CHRONIQUE DE GUILLAUME DE NANGIS : années 1113 -1169. [1113.] LA mort de Sigebert, moine de Gembloux, excellent narrateur des temps et des affaires des royaumes, a mis fin à sa chronique. Elle a été continuée par le frère Guillaume de Nangis, moine de Saint-Denis, en France. En cette année saint Bernard avec ses compagnons, au nombre de plus de trente, entra dans Cîteaux, sous l'abbé Etienne, la vingt-deuxième année de son âge. La langue de l'homme pourrait à peine exprimer avec quelle religion, quelle dévotion et quelle ferveur il y vécut. Aussitôt qu'il y fut entré il s'appliqua à faire subir à son corps une si rigoureuse discipline, qu'ensuite il fut attaqué pendant toute sa vie d'un grand nombre de maladies. Il arriva que, dans l'espace de peu de temps, l'abbaye de Cîteaux, auparavant pauvre et stérile de biens et d'habitans, enfanta un grand nombre de très-nobles abbayes. [1114.] Dans le pays de Brabant, aux environs de Tournai, il tomba, le 23 avril, une telle abondance de neige, que, par son poids, elle brisa les arbres des forêts. Au mois de juin, à Ravenne et à Parme, villes d'Italie, une pluie de sang tomba dans les champs et dans les villes. Aux ides de 2novembre, dans le faubourg d'Antioche, la terre s'étant entr'ouverte dans la nuit, engloutit beaucoup de tours et maisons avec leurs habitans. Baudouin, roi de Jérusalem, avec Roger, comte d'Antioche, marcha contre les Turcs; mais Roger étant resté avec son année auprès d'un certain fleuve, le roi marcha en avant avec les siens pour épier l'arrivée des Turcs. Les ennemis, postés sur une montagne, dressèrent des embuscades en quatre endroits, et envoyèrent à chacune quatre mille chevaliers, qui, à l'improviste, enveloppèrent de toutes parts le roi Baudouin. Quinze cents des siens ayant été tués, il s'échappa par une déplorable fuite. Les Turcs détruisirent de fond en comble un monastère situé sur le mont Thabor, en massacrèrent les moines, et pillèrent tout ce qu'ils y trouvèrent. Dans ce temps Conon, légat du Siége apostolique, tint en France trois conciles, le premier à Rheims, le second à Beauvais, et le troisième à Châlons. Louis, roi de France, assiégea le château de Gournai, situé sur le fleuve de la Marne, appartenant à Hugues de Pompone, seigneur de Crécy, qui, s'adonnant au pillage, dépouillait les vaisseaux des marchands qui passaient par le fleuve, et transportait son butin à Gournai. Ledit Hugues fut secouru par Guy le Roux de Rochefort, son père, et par Thibaut, comte de Champagne; mais le roi, les ayant vigoureusement attaqués, les força de fuir, et recevant le château, qui se rendit, le confia aux Garlande. Ives, évêque de Chartres, auteur du livre appelé les Décrets d'Ives, mourut, et eut pour successeur Geoffroi, homme d'une vie respectable. 3[1115.] Louis, roi de France, fut, vers le même temps, tellement serré de près par les barons et les chevaliers ses voisins, qu'il pouvait à peine sortir en sûreté de Paris; mais enfin, marchant contre ses ennemis, par la puissance de Dieu et le secours des bienheureux martyrs Denys, Rustique et Eleuthère, qu'il invoquait à tous momens, il dompta puissamment Hugues du Puiset dans le Blaisois, ainsi que Thibaut, comte de Blois, et détruisit de fond en comble le château du Puiset. Ensuite il dépouilla pour toujours Eudes, comte de Corbeil, Hugues de Crécy, Guy de Rochefort et le tyran Thomas de Marle, qui lui faisaient la guerre, et ayant aussi soumis Aymon, seigneur de Bourbon, il rétablit sous son pouvoir les forteresses et les châteaux de tous ceux que nous venons de nommer. Il combattit à plusieurs et diverses fois Henri, roi des Anglais, et le vainquit dans de merveilleux combats. Lambert, de bonne mémoire, évêque d'Arras, mourut. Depuis le temps de saint Waast jusqu'à lui, l'église d'Arras, privée d'évêque particulier, avait été soumise à l'évêque de Cambrai. Le monastère de Clairvaux fut fondé par Bernard, qui fut son premier abbé. Clairvaux n'est pas loin de la rivière d'Aube. C'était anciennement une caverne de voleurs, et on l'appelait la Vallée de l'Absynthe, à cause de l'amertume de douleur de ceux qui tombaient entre les mains des voleurs. Dans le même temps les moines qui demeuraient dans ce monastère se nourrissaient souvent avec des ragoûts de feuilles de hêtre; leur pain était semblable au pain du porphète, fait d'orge, de millet et de vesce, et 4paraissait plutôt compose de terre que de farine. [1116.] Pendant qu'un certain prêtre célébrait la messe dans le monastère de Dol, un enfant lui apparut sur l'autel à la place de l'hostie. Dans ce temps, le fondateur de l'ordre des Prémontrés, né en Lorraine, distingué par ses richesses, sa naissance et sa faconde, enflammé d'une ferveur divine, se fit ordonner prêtre, revêtit la tunique de pauvreté du Christ, et, suivant le Seigneur, tout nu, et répandant partout, les pieds nus, la parole du Christ, il rappela de l'erreur un grand nombre de gens. [1117.] En cette année, mourut Anselme, très-fameux docteur de la ville de Laon, illustre dans la science des lettres. Parmi d'autres ouvrages, il avait joint à un psautier des gloses marginales et interlinéaires. Alexis, empereur des Grecs, mourut, et eut pour successeur Jean, son fils. [1118.] Baudouin, premier roi de Jérusalem, mourut, et eut pour successeur Baudouin du Bourg, son parent, comte de la ville de Roha, appelée autrefois Edesse. Au mois de janvier, il arriva en plusieurs lieux des tremblemens de terre, ici moins fâcheux, ailleurs plus violens, qui, dit-on, firent crouler des portions de quelques villes. Le fleuve de la Meuse, auprès d'une abbaye appelée Sustule, fut vu hors de son lit comme suspendu dans les airs. La même année, la ville de Liége fut accablée d'un grand nombre de désastres. Le troisième jour du mois de mai, pendant qu'on chantait les vêpres dans la grande église, un coup de tonnerre, accompagné d'un violent tremblement, renversa subitement tout le monde à terre. 5La foudre, entrant par le côté gauche de l'église, brûla les tapis de l'autel, et, sautant çà et là, pénétra dans la tour, où elle brisa un grand nombre de poutres. Elle laissa après elle une puanteur insupportable, que l'odeur d'un grand nombre d'aromates put à peine détruire. Le 7 du mois de juin, environ vers la neuvième heure, une nuée d'orage fondit tout-à-coup d'une montagne appelée la montagne de Robert, enveloppa et écrasa entièrement la partie de la ville qui se trouvait dessous; en sorte que beaucoup de maisons furent renversées, une immense quantité de vivres détruits, une femme et deux enfans tués, se tenant embrassés; et que huit autres hommes, en différens endroits, furent blessés. Le samedi, pendant qu'on chantait vêpres, une femme qui lavait la tête à son enfant vit ses mains rougir de sang, qui coulait au lieu d'eau. Il naquit à Namur un monstre, à qui jamais, ou rarement, on ne vit de semblable: c'était un enfant à deux têtes, portant les deux sexes, et cependant n'ayant qu'un seul corps. Le 20 décembre, à la première heure de la nuit, des bataillons de feu apparurent dans le ciel, depuis le nord jusqu'à l'orient, et, s'étendant ensuite partout le ciel, émerveillèrent et saisirent de stupeur ceux qui les virent. Le pape Pascal étant mort, Gélase II, le cent soixante-deuxième pape, fut créé le chef de l'Église romaine. Mais Henri, empereur des Romains, n'ayant pas assisté à l'élection, établit à sa place un Espagnol, nommé Bourdin. Le pape Gélase, chassé du saint Siége par la tyrannie de l'empereur et des Romains, eut recours à l'appui et à la protection de Louis, roi de France, et à la compassion de l'Église 6gallicane, comme avaient coutume autrefois de le faire ses prédécesseurs les pontifes de Rome, et il convoqua un concile à Rheims. Dans ce temps fut fondée l'abbaye de Preuilly, par Thibaut, comte de Champagne, et Adèle, sa nièce, fille de Guillaume le bâtard, et qui avait épousé Etienne, comte de Chartres. [An 1119.] Le pape Gélase étant mort à Cluny, où il fut enterré, Gui, archevêque de Vienne, frère d'Etienne, comte de Bourgogne, fut, sous le nom de Calixte II, le cent soixante-sixième pape qui gouverna l'Eglise de Rome. Il célébra le concile convoqué à Rheims par son prédécesseur. On y excommunia les simoniaques et ceux qui exigeaient un paiement pour la sépulture, le saint chrême et le baptême; et on y défendit expressément aux prêtres, diacres et sous-diacres, de vivre avec des femmes ou des concubines. On y traita, avec les envoyés de l'empereur des Romains, de sa réconciliation avec l'Eglise, et le pape Calixte, n'ayant pas réussi, excommunia l'empereur avec ses fauteurs. Baudouin, comte de Flandre, neveu, par sa sœur, du pape Calixte, voulant mettre en possession de l'héritage de son père, Guillaume, fils de Robert, duc de Normandie, que Henri, roi d'Angleterre, retenait prisonnier, après s'être emparé d'une grande partie de la Normandie, mourut d'une blessure à la tête, que lui firent dans un combat des chevaliers du roi d'Angleterre. Son cousin-germain Charles, fils de Canut, roi des Danois, lui succéda en son comté. Guillaume, fils de Robert, duc de Normandie, prit en mariage la sœur de Louis, roi des Français, et la Flandre lui fut accordée après la mort du comte Charles. 