[0] DE LA NATURE DE L'HOMME. [1] L'auditeur habituel de ceux qui, dissertant sur la nature humaine, vont au delà de ses rapports avec la médecine, n'a aucun intérêt à entendre ce discours que je commence. Je dis en effet que l'homme n'est absolument ni air, ni feu, ni eau, ni terre, ni telle autre substance dont l'existence n'est pas manifeste dans le corps. Mais laissons dire là-dessus ce que l'on veut; toutefois ceux qui soutiennent de telles opinions ne me paraissent pas avoir des notions positives. Ils ont tous même idée, mais n'arrivent pas au même terme et n'en tiennent pas moins même raisonnement. Ils disent que ce qui est est un, étant à la fois l'un et le tout; mais ils cessent de s'entendre sur les noms : suivant l'un l'air est à la fois l'un et le tout, suivant I'autre c'est le feu, suivant un autre l'eau, suivant un autre la terre, et chacun appuie son raisonnement de témoignages et d'arguments qui sont sans valeur. Or, ayant tous même idée, mais n'arrivant pas au même terme, il est évident qu'ils n'ont pas non plus une notion positive. On s'en convaincrait surtout en assistant à leur controverse; car lorsque les mêmes argumentants dissertent devant les mêmes auditeurs, jamais le même n'est trois fois de suite victorieux dans son argumentation; mais tantôt l'un triomphe, tantôt l'autre, tantôt celui qui se trouve avoir le débit le plus facile devant la foule. Cependant on est en droit d'exiger de celui qui prétend avoir des notions positives sur les choses, qu'il fasse toujours triompher son argumentation, s'il s'appuie sur des réalités et s'il sait s'expliquer. Mais ces gens me semblent, par malhabileté, se réfuter eux-mêmes dans les termes mêmes de leur argumentation, et mettre sur pied le système de Mélissus. [2] Au reste, là-dessus je n'en dirai pas davantage. Quand aux médecins, suivant les uns l'homme n'est que sang, suivant les autres que bile, suivant d'autres que pituite ; et eux aussi tiennent tous le même raisonnement. Ils prétendent, en effet, qu'il y a une substance unique (choisie et dénommée arbitrairement par chacun d'eux), et que cette substance unique change d'apparence et de propriété sous l'influence du chaud et du froid, devenant de la sorte douce, amère, blanche, noire, et tout le reste. A mon avis, cela non plus n'est point ainsi. En opposition à ces opinions et à d'autres très-voisines que la plupart soutiennent, moi je dis que, si l'homme était un, jamais il ne souffrirait ; car où serait, pour cet être simple, la cause de souffrance? Admettant même qu'il souffrît, il faudrait que le remède fut un aussi. Or, les remèdes sont multiples. Il y a, en effet, dans le corps beaucoup de substances qui, s'échauffant et se refroidissant, se desséchant et s'humectant l'une l'autre contre nature, produisent des maladies ; d'où il suit qu'il y a beaucoup de formes de maladies et en même temps beaucoup de traitements pour ces formes ; suivant moi, soutenir que l'homme n'est que sang et rien autre chose, oblige à montrer qu'il ne change pas de forme ni ne prend toutes sortes de qualités, et à signaler une époque, soit dans l'année, soit dans l'âge, où le sang seul paraisse existant; car il faut bien qu'il y ait au moins une époque où cette humeur se fasse voir exclusivement. Mon objection est la même contre ceux qui prétendent que l'homme n'est que bile ou pituite. Quant à moi, les principes que je dirai constituer l'homme et dans le langage habituel et dans la nature, je montrerai qu'ils sont constamment et identiquement les mêmes, et dans la jeunesse, et dans la vieillesse, et dans la saison froide, et dans la chaude; je donnerai les signes et dévoilerai les nécessités de l'accroissement et de la diminution de chaque principe dans le corps. [3] D'abord la génération ne peut se faire par un seul individu. Comment, en effet, un être unique engendrerait-il, sans s'unir à quelque autre? De plus, à moins que l'union ne soit d'êtres de même race et de même vertu, la génération ne se fait pas, et notre industrie même ne réussit pas à la procurer. D'autre part, si le chaud avec le froid, et le sec avec l'humide ne se correspondent pas avec modération et égalité, mais si l'un l'emporte de beaucoup sur l'autre, et