair tirée de la terre, chair que le Seigneur a récapitulée en lui-même, sauvant ainsi son propre ouvrage par lui modelé Le nouvel Adam et la nouvelle Eve C'est pourquoi Luc présente une généalogie allant de la naissance de notre Seigneur à Adam et comportant soixante-douze générations il rattache de la sorte la fin au commencement et donne à entendre que le Seigneur est Celui qui a récapitulé en lui-même toutes les nations dispersées à partir d'Adam, toutes les langues et les générations des hommes, y compris Adam lui-même C'est aussi pour cela que Paul appelle Adam lui-même la « figure de Celui qui devait venir » car le Verbe, Artisan de l'univers, avait ébauché d'avance en Adam la future « économie » de l'humanité dont se revêtirait le Fils de Dieu, Dieu ayant établi en premier lieu l'homme psychique afin, de toute évidence, qu'il fût sauvé par l'Homme spirituel. En effet, puisqu'existait déjà Celui qui sauverait, il fallait que ce qui serait sauvé vînt aussi à l'existence, afin que ce Sauveur ne fût point sans raison d'être Parallèlement au Seigneur, on trouve aussi la Vierge Marie obéissante, lorsqu'elle dit « Voici ta servante, Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole ». Eve, au contraire, avait été désobéissante elle avait désobéi, alors qu'elle était encore vierge. Car, de même qu'Eve, ayant pour époux Adam, et cependant encore vierge — car « ils étaient nus tous les deux » dans le paradis « et n'en avaient point honte », parce que, créés peu auparavant, ils n'avaient pas de notion de la procréation il leur fallait d'abord grandir, et seulement ensuite se multiplier — de même donc qu'Eve, en désobéissant, devint cause de mort pour elle-même et pour tout le genre humain, de même Marie, ayant pour époux celui qui lui avait été destiné par avance, et cependant Vierge, devint, en obéissant, cause de salut pour elle-même et pour tout le genre humain. C'est pour cette raison que la Loi donne à celle qui est fiancée à un homme, bien qu'elle soit encore vierge, le nom d'« épouse» de celui qui l'a prise pour fiancée, signifiant de la sorte le retournement qui s'opère de Marie à Eve Car ce qui a été lié ne peut être délié que si l'on refait en sens inverse les boucles du nœud, en sorte que les premières boucles soient défaites grâce à des secondes et qu'inversement les secondes libèrent les premières : il se trouve de la sorte qu'un premier lien est dénoué par un second et que le second tient lieu de dénouement à l'égard du premier. C'est pourquoi le Seigneur disait que les premiers seraient les derniers, et les derniers les premiers. Le prophète, de son côté, indique la même chose, en disant : « Au lieu de pères qu'ils étaient, ils sont devenus tes fils. » Car le Seigneur, en devenant le Premier-né des morts et en recevant dans son sein les anciens pères, les a fait renaître à la vie de Dieu, devenant lui-même le principe des vivants parce qu'Adam était devenu le principe des morts. C'est pourquoi aussi Luc a commencé sa généalogie par le Seigneur, pour la faire remonter de celui-ci jusqu'à Adam, indiquant par là que ce ne sont pas les pères qui ont donné la vie au Seigneur, mais lui au contraire qui les a fait renaître dans l'Évangile de vie. Ainsi également le nœud de la désobéissance d'Eve a été dénoué par l'obéissance de Marie, car ce que la vierge Eve avait lié par son incrédulité, la Vierge Marie l'a délié par sa foi. Dieu ne pouvait abandonner définitivement Adam au pouvoir de la mort Il était donc indispensable que, venant vers la brebis perdue, récapitulant une si grande « économie » et recherchant son propre ouvrage par lui modelé, le Seigneur sauvât cet homme-là même qui avait été fait à son image et à sa ressemblance, c'est-à-dire Adam, lorsque celui-ci aurait accompli le temps de sa condamnation due à la désobéissance — ce temps que « le Père avait fixé en sa