7[1120.] Naissance de l'ordre des Prémontrés, fondé, ainsi que le couvent, par Norbert, homme de Dieu. Dans le même temps fut créé l'ordre des chevaliers du Temple, sous Hugues, leur grand-maître. A Vézelai, la veille de la fête de sainte Marie-Madeleine, on ne sait par quel jugement de Dieu, l'église ayant pris feu tout-à-coup, au crépuscule de la nuit, une innombrable quantité de personnes de tout sexe, de tout âge, de tout rang, furent brûlées. Guillaume et Richard, fils de Henri, roi des Anglais, la fille et la nièce de ce roi, et beaucoup de grands et de nobles d'Angleterre, ayant voulu quitter la Normandie pour passer en Angleterre, furent submergés dans la mer, quoiqu'aucun vent n'en troublât le calme. On disait, et c'était avec vérité, qu'ils étaient presque tous souillés du crime de sodomie. Presque tous furent privés de sépulture. Le pape Calixte, après le concile de Rheims, partit pour Rome, et fut reçu avec honneur par tout le sénat et le peuple. A peine siégeait-il depuis quelque temps, que les Romains attachés à son parti par sa grande noblesse et sa générosité, assiégèrent Bourdin, schismatique et anti-pape, qui faisait sa résidence à Sorrente, et qui forçait les clercs qui passaient aux tombeaux des apôtres à fléchir le genou devant lui, le conduisirent par le milieu de la ville, couvert de peaux de chèvres fraîches et encore sanglantes, et, par l'ordre du seigneur pape Calixte, le condamnèrent à rester pour toujours en prison dans les montagnes de la Campanie. Pour conserver la mémoire d'un si grand châtiment, ils le représentèrent, dans une chambre du palais, foulé aux pieds du seigneur pape. 8[1121.] Henri, roi d'Angleterre, épousa, à cause de sa beauté, Adèle, fille du duc de Lorraine, car elle était très-belle. Foulques, comte d'Anjou, et sa femme Eremburge, fondèrent, dans le diocèse d'Angers, l'abbaye de l'Oratoire. [1122.] Dans ce temps, l'église d'Autun était gouvernée par le seigneur Hugues, pieux abbé de Saint-Germain d'Autun, neveu de saint Hugues de Cluny, et homme remarquable et à jamais vénérable par ses vertus. Suger, moine de Saint-Denis en France, renommé dans la science des écritures, élevé seulement au rang de diacre à son retour de Rome, où il avait été envoyé par Louis, roi de France, fut élu abbé après la mort de son abbé Adam. Dès qu'il fut revenu, il fut d'abord ordonné prêtre, et ensuite, en présence du roi, consacré abbé dans son église de Saint-Denis par l'archevêque de Bourges. [1123.] Le pape Calixte célébra à Rome un concile composé de plus de trois cents évêques, dans lequel la paix fut rétablie entre la royauté et le sacerdoce, sur la querelle des investitures épiscopales. On y cassa le privilége que l'empereur Henri avait extorqué du pape Pascal, au sujet des investitures, et on le réduisit à rien par un perpétuel anathème. Suger, abbé de Saint-Denis en France, réforma, par sa sagesse, et à cause de la négligence des abbés ses prédécesseurs et de quelques moines de ce monastère, les règles de l'institution, qui étaient tellement mises en oubli, qu'à peine les moines conservaient-ils l'apparence de la vie religieuse. Daimbert, archevêque de Sens, étant mort, Henri surnommé le Sanglier, lui succéda. Le feu de la guerre s'alluma entre le 9clergé de l'église Saint-Martin de Tours et les bourgeois de la ville. [1124.] Le pape Calixte étant mort, Honoré II, cent soixante-septième pape, gouverna l'Église de Rome. Foulques, comte d'Anjou, assiégea et prit sur Girard Berlay le château de Montreuil. Baudouin, roi de Jérusalem, fut enveloppé et pris par les Sarrasins; mais après une longue captivité, il fut pour argent mis en liberté, Henri, empereur des Romains, ayant conçu depuis long-temps en son cœur de la rancune d'esprit contre le roi de France Louis, parce que c'était dans son royaume, à Rheims, que s'était tenu le concile où le pape Calixte l'avait enchaîné du lien de l'anathème, rassembla une nombreuse armée, et se prépara à attaquer la France, dans l'intention de détruire la ville de Rheims; mais Louis, roi des Français, étant venu à sa rencontre avec une forte armée, l'empereur redouta la valeur des Français et retourna promptement chez lui. Le roi des Français l'ayant appris put à peine s'empêcher, à la seule prière des archevêques, des évêques et des religieux, de dévaster la terre de l'empereur. [1125.] L'hiver, par une gelée plus rigoureuse qu'à l'ordinaire et par des amas de neige qui tombaient très-souvent, fut excessivement dur et incommode. Un grand nombre d'enfans, de femmes et de pauvres périrent du trop grand froid. Dans beaucoup de rivières les poissons périrent engloutis sous la glace si épaisse et si forte qu'on pouvait faire passer dessus des chariots chargés, et y chevaucher comme sur la terre. Dans le Brabant, d'innombrables anguilles sortant de leurs marais à cause de la glace, 10chose merveilleuse, s'enfuirent et se cachèrent dans des granges à foin; mais l'excessive rigueur du froid les fit périr, et elles pourrirent. Il y eut aussi une grande mortalité sur les animaux. A l'hiver succéda, jusqu'au milieu de mars, une intempérie de l'air, causée tantôt par la neige, tantôt par la pluie, et par la gelée alternativement, et qui fit un grand dommage; à peine au mois de mai suivant les arbres étaient-ils fleuris, et les herbes et les graines commençaient-ils à pousser de la verdure. Une pluie tomba ensuite continuellement pendant plusieurs mois, et noya presque entièrement la semence dans les champs; le froment et l'avoine trompèrent grandement l'espérance de la récolte. Beaucoup de gens furent consumés par le feu du ciel. La ville de Tyr, assiégée des Chrétiens par mer et par terre, fut prise et soumise à l'empire du Christ. Une grande famine ravagea aussi le royaume de France. [1126.] En Espagne, une femme de bas lieu enfanta un monstre formé de deux corps, lesquels étaient attachés dos à dos, portant à la face antérieure, dans tout le corps et les membres, la ressemblance d'un homme, tandis que la face postérieure présentait, de même dans tout le corps et les membres, les formes du chien. Dans le Brabant, une autre femme enfanta quatre enfans mâles dans une seule couche. Henri, empereur des Romains, conduit par la pénitence, abandonna l'empire et disparut de la société des hommes, sans y avoir été depuis ni vu ni connu. Cependant quelques-uns disent qu'il fut vu et reconnu de sa femme dans un hôpital de pauvres à Angers, avoua qui il était, mourut dans cet hôpital, et y fut 11enterré. On lit autre part qu'étant venu à Utrecht pour y célébrer la Pentecôte, il y mourut d'un chancre au bras, chez lui un mal de naissance, et que son corps, dont on avait retiré les intestins, et qu'on avait saupoudré de sel, fut transporté à Spire. L'empereur ainsi disparu, l'impératrice Mathilde, sa femme, n'ayant pas d'enfans, retourna vers son père Henri, roi d'Angleterre. Alors croissait à Paris Hugues, chanoine de Saint-Victor, renommé pour sa piété et sa science, et qui n'avait pas son semblable dans ce temps pour l'habileté dans les sept arts libéraux. Parmi le grand nombre de choses utiles qu'il écrivit, il fit sur les sacremens un ouvrage en deux volumes grandement utile. L'empereur Henri étant mort, ou ayant disparu, comme nous l'avons dit plus haut, comme quelques princes de la Souabe et de l'Allemagne voulaient élever au trône Conrad, son neveu, d'autres créèrent roi Lothaire, duc de Saxe, homme sage et valeureux. [1127.] En Syrie, l'armée des Chrétiens livra deux batailles aux Sarrasins. Dans le premier combat, tombèrent deux mille cent païens et seulement quinze Chrétiens; mais dans le second, les Chrétiens n'obtinrent qu'une sanglante victoire; quoique la plus grande partie des leurs eût péri, ranimés cependant par le secours de Dieu, ils renversèrent et vainquirent une innombrable quantité d'ennemis. Norbert, fondateur et premier abbé des Prémontrés, fut élu archevêque de la ville de Parthénople, c'est-à-dire Magdebourg. Charles, comte de Flandre, fils de Canut, roi des Danois, qui par droit de parenté avait succédé à Baudouin, fils de Robert, roi de Jérusalem, pendant qu'il 12entendait la messe dans le temps du carême, à Bruges, dans l'église de Saint-Donatien martyr, fut tué en trahison par Bouchard, neveu de Bouchard, prévôt de l'église de Bruges1. Ce crime fut aussitôt vengé par Louis, roi de France; car il punit par différens supplices les traîtres, meurtriers de Charles. Guillaume, fils de Robert, duc de Normandie, que son oncle Henri, roi d'Angleterre, avait dépouillé de son héritage, après avoir renfermé son père dans une prison, succéda à Charles dans le comté de Flandre, par le secours de Louis, roi de France. Henri, roi d'Angleterre, excitant les principaux de Flandre