le plus fort sur le plus faible, la génération ne s'effectue pas. De la sorte, comment pourrait-il y avoir génération par un seul être, puisqu'il n'y en a pas même par l'entremise de plusieurs, à moins qu'il ne se trouve entre eux la correspondance d'un juste tempérament? Puisque telle est la nature de tous les animaux et de l'homme en particulier, nécessairement l'homme n'est pas un, et chacun des principes qui concourent à la génération garde dans le corps la puissance suivant laquelle il y a concouru; nécessairement aussi chaque principe retourne à sa nature propre lorsque finit le corps humain, l'humide allant à l'humide, le sec au sec, le chaud au chaud et le froid au froid. Telle est aussi la nature des animaux et de toute chose ; tout naît semblablement, et tout finit semblablement. Car la nature de tout est constituée par la combinaison de ces principes nommés plus haut, et d'après ce qui a été dit, elle y aboutit, retournant là d'où est venu chaque être composé. [4] Le corps de l'homme a en lui sang, pituite, bile jaune et noire; c'est là ce qui en constitue la nature et ce qui y crée la maladie et la santé. Il y a essentiellement santé quand ces principes sont dans un juste rapport de crase, de force et de quantité, et que le mélange en est parfait; il y a maladie quand un de ces principes est soit en défaut soit en excès, ou, s'isolant dans le corps, n'est pas combiné avec tout le reste. Nécessairement, en effet, quand un de ces principes s'isole et cesse de se subordonner, non seulement le lieu qu'il a quitté s'affecte, mais celui où il s'épanche s'engorge et cause douleur et travail. Si quelque humeur flue hors du corps plus que ne le veut la surabondance, cette évacuation engendre la souffrance. Si, au contraire, c'est en dedans que se font l'évacuation, la métastase, la séparation d'avec les autres humeurs, on a fort à craindre, suivant ce qui a été dit, une double souffrance, savoir au lieu quitté et au lieu engorgé. [5] J'ai promis de démontrer que les principes qui constituent l'homme suivant moi, sont toujours les mêmes, et dans le langage reçu, et dans la nature; or, je dis que ce sont le sang, la pituite, et la bile jaune et noire. Et d'abord, remarquons-le, dans l'usage ces humeurs ont des noms distincts qui ne se confondent pas ; ensuite, dans la nature, les apparences n'en sont pas moins diverses, et ni la pituite ne ressemble au sang, ni le sang à la bile, ni la bile à la pituite. En effet, quelle similitude y aurait-il entre des substances qui ne présentent ni la même couleur à la vue, ni la même sensation au toucher, n'étant ni chaudes, ni froides, ni sèches, ni humides de la même manière? Il faut donc, avec une telle dissemblance d'apparence et de propriétés, qu'elles ne soient pas identiques, s'il est vrai que le feu et l'eau ne sont pas une seule et même substance. On peut se convaincre qu'elles ne sont pas en effet identiques, mais que chacune a une vertu et une nature particulière : donnez à un homme un médicament phlegmagogue, il vomit de la pituite: un médicament cholagogue, il vomit de la bile ; de même de la bile noire est évacuée si vous administrez un médicament qui agisse sur la bile noire ; enfin, blessez quelque point du corps de manière à faire une plaie, du sang s'écoulera. Et cela se produira devant vous chaque jour et chaque nuit, l'hiver comme l'été, tant que l'homme pourra attirer en lui le souffle et le renvoyer; il le pourra jusqu'à ce qu'il soit privé de quelqu'une des choses congénitales. Or, ces principes que j'ai dénommés sont congénitaux. Comment, en effet, ne le seraient-ils pas? D'abord, l'homme les a évidemment en lui sans interruption tant qu'il vit ; puis il est né d'un être humain les ayant tous, et il a été nourri dans un ètre humain les ayant tous aussi, à savoir ces principes qu'ici je nomme et démontre. [6] Les partisans de l'unité de l'homme me paraissent être guidés par cette opinion–ci : voyant ceux qui, prenant un médicament évacuant, périssent dans les superpurgations, vomir les uns de la bile, les autres du phlegme, ils ont pensé que l'homme était respectivement constitué par l'humeur que devant leurs yeux il rendait en mourant. Et ceux qui prétendent