[13,0] LIVRE XIII. INTRODUCTION. Puisque, dans les livres précédents, nous avons reconnu que la philosophie de Platon n'était, en très grande partie, qu'une interprétation développée et transportée en langage grec de Moïse et des discours sacrés des Hébreux, je vais poursuivre ma tâche, en ajoutant d'une part ce qui a été omis, et en répétant ce qui a déjà été dit par ceux qui ont traité ce sujet avant nous, puis, en nous justifiant d'une attaque spécieuse qu'on pourrait nous faire si l'on venait à nous dire : Pourquoi donc, puisque vous avouez, que Moïse et Platon sont d'accord dans leur philosophie, n'adoptez-vous pas celle de Platon, et préférez-vous celle de Moïse ? c'est le contraire, que vous auriez dû faire; car joignant à la parité de doctrine, d'être Grec, n'était-il pas convenable que Grec vous-même, vous donnassiez la préférence à Platon sur un barbare ? Mon respect pour le philosophe me rend circonspect sur la manière de réfuter cet argument : j'en différerai en conséquence la réponse. Je vais citer d'abord ce que j'ai annoncé devoir examiner en premier lieu. Prenez donc et lisez l'opinion que ce même Platon professait à l'égard des théologiens et des poètes Grecs : voyez comment il réduisait à rien toutes les traditions concernant les dieux, en en faisant voir l'absurdité. [13,1] CHAPITRE Ier. COMMENT PLATON DÉMONTRAIT L'ABSURDITÉ DE LA THÉOLOGIE GRECQUE (Tiré du Timée). « Quant à dire et à connaître la génération des autres dieux, c'est au-dessus de nos forces. Croyons donc ceux qui ont parlé avant nous, puisqu'ils descendent, à ce qu'ils disent, des dieux eux-mêmes, et que certes, ils doivent avoir bien connu les auteurs de leurs jours. Il est impossible de refuser sa foi aux enfants des dieux ; quand bien même ils ne fourniraient pas des preuves plausibles de ce qu'ils avancent, nous devrions les croire par obéissance à la loi. En conséquence, admettons et déclarons, que la génération des dieux est telle qu'ils la disent. « L'Océan et Téthys durent la naissance à la Terre et au Ciel : de ceux-ci sortirent Phorcys, Saturne et Rhéa, et tous ceux qui naquirent après eux : de Saturne et de Rhéa sont issus Jupiter, Junon, et tous ceux que nous reconnaissons tous pour leurs frères, puis enfin les autres descendants de ceux-ci, » D'après ce système, on doit croire à toutes les fables concernant les dieux, à tous les poètes inventeurs de ces fables, comme descendants des dieux. Toutefois, cette recommandation, par laquelle il dit d'abord que les poètes sont les enfants des dieux, me paraît tenir de la dérision ; car les dieux dans ce cas, seraient des hommes dont la nature ressemblerait à celle de leurs progénitures. D'ailleurs, en poursuivant, il ne dissimule pas son envie de flétrir les théologiens du paganisme, qu'il dit fils des dieux, lorsqu'il ajoute : « Quand bien même, ils parleraient sans fournir des preuves plausibles et nécessaires de ce qu'ils avancent. » Ce qu'il fait suivre de cette observation : « A ce qu'ils disent. » Ne semble-t-il pas se moquer, lorsqu'il déclare qu'il est impossible de refuser sa foi aux enfants des dieux ; et parler contre sa conviction, en disant qu'on doit les croire à cause des lois. Or, pour convaincre que telle était sa pensée, écoutez-le, lorsqu'à haute et intelligible voix, il attaque tous les théologiens à la fois, elles met en pièces dans l'Epinomide. [13,2] CHAPITRE II SUR LE MÊME SUJET (Tirée de l'Epinomide). « Ce sera une nécessité pour moi, de réformer à ce qu'il semble, d'après ce qui a été dit plus haut, la théogonie et la zoogonie, tellement défigurées par ceux qui nous ont précédés, lorsque nous aurons repris la suite des raisonnements déjà ébauchés contre les impies. » Dans le second livre de la République, il nous enseigne que c'est avec raison, qu'il repousse la théologie des premiers poètes. Je crois ce passage digne d'être rapporté en entier, pour faire voir en quels termes et avec quels sentiments il combat toutes les anciennes traditions dues aux poètes et aux théologiens, au sujet des dieux de la Grèce. [13,3] CHAPITRE III. TIRÉ DU DEUXIÈME LIVRE DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LE MÊME SUJET ET SUR CE QUE DIEU N'EST PAS CAUSE DE MAL (Platon, 2e de la Rép.). « Dans les plus grandes fables, lui dis-je, nous retrouverons les moindres; car un seul et même type doit les signaler, et les grandes doivent exercer un pouvoir semblable à celui des petites. Ne le pensez-vous pas? « Je le pense, en effet, lui répondis-je; mais je ne comprends pas quelles sont ces grandes fables, dont vous voulez parler. « Ce sont celles, lui repartis-je, que nous tenons d'Hésiode, d'Homère et des autres poètes, lesquels, en composant des fables mensongères pour les hommes, les leur ont dites et les répètent encore. « Mais quelles sont-elles, encore une fois, ces fables, me dit-il, et qu'avez-vous à leur reprocher? « Ce que je dois d'abord, et avant tout leur reprocher, continuai-je, c'est surtout de ne pas mentir dans un bon esprit. « Qu'est-ce que cela veut dire ? « Quand, par exemple, se proposant de nous tracer une image des Dieux ou des héros, dans