[2,0] LIVRE SECOND. [2,1] CHAPITRE Ier. Des successeurs de saint Rémi. Romain fut successeur de saint Rémi, à Romain succéda Flave et après eux vint Mapin, à qui la puissance royale concéda quelques terres pour être ensuite possédées par l'église de Reims. Nous trouvons aussi que du temps du même Mapin, la reine Savegotte légua par testament à l'église de Reims un tiers du village de Vierzi et que l'évêque en laissa l’usufruit à Teudechilde fille de Savegotte, pendant sa vie sauf tous les droits de l'église, et seulement sous cette condition qu'à sa mort la propriété retournerait à l'église sans aucun préjudice des améliorations que la reine y aurait faites. Plus tard, sous le pontificat d'Aegidius, Teudechilde en mourant laissa par testament quelques terres à l'église de Reims. [2,2] CHAPITRE II. De l'évêque Aegidius. Mapin eut pour successeur Aegidius, qui enrichit et agrandit beaucoup l'évêché par des achats de terres et de serfs ; nous avons encore aujourd'hui les contrats de ces diverses acquisitions par exemple celui qu'il passa avec un nommé Obolène, pour deux champs situés sur la rivière de Retourne, et dont l'un, selon l'acte, contenait mille boisseaux de semence, l'autre, quatre cents; d'un autre, nommé Bertulfe, il acheta une métairie, avec un champ de cent boisseaux; et de Charibod, une partie de forêt. Il obtint aussi de la majesté royale pour son église des lettres d'immunité et d'exemption de toute charge ou réduction fiscales, et en même temps assurance et garantie pour tous les dons qu'elle recevrait. Le roi Childebert lui-même lui donna une métairie située dans les Vosges, sur la rivière de la Sarre, pour être possédée tant par lui que par son église, comme on le voit par l'acte de donation qui subsiste encore aujourd'hui. L'italien Fortunat, qui était alors célèbre dans les Gaules par ses poésies, a célébré dans ses vers la vie et les prédications de cet évêque {vers de Fortunat}. Grégoire de Tours raconte qu'il fut reçu avec bonté et bien traité par l'évêque Aegidius au temps où Siggon secrétaire du roi Chilpéric, recouvra l'ouïe dans le sanctuaire de l'église de Reims, par la vertu de saint Martin, dont Grégoire avait alors avec lui les reliques. Le même Grégoire raconte encore dans son histoire de la nation des Francs, qu'Aegidius fut envoyé avec quelques autres ambassadeurs de la part du roi Childebert, fils de Sigebert, vers Chilpéric, oncle du même Childebert. Dans cette ambassade il fut arrêté entre les deux rois qu'ils enlèveraient son royaume à Gontran frère de Chilpéric, et feraient ensemble paix et alliance. Le traité conclu, les ambassadeurs retournèrent vers Childebert, avec de grands présents. De même quand un fils fut né à Chilpéric, et qu'il se fut emparé de Paris, Childebert lui ayant envoyé une ambassade, ce fut encore notre prélat Aegidius qui en fut le chef; et, d'après ses conseils, les ambassadeurs demandèrent au roi Chilpéric de maintenir la paix qu'il avait faite avec leur maître, Childebert; en même temps ils déclarèrent que Childebert ne pouvait rester en paix avec Gontran, parce que après la mort de son père il lui avait enlevé une partie de Marseille, et refusait maintenant de lui renvoyer ses transfuges. Allant plus loin qu'eux, Chilpéric reconnut que son frère Gontran était coupable en beaucoup de choses, et ajouta qu'il avait été complice de l'assassinat du père de Childebert. Sur cet aveu, les ambassadeurs, pleins de courroux, requirent qu'on tirât le plus promptement possible vengeance du coupable l'engagement en fut pris et ratifié par serment, et les ambassadeurs ne s'en retournèrent qu'après avoir donné et reçu des otages. A cause de ces diverses ambassades, le roi Gontran devint l'ennemi mortel de l'archevêque. Aussi, quand il eut fait sa paix avec Chilpéric, il pria ce roi de ne jamais ajouter foi à ses conseils et de ne point le garder auprès de sa personne, l'accusant de parjure. Enfin, dans la suite, un criminel qui avait été envoyé par la reine Frédégonde pour assassiner le roi Childebert, confessa dans les tortures que l'évêque Aegidius avait assisté à une assemblée de gens qui avaient conspiré contre les jours du roi. Sur-le-champ l’évêque fut arrêté et conduit à Metz, quoique très faible encore et à peine relevé d'une longue maladie. Pendant qu'on le tenait ainsi sous bonne garde, le roi manda aux évêques de s'assembler pour examiner sa conduite, et leur ordonna d'être réunis à Verdun pour les premiers jours d'août; mais quelques évêques ayant fait des remontrances au roi, sur ce qu'un archevêque avait été ainsi arraché de son siège et traîné en prison sans avoir été entendu, Childebert lui permit de retourner en sa ville, et adressa des lettres à tous les évêques de son royaume, afin qu'ils eussent à se rassembler à la mi-septembre dans la même ville de Verdun pour juger l'accusé. Quand ils furent réunis, on les fit aller jusqu'à Metz, où l'archevêque Aegidius comparut également. Alors le roi après l'avoir dénoncé comme son ennemi et traître au pays, commit le duc Ennode pour soutenir l'accusation. Sa première question fut celle-ci : Dis-moi, ô évêque, quels motifs t'ont inspiré d'abandonner un roi dans une des villes duquel tu jouissais des honneurs de l'épiscopat, pour rechercher la royale amitié de Chilpéric, qui a toujours été l'ennemi déclaré du roi notre seigneur, qui a fait assassiner son père, condamné sa mère à l'exil et envahi son royaume? et comment, dans les villes mêmes qu'il a soumises à sa domination par une invasion inique, as-tu pu accepter en présent des possessions du fisc? L'évêque répondit: Que j'aie été l'ami du roi Chilpéric, je ne saurais le nier, mais cette amitié n'a jamais rien produit contre les intérêts du roi Childebert. Quant aux terres dont tu parles, je les tiens par charte de Childebert lui même. Et même il voulut produire les actes de donation. Lors le roi nia lui avoir rien donné. On fit appeler Othon, qui, dans ce temps, avait été gardien du sceau du roi, et dont la signature se trouvait au bas des lettres; celui-ci, interrogé, nia les avoir signées. Sur ce premier chef, l'évêque fut d'abord déclaré trompeur et faussaire. Ensuite on produisit des lettres écrites à Chilpéric, dans lesquelles il se permettait beaucoup de censures sur les désordres de Brunehault. En même temps on exhiba aussi une réponse de Chilpéric à l'évêque, où on lisait, entre autres choses, que si on ne coupe la racine, la tige qui en est sortie ne se dessèche point; ce qui indiquait assez clairement qu'il fallait frapper Brunehault pour faire périr son fils. On intenta encore à l'évêque beaucoup d'autres griefs, soit sur les traités conclus entre les deux rois, soit sur les troubles causés dans le pays; il nia les uns et ne put nier les autres. Comme les débats traînaient en longueur, Epiphane, abbé du monastère de saint Rémi, vint déclarer que l’évêque avait reçu deux mille écus d'or et beaucoup d'effets précieux pour demeurer ami de Chilpéric; le même abbé, ainsi que les ambassadeurs qui avaient été envoyés vers Chilpéric avec l'évêque, exposa comment avait été arrêtée de concert la ruine de Gontran et de son royaume, et raconta de point en point comme les choses s'étaient passées. Les évêques, entendant toutes ces choses, et voyant le prêtre du Seigneur en une telle extrémité, demandèrent trois jours pour délibérer, sans doute afin que l'accusé put trouver quelque moyen de se disculper des charges qui pesaient sur lui. Le troisième jour, ils se rassemblèrent dans l'église, et dirent à l'évêque de proposer les excuses qu'il pouvait avoir; mais lui, confus, leur dit : Ne différez pas de porter votre jugement sur un coupable je sais que j'ai mérité la mort pour crime de lèse-majesté; je reconnais que j'ai toujours agi contre les intérêts du roi et de sa mère, et que par mon conseil beaucoup de guerres ont été entreprises, qui ont causé là ruine de plusieurs pays des Gaules. Les évêques, entendant cet aveu, déplorèrent l'opprobre de leur frère, lui laissèrent la vie sauve, mais le déposèrent du saint ministère, après lui avoir donné lecture des constitutions canoniques. Aussitôt après le jugement, il fut conduit et relégué en exil en la ville d'Argentoratum, aujourd'hui appelée Strasbourg. Romulfe, fils du duc Loup, déjà élevé à la prêtrise, fut ordonné évêque à sa place, Épiphane, qui gouvernait le monastère de Saint-Rémi ayant été destitué de son abbaye. Or, on trouva dans l'épargne de l'évêque grande quantité d'or et d'argent tout ce qui était le prix de ses iniquités fut reporté au trésor royal mais ce qui provenait des revenus ou des rentes de l'église y fut laissé sauf et entier. [2,3] CHAPITRE III. De saint Basle. Sous le pontificat d'Aegidius, un saint du Seigneur, nommé Basle de noble race, né sur le territoire de Limoges, au pays des Armoriques, vint des contrées de l'Aquitaine en la ville de Reims, recherchant avec grand désir le patronage du bienheureux Rémi. On dit qu'un ange du Seigneur lui fut envoyé pour compagnon de route, et marcha sans cesse devant lui jusqu'à ce qu'il entrât dans Reims. L'évêque Aegidius le reçut honorablement; quand il connut le désir du pèlerin et quand celui-ci lui eut demandé une retraite dans quelque sainte solitude, il lui concéda de la meilleure grâce tel endroit qu'il pourrait trouver dans son évêché. Avec la grâce de Dieu, Basle trouva enfin un lieu à son gré dans le bourg de Vierzi, au pied de la montagne de Reims, à l'endroit ou commence la forêt. Or, en ce lieu il y avait alors un couvent de douze moines ; Basle fut accueilli avec bonté par les frères, et l'abbé le remit à l'un d'eux pour l'instruire ; bientôt il profita si bien et fit de tels progrès en peu de temps, qu'il surpassait en science et en sagesse tous ses condisciples du même âge. Il n'avait d'autre soin que de lire et de parler de Dieu, ou de s'entretenir avec Dieu par la prière. Méprisant les biens passagers et s'attachant aux permanents et éternels, il donnait aux pauvres presque toute sa portion de nourriture, ne se réservant que le peu qui lui était absolument nécessaire pour se soutenir. Croissant ainsi en vertu et possédé du désir de la vie solitaire, pour habiter un lieu plus retiré, il choisit le sommet de la montagne voisine, et y construisit une cellule avec un oratoire, où il pût se livrer en liberté à la contemplation. Il a vécu dit-on quarante ans dans cette retraite servant le Seigneur, luttant avec courage contre les tentations de l'antique serpent, vaquant sans cesse à jeûnes, aumônes, veilles, prières et saintes lectures, et éclairant du flambeau de la vraie foi ceux qui venaient à lui. Pendant qu'il militait ainsi en ce pieux service, il plut à la bonté divine de manifester la vertu de son soldat par des signes évidents. Un jour donc qu'il priait, le Seigneur fit sortir en sa faveur de l'eau d'un caillou au sommet de la montagne, et l'on dit que cette eau a sa source sous le tombeau du saint, et de là se répand comme d'un vase à travers les fondements de l'église. Elle est douce et bonne à boire; les malades qui en boivent ou s'y baignent, ou s'en lavent la tête, recouvrent la santé. Un esclave, nommé Annegisile, aveugle dès sa plus tendre enfance, veillant à la porte de ce saint personnage, fut tout-à-coup, la douzième année de sa cécité, par une grâce venue d'en-haut à la prière de l'homme de Dieu, rendu à la lumière. Les moines, apprenant ce miracle, glorifièrent le Seigneur avec grandes actions de grâces de ce témoignage rendu en faveur de son serviteur. Un chasseur, nommé Attila, chassait un jour dans la forêt voisine de sa cellule, et poursuivait vivement un sanglier; la bête épuisée se réfugia auprès du saint, et comme si elle eût eu le sentiment qu'il pouvait la sauver, elle se jeta à ses pieds, déposant toute sa férocité. En effet, les chiens, oubliant leur sagacité naturelle, cessèrent de la poursuivre. Depuis ce temps, c'est une chose que l'on observe encore aujourd'hui ou plutôt c'est encore l'effet de la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ en faveur de son serviteur bienaimé, que toute bête fauve lancée ou poursuivie par les veneurs, qui peut gagner la levée de cette forêt, est sauvée, et qu'aussitôt les chiens perdent l'ardeur de la poursuivre, et les chasseurs la hardiesse. On raconte encore un autre miracle non moins digne de remarque accordé par le Seigneur aux mérites de son bienheureux confesseur. Un nommé Ragenulfe venait d'être pendu par ses ennemis en ce péril extrême de mort, il lui arriva de lever les yeux au ciel, et d'invoquer avec gémissement saint Basle; aussitôt la corde se rompit, et il obtint d'être préservé d'une mort cruelle. Enfin après avoir opéré de nombreuses et éclatantes œuvres de piété en sa vie Basle averti que le temps de sa vocation céleste approchait, envoya un messager à son neveu Balsème au pays de Limoges, le priant de le venir trouver, et lui annonçant qu'après sa mort il devait comme lui venir vivre en son ermitage, selon ce qui lui avait été révélé par le Seigneur. Balsème, obéissant comme un bon fils à ses salutaires conseils, et désirant participer à l'héritage éternel, demeura dans cet oratoire jusqu'à la fin de ses jours ; or, le saint père Basle mourut, et fut reçu au nombre des bienheureux le vingt-sixième jour de novembre. Depuis sa mort, de nombreux miracles ont été opérés à son sépulcre mais, soit négligence, soit leur grand nombre, ils n'ont point été mis par écrit. Dans la suite des temps, après sa mort, il arriva qu'un homme, noble de naissance, mais présomptueux de cœur, vint visiter son sépulcre. Après avoir fait sa prière il prit le bâton du saint homme, et le posant sur son pied, il dit en se raillant, comme il était grand de taille : Voilà un bâton qui prouve que Basle n'était pas très grand. Aussitôt le pied sur lequel le bâton du saint avait été posé se flétrit et se pourrit et bientôt la vengeance divine le frappant tout entier de la même corruption, il mourut dans de grandes douleurs. On voulut porter son corps pour l'inhumer au monastère de Saint-Basle, mais on ne put mouvoir la bière. On songeait alors à le transporter au cimetière de Saint-Rémi, et la bière encore ne put être levée. Enfin, on se vit forcé de le déposer au territoire de Châlons où Dieu permit qu'il eût sépulture. Il n'y a pas bien longtemps, presque de nos jours, sous le pontificat de l'archevêque Ebbon un homme fort religieux, nommé Benoît, avait été ordonné abbé de cette abbaye gouvernant avec modestie la famille de saint Basle et servant le Seigneur avec simplicité, il orna l'église de plusieurs dons, et après une longue vie, appelé par la volonté divine, il passa au Seigneur. Son frère selon la chair, nommé Sperne, fut appelé à lui succéder mais c'était un homme de mœurs bien différentes, et dévoré du feu de la cupidité. Un jour qu'il était ivre, il se prit à dire que son frère n'avait su tirer aucun profit de son abbaye, et il ordonna aux procureurs des villages de lui amener le lendemain les paysans de sa dépendance, afin de les appliquer à la torture, pour extorquer et ravir leurs biens. Les habitants des villages, apprenant à quels supplices ils étaient destinés, invoquèrent avec gémissement la protection de saint Basle, le suppliant de ne pas souffrir qu'ils fussent livrés à ce cruel boucher couverts d'habits de deuil, ils passèrent toute la nuit dans les larmes ne cessant d'implorer le secours de leur saint patron. Or, celui-ci ne refusa pas d'écouter les plaintes de son peuple, car le lendemain matin Sperne fut trouvé mort, et quand les siens voulurent tirer le corps du lit, il creva par le milieu, et une telle puanteur se répandit dans l'appartement que personne ne put y rester. Ainsi la famille de saint Basle fut arrachée aux supplices dont elle était menacée. Un oncle de ma mère nommé Flavard avait deux fils au service du Seigneur dans le couvent de Saint Basle. J'ai vu le plus jeune des deux, nommé Tetbert, qui était animé d'un zèle au-dessus de ses forces, et qui est mort prêtre chez nous, il y a longtemps il nous racontait souvent de son père le trait que nous allons redire, et dont il existait encore il y a peu de temps un témoin, le troisième des frères Rathold, aussi prêtre. Flavard avait coutume de faire un voyage par an à l'abbaye, afin de fournir aux besoins des deux frères; un