que l'homme est sang, n'ont pas non plus une autre opinion : voyant le sang couler hors du corps des individus égorgés, ils font de ce liquide l'âme de l'homme. Tels sont les témoignages dont tous se servent dans leurs argumentations. Mais d'abord dans les superpurgations personne jamais n'est mort n'ayant rendu que de la bile; ce qui arrive alors après l'administration d'un médicament cholagogue, c'est qu'on vomit en premier de la bile, ensuite de la pituite, puis de la bile noire par la violence du remède, enfin du sang pur. Les mêmes accidents se manifestent avec les médicaments phlegmagogues : on vomit d'abord de la pituite, puis de la bile jaune, puis de la noire, enfin du sang pur, et alors on meurt; car le médicament, une fois introduit dans le corps, commence par entraîner ce qui y est le plus conforme à sa nature, puis attire et évacue le reste. Les boutures et les graines mises en terre attirent ce qui dans le sol est le plus conforme à la nature de chacune ; le sol contient, en effet, des substances acides, amères, douces, salées et de toutes sortes ; parmi tout cela ic végétal absorbe en lui ce qui lui est le plus conforme, puis il attire aussi le reste. C'est une action analogue que les médicaments évacuants exercent dans le corps; les cholagogues évacuent d'abord la bile la plus pure, puis une bile mélangée ; de même les phlegmagogues expulsent d'abord la pituite la plus pure, puis une pituite mélangée; et chez les individus égorgés le sang coule d'abord le plus chaud et le plus rouge, puis il coule plus pituiteux et plus bilieux. [7] La pituite augmente chez l'homme pendant l'hiver; car, étant la plus froide de toutes les humeurs du corps, c'est celle qui est la plus conforme à cette saison. Si vous voulez vous convaincre qu'elle est la plus froide, touchez de la pituite, de la bile et du sang, et vous trouverez que la première est plus froide que les deux autres ; cependant elle a beaucoup de viscosité, et après la bile noire c'est l'humeur dont l'expulsion exige le plus de force; or, ce qui est expulsé avec force s'échauffe par la violence même de l'effort; et pourtant, malgré toutes ces conditions, la pituite se montre la plus froide en vertu de sa nature propre. L'influence de l'hiver sur l'augmentation de la pituite dans le corps, vous la reconnaîtrez aux signes suivants : c'est dans cette saison qu'on crache et qu'on mouche le plus de pituite et que surviennent de préférence les leucophlegmasies et les autres maladies pituiteuses, Au printemps, la pituite conserve encore de la puissance, et le sang s'accroît; le froid se relâche, les pluies arrivent, et le sang prévaut sous l'influence de l'eau qui tombe et des journées qui s'échauffent; ce sont les conditions de l'année qui sont le plus conformes à sa nature, car le printemps est humide et chaud. Faites, en effet, attention à ces circonstances : c'est au printemps et en été qu'il y a surtout des attaques de dysenterie, que des hémorrhagies se font par les narines et que le corps est rouge et le plus chaud. En été, le sang a encore de la force, mais la bile se met en mouvement dans le corps, et elle se fait sentir jusque dans l'automne. Le sang diminue dans cette dernière saison, qui lui est contraire, mais la bile domine dans le corps en été et en automne; vous en aurez pour preuves les vomissements spontanés de bile qui se font à cette époque, les évacuations éminemment bilieuses que provoquent les cathartiques, et aussi le caractère des fièvres et la coloration de la peau. La pituite est au minimum dans l'été, saison qui, étant sèche et chaude, lui est naturellement contraire. Le sang est au minimum en automne, saison sèche et qui déjà commence à refroidir le corps humain; mais c'est alors que la bile noire surabonde et prédomine. Quand l'hiver revient, d'une part la bile refroidie décroît, d'autre part la pituite augmente derechef par l'abondance des pluies et la longueur des nuits. Donc toutes ces humeurs existent constamment dans le corps humain; seulement elles y sont, par l'influence de la saison actuelle, tantôt en plus grande, tantôt en moindre quantité, chacune selon sa proportion et selon sa nature. L'année ne manque en aucune saison d'aucun