puissance», puisque toute l'« économie» du salut de l'homme se déroulait selon le bon plaisir du Père —, afin que Dieu ne fût pas vaincu et que son art ne fût point tenu en échec. Si en effet cet homme même que Dieu avait créé pour vivre, lésé par le serpent corrupteur, avait perdu la vie sans espoir de retour et s'était vu définitivement jeté dans la mort, Dieu eût été vaincu et la malice du serpent l'eût emporté sur la volonté de Dieu. Mais, parce que Dieu est invincible et longanime, il a commencé par user de longanimité, en permettant que l'homme tombe sous le coup d'une peine et fasse ainsi l'expérience de toutes les situations, ainsi que nous l'avons déjà dit; ensuite, par le « second Homme », il a ligoté le « fort », s'est emparé de ses meubles et a détruit la mort, en rendant la vie à l'homme que la mort avait frappé. Car le premier « meuble » tombé en la possession du « fort » avait été Adam, qu'il tenait sous son pouvoir pour l'avoir injustement précipité dans la transgression et, sous prétexte d'immortalité, lui avoir donné la mort : en leur promettant en effet qu'ils seraient comme des dieux, chose qui n'est aucunement en son pouvoir, il leur avait donné la mort. Aussi est-ce en toute justice qu'a été fait captif à son tour par Dieu celui qui avait fait l'homme captif, et qu'a été libéré des liens de la condamnation l'homme qui avait été fait captif. Or, à parler vrai, c'est d'Adam qu'il s'agit, car c'est lui cet homme modelé en premier lieu dont l'Écriture rapporte que Dieu dit : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. » Nous, nous sommes tous issus de lui et, parce que nous sommes issus de lui, nous avons hérité de son nom. Si donc l'homme est sauvé, il faut que soit sauvé l'homme qui a été modelé le premier. Il serait par trop déraisonnable, en effet, de prétendre que celui qui a été gravement lésé par l'ennemi et qui le premier a souffert la captivité n'a pas été délivré par Celui qui a vaincu l'ennemi, alors que seraient délivrés les fils qu'il a engendrés dans cette même captivité. Au surplus, l'ennemi n'apparaîtra même pas comme vaincu, si ses anciennes dépouilles demeurent auprès de lui. Supposons que des ennemis aient remporté une victoire sur certains hommes, les aient chargés de chaînes, emmenés en captivité et possédés en esclavage assez longtemps pour qu'ils aient eu des enfants ; supposons également que quelqu'un, affligé du sort de ces gens ainsi réduits en esclavage, vienne à triompher de ces mêmes ennemis : agira-t-il avec justice, s'il se contente de délivrer les fils des captifs du pouvoir de ceux qui ont réduit leurs pères en esclavage, et s'il laisse au pouvoir de leurs ennemis ceux-là mêmes qui ont subi la captivité et en faveur de qui précisément il a exercé la vengeance, — autrement dit si les fils recouvrent la liberté par suite de cette vengeance exercée en faveur de leurs pères, tandis que leurs pères, qui ont subi la captivité, sont abandonnés à leur sort ? Mais Dieu n'est ni impuissant ni injuste, lui qui est venu au secours de l'homme et l'a rétabli dans sa liberté. Miséricorde de Dieu envers Adam trompé et repentant Et c'est pourquoi au commencement, lors de la transgression d'Adam, Dieu, comme le rapporte l'Écriture, ne maudit pas Adam lui-même, mais la terre qu'il travaillerait . Comme le dit un des Anciens : « Dieu a transféré à la terre sa malédiction, pour que celle-ci ne demeure pas sur l'homme. » Pour prix de sa transgression, l'homme fut condamné à travailler péniblement la terre, à manger son pain à la sueur de son front et à retourner à cette terre d'où il avait été tiré ; de même la femme fut condamnée aux peines, aux fatigues, aux gémissements, aux douleurs de l'enfantement, à la servitude sous la domination de son mari : de la sorte, n'étant pas maudits par Dieu, ils ne périraient pas de façon définitive, et, d'autre