jour donc qu'il faisait route vers le couvent, des voleurs le surprirent en chemin et lui enlevèrent le cheval qu'il montait, tout ce qui leur convint, et jusqu'à l'argent destiné aux serviteurs de Dieu, et aux bijoux de sa femme. Quand les voleurs, tout joyeux de leur hutin, se furent un peu éloignés, sa femme, qui raccompagnait, se mit à gémir et à se plaindre à saint Basle du dommage qu'ils venaient d'éprouver, disant qu'ils ne viendraient plus au monastère pour rendre service à lui et aux siens, s'il les abandonnait ainsi sans défense. A ces plaintes et gémissements, les chevaux des voleurs, qui s'enfuyaient à toute hâte avec le butin, s'arrêtent tout-à-coup, comme fichés en terre, sans qu'il y eût moyen de les faire avancer. Les voleurs eux-mêmes se trouvent aussi tout-à-coup dans une obscurité si profonde qu'ils ne savent de quel côté aller. Lors, rentrant en eux-mêmes, et conférant ensemble, ils avisent que le tort qu'ils viennent de faire à des personnes innocentes est la cause de tout aussitôt ils reviennent sur leurs pas vers ceux qu'ils ont injustement dépouillés, leur rendent tout ce qu'ils ont pris, et les prient de demander grâce pour eux. Flavard et sa femme, ainsi secourus par l'assistance de saint Basle, et délivrés des voleurs, continuèrent leur voyage avec plus de dévotion encore qu'ils ne l'avaient commencé. Arrivés au monastère, ils s'empressèrent de rendre grâces à Dieu et à son bienheureux confesseur du bienfait dont ils avaient été comblés distribuèrent leur argent aux serviteurs de Dieu et dans la suite n'en eurent que plus de zèle à visiter chaque année le saint monastère, selon leur pieuse coutume. Dernièrement, quand notre pays de France fut livré, en punition de nos péchés, au glaive des Hongrois, quelques-uns de ces barbares entrèrent dans le monastère de Saint-Basle; et comme les frères s'étaient réfugiés dans la ville avec la châsse de leur saint patron, trouvant la maison presque vide et déserte, les barbares y établirent leur quartier, et elle leur servait de rendez-vous après leurs courses de pillage dans tous les environs. L'un d'eux, voyant reluire de l'or dans la tour des cloches, emporté par l'avarice, monta sur le toit de l'église, et s'efforça de démolir la tour; mais il fut tout-à-coup précipité à terre, se brisa les membres et mourut. Un autre, en s'efforçant de monter sur l'autel de la même église consacré a saint Martin de Tours, appuya la main sur l'un des coins de l'autel; mais aussitôt sa main s'attacha au marbre, et il ne fut pas possible de l'en ôter. Comme ses compagnons ne voulurent pas l'abandonner ainsi, ils brisèrent à coups de maillet la partie de la pierre à laquelle tenait la main et ils l'emmenèrent, emportant à son grand regret ce morceau de pierre toujours joint et attaché à sa main. Et les captifs qui sont revenus depuis ont rapporté qu'il s'en alla ainsi jusque dans son pays, que le bras lui avait séché et qu'il confessait que ce malheur lui était arrivé par la vertu et puissance de saint Basle. [2,4] CHAPITRE IV. De l'évêque Romulfe. Après Aegidius, le siège de Reims fut occupé par Romulfe, homme de noble race, et frère germain de Jean, qui en ce temps-là était duc. Loup, leur père, leur avait laissé de grands biens à partager également entre eux deux, et ils obtinrent une ordonnance du roi pour autoriser ce partage égal. Romulfe possédait de nombreux domaines, surtout outre Loire et en Poitou. Il en donna par testament la plus grande partie au diocèse de Reims, quelques-uns à ses Frères ou neveux, d'autres à l'hôpital de Saint-Martial, d'autres a l'église de Saint-Rémi. Il légua à un monastère de filles, élevé à Reims sous l'invocation de saint Pierre, le domaine de Latiniacum qu'il avait acheté, d'après ce qu'il dit lui-même. Il fit encore quelques autres dons à diverses églises des diocèses de Reims, de Soissons, de Tours et autres. Il rendit la liberté à la plus grande partie des serfs de sa maison. Son testament est encore aujourd'hui conservé dans les archives de l'église de Reims, avec la confirmation du roi Childebert. L'évêque avait fait demander l'approbation du roi par le diacre Sonnat, homme vénérable, et le roi y accéda volontiers, sans doute, afin que si quelqu'un de ses successeurs prenait sur lui d'usurper injustement les terres, vignes, ou serfs que Romulfe avait légués, soit à l'église de Reims, soit à d'autres saints établissements, les prêtres eussent toujours pouvoir et liberté de les reprendre. Il échangea aussi avec le roi Childebert quelques domaines du pays de Metz, entre autres Orcival, qu'il avait acheté d'un nommé Vincent, contre les villages de Margilly et d'Ardeuil, au pays de Reims. Pendant son pontificat on trouve qu'il acheta beaucoup de terres et de serfs pour l'augmentation des domaines de l'église. Il fit bâtir un oratoire sous l’invocation de saint Germain, dans la cour de saint Rémi. Enfin, par l'entremise de son archidiacre Sonnat, il obtint du roi la restitution de quelques biens qui avaient été usurpés injustement, y comme on peut le voir par les actes de restitution de l'autorité royale, qui subsistent encore aujourd'hui. [2,5] CHAPITRE V. De l'évêque Sonnatius. Romulfe eut pour successeur à l'épiscopat Sonnat qui a assisté à un concile avec quarante évêques des Gaules ou plus. On y comptait Arnoul, évêque de Metz, Thierri de Lyon, Sindulfe de Vienne, Sulpice de Bourges, Médégisèle de Tours, Senoch d'Eause, Léonce de Saintonge, Modoald de Trèves, Chunibert de Cologne, Richer de Sens, Donat de Besançon, Auspice d'Autun, Modoald de Langres, Ragnebert de Bayeux, Childoald d'Avranches, Bertegisèle de Chartres, Pallade d'Auxerre, Gondoald de Meaux, Leudebert de Paris, Chainoald de Laon Godon de Verdun, Anseric de Soissons, Claude de Rieux, Berthoald de Cambrai, Agomar de Senlis, César de Clermont, Verus de Rhodès, Agricola de Mende, Lupoald de Mayence, Willegisèle de Toulouse Constance d'Alby, Nammat d'Angoulême, Rustique d'Embrun, Auderic d'Auch, Emmon d'Aire, Félix de Chalons, Hadoin du Mans, Magnebod d'Angers, Jean de Poitiers et Léobard de Nantes. En ce concile beaucoup de canons utiles furent institués. 1. On y régla la manière de traiter les affaires de l'Église; ensuite pour les biens qui sont concédés à temps, par voie de précaire, on pourvut à ce que ceux qui les obtenaient sous cette condition ne pussent en usurper la propriété par longueur de temps, et en priver les églises. 2. On arrêta que tous clercs assez audacieux pour se liguer par serment ou par écrit contre leur évêque, et pour lui tendre des embûches par ruses et fausses allégations, seraient déposés de leur grade, si après avertissement ils refusaient de s'amender. 3. Que les canons passés au concile général assemblé en l'église de Saint-Pierre à Paris, à la diligence du roi Lothaire, conserveraient toute force et autorité. 4. Que, si en France quelques-uns étaient suspects d'hérésie, les évêques et pasteurs des églises eussent à les rechercher et ramener à la foi catholique, quand ils seraient trouvés réellement hérétiques. 5. Que nul ne fût légèrement et témérairement frappé d'excommunication ; que quiconque se croirait injustement excommunié aurait le droit d'en appeler au prochain concile; que, si la condamnation était injuste, il serait relevé et absous; sinon, il subirait le temps de pénitence imposé. 6. Tout juge, de quelque ordre que ce soit, qui prendra sur lui d'intenter une action publique à un clerc, de le mettre à la question à l'insu et sans la permission de l'évêque ou de l'affliger de peine ou injure, sera privé de la communion; toutefois l'évêque est requis de faire diligence pour corriger et punir les fautes des clercs sur les griefs allégués. 7. Toute personne chargée de cens ou de redevances envers le trésor publie ne pourra entrer en religion sans l'autorisation du prince ou du juge. 8. Soit privé de la communion tout homme qui sous un prétexte quelconque aura retiré de l'église celui qui y aurait cherché asile, sans faire auparavant serment que le fugitif ne souffrira en sa personne ni peine capitale, ni torture, ou mutilation quelconque. 9. Soit également privé de la communion quiconque aura violé son serment. Tout criminel qui par la protection de l'église aura obtenu grâce de la vie prêtera, avant d'être mis en liberté, serment de faire pénitence pour son crime et d'accomplir ce qui lui sera imposé canoniquement. 10. Quant aux mariages incestueux, si quelqu'un contracte mariage à un degré prohibé avec des personnes dont l'alliance lui est interdite par les ordonnances divines et canoniques, qu'il soit privé de la communion, à moins qu'il ne prouve son repentir; et que de plus il ne lui soit loisible ni de porter les armes, ni de plaider des causes. Quand un mariage incestueux aura eu lieu, les évêques ou curés dans le diocèse ou la paroisse desquels le crime aura été commis, le dénonceront au roi et aux juges, afin qu'ils s'interdisent toute communication ou cohabitation avec les coupables, que leurs biens soient transmis à leurs parents, et qu'ils n'y puissent rentrer ni par dol, ni par complaisance des parents, ni par achat, ni par mandement royal à moins qu'auparavant ils n'aient publiquement abjuré leur crime par la pénitence. 11. Quiconque aura commis un homicide volontaire, non point en se défendant, mais faisant violence et attaquant le premier, que personne ne communique avec lui cependant s'il a fait pénitence, qu'on ne lui refuse point le viatique à l'article de la mort. 12. Tous clercs ou séculiers qui retiendraient les oblations faites par leurs parents, soit par donation ou testament, ou qui enlèveraient aux églises ou monastères ce qu'ils auraient donné eux-mêmes, qu'ils soient, conformément au saint concile de Paris, bannis et exclus de l'église comme meurtriers des pauvres, jusqu'à ce qu'ils aient fait restitution. 13. Que les Chrétiens ne soient vendus ni aux Juifs ni aux Gentils. Que si quelque Chrétien est forcé par besoin de vendre ses serfs chrétiens, il ne les vende qu'à des Chrétiens ; s'il les vend à des Juifs ou à des païens, qu'il soit privé de la communion, et que le marché soit nul. Si des Juifs tentent de convertir des serfs chrétiens au judaïsme, ou leur infligent quelque traitement trop dur, que les serfs soient acquis au fisc, que les Juifs ne soient admis à aucune action publique, et que toute injure des Juifs envers les Chrétiens soit sévèrement réprimée. 14. Que tout clerc qui passe d'une ville ou province dans une autre obtienne des lettres de son évêque; que s'il se présente sans lettres, il ne soit reçu nulle part. 15. Que l’évêque ne s'arroge point de vendre ou d'aliéner après sa mort, par quelque contrat que ce soit, les serfs ou biens de l'église assignés à la nourriture des pauvres. 16. Que ceux qui suivent les augures et autres cérémonies païennes, ou font des repas superstitieux avec des païens, soient d'abord doucement admonestés et avertis de quitter leurs anciennes erreurs; que s'ils négligent de le faire et se mêlent aux idolâtres et à tous ceux qui sacrifient aux idoles, ils soient soumis à une pénitence proportionnée à leur faute. 17. Qu'aucune personne de condition servile ne soit admise à porter accusation et que quiconque se sera fait accusateur, et n'aura pu prouver le crime, ne soit plus dans la suite admis à accuser. 18. Si quelqu'un, de quelque dignité, titre ou pouvoir qu'il soit revêtu, ose à la mort de l'évêque occuper et envahir des biens quelconques de l'église soit terres, soit maisons, avant l'ouverture ou lecture du testament, ou ose forcer les portes de l'église, toucher ou fouiller les meubles appartenant à l'église, qu'il soit rejeté de la communion des Chrétiens. 19. Quiconque aura réduit ou voulu réduire en servitude une personne née libre ou affranchie, et qui, averti par l'évêque aura refusé de se corriger ou de réparer sa faute, qu'il soit excommunié comme coupable de calomnie. 19. Qu'aucuns clercs, de quelque rang que ce soit, ne se présentent en justice, soit pour leurs propres affaires, soit pour celles de l'église ni ne plaident jamais aucune cause, si ce n'est avec la permission de l'évêque. 21. Que dans les paroisses aucun laïque ne soit constitué archiprêtre mais que le plus ancien des clercs de la paroisse soit ordonné en cette qualité. 22. Que les évêques, auxquels, en leur qualité de premiers dignitaires de l'église, il aura été abandonné ou légué quelque bien, soit pour eux seulement, soit pour eux seulement, soit conjointement pour l'église et pour eux, ne le regardent pas comme leur propriété particulière, mais au contraire comme la propriété de l'église, parce que celui qui donne, donne pour le rachat et salut de son âme, non pour le profit de l'évêque; et parce qu'il est raisonnable que comme l'évêque jouit de ce qui a été donné à l'église, l'église aussi jouisse de ce qui a été laissé à l’évêque bien entendu néanmoins que l'église ne pourra retenir ou compter au nombre de ses biens tout dépôt laissé en fidéicommis à la garde de l'évêque ou de l'église, pour être ensuite rendu à qui de droit. 23. Si quelque évêque, par dol ou supercherie de cupidité, usurpe les biens d'une autre église, ou s'il les envahit sans prétexte et autorisation aucune pour les attribuer à lui ou à son église, puisqu'il ne peut être privé de la communion qu'il soit, comme meurtrier des pauvres, déposé de son office. 24. Si un évêque, en quelque occasion que ce soit (excepté le cas de nécessité extrême pour le rachat des captifs), fait briser les vases sacrés affectés au saint ministère, qu'il perde son office. 25. Que nul, soit par autorité du roi, soit par toute autre puissance, soit de sa propre témérité, n'ose ravir les veuves qui ont demandé d'être consacrées à Dieu, ni les filles qui se sont vouées en virginité; s'il y a consentement mutuel, que tous deux soient excommuniés. 26. Soient excommuniés les juges qui mépriseraient les statuts et ordonnances canoniques, ou qui violeraient et enfreindraient l'édit du concile tenu à Paris. 