des principes, chaud, froid, sec, humide; nul, en effet, de ces principes ne subsisterait un seul instant sans la totalité des choses existant dans ce monde, et, si un seul venait à faire défaut, tous disparaîtraient; car, en vertu d'une seule et même nécessité, tous sont maintenus et alimentés l'un par l'autre. De même dans l'homme, si manquait une des humeurs congénitales, la vie ne pourrait continuer. Dans l'année règnent tantôt l'hiver, tantôt le printemps, tantôt l'été, tantôt l'automne ; semblablement dans l'homme prévalent tantôt la pituite, tantôt le sang, tantôt la bile, d'abord celle qu'on nomme jaune, puis celle qu'on nomme noire. Vous en avez la preuve la plus manifeste en donnant à la même personne le même évacuant quatre fois dans l'année : en hiver le vomissement est le plus pituiteux, au printemps le plus aqueux, en été le plus bilieux, en automne le plus noir. [8] Les maladies engendrées au printemps, on en attendra la solution à l'automne; les maladies automnales, le printemps en amènera forcément la guérison. Mais pour toutes celles qui dépasseront ces limites, sachez qu'elles seront annuelles. Le médecin, de son côté, doit traiter les maladies en se souvenant que chacune prévaut dans le corps suivant la saison qui lui est le plus conforme. [9] Outre cette notion, il faut encore être instruit que les maladies dues à la plénitude se guérissent par l'évacuation ; dues à l'évacuation, par la plénitude ; dues à l'exercice, par le repos ; dues à l'oisiveté, par l'exercice. Pour résumer toute notion, le médecin doit combattre le caractère constitutionnel des maladies, des complexions, des âges, et relâcher ce qui est resserré, ainsi que resserrer ce qui est relâché ; de la sorte, la partie souffrante sera le plus en repos; c'est en quoi me paraît surtout consister le traitement. Les maladies proviennent les unes du régime, les autres de l'air, dont l'inspiration nous fait vivre. On distinguera ainsi ces deux séries : quand un grand nombre d'hommes sont saisis en même temps d'une mème maladie, la cause en doit être attribuée à ce qui est le plus commun, à ce qui sert le plus à tous ; or, cela, c'est l'air que nous respirons. Évidemment, en effet, on ne peut imputer au régime suivi par chacun de nous une maladie qui attaque sans interruption tout le monde, les jeunes comme les vieux, les hommes comme les femmes, ceux qui boivent du vin et ceux qui boivent de l'eau, ceux qui mangent de la pâte d'orge et ceux qui mangent du pain, ceux qui font beaucoup d'exercice et ceux qui en font peu. Certes la cause ne gît pas dans le régime, puisque des sujets suivant les régimes les plus divers sont saisis de la même maladie. Mais quand les maladies sont de toutes sortes dans le même temps, manifestement alors elles sont respectivement imputables au régime de chacun ; et il faut diriger le traitement contre la cause, comme je l'ai dit aussi ailleurs, et changer le régime ; car, on le voit, celui que le sujet suit habituellement, lui est mauvais ou complétement ou en grande partie, ou du moins en un point. La chose ainsi déterminée, on fera le changement ; tenant compte de la nature du malade, de son âge, de sa complexion, de la saison de l'année et du caractère de la maladie, on dirigera le traitement ; et tantôt retranchant, tantôt ajoutant, comme il a déjà été dit par moi depuis longtemps, on combattra chacune des conditions de l'âge, de la saison, de la complexion, de la maladie, et par les remèdes et par le régime. Mais au temps où une maladie règne épidémiquement, il est clair que la cause en est non dans le régime, mais dans l'air que nous respirons et qui laisse échapper quelque exhalaison morbifique contenue en lui. Voici les conseils qu'il faut alors donner : ne pas changer le régime, puisqu'il n'est pour rien dans la maladie, mais réduire le corps au moindre embonpoint et à la plus grande atténuation en diminuant peu à peu la quantité habituelle des aliments et des boissons (peu à peu, car avec un changement subit il y aurait à craindre quelque perturbation dans le corps, et il faut user, en l'atténuant, du régime ordinaire lorsqu'il paraît ne faire aucun mal) ; quant à l'air, faire en sorte que l'inspiration en soit