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Présentations d'auteurs : Flavius Josèphe (Ier s. ap. J.-Chr.)


 

Jean SIRINELLI, Les enfants d'Alexandre
La littérature et la pensée grecques (334 av. J.-Ch. - 519 ap. J.-Ch.)
Paris, Fayard, 1993, pp. 248-251

 

L'histoire: Flavius Josèphe

Le i siècle ap. J: C. n'est guère fécond pour l'historiographie de langue grecque. Aucune oeuvre importante n'a subsisté en dehors de celle de Flavius Josèphe. Encore celle-ci est-elle très particulière et concerne-t-elle une nation qui occupe vis-à-vis de l'Empire romain et dans son attitude vis-à-vis de l'histoire une position exceptionnelle. Non seulement aucune histoire ne nous est restée, mais encore nous n'avons aucune trace, aucun écho d'une histoire importante en langue grecque. En revanche, la littérature latine peut se prévaloir d'une floraison d'historiens; après Velleius Paterculus, Valère Maxime, Quinte Cure, ce sont Tacite puis Suétone qui nous livrent des ouvrages latins qui n'ont pas leur pendant grec. Faut-il penser qu'il était trop tôt pour que des Grecs se préoccupassent de l'histoire de l'Empire? Quant aux histoires locales, l'heure est passée et n'est pas encore revenue. En fait, c'est Arrien vers le milieu du IIe siècle ap. J. C. qui inaugurera la renaissance de ce genre. Mais à partir de cette époque l'histoire revient pour deux siècles au grec jusqu'à ce que Ammien Marcellin, Grec d'Antioche, ferme cette longue parenthèse en choisissant le latin (vers le milieu du ive siècle).

C'est une veine différente que nous abordons avec Flavius Josèphe, le seul historien de langue grecque de cette époque dont nous ayons conservé les oeuvres. Encore faut-il lui faire une place à part. Il est né en 37 ap. J.-C. dans une grande famille sacerdotale et son nom est Joseph ben Matthias. Sa mère descend des rois Asmonéens et cette parenté ne sera pas sans influence sur ses jugements. Doué et précoce, il suit de fortes études très marquées du sceau de la religion. Il étudie les différentes sectes du judaïsme : pharisiens, sadducéens, esséniens, et sera bien placé pour les décrire par la suite. Il fait retraite durant trois ans au désert et goûte à la vie érémitique, puis revient à la vie sociale en choisissant le parti des pharisiens.

A vingt-sept ans il part à Rome demander à Poppée d'intercéder pour des prêtres juifs mis en accusation devant l'empereur; c'est au cours de cette mission qu'il peut mesurer la puissance de l'Empire. Porté au commandement des deux Galilées à l'occasion du conflit avec les Romains, il est assiégé dans Jotapata et, lors de la reddition de la garnison, il se dérobe au suicide collectif décidé par ses compagnons et mis en pratique par la plupart (67 ap. J.-C.).

Devenu l'ami de Vespasien et de Titus, il reste auprès de ce dernier pendant le siège de Jérusalem (70 ap. J.-C.), reçoit la citoyenneté romaine et s'en va vivre à Rome sous le nom de Titus Flavius Josephus comme historiographe des empereurs, jusqu'au début du règne de Trajan.

Son oeuvre est considérable. Elle a sans doute commencé par une relation en araméen de la Guerre des Juifs, relation aujourd'hui perdue. Traduite ou recomposée en grec, elle paraît après 75 ap. J.-C., entre 76 et 79, et raconte en sept livres les conflits entre les Juifs et les autorités étrangères depuis la persécution d'Antiochos Épiphane (vers 168 av. J: C.) jusqu'à la répression romaine de 67-73 ap. J.-C.

Son ouvrage le plus important est sans doute les Antiquités judaïques, rédigées en grec, destinées à faire connaître le contenu historique de la Bible complétée par l'histoire des Asmonéens et des Hérodiens, et publiées à partir de 93 ap. J.-C.. En vingt livres Josèphe y réunit, jusqu'au livre d'Esther, les informations tirées de la Bible hébraïque qui nous apportent quelquefois des renseignements sur d'autres versions que celles que nous connaissons. Puis, après le livre d'Esther, il suit des sources grecques qu'il mentionne explicitement dans son introduction, mais ne néglige pas les traditions juives écrites ou orales qu'il a pu recueillir. Pour les périodes les plus récentes, il suit volontiers Nicolas de Damas en ce qui concerne Hérode le Grand, puis différents témoignages, recueillis par lui et sans équivalent ailleurs, notamment pour Caligula et Claude.

On doit s'arrêter sur son Autobiographie car c'est la première du genre qui nous ait été conservée. Elle est en réalité une riposte, dans la tradition des apologies, aux accusations de Juste de Tibériade qui reprochait à Josèphe d'avoir été l'un des fomentateurs de la révolte. Cette autobiographie est souvent mise en contradiction avec la Guerre des Juifs écrite vingt ans plus tôt. Ces discordances sont instructives, car elles ne tiennent pas tant à la matérialité des faits qu'à l'image que l'auteur veut donner de lui à vingt ans de distance : patriote rallié à des vainqueurs magnanimes dans la Guerre des Juifs, politique modéré dans la Vie.

Mais pour l'histoire des idées, c'est le dernier ouvrage, le Contre Apion, qui est peut-être le plus important. Il doit dater des années 93-96, et il constitue probablement une réponse aux attaques dirigées contre les Antiquités juives. Apion avait défendu devant Caligula la cause des Grecs d'Alexandrie contre les Juifs. Josèphe prend ce prétexte pour réfuter les critiques qui étaient adressées au judaïsme et cet ouvrage tend notamment à démontrer en deux livres l'excellence et l'antériorité de la civilisation judaïque. Son titre ancien paraît avoir été Sur l'antiquité des Juifs ou Contre les Grecs.

Le style de Josèphe est très inégal : sa langue maternelle est l'araméen; il a appris le grec tardivement et le manie parfois avec lourdeur. On a aussi le sentiment qu'il est constamment occupé à réfuter ou à polémiquer, mais, ce sentiment une fois dépassé, c'est un observateur un peu extérieur, très précieux pour nous, presque autant, toutes proportions gardées, que Polybe en son temps. Comme Polybe, il a la passion d'expliquer, de faire connaître les modes de gouvernement, les méthodes de guerre, les raisons des victoires ou des défaites. Comme Polybe aussi, il a fait l'objet d'un procès incessant en collaboration avec l'ennemi. Mais, à coup sûr, la cause est bien plus complexe encore que celle de l'historien achéen. Il s'y mêle des considérations sociales, politiques, culturelles et religieuses. De grande famille, Josèphe a tendance à voir des brigands partout où il y a des tumultes populaires et les Romains lui apparaissent comme les garants de l'ordre public; politiquement, la conception d'un État juif que Josèphe trahissait est difficile à asseoir et à définir; culturellement, son ralliement à la langue grecque n'a peut-être pas plus de signification que celui d'un intellectuel indien écrivant en anglais; et sur le plan religieux on en est encore à chercher quelle étiquette lui attribuer réellement, une fois enregistrées ses prises de position hostiles au messianisme apocalyptique que les malheurs du temps suscitaient chez certains de ses compatriotes. Ce n'est en tous cas pas en quelques lignes qu'on peut trancher une question si délicate.


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Dernière mise à jour : 29/11/2006