contre ledit Guillaume son neveu, fit, par leur moyen, appeler contre lui Thierry, cousin-germain de Charles d'Alsace. Gilbert, archevêque de Tours, mourut et eut pour successeur Hildebert, auparavant évêque du Mans, fameux dans l'art d'écrire et de faire des vers, et dont quelqu'un a dit; Fameux pour la prose, et le premier entre tous pour la poésie, Hildebert exhale partout une odeur de rose. [1128.] Beaucoup de gens dans le royaume de France, brûlés du feu du ciel, s'étant rassemblés à Soissons dans l'église de Sainte-Marie, mère de Dieu, furent guéris par les mérites et les prières de la très-sainte Vierge. A Laon, des religieux de l'église de Saint-Jean, ayant été chassés par le conseil du roi de France et des princes, pour l'infamie de leur vie, ou en mit d'autres à leur place. Drogon, homme recommandable par sa dévotion et sa faconde, fut ordonné 13premier abbé en cet endroit par Barthélemy, évêque de Laon, et dans la suite il fut créé, par le pape de Rome Innocent II, cardinal évêque d'Ostie. Foulques, comte d'Anjou, abandonnant le comté d'Anjou à son fils Geoffroi, partit pour la Syrie, et prit en mariage Mélisende, fille aînée de Baudouin, roi de Jérusalem. Louis, roi des Français, fit marcher une armée contre Thomas de Marle, seigneur de Coucy. Raoul, comte de Vermandois, vint au secours du roi, et livrant combat audit Thomas, le remit blessé à mort entre les mains de Louis. Peu de temps après, ayant reçu la divine eucharistie, il exhala sa méchante ame. Il avait fait souffrir aux églises de ce pays de cruels ravages, et dépouillait de leurs biens les marchands voyageurs. [1129.] L'archevêque Norbert ayant renvoyé de l'église de Sainte-Marie à Magdebourg les chanoines séculiers, y plaça des frères de l'ordre des Prémontrés. Philippe, fils aîné de Louis, roi des Français, fut sacré roi à Rheims, le jour de Pâques, en présence de son père et de Henri, roi d'Angleterre. Thierry d'Alsace étant arrivé en Flandre, et ayant, au moyen des persuasions du roi d'Angleterre, acquis à son parti quelques Flamands, disputa la Flandre au comte Guillaume qui, ayant rangé son armée en bataille, marcha à sa rencontre, et le combattit vigoureusement. Les ennemis presque entièrement défaits, le château où ils étaient cachés étant au moment de se rendre, le noble Guillaume, blessé à la main, se retira du combat, et mourut peu de temps après. Ledit Thierry lui succéda. D'infâmes religieuses qui avaient long-temps pos-14sédé, par la puissance d'une sœur de Charlemagne, roi des Français, l'église de Sainte-Marie d'Argenteuil, en furent chassées par la sagesse de Suger, abbé de Saint-Denis en France, et l'église fut rendue aux moines de ce lieu, auxquels elle avait appartenu auparavant. En ce temps furent fondées les abbayes d'Ourschamp et de Clairvaux, de l'ordre de Cîteaux. L'impératrice Mathilde, fille du roi des Anglais, fut donnée en mariage au comte d'Anjou, dont elle eut Henri, dans la suite roi d'Angleterre, Guillaume Longue-Epée, et Geoffroi Plantagenet, qui prit en mariage la fille de Conan, comte de Bretagne, et en recut le comté de Bretagne1a. [1130.] Le pape Honoré étant mort, Innocent II, cent soixante-huitième pape, gouverna l'église de Rome. D'un autre côté, on lui opposa Pierre de Léon, et l'église de Rome fut troublée par un funeste schisme; mais Pierre, soutenu par sa parenté, étant resté à Saint-Pierre, Innocent sortit de Rome, et vint en France. Le roi et les prélats de France ayant, à l'occasion de son arrivée, assemblé un concile à Etampes, saint Bernard, abbé de Clairvaux, conseilla d'accueillir Innocent. Après qu'il eut été reçu honorablement par le roi à Orléans, Geoffroi, évêque de Chartres, homme de grande vertu, le conduisit à Chartres, où Henri, roi des Anglais, vint au devant de lui avec honneur. En visitant l'Eglise française, ainsi que l'exigeait la circonstance, il passa vers le pays des Lorrains. Lothaire, empereur des Romains, vint au devant de lui à Liége, avec un grand cortége d'archevêques, d'évêques et de grands du royaume d'Allemagne, et s'offrant très-humblement à lui pour son 15défenseur, marcha à pied au milieu de la sainte procession, tenant d'une main une baguette pour le défendre, et de l'autre la bride de son cheval blanc, et il le conduisit ainsi comme son seigneur vers l'église épiscopale. Lorsque le Pape descendit de cheval, Lothaire le soutint tout le temps par le pied, manifestant ainsi aux yeux de ceux qui le savaient et de ceux qui ne le savaient pas, toute la grandeur de la dignité du saint Père. De là le Pape revenant en France, célébra à Saint-Denis la fête de Pâques. Un monastère fut fondé à Beaumont, au dessus de Mortemar, sous Alexandre, qui en fut le premier abbé, par Robert de Candes. [1131.] Philippe, fils de Louis, roi de France, récemment sacré roi des Français, étant à chevaucher par la ville de Paris, un porc se jeta soudainement entre les pieds de son cheval, le fit renverser sur lui, et sa tête s'étant brisée dans sa chute, il resta étendu mort sur le pavé. Les Français déplorant cette subite et déplorable mort, enterrèrent son corps à Saint-Denis. Dans le même temps, comme on le voit dans la vie de saint Bernard de Clairvaux, le roi de France Louis, père de Philippe, irrité contre quelques évêques de son royaume, les avait chassés de leurs villes et de leurs siéges; et saint Bernard, qui avait inutilement envoyé au roi plusieurs évêques pour rétablir la paix entre eux, n'avait pu réussir. Il arriva dans la suite qu'en présence du saint homme Bernard, un grand nombre d'évêques desirant fléchir l'indignation du roi, se prosternèrent en toute humilité jusqu'à terre, le suivirent ainsi prosternés, et ne purent cependant 16obtenir grâce. Sur quoi le lendemain, l'homme de Dieu, Bernard, animé d'une ardeur religieuse, réprimanda longuement le roi de ce qu'il méprisait les ministres du Seigneur, et lui déclara sans aucune feinte ce qui lui avait été révélé la nuit même. Cet endurcissement, lui dit-il, sera puni par la mort du roi Philippe, ton fils aîné: ce qui arriva, comme on l'a vu plus haut. Le pape Innocent II tint à Rheims un grand synode, dans lequel, après beaucoup de dispositions faites pour l'honneur de Dieu, il couronna roi, à la place de son frère Philippe, tué par un porc, Louis, autre fils de Louis, roi des Français. L'église de Saint-Médard de Soissons fut consacrée par le pape Innocent. Baudouin, roi de Jérusalem, mourut, et eut pour successeur Foulques, comte d'Anjou, son gendre. [1132.] En ce temps mourut le saint homme Hugues, évêque de Grenoble, dont Gui, prieur de la Chartreuse, a écrit la très-pieuse vie. A cette époque, l'Eglise portait une face brillante et belle, et elle se voyait entourée d'un grand nombre d'ordres de règles diverses: d'un côté les moines de Cluny et de Cîteaux, de l'autre, les chanoines des Prémontrés et les chanoines réguliers, comme aussi des nonnes de divers habits et professions, et des femmes consacrées à Dieu, vivaient, selon les règles, dans la continence et la pauvreté, sous le joug de l'obéissance, rivalisant de ferveur religieuse, et fondant à l'envi de nouveaux monastères dans différens endroits. Avec eux aussi les moines chartreux se multipliaient plus considérablement en France. Plus continens que tous les autres, ils mirent des bornes à l'ava-17rice, dont nous voyons beaucoup de gens atteints sous l'habit religieux; se fixèrent, pour la quantité en biens en terre et le bétail, de certaines limites qu'ils ne pouvaient dépasser. Ils avaient chacun une petite cellule, et se rassemblaient rarement, si ce n'est pour le service de Dieu, ou pour jouir des consolations d'une mutuelle charité; ils aimaient mieux mourir plus parfaitement en ce monde et vivre d'autant plus près de Dieu, qu'ils étaient plus éloignés des autres hommes. En outre, les chevaliers du Temple de Jérusalem et les frères de l'Hôpital, vivant dans la continence sous l'habit religieux, se multipliaient et étendaient leur ordre de tous côtés. Les évêques des églises et les princes du siècle donnaient aux religieux le plus prompt consentement, offrant de leur propre mouvement leurs terres, leurs prés, leurs bois et autres choses nécessaires pour la fondation des monastères. Presque toute la ville de Noyon, y compris l'église de Sainte-Marie et l'évêché, fut consumée par un incendie. Ce fut, dit-on, par un juste jugement de Dieu, parce qu'un grand nombre de ceux de la ville avaient reçu d'une manière peu convenable le souverain pontife Innocent. Le jour de Pâques, Clairvaux donna naissance à deux monastères, Long-Pont et Riéval, et peu de jours après à celui de Nancelles. [1133.] Lothaire, empereur des Romains, ayant fait des préparatifs de guerre pour passer en Italie, conduisit à Rome, avec des archevêques, des évêques et d'autres prélats, le pape Innocent contre Pierre de Léon, qui avait fortifié l'église de Saint-Pierre, et le plaça avec honneur à Latran sur le siége pontifical. 