aussi petite et la qualité aussi étrangère que possible, c'est-à–dire d'une part s'éloigner autant qu'on peut, dans le pays, des localités envahies par la maladie, d'autre part atténuer le corps, atténuation qui réduit chez les hommes le besoin d'une forte et fréquente respiration. [10] Les maladies qui naissent de la partie du corps la plus forte, sont les plus fâcheuses. En effet, restent–elles là où elles ont commencé ? nécessairement tout le corps souffre, la partie la plus forte souffrant ; se portent–elles sur une partie plus faible? les solutions deviennent difficiles. Mais elles sont plus aisées quand le mal passe d'une partie plus faible sur une partie plus forte, qui, en vertu de sa force mème, consumera aisément les humeurs affluentes. [11] Les plus grosses veines sont ainsi disposées : il y en a quatre paires dans le corps. L'une de ces paires, partant de derrière la tète, passe par le cou, parcourt en arrière le rachis et arrive à droite et à gauche aux hanches et aux membres inférieurs, puis gagne par les jambes les malléoles externes et les pieds. Il faut donc faire à la partie externe des jarrets et des malléoles les saignées que l'on pratique pour les douleurs du dos et des hanches. Les veines de la seconde paire, nommées jugulaires, viennent de la tête près des oreilles, passent par le cou, longent le rachis en avant des deux côtés, et arrivent le long des lombes aux testicules et aux cuisses, puis par la partie interne des jarrets et par les jambes aux malléoles internes et aux pieds. Il faut donc dans les douleurs des lombes et des testicules faire les saignées au côté interne des jarrets et aux malléoles internes. La troisième paire de veines se rend des tempes par le col aux omoplates, puis se porte au poumon et arrive, celle du côté droit à gauche, celle du côté gauche à droite, celle de droite allant du poumon dans la mamelle, à la rate et au rein, celle de gauche allant du poumon à droite dans la mamelle, au foie et au rein, toutes deux finissant à l'anus. La quatrième paire va du devant de la tète et des yeux sous le cou et les clavicules, puis d'en haut par les bras au pli du coude, puis par les avant-bras aux carpes et aux doigts, puis des doigts elle remonte par les paumes des mains et les avant-bras au pli du coude, par la partie inférieure des bras aux aisselles, et d'en haut, par les côtes, l'une se rend à la rate, l'autre au foie, toutes deux allant se terminer par le ventre aux parties génitales. Telle est la distribution des grosses veines. Il est aussi des veines venant du ventre qui sont distribuées dans le corps en grand nombre et de toute façon, et par lesquelles la nourriture arrive aux parties. D'autre part les grosses veines en fournissent qui se rendent tant du dedans que du dehors au ventre et au reste du corps, et qui communiquent entre elles les unes de dedans en dehors et les autres de dehors en dedans. C'est donc d'après ces considérations qu'il fàut pratiquer les saignées ; mais il faut avoir soin qu'elles soient aussi loin que possible du lieu où les douleurs se font sentir d'habitude et où le sang se rassemble. De cette façon, en effet, il ne se fera pas soudainement un grand changement, et en rompant l'habitude vous empêcherez le sang de continuer à se rassembler dans le même lieu. [12] Ceux qui crachent beaucoup de pus sans avoir de la fièvre, ceux dont l'urine laisse déposer beaucoup de pus sans qu'il y ait douleur, et ceux dont les selles sont sanguinolentes comme dans les dysenteries et demeurent telles longtemps (l'âge étant de trente-cinq ans et plus), tous ceux-là deviennent malades par la même cause : en effet, nécessairement, ces individus ont mené une vie dure, et ont été gens de travail corporel et de métier pendant leur jeunesse, mais plus tard, délivrés de leurs labeurs, ils ont pris de l'embonpoint dû à une chair molle et bien différente de l'ancienne, et dans leur corps, profondément divisé entre la constitution antécédente et la constitution acquise, il n'y a plus accord. Lors donc qu'une maladie saisit des gens dans une telle disposition, ils en réchappent tout d'abord, mais ensuite le corps se fond à la longue, et une humeur ichoreuse s'écoule par les