27. à la mort de l'évêque, nul ne lui soit substitué, nul n'est natif du diocèse, et s'il n'est élu par le vœu unanime du peuple et le consentement des évêques de la même province; que celui qui ferait autrement soit expulsé du siège, comme l'ayant plutôt usurpé et envahi que reçu et accepté; que les évêques qui l'auraient ordonné soient privés pendant trois ans de l'administration de leur siège. L’évêque Sonnat administra avec ordre et économie les biens de l'église, et augmenta même l'évêché par des achats de terres et de serfs, dont il reste encore aujourd'hui quelques contrats. Il réclama aussi auprès du roi quelques biens usurpés par certains méchants, et en obtint la restitution, soit par lui-même, soit par ses agents, surtout par le moyen du prêtre Marc, son envoyé, qu'il chargea de plaider ses causes. Il régla et fixa les servitudes de plusieurs domaines de l'évêché; il obtint des lettres et ordonnances du roi pour l'immunité des biens de l'église et pour la confirmation de plusieurs donations; enfin il fit avec la reine Brunehault quelques échanges à l'avantage des deux parties. Dans son testament il fit plusieurs legs à différentes églises; mais il institua pour sa principale héritière l'église de Saint-Rémi, où il choisit le lieu de sa sépulture il lui fit présent d'un vase d'argent doré, de douze cuillères, d'une salière d'argent, et d'une portion de métairie, avec serfs vignes, prés et autres dépendances qu'il dit avoir achetés de ses deniers. A l'église de Saint-Timothée et Apollinaire il légua quelques maisons attenantes à l'église, et d'autres situées dans la cité à l'église de Saint-Martin, qu'il reconnaissait pour son patron particulier, le domaine de Mutation, qu'il avait acheté, et qu'il laissa en toute intégrité comme il en avait joui il ajouta en outre de l'or pour faire un calice; à l'église de Saint-Julien, cinq sous d'or pour la recouvrir; à l'église de Saint-Nicaise, également cinq sous d'or; à l'église de Saint-Sixte, trois; à l'église de Saint-Maurice, trois; à l'église de Saint Médard, trois; au monastère des Filles, une vigne située à Germiny, avec quelques vases pour le service de l'église; à l'église qu'on appelle des Apôtres, trois sous d'or, avec quelques autres petits présents pour faire un calice; à l'église de Saint-Pierre, dans la cité, trois sous d'or; à l'église de Saint-Thierri, une portion du domaine de Germiny, avec serfs, vignes et autres dépendances; de l'argent pour construire et orner le sépulcre de saint Théodulphe; à l'église de Saint Vite, un vase d'argent pour en faire un calice, et quinze sous d'or; à l'église des saints martyrs Rufin et Valère, quinze sous; à l'église des saints martyrs Crépin et Crépinien quinze et à l'hôpital de la sainte église de Reims, divers présents. Il fit aussi quelques legs à divers hôpitaux et congrégations, et il laissa à quelques-uns de ses héritiers certaines terres, avec la condition qu'après leur mort elles retourneraient aux églises des saints désignés dans son testament. Il donna la liberté à plusieurs de ses serfs et les dota d'un certain pécule. Le testament de cet homme de Dieu subsiste encore, et on y trouve la confirmation donnée par le roi. [2,6] CHAPITRE VI. De Leudégisèle évêque d'Anglebert et de Landon. A Sonnat succéda Leudégisèle, frère de l'évêque Attila, sous le règne du roi Dagobert. Pendant qu'il gouverna l'évêché il l'augmenta, par plusieurs achats de bois, terres et prés; il fit aussi quelques échanges avec Abbon, évêque de Troyes, à l'avantage des deux parties. Enfin il établit des colons dans quelques propriétés de l'église. Après lui vint Anglebert, lequel augmenta pareillement l'évêché par ses achats. Il eut pour successeur Landon, personnage très illustre et possesseur de grands biens, dont il donna une partie à l'église et distribua l'autre à ses proches. C'est lui qui revendiqua devant le roi, et obtint de faire rentrer l'église de Reims dans les biens qu'elle avait possédés outre Loire, et que Félix, abbé de Saint-Julien martyr, retenait injustement. Avant lui, déjà Anglebert avait plaidé devant le roi pour le même sujet contre Gal, évêque d'Auvergne. Ce même évêque Landon déclara par son testament l'église de Reims héritière de tous ses biens, et lui laissa en outre, à elle ou à l'évêque qui occuperait le siège après lui, la dispensation et distribution des legs qu'il avait faits à toutes autres personnes ou églises; car il laissa divers dons à diverses églises de saints, comme par exemple à l'église Saint-Rémi, où il voulut être enterré, des domaines et autres présents; à l'église de Saint-Gaugeric et de Saint-Quentin, plusieurs dons en argent; de même aux églises et hôpitaux de Reims, à savoir, de Saint-Timothée et Apollinaire, de Saint-Martin, de Saint-Nicaise, de Sainte-Geneviève; au monastère de Saint-Thierri et Saint-Théodulphe, à l'église et à l'hôpital de Saint Germain, à celles de Saint-Julien, de Saint-Cosme et de Saint-Damien, de Saint-Pierre auprès de la Cour, de Saint-Pierre auprès du monastère des Filles à l'église de Saint-Symphorien, qu'on appelle des Apôtres de Saint-Médard, de Saints Crépin et Crépinien, de Saint-Victor, de Saint-Maurice et de Saint-Basle. Il donna à l'église de Laon sa part d'un domaine, et à l'église de Sainte-Geneviève de la même ville, le domaine d'Appia avec toutes ses dépendances. Enfin il fit déposer sur l'autel de l'église de Reims un ciboire d'or qu'il avait fait faire en accomplissement d'un vœu, avec trois patènes et un bracelet d'or. Landon vivait du temps du roi Sigebert. [2,7] CHAPITRE VII. De saint Nivard. Après les évêques dont nous venons de parler, le siège de Reims fut occupé par saint Nivon ou Nivard, car on lui donnait également l'un et l'autre nom. Appartenant à une grande famille, il vécut d'abord à la cour. Quand il fut élevé à l'épiscopat, il mit tous ses soins à enrichir et agrandir le domaine de l'église par divers achats en différents lieux, soit en terres, soit en maisons ou serfs; il fit construire plusieurs métairies où il établit des colons il fit aussi avec Attila, évêque de Laon, plusieurs échanges à la convenance des deux parties. Par un autre échange avec les deux frères Bavon et Théoderamne, il acquit sur la rivière de Marne un lieu où il fit bâtir le monastère de Haut-Villiers, à la prière de l'abbé Bérécaire qui lui avait demandé un asile où il pût vivre avec ses moines sous la règle de saint Benoît et de saint Colomban; ce que l'évêque s'empressa de faire, comme il sera raconté plus bas. Il fit encore avec quelques autres personnes des échanges qu'il jugea convenables. Il donna, par privilège spécial au monastère de Saint-Basle l'église de Vierzy, bâtie en l'honneur de la vierge Marie, avec toutes ses dépendances, et un autre petit lieu nommé Vassy; il assura pleine et entière immunité aux moines de ce monastère, servant Dieu sous le gouvernement de l'abbé Pétron, afin qu'aucun juge ecclésiastique ne pût les inquiéter ni troubler en rien, et qu'ils pussent en paix vivre et servir le Seigneur sous leur sainte discipline. Il obtint du roi Childebert des lettres d'immunité des péages et autres droits en faveur de l'église de Reims, et reçut aussi du roi Louis, au nom de son église, quelques biens situés à Mailly, sur la rivière de Veesle, que le roi avait confisqués sur des vassaux infidèles. Ce fut aussi sous son pontificat que Grimoald, homme d'une grande naissance, donna à Saint-Rémi les villages de Chaumussy et de Vitry, pour le salut de son âme. Saint Nivard, du consentement unanime des évêques des Gaules, rassemblés en concile général à Nantes par l'ordre du pontife de Rome, et avec l'autorisation du roi, avait fait rebâtir l'église d'un monastère depuis longtemps fondé à Villiers sur la Marne, et détruit par les barbares; mais il arriva que cette église tomba entièrement. Il la fit de nouveau rebâtir en un autre endroit, et elle tomba encore comme devant. Un jour donc qu'il revenait d'Épernay, accompagné de l'abbé Bérécaire, il lui prit envie de se reposer un peu après avoir passé la rivière. Lors, tous deux s'étant assis, il posa sa tête sur les genoux de Bérécaire et s'endormit. Aussitôt lui vint une vision; il lui sembla qu'une colombe faisait en volant le tour du bois, et qu'ayant fait son tour elle était allée se poser sur un hêtre; puis, après avoir fait trois fois la même chose, elle s'envola dans les cieux. Or la même vision qu'il avait ainsi en songe apparaissait en même temps à Bérécaire éveillé et celui-ci en fut tellement ému qu'il fondit en larmes. A son réveil l'évêque trouvant son visage tout mouillé des pleurs de l'abbé, lui demanda la cause de sa tristesse, et celui-ci lui répondit qu'il pleurait la ruine de son ouvrage. Lors tous deux s'étant raconté leur vision, on dit que l'évêque en fit part à un serviteur de Dieu, nommé Bavon à qui appartenait le terrain, et qui vivait en ce lieu dans un petit oratoire consacré en honneur de la sainte croix. Bavon, apprenant la vision de l'évêque et en même temps ses désirs, lui offrit et sa part du lieu et celle d'un de ses frères nommé Baudouin, et lui raconta comment son autre frère Théoderamne était en querelle avec le comte Rieul (lequel fut depuis évêque de Reims), parce qu'il avait tué les fils du comte, pour venger la mort des siens, que celui-ci avait fait pendre à cause de leurs brigandages; ce qui fit que saint Nivard réconcilia Théoderamne avec Rieul, qui avait épousé une de ses nièces, fille de Childéric et Théoderamne, en reconnaissance, lui céda, moyennant échange, sa part, comme avaient fait, ses frères. Bientôt l'évêque fit abattre la forêt construisit à la place une église en l'honneur de saint Pierre et de tous les apôtres, et plaça l'autel à l'endroit où il avait vu la colombe se poser; puis, rassemblant les serviteurs de Dieu, il rouvrit le monastère, où Théoderamne se fit moine. Le comte Rieul demanda aussi que son fils Gédéon, petit neveu de saint Nivard, se fît moine en ce couvent, et donna une partie de ses biens au monastère. Saint Nivard abandonna dans la suite à cette abbaye tous les biens qu'il avait avant d’être élevé à l'épiscopat, et fit tant par ses conseils et exhortations, que Rieul prit aussi l'habit de religion. Enfin, à la prière de l'abbé Bérécaire, il accorda au couvent ce singulier et précieux privilège qu'il conserverait tant qu'il vivrait le monastère sous sa juridiction, et qu'après sa mort il serait gouverné par l'évêque de Reims, qui en protégerait les moines contre tous leurs ennemis; et qu'enfin les moines auraient la liberté d'élire canoniquement leur abbé, ainsi que portent les lettres du privilège. Après une si sainte vie, Nivard mourut, dit-on, dans une chapelle dédiée à la vierge Marie, qu'il avait fait construire en ce monastère, et fut ensuite transporté à l'église de Saint-Rémi à Reims, où il est enterré. [2,8] CHAPITRE VIII. De la translation du corps de sainte Hélène au monastère de Haut-Villiers. IL est notoire que le corps de la bienheureuse impératrice sainte Hélène a été transporté de Rome en ce monastère de saint Nivard, et voici comment un prêtre du diocèse de Reims, étant allé à Rome, resta pendant la nuit, sans être aperçu dans l'église, déroba adroitement le corps de la sainte et l'emporta. Le surlendemain ayant fait sa seconde halte dans une forêt voisine de la ville de Sutri, un des gens de sa suite voulut placer les saintes reliques sur un âne; mais il ne put soulever la châsse, et courut tout étonné en faire part à son maître. Celui-ci se hâta d'accourir, et, tout tremblant, prit le trésor et le chargea sur l'âne, sans y trouver aucune pesanteur, quoiqu'il fût bien plus faible de corps que l'homme qui n'avait pu en venir à bout. Mais ce valet confessa qu'il avait eu cette nuit-là même une pollution en songe. Arrivés sur les bords de la rivière du Taro, ils n'osaient y entrer, la voyant rapide et impétueuse mais l'animal qui portait les reliques, rassuré par son saint fardeau y descendit de lui-même. L'autre âne, que montait le prêtre, le suivit; mais il eut grande peine à passer, et semblait presque enseveli sous les eaux, tandis que le porteur du précieux trésor en avait à peine jusqu'aux flancs. Pendant qu'ils franchissaient le sommet des Alpes une jeune fille de la suite se laissa tomber en bas : déjà elle roulait misérablement de précipice en précipice, quand tous s'écrièrent, implorant l'assistance de la bienheureuse impératrice. Aussitôt la pauvre jeune fille s'arrêta au milieu du précipice, et avec une corde qu'on lui jeta elle fut retirée saine et sauve, et sans qu'on aperçût la plus légère trace de lésion. La connaissance de ces miracles fit que plusieurs se prêtaient avec plus d'empressement au transport des saintes reliques. Un entre autres descendit de son cheval pour l'en charger, et à une descente étroite et rapide il les prit même sur ses épaules mais le pied lui glissa, et il tomba, sans toutefois lâcher prise. Incontinent la foule qui suivait invoquant et répétant avec prière le nom de sainte Hélène, le cheval qui avait porté les reliques s'avança sans crainte d'être entraîné lui-même dans l'abîme et, embrassant avec ses jambes de devant l'homme qui roulait, il le retint et l'arrêta avec l'aide de Dieu qui le soutenait lui-même, jusqu'à ce que les habitants du pied de la montagne vinssent briser la glace avec des pieux, et remissent l'homme et le cheval dans le sentier. Quand ils furent arrivés à Osisme, village du diocèse de Langres, ils déposèrent les saintes reliques dans l'église de Saint-Winebauld ; une femme qui était affligée d'une contraction aux genoux vint en rampant visiter la châsse miraculeuse et a peine y eût-elle touché, que ses nerfs reprirent leur élasticité et elle fut parfaitement guérie. A un jour de marche plus loin, un homme qui était paralysé de tous ses membres depuis six ans envoya en présent à la sainte impératrice un voile et une épée mais avant que sa femme qui avait porté l'offrande, fût de retour en sa maison le malade recouvra l'usage de tous ses membres ; le bruit de ce miracle se propageant, on amena une petite fille qui étai aveugle de naissance, et dès qu'elle eut touché la châsse de la sainte reine, ses yeux furent rendus a la lumière. A l'entrée du village d'Avergue une muette qui était aussi privée de l'usage de ses mains vint au devant du cortège et aussitôt recouvra l'usage de ses membres, avec la parole qu'elle était venue chercher. Ce saint et précieux trésor ayant été ensuite déposé dans église du village de Falèse, un lunatique qui venait d'avoir tout récemment une attaque, entra dans l'église, et à la prière du peuple, qui implora pour lui la bienheureuse reine, il s'en retourna tout-à-fait délivré et pleinement guéri. Au même lieu un pauvre malade était sur son grabat depuis quinze ans, et ses chairs étaient tellement en corruption que vingt-trois os lui étaient tombés du corps il se fit porter auprès de la sainte médiatrice, et par la vertu de la grâce il fut remis sur pied et rendu sain au grand étonnement du peuple. Une jeune fille, nommée Bava, qui dès le sein de sa mère avait les genoux contractés et les jambes nouées, s'en alla droite et de son pied, et depuis vécut à Reims fidèle au saint vœu de virginité qu'elle avait fait pour sa guérison. Il vint aussi une femme qui, frappée de paralysie, avait perdu tout-à-fait l'usage de la langue, et ne pouvait s'aider de son bras droit, demeuré comme mort. A peine eût-elle touché la sainte châsse avec un petit voile qu'elle avait apporté en offrande, qu'elle fut subitement guérie. Un sourd de naissance amena avec lui un mouton pour l'offrir, et étant entré à l'église, il resta à entendre la messe quand on commença la lecture de l'Évangile, ses oreilles s'ouvrirent tout-à-coup a la parole de vie; et quand on eut fini, il se trouva guéri, et confessa que c'était la première fois de sa vie qu'il entendait le saint Évangile. Vint aussi le père d'un enfant à la mamelle qui allait mourir d'un mal de jour en jour plus violent. Après avoir porté son vœu pour la vie de son fils, ce pauvre père s'en retourna, et trouva que son enfant, qui depuis plus de quinze jours n'avait pas voulu prendre le sein, était guéri et tétait. On apporta du pays de Trèves un paralytique qui avait recouvré sept fois l'usage de ses membres, et sept fois était retombé par sa lubricité et facilité à céder aux désirs de la chair. Le malheureux confessa son péché, que du reste il n'avait pas commis depuis vingt ans, et obtint la santé désormais pour toujours. On apporta aussi une femme qui avait tout le côté droit perclus par la violence de la peste, et elle recouvra la santé, de même une femme aveugle se trouva tout-à-coup voyant des deux yeux, a la troisième heure. Enfin quand la châsse miraculeuse fut déposée au monastère de Haut-Villiers, comme quelques-uns doutaient si c'était bien le corps de la bienheureuse Hélène, mère de l'empereur Constantin, et qui avait découvert le bois de vie, le Seigneur se plut à le témoigner, en envoyant de la pluie après un jeûne et des prières de trois jours. De plus trois frères du monastère furent envoyés à Rome pour s'enquérir de la certitude de la translation de la bienheureuse impératrice, et ils rapportèrent pleine et entière confirmation et par surplus une seconde joie, à savoir, le corps de saint Polycarpe, prêtre, et compagnon de saint Sébastien. Enfin une nuit, a l'approche de la fête de sainte Hélène, les pêcheurs de l'abbaye péchaient en la rivière de Marne, désespérés de s'être donné bien de la peine pendant toute la nuit, et de n'avoir rien pris, ils se mirent à se plaindre et appeler sainte Hélène à leur secours. Lors jetant le filet au nom de Dieu et de la sainte, ils prirent deux gros poissons, et furent bien joyeux. Mais l'un des deux resauta dans l'eau ce qui troubla la réjouissance; et les pêcheurs recommencèrent à se plaindre et à invoquer sainte Hélène. Mais voilà que, pendant qu'ils se lamentaient, le poisson qui s'était échappé sauta miraculeusement hors de l'eau, et mordant avec force la corde d'en haut du filet, s'y tint obstinément suspendu jusqu'à ce qu'un des pêcheurs vînt l'en détacher et le prendre, plein de joie et de reconnaissance. [2,9] CHAPITRE IX. De la translation de saint Sindulfe au même monastère. LES reliques de saint Sindulfe furent aussi transférées au monastère de Haut-Villiers, de leur première sépulture au village d'Aulsonce, où ce pieux personnage avait exercé le saint ministère, et où il avait fait beaucoup de miracles après sa mort. Sur la route, au village de Spide, une femme aveugle recouvra la vue. Presque aux portes de Reims, comme une grande foule