18Lothaire fut sacré empereur à Rome par le pape. [1134] En ce temps mourut l'archevêque Norbert, fondateur de l'ordre des Prémontrés. Hildebrand, archevêque de Tours, termina aussi son dernier jour. L'abbaye d'Asnières fut fondée dans l'évêché d'Angers. [1135.] Fondation du monastère du Pré. Henri, roi d'Angleterre, mourut en Normandie, et fut enterré à Radingues, en Angleterre. Après sa mort, Etienne, comte de Boulogne, son neveu par sa sœur, fils d'Etienne, comte de Blois, et frère de Thibaut, comte de Champagne, passa en Angleterre, et, aidé par l'évêque de Winchester, son frère, fut couronné roi d'Angleterre. L'impératrice Mathilde, fille du défunt Henri, roi d'Angleterre, avec le comte d'Anjou, son mari, s'opposèrent à lui, et ne le laissèrent pas régner en paix; mais, aidé de ses adhérens, il défendit merveilleusement ses intérêts en Angleterre. [1136.] Il souffla, le vingt-huitième jour d'octobre, un vent très-impétueux qui renversa un grand nombre de tours. La mer d'Angleterre sortit de son lit, et submergea une partie de la Flandre avec ses habitans. Jean, empereur de Constantinople, mourut, et eut pour successeur Manuel, son fils. Guillaume, comte de Poitou et prince d'Aquitaine, étant parti en pélerinage pour Saint-Jacques, mourut la veille de Pâques, et fut enterré près de l'autel de Saint-Jacques. Il laissait deux filles, Eléonore et Pétronille. Avant de mourir, il certifia aux grands qui l'accompagnaient qu'il voulait qu'Eléonorc, sa fille aînée, fût donnée en mariage à Louis le Jeune, roi des Français, avec le duché d'Aquitaine. 19[1137.] Il y eut, depuis le mois de mars jusqu'au mois de septembre, une sécheresse inouïe, au point que les sources, les puits et un grand nombre de rivières furent taris. Le roi des Français Louis, ayant appris la mort de Guillaume, duc d'Aquitaine, envoya en Aquitaine Louis, son fils, déjà couronné et sacré roi, pour épouser Eléonore, fille dudit duc. Louis, la recevant pour femme avec le duché d'Aquitaine, l'épousa à Bordeaux. Il eut d'elle dans la suite Marie, comtesse de Champagne, et Adèle, femme de Thibaut, comte de Blois. Un mois après le mariage du roi Louis le Jeune, dans les calendes d'août, mourut le roi Louis, son père, qui fut enterré dans l'église de Saint-Denis, en France. Son fils Louis, surnommé le Jeune, lui succéda. Dans la forêt de Lyon fut fondée l'abbaye de Mortemar. L'abbé d'Ourschamp, l'adoptant pour sa fille, y envoya ses moines. Lothaire, empereur des Romains, ayant fait en Italie une seconde irruption, mourut en revenant dans son pays, après avoir soumis l'Italie et la Pouille. Il eut pour successeur Conrad, neveu par sa sœur de l'empereur Henri. [1138.] Pierre de Léon, qui s'était, par un schisme, emparé pendant huit ans du pontificat, mourut, frappé du jugement de Dieu. Alors le pape Innocent destitua ceux qu'il avait ordonnés, et les déclara, par le jugement de Dieu, incapables d'être élevés aux ordres de l'Eglise. Dans ce temps florissait Thibaut, comte de Champagne, père des orphelins, le défenseur des veuves, l'œil des aveugles, le pied des boiteux, qui soutenait les pauvres avec une singulière munificence, et se montrait incomparablement libé-20rai à aider toutes sortes de religieux, et construisit des monastères. Il fit bâtir l'abbaye de Saint-Florent de Saumur, l'abbaye d'aumône de Cîteaux, et plusieurs autres. Il eut de Mathilde, sa noble épouse, allemande d'origine, Henri, comte de Champagne; Thibaut, comte de Blois; Etienne, comte de Sancerre; Guillaume, qui fut d'abord élu archevêque de Chartres, ensuite archevêque de Sens, et après archevêque de Rheims; Adèle, reine des Français, comtesse du Perche, comtesse de Bar, et femme du duc de Bourgogne. En ce temps florissait aussi le noble Guillaume, comte de Nevers, qui fit éclater sa merveilleuse dévotion, en se rendant, de puissant prince du siècle qu'il était, humble pauvre du Christ au monastère des Chartreux. Dans ce temps florissait saint Bernard, abbé de Clairvaux, et saint Malachie en Hibernie, qui ressuscita un mort. Alors florissait aussi maître Gilbert, surnommé Porré, aussi célèbre, et presque aussi incomparable dans les arts libéraux que dans la science des divines Ecritures. Il continua, d'après les saints pères, les commentaires de maître Anselme sur le psautier et les épîtres de saint Paul. [1139.] A cette époque mourut Jean Des Temps, qui avait vécu trois cent soixante et un ans depuis le temps de Charlemagne, dont il avait été homme d'armes. Dans ce temps il s'éleva en Allemagne un faux empereur qui, après avoir vécu pendant quelques années dans la retraite à Soleure, en sortit, et prétendit faussement être l'empereur Henri, qui avait disparu. Ayant, par ses mensonges, séduit beaucoup de gens, il les attacha tellement à son parti, qu'il en advint de cruels et meurtriers combats, les uns le recevant, et 21les autres le proclamant publiquement un imposteur; mais enfin son imposture fut reconnue, et il fut tondu moine de Cluny. [1140.] En ce temps mourut maître Hugues, chanoine régulier de Saint-Victor à Paris. On construisit dans un endroit appelé Montdieu une maison de serviteurs de Dieu de l'ordre des Chartreux. Le monastère de Sainte-Marie de Froidemont, de l'ordre de Cîteaux, fut fondé dans l'évêché de Beauvais. Henri, frère de Louis, roi de France, se fit moine à Clairvaux, et, peu de temps après, fut élevé à l'évêché de Beauvais. Outre ce Henri, le roi de France eut d'autres frères, Robert, comte de Dreux, et Pierre, seigneur de Courtenai. Le pape Innocent fonda le monastère de Saint-Anastase, martyr; et y ayant fait construire des demeures pour les moines, il demanda une société de moines et un abbé tirés de Clairvaux. On y envoya, avec une société de moines, Bernard, autrefois vicomte de la ville de Pise, qui dans la suite devint le pape Eugène. Dans ce temps des hommes célèbres par leur dévotion et leur sagesse faisaient fleurir l'Eglise française: c'était Milon, évêque des Morins, remarquable par sa vertueuse humilité; Eloi, évêque d'Arras, fameux par sa libéralité, sa sagesse et sa faconde; Geoffroi, évêque de Langres; Hugues, évêque d'Autun; Goslin, évêque de Soissons; Geoffroi, évêque de Chartres; Aubry, archevêque de Bourges, homme savant et célèbre par la sagesse de ses conseils; Suger, abbé de Saint-Denis en France, homme très-érudit. Parmi eux et beaucoup d'autres hommes remarquables par leur science, brillait éminemment Bernard, abbé de 22Clairvaux, homme de la plus éclatante dévotion, qui fit un grand nombre de miracles, prêcha avec la plus grande ferveur la parole de Dieu, fonda plusieurs monastères, et gagna à Dieu beaucoup d'ames; au point que les maîtres des écoles, accompagnés d'un grand nombre de clercs, accourant en foule des nations lointaines se ranger sous son excellente domination, remplirent la maison d'épreuves de plus de cent novices, et que quarante se firent moines en un jour. On voyait aussi fleurir maître Richard, chanoine régulier de Saint-Victor de Paris, qui écrivit, dans différens livres et traités, beaucoup de choses utiles à la sainte Eglise. Dans ce temps brilla aussi Hugues de Feuillet, moine de Saint-Pierre de Corbeil, qui composa un livre de la prison de l'ame et du corps; d'autres disent que ce même Hugues fut chanoine régulier dans le territoire d'Amiens. L'impératrice Mathilde, fille de Henri, roi d'Angleterre, après s'être emparée de la Normandie par le secours de Henri, roi de France, passa en Angleterre, et, combattant contre le roi Etienne, ravagea par différentes guerres ce royaume, qui lui était dû de droit. [1141.] Dans le même temps maître Pierre Abailard, fameux et très-célèbre dans la dialectique, d'abord marié, ensuite devenu moine de Saint-Denis en France, établi ensuite abbé en Bretagne, où il était né, ayant professé perfidement touchant la foi chrétienne, fut, par les soins de saint Bernard, abbé de Clairvaux, appelé à Sens devant les évêques et un grand nombre de religieux, en présence de Louis, roi des Français. Là, interpellé par eux sur les 23articles de la foi, comme il allait répondre selon la loi, épouvanté, il en appela à l'audience du Siége apostolique; ayant ainsi éludé, il mourut peu de temps après dans son voyage vers l'Eglise de Rome, à Châlons, dans Saint-Marcel. Il avait fait construire dans l'évêché de Troyes, dans un pré auprès de Nogent-sur-Seine, où il avait coutume de demeurer, un monastère qu'il avait nommé le Paraclet, Il y fit venir, avec quelques nonnes, son ancienne femme, qui s'était faite religieuse à Argenteuil, mais qui avait été évincée du couvent avec plusieurs autres par Suger, abbé de Saint-Denis en France. Elle devint abbesse de ce monastère, après sa mort, et, continuant à prier fidèlement et assidûment pour lui, fit transporter son corps, du lieu où il était mort, audit monastère du Paraclet. On grava cette épitaphe sur son tombeau: Il suffit d'apprendre que ci-git Pierre Abailard Qui seul connut tout ce qu'on peut savoir. Roger de Sicile, fils de Robert Guiscard