veines là où elle trouve la voie la plus large. Si le flux se fait dans le ventre inférieur, les selles deviennent à peu près telles que ce que le corps renferme; car, la voie étant déclive, le séjour n'est pas long dans l'intestin. Si le flux se fait dans la poitrine, la purulence s'établit; car, l'évacuation étant à contre-mont, le liquide séjourne longtemps dans le thorax, se corrompt et devient purulent. Si l'éruption se fait dans la vessie, le liquide, par la chaleur du lieu, s'échauffe, blanchit et se sépare : la partie la plus ténue va en haut, la plus épaisse en bas, ce qu'on nomme pus. C'est aussi par la chaleur de la vessie et de tout le corps que chez les enfants se forment les calculs, formation que le froid du corps prévient chez les adultes. Chez l'homme, en effet, il faut bien le savoir, le maximum de la chaleur est au premier jour de l'existence, le minimum au dernier. De toute nécessité, le corps qui croît et se développe avec effort, est chaud; mais quand il entre sur la pente facile de la décadence, il se refroidit; et en vertu de cette proportion, l'homme, qui, au premier jour, croissant le plus, est le plus chaud, au dernier jour, décroissant le plus, est le plus froid. Les gens dans l'état indiqué plus haut guérissent spontanément, la plupart en quarante-cinq jours à partir du moment où la colliquation a commencé; pour ceux qui dépassent cet intervalle, ils se rétablissent spontanément au bout d'une année, à moins qu'il ne leur survienne quelque mal d'ailleurs. [13] Les maladies dont le temps de préparation est court et dont on connaît bien les causes, sont celles dont le pronostic a le plus de sûreté ; il faut les traiter en s'opposant à la cause; de la sorte se résoudra ce qui détermine la maladie dans le corps. [14] Chez ceux dont l'urine dépose du sable ou des tophus, il y a eu d'abord auprès de la grosse veine (veine cave) une tumeur qui suppura ; puis, la tumeur ne s'étant pas rompue promptement, il s'est, du sein du pus, engendré des tophus, lesquels sont expulsés par la veine avec l'urine dans la vessie. Quand les urines ne contiennent que du sang, les veines ont souffert. Quand dans une urine épaisse sont rendus de petits filaments de chair comme des cheveux, il faut savoir que cela vient des reins et des affections arthritiques. Quand l'urine est de temps en temps limpide, mais que le liquide contient comme des particules furfuracées, la vessie est affectée de psore. [15] La plupart des fièvres proviennent de la bile ; il y en a quatre espèces, indépendamment de celles qui naissent dans les douleurs à siége distinct; on les nomme synoque, quotidienne, tierce et quarte. La synoque provient de la bile la plus abondante et la plus intempérée, et a les crises dans le temps le plus court ; en effet, le corps, n'ayant aucun intervalle de refroidissement, se fond vite par l'action de la grande chaleur. La quotidienne, après la synoque, est produite par le plus de bile, et cesse plus promptement que les suivantes, mais elle est plus longue que la synoque dans la proportion d'une bile moindre et en raison des intermissions; or, il n'y a point d'intermission dans la synoque. La tierce est plus longue que la quotidienne et provient d'une bile moindre ; autant l'intermission de la première surpasse en durée celle de la seconde, autant la tierce surpasse en durée la quotidienne. La fièvre quarte suit la même règle ; elle dépasse d'autant plus la tierce en durée, qu'elle a moins de cette bile qui fait la chaleur, et qu'elle a de plus grands intervalles où le corps est frais. C'est la bile noire qui lui donne cet excès de durée et cette ténacité ; l'atrabile, en effet, est, de toutes les humeurs du corps, la plus visqueuse et celle qui se fixe le plus longtemps. Un signe montrant que les fièvres quartes ont un élément atrabilaire, c'est qu'elles sont les plus fréquentes en automne et dans l'âge de vingt-cinq ans à quarante-cinq; or, cet âge est celui où l'atrabile domine surtout, et l'automne est la saison qui en favorise le plus la production. Mais quand on est pris de fièvre quarte hors de cette saison et de cet âge, croyez que la fièvre ne sera pas de durée, à moins qu'il ne survienne quelque mal d'ailleurs.