Le coq et l'autruche Les tours foudroyées de New York obsèdent encore notre subconscient. Emerge la crainte d'une vulnérabilité française au terrorisme islamiste. C'est que notre pays compte plus de musulmans que les Emirats arabes unis. Et que leur nombre suffit pour nourrir des fantasmes abusifs et des soucis légitimes. Dans les lendemains même de l'attentat américain, lors du France-Algérie au Stade de France, le torrent de huées vomi sur « La Marseillaise» a réchauffé l'inquiétude. Et la dérobade des officiels n'a rien arrangé. Cet évitement, ce réflexe de ta tête dans le sable - celui de l'autruche substituée au coq gaulois comme emblème national -, fait déjà qu'on ne sait rien de fiable sur la pratique de l'islam en France. Combien de musulmans ? Trois, quatre... ou cinq millions, ce sont les chiffres approximatifs sortis du chapeau médiatique. En fait, les connaissances statistiques sont elles-mêmes bridées par l'« autruche ». Comme l'islam voile les femmes, nous voilons l'islam. Un savoir, pourtant, qui n'ignorerait ni l'origine nationale ni surtout l'assiduité au culte montrerait qu'un nombre considérable de beurs comptés pour musulmans ne mettent jamais les pieds dans une mosquée. De même, une bonne connaissance de la réalité interdirait de faire de l'islam l'obstacle principal à l'intégration. Nous connaissons tous de bons musulmans bien intégrés. Et de mauvais fidèles emportés contre toute forme d'intégration. Au Stade de France, par exemple, les «barbus» ne menaient pas la cabale. La frénésie détestable des « sauvageons» n'était pas sous bannière islamique. Elle n'était qu'un pénible avatar de la «haine » des banlieues. Laquelle s'exprime depuis longtemps contre les policiers, les pompiers et toute allégorie nationale. Elle est le fruit - nous le serinons, ici, depuis longtemps ! - de l'incurie d'un Etat cacochyme. En laissant une immigration incontrôlée former ces ghettos de non-droit où fermente l'enragement d'adolescents égarés entre deux cultures, il n'aura cessé d'étouffer - jusqu'à le détruire ? - le processus de biologie sociale qu'on appelle l'intégration. Cela dit, dans les intifadas de quartiers, dans les incendies de voitures, il entre de la provocation, de la bravade de caïds impunis, et par foucades de l'entraînement collectif à la «haine ». C'est déjà, en soi, fort inquiétant. Mais le fanatisme religieux ne fédère pas ces révoltes. En revanche, on doit redouter comme la peste qu'il puisse y semer dans un terreau propice les graines du terrorisme assassin. Nous avons déjà connu, en 1995, l'enrôlement de quelques têtes fêlées dans l'illumination mystico-meurtrière. L'exemplarité funeste du 11 septembre peut faire des émules. Le terrorisme, il est vrai, répugne à la grande majorité des musulmans de France. Et la jeunesse née musulmane ne montre guère d'inclination pour un islam radical. Les hommes en fuient l'archaïsme. Les femmes en fuient le machisme. Comme elles fuient le voile où elles distinguent - bien mieux que nos conseillers d'Etat! - le signe de leur asservissement. Mais, dans l'escalade inouïe de l'obscurantisme, il faut se souvenir que « la force d'une religion telle que l'islam ne dépend pas des dogmes qu'elle enseigne, mais de l'énergie des convictions qu'elle inspire -. Quitte à s'inquiéter, craignons d'abord l'affaissement des défenses nationales. La République française proclame sa laïcité : il suffit de s'y tenir. Or la vogue du « différentialisme », la chanson tiers-mondiste, le révisionnisme historique débile (Averroès forcément sublime, Godefroy de Bouillon et ses croisés forcément bornés ... ), tout ce fatras de repentances ne cesse de miner le concept de laïcité. Notre angélisme blafard ne nous protégera pas des « anges de la mort» qui ont décapité Manhattan. La laïcité ouvre aux religions la sphère privée de chaque citoyen. Elle leur interdit la sphère publique. « Or, là-dessus, la laïcité doit changer », déclare sans ambages un représentant des organisations islamiques... Fichtre, pourquoi ? Pourquoi accorderait-on à l'islam ce qu'on refuse aux chrétiens et aux juifs ? Il faut refuser de « légitimer des organisations prônant un islam incompatible avec notre laïcité". Et défendre le droit de chacun à changer de religion, voire à n'en avoir aucune... Il est temps de rappeler que nos sciences et la liberté sont enfants du doute méthodique. Il est temps que se réveillent nos sociétés dites de pensée. Il est temps que nos amuseurs patentés, cramponnés à la vieille soutane catholique, agacent aussi les poils des « barbus» ! Le voltairien Sollers voudrait qu'on représente la pièce « Mahomet » du grand sardonique. Ma parole, il rêve...