de Normandie, qui possédait la principauté de la Pouille et de la Calabre, excommunié par le pape Innocent, à cause des investitures des églises qu'il avait usurpées, le fit prisonnier dans un combat; mais ensuite, ayant conclu la paix avec lui, il obtint de lui qu'il le couronnât roi de Sicile. C'était le premier des Normands qui eût possédé le titre de roi. Il s'empara ensuite de presque toute l'Afrique. Etienne, roi des Anglais, fut pris par l'impératrice Mathilde, fille du roi Henri; mais peu après, s'étant échappé de sa prison, il défendit vigoureusement contre elle son royaume. [1142] L'Eglise française fut troublée par une dissension qui s'éleva entre le pape Innocent et le roi de France Louis. Aubry, archevêque de Bourges, étant mort, le pape envoya en France Pierre, qu'il consacra pasteur de l'église de ladite ville; mais, rejeté par le roi Louis, parce qu'il avait été ordonné sans son assentiment, il ne fut pas reçu dans la ville. Le roi Louis avait accordé à l'église de Bourges la liberté d'élire l'évêque qu'elle voudrait, excepté ledit Pierre, et il avait publiquement juré que de son vivant il ne serait pas archevêque. Pierre cependant, ayant été élu, partit pour Rome, et fut consacré par le pape Innocent, qui dit que le roi était un enfant qu'il fallait former et empêcher de s'accoutumer à de telles actions; et il ajouta qu'il n'y avait pas liberté d'élection quand le prince exceptait quelqu'un, à moins qu'il ne soutînt devant le juge ecclésiastique que celui-ci n'était pas éligible, auquel cas le prince serait entendu comme un autre. Cependant le roi, comme on vient de le dire, refusa l'archevêque à son retour; mais Thibaut, comte de Champagne, le reçut dans sa terre, dont toutes les églises lui obéirent. Le roi, indigné de cela, appela presque tous ses grands à faire la guerre avec lui au comte Thibaut. Raoul, comte de Vermandois, répudiant sa femme, prit en mariage Pétronille, sœur d'Eléonore, reine de France. C'est pourquoi, d'après les instantes sollicitations de Thibaut, comte de Champagne, Ives, légat de l'Eglise romaine en France, excommunia le comte Raoul, et suspendit les évêques qui avaient fait ce divorce. Jean, empereur de Constantinople, ayant assiégé pendant quelque temps la ville d'Antioche, fit la paix 25avec le prince et entra dans la ville. Ensuite, après avoir pris un grand nombre de forteresses pendant qu'il était à chasser et tendait son arc, il se blessa lui-même à la main gauche de sa flèche empoisonnée et en mourut. Manuel son fils lui succéda à l'empire. [1143.] Au mois de janvier il souffla un vent extraordinaire qui renversa des églises et des maisons, et abattit à terre de vieux arbres. Louis, roi des Français, mena une armée contre Thibaut, comte de Champagne, et prit le château de Vitry, où le feu ayant été mis à une église, treize cents personnes de différens âges et de différens sexes y furent brûlées. On dit que le roi, touché de miséricorde, en versa des larmes, et quelques-uns prétendent que ce fut ce qui le détermina plus tôt à entreprendre le pélerinage de Jérusalem. Le roi cependant donna le château de Vitry à Eudes de Champagne, neveu du comte Thibaut, qui lui avait enlevé son patrimoine. Le pape Innocent étant mort, Célestin II, cent soixante-neuvième pape, gouverna l'Eglise de Rome. Il conclut aussitôt la paix avec Louis, roi des Français. A la Saint-Martin d'été, Foulques, roi de Jérusalem, étant à la chasse et poursuivant un lièvre, son cheval broncha et le jeta à terre; ayant eu comme par miracle le cou rompu, il en mourut. Avant d'être roi de Jérusalem, tant qu'il avait été en possession du comté d'Anjou, il avait, ainsi que le disent quelques-uns, persécuté de tout son pouvoir l'église de Saint-Martin de Tours. Après sa mort, Baudouin, son fils, régna avec sa mère, la reine Mélisende. [1144.] Le pape Célestin étant mort, Luce II, cent soixante-dixième pape, gouverna l'Eglise de Rome. 26Par l'entremise de Bernard, abbé de Clairvaux, la paix fut rétablie entre Louis, roi des Français, et Thibaut, comte de Champagne. Un certain Arnaud, de la ville de Brescia en Italie, à qui l'austérité de sa vie avait attiré un grand nombre de sectateurs qu'il séduisait en s'élevant contre les richesses et le luxe du clergé de Rome, ayant été pris par quelques-uns, fut pendu et brûlé. C'était, comme dit saint Bernard dans ses lettres, un homme qui ne mangeait ni ne buvait, mais qui, ainsi que le diable, avait faim et soif du sang des ames, qui convertissait en poison l'éloquence et la science, qui avait une tête de colombe et une queue de scorpion, vomi par Brescia, abhorré de Rome, repoussé de la France, exécré de l'Allemagne. [1145.] Edesse ou Roha, ville de Mésopotamie, qui renfermait les corps des apôtres Thomas et Thaddée, et n'avait jamais été souillée des ordures de l'idolâtrie depuis qu'elle s'était pour la première fois convertie à la foi chrétienne, fut assiégée et prise par les Turcs; l'évêque de la ville fut décollé et les saints lieux profanés; plusieurs milliers d'hommes furent égorgés, et beaucoup emmenés en servitude. Le pape Luce assiégea dans le Capitole les sénateurs romains, qui s'étaient élevés contre les églises; mais il mourut peu de temps après. Eugène III, cent soixante-onzième pape, gouverna l'Eglise de Rome. D'abord vice-seigneur de l'église de Pise, ensuite moine de Clairvaux et disciple de saint Bernard, puis créé abbé de Saint-Anastase, martyr, il fut tenu pour un homme digne d'honneur et d'une éternelle mémoire. Les Romains lui 27ayant opposé Jourdan, patrice et sénateur, le chassèrent de la ville; une sédition s'étant élevée parmi le peuple, il secoua la poussière de ses pieds sur les factieux, et les laissant, vint en France. Saint Bernard l'ayant accompagné, fit beaucoup de miracles dans le voyage. A Spire, ville d'Allemagne, un si grand concours de peuple se pressa autour de lui, à cause des miracles qu'il opérait sur les malades, que Conrad, roi des Romains, craignant que la foule ne l'étouffât, ôta son manteau, et le prenant dans ses propres bras, le transporta hors de la basilique. Ledit saint homme Bernard écrivit, pour le pape Eugène, un livre très subtil et très-utile, intitulé de In Considération. Dans le même temps, une grande famine désola la France. [1146.] Le roi de France Louis, enflammé de zèle à la nouvelle de la prise de Roha, ville de Mésopotamie, ou plutôt, comme d'autres empereurs, touché en sa conscience de l'incendie de Vitry, recut la croix à Vézelai au temps de Pâques, et résolut avec les grands de son royaume et une innombrable multitude de gens, d'entreprendre le pélerinage d'outre-mer. L'église de Tournai, qui, pendant environ six cents ans, depuis le temps de saint Medard, soumise à l'évêque de Noyon, n'avait pas eu d'évêque particulier, commença à en avoir un. Anselme, consacré abbé de Saint-Vincent de Laon par le pape Eugène, fut consacré évêque de Tournai. Dans le pays d'Allemagne, il y avait une admirable vierge, d'un âge avancé, qui avait reçu de telles grâces de Dieu que, laïque et non lettrée, ravie souvent en des sommeils mira-28culeux, elle avait non seulement la révélation de choses véritables qu'elle publiait ensuite, mais dictait en latin, et faisait ainsi dictant des livres de la doctrine catholique. Telle était, au rapport de quelques-uns, sainte Hildegarde, qui, dit-on, fit beaucoup de prédictions. [1147.] Conrad ayant été établi empereur des Romains à Francfort, le jour de la Purification de sainte Marie, saint Bernard, abbé de Clairvaux, donna au roi et à tous les princes d'Allemagne la croix de pélerins d'outre-mer. Alors les pélerins se multiplièrent à l'infini. L'armée navale de Dieu, composée de près de deux cents vaisseaux, rassemblés d'Angleterre, de Flandre et de Lorraine, partit la veille des ides d'avril, de Dartmouth, port d'Angleterre, assiégea le 4 des calendes de juillet, la veille de la fête des apôtres Pierre et Paul, Lisbonne, ville d'Espagne, et par la puissance de Dieu et sa propre adresse, s'en empara après un siége de quatre mois: quoiqu'ils ne fussent que treize mille, ils tuèrent cependant deux cent mille cinq cents Sarrasins. Étant ainsi entrés dans la ville au milieu des hymnes et des cantiques, ils consacrèrent une église, et y établirent un évêque et des clercs. Trois muets reçurent l'usage de la parole sur les corps des Chrétiens morts. Conrad, empereur des Romains, ayant, au mois de mai, pris le chemin d'outre-mer avec une innombrable multitude de pélerins, passa heureusement le Bosphore. S'étant inconsidérément détourné pour assiéger Iconium, les grains de la terre furent consumés et les vivres manquèrent. Les hommes étant tourmentés par la famine, il revint sans avoir réussi, et, poursuivi par les 29Turcs, perdit beaucoup de milliers des siens. Louis, roi des Français, prit avec sa femme, la reine Eléonore, le chemin d'outre-mer, le 3o mai, c'est-à-dire le mercredi après la Pentecôte, et partit pour la Hongrie avec un grand nombre