de peuple sortait au-devant, il vint une jeune fille muette qui ne pouvait s'aider d'un de ses bras; à peine se fut-elle prosternée en terre qu'elle fut guérie de sa double infirmité. On apporta aussi une femme percluse des mains et des genoux, laquelle, à peine déposée à terre se trouva guérie, et fit éclater sa joie. Mais, dans un excès de vanité il lui arriva de se vanter que son mari, qui l'avait renvoyée à cause de son infirmité, serait bien obligé de la reprendre bon gré malgré, et aussitôt elle retomba dans son ancienne misère. Quand le corps du bienheureux fut déposé dans l'église, devant l'autel de la sainte Vierge, une jeune fille, affligée d'une contraction aux genoux, s'y traîna en rampant, et tout-à-coup, redressée par la grâce de Dieu, elle se trouva saine et guérie par les mérites de saint Sindulfe. Une autre, aveugle depuis sept ans, fut rendue à la lumière dès qu'elle, eut touché les portes du temple. Après la célébration du saint sacrifice de la messe, on transporta le corps dans l'église de Saint-Rémi et le lendemain au monastère d'Avenay. Les religieuses vinrent au-devant en procession. Avec elles, vint un homme qui était boiteux depuis deux ans; il se prosterna en terre, et bientôt se relevant, il commença à marcher comme auparavant. Une femme, paralytique et privée de l'usage de tous ses membres, fut rendue à la santé. Enfin le précieux trésor arriva au monastère de Haut-Villiers ; là, une petite fille, aveugle depuis la première année de sa naissance commença à voir aussitôt qu'elle eut passé le seuil du monastère. Deux frères déjà vieux, et qui avaient perdu la vue dans une même année, entrèrent ensemble à l'église; à peine se furent-ils mis en prières, que le sang commença à leur couler des yeux au lieu de larmes, et, recouvrant la vue, ils se réjouirent de contempler le tombeau de leur saint médecin. Une vierge, consacrée au Seigneur, avait fait vœu d'aller en voyage avec ses compagnes visiter les reliques du saint confesseur. Au milieu de la route, laissant les autres accomplir leur voyage, elle retourna en sa cellule mais à peine y fut-elle entrée qu'elle fut frappée de paralysie aux bras et aux jambes. Depuis elle se fit conduire en chariot à Haut-Villiers, et après être restée quelque temps encore affligée de son infirmité, elle en fut enfin délivrée à sa grande satisfaction et rendue à son premier état. [2,10] CHAPITRE X. De saint Rieul, évêque, APRÈS saint Nivard, le siège fut occupé par le seigneur Rieul, qui enrichit l'évêché tant des biens de son patrimoine que d'autres qu'il acheta. Nous avons vu qu'il avait été envoyé par saint Nivard pour défendre, devant le roi, les biens de l'église et les intérêts des colons, et qu'il gagna sa cause. Quand il fut lui-même devenu évêque il eut à soutenir un grand procès contre Gondebert un des grands de la cour du roi, et frère de saint Nivard. Gondebert prétendait que tous les biens d'héritage, tant paternel que maternel, que l'évêque son frère avait laissés en mourant lui revenaient de droit. Rieul, au contraire et ses agents maintenaient que Nivard avait donné, par acte authentique, tous ses biens, pour le salut de son âme, à divers lieux saints; par exemple aux églises de Notre-Dame et de Saint-Rémi, aux monastères de Haut-Villiers et de Vierzy, sépulture de saint Basle, lesquels Nivard lui-même avait fait construire ou réparer, au monastère de filles à Reims, où Bobe était abbesse; enfin à l'église de Saint-Rufin et Saint-Valère et autres lieux sacrés. Les deux parties débattaient leur querelle avec chaleur; mais des personnes pacifiques ayant interposé leur médiation, un accord fut fait aux conditions suivantes à savoir, que Gondebert recouvrerait et posséderait tous les biens qu'Emma, leur mère avait eus outre Loire, sans que l’évêque Rieul ou ses agents eussent rien à réclamer; mais que tous les autres biens que, par acte de sa volonté, saint Nivard, de bienheureuse mémoire, avait donnés aux églises leur appartiendraient et demeureraient à toujours, avec l'aide de Dieu, sans que Gondebert et ses héritiers pussent jamais élever aucune prétention. Et fut cet accord passé et rédigé par écrit; et il est encore aujourd'hui conservé dans nos archives, signé des deux parties. Pendant son pontificat Rieul acheta partie du domaine de Dizy; un arpent de terre et quelques champs au village de Berchigny; à Reims, de différentes personnes, quatre arpents ou plus et divers lieux; partie du domaine de Monsallon; item ; partie des domaines de Rosay et Popecy, avec quelques autres possessions, tant terres que serfs. Ce fut de son temps que Warat, homme de noble race, donna aux églises de Notre-Dame et de Saint-Rémi, Mont-Cruny, Courville, et Arcigny en Tardenois. Enfin le bienheureux évêque Rieul a fait aussi divers échanges, à l'avantage mutuel des contractants. Avant sa cléricature, il avait eu de légitime mariage une fille, nommée Odile, laquelle se rendit religieuse au monastère qu'Ébroïn avait fait bâtir à Soissons, et y vécut sous la sainte discipline. L'évêque lui laissa quelques domaines aux pays de Reims et de Beauvais, et aussi outre Loir a condition qu'après son décès, la donation profiterait et demeurerait a toujours au monastère. Ce vénérable évêque fit bâtir, avec la permission du roi Théodoric et du consentement du maire du palais Ebroïn, le monastère d'Orbay, en un lieu qu'il tenait de la munificence du roi. Il obtint de l'abbaye de Resbé six moines pour vivre sous leur règle à Orbay, et l'enseigner à d'autres l'un d'entre eux, nommé Landemar, fut par lui constitué abbé, et gouverna le monastère toute sa vie car, bien qu'il eût été chassé par un seigneur Eudes, il fut rétabli par le roi Childebert. Après la mort de cet abbé, l'archevêque Rigobert reprit le gouvernement du monastère et le régit. Il n'y a pas longtemps, les Hongrois s'emparèrent d'un des moines de ce couvent nommé Hucbold, et voulurent le mettre à mort. Mais le fer ne put l'entamer; car, comme lui-même le raconta ainsi que plusieurs captifs aujourd'hui de retour quand les barbares, après l'avoir exposé nu à leurs coups, tirèrent contre lui de toutes parts, leurs flèches venaient se briser contre son corps comme contre un diamant, et en rejaillissaient au loin, sans qu'il en demeurât aucune trace enfin, frappé de toute force à coups d'épée, il n'en demeura pas moins intact et sans blessures. Lors les barbares, le prenant pour un dieu, l'emmenèrent avec eux, et le gardèrent avec grand respect, jusqu'à ce qu'un évêque payât sa rançon, et ainsi le renvoyât à son monastère. [2,11] CHAPITRE XI. De saint Rigobert. SAINT Rieul eut pour successeur saint Rigobert son parent selon la chair, et né d'une illustre famille au pays de Ribemont. Son père, nommé Constantin, était du même pays; mais sa mère était originaire du Portian. Ce Rigobert fut homme de saintes mœurs, et orné de grandes vertus. A son entrée à l'évêché il trouva beaucoup de choses à réparer et le fit avec succès. Il réforma la règle des chanoines, leur assigna un entretien suffisant, leur donna quelques terres et leur forma un trésor commun pour leurs nécessités. Pour le composer, il assigna les domaines de Gernicourt, Muscy, Rosay, Wuffinerive, Courcelles, l'église de Saint-Hilaire avec le faubourg lui appartenant; et régla que chaque année, le jour anniversaire de sa mort, ils prendraient d'abord sur ces rentes tout ce qui serait nécessaire à leurs besoins, et que le surplus serait partagé également entre eux. Il affecta des serfs au service des chanoines, constitua les pauvres de Jésus-Christ héritiers de ses biens, qui pouvaient monter à quarante arpents ou plus. Il établit des colons dans divers villages du diocèse et régla leurs charges et services. Il acheta différents biens dont il enrichit l'évêché ainsi de Gomnold, le domaine de Chartrève en Tardenois, qu'il paya cinq cents sous d'or; de différentes personnes, deux arpents au village de Tourbe, item; de Hosome, partie du domaine de Champigny, sur la rivière de Vesle, pour la somme de quarante sous d'or d'une de ses cousines, nommée Gilsinde, partie du domaine de Briquenay, sur la rivière de Retourne avec serfs, maisons et autres dépendances, et de la même Gilsinde, partie du domaine de Boul-sur-Suippe, avec les maisons, serfs, prés, champs, et toutes dépendances y attenant, pour la somme de cent sous d'or. Il acheta aussi, pour une assez forte somme, quelques biens outre Loire et fit plusieurs échanges avec diverses personnes, à l'avantage des deux parties. Enfin il obtint du roi Dagobert des lettres d'immunité pour son église lui remontrant que sous tous les rois Francs ses prédécesseurs, depuis le temps de saint Rémi et du roi Clovis par lui baptisé, elle avait toujours été libre et exempte de toute servitude et charge publique. Le roi donc, voulant ratifier ou renouveler ce privilège, de l'avis des seigneurs de son conseil et dans la même forme que les rois ses prédécesseurs, ordonna que tous biens villages et hommes appartenant à la sainte église de Reims ou à celle de Saint-Rémi, situés ou demeurant tant en Champagne, dans la ville ou les faubourgs de Reims, qu'en Austrasie, Neustrie, Bourgogne, pays de Marseille en Auvergne, Touraine, Poitou, Limoges, et partout ailleurs dans ses pays et royaumes seraient à perpétuité exempts de toute charge qu'aucun juge public n'osât entrer sur les terres de ces deux saintes églises de Dieu, pour y faire séjour, ni y rendre aucun jugement, ou lever aucune taxe; enfin, qu'elles conserveraient à toujours les immunités et privilèges à elles concédés par les rois ses prédécesseurs. Rigobert obtint encore confirmation de ces lettres, soit du fils même de Dagobert, soit des autres rois qui régnèrent pendant son épiscopat et du roi Théodoric une ordonnance spéciale pour ratifier la donation que Grimoald, personnage illustre avait faite à l'église de Reims de son village de Chaumussy. Ces actes de l'autorité royale existent encore aujourd'hui aux archives de la sainte église de Reims. Ce vénérable évêque fut en fort grande amitié avec Pépin maire du palais, auquel il avait coutume d'envoyer fréquemment des eulogies, en signe de bénédiction. Etant allé un jour visiter ce prince, Pépin lui demanda ce qu'il pourrait faire qui lui fut agréable. Or, en ce moment. Pépin séjournait au village de Gernicourt; et ayant appris de l'évêque que cette demeure lui plaisait, il la lui offrit, ajoutant qu'il lui donnerait en outre tout le terrain qu'il pourrait enceindre en en faisant le tour tandis qu'il prendrait son repos à l'heure de midi. Rigobert; suivant donc l'exemple de saint Rémi se mit en route, et fit poser de distance en distance les limites qui se voient encore aujourd'hui et traça ainsi l'enceinte pour obvier à toute contestation. A son lever, Pépin le trouvant de retour, lui confirma la donation de tout le terrain qu'il venait d'enclore et pour indice mémorable du chemin qu'il a suivi on y voit en toute saison l'herbe plus riche et plus verte qu'en aucun autre lieu d'alentour. Il est encore un autre miracle non moins digne d'attention que le Seigneur se plaît à opérer sur ces terres, sans doute en vue des mérites de son serviteur, c'est que depuis la concession faite au saint évêque jamais tempête ni grêle ne font dommage en son domaine; et, tandis que tous les lieux d'alentour sont battus et ravagés, l'orage s'arrête aux limites de l'église, et n'ose les franchir. Enfin, aucune vue de cupidité mondaine n'entra dans l'acquisition de ces biens, ni de tous autres qui purent lui être donnés. En tout il ne songea qu'à l'intérêt de son église, qu'il institua son héritière et il a même fait partager ses richesses à plusieurs églises, comme nous l'attestent les chartes et titres encore aujourd'hui existants. Sous son épiscopat, un abbé Adon donna à l'église de Notre-Dame de Reims tout ce qu'il possédait au pays de Laon consistant en maisons, serfs, champs vignes, prés, forêts, piscines, eaux, cours d'eau et autres dépendances. Il donna aussi à l'hôpital de Saint-Rémi quelques biens situés en Tardenois. Différentes autres personnes, en différents lieux donnèrent leurs biens à l'église de Reims, pour le salut de leurs âmes, sous le pontificat de ce saint évêque, tels que Beroalde et Sairebert, qui donnèrent des maisons, des champs, des serfs, des vignes et des bois, à Mont-Belin et Tessender-Loo; Gairefrède et Austrebert, plusieurs arpents avec vignes et serfs y attenant, dans le pays de Laon Abbon, dans le district de Portian Laudemar, au pays de Reims Rodemar, sur la Haute-Meuse; et Austrebert, au même lieu comme il appert par les actes et monuments qui nous restent aux archives. [2,12] CHAPITRE XII. De l'expulsion de Rigobert hors de la ville de Reims. LA guerre ayant éclaté entre le roi Chilpéric, Charles-Martel, fils de Pépin, et le maire du palais Rainfroi, Charles, en passant près de Reims, somma, dit-on, saint Rigobert, qui demeurait sur l'une des portes de la ville, de lui faire ouvrir cette porte, afin qu'il pût aller faire sa prière en l'église de Notre-Dame. A ses pressantes sollicitations, l'homme de Dieu répondit qu'il ne lui ouvrirait les portes que lorsqu'il aurait vu l'issue de la querelle dans la crainte de livrer au pillage la ville confiée à ses soins, comme déjà il était arrivé à Charles en d'autres villes. Furieux de cette réponse, Charles fit serment que, s'il revenait victorieux et en paix, l'homme de Dieu ne serait pas en sûreté dans sa ville. La tradition rapporte que ce saint, béni du Seigneur, avait sa demeure sur la porte appelée Basilicaire soit parce qu'elle est entourée de basiliques, soit parce qu'elle sert de passage pour aller aux basiliques du faubourg de Saint-Rémi. Des fenêtres de son appartement il pouvait contempler les églises de Saint-Rémi, et adresser à son gré ses prières. Il avait fait construire sur la même porte un oratoire en l'honneur de saint Michel archange, d'où il descendait pour aller prier en l'église de Saint-Pierre, contiguë à cette porte. Cet oratoire subsista de longues années, jusqu'au temps où l'empereur Louis donna ce monastère de Saint-Pierre à sa fille Alpaïde. Mais Beggon, mari de cette princesse, le fit démolir parce que, comme il était grand marchait toujours la tête élevée, et ne se baissait jamais pour entrer, il donna un jour de la tête contre le linteau de la porte, qui était basse, et se blessa grièvement. Pour cacher son motif, il prétendit que l'oratoire était trop élevé et offusquait la fenêtre de l'église. Mais à peine eut-on commencé à démolir, que Beggon, qui était au pays de Laon, fut aussitôt possédé du démon des tourbillons de poussière et de vent se précipitèrent par le passage de la porte et couvrirent la ville de ténèbres profondes personne ne pouvait tenir en chemin. Cet oratoire a été rétabli il n'y a pas longtemps et relevé comme auparavant, sous l'invocation de saint Michel. Quand Charles eut remporté la victoire et défait ses ennemis, il chassa de son siège le pieux Rigobert son parrain qui l'avait tenu sur les saints fonts de baptême, et donna l'évêché de Reims à un nommé Milon, simple tonsuré, qui l'avait suivi à la guerre. Ce Charles-Martel, né du concubinage d'une esclave, comme on lit dans les Annales des rois Francs, plus audacieux que tous les rois ses prédécesseurs, donna non seulement l'évêché de Reims, mais encore beaucoup d'autres du royaume de France, à des laïques et à des comtes; en sorte qu'il ôta tout pouvoir aux évêques sur les biens et les affaires de l'Église. Mais par un juste jugement, le Seigneur fit retomber sur sa tête tous les maux qu'il avait faits à ce saint personnage et aux autres églises de Jésus-Christ; car on lit dans les écrits des Pères, que saint Euchère jadis évêque d'Orléans dont le corps est déposé au monastère de Saint-Trudon s'étant mis un jour en prières, et absorbé dans la méditation des choses célestes, fut ravi dans l'autre vie, et là, par révélation du Seigneur, vit Charles tourmenté au plus bas des enfers. Comme il en demandait la cause à l'ange qui le conduisait, celui-ci répondit que, par la sentence des saints qui au futur jugement tiendront la balance avec le Seigneur, il était condamné aux peines éternelles pour avoir envahi leurs biens. De retour en ce monde, saint Euchère s'empressa de raconter ce qu'il avait vu, à saint Boniface, que