part, ne restant pas impunis, ils ne pourraient mépriser Dieu. Par contre, toute la malédiction retomba sur le serpent qui les avait séduits : « Et Dieu dit au serpent : Parce que tu as fait cela, tu es maudit entre tous les animaux domestiques et toutes les bêtes sauvages de la terre. » C'est la même malédiction que le Seigneur adresse dans l'Évangile à ceux qui se trouveront à sa gauche : « Allez, maudits, au feu éternel que mon Père a préparé pour le diable et ses anges. » Il indique par là que le feu éternel n'a pas été préparé principalement pour l'homme, mais pour celui qui a séduit et fait pécher l'homme et qui est l'initiateur de l'apostasie, ainsi que pour les anges qui sont devenus apostats avec lui ; c'est ce même feu que subiront aussi en toute justice ceux qui, à l'instar de ces anges, dans l'impénitence et l'obstination, auront persévéré dans les œuvres mauvaises. Ce fut le cas de Caïn. Quoiqu'il eût reçu de Dieu le conseil de « se calmer », parce qu'il ne « partageait pas correctement » la communion à l'égard de son frère, mais s'imaginait pouvoir «dominer» sur lui par la jalousie et la méchanceté, bien loin de se calmer, il accumula péché sur péché, en manifestant ses dispositions par ses actes. Car ce qu'il avait conçu en son esprit, il l'exécuta : il « domina » sur son frère et le « tua », Dieu soumettant ainsi « le juste » à l'injuste pour que la justice du premier éclatât dans sa « passion » et que l'injustice du second se démasquât dans son péché. Et même ainsi il ne s'adoucit pas ni ne « se calma » à la suite de son méfait, mais, comme Dieu lui demandait où était son frère : «Je ne sais, dit-il; suis-je donc le gardien de mon frère ?» Il étendait et multipliait sa faute par cette réponse. Car, s'il était mal de tuer son frère, il était encore beaucoup plus mal de répondre avec une telle audace et une telle effronterie au Dieu qui sait toutes choses. Comme s'il avait eu le pouvoir de le tromper ! C'est pourquoi aussi Caïn a porté la malédiction, parce qu'il avait, de lui-même, apporté le péché, sans éprouver ensuite aucune crainte de Dieu ni aucune confusion pour son fratricide. Dans le cas d'Adam, rien de tel, bien au contraire. C'est en effet par un autre qu'il a été séduit, sous prétexte d'immortalité ; et aussitôt il est saisi de crainte et il se cache, non avec le sentiment qu'il pourrait échapper à Dieu, mais rempli de confusion à la pensée qu'après avoir transgressé le précepte de Dieu il n'est plus digne de paraître en sa présence et de converser avec lui. Or « la crainte du Seigneur est le commencement de l'intelligence», et l'intelligence de la transgression engendre le repentir, et à ceux qui se repentent Dieu dispense sa bonté. De fait, par la ceinture qu'il se fit, Adam montra son repentir, car c'est de feuilles de figuier qu'il se couvrit, alors qu'il existait bien d'autres feuilles qui eussent moins molesté son corps ; il se fit ainsi un vêtement accordé à sa désobéissance, parce qu'il était terrifié par la crainte de Dieu; pour réprimer l'ardeur pétulante de sa chair — car il avait perdu son esprit ingénu et enfantin et il en était venu à la pensée du mal —, il s'entoura, lui et son épouse, d'un frein de continence, dans la crainte de Dieu et dans l'attente de sa venue, comme s'il eût voulu dire : « Puisque, cette robe de sainteté que j'avais reçue de l'Esprit, je l'ai perdue par ma désobéissance, je reconnais maintenant que je mérite un tel vêtement, qui n'apporte au corps aucune jouissance, mais qui le pique au contraire et le déchire. » Et sans doute eut-il gardé toujours ce vêtement, pour s'humilier lui-même, si le Seigneur, qui est miséricordieux, ne les avait revêtus de tuniques de peaux à la place des feuilles de figuier. C'est aussi pourquoi Dieu les interroge, afin que l'accusation se porte sur la femme ; puis il interroge derechef