de milliers d'hommes tout équipés. Ayant passé le Bosphore, il se rencontra avec Conrad, empereur des Romains. Cet empereur, abandonné d'un grand nombre des siens que la disette forçait à s'en retourner chez eux, et accompagné d'un petit nombre de gens seulement, fut accueilli avec bienveillance par les Français, et fit route pendant quelque temps avec eux. Mais l'approche de l'hiver et le desir de faire reposer les siens, le ramenèrent à Constantinople. L'hiver étant passé, l'empereur des Grecs lui prêta assistance, et lui donna des vaisseaux pour le conduire à Jérusalem. Dans le même temps, l'administration de tout le royaume de France fut confiée à Suger, abbé de Saint-Denis en France. [1148.] Le pape Eugène tint à Rheims un concile dans lequel saint Bernard, l'Achille de son temps, réfuta publiquement maître Gilbert, surnommé Porrée, dans une discussion qu'il eut seul à seul avec lui. Ce Gilbert, évêque de Poitiers, était très-instruit dans les saintes Écritures; mais dans sa folie il sonda des choses trop profondes pour lui. Ne concevant pas simplement l'unité de la sainte Trinité, et la simplicité de la Divinité, et n'écrivant pas selon la foi sur ce sujet, il nourrissait ses disciples de pains cachés et d'eaux, inconnues. Il n'avouait pas facilement aux personnes en autorité toute sa sagesse ou plutôt toute sa folie, car il craignait ce que l'on rapporte lui avoir 30été dit à Sens par Pierre Abailard: «C'est de toi maintenant qu'il s'agit, car le feu est à la maison voisine.» Enfin, comme déjà le scandale des fidèles augmentait à ce sujet, et que les murmures croissaient, Gilbert fut appelé en jugement, et sommé de remettre le livre dans lequel il avait vomi des blasphèmes graves, il est vrai, mais couverts sous certains mots. Saint Bernard, découvrant d'abord par de subtiles interrogations tout ce que Gilbert s'efforçait de cacher sous des paroles équivoques, le réfuta pendant deux jours que dura la discussion, tant par ses propres argumens que par les témoignages des saints. Considérant que quelques-uns des juges, bien qu'ils condamnassent ses doctrines blasphématoires, répugnaient cependant à ce qu'il lui fût fait personnellement aucun mal, Bernard s'enflamma de zèle, et provoqua une assemblée particulière de l'Eglise française. Enfin, dans une assemblée commune des pères de dix provinces, les uns évêques, et un grand nombre abbés, ils opposèrent à de nouveaux dogmes un symbole nouveau, composé par l'homme de Dieu, et au bas duquel étaient signés les noms de chacun, afin de manifester à leurs confrères leur zèle, soit louable, soit blâmable. Enfin, cette erreur fut condamnée par le jugement apostolique et l'autorité de toute l'Eglise. L'évêque Gilbert, interrogé s'il consentait à cette condamnation, y consentit, et rétracta publiquement ce qu'il avait écrit et soutenu auparavant. Il obtint ainsi l'indulgence de ses juges, et surtout parce que dès le commencement il était convenu d'entrer dans cette discussion, à condition 31qu'il promettrait de corriger librement son opinion sans aucune obstination, selon le jugement de la sainte Eglise. Il arriva après le concile que, pendant que le pape célébrait la messe dans la grande église, et que selon la coutume romaine un des ministres de l'autel lui apportait le calice, je ne sais par quelle négligence des ministres, le sang du Seigneur fut répandu sur le tapis devant l'autel. Cet événement frappa d'une grande terreur les plus savans, qui pensaient avec certitude qu'une chose de cette sorte n'arrivait jamais dans aucune église qu'elle ne fût menacée de toutes parts d'un grand danger; et comme, cet événement était arrivé dans le Siége apostolique, on craignait que l'Eglise universelle ne fût en proie à tous les périls. Cette opinion n'était certes pas sans fondement, car cette même année, Conrad, empereur des Romains, comme on l'a dit plus haut, vit son armée détruite par les Turcs en Orient, et put à peine s'échapper. Le roi de France Louis, et son armée française, se rendant vers la Terre-Sainte, à travers les déserts de la Syrie, éprouvèrent de très-grandes pertes par la ruse et la fourberie des Grecs, et par les fréquentes attaques des Turcs, et furent tourmentés par une si violente famine, que quelques-uns d'entre eux se nourrirent de la chair des chevaux et des ânes. On dit qu'alors, à Jérusalem, le tonnerre se fit entendre dans le temple du Seigneur ou sur le mont des Oliviers, comme un présage de cette calamité. Les loups même, en beaucoup de lieux et de villes, dévorèrent des hommes. Alphonse, comte de Saint-Gilles, s'étant rendu dans la Palestine avec une grande ar-32mée navale, comme on attendait de lui quelque grande entreprise, mourut à Césarée, ville de Palestine, empoisonné, comme le disent quelques-uns, par la trahison de la reine de Jérusalem; alors son fils, encore jeune, craignant pour lui-même, entra dans un château du comte de Tripoli, son oncle; mais, par la trahison de cette même reine, il fut pris avec sa sœur par les Turcs. [1149.] Le pape Eugène revint du pays de France en Italie, et livra aux Romains des combats dont les succès variés ne lui permirent pas de réussite. L'armée de Louis, roi des Français, ayant été défaite dans les déserts de la Syrie, il vint à Antioche, où il fut reçu avec honneur par le prince Raymond, frère de Guillaume, de bonne mémoire, duc d'Aquitaine, père d'Eléonore, reine des Français. Lorsqu'il se fut arrêté en cette ville pour reposer, refaire et remettre le reste de son armée, sa femme, la reine Éléonore, trompée par la fourberie de son oncle, le prince d'Antioche, voulut y rester. Le prince espérait en effet que le retard du roi de France lui ferait remporter la victoire sur les Turcs, ses voisins. Comme le roi se préparait à arracher sa femme de ces lieux, elle lui représenta sa parenté, disant qu'il ne leur était pas permis de demeurer plus long-temps ensemble, parce qu'il y avait entre eux consanguinité au quatrième degré. C'est de quoi le roi fort troublé, quoiqu'il l'aimât d'un amour presque immodéré, se détermina à l'abandonner; mais ses conseillers et les grands refusèrent d'y consentir. Elle fut donc forcée malgré elle de partir pour Jérusalem avec le roi, son mari; mais quoique tous deux dissimulassent autant qu'il 33leur était possible, ils eurent toujours cet outrage à cœur. Conrad, empereur des Romains, et Louis, roi de France, s'étant réunis à Jérusalem, partirent, d'après le conseil des barons, pour assiéger Damas. Cette ville ayant été assiégée pendant trois jours par les Français, les Allemands et les habitans de Jérusalem, comme les murs extérieurs qui entouraient les jardins étaient déjà pris, et qu'on avait lieu d'espérer de s'emparer bientôt de la ville, on leva le siége. Ce fut, dit-on, par la fourberie des princes de la Palestine, mécontens de ce que les rois l'avaient promise, dès qu'elle serait prise, à Thierri, comte de Flandre. S'étant donc éloignés, le roi des Français et l'empereur des Romains s'assemblèrent de nouveau avec leurs troupes à Joppé, à un jour fixé, pour assiéger Ascalon; mais les habitans de Jérusalem ne s'étant pas trouvés au jour convenu, l'empereur Conrad se rendit par mer à Constantinople, et les barons du roi de France étant retournés chez eux, il demeura un an à Jérusalem, accompagné seulement d'un petit nombre de gens. En ce même temps Roger, roi de Sicile, attaqua l'Afrique à la tête d'une armée navale, et ayant pris la ville appelée Afrique et plusieurs châteaux, renvoya librement à son siége l'archevêque d'Afrique, qui était venu à Rome comme prisonnier pour y être consacré. Conrad, empereur des Romains, et Manuel, empereur des Grecs, se réunirent, et préparèrent une expédition contre Roger, roi de Sicile; mais leur armée ayant été tourmentée par la famine et l'intempérie de l'air, Conrad retourna chez lui. Saint Malachie, évêque d'Irlande, revenant de Rome, mourut et fut 34enterré à Clairvaux. Sa vie a été écrite par saint Bernard. [1150.] Louis, roi de France, s'étant embarqué pour retourner de Palestine dans son pays, tomba au milieu de vaisseaux grecs qui lui avaient préparé des embûches. Comme ils l'emmenaient pour le présenter à l'empereur Manuel, qui assiégeait Corfou, ils furent attaqués par George, commandant des vaisseaux du roi de Sicile. George, après avoir ravagé et dépouillé les provinces grecques, s'était approché de Constantinople même, la ville royale, avait lancé dans le palais de l'empereur des traits enflammés, et incendiant les faubourgs, avait violemment enlevé les fruits des jardins du roi. De là, s'en retournant, il rencontra les vaisseaux grecs qui avaient pris le roi des Français, Louis. Il les attaqua et leur arracha le roi, qu'il conduisit avec honneur en Sicile, joyeux de son triomphe et de sa victoire. Le roi de Sicile avait fait en sorte qu'il en fût ainsi, car il craignait les embûches des Grecs, et desirait trouver l'occasion de montrer l'affection qu'il portait au roi et au royaume des