le saint siège avait délégué en France pour y rétablir la discipline canonique, et à Fulrad, abbé de Saint-Denis et grand aumônier du roi Pépin, leur donnant pour preuve de la vérité de ce qu'il rapportait sur Charles-Martel, que, s'ils allaient à son tombeau, ils n'y trouveraient point son corps. En effet, ceux-ci étant allés au lieu de la sépulture de Charles, et ayant ouvert son tombeau, il en sortit un serpent; et le tombeau fut trouvé tout-à-fait vide, et noirci comme si le feu y avait pris. Quant à l'usurpateur Milon, Zacharie, pape de Rome, écrivit à son sujet au nonce saint Boniface. Quant à Milon et à ses pareils, qui causent, tant de mal aux églises de Dieu, prêche les à propos et hors de propos, selon la parole de l'apôtre, afin qu'ils cessent leurs criminelles prévarications. S'ils obéissent à tes remontrances, ils sauveront leur âme; sinon, ils mourront dans leur péché, mais toi, qui prêches la justice, tu ne perdras point ton salaire. Obtempérant aux commandements de Dieu, qui ordonne de fuir de ville en ville au temps de persécution, saint Rigobert se retira en Gascogne. Là, comme animé d'une sainte ferveur, il employait ses loisirs de l'exil à visiter les monuments et reliques des saints. Un jour qu'il était entré dans une église et y faisait sa prière, on essaya de sonner les cloches selon l'usage mais deux d'entre elles, malgré tous les efforts, ne rendirent aucun son. Les prêtres et les assistants, saisis d'inquiétude, interrompent alors le saint personnage, et lui demandent qui il est, et d'où il vient. Il déclare qu'il est clerc, et vient de France. Ceux-ci insistent, le questionnent sur l'événement qui les étonne, et s'enquièrent pourquoi leurs cloches ne sonnent pas comme à l'ordinaire. Rigobert leur répond que deux cloches ont été enlevées furtivement d'une de ses églises, et qu'il soupçonne que ce sont celles-là; on les lui montre, il les reconnaît on le prie de les sonner pour faire l'expérience. A peine les a-t-il touchées, qu'elles rendent un son éclatant; et ainsi est prouvée la vérité de sa parole. Les assistants s'étonnent et admirent on lui rend ses cloches, et tous le tiennent digne d'honneur et de révérence. Depuis, ces deux cloches furent rapportées en France et rendues à l'église de Gernicourt. On raconte que Milon à qui Charles-Martel avait donné l’évêché de Reims, étant en ambassade en Gascogne rencontra Rigobert, et lui conseilla de rentrer, avec promesse de lui rendre son évêché. Mais quand celui-ci fut rentré, Milon exigea qu'il lui donnât en propriété les biens qu'il avait déjà donnés à l'église. Rigobert ayant rejeté cette proposition, Milon révoqua sa promesse et garda l'évêché. Alors l'homme de Dieu le supplia de lui laisser seulement l'autel de Notre-Dame Marie mère de Dieu, pour y célébrer la messe. Cette demande lui fut accordée dès lors content et résigné, il demeura longtemps au village de Gernicourt, vivant en humilité, frugalité, veilles, prières, aumônes, et dans l'exercice de toutes les bonnes œuvres. Il avait coutume de visiter de temps en temps la ville de Reims, et d'aller dire la messe à l'autel de la sainte Vierge comme il l'avait désiré; puis, passant par l'église de Saint-Maurice, il allait faire sa prière à Saint-Rémi de là, continuant sa visite par le monastère de Saint-Thierri et l'église de Saint-Cyrique de Cormicy il s'en retournait à Saint-Pierre de Gernicourt. [2,13] CHAPITRE XIII. Des miracles qu'il a opérés pendant sa vie. UN jour qu'il était venu à Cormicy pour prier en l'église de Saint-Cyrique, il s'entretint avec le vidame de Reims, que le hasard avait amené dans le même lieu. Celui-ci l'invita à dîner, mais il s'en excusa, parce qu'il avait résolu de dire sa messe à Saint-Pierre de Gernicourt. Sur ces entrefaites, une femme vint apporter une oie au vidame et celui-ci l'offrit à l'évêque, en le pressant de l'accepter, et de la faire emporter avec lui. Le domestique de l'homme de Dieu la prit et l'emporta. Mais tout-à-coup elle s'échappa de ses mains, et s'envola si loin qu'il perdit tout espoir de la reprendre. Le pauvre domestique se désolait mais le saint père le consolait, avec sa bonté ordinaire, par des paroles pleines de douceur, lui remontrant qu'il ne fallait pleurer ni s'affliger de la perte des biens temporels, mais au contraire, toujours espérer dans le Seigneur, qui donne à tous en abondance selon leur besoin. Quelque temps après, quand ils eurent fait quelque chemin, voilà que tout-à-coup l'oiseau revint de lui-même s'abattit à terre devant le saint évêque et se mit à marcher devant lui comme pour lui servir de guide, suivant toujours la route sans dévier, jusqu'à ce qu'ils arrivassent à Gernicourt, où ils allaient. L'homme de Dieu ne souffrit pas qu'on tuât l'oie, et depuis il ne cessa de l'avoir pour avant-courrière car elle courait toujours devant lui quand il allait à la ville ou en revenait. Le pape Adrien fait mention de Rigobert dans une de ses lettres à Tilpin qui fut dans la suite évêque de Reims, et le plaint en ces termes des injustices qu'il avait souffertes Votre fraternité nous a mandé qu'à l'occasion de la guerre survenue entre les Francs, Rigobert, archevêque de Reims a été, au mépris des saints canons, déposé et chassé de son siège, sans avoir commis aucun crime, sans aucun jugement des évêques ni aucun consentement ou information du saint Siège apostolique; mais seulement pour n’avoir pas embrassé le parti de celui qui a conquis et réduit sous sa domination la partie du royaume où se trouve la ville de Reims. L'évêché a été usurpé, au mépris de Dieu et de son autorité, par la puissance séculière, et donné par elle avec un autre évêché et d'autres églises, à un nommé Milon, simple tonsuré, tout-à-fait ignorant, de la règle et de l'ordre ecclésiastiques; d'autres évêchés ont été distraits de différentes manières de la métropole de Reims; la plupart des sièges sont demeurés sans évêques, ou bien les évêques et les clercs ont été contraints de s'adresser à d'autres métropolitains pour recevoir l'ordination des recours illégitimes ont été établis; les clercs les prêtres, les moines, les religieuses, se sont soustraits au jugement et à la censure de leurs évêques, et ont vécu sans discipline au gré de leur caprice, etc. [2,14] CHAPITRE XIV. De la mort et de la sépulture de saint Rigobert. ENFIN le saint évêque Rigobert distingué par tant d'actes éclatants et par de si grandes vertus, vécut de longues années dans ce pieux exercice et après avoir vaillamment terminé le combat de la vie présente il mourut le 4e jour de janvier. Il fut enterré avec tous les honneurs par le clergé et les évêques du village de Gernicourt, son habituelle demeure, dans l'église de Saint-Pierre, au midi de l'autel. Après sa déposition en ce lieu, de nombreux et éclatants miracles ont fait assez connaître quels étaient ses mérites auprès du Seigneur mais, soit négligence ou disette d'écrivains très peu nous ont été transmis. Les habitants racontent que trois boiteux ont été guéris par ses mérites longtemps en témoignage de leur guérison, leurs bâtons et béquilles ont été conservés dans l'église, jusqu'à la translation des reliques du saint évêque. Une femme aveugle du pays même nommée Ansilde recouvra la vue par l'intercession du bienheureux patron. Un petit garçon, qui allaita l'école chez le curé du lieu s'amusait un jour à sauter sur la tombe du saint, outrageant ainsi Dieu et son serviteur enfermé dans cette tombe afin que les mérites de Rigobert fussent connus, et qu'une pareille audace ne se renouvelât plus à l'avenir, le pied de l'enfant fut aussitôt frappé de mal; et devenu boiteux il perdit l'usage d'un de ses pieds. C'est pourquoi le curé fit placer une barrière autour de la tombe dans la crainte que quelqu'un n'encourut par ignorance la même punition. Depuis sa sépulture, on a souvent entendu dans l'église des voix si douces et si harmonieuses qu'elles ne peuvent être que celles des anges. On y a vu aussi au milieu des nuits, des clartés si brillantes qu'elles auraient fait pâlir le-soleil, et qu'une fois l'éclat s'en réfléchit jusque dans la maison du curé voisine de l'église. A cette vue, le prêtre fut frappé de terreur, et depuis il a redoublé de respect et d'hommages pour ce lieu miraculeux. Ajoutez que de nombreux malades trouvent chaque jour leur guérison sur le tombeau de cet homme de Dieu. Ceux qui sont affligés de la fièvre viennent avec foi, offrent un cierge en vœu raclent la poussière du sépulcre en prennent dans de l'eau, et sont guéris. Ceux qui souffrent du mal de dents n'ont qu'à embrasser le tombeau avec dévotion, et leur douleur cesse. [2,15] CHAPITRE XV. De la translation du corps de saint Rigobert. Tandis que les mérites de ce glorieux confesseur de Jésus-Christ éclataient par mille miracles au lieu de sa sépulture, l’archevêque Hincmar le fit transférer au monastère de Saint-Thierri et déposer près du tombeau de ce grand saint, jurant les quelques années qu'il a été exposé en ce lieu à la vénération des fidèles, le Seigneur, a daigné opérer plusieurs miracles par son intervention. Beaucoup de malades, les uns de la fièvre, les autres du mal de dents, qui ont imploré avec foi son assistance, ont été heureusement guéris. Entre autres, une femme nommée Audingue, du village de Courme, voisin du monastère depuis longtemps épuisée et minée par la fièvre fit chez elle, pour le rétablissement de sa santé, l’épreuve suivante. Elle fit trois cierges absolument de la même dimension; l'un pour saint Thierri, l’autre pour saint Théodulphe, le troisième pour saint Rigobert; puis elle les alluma tous trois ensemble, pour voir lequel durerait le plus longtemps. Celui qui avait été voué à saint Rigobert resta le dernier; elle jugea que Dieu approuvait sa dévotion, et résolut d'adresser son vœu à ce saint. Prenant donc un autre cierge seulement pour lui, elle se rendit à l'église, et offrit son petit présent. Après avoir fait sa prière devant les reliques qu'elle était venue visiter, elle s'endormit, et, à son réveil, elle trouva que la santé lui était revenue. Neuf ans après, les restes du bienheureux évêque furent transportés dans la ville de Reims, et déposés dans l'église de Saint-Denis qui était alors la sépulture des chanoines de Reims. Or il y avait en ce temps-là au village d'Aumnencourt une femme aveugle, laquelle entendit en songe une voix qui lui disait : Que fais-tu ici? que ne te lèves-tu? demain l'évêque Hincmar et les chanoines de Reims transfèrent en cette ville le corps de saint Rigobert. Va à lui et il t'assistera. Et celle-ci se leva à la pointe du jour, et se mit en chemin en grande hâte, avec un cierge pour l'offrir. A peine fut-elle arrivée au lieu où reposaient les reliques saintes qu'elle recouvra la vue. De même un sourd, venu au jour de la translation, fut guéri de sa surdité aussitôt qu'il eut touché le cercueil du saint; et il raconta qu'il avait été engagé à faire ce voyage de la même manière que la femme aveugle. Il dormait la nuit dans une hôtellerie, quand une personne inconnue le toucha légèrement au côté, le réveilla et l'appela. Il sentit bien qu'on le touchait, mais, étant sourd, il ne s'entendit point appeler. Mais ceux qui étaient avec lui dans la maison, quoiqu'ils ne vissent personne, entendirent fort bien une voix qui l'engageait à aller en toute bâte vers saint Rigobert. C'est pourquoi il se mit en route sur-le-champ, et recouvra ainsi la santé qu'il avait si longtemps désirée. Quand les païens infestèrent la France, il fallut abattre l'église où reposaient les reliques du bienheureux évêque, pour enceindre la ville de murailles. Lors l’archevêque Foulques les transféra dans la cité et les fit placer au milieu de l'église de Notre-Dame, derrière l'autel de la Sainte-Croix. Et là, beaucoup qui sont venus avec foi ont obtenu guérison. A peu près en ce temps, un moine de l'abbaye de Saint-Rémi, nommé Sigloard, était tourmente d'une fièvre si violente qu'il perdait presque la raison. Un soir qu'il était allé se coucher sans souper, et ne pouvait prendre aucun repos, se sentant agité et tourmenté de quelque côté qu'il se tournât, il invoqua saint Rigobert à son aide, et aussitôt il se trouva guéri. Quelque temps après les saintes reliques furent, encore transférées en Vermandois, au village de Neminque, que le comte Odalric avait donné à l'église de Reims, et que l'évêque Foulques avait assigné à l'entretien des chanoines. Non loin de là habitait un prêtre, nommé Signin, lequel souffrait d'un grand mal de dents. Apprenant que le corps de saint Rigobert venait d'être apporté en ce lieu comme il ne pouvait y aller lui-même à cause de la violence du mal, il y fit porter un cierge en son nom. Néanmoins, quoique absent de corps, il ne laissa pas de prier le saint du Seigneur de lui procurer guérison par son intercession. Aussi, à peine son offrande eût-elle été déposée devant la châsse, qu'il sentit la main du médecin céleste, et la santé lui revint incontinent. Aussitôt il partit pour aller offrir son hommage à l'auteur de sa guérison; prosterné devant la châsse miraculeuse, et se répandant en larmes et en actions de grâces, il publia hautement la grâce que le Seigneur venait de lui accorder par l'intervention de son serviteur. Enfin, peu de temps après, les précieuses reliques furent rapportées a Reims, l'église de Saint-Denis fut rebâtie hors des murs de la ville par les soins et aux frais des chanoines, et depuis le corps de saint Rigobert y est exposé à la vénération des fidèle avec celui de saint Théodulphe. [2,16] CHAPITRE XVI. D'Abel successeur de saint Rigobert. Abel vient après saint Rigobert dans la suite des évêques de Reims, quoique quelques-uns prétendent qu'il ne fut que chorévêque. Mais nous avons plusieurs preuves du contraire, principalement dans les lettres du pape Zacharie à saint Boniface. Dans l'une entre autres, le souverain pontife écrit à Boniface qu'il a reçu l'avis par lequel il lui annonce qu'il a ordonné trois évêques dans trois villes métropolitaines, savoir Grimon à Rouen Abel à Reims et Héribert à Sens : Lequel, ajoute le pontife en parlant d'Héribert, est venu auprès de nous, et nous a remis tes lettres et celles de Carloman et de Pépin, par lesquelles tu nous requiers d'envoyer le pallium à ces trois métropolitains, ce que nous avons libéralement accordé en vue de l'union et de la réformation des églises de Dieu. Nous lisons encore dans une autre lettre au même : Quant aux évêques métropolitains Grimon lequel nous connaissons par nous-même Abel et Héribert, que tu as établis dans chacune des villes métropolitaines des provinces, nous les confirmons à ta recommandation et nous leur envoyons le pallium, tant pour leur ferme établissement que pour l'accroissement de l'Église de Dieu, afin qu'ainsi elle puisse profiter en meilleur état. Car nous leur avons mandé quel est l'usage du pallium, comment ceux qui en sont honorés doivent déclarer et maintenir leur foi, et guider leurs peuples dans la voie du salut. Que la discipline ecclésiastique soit inviolablement gardée et demeure inébranlable dans leurs églises; que jamais le sacerdoce ne soit souillé en eux, comme il l’a été trop longtemps en tant d'autres mais qu'ils le maintiennent pur et agréable à Dieu, autant qu'il est possible à la condition humaine; enfin, qu'aucun d'eux ne s'écarte, jamais des sacrés canons; qu'ils puissent toujours offrir le sacrifice pur et sans tache, afin que le Seigneur se laisse apaiser par leurs oblations; et que les peuples, l'âme purgée de toute souillure, remplissent en bons et fidèles chrétiens les devoirs de notre sainte religion. Enfin, on trouve quelques chartes et actes qui portent avec le nom d'Abel le titre d'évêque. En outre, le pape Adrien dans la lettre à l'archevêque Tilpin déjà citée, après ce que nous avons rapporté plus haut ajoute Boniface de bienheureuse mémoire, archevêque et légat de la sainte Église romaine, et le très aimable et bien-aimé Fulrad archiprêtre de France, ont beaucoup travaillé du temps de nos prédécesseurs Zacharie et Étienne, afin que Zacharie, de sainte mémoire, notre prédécesseur, envoyât, à la prière dudit Boniface, le pallium ; Abel, archevêque de Reims, lequel avait été institué et ordonné par Boniface. Mais ne lui fut pas permis de demeurer en son diocèse; il en fut chassé au mépris du