celle-ci, pour qu'elle détourne l'accusation sur le serpent. Elle dit en effet ce qui s'était passé : « Le serpent m'a séduite, et j'ai mangé. » Quant au serpent, Dieu ne l'interrogea pas : il savait qu'il avait été l'instigateur de la transgression. Mais il fit d'abord tomber sa malédiction sur lui, pour en venir ensuite seulement au châtiment de l'homme : car Dieu eut de la haine pour celui qui avait séduit l'homme, tandis que, pour l'homme qui avait été séduit, il éprouva peu à peu de la pitié. Et c'est aussi pour ce motif qu'il le chassa du paradis et qu'il le transféra loin de l'arbre de vie : non qu'il lui refusât par jalousie cet arbre de vie, comme d'aucuns ont l'audace de le dire, mais il le fît par pitié, pour que l'homme ne demeurât pas à jamais transgresseur, que le péché qui était en lui ne fût pas immortel et que le mal ne fût pas sans fin ni incurable. Il arrêta ainsi la transgression de l'homme, interposant la mort et faisant cesser le péché, lui assignant un terme par la dissolution de la chair qui se ferait dans la terre, afin que l'homme, cessant enfin de vivre au péché et mourant à ce péché, commençât à vivre pour Dieu. C'est pourquoi Dieu a mis une inimitié entre le serpent, d'une part, et la femme avec sa postérité, d'autre part, de telle sorte que les deux parties s'observent mutuellement, l'une étant mordue au talon, mais ayant assez de force pour fouler aux pieds la tête de l'ennemi, l'autre mordant, tuant et entravant la marche de l'homme, «jusqu'à ce que fût venue la postérité » destinée d'avance à fouler aux pieds la tête du serpent, c'est-à-dire le Fruit de l'enfantement de Marie. C'est de lui que le prophète a dit : « Tu marcheras sur l'aspic et le basilic, tu fouleras aux pieds le lion et le dragon. » Ce texte signifiait que le péché, qui se dressait et se déployait contre l'homme, qui éteignait en lui la vie, serait détruit, et avec lui l'empire de la mort, que serait foulé aux pieds par la « postérité » de la femme, dans les derniers temps, le lion qui doit assaillir le genre humain, c'est-à-dire l'Antéchrist, et enfin que « le dragon, l'antique serpent», serait enchaîné et soumis au pouvoir de l'homme jadis vaincu, pour que celui-ci foule aux pieds toute sa puissance. Or, celui qui avait été vaincu, c'était Adam, lorsque toute vie lui avait été ôtée; c'est pourquoi, l'ennemi ayant été vaincu à son tour, Adam a recouvré la vie, car « le dernier ennemi qui sera anéanti, c'est la mort », qui avait d'abord tenu l'homme sous son pouvoir. C'est pourquoi, lorsque l'homme aura été libéré, « se réalisera ce qui est écrit : La mort a été engloutie dans la victoire. Où est-elle, ô mort, ta victoire ? Où est-il, ô mort, ton aiguillon ? » Cela ne pourra être dit légitimement, si celui-là même sur qui la mort a dominé en premier lieu n'a pas été libéré, car le salut de cet homme est la destruction de la mort. Ainsi donc, puisque le Seigneur a vivifié l'homme, c'est-à-dire Adam, la mort a bien été détruite. Erreur de Tatien Ils mentent donc, tous ceux qui s'inscrivent en faux contre le salut d'Adam. Ils s'excluent eux-mêmes absolument de la vie, du fait qu'ils ne croient pas retrouvée la brebis qui était perdue : car, si elle n'est pas retrouvée, toute la race humaine est encore au pouvoir de la perdition. Menteur donc celui qui a le premier introduit cette opinion, ou plutôt cette ignorance et cet aveuglement, à savoir Tatien. Devenu le point de rencontre de toutes les hérésies, comme nous l'avons montré, il a inventé de lui-même ce dernier trait : en ajoutant ainsi aux autres quelque chose de neuf, il voulait, par des paroles vides de sens, se préparer des auditeurs vides de foi ! Cherchant à se faire passer pour un maître, il tentait quelquefois d'exploiter des mots de ce genre fréquents chez Paul : « En Adam, nous mourons tous », mais il ignorait que, « là où le