Français. Louis fut par lui conduit avec honneur jusqu'à Rome, où ayant été reçu du pape Eugène avec joie et magnificence, il s'en retourna ensuite heureusement en France. Aux calendes d'août Raimond, prince d'Antioche, ayant fait une sortie contre les Turcs, un grand nombre des siens furent pris ou tués, et lui-même périt par les embûches des ennemis. Les Turcs, portant partout sa tête, s'emparèrent de presque toutes les villes et châteaux de ce prince, à l'exception d'Antioche. Comme ils incommodaient excessivement cette ville, 35Baudouin, roi de Jérusalem, entra contre eux en Syrie, et leur ayant fait beaucoup de mal, s'empara d'une de leur forteresse aux environs de Damas, et rendit les Damasquins pour jamais tributaires. Les chevaliers du Temple, qui rebâtissaient Gaza, ville de Palestine, incommodèrent violemment les Ascalonites. Hugues, archevêque de Tours, étant mort, Engebaud lui succéda. [1151.] Il y eut en France des assemblées auxquelles assista le pape Eugène, dans le but d'envoyer à Jérusalem saint Bernard, abbé de Clairvaux, pour en encourager d'autres. On prêcha de nouveau dans un très-grand sermon le voyage d'outre-mer, mais tout manqua par le fait des moines de Cîteaux. Barthélemy, évêque de Laon, dans la trente-huitième année de son épiscopat, méprisant l'éclat du monde, revêtit l'habit monacal à Fuscy. Thibaut, comte de Champagne, mourut et fut enseveli à Livry. Quelqu'un a dit de lui: Par ta bonté, excellent comte, tu appartins à tous; Ainsi fais-tu maintenant par ta renommée qui te survit. Geoffroi, comte d'Anjou, ayant pris le château de Montreuil à Girard Berlay, mourut et fut enseveli au Mans dans l'église de Saint-Julien. Il eut pour successeur dans le comté d'Anjou, Henri, son fils, qu'il avait eu de l'impératrice Mathilde, fille de Henri, roi d'Angleterre, et que le roi de France, Louis, avait auparavant investi, à l'exclusion du roi Etienne, du duché de Normandie qui lui revenait de droit. [1152.] Louis, roi de France, enflammé de jalousie, alla en Aquitaine avec Éléonore, sa femme, re-36tira ses garnisons et ramena ses gens de ce pays. En revenant il répudia, au château de Beaugency, sa femme, qu'il affirma sous serment être liée à lui de parenté. Il en avait eu deux filles, Marie que dans la suite Henri, comte de Troye, prit en mariage, et Alix qui fut mariée dans la suite à Thibaut, comte de Blois, Le divorce ayant donc été prononcé entre le roi de France et Eléonore, sa femme, comme elle s'en retournait dans sa terre natale, Henri, duc de Normandie et comte d'Anjou, vint à sa rencontre et l'épousa: d'où il s'éleva entre lui et le roi Louis une violente discorde. Dans la suite, ledit Henri, duc de Normandie, eut de ladite reine Éléonore, Henri, Richard et Jean, qui devinrent plus tard rois d'Angleterre, et Geoffroi, comte de Bretagne. Il en eut aussi quatre filles, dont l'une fut donnée en mariage au roi de Castille, d'où naquit Blanche, reine de France, mère du roi saint Louis; l'autre fut mariée à Alexis, empereur de Constantinople; la troisième au duc de Saxe, d'où naquit Othon, qui devint dans la suite empereur des Romains; la quatrième au comte de Toulouse, et de ce mariage naquit Raimond, dont la fille fut dans la suite mariée à Alphonse, comte de Poitou, frère de saint Louis, roi de France. La reine de Jérusalem vivant avec les ennemis de la foi dans une grande familiarité, le roi Baudouin, son fils, se révolta contre elle, et assiégea et prit ses places fortes. Elle l'empêcha de nouveau d'entrer dans la ville sainte; mais il y pénétra plus tard par force, et l'assiégea dans la citadelle. Ayant fait la paix avec lui, elle garda Naplouse pour elle, et abandonna paisiblement à son fils le reste du royaume. Dans le même temps, les Mésamutes, que quelques-uns disent être les Moabites, après s'être emparés du royaume de la Mauritanie et en avoir attaché le roi à un gibet, tuèrent aussi le roi de Bulgarie, envahirent son royaume, et menacèrent même d'attaquer la Sicile, la Pouille et Rome. Le pape Eugène ayant fait la paix avec les Romains entra dans la ville de Rome, et y demeura d'abord un an avec eux. Raoul, comte de Vermandois, mourut, et par le secours de Louis, roi des Français, son comté fut dévolu à Philippe, comte de Flandre. Conrad, empereur des Romains, mourut sans la bénédiction impériale. Frédéric, duc de Saxe, son neveu, lui succéda par élection. En ce temps, moururent des hommes fameux par leur piété et leur science, Hugues, évêque d'Autun, Josselin, évêque de Soissons, et Suger, abbé de Saint-Denis en France. [1153.] Le pape Eugène étant mort, Anastase IV, Romain de nation, cent soixante-douzième pape, gouverna l'Église de Rome. La même année, saint Bernard, abbé de Clairvaux, de vénérable sainteté et mémoire, illustre par ses actions, et après avoir gagné beaucoup d'ames à Dieu, se reposa dans une heureuse fin, après avoir fondé cent soixante monastères de son ordre, et s'être manifesté par plusieurs miracles. Tandis qu'un grand nombre de ses disciples avaient été élevés à l'épiscopat, à l'archiépiscopat, et même à la papauté, il ne voulut jamais qu'on le fit évêque ni archevêque, quoiqu'il eût été élu et appelé très-souvent dans plusieurs lieux. Il ordonna que l'on mît avec lui dans son tombeau et que l'on plaçât sur sa poitrine les reliques de l'apôtre saint Thaddée, afin qu'il se 38trouvât uni à ce même apôtre le jour de la commune résurrection, comme il l'était par la foi et la dévotion. Louis, roi des Français, ayant attaqué la Normandie, assiégea et prit le château de Vernon pendant que le duc Henri était en Angleterre. Henri, duc de Normandie et d'Aquitaine, et comte de Poitiers et d'Anjou, attaquant vigoureusement Etienne, roi d'Angleterre, ce roi, affaibli par les fatigues de la vieillesse, privé en outre, par la mort de son fils Eustache, de l'espoir d'un héritier, conclut la paix avec l'impératrice Mathilde et son fils Henri, aux conditions suivantes: après lui, le royaume d'Angleterre devait paisiblement revenir à Henri, qui l'adoptait pour père, et qu'il adoptait pour fils. Le roi Etienne demeura donc en paix sur le trône d'Angleterre, et Henri, agissant au nom du roi, rétablit tout en Angleterre sur l'ancien pied. Baudouin, roi de Jérusalem, s'étant emparé de tout le royaume, prit, après un long siége, Ascalon, ville de Palestine; mais ce ne fut pas sans de grands dommages et la perte de beaucoup des siens. Dans ce temps florissaient en France Pierre, évêque de Lombardie; Eudes, évêque de Soissons, et Ives, évêque de Chartres. Pierre écrivit un volume de sentences, divisé en quatre livres, utilement compilé, d'après les diverses paroles des saints et docteurs. Il expliqua plus au long et plus clairement les commentaires sur le psautier et les épîtres de saint Paul, ornés par Anselme, évêque de Laon, de gloses interlinéaires et marginales, et continués ensuite par Gilbert Porrée. [1154.] En ce temps mourut Roger, roi de Sicile, qui se rendit célèbre par d'utiles actions, après avoir remporté sur les Sarrasins d'illustres victoires et s'être emparé de leurs terres. Il laissa un fils, nommé Guillaume, qui ne lui fut pas inférieur, et hérita de son trône comme de ses victoires. Etienne, roi d'Angleterre, étant mort, Henri, duc de Normandie et d'Aquitaine, et comte d'Anjou et de Poitou, fut élevé au trône. Dans la suite, il s'empara de la plus grande partie de l'Irlande. Le pape Anastase étant mort, Adrien IV, cent soixante-treizième pape, gouverna l'Eglise de Rome. Anglais de nation, il couronna aussitôt empereur Frédéric, roi des Romains. Les Romains s'étant opposés à ce couronnement, ils furent puissamment repousses par les Allemands. Louis, roi des Français, prit en mariage à Orléans Constance, fille de l'empereur d'Espagne, distinguée par l'honnêteté de ses mœurs. Elle fut en cette ville sacrée reine par Hugues, archevêque de Sens, ce qui fut mal pris de Samson, archevêque de Rheims, qui le supporta avec peine, disant que le sacre du roi et de la reine de France lui appartenait, eu quelque endroit qu'il se fit. Ives, évêque de Chartres, très-instruit dans les décrets et les lois, soutint contre lui, autant par des raisonnemens que par des exemples, que le sacre des rois de France ne lui appartenait pas exclusivement, disant qu'il ne pourrait prouver par aucun écrit ou exemple que lui, ou aucun de ses prédécesseurs, eût sacré quelque roi ou quelque reine de France hors de la province belgique de la France, et qu'il ne lui était pas permis, d'après le droit commun, de s'approprier un droit particulier dans la métropole ou le diocèse 40d'un autre. Le roi Louis eut de la reine Constance une fille, nommée Marguerite, qui fut mariée à Henri le Jeune, roi d'Angleterre, et, après la mort de celui-ci, à Bèle, roi de Hongrie. [1155.] Le dix-huitième jour de janvier, dans le pays de Bourgogne, il y eut dans une seule nuit trois tremblemens de terre, qui renversèrent un grand nombre d'édifices. Guillaume, roi de Sicile, ayant