Seigneur et l'église de Reims resta durant de longues années sans évêque, en sorte que les biens de cet évêché ont été envahis et distribués entre laïques, comme il est arrivé à d'autres évêchés, mais surtout à la cité métropolitaine de Reims. [2,17] CHAPITRE XVII. De l'évêque Tilpin. Après les évêques dont nous venons de parler suit Tilpin, moine de Saint-Denis, pour qui Charlemagne obtint le pallium du pape Adrien, comme on le voit dans la lettre suivante, écrite par ce pape à Tilpin lui-même. Adrien, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à notre très révérend et très saint confrère Tilpin, archevêque de Reims. Il nous souvient très bien qu'à la requête de notre fils spirituel et glorieux roi de France, Charles, et aussi sur le témoignage rendu de ta sainteté et doctrine, par le très aimable et bien-aimé Fulrad, archiprêtre de France, nous t'avons envoyé le pallium, selon la coutume et avec le privilège que l'église métropolitaine de Reims soit maintenue et conservée en son intégrité; et après les quelques lignes que nous avons déjà rapportées au sujet de saint Rigobert et d'Abel, et dans lesquelles le pape parle des biens enlevés à l'église de Reims, il continue: Ta fraternité nous annonce que tu as déjà en grande partie obtenu de notre fils Charles, et auparavant de son frère Carloman, la restitution des biens de ton église, et remis quelque ordre et discipline soit pour ce qui regarde les évêques, soit en autres choses, suivant l'autorité des canons et celle du saint Siège de Rome. Et à ces causes, tu nous as prié qu'il nous plût, de l'autorité de saint Pierre, prince des apôtres et de l'autorité du saint Siège de Rome et de la nôtre t'accorder privilège à toi et à ton église, afin que ce que tu as fait et accompli jusqu'ici demeure stable, et afin que tu puisses par notre autorité, avec l'aide de Dieu et du bienheureux apôtre saint Pierre, conduire à perfection ce qui reste encore à faire. C'est pourquoi de grand cœur, et avec l'aide de Dieu et de l'autorité apostolique, non seulement nous confirmons tes anciens droits selon les sacrés canons et les décrets apostoliques de ce saint Siège, mais en faveur de ton zèle et de ta bonne affection, nous t'en accordons de nouveaux. Nous donc, de l'autorité de saint Pierre prince des apôtres, à qui a été donné par notre Dieu et notre sauveur Jésus-Christ le pouvoir de lier et de délier les péchés des hommes au ciel et en la terre, confirmons de nouveau et arrêtons que l'église de Reims sera et demeurera métropolitaine comme anciennement elle l'a été qu'elle sera le premier siège de la province, et que toi, qui par la coopération de Dieu as été ordonné en ce même siège, tu seras, et tes successeurs après toi, à perpétuité primat de cette province, pour toutes les cités qui d'ancienneté ont été soumises à l'église métropolitaine de Reims. Et suivant la tradition des saints canons nous défendons qu'après ton rappel de ce monde en l'autre, nul ose instituer ou transférer un évêque d'un autre évêché en ce siège que nul ose soustraire tes paroisses, églises ou cités, ni en aucun temps diviser la province de Reims mais qu'elle demeure en son intégrité, comme elle l'a été d'ancienneté, et ainsi que les saints canons, l'autorité de nos prédécesseurs et la nôtre l'ont confirmée et confirment. Voulons de plus que nul n'attente ni n'ait pouvoir de te déposer de ton siège, ni toi, ni quiconque après toi sera évêque de Reims et primat de la province, sans jugement canonique, et même en cas de jugement, sans le consentement du pontife romain, si l'accusé en appelle à ce saint Siège de Rome, qui est reconnu comme le chef de l'univers. Ainsi donc, soumis seulement au pontife romain avec l'aide du Seigneur et l'appui de notre autorité et de celle du siège de saint Pierre, continue de gouverner ton diocèse et la paroisse de Reims selon les saints canons et les constitutions de ce saint Siège de manière qu'un jour avec les élus de Notre-Seigneur Jésus-Christ, tu puisses entendre cette parole désirable : Viens, bon et fidèle serviteur parce que tu as été fidèle sur peu de choses, je t'établirai sur beaucoup ; entre dans la joie de ton Seigneur. Comme aussi tu as fait parvenir à notre connaissance que plusieurs du diocèse de Reims recevaient l'ordination d'évêques étrangers, et se créaient des recours illégitimes, nous le défendons expressément et comme l'autorité sacrée renseigne, entendons et voulons que pour la convocation et la tenue des synodes provinciaux, pour l'ordination et les jugements, l'église de Reims et son archevêque aient telle autorité et tel pouvoir que le prescrivent les sacrés canons et les constitutions de cette sainte Église. Qu'en quelque temps que ce soit, nul n'ose, comme il à été trop souvent fait, diviser ni usurper rien de ce qui appartient à toi ou à ton église, que si ce que nous ne pouvons croire, quelqu'un osait contrevenir à nos commandements par quelque téméraire entreprise, qu'il sache que par le jugement de Dieu il est lié du lien éternel de l'anathème, si sur-le-champ, et au premier avertissement, il ne se corrige quiconque, au contraire, observera les préceptes apostoliques, et suivra la règle de la foi droite et orthodoxe, obtiendra les grâces de la bénédiction. A toute ces causes mandons que tout ce que nous avons réglé par les présentes soit et demeure observé à perpétuité en ton église, pour son établissement et progrès. En outre comme il nous est parvenu nouvelle de la promotion d'un évêque nommé Lulle à l'évêché de Mayence enjoignons à ta fraternité que tu aies à prendre avec toi les évêques Viomage et Possessor, ainsi que les messagers de notre fils spirituel et glorieux roi de France, Charles, pour informer avec diligence sur son ordination, rechercher sa foi sa doctrine, sa conversation sa vie et mœurs que s'il est trouvé capable et digne de gouverner sa chaire épiscopale, il m'envoie par ses messagers sa profession de foi orthodoxe et catholique exposée par écrit, signée de sa main, avec des lettres et une attestation de toi ou des évêques que nous t'adjoignons par les présentes, afin que nous puissions lui envoyer le pallium, selon la coutume, confirmer son ordination, et le constituer archevêque de l'église de Mayence. Adieu. L'évêque Tilpin, soit par lui-même auprès de l'autorité royale soit par les agents de l'église par devant divers juges, revendiqua les biens qui avaient été enlevés à l'église en différents lieux et en obtint la restitution au domaine ecclésiastique. Il s'aida surtout dans ce pieux travail d'un certain Achabe, qui mit le plus grand zèle pour assurer le recouvrement des biens situés tant en France qu'outre la rivière de Loire, et fit rendre à l'église grand nombre de terres et de serfs. Tilpin augmenta aussi les revenus du diocèse par l'achat de diverses possessions et de serfs il établit des colons dans plusieurs domaines, et régla leurs charges. Il enrichit cette église des manuscrits des saintes Écritures, dont quelques-uns nous servent encore aujourd'hui. Il établit des moines dans l'abbaye de Saint-Rémi, et les soumit au régime monastique, tandis qu'il n'y avait eu que des chanoines depuis le temps de l'abbé Gebhard qui avait fondé cette sainte congrégation, par amour de Dieu et de saint Rémi. Enfin il obtint de Carloman fils de Pépin, la première année de son règne, des lettres d'immunité, sur le modèle de toutes celles qui avaient été accordées à l'église de Reims par les prédécesseurs de ce roi, et qu'il eut soin de lui faire représenter. Par ces lettres, il était défendu à aucun juge public d'entrer sur les terres de l'église, pour s'y faire donner séjour, y rendre aucun jugement, et lever aucune taxe; et elles maintenaient à perpétuité toutes les concessions faites par les rois précédents. Depuis, il obtint encore du même roi exemption de toute taille péage ou impôt et diverses ordonnances, une sur le pont de Bisonce, une autre au sujet des chartes brûlées, auxquelles on laissa prendre le feu par négligence tout ce que possédait l'église au moment de l'incendie lui fut confirmé sans diminution pour l'avenir, par acte de la volonté royale une troisième, au sujet des soldats qui résidaient sur les terres de Notre-Dame de Saint-Rémi et par laquelle fut octroyée remise de toute charge militaire; une autre sur les soldats qui résidaient à Courbevoie, et dans tout le Tardenois sur les terres de l'église de Reims. Enfin, par une charte authentique, le roi Carloman donna à l'église, au monastère de Saint-Rémi, pour sa sépulture et le salut de son âme le village de Neuilly sur Marne avec toutes ses attenances et dépendances et en effet, son corps a été enterré dans la basilique de Saint-Rémi. Son frère l'empereur Charlemagne obtint pour Tilpin le pallium du pape Adrien, comme nous l'avons vu par les lettres de ce pape adressées soit à l'empereur soit à Tilpin lui-même. Ce grand prince accorda aussi, à la sollicitation de l'archevêque, une nouvelle ordonnance d'immunités conforme à celles des rois ses prédécesseurs et confirmation des exemptions militaires accordées par Carloman au Tardenois, de l'ordonnance sur les chartes brûlées enfin de la donation des villages de Neuilly et Bebriliacum, pour la sépulture de son frère. Sous l'épiscopat de Tilpin, beaucoup donnèrent leurs biens soit à l'égide de Reims, soit à celle de Notre-Dame et de Saint-Rémi. Enfin il mourut dans la 47e année de son âge, et fut enterré aux pieds de saint Rémi. [2,18] CHAPITRE XVIII. De l'évêque Wulfar. Après Tilpin vint Wulfar, qui, avant son épiscopat, fut un des missi dominici de l'empereur Charlemagne, et fut, par ce prince, établi sur toute la Champagne pour y rendre la justice et redresser les jugements. Il réunissait sous sa juridiction les districts du Dormois, de Vouzy, de Château-Thierry, de Stenay, de Châlons, et de l'Hiesmois, du Laonnais, du Valois, du Portian, du Tardenois et du Soissonnais. Dans le même temps, d'autres abbés pleins de sagesse et craignant Dieu, parcouraient la France et la Germanie au nom de l'empereur, s'informant avec exactitude comment les évêques, les abbés, les comtes et les abbesses se conduisaient chacun dans les pays de sa domination, et s'ils entretenaient entre eux concorde et amitié. Ces envoyés devaient pourvoir à ce que partout fussent établis des vice-gouverneurs et des juges honnêtes et habiles, procurer par tous les moyens justice au roi aux églises de Dieu, aux veuves aux orphelins, en un mot à tous les sujets de l'empire corriger, autant que possible ce qui était à corriger, et renvoyer à l'empereur ce qu'ils ne pouvaient réformer par eux-mêmes.; enfin, rendre de toutes choses un compte fidèle au très puissant Charles. Wulfar s'appliqua donc à remplir les devoirs qui lui étaient imposés, à réformer la justice, et à remédier aux maux publics avec le concours de quelques comtes quand il n'était encore qu'évêque désigné, avant son ordination, il fit revendiquer par les agents de l'église de Reims, des terres, des serfs, des colons qui en avaient été séparés, et en obtint la restitution devant les tribunaux. Quand il fut ordonné évêque, il acquit à son église beaucoup de biens, de colons et de serfs, en plaidant tantôt auprès du roi tantôt auprès des juges publics, non seulement par les agents et avocats de l'église, mais en se présentant et sollicitant souvent en personne, car Charlemagne avait en lui la plus grande confiance et la preuve c'est qu'il remit à sa foi et à sa garde les quinze grands de Saxe qu'il avait reçus et emmenés en otage. L'an 814 de l'incarnation de N.-S. J.-C., sous le règne de Louis, fils de Charlemagne, Wulfar tint un synode dans l'église de Noyon. Là comparurent ses coévêques Hildoard, Ermenon, Jessé, Ragumbert, Grimbold, Rothard, Wendilmar, Ostroald; les chorévêques Walther, pervon les abbés Adalhard, Nantaire, Fulrad, Eric, Hildéric, Rémi, Ebbon., Sigbald, avec le reste du clergé, prêtres et diacres. Il y appela aussi les comtes Gunthard, Rotfried, Gillebert et Omer. Quand l'assemblée fut réunie on agita le différent qui s'était élevé entre les évêques Wendilmar et Rothard au sujet des limites de leurs diocèses, et il fut réglé et arrêté que tous les lieux situés au-delà de la rivière de l’Oise, au pays de Noyon, comme Varennes, l'église de Saint-Léger et tous les villages qui s'assemblent en ces églises, seraient du diocèse de Noyon et que tout ce qui serait situé en deçà de l'Oise, dans le même pays de Noyon, appartiendrait à l’évêché de Soissons. Cette circonscription de limites fut approuvée par tous les évêques ci-dessus dénommés, les chorévêques, abbés, prêtres et diacres du synode d'un côté par ceux du diocèse de Noyon, clercs et laïques, de l'autre par ceux du diocèse de Soissons, aussi clercs et laïques en sorte que la résolution fut arrêtée sans contradiction et d'un consentement unanime. Nous lisons encore que non seulement les évêques de la province de Reims, mais encore Amalaire, archevêque de Trèves, avec Adalmar, son coévêque, et Hérilaud, obéirent à Wulfar, quand, par l'ordre de Charlemagne et en sa qualité de métropolitain il les convoqua pour assister à l'ordination de Frothaire prêtre de l'église de Trèves. Enfin, ce fut encore sous l'autorité de Wulfar que Charlemagne assembla à Reims, un concile de plusieurs pères de l'église de France, dans lequel furent arrêtés quarante-trois capitulaires, où il est traité des points de foi, de l'honneur de l'église de Dieu de la disposition de ses: recteurs et ministres de la fidélité due au roi enfin de tous les intérêts communs du royaume. Wulfar établit plusieurs colonies nouvelles dans différents villages de l'église de Reims, et régla leurs limites et leurs charges; il fit plusieurs échanges de terres et de serfs également utiles et à l'église et aux personnes avec lesquelles il traita. Il tira aussi, avec l'approbation et le consentement de plusieurs hommes notables, tant du clergé que laïques, différents joyaux des trésors de Notre-Dame et de Saint-Rémi, et en fit faire des ornements et des vases pour le service ecclésiastique, selon qu'il jugea convenable. Dans une de ses lettres, il parle d'une permission obtenue de l'empereur, pour aller faire un voyage à Saint-Pierre de Rome; mais il est incertain s'il en usa ou non. Il affecta à l'aumône, probablement pour le salut de son âme les revenus de plusieurs domaines de l'évêché comme on peut le voir dans quelques actes qui nous restent de ce temps, et où sont réglées les charges ainsi, les domaines de Termidum, Grand-Pré, Vindicum, Furvilla, Gramadum, Le Py, Cadevellum et Magnancourt sont compris dans la distribution de l'aumône pour 1975 mesures de blé, et 168 têtes de moyen bétail de même quelques autres domaines pour 1052 mesures de blé, 64 mesures de vin, 5 mesures de sel, diverses pièces de bétail et autres denrées. Il assura à l'œuvre des frères de l'abbaye d'Orbay tout ce qui était nécessaire pour leur entretien d'où l'on peut conclure que les monastères plus considérables reçurent aussi davantage dans la répartition. Enfin il obtint de l'empereur Louis, pour l'église de Reims et le monastère de Saint-Rémi, une ordonnance d'immunité conforme en tout à celle de son père, l'empereur Charles. [2,19] CHAPITRE XIX. De l’évêque Ebbon. Wulfar eut pour successeur Ebbon, homme habile, instruit dans les sciences libérales, Germain et dit-on, frère de lait et condisciple de l’empereur Louis. Il s'attacha à procurer à son église mille avantages, et surtout la pourvut d'ouvriers qu'il rassembla de tous côtés, auxquels il donna des habitations, en les comblant de bienfaits. Soit par propre diligence, soit par les soins de Raoul vidame et avoué de l'église de Reims, il réclama devant les juges des colons et des serfs déserteurs qui s'étaient soustraits il l'obéissance de l’église et en obtint la restitution au domaine ecclésiastique. Il fit divers échanges de terres et de serfs avec différentes personnes, à la convenance des deux parties, et obtint pour les confirmer des lettres de l'empereur. A sa requête, l'empereur Louis donna ordre au comte Robert de défendre les biens de l’église, que quelques-uns se permettaient d’envahir et d’usurper. Avec l’aide de quelques hommes actifs et habiles il fit plusieurs colonies nouvelles, et en régla les charges et les services. Il fit construire pour les archives