péché a abondé, la grâce a surabondé ». Ce point étant clairement démontré, que rougissent donc tous ces disciples de Tatien qui se déchaînent contre Adam, comme s'ils avaient beaucoup à gagner à sa perte, alors que celle-ci ne leur est d'aucun profit ! Car, de même que le serpent n'a tiré aucun profit de la séduction de l'homme, si ce n'est de s'être révélé lui-même comme transgresseur, pour avoir eu l'homme comme origine et point de départ de sa propre apostasie, et qu'il n'a pas vaincu Dieu : de même ceux qui nient le salut d'Adam n'en tirent aucun profit, si ce n'est de se rendre eux-mêmes hérétiques et apostats à l'égard de la vérité et de se révéler comme les avocats du serpent et de la mort. CONCLUSION MALHEUR DE CEUX QUI REJETTENT LA PRÉDICATION DE L'EGLISE En s'excluant de l'Église, les hérétiques se sont exclus de l'Esprit de Vérité Ainsi sont démasqués tous ceux qui introduisent des doctrines impies sur Celui qui nous a faits et modelés, qui a créé ce monde et au-dessus duquel il n'est point d'autre Dieu ; ainsi sont également réfutés, par des preuves en due forme, ceux qui enseignent des faussetés au sujet de l'être de notre Seigneur et au sujet de l'« économie» qu'il a accomplie à cause de l'homme, sa créature. A l'inverse, la prédication de l'Eglise présente à tous égards une inébranlable solidité, demeure identique à elle-même et bénéficie, ainsi que nous l'avons montré, du témoignage des prophètes, des apôtres et de tous leurs disciples, témoignage qui englobe « le commencement, le milieu et la fin », bref la totalité de l'« économie» de Dieu et de son opération infailliblement ordonnée au salut de l'homme et fondant notre foi. Dès lors, cette foi, que nous avons reçue de l'Eglise, nous la gardons avec soin, car sans cesse, sous l'action de l'Esprit de Dieu, telle un dépôt de grand prix renfermé dans un vase excellent, elle rajeunit et fait rajeunir le vase même qui la contient. C'est à l'Eglise elle-même, en effet, qu'a été confié le « Don de Dieu », comme l'avait été le souffle à l'ouvrage modelé, afin que tous les membres puissent y avoir part et être par là vivifiés ; c'est en elle qu'a été déposée la communion avec le Christ, c'est-à-dire l'Esprit Saint, arrhes de l'incorruptibilité, confirmation de notre foi et échelle de notre ascension vers Dieu : car «dans l'Eglise, est-il dit, Dieu a placé des apôtres, des prophètes, des docteurs » et tout le reste de l'opération de l'Esprit. De cet Esprit s'excluent donc tous ceux qui, refusant d'accourir à l'Eglise, se privent eux-mêmes de la vie par leurs doctrines fausses et leurs actions dépravées. Car là où est l'Eglise, là est aussi l'Esprit de Dieu ; et là où est l'Esprit de Dieu, là est l'Eglise et toute grâce. Et l'Esprit est Vérité. C'est pourquoi ceux qui s'excluent de lui ne se nourrissent pas non plus aux mamelles de leur Mère en vue de la vie et n'ont point part à la source limpide qui coule du corps du Christ, mais « ils se creusent des citernes crevassées » faites de trous de terre et boivent l'eau fétide d'un bourbier : ils fuient la foi de l'Église de crainte d'être démasqués, et ils rejettent l'Esprit pour n'être pas instruits. Devenus étrangers à la vérité, il est fatal qu'ils roulent dans toute erreur et soient ballottés par elle, qu'ils pensent diversement sur les mêmes sujets suivant les moments et n'aient jamais de doctrine fermement établie, puisqu'ils veulent être sophistes de mots plutôt que disciples de la vérité. Car ils ne sont pas fondés sur le Roc unique, mais sur le sable, un sable qui renferme des pierres multiples. Inanité d'un Dieu qui n'exercerait pas sa Providence sur le monde Et c'est bien pourquoi ils fabriquent des Dieux multiples. Ils donnent sans cesse comme excuse qu'ils cherchent — ils sont aveugles, en effet ! —, mais ils ne peuvent jamais trouver, et pour cause, car ils blasphèment