un langage qui nous les dépeigne tels qu'ils sont, ils donnent une fausse idée de leur manière d'être, ainsi qu'un peintre qui ne saisirait pas la ressemblance de ceux dont il entreprend de faire le portrait. « Je conviens, dit-il, qu'on est fondé à leur adresser des reproches, en pareil cas. Mais comment dirons-nous qu'il en soit ainsi, et quelles sont ces fables? « D'abord, lui répondis-je, le plus grand mensonge, et qui tire le plus à conséquence, est celui par lequel Hésiode a dit qu'Uranus avait fait les actions qu'il lui attribue, lorsque Saturne le châtia. Quant à celles de Saturne et à la manière dont il en fut puni par son fils, quand bien mêmes elles seraient vraies, je ne pense pas qu'on eût dû les rapporter aussi librement à des gens sans jugement et dans la première fougue de la jeunesse. On aurait dû, avant tout, les tenir sous le sceau du secret, ou s'il était nécessaire de les divulguer, ce devait être sous la forme mystique, en sorte qu'elles fussent entendues par le plus petit nombre possible d'adeptes, qui dans ce cas auraient immolé, non pas un porc; mais quelque grande et introuvable victime, de manière à restreindre considérablement le nombre des auditeurs. « Je conviens, reprit-il, que ces discours ont de graves conséquences. « Tellement graves, ô Adimante, lui dis-je, qu'on ne doit jamais les faire entendre dans notre république. On ne devra jamais dire, en présence d'un jeune homme, qu'il n'est pas étonnant de voir commettre les plus grands crimes, fût-ce celui d'un fils qui châtierait un père coupable, avec la plus extrême violence; puisqu'il ne ferait que copier l'exemple qu'il tient des premiers et des plus grands des Dieux. « Non, par Jupiter, interrompit-il, de semblables récits ne me semblent nullement utiles à faire. « Ni cela non plus, continuai-je, à quelque prix que ce soit : savoir que les Dieux se font la guerre entre eux, qu'ils se dressent des embûches, et s'attaquent corps à corps. D'abord, parce que cela n'est pas vrai. Puis, parce que nous avons reconnu que ceux qui veillent aux destinées de l'état, doivent considérer comme la chose la plus honteuse, de se livrer entre soi, et pour des causes légères, à des ressentiments implacables, tant s'en faut qu'on doive raconter les guerres des Dieux avec les géants, en nous donnant même des explications ornées de ces récits, aussi bien que toutes les inimitiés si nombreuses, si diverses des Dieux et des héros contre leurs proches et leurs alliés d'origine. Ce que nous devons dire, dès le principe, aux jeunes gens, ce qui doit leur être inculqué sans cesse par les vieillards des deux sexes et les hommes faits, si on doit leur persuader quelque chose, c'est qu'un citoyen ne doit jamais exercer d'inimitié contre son concitoyen. Ce sont de tels enseignements, que nous devons forcer les poètes à mettre en honneur. Les chaînes de Junon, la chute de Vulcain, précipité par son père, lorsqu'il voulait prendre la défense de sa mère maltraitée, et tous les combats des Dieux, qu'Homère a immortalisés dans son poème, doivent être bannis de notre cité; soit qu'on les chante allégoriquement, soit qu'on les rapporte sans allégorie. « L'adolescent, en effet, n'est pas en état de juger ce qu'est une allégorie et ce qu'elle n'est pas; mais toutes les opinions qu'on se forme à cet âge sont celles dont on a plus de peine à déprendre et à purger son esprit. C'est pour cette raison qu'on doit tout mettre en œuvre pour que les premières instructions qui frappent leurs oreilles ne soient prises que dans la plus saine mythologie et n'inspirent que la vertu. « Ce que vous dites là, reprit-il, est de la plus exacte raison; mais si l'on nous demandait quelles sont ces instructions, et de quelles fables elles émanent, que répondrions-nous ? « Je vous l'ai déjà dit, Adimante, ni vous ni moi pour l'instant ne sommes poètes, nous ne sommes que fondateurs d'une république, et il suffit pour un tel rôle de savoir d'après quels modèles il doit être permis aux poètes de composer leurs fables ; et s'ils viennent à s'écarter de ces règles on doit leur interdire absolument de le faire. Pour nous, il ne nous convient pas d'être poètes. « Vous avez bien raison, dit-il, mais ce que vous dites, qui doit servir de modèle en parlant des dieux, comment le définissez-vous ? Ces modèles, repartis-je, doivent être semblables â Dieu, et quiconque veut le chanter, soit dans l'épopée, soit dans la poésie lyrique, soit même dans la tragédie, doit toujours se référer à ce modèle. « Il le doit en effet, dit-il. « Ainsi, Dieu est bon par excellence, il faut donc le montrer tel. « Comment cela ne serait-il pas? « Cependant il est de fait que rien de ce qui est bon ne peut chercher â nuire. N'est-il pas vrai ? « Il ne me semble pas qu'il en puisse être autrement. « Ce qui ne cherche pas à nuire ne nuit pas. « Aucunement. « Ce qui ne nuit pas ne fait aucun mal. « Cela ne se peut. « Conséquemment ce qui ne fait aucun mal, ne saurait être la cause qu'un mal se fasse. « Comment cela se pourrait-il ? « Mais quoi ! le bon est-il utile? « Oui certainement. « Il est donc cause du bien qui