de l’église un édifice solide et sûr, ainsi qu'une chapelle élégante et d'un beau travail dédiée à saint Pierre et tous les apôtres, martyrs, confesseurs et vierges, en laquelle nous célébrons le service divin où sont conservées les reliques de plusieurs apôtres et saints. Plusieurs visions ont signalé ce lieu saint. J'ai vu un serviteur de mon nourricier Gundacre qui demeurait vis-à-vis de l'église, auquel il arriva d'aller lâcher de l'eau près de la fenêtre de cette chapelle, et qui fut puni de sa témérité par la terrible vision d'un homme armé venant à lui. Le malheureux en fut si frappé qu'il faillit perdre la raison. Un, diacre du lieu, nommé Rohing, fut aussi arrêté par une vision toute semblable, au moment où il allait commettre la même faute. C'est pourquoi défenses ont été faites de se permettre jamais pareille chose près de l'église ou de la chapelle. A la sollicitation d'Ebbon, Halitgaire, évêque de Cambrai écrivit six livres sur les remèdes contre les péchés, l'ordre et les jugements de la pénitence. Voici la lettre d'Ebbon, et la réponse d'Halitgaire : A notre très révérend frère et fils en Jésus-Christ, Halitgaire, évêque, Ebbon, évêque indigne, salut. Je ne doute pas que ta charité ne connaisse de combien de travaux nous sommes accablé par les seins de la discipline ecclésiastique, les nécessités de nos-peuples, et l'oppression des mondains, dont nous avons chaque jour à souffrir. C'est pourquoi je n'ai pu comme j'en avais conféré avec toi, recueillir, dans les écrite des Pères et les sentences des canons, un pénitencier à l'usage de nos confrères dans le sacerdoce, parce que, quand l'esprit est partagé entre beaucoup de choses il n'a de forces pour aucune. Ce qui surtout me sollicite à cette entreprise, c'est que dans les petits ouvrages de nos prêtres sur la pénitence les jugements sont si confus, si divers, si opposés entre eux, et en outre si dépourvus d'autorités et de citations, qu'il est bien difficile d'y rien discerner, à cause des contractions. De là vient que, tant à cause de la confusion des livres que par lenteur d'esprit et faute de pénétration, nos prêtres ne peuvent subvenir aux besoins de ceux qui recourent au remède de la pénitence. C'est pourquoi notre très cher frère nous avons espéré que tu ne nous refuserais pas ton secours, toi qui, dans un si parfait loisir, t'es toujours livré avec un zèle si ardent à l'étude des sciences célestes, et à une attentive méditation des saintes Ecritures. Soumets-toi, je t'en conjure, et sans aucune excuse, à ce lourd fardeau que nous t'imposons, mais que le Seigneur dont le joug est léger saura te rendre moins pesant. Ne t'effraie pas et ne recule pas devant la grandeur de l'ouvrage mais au contraire, mets la main a l'œuvre avec confiance car celui qui a dit: Ouvrez la bouche, et je la remplirai sera avec toi. Tu sais bien d'ailleurs que peu suffit à ceux qui ont besoin de peu, et que la foule des pauvres ne peut être admise à la table des grands. Garde-toi donc de nous dérober ta science et les fruits de ta dévotion garde-toi de cacher sous le boisseau la lumière qui a été allumée en toi, mais place-la sur le chandelier afin qu'elle brille aux yeux de tous tes frères qui sont dans la maison de Dieu et, savant interprète, redis-nous ce que tu as appris du Seigneur. Tu seras soutenu dans ta route par la grâce de celui qui vint s'adjoindre pour compagnon aux deux disciples voyageurs, et ouvrir leur esprit à l'intelligence des saintes Écritures. Que le divin Paraclet éclaire ton cœur de toute doctrine de vérité et de la science parfaite de la charité très cher frère, adieu. A notre seigneur et vénérable père en Jésus-Christ, Ebbon, archevêque, Halitgaire le dernier des serviteurs de Dieu salut. Quand j'ai reçu, vénérable père, la lettre de Votre Béatitude, en laquelle vous avez daigné m'exhorter à ne point laisser mon esprit s'endormir dans les langueurs de l'oisiveté et à m'appliquer chaque jour avec vigilance à la lecture et à la méditation de la sainte Écriture, et aussi à recueillir les sentences des Pères et des canons, pour en former un pénitencier en un seul volume je l'avoue cet ordre m'a paru dur et difficile à remplir ; j'ai tremblé à l'idée de me charger d'un fardeau qui a effrayé tous les prudents. J'ai lutté longtemps contre votre volonté, non par résistance et obstination mais par le sentiment de ma faiblesse. Troublé de cette inquiétude, j'ai cru nécessaire de remettre à quelque temps ma témérité à écrire mais, en même temps que je pesais toute la difficulté de l'ouvrage qui m'était imposé, je n'ai pu, ni voulu ni dû résister pour toujours à l'autorité de celui qui me l'impose, certain que ma faiblesse trouverait dans Votre Dignité un appui bien au-dessus des difficultés de mon ignorance. Adieu. Ebbon reçut à Reims le pape Étienne et l'empereur Louis, après que Louis eut vaincu les Esclavons orientaux, et lorsque le pape Étienne qui avait succédé à Léon envoya des ambassadeurs à ce prince, pour lui manifester le désir de le voir, en laissant à son choix le lieu de l'entrevue. Transporté de joie à cette nouvelle, l'empereur envoya à son tour des ambassadeurs au souverain pontife, et leur ordonna de tout préparer pour sa réception. Lui-même les suivit bientôt en personne. Le pontife et le roi se rencontrèrent dans la grande plaine de Reims, et tous deux mirent pied à terre. L'empereur se prosterna trois fois aux pieds du pontife; puis ils se saluèrent avec pompe et majesté se donnèrent le baiser de paix, et se rendirent ensemble à l'église, où, après qu'ils eurent fait leur prière, le pape se leva, et avec son chœur prononça à haute voix les louanges et acclamations royales. Ensuite il combla ce prince de riches présents, ainsi que la reine Hermengarde, les grands de la cour et les ministres. Le dimanche suivant, avant la célébration de la messe, en présence du clergé et de tout le peuple, il l’oignit et le sacra empereur, et lui mit sur la tête une couronne d'or d'une merveilleuse beauté, ornée de pierres précieuses, qu'il avait apportée avec lui. Il proclama la reine Auguste, et la couronna aussi d'une couronne d'or. Et tant que le pape apostolique séjourna en notre France, le roi et lui ne s'entretinrent que des intérêts de la sainte Église de Dieu. Quand il voulut partir, l'empereur le combla à son tour de magnifiques présents, beaucoup plus riches encore que ceux qu’il en avait reçus, et le fit escorter jusqu'à Rome par ses ambassadeurs, auxquels il recommanda de lui faire rendre sur toute la route les hommages et services convenables. En ce temps, l'église de Notre-Dame tombait de vétusté. Désirant réparer cette sainte basilique, où le roi Pépin et l'empereur Charlemagne avaient reçu l'onction apostolique le premier, du pape Étienne II, le second, de Léon III, comme on le voit dans une lettre de l'empereur Lothaire adressée à Léon IV pour lui recommander l'archevêque Hincmar, Ebbon supplia l'empereur Louis de lui accorder les murs de la cité de Reims pour être employés à la réparation et à l'agrandissement de cette église. Et comme alors ce prince jouissait d'une paix profonde, et, fort de la toute puissance de son empire, ne craignait aucune incursion des barbares, il ne refusa point le saint prélat, et lui accorda, au contraire, avec bonté sa demande, pour l'amour de Dieu et de sa sainte Mère, et voulant qu'acte restât de sa volonté, il rendit l'ordonnance dont la teneur suit : Au nom du Seigneur Dieu et de notre Sauveur Jésus Christ, Louis, par la grâce de la providence divine, Empereur Auguste en remettant, par une religieuse libéralité, aux lieux saints, et leur rendant pour subvenir à leurs besoins et nécessités ce que les rois et empereurs nos prédécesseurs avaient cru devoir en exiger pour le service de l'État; en prêtant une oreille favorable aux saintes et salutaires requêtes et supplications des fidèles de Dieu à ce sujet, nous pourvoyons tout à la fois au salut de notre âme et au profit du roi et du royaume; car ce n'est point diminuer le bien public que d'y prendre pour subvenir a des actes pieux, à l'entretien des lieux saints, aux besoins des églises de Dieu et aux commodités de ses serviteurs. C'est pourquoi nous voulons qu'à tous les fidèles de Dieu présents et a venir, et en particulier à nos successeurs à la souveraine puissance, lesquels seront placés sur le trône par la grâce du Seigneur des seigneurs, comme nous y avons été placé nous-même, il soit connu et appris qu'Ebbon, vénérable archevêque de l'église de Reims, et du très révérendissime siège de saint Rémi, très glorieux prélat et notre patron particulier, a fait connaître à notre clémence que notre sainte mère l'église métropolitaine, dédiée en l'honneur de la bienheureuse Marie toujours vierge, tombait de vétusté. Comme en cette sainte basilique, par la grâce de Dieu et la coopération de saint Rémi notre nation des Francs et son roi du même nom que nous furent lavés dans les eaux du baptême et méritèrent d'être éclairés de la lumière et des sept dons du Saint-Esprit comme ce grand roi fut trouvé par la clémence de Dieu digne d'y recevoir l'onction sainte; comme enfin nous-même y avons reçu de la munificence divine, par les mains d'Étienne, souverain pontife de Rome la couronne impériale avec le titre et la puissance d'empereur, il nous a plu, en reconnaissance des grands bienfaits dont le Seigneur nous a comblé en ce lieu, rétablir cette basilique. Considérant d'ailleurs la difficulté des lieux et les obstacles de l'entreprise, nous accordons, pour cette construction et pour édifier tout ce qui sera nécessaire aux besoins des serviteurs de Dieu y demeurant, tous les murs de la cité avec leurs portes, toutes les redevances et charges que les biens de l'église et de l'évêché de Reims payaient à notre palais royal d'Aix. Donnons le tout en aumônes à notre intention, et pour le salut de l'âme de notre seigneur et père, et autres rois nos prédécesseurs, lesquels, au préjudice de leur salut, ont quelque temps retenu entre leurs mains ledit évêché, et en ont détourné à leur usage les biens et revenus, au mépris de la règle ecclésiastique, et ainsi ont empêché les divers lieux saints situés en ce diocèse de profiter comme ils l'auraient dû. Voulons de plus que tous nos vassaux et fidèles qui possèdent quelques biens provenus de cet évêché concourent à cette sainte entreprise et, comme il a été arrêté par notre seigneur et père, de bienheureuse mémoire et aussi par notre seigneur et aïeul Pépin, de pieux souvenir, qu'ils paient à l'église de Reims les dîmes et nones des biens qu'ils tiennent d'elle. Entendons que toutes routes ou voies publiques qui avoisinent cette église, et pourraient gêner la construction des cloîtres et habitations des serviteurs de Dieu, soient détournées et changées, si besoin est; et si notre fisc y a quelques droits, en faisons concession à perpétuité par la présente ordonnance et défendons que jamais aucuns juges, comtes ou commissaires osent inquiéter l'église de Reims et lui susciter quelque trouble ou empêchement. Conjurons nos successeurs de songer à leur salut présent et éternel, de se souvenir des bienfaits qui ont été en ce saint lieu accordés à notre nation à nos prédécesseurs et à nous, par les mérites de la bienheureuse Marie mère de Dieu, et par l'intercession de saint Rémi; les requérons que, comme ils désireraient que le bien qu'ils auraient fait fût maintenu par leurs successeurs, ainsi il leur plaise conserver et maintenir inviolablement et à toujours ce que nous octroyons à ce saint lieu tant de fois dénommé, pour l'amour de Dieu, de sa sainte Mère, et de notre bienheureux protecteur, saint Rémi. Et afin que cette concession de notre plein pouvoir obtienne dans l'avenir, au nom de Dieu, une plus ferme et entière autorité, avons ordonné et ordonnons qu'elle soit scellée du cachet de notre anneau royal. A tant de bienfaits l'empereur ajouta encore, a la prière d'Ebbon, la cession de son architecte Rumald, qu'il donna à l'église de Reims pour la servir tout le reste de sa vie, et lui consacrer le talent qu'il avait reçu du Seigneur. Cette donation fut aussi scellée du cachet et de l'anneau royal. Il donna de plus une nouvelle autorisation pour le changement de quelques voies publiques où l'on avait besoin de construire quelques clôtures assez près de la ville et il y apposa aussi son sceau. Enfin il donna, de concert avec son fils Lothaire une ordonnance pour la restitution des biens qui avaient autrefois été enlevés au siège de Reims. Elle est ainsi conçue : Au nom du Seigneur Dieu et de notre Sauveur Jésus-Christ, Louis et Lothaire, par la grâce de la providence divine, Empereurs Augustes; si de notre libéralité nous accordons quelques bienfaits aux lieux consacrés à Dieu, et si nous venons au secours des besoins de l'église, c'est parce que nous croyons fermement que cela nous profitera pour passer heureusement notre vie temporelle, et obtenir la vie éternelle. C'est pourquoi nous voulons qu'à tous nos fidèles sujets présents et futurs, il soit connu et appris qu'il nous a plu, par révérence pour la foi chrétienne, et pour le salut de notre âme, rebâtir de fond en comble la sainte église de Reims, où les rois de France, nos prédécesseurs, ont reçu le bienfait de la foi et la grâce du saint baptême où nous-mêmes avons pris les marques de la dignité impériale, après l'imposition des mains du seigneur pape Étienne avons résolu de la consacrer en l'honneur de Notre Seigneur Jésus-Christ, le sauveur du monde, et de la bienheureuse Marie toujours vierge sa mère. A ces causes, cédant à l'inspiration de la grâce, et embrasés de l'amour de la patrie céleste nous avons ordonné que les biens qui avaient été distraits de ce saint siège lui seraient dévotement rendus, a savoir dans les faubourgs de l'église même les titres et cures de Saint-Sixte et de Saint-Martin avec leurs dépendances hors de la ville, dans le même diocèse, le titre baptismal de Vouzy le titre baptismal de Saint-Jean avec ses dépendances; Brétigny, Épernay et ses dépendances divers biens situés aux villages de Lude et de Prouilly, pays de Reims; les villages de Covera et de Verna, aux territoires du Dormois et de Vertus. Et si par hasard il reste encore de notre temps quelque chose à ordonner touchant les biens de ladite église de Reims, ordonnons par les présentes que les recteurs et ministres de cette sainte église puissent ordonner et disposer, comme ils l'entendront, de tous les biens déjà restitués et à restituer, les possèdent a perpétuité, en fassent tel usage qu'il leur plaira en un mot sans aucune contradiction, ordonnent, disposent et fassent tout ce qu'ils croiront convenable et utile aux intérêts de ladite église. Et afin que cet acte de notre volonté obtienne dans les temps présents et à venir une plus entière et pleine exécution nous l'avons soussigné de nos propres mains, et avons voulu qu'il fut scellé de notre anneau royal. Le même évêque Ebbon obtint encore du même empereur Louis une ordonnance d'immunités pour l'église de Reims, dans la forme et teneur des anciennes ordonnances des premiers rois une exemption du péage du pont de Bisonce, et d'autres impôts et charges publiques et une confirmation de l'ordonnance donnée par Charlemagne au sujet des chartes brûlées. Il obtint de Pépin, roi d'Aquitaine, des lettres d'immunités pour les biens de l'église de Reims situés en Auvergne; et une exemption particulière pour le village d'Épernay d'abord de l'empereur Louis et ensuite de son fils Lothaire. Enfin, du conseil de l'empereur Louis, et avec l'autorisation du pontife de Rome Paschal, Ebbon alla jusque chez les Danois, pour les prêcher; et en effet, il en convertit grand nombre à la foi et leur donna le baptême. La guerre étant survenue entre le père et le fils : l'empereur Louis et Lothaire, Ebbon suivit le parti du fils, et, avec tous les autres évêques, censura l'empereur Louis pour quelques fautes qui lui furent reprochées, quand ses fils l'eurent fait prisonnier et que Lothaire l'eut emmené au palais de Compiègne, où il l'accabla d'humiliations, de concert avec les évêques et quelques autres grands du royaume qui ordonnèrent qu'il fût confiné dans un monastère pour y passer le reste de ses jours. L'empereur résista et s'opposa à leurs volontés; alors tous les évêques qui étaient