leur Créateur, c'est-à-dire le vrai Dieu, Celui qui donne de pouvoir trouver : ils s'imaginent avoir trouvé au-dessus de lui un autre Dieu, ou un autre Plérôme, ou une autre « économie » ! C'est pourquoi la lumière qui vient de Dieu ne luit pas pour eux, car ils ont déshonoré et méprisé Dieu, le tenant pour minime parce que, dans son amour et sa surabondante bonté, il est venu en la connaissance des hommes — connaissance qui n'est d'ailleurs pas selon sa grandeur ni selon sa substance, car personne ne l'a mesuré ni palpé, mais connaissance nous permettant de savoir que Celui qui nous a faits et modelés, qui a insufflé en nous un souffle de vie et qui nous nourrit par la création, ayant tout affermi par son Verbe et tout coordonné par sa Sagesse, Celui-là est le seul vrai Dieu —. Ils ont donc imaginé, au-dessus de ce Dieu, un Dieu qui n'est pas, pour paraître avoir trouvé un grand Dieu que personne ne peut connaître, qui ne communique pas avec le genre humain et n'administre pas les affaires terrestres : c'est à coup sûr le Dieu d'Epicure qu'ils ont ainsi trouvé, un Dieu qui ne sert à rien, ni pour lui-même, ni pour les autres, bref un Dieu sans Providence. Mais en fait Dieu prend soin de toutes choses, et c'est pourquoi il donne des conseils ; donnant des conseils, il est présent à ceux qui prennent soin de leur conduite. Les êtres bénéficiant de sa Providence et de son gouvernement connaissent donc nécessairement Celui qui les dirige, du moins ceux qui ne sont pas déraisonnables ni frivoles, mais qui perçoivent cette Providence de Dieu. Et c'est pourquoi quelques-uns d'entre les païens, moins esclaves des séductions et des plaisirs et moins emportés par la superstition des idoles, si faiblement qu'ils aient été mus par la Providence, n'en ont pas moins été amenés à dire que l'Auteur de cet univers est un Père qui prend soin de toutes choses et administre notre monde. Inanité d'un Dieu qui serait bon sans être en même temps juste Par ailleurs, afin d'ôter au Père le pouvoir de reprendre et de juger — car ils estiment que cela est indigne de Dieu et ils croient avoir trouvé un Dieu exempt de colère et bon —, ils distinguent un Dieu qui juge et un autre qui sauve, sans s'apercevoir qu'ils enlèvent ainsi toute intelligence et toute justice à l'un comme à l'autre. En effet, s'il est justicier, mais sans être en même temps bon pour pardonner à ceux à qui il le doit et ne reprendre que ceux qui le méritent, il apparaîtra comme un juge sans justice ni sagesse; à l'inverse, s'il n'est que bon sans être aussi l'examinateur de ceux qu'il veut faire bénéficier de sa bonté, il sera en dehors de la justice comme de la bonté, et cette bonté même apparaîtra comme impuissante en ne sauvant pas tous les hommes, si elle s'exerce sans un jugement. Par conséquent Marcion, qui divise Dieu en deux et distingue un Dieu bon d'un Dieu justicier, supprime Dieu de part et d'autre. Si en effet le Dieu justicier n'est pas également bon, il n'est pas Dieu, car il n'y a pas de Dieu sans bonté ; à l'inverse, si le Dieu bon n'est pas également justicier, il subira le même sort que le premier et se verra soustraire la qualité de Dieu. D'ailleurs, comment peuvent-ils déclarer sage le Père de toutes choses, s'ils ne lui attribuent pas aussi le pouvoir de juger ? Car, s'il est sage, il est aussi examinateur; or un examinateur ne se conçoit pas sans le pouvoir de juger, et ce pouvoir requiert la justice pour que l'examen se fasse d'une manière juste; ainsi la justice appelle le jugement, et le jugement à son tour, lorsqu'il est fait avec justice, fait remonter à la sagesse. Si donc le Père de toutes choses l'emporte en sagesse sur toute sagesse humaine et angélique, c'est précisément parce qu'il est le Seigneur, le juste Juge et le Maître de tous. Mais il est également miséricordieux, bon et patient, et il sauve ceux