conduit une armée en Egypte, dépouilla et ravagea la ville de Thanis. A son retour, il attaqua le fourbe empereur des Grecs, et, quoiqu'en petit nombre, les Siciliens prirent, dépouillèrent et vainquirent cent quarante vaisseaux grecs. [1156.] Guillaume, roi de Sicile, prit et extermina ceux qui s'étaient emparés en Italie du château de Pouzzoles. Le roi des Babyloniens fut tué par un de ses grands; et comme celui-ci s'enfuyait avec d'immenses trésors, il fut tué par les chevaliers du Temple, et son fils fut pris avec toutes ses richesses. Frédéric, roi des Romains, ayant passé les Alpes, combattit vigoureusement contre l'Italie, et détruisit les châteaux de ses ennemis. Louis, roi de France, délivra l'église de Sens des perverses exactions dont elle avait coutume d'être accablée à la mort de son archevêque. [1157.] Frédéric, empereur des Romains, assiégeant avec une armée innombrable les villes et les châteaux d'Italie, en prit un grand nombre, mais il demeura près de sept ans au siége de Milan. Engebaud, archevêque de Tours, étant mort, Josse, Breton, lui succéda. Marguerite, fille du roi de France Louis et de la reine Constance, fut fiancée à Henri, fils aîné 41de Henri, roi d'Angleterre, et la paix fut conclue entre eux. [1158.] Dans le pays de Saxe, une nonne, nommée Elisabeth, eut de merveilleuses visions de la Conception, la Nativité et l'Assomption de la sainte vierge Marie, mère de Dieu, et de la gloire des onze mille vierges. Dans ce temps florissait Thibaut, archevêque de Cantorbéry, auparavant moine du Bec, en Normandie. C'était un homme louable et magnifique en tout, et aussi expérimenté dans les affaires séculières que dans les affaires ecclésiastiques. Par son influence, saint Thomas, depuis martyr, archidiacre de Cantorbéry, fut créé chancelier de Henri, roi d'Angleterre. Aux nones de septembre, parut dans la lune le signe de la croix. On vit, du côté de l'Occident, trois soleils, dont deux s'étant dissipés peu à peu, le soleil de ce jour-là, qui tenait le milieu, resta jusqu'à son coucher. [1159.] Après la mort du pape Adrien, Alexandre III, Toscan de nation, cent soixante-quatorzième pape, gouverna l'Église de Rome. Les cardinaux divisés, favorisés par l'empereur Frédéric, lui opposèrent Octavien, et déchirèrent l'Église par un funeste schisme. C'est pourquoi les grands du pays furent en discorde, les uns favorisant Alexandre, et les autres Octavien. Louis, roi de France, et Henri, roi d'Angleterre, avec leurs prélats, recurent Alexandre pour leur père et seigneur. [1160.] Il y eut une éclipse de lune, et Constance, reine de France, mourut. Après sa mort, le roi Louis prit pour troisième femme Adèle, fille de Thibaut, comte de Champagne, dont nous avons plus haut 42rapporté la mort. Hugues, archevêque de Sens, sacra Adèle reine de France, à Paris, en présence de trois cardinaux de l'Église romaine Vers le même temps commencèrent les miracles de sainte Marie de Roche d'Amant. [1161.] Guillaume, comte de Nevers, mourut, et eut pour successeur Guillaume, son fils, qui éprouva beaucoup de dommages de la part du comte de Joigny et du comte de Sancerre; mais enfin il l'emporta sur eux. Henri, roi d'Angleterre, duc d'Aquitaine et de Normandie, s'avança vers Toulouse, à la rencontre du comte de cette ville. Mais comme le roi de France Louis y était entré pour la défendre, le roi Henri se retira, n'osant pas assiéger son seigneur. [1162.] Baudouin, roi de Jérusalem, étant mort sans héritiers, son frère Amaury lui succéda. Il y eut une grande famine par tout le royaume de France. Les Milanais, assiégés depuis sept ans par Frédéric, empereur des Romains, étant tourmentés de la disette, et voyant que les autres villes d'Italie avaient renoncé à la révolte, se rendirent à l'Empereur, qui détruisit les murs de la ville, renversa les tours, et dispersa les habitans dans les environs. Cela fait, Renaud, archevêque de Cologne, transporta de Milan en cette ville les corps des trois rois Mages qui avaient adoré le Seigneur Jésus-Christ dans Bethléem. Ces corps avaient été autrefois apportés de Constantinople à Milan. Le pape Alexandre vint en France, et fut reçu par les rois de France et d'Angleterre. Saint Thomas devint archevêque de Cantorbéry en Angleterre. [1163.] A la Pentecôte le pape Alexandre tint un con-43cile à Tours, et ensuite à la fête de saint Jérôme, venant à Sens, il y demeura pendant un an et demi. Saint Thomas, archevêque de Cantorbéry, exilé d'Angleterre, se réfugia en France. S'étant rendu à Sens auprès du pape Alexandre, il lui fit connaître les coutumes d'après lesquelles le roi d'Angleterre l'avait exilé. Il s'expliqua devant le pape et les cardinaux avec de si bonnes raisons, que le pape, admirant sa sagesse, le reçut avec honneur, lui rendant grâces de ce que, dans des temps si dangereux, il avait entrepris de défendre l'Église de Dieu contre les attaques des tyrans. Alors le pape condamna pour jamais ces coutumes anglaises, et enchaîna sous un éternel anathème ceux qui les observeraient et ceux qui les feraient exécuter. Saint Thomas, par le conseil du pape, se rendit au monastère de Pontion, et y demeura pendant près de deux ans; ensuite demeurant à Sens dans le monastère de Sainte-Colombe, il fut soutenu aux frais du roi de France Louis. Le pape Alexandre consacra à Sens, dans l'église de Saint-Étienne, l'autel des saints apôtres Pierre et Paul. Il consacra aussi le monastère de Sainte-Colombe. Guillaume, comte de Nevers, vainquit dans un combat Etienne, comte de Sancerre, tua et prit un grand nombre des siens. [1164.] Le roi d'Angleterre Henri, apprenant avec quel honneur saint-Thomas, archevêque de Cantorbéry, avait été reçu par le pape Alexandre, et sachant qu'il avait choisi Pontion pour le lieu de sa demeure, ne pouvant plus exercer sur lui sa colère, s'emporta contre les siens à des cruautés inouies; il ordonna que partout où on trouverait quelqu'un de sa parenté, homme ou femme, ils fussent dépouillés de leurs 44biens et héritages, et chassés de son royaume; et dans la vue d'affliger l'archevêque, il exigea d'eux le serment qu'ils partiraient pour Pontion, et se présenteraient à lui. [1165.] Le pape Alexandre retourna à Rome, et fut reçu en grand honneur par les Romains. Un des jours d'août, jour de dimanche, dans l'octave de l'Assomption de sainte Marie, naquit à Louis, roi de France, un fils nommé Philippe. On dit que son père eut en songe cette vision à son sujet. Il vit que Philippe son fils tenait dans sa main un calice rempli de sang humain, dans lequel il présentait à boire à tous les princes, et tous buvaient dedans. Les actions de sa vie expliquèrent ce que présageait une vision de cette sorte. Guichard, abbé de Pontion, fut créé archevêque de Lyon. [1166.] Dans le pays du Rouergue, il survint une calamité qui punit par un rigoureux châtiment le peuple de Dieu: des loups féroces, sortant des forêts, arrachaient les petits enfans du sein de leur mère et les dévoraient de leurs dents cruelles. Henri, évêque de Beauvais, frère de Louis, roi de France, que nous avons dit plus haut avoir été moine de Clairvaux, fut transféré à l'archevêché de Rheims. [1167.] Frédéric, empereur des Romains, marcha enflammé d'une ardente haine contre Alexandre, pape de Rome; mais, par le jugement de Dieu, presque toute son armée périt de la peste, et, vaincu ainsi, il s'en retourna chez lui avec peu de troupes. En ce temps mourut l'impératrice Mathilde, mère de Henri, roi d'Angleterre. Guillaume, roi de Sicile, mourut, et eut pour successeur son fils, Guillaume. En ce 45temps mourut Amaury, auparavant abbé de Charlieu, qui devint ensuite évêque de Senlis. [1168.] Il y avait à Jérusalem une telle peste, que presque tous les pélerins moururent. Là, Guillaume, comte de Nevers, mourut sans héritier, et eut pour successeur Guy, son frère. Il y avait alors en Sicile un Français, chancelier du roi Guillaume, qui était odieux aux grands de Sicile. En haine de lui, ils envoyèrent dans la Pouille et la Calabre une lettre pour que tous les Français qu'on trouverait fussent mis à mort: ce qui fut exécuté; mais le roi de Sicile l'ayant su, condamna à un pareil sort les auteurs de cette sédition. [1169.] En Sicile, la ville de Catane fut renversée par un tremblement de terre. L'évêque, le clergé et l'abbé de Milet périrent avec quarante moines et près de quinze mille hommes. Henri, roi d'Angleterre, par haine pour saint Thomas, archevêque de Cantorbéry, fit sacrer roi son fils aîné Henri, gendre de Louis, roi de France, par Roger, évêque d'Yorck, quoique cette fonction appartînt exclusivement à l'archevêque de Cantorbéry; cela, malgré l'opposition de l'archevêque, qui vivait exilé en France. Hugues, archevêque de Sens, mourut, et eut pour successeur Guillaume, fils de feu Thibaut, comte de Champagne et frère de la reine de France Adèle, qui était élu évêque de Chartres, mais qui n'avait pas encore été consacré. Il fut consacré à Sens par Maurice, vénérable évêque de Paris.