présents accablèrent le malheureux prince, lui reprochèrent ses fautes avec amertume, lui ôtèrent son épée, et le vêtirent d'un cilice. Comme pendant tous ces débats Ebbon fréquentait la cour, et y restait la plupart du temps, la vision suivante apparut à son sujet au monastère de Saint-Rémi. Il y avait en ce temps-là au monastère un moine, nommé Raduin, Lombard de nation, lequel avait été abbé d'un monastère en Italie, célèbre par la mémoire de saint Rémi, et fondé par le zèle de Modéramne, évêque de Rennes. Après avoir longtemps rempli avec fidélité les devoirs de la vie monastique, Raduin, entraîné par sa dévotion aux mérites de saint Rémi, était venu visiter le tombeau de ce grand évêque et là, vivant dans toutes les rigueurs de la vie religieuse avec les frères, il s'efforçait de se rendre digne d'être admis dans la milice céleste. Un jour, c'était la fête de l'assomption de la sainte mère de Dieu après l'office de matines, tous les autres frères étant allés reposer, et les gardiens de l'église étant allés aussi dormir, Raduin resta seul au chœur pour prier. Après avoir longtemps psalmodié, la fatigue le prit, et il ne put résister au sommeil. Pendant qu'il dormait, il vit sortir du sépulcre de saint Rémi la bienheureuse mère de Dieu toute brillante de lumière, et ayant à ses côtés saint Jean l'évangéliste et saint Rémi il lui sembla qu'ils venaient vers lui à pas lents et solennels. La glorieuse Vierge lui mit doucement la main sur la tête et lui dit: Que fais-tu ici, frère Raduin? A ces mots, le moine se jeta à ses pieds pour les baiser, et la Vierge continua : Où est l'archevêque Ebbon? Il est à la cour, répondit le moine, où il suit les affaires selon ordre du roi. Pourquoi fréquente-t-il tant le palais? ajouta la Vierge en vérité ce n'est pas là qu’il acquerra de plus grands mérites de sainteté. Un temps viendra, et il n'est pas loin où toutes ses menées lui prospéreront peu. Raduin n'osant rien répondre la Vierge l'interrogea en ces termes : Quel différend vos rois ont-ils donc entre eux? Votre incorruptible Sainteté le sait mieux que moi, sainte mère du Sauveur du monde, répartit le moine. Pourquoi donc, continua-t-elle, se laissent-ils ainsi séduire au mal de la cupidité, et emporter à une vaine audace? (Or c'était précisément le temps où l'empereur Louis était si outrageusement tourmenté par ses propres enfants). Puis prenant la main de saint Rémi : Voici, dit-elle, voici celui à qui toute autorité a été donnée à toujours par Jésus-Christ sur l'empire des Francs. Comme il a reçu la grâce de retirer par sa doctrine cette nation de l'infidélité, c'est lui seul aussi qui a le don inviolable de lui constituer un roi ou un empereur. La bienheureuse mère de Dieu finissait à peine que Raduin s'éveilla tout à coup. [2,20] CHAPITRE XX. De la déposition l'Ebbon. Quand Louis eut été rétabli sur son trône et dans sa dignité par celui de ses fils qui portait son nom, Ebbon fut déposé de son siège, comme coupable d’infidélité envers l'empereur; ainsi que l'empereur avait pour le même fait, déposé longtemps auparavant Jessé, évêque d'Amiens, depuis rétabli. Le pape Nicolas ayant pris des informations sur la déposition d'Ebbon auprès des évêques de France, et surtout de ceux de la province belgique voici la réponse qui, entre autres, lui fut faite. On accusait Ebbon d'avoir reçu de Lothaire l'abbaye de Saint-Vaast pour trahir son père, et d'avoir été l'instigateur des fausses accusations dont on avait accablé l'empereur; enfin de l'avoir, avec ses complices, rejeté du sein de l'Église, condamné à une pénitence publique, et tenu prisonnier, jusqu'à ce qu'enfin, l'an de l'incarnation de Notre-Seigneur Lothaire, effrayé de la ligue de ses frères et d'un grand nombre de fidèles de son père et empereur, s'enfuit, laissant son père libre, mais encore interdit et séquestré de l'Église. Plusieurs évêques qui s'étaient attachés à Lothaire pendant l'adversité de son père s'enfuirent avec lui, abandonnant leurs sièges, au mépris des règles saintes ; on cite Jessé, d'Amiens; Herbold d'Auxerre; Agobard, de Lyon; Barthélémy, de Narbonne. Quand Lothaire fut parti, ceux des évêques qui restaient réconcilièrent l'empereur à l'Église dans la basilique de Saint-Denis, et le rétablirent dans la communion ecclésiastique. A cette nouvelle, Ebbon confia la plupart de ses gens et serviteurs à quelques amis, et leur donna des instructions pour déterminer où et quand ils devraient venir le rejoindre. On ajoute que, prenant tout ce qu'il lui fut possible d'emporter d'or et d'argent du trésor de l'église, il s'enfuit de Reims pendant la nuit, sans que personne cherchât à l'arrêter ou le poursuivre avec un petit nombre de domestiques et quelques Normands qui connaissaient les ports de mer et le cours des fleuves qui se jettent dans la mer. Ainsi, il abandonna non seulement son diocèse, mais même la province belgique et prit sa route vers les Normands auxquels il avait été destiné pour prédicateur de la foi par les papes aschal et Eugène, comme il résulte des lettres qu'ils lui adressèrent à ce sujet. Mais l'empereur fut averti de sa retraite par ceux mêmes qui étaient entrés dans son projet ; il le fit rappeler par Rothade, évêque de Soissons., et Erchenrade, évêque de Paris, et lui ordonna de se retirer, en attendant le prochain synode, au monastère de Saint-Boniface, où il lui fit fournir tout ce qui était nécessaire à ses besoins et à ceux des clercs et laïques de sa suite. Hildemann, évêque de Beauvais, accusé d'avoir ainsi que les évêques cités plus haut, formé le projet de se retirer auprès de Lothaire, fut détenu aussi au monastère de Saint-Vaast jusqu'au synode, lequel fut tenu l'an 835 de l'incarnation de Notre-Seigneur. Tous les évêques qui y assistèrent donnèrent chacun leur opinion par écrit signée de leur main, et, d'un consentement unanime, se déclarèrent pour le rétablissement de l'empereur. Ebbon donna son opinion par écrit comme les autres; comme il n'était point encore déchu de sa dignité, il signa avec le titre d'archevêque. Dans cette déclaration il protesta que tout ce qui avait été attenté contre l'honneur de l'empereur avait été fait contre droit et raison. Peu de temps après quand chaque évêque eut ainsi donné sa déclaration, ils se rendirent tous à Metz avec l'empereur et grand nombre de ses fidèles et de grands du royaume; et là, dans la basilique de Saint-Étienne l'évêque Drogon fit une lecture publique de tout ce qui avait été arrêté à l'unanimité touchant le rétablissement de l'empereur. Après cette lecture l'évêque de Reims, Ebbon qui avait été, pour ainsi dire, le porte-étendard de la révolte, monta dans la chaire que Drogon venait de quitter, et, en présence de tous protesta que l'empereur avait été déposé injustement ; que tout ce qui avait été fait contre lui était une œuvre d'iniquités et de machinations sans autorité, et qu'enfin rien n'était plus juste et plus légitime que sa réintégration et son rétablissement sur le trône. Ensuite, après avoir chanté tous ensemble les louanges du Seigneur, et terminé tout ce qu'ils avaient à faire en ce lieu, ils s'en retournèrent au palais de Thionville, où s'assembla le synode. Là, Hildemann se présenta, se disculpa dans toutes les formes canoniques, de l'accusation qui lui était intentée, et satisfit le synode, et par ce moyen l'empereur lui-même. Ebbon aussi se présenta, et fut accusé par l'empereur en personne de lui avoir intenté de fausses accusations ; de l'avoir précipité du trône ainsi chargé de crimes imaginaires; de lui avoir ôté ses armes ; enfin de l'avoir séparé de l'Église et banni de la société des Chrétiens sans qu'il eut auparavant fait aveu ni été convaincu, ainsi que lui-même l'avait confessé d'abord dans la déclaration signée de sa main, ensuite dans sa protestation hautement et publiquement prononcée à Metz en présence de tous. Outre cette première et principale accusation, il y avait encore plusieurs autres crimes dont il ne pouvait manquer d'être accusé. Déjà même il avait à ce sujet été accusé devant l'empereur longtemps auparavant, et n'ayant pu se purger canoniquement, ainsi qu'il résulte d'une lettre des évêques au pape Serge, il avait été pour quelques-uns de ces crimes chassé du conseil de l'empereur. Sentant donc l'impossibilité de nier alors que la vérité était connue de tous, Ebbon demanda la permission de se retirer et de plaider sa cause devant les évêques, dans une séance où n'assisterait point l'empereur. Sa demande lui ayant été accordée il fit appeler en particulier quelques évêques et là de son propre mouvement, sans que personne l'y contraignît, se conformant à la règle de ceux qui suivent le concile d'Afrique, afin de s'épargner la honte à lui-même, et de sauver à l'Église l'ignominie et les insolentes insultes du siècle dans la crainte aussi que la dignité du sacerdoce ne fût souillée s'il faisait aveu, ou s'il était convaincu publiquement des crimes dont il était accusé, et de ceux dont il pourrait l'être, il dicta sa déclaration, la fit écrire sous ses feux, la signa de sa main, conformément à la discipline ecclésiastique; puis la présentant de lui-même au synode, et l'appuyant par une confession nouvelle et de vive voix sans que personne l'en requît ou l'y contraignît, il demanda qu'il lui fut permis d'abdiquer et, comme tous ceux qui étaient présents purent le voir, il se démit lui-même du sacerdoce, cherchant le remède de la pénitence, ainsi qu'il est écrit dans sa déclaration et confession signée, dont la teneur suit : Moi Ebbon, évêque indigne, reconnaissant ma fragilité et la gravité de mes péchés prends à témoins mes confesseurs, Aïulfe archevêque, Badarade évêque et Modoin aussi évêque, lesquels j'ai constitués juges de mes fautes, et auxquels j'ai fait confession sincère, que cherchant le remède de la pénitence et le salut de mon âme, je me démets de l'office et ministère pontifical, dont je reconnais m'être rendu incapable, indigne, par les fautes dont je leur ai fait l'aveu en secret. Qu'ainsi donc ils soient garants qu'un autre peut être ordonné et consacré à ma place, qui gouverne dignement et fasse prospérer l'église que jusqu'ici j'ai indignement gouvernée. Et afin que je ne puisse à l'avenir invoquer l'autorité canonique ni révoquer et rétracter ce que dessus, j'ai ratifié et signé de ma main la présente déclaration. Ainsi signé, Ebbon, jadis évêque. Et afin que, selon les lois qui gouvernent l'Église, il accomplit légalement toutes choses au synode, afin aussi de se conformer à la parole de l'Apôtre qui défend de recevoir aucune accusation contre un prêtre sans la déposition de deux ou trois témoins outre les évêques qu'il avait choisis pour ses juges selon les canons du concile d'Afrique il demanda trois autres évêques pour constater l'accusation qu'il faisait de lui-même et sa démission du sacerdoce. Les trois nouveaux appelés en témoignage furent Thierri évêque, Achard, un des évêques de la province de Reims, et Nothon, archevêque. Et ainsi lui-même protestant, et les six évêques attestant sa protestation il présenta sa déclaration au synode, comme nous l'avons dit plus haut et chacun des évêques présents lui dit en particulier et à son tour : Suivant ta déclaration et ta protestation signée, sois démis du ministère. Ensuite, en présence de tous, l'évêque Jonas prononça, au nom de tous, la déclaration des évêques, et la dicta au notaire Élie afin qu'elle fût conservée aux âges futurs. Ce notaire était le même qui avait écrit la confession d'Ebbon, ensuite signée par Ebbon lui-même selon les articles 59 et 74 du concile d'Afrique. Le notaire Élie dressa donc acte, ainsi qu'il suit A été faite la confession d'Ebbon, signée de sa propre main, dans l'assemblée du synode général tenu à Thionville, l'an de l'incarnation de Notre-Seigneur 835, et du règne glorieux de l'empereur Louis le vingt-unième. Quelque temps après, le synode remit à Foulques, successeur d'Ebbon au siège de Reims, la déclaration faite par Ebbon après sa condamnation, avec l'acte synodal laquelle est encore conservée aux archives de l'église de Reims, et dont une copie fut envoyée alors au pape Léon, de bienheureuse mémoire. Après sa déposition, Ebbon se retira, dit-on, dans les régions cisalpines, et y demeura jusqu'à la mort de l'empereur Louis, laquelle arriva l'an de l'incarnation de Notre-Seigneur 840. Son père étant décédé, Lothaire vint d'Italie en France, et aussitôt Ebbon alla le joindre à Worms. Là, quelques jours après, il lui rendit par édit impérial les siège et diocèse de Reims. Cet édit est ainsi conçu : Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, Dieu éternel, Lothaire, par la grâce de la providence divine, empereur Auguste. Comme la confession des fautes n'est pas moins nécessaire dans l'adversité que dans la prospérité, que Dieu ne rejette point le cœur contrit qui s'humilie, et que c'est au contraire une grande réjouissance pour les anges dans les cieux, quand un seul pécheur se repent; nous faibles mortels sur la terre, ne pouvons rejeter ceux dont la conversion ainsi que le témoignage divin nous l'apprend, réjouit les anges dans les cieux. D'ailleurs la clémence divine nous prescrit, non de condamner, mais de relever et consoler ceux qui s'accusent eux-mêmes et détestent leurs fautes, puisse que, non seulement notre seigneur Jésus-Christ a remis à la femme adultère la peine portée par la loi, mais encore n'a point condamné le publicain humilié et s'accusant lui-même et au contraire l'a exalté en le justifiant aussi le Seigneur n'a point dit : Quiconque s'humilie sera condamné, mais bien, sera exalté. C'est pourquoi Ebbon, à la prière des enfants de ton église, et à la requête des évêques ici présents, nous te rendons le pouvoir que tu as perdu par ton zèle pour notre cause, et te rétablissons en ton siège et diocèse de Reims, afin que jouissant de tous les droits et honneurs du pallium anciennement obtenu de la libéralité apostolique, tu exerces avec nous en accord et bonne union ton saint et pieux ministère, ayant humblement satisfait et obtenu grâce par acte solennel de notre libéralité. Ont signé et approuvé Drogon évêque, Otgaire archevêque, Hetti archevêque, Amalwin archevêque, Audax archevêque, Joseph évêque, Adalulfe évêque, David évêque, Rodingue évêque, Giselbert évêque, Flothaire évêque, Badarade évêque, Haganon évêque, Hartgaire évêque, Adon évêque, Samuel évêque, Rambert évêque, Haimin évêque, Ratold prêtre, évêque désigné, Amalric évêque désigné, en présence de plusieurs autres prêtres et diacres réunis en assemblée publique. Fait au palais public d'Ingelheim, le vingt-quatrième jour de juin, régnant et gouvernant l'empereur Lothaire, de son retour en France et de sa succession à son père l'an premier, indiction troisième. Le synode dont nous avons parlé plus haut se rassembla à Soissons, et mit opposition à cet acte de restitution, déclarant que, condamné par lui-même et par quarante-trois évêques, Ebbon ne pouvait être rétabli par un nombre moindre. Ebbon n'en porta pas moins à Reims l’édit, en donna connaissance aux évêques et à plusieurs de tout état et condition, et enfin le fit lire publiquement dans l'église de Reims; et comme en ce temps Lothaire vainqueur chassa Charles du royaume et le contraignit de se retirer derrière la Seine, Ebbon remonta sur le siège de Reims, six ans après sa déposition, et exerça de nouveau tous les pouvoirs et fonctions du ministère épiscopal, faisant des ordinations. Il resta maître de l’évêché environ un an, y jusqu'à ce qu'enfin Charles, ayant rassemblé ses forces, rentra en Belgique. Aussitôt Ebbon abandonna le siège de Reims, et s'enfuit vers Lothaire, auprès duquel il vécut dans l'intimité et l'obéissance domestique, jusqu'à ce qu'il alla à Rome; avec Drogon, évêque de Metz ; alors il demanda au pape Serge de le réconcilier, et de lui rendre le pallium; mais le pape lui refusa le pallium, et l'admit seulement à la communion. A son retour de Rome, il obtint de la libéralité de l'empereur Lothaire, l'abbaye de Saint-Colomban en Italie, mais ayant refusé une ambassade dont l'empereur voulut le charger en Grèce, il perdit son abbaye avec tous les bienfaits dont il avait été comblé, et se retira auprès de Louis, roi de Germanie, qui le nomma à un évêché en Saxe, où il a vécu depuis exerçant le saint ministère.