1 Musulmans, un effort! Il n'y a d'ordre international que sur la base de la laïcité. Pourquoi l'islam ne finirait-il pas, à son tour, par s'en accommoder ? 0ù avons-nous mis les pieds sans y prendre garde ? Depuis la chute du communisme comme puissance mondiale, nous vivions dans un no man's land idéologique. C'en était fini de la grande guerre entre l'Est et l'Ouest, entre le socialisme et le capitalisme. Faute de mieux, on s'était rabattu sur l'affrontement économique entre les riches et les Pauvres, entre le Nord et le Sud. Celui-ci existait bel et bien, il existe toujours d'ailleurs, mais il ne se traduit pas par un conflit frontal car l'Afrique est trop faible pour le mener et l'Asie trop occupée à rattraper l'Occident à grandes enjambées. Vinrent les attentats de New York et de Washington. Au début, chacun vit midi à sa porte: Jean-Pierre Chevènement déclara qu'il fallait saisir l'occasion pour reporter la mise en service de l'euro ; le chef du Hamas affirma qu'il s'agissait à coup sûr d'un coup des juifs ; l'extrême-gauche, que c'était le fatal résultat de la colère des pauvres. Rien de tout cela ne collait : Ben Laden, à l'évidence, n'était pas le porte-parole des gnomes de Bruxelles ni du sionisme international ; et ce bras prétendu de la colère des pauvres était un milliardaire agioteur. Restait donc la question : au-delà de la forme qu'il avait prise - le terrorisme aveugle à grande échelle -, quelle était la nature de l'ennemi ? Il ne restait qu'une réponse. Si l'opposition n'était fondamentalement ni idéologique ni économique, elle ne pouvait qu'être culturelle, ou religieuse ou civilisationnelle, comme on voudra. On se souvint opportunément qu'en 1996 l'universitaire américain Samuel P. Huntington avait publié "le Choc des civilisations" - dont "le Nouvel Obs" avait été l'un des premiers à rendre compte -, dans lequel il prédisait que les conflits de demain prendraient la forme de heurts entre des civilisations différentes et notamment entre l'Occident et deux ennemis potentiels, l'islam et la Chine. 1. Frontières Or, aujourd'hui encore, si les religions ne sont plus toujours les fondements des civilisations, elles en restent les marqueurs les moins contestables. En Palestine, au Liban, dans l'ex-Yougoslavie, en Tchétchénie, à Timor, au Sri Lanka, en Ethiopie, au Soudan, les guerres ne sont pas vraiment religieuses mais les frontières entre les belligérants le sont. Jean Daniel a fait remarquer à juste titre, la semaine dernière, que le sanglant conflit qui a opposé de 1979 à 1989 l'Irak à l'Iran était intramusulman - omme l'est aussi, pour une grande part, le terrorisme algérien. Mais personne ne conteste que les mots d'ordre de Ben Laden et des intégristes soient clairement religieux et clairement dirigés contre l'Occident chrétien et qu'ils éveillent des échos profonds dans les foules musulmanes. Là est le problème. 2. Laïcité Il n'y a pourtant d'ordre international pacifique que sur la base de la laïcité conçue comme un égal respect de toutes les croyances; de la même manière, il n'y a d'ordre intérieur compatible avec la liberté que sur la base de cette même laïcité, conçue comme séparation du temporel et du spirituel. On dira que l'islam s'oppose fermement à ces deux formes de la laïcité. Mais n'est-ce pas, au départ, le cas de toutes les religions ? La papauté médiévale professait la théorie des deux glaives, qui affirmait la suprématie du pape dans le domaine temporel comme dans le domaine spirituel. Il a fallu des siècles pour lui faire lâcher prise et lui faire retrouver l'inspiration profonde de la laïcité christique : « Rendez à César... » Pourquoi l'islam ne finirait-il pas, sous la contrainte politique, par s'en accommoder à son tour ? 3. Valeurs universelles et Occident Du fait que les valeurs universelles telles qu'elles s'expriment dans la charte de l'ONU (liberté, droits de l'homme, démocratie, individualisme) ont été créées et véhiculées par l'Occident, s'ensuit-il qu'elles ne sont compatibles qu'avec la philosophie, le mode de vie et la conception du pouvoir qui prévalent en Occident ? Nullement. La preuve: tous les Etats du monde y souscrivent au moins formellement. Nous assistons donc aujourd'hui à un double mouvement de régionalisation des cultures et de mondialisation des valeurs. La faiblesse de Huntington est de ne décrire - fort vigoureusement d'ailleurs - que le premier. Le constat de cette lacune nous permet d'être plus optimistes que lui. Le salut des valeurs "occidentales" ne réside pas dans le repli sur leurs zones d'influence anciennes. Au contraire. Il faut désoccidentaliser ce qui appartient désormais au patrimoine commun de l'humanité. Et puisque la mondialisation économique se poursuivra quoi qu'il arrive, il faut qu'elle s'accompagne d'une mondialisation des valeurs qui en sont à la fois le complément et l'antidote.