qu'il convient. De la sorte, ni la bonté ne lui manque du fait de la justice, ni la sagesse n'est diminuée pour autant, car il sauve ceux qu'il doit sauver et juge ceux qui méritent d'être jugés ; et cette justice n'apparaît pas cruelle, précédée et prévenue qu'elle est par la bonté. Ainsi donc Dieu qui, avec bonté, fait lever son soleil sur tous et fait pleuvoir sur les justes et les injustes jugera ceux qui, ayant bénéficié à titre égal de sa bonté, n'auront pas pareillement vécu d'une manière digne du don reçu, mais se seront adonnés aux voluptés et aux passions charnelles, se dressant contre sa bonté et allant même jusqu'à blasphémer Celui qui les a comblés de si grands bienfaits. Plus religieux qu'eux apparaît Platon, qui a confessé un même Dieu à la fois juste et bon, ayant pouvoir sur toutes choses et faisant lui-même le jugement. Voici ses paroles : « Dieu, d'après une antique tradition, tenant le commencement, la fin et le milieu de toutes choses, va droit à son but, dans une marche conforme à sa nature ; il est sans cesse accompagné de la justice, qui venge les infractions faites à la loi divine. » Ailleurs il montre dans l'Auteur et le Créateur de cet univers un être bon : « En Celui qui est bon, dit-il, ne naît jamais nulle envie au sujet de quoi que ce soit. » Il pose ainsi comme principe et comme cause de la création du monde la bonté de Dieu, — et non assurément une ignorance, ni un Eon égaré, ni un fruit de déchéance, ni une Mère pleurant et se lamentant, ni un autre Dieu ou un autre Père. C'est à bon droit que leur Mère les pleure, les inventeurs de pareilles fables, car ils ont parfaitement menti contre leurs propres têtes. Leur Mère, disent-ils, est hors du Plérôme : de fait, elle est hors de la connaissance de Dieu. La collection de ses rejetons n'a été qu'un avorton sans forme ni figure : de fait, il n'a rien saisi de la vérité. Leur Mère est tombée dans le vide et l'ombre : de fait, leur doctrine n'est que vide et ténèbres. La Limite n'a pas permis à leur Mère d'entrer dans le Plérôme : de fait, l'Esprit ne les a pas reçus dans le lieu du rafraîchissement, car leur Père, en engendrant l'ignorance, a opéré en eux des passions de mort. Ce n'est point là calomnie de notre part ; ce sont eux qui l'affirment, eux qui l'enseignent; ils se glorifient de ces choses mêmes ; ils s'enorgueillissent de leur Mère, qu'ils disent engendrée « sans Père » — c'est-à-dire sans Dieu —, « Femme issue de Femme » — c'est-à-dire corruption issue d'erreur — ! Quant à nous, nous prions pour qu'ils ne demeurent pas dans la fosse qu'ils se sont creusée eux-mêmes, mais qu'ils se séparent d'une telle Mère, qu'ils sortent de l'Abîme, qu'ils quittent le vide et qu'ils abandonnent l'ombre; qu'ils soient engendrés comme des enfants légitimes en « se convertissant » à l'Église de Dieu ; que le Christ « soit formé » en eux ; qu'ils « connaissent » le Créateur et l'Auteur de cet univers, seul vrai Dieu et Seigneur de toutes choses. Telle est la prière que nous faisons pour eux : nous les aimons de la sorte plus efficacement qu'ils ne croient s'aimer eux-mêmes. Car notre amour, parce qu'il est vrai, leur est salutaire, si du moins ils veulent l'accepter. Il ressemble au remède austère qui ronge les chairs étrangères et superflues formées sur la blessure : il évacue leur orgueil et leur enflure. C'est pourquoi nous tenterons, de toutes nos forces et sans nous lasser, de leur tendre la main. Nous remettons au prochain livre le soin d'apporter les paroles du Seigneur pour compléter ce qui vient d'être dit, avec l'espoir que plusieurs d'entre eux, lorsqu'ils auront été réfutés par l'enseignement même du Christ, se laisseront persuader de quitter une telle erreur et de renoncer à ce blasphème proféré contre leur Créateur, qui est tout à la fois le seul Dieu et le Père de notre Seigneur Jésus-Christ. Amen.