se fait? « C'est la vérité. « « Le bon n'est donc pas cause de toute chose, il l'est seulement de tout ce qui est biens, comme il reste étranger au principe du mal. « Absolument. « Ainsi donc, lui dis-je, Dieu, par cela qu'il est bon, ne sera pas la cause de tout ce qui existe, comme le vulgaire le soutient : il sera cause pour les hommes d'un petit nombre d'effets et restera étranger au plus grand nombre, attendu que, pour nous, les bonnes choses sont en moindre quantité que les mauvaises. Nous n'avons pas besoin de chercher une autre cause des bonnes choses, que Dieu; comme nous devons en chercher de tout autres, des mauvaises: et non pas Dieu. « Vous me paraissez parler avec la plus exacte vérité. On ne doit donc admettre ni d'Homère, ni d'aucun autre poète, cette offense qu'il s'est permise envers les dieux, en disant d'une manière insensée : « que sur le pavé de Jupiter (Iliade, Od., v. 527) deux tonneaux reposent qui contiennent nos destinées : l'un, les bonnes, l'autre, les mauvaises, et qu'à celui-ci Jupiter ayant fait les mélanges des deux sorts, puise tantôt dans les bons, tantôt dans les mauvais; tandis qu'à tel autre, donnant sans mélange les mauvaises destinées, la cruelle Boubrostis le poursuit sur la terre sacrée. » Ce n'est pas comme ordonnateur des biens ni des maux (Iliade, V,224) que Jupiter se montre à nous. Si l'on soutient que c'est à lui ou à Minerve qu'on doit attribuer la violation de la foi jurée et la rupture de la trêve dont Pandare (Iliade, Od., v. 93) s'est rendu coupable, nous ne saurions y donner notre assentiment. Nous n'admettrons pas non plus la dispute des dieux, ni le jugement prononcé par Thémis et Jupiter; nous ne consentirons pas davantage à ce qu'on permette aux jeunes gens d'écouter ces vers d'Eschyle : « que Dieu fait naître des causes parmi les mortels lorsqu'il veut détruire une famille de fond en comble. » Si l'on consacrait la poésie à exprimer les pensées renfermées dans ces iambes, en retraçant les malheurs de Niobé, ceux des Pélopides, les destins de Troie, ou tout autre pareil; ou l'on devrait empêcher de dire qu'ils sont l'œuvre de Dieu, ou s'ils procèdent de lui, il faudra s'efforcer à rendre une raison à peu près semblable à celle que nous cherchons : on dira que Dieu, ne faisant que des choses justes et bonnes, ces adversités ont dû être utiles comme corrections à ceux qui les ont éprouvées. Mais représenter comme des infortunés ceux qui sont punis, en affirmant que c'est Dieu qui avait fait ces choses, voilà ce qu'on ne peut permettre à aucun poète de dire. « Si l'on déclarait que ces mêmes hommes, en tant qu'ils étaient malheureux, avaient encouru le châtiment; et que de méchants, ils étaient devenus meilleurs, sous l'éreinte des souffrances que Dieu leur avait envoyées : voilà ce qu'on peut permettre de dire. Mais prétendre que Dieu ait été pour qui que ce soit, l'auteur de ses infortunes, lorsqu'il est la bonté même : voilà des principes qu'on doit combattre par tous les moyens. Personne ne doit les produire dans votre cité, si elle est soumise à de bonnes lois : personne ne doit les entendre, fût-il jeune ou vieux, fussent-ils exprimés en vers ou en prose ; car si on les proclamait, non seulement on profanerait la sainteté du langage ; mais en même temps que ces doctrines ne sauraient être utiles, elles seraient contradictoires, se détruisant elles-mêmes. « J'unis mon suffrage au vôtre pour qu'on fasse une telle loi, me répondit-il : et ce que vous dites-la me plaît fort. « Voilà donc une des lois fondamentales concernant les Dieux, lui dis-je. Par elle, les orateurs comme les poètes, seront astreints à dire que Dieu n'est pas cause de tout ce qui se fait, mais seulement du bien. Ce sera très bien comme cela. Quelle sera la seconde? « Ce sera celle-ci : Pourriez-vous croire que Dieu soit un prestidigitateur qui, comme s'il sortait d'une cachette, se montre tantôt sous une forme, tantôt sous une autre; par moment restant le même, dans d'autres, variant son aspect sous une grande multiplicité de transformations; nous abusant alors, et nous faisant croire de lui de telles choses, tandis qu'en d'autres conjonctures, il reste dans sa simplicité, et sans sortir le moins du monde de sa manière d'être? « Je ne puis maintenant vous rien dire à cet égard, me répondit-il. « Mais quoi encore? n'y a-t-il pas nécessité d'admettre que si quelqu'un sort quelquefois de sa propre nature, c'est par sa vertu ou celle d'un autre, que ce changement s'opère en lui? « C'est de toute nécessité. Ainsi donc, les changements et la mobilité de formes occasionnés par les causes extérieures, atteignent le moins possible ce qu'il y a de plus parfait dans les êtres : citons pour le corps, l'action des aliments, des boissons, et des travaux auxquels il se livre ; pour les plantes, la contorsion causée par la force des vents et toutes les impressions dû dehors : aucune de ces choses n'altère en eux les organes vitaux les plus robustes. « Comment cela pourrait-il être? « Or, l'âme étant la partie la plus mâle et la plus intelligente, il ne se peut qu'une impulsion externe la trouble et la modifie. « Assurément. « Mais même à ne considérer que les choses agrégatives, telles que les meubles, les édifices, les vêtements, n'est-il pas vrai, d'après le même raisonnement, que lorsqu'elles ont été élaborées avec soin, elles sont dans les meilleures conditions d'ensemble, elles éprouvent la moindre influence possible du temps et des autres agents de destruction. « Cela est vrai. « Ainsi, tout ce qui a les données d'existence les plus parfaites, soit comme effet naturel ou artificiel, soit comme dû à la réunion de ces deux causes, est aussi ce qui reçoit la moindre modification possible des autres. « Cela me paraît exact. « Cependant, Dieu et ses attributs, sont de toutes les choses les plus excellentes. « Comment en serait-il autrement? « Il s'en suit donc que Dieu doit, moins qu'aucun être, avoir une grande multiplicité de formes. « Bien moins, sans contredit. « Serait-ce donc lui qui se métamorphoserait et se changerait lui-même ? « Cela est évident; si, en effet, il éprouve des changements. Est-ce en mieux et en plus beau, ou en pire et en plus laid qu'il se change? « Il est indispensable que ce soit pour être pire, si toutefois il change ; car jamais nous n'accorderons que Dieu soit en défaut sous le rapport de la beauté et de la vertu. « Vous parlez avec la plus grande rectitude, lui répondis-je. Les choses étant telles, vous semble-t-il concevable, ô Adimante, que qui que ce soit des dieux ou des hommes puisse volontairement se rendre pire qu'il n'est, sous un rapport quelconque? « C'est impossible, me dît-il. « Il l'est donc, ajoutai je, que Dieu veuille se changer. D'après toutes les vraisemblances, étant ce qu'il y a de plus beau et de plus parfait, chacun des Dieux met tout en œuvre pour persévérer dans sa simple et première forme. « Cela me paraît, répondit-il, de la plus absolue nécessité. « Qu'aucun poète ne vienne donc nous dire, ô mon ami, « que les Dieux (Homère, Odyssée, V, P. 425) ressemblant à des étrangers de divers pays, et se travestissant sous toutes les formes, parcourent les villes; » que personne ne vienne dire des choses fausses de Protée ni de Thétis: que soit dans les tragédies, soit dans tout autre genre de poème, personne n'introduise Junon sous la forme d'une prêtresse, venant recueillir les largesses des enfants magnifiques du fleuve Inachus qui arrose l'Argolide; qu'on cesse de nous abuser par une foule de mensonges de ce genre; que les mères, par une crédulité aveugle, n'effrayent plus leurs enfants, en leur racontant des fables méchamment inventées, dans lesquelles elles leur représentent certains dieux, comme rôdant pendant la nuit, sous le masque de nombreux étrangers de tout pays; du peur qu'elles n'unissent au blasphème envers les dieux, le tort d'inspirer à leurs enfants de fausses terreurs. « Non certes, s'écria-t-il. « Mais ne se pourrait-il pas, lui repartis-je, que les Dieux, étant eux-mêmes et par essence immuables, nous fissent croire cependant qu'ils revêtissent ces formes bizarres pour nous tromper et nous entretenir dans l'illusion? « Peut-être, répondit-il. « Mais quoi, lui répliquai-je, se pourrait-il que Dieu voulût user de mensonge, soit en parole, soit en action, en nous faisant apparaître des fantômes? « Je n'en sais rien, dit-il. « Quoi, vous ne savez pas, répondis-je, que le mensonge, dans toute sa nudité, on peut le dire, est également en horreur à tous les Dieux et à tous les hommes. « Comment dites-vous cela, m'observa-t-il ? « Le voici, lui dis-je: c'est que se mentir à soi-même, dans ce qu'on a de plus relevé, et pour les questions les plus importantes, c'est un acte que non seulement on ne commettra pas de gaîté de cœur, mais qu'on redoutera, par-dessus toutes choses, de se voir imputé. « Je ne comprends pas bien, dit-il, où vous en voulez venir. « Croiriez-vous donc, repris-je, que je prends un ton trop solennel, en soutenant que tous les hommes ont la plus grande aversion pour laisser leur âme mentir, ou admettre qu'on lui mente, sur l'essence véritable des choses et pour la laisser plongée dans une telle ignorance, que le mensonge s'identifie avec elle, et en prenne possession. Or, s'il en est ainsi, ne doivent-ils pas haïr cette disposition dans un être tel que Dieu? « Au plus haut point, me répliqua-t-il. « Or, qui mériterait plus le nom de mensonge, que ce dont je viens de parler : l'ignorance de la vérité, qu'on altère, telle qu'elle est dans l'âme? Car celle qui se manifeste par le discours n'est que l'image de ce qui se passe dans l'âme. C'est une empreinte, faite après coup, qui n'est pas un pur mensonge. N'est-il pas ainsi? « Oui, tout à fait. « Le mensonge, pris dans sa nature, est donc non seulement abhorré des Dieux, mais des hommes. « Cela me paraît ainsi. « Mais quoi ! le mensonge qui ne réside que dans les paroles, peut-il être quelquefois assez utile pour ne pas encourir notre haine ? N'est-ce pas lorsqu'on l'emploie contre les ennemis, ou contre quelques-uns de ceux qu'on nomme amis, quand, par fureur ou par manie, ils essayent de faire quelque mal? Alors, pour les en détourner, le mensonge est salutaire, comme remède. Également, dans les mythologies dont nous parlions tout à l'heure, par l'ignorance où nous sommes des choses anciennes, en donnant au mensonge la ressemblance de la vérité, ne ferons-nous pas une chose éminemment utile? « Les choses sont telles que vous le dites, répondit-il. « Mais en Dieu, à quoi le mensonge peut-il être utile? Serait-ce parce qu'il ignorerait les choses anciennes, ou qu'il voudrait donner à l'erreur une apparence de vérité? « Cela serait ridicule à penser, dit-il. « Ce n'est donc pas en Dieu que le poète peut user de mensonge. « Cela ne me semble pas possible. « Serait-ce par la crainte des ennemis qu'il emploierait le mensonge? « Il s'en faut de tout. « Serait-ce à cause de l'idiotisme ou de la démence de ceux qui lui sont dévoués? « Mais l'on ne peut supposer que Dieu chérisse des êtres stupides ou en démence. « Il n'y a donc pas de motif pour lequel Dieu mentirait. « Il n'y en a point. « La nature des Démons et celle des Dieux ont donc le mensonge en aversion. « Tout à fait, répliqua-t-il. « Il s'en suit que Dieu est entièrement simple et vrai dans ses œuvres, comme dans ses discours : il ne se transforme point, n'abuse point les autres, soit par des visions, soit par des paroles, soit par des prodiges, soit par des songes, vrais ou faux, qu'il leur envoye. « Ce que vous dites-la, répondit-il, me paraît aussi fondé qu'à vous. « Vous m'accorderez donc ce second type de la loi, pour ce qu'on peut dire ou célébrer en poésie, en parlant des dieux : savoir, qu'ils n'usent point de magie, en altérant leur manière d'être; qu'ils n'ont recours au mensonge, ni en paroles, ni en actions, pour nous égarer. « Je l'accorde. « En louant donc, dans Homère, beaucoup d'autres morceaux, nous ne pourrons pas donner d'éloges à l'envoi du songe que Jupiter fait à Agamemnon. Nous n'applaudirons pas non plus à Eschyle, lorsqu'il fait parler Thétis sur ce qu'Apollon avait chanté dans la célébration de ses noces. « Il avait donné en partage à mon heureuse maternité l'absence des maladies et la félicité des bienheureux. En disant ces choses, Pœon prédisait à mes enfants un bonheur digne des Dieux, et dilatait mon âme. J'espérais que la bouche divine de Phœbus était la source intarissable de l'art prophétique : et celui-là même qui a prononcé ces oracles est celui qui donne la mort à mon fils. « Celui qui s'exprime ainsi sur le compte des Dieux excite notre indignation, et nous ne lui donnerons pas le droit de former des chœurs : nous ne permettrons pas que des hommes chargés de l'éducation de la jeunesse, lui inculquent ces doctrines ; si nous voulons trouver en elle des conservateurs de la patrie, qui fassent éclater leur piété envers les dieux, et soient divins autant qu'il est permis à l'homme de le devenir. « Je vous accorde sans réserve, me dit-il, ces types pour les lois que nous devons faire. » Voilà en quels termes Platon s'énonce; mais vous ne trouverez nulle part dans toute l'Écriture des Hébreux, des fables honteuses semblables aux mythologies de la Grèce, non seulement à l'égard du Dieu suprême, mais en parlant des anges divins qui l'entourent, pas même au sujet des hommes qu'il a chéris. Ce type ou cette règle que Platon établit, que Dieu étant bon, tout ce qui émane de lui porte le même caractère, s'y retrouve partout. Aussi, l'admirable prophète Moïse ajoute-t-il au récit de chaque création particulière : « Et Dieu vit que cela était bon. » Puis en les récapitulant toutes, il applique la même formule à l'ensemble : « Et Dieu vit toutes les choses qu'il avait faites, et il les reconnut bonnes par excellence. » C'est un dogme constant chez les Hébreux, que Dieu ne peut être cause d'aucun mal. « Si donc il n'a pas fait la mort, c'est qu'il ne se plaît pas à la destruction des êtres animés. Il avait créé l'univers pour qu'il continuât toujours d'être : les origines de cet univers étaient conservatrices; ce fut par l'envie du diable que la mort est entrée dans le monde (Sagesse, 2, 24). » Aussi le prophète fait-il intervenir Dieu lui-même, adressant ce langage à celui qui s'était perverti par son propre choix : « Je vous ai planté comme une vigne féconde, toute de bon plant : comment se fait-il que vous ayez tourné à l'amertume comme une vigne sauvage (Jérémie, 2, 21 ) ? Si cette Écriture dit quelquefois que les maux qui arrivent aux hommes vicieux viennent de Dieu, c'est par figure, et pour signifier que les maux que Dieu, dans sa bonté, inflige à ceux qui les ont mérités, ne sont pas pour leur perte, mais au contraire pour leur utilité et pour leur correction. C'est comme si un médecin passait pour créer le mal des malades, lorsque, pour leur salut, il leur présente des remèdes douloureux ou acerbes. Aussi, lorsque, dans l'Écriture sainte, il est dit que les maux qui affligent les hommes leur sont envoyés par Dieu, on doit recourir à ce qu'a dit Platon, que Dieu n'avait fait que des choses justes et bonnes, et que s'il a fait ressentir à ceux qui le méritent, des afflictions, que les hommes considèrent comme adversités, c'a été pour qu'ils tirassent avantage de leurs châtiments. Ce n'est pas Platon seul qui le veut ainsi. L'Ecriture des Hébreux dit également : « Que le Seigneur châtie ceux qu'il aime : il frappe de verges tout fils qui lui est cher (Épître aux Hébreux, 12, 6).» Mais soutenir qu'il sont malheureux, parce qu'ils ont besoin de châtiment, et que c'est Dieu qui en est cause : voilà ce qu'on ne doit permettre à aucun poète de dire. Tout ce qu'on peut tolérer, c'est de dire que les méchants sont à plaindre, parce qu'ils ont besoin de châtiments, et qu'en leur en infligeant, Dieu se montre bienfaisant à leur égard. On doit donc s'opposer de toutes ses forces à ce que l'on vienne dire que Dieu est, pour qui que ce soit, cause du mal ; puisqu'il est la bonté même. Quant à ce que Dieu n'admet point de changement, la prophétie des Hébreux le lui fait déclarer par sa propre bouche : « Parce que je suis votre Dieu et que je ne change pas (Malachie, 5, 6). » David s'écrie dans ses liturgies : « Tous ils vieilliront comme un vêtement, vous vous en envelopperez comme d'un manteau, et ils changeront. Pour vous, vous êtes toujours le même, et vos années n'auront point de terme (Ps. 101, 27) » Si dans certains passages, ils font parler Dieu, le faisant apparaître sous la forme et avec les manières d'un homme, on doit dire que cela n'a aucune similitude avec les fables de Protée, de Thétis, de Junon, dans la mythologie des Grecs, ni avec cette fiction que les dieux rôdent la nuit en prenant la figure de beaucoup d'animaux étranges. Les Écritures des Hébreux introduisent aussi le Verbe de Dieu, se manifestant aux hommes; mais c'est de même que Platon a dit, pour le bien de ses amis, lorsque, par démence ou idiotisme, ils entreprennent des actions mauvaises; on doit, afin de les en détourner, employer comme un remède salutaire l'intervention de Dieu parmi les hommes. Et puisqu'il est constant qu'il n'y a point sur la terre de race d'animaux plus chère à Dieu que celle de l'homme : (elle lui est, en effet, unie par un rapport d'origine et de confraternité par le Verbe de Dieu, d'après lequel notre âme a été créée, douée naturellement de la raison) ; il était rationnel que le Verbe céleste prenant soin d'un animal qu'il aime, vînt procurer la guérison de toute cette espèce, lorsqu'un délire furieux et un mal exorbitant s'étaient emparés d'elle, à ce point, qu'elle ne connaissait plus Dieu qui est son père; qu'elle avait perdu la notion de la nature spirituelle à laquelle elle est affiliée; qu'elle niait la Providence divine qui conserve toute la création; qu'enfin, elle en était presque venue à la dégénération de la brute. Voilà la cause pour laquelle, comme Sauveur et comme médecin, le Verbe est venu habiter parmi nous, sans cependant sortir de sa nature divine, et sans tromper les regards par une fiction mensongère; conservant en lui ces deux réalités, d'être visible et invisible tout à la fois. D'une part, il se laissait voir comme un véritable homme ; de l'autre, c'était le Verbe de Dieu, exempt d'imposture, et n'abusant pas les sens de ceux qui le voyaient. Platon ayant dit qu'il lui paraissait que la divinité n'admettait pas le mensonge ; nous dirons que le Verbe de Dieu étant essentiellement simple et vrai en action comme en parole, « ne se travestit point, ne trompe pas les autres, soit par les visions, soit par les discours, soit par des émissions de prodiges, soit par des songes vrais ou fallacieux. » C'est comme médecin des âmes raisonnables, c'est en vue du salut de toute la race humaine, dont il avait entrepris la tâche, qu'il a réellement et non fictivement exécuté ses œuvres, nous donnant à tous l'amour et le retour sincère à son père par la science de la divinité, et par le véritable culte qu'il nous a enseignés. Nous bornerons là nos propres réflexions, et nous conclurons par ces mots du philosophe, qui nous semblent excellents à l'égard de ceux qui parlent autrement que nous : « nous nous irriterons, et nous ne tolérerons pas qu'ils forment des chœurs, nous ne permettrons pas qu'on les charge d'être instituteurs de la jeunesse, dans laquelle nous devons trouver des conservateurs do la patrie, des hommes zélés pour le service de Dieu, et divins autant qu'on peut l'être. » [13,4] CHAPITRE IV. LES RÉCITS CONCERNANT LES DIEUX DE LA GRÈCE NE RENFERMENT QUE DES FABLES HONTEUSES AUXQUELLES SOCRATE AYANT REFUSÉ DE CROIRE, IL FUT MIS À MORT PAR LES ATHÉNIENS. « Ces hommes sont unanimes (Tiré de l'Euthypron), dans l'opinion que Jupiter est le plus parfait et le plus juste de tous les dieux, et ils conviennent en même temps qu'il a enchaîné son père, parce que, contre toute justice, il avait dévoré ses propres enfants, et celui-ci avait déjà châtré le sien pour d'autres faits pareils. Eh bien, ne s'offensent-ils pas parce que je poursuis en justice mon père, lorsqu'il a commis une action injuste? Voilà comme ils sont en contradiction avec eux-mêmes, lorsqu'ils parlent des Dieux et de moi. « N'est-ce pas justement, ô Eutyphron, la raison pour laquelle je suis moi-même traduit en justice? savoir que je repousse avec indignation de pareils récits sur le compte des Dieux lorsque je les entends débiter, et c'est pourquoi on préfère me traiter en coupable. Maintenant si, versé comme vous l'êtes dans ces matières, vous partagez l'opinion commune, il y aura bien nécessité de ma part que je me rende ; que pourrais-je dire en effet pour ma défense, quand j'avoue que je suis de la plus parfaite ignorance à ce sujet? cependant dites-moi, par Jupiter Philius, pensez-vous sincèrement que les choses se sont passées de la sorte? « Il y en a eu de bien plus surprenantes dont le peuple n'a point connaissance, ô Socrate. « Vous croyez donc aussi que réellement les Dieux se sont fait la guerre, qu'il y a entre eux des inimitiés violentes, des combats singuliers, et beaucoup d'autres choses semblables que nous apprenons par les poètes, qui nous sont retracées par les bons peintres, dans les tableaux dont nos temples sont ornés, et que nous représente, par les nombreuses broderies dont il est rempli, le voile qu'aux grandes Panathénées on porte à l'Acropolis. Dirons-nous, ô Euthyphron, que ces choses sont véritables? « Non seulement, ô Socrate, ces choses mais comme je le disais tout à l'heure, les autres encore qui ont rapport aux Dieux, que je vous raconterai si vous le voulez. Je suis bien sûr qu'en les entendant vous serez frappé d'étonnement. » Ce passage est pris dans l'Euthyphron de Platon. Toutelois Numénius explique la pensée du philosophe dans son livre sur les mystères contenus dans Platon. Voici en quels termes : [13,5] CHAPITRE V. TIRÉ DE NUMÉNIUS DANS L'ÉCRIT DES MYSTÈRES CONTENUS DANS PLATON, SUR LE MÊME SUJET. « Si Platon, après avoir conçu le projet d'écrire sur la théologie des Athéniens, a été rebuté en l'étudiant et l'a accusée de nous offrir les dissensions des dieux entre eux, les incestes des parents avec leurs enfants, les pères dévorant leurs fils, ceux-ci tirant vengeance des premiers, les frères et les sœurs se châtiant mutuellement, et plusieurs récits pareils ; si, dis-je, Platon en traitant de cette science, a ouvertement dénoncé de semblables enseignements, il me semble qu'il a donné un ample sujet aux Athéniens de se montrer encore une fois atroces, en le faisant périr, comme ils avaient fait mourir Socrate ; mais comme il préférait dire la vérité même aux dépens de sa vie, il découvrit un moyen de vivre et de proclamer, en toute sûreté, la vérité, ce fut de présenter les Athéniens sous le masque d'Euthyphron, personnage arrogant et stupide, mauvais théologien, s'il en fut : il lui donne pour interlocuteur le même Socrate, parlant sur le même sujet et de la même manière qu'il avait accoutumé de le faire avec chacun de ses auditeurs. » [13,6] CHAPITRE VI. QUE L'ON NE DOIT PAS ADHÉRER AUX OPINIONS DE LA MULTITUDE, NI SE DÉPARTIR DE SA PROPRE FAÇON DE PENSER, MÊME PAR LA CRAINTE DE LA MORT. (Tiré de Criton). « O mon cher Criton, votre projet serait bien digne d'être pris en grande considération, s'il était conforme à la rectitude du devoir; mais s'il lui est contraire, on doit d'autant plus y renoncer, qu'il présente plus de difficulté. Nous devons d'abord examiner si ce que vous proposez est admissible ou non ; car ce n'est pas aujourd'hui seulement, mais pendant toute ma vie, que je me suis tracé un plan de conduite tel que je ne cédasse à aucun autre motif de persuasion qu'à la raison, qui après avoir été mûrement pesée, m'a semblé la meilleure. Or, je ne puis maintenant rétracter tous les discours que j'ai prononcés dans mes années passées, parce que ma destinée est devenue telle, et ces doctrines me semblent presque aussi fondées que jamais : j'ai pour elles le même respect, la même estime que précédemment, et si nous n'avons rien de mieux à dire sur ce sujet dans la circonstance actuelle que ce qui a été dit, sachez bien que vous ne me ferez pas consentir à vos propositions; quand bien même on me ferait apparaître la puissance de la multitude, plus terrible encore qu'elle ne l'est réellement, comme les spectres dont on épouvante les enfants, traînant à sa suite des chaînes, des supplices et des confiscations de biens. Comment nous y prendrons-nous pour considérer ces choses avec la plus grande impassibilité? ce sera d'abord, si nous résumons tout ce que vous venez de dire sur les opinions d'une part et d'autre, pour discerner celle qui est sagement pensée, parce qu'il en est auxquelles on doit condescendre et d'autres auxquelles on doit résister. Puis, si ce qui, avant que je dusse mourir, paraissait bien dit, se montre maintenant sous un jour ici, qu'on doit croire que ce n'était qu'un langage oratoire, qu'un jeu d'esprit, qu'une futilité. C'est avec vous, mon cher Criton, que je désire me livrer à cet examen pour voir si ce que je disais alors me semblera tant soit peu différent depuis que ma position est changée, ou s'il est toujours de même ; si nous n'en tiendrons aucun, compte, ou si nous nous y soumettrons. Nous disions donc, autant que je puis m'en rappeler, chaque fois que nous parlions sérieusement, ce que je viens de répéter : savoir, que de toutes les opinions que les hommes professent, il en est dont on doit faire le plus grand cas, et d'autres pour lesquelles on ne doit avoir aucune estime. Cela ne vous semble-t-il pas, au nom des dieux, Criton, parfaitement bien dit? Et vous dans la situation où vous êtes, qui vous exempte de la crainte de subir demain la mort, autant qu'on peut le conjecturer; pourriez-vous vous laisser égarer par la circonstance fâcheuse que je subis maintenant? examinez donc. Cette proposition ne vous semble-t-elle pas parfaitement juste, qu'on ne doit pas donner son estime à toutes les opinions humaines, principalement à celles qui proviennent de tous les hommes; mais a celles qui émanent de ceux-ci, et non pas à celles qui émanent de ceux-là? pensez-vous que cette manière de parler soit bonne? « Cela est très juste. « On doit donc estimer les opinions qui sont bonnes, et réprouver les mauvaises. « Assurément. « Les bonnes sont dues aux hommes prudents, et les mauvaises à ceux qui sont dénués de jugement. « Comment en serait-il autrement ? « Voyons donc à propos de quoi nous avons établi cette doctrine. Un homme qui fréquente le gymnase pour ou suivra avec zèle les exercices, doit il appliquer son esprit à tous les éloges, à toutes les censures, en un mot à toutes les observations qu'on lui adresse indistinctement, ou seulement à celles d'un juge habile, soit médecin, soit directeur du gymase ? « A celui-là seul. « Il ne doit donc redouter le blâme ou accueillir avec joie la louange, que de ce seul individu, et non ce qui vient de la multitude. « Cela est clair. « C'est donc d'après les conseils du gymnasiarque, comme en sachant plus que tous les autres, qu'il doit se gouverner dans la pratique de la gymnastique et dans le régime à suivre pour les aliments et les boissons. « Cela doit être. « Soit. Eh bien, il ne pourrait donc que se trouver mal de désobéir à celui-là seulement, de mépriser ses conseils, de ne tenir aucun compte de ses éloges, en réservant toute son estime pour les avis du plus grand nombre qui ne connaît rien à cet art. « Comment n'en serait-il pas ainsi ? « Mais quel est ce mal et jusqu'où s'étend-il ? quelle partie de celui qui désobéit en est affectée? « Évidemment le corps; c'est lui qui en reçoit le dommage. « Vous avez raison, ô Criton ; mais n'en est-il pas de même dans toutes les autres disciplines, sans que nous ayons besoin de les parcourir l'une après l'autre ? Toutefois, pour en venir à la considération des choses justes et injustes, honteuses et vertueuses, bonnes et mauvaises, dont l'étude nous occupe en ce moment, est-ce à l'opinion de la multitude que nous devons déférer, par la crainte de ses jugements, ou à celle d'un seul juge; s'il en est un qui soit versé dans cette connaissance : opinion que nous devons respecter et craindre plus que celle de tous les autres : opinion à laquelle nous devons rendre hommage pour ne pas anéantir ou, du moins, pour ne pas atténuer ce qui, en nous, se perfectionne par la justice et se perd par l'injustice? ou bien ne faites-vous aucun cas de ces réflexions ? « Je pense comme vous, Socrate. « Soit donc; si, en cédant à l'opinion de ceux qui n'y entendent rien, je venais à perdre ce qu'un régime hygiénique aurait fortifié et ce que l'état maladif ruine, pourrais-je vivre; lorsque j'aurais détruit le principe vital qui réside en moi? Cependant, ce n'est que le corps dont il s'agit ici, n'est-ce pas? « Oui. « Je ne pourrais donc pas continuer d'exister avec un corps infirme et usé? « Nullement. « Eh quoi! je pourrais vivre en ayant détruit en moi ce que l'injustice éteint, ce que la justice augmente ! est-ce que nous considérerions comme plus méprisable que le corps cette portion de notre être, quelle qu'elle soit, où dominent le juste et l'injuste? « Non, assurément. « N'est-elle pas la plus précieuse dans notre organisme ? « Incontestablement. « Nous ne devons donc pas, ô mon meilleur ami, nous préoccuper beaucoup de ce que diront de nous les hommes qui composent la multitude, mais de celui seul qui connaît à fond ce qu'il y a de juste et d'injuste dans les actions, et ce seul est la vérité elle-même. Ainsi, premièrement, vous avez mal entamé cette discussion en disant que nous devions accorder quelque attention à l'opinion du grand nombre sur les questions de juste, de bon et d'honnête, ainsi que sur leurs contraires. » Le Verbe notre Sauveur a dit : « Vous cherchez la gloire qui vient des hommes et ne cherchez pas celle qui vient d'un seul (Ev. S. Jean, 5, 41. Le texte grec porte : de Dieu seul) » C'est la cause pour laquelle, dans les exercices de la piété, nous nous conduisons sagement, en ne recherchant pas ce que les hommes diront de nous; mais ce que veut le Verbe unique de Dieu, que nous devons continuer d'honorer, lorsqu'une fois nous nous sommes attachés à lui par une détermination réfléchie; comme nous l'avons fait dans le principe, sans revenir sur nos pas; quand bien même on nous ferait apparaître, ainsi qu'à des enfants, les fantômes effrayants de la puissance populaire. Tels ont été, parmi les anciens Hébreux, les hommes qui se sont illustrés par le martyre. [13,7] CHAPITRE VII. QU'ON NE DOIT PAS ATTAQUER CEUX QUI SE PRÉPARENT A DES ACTES INJUSTES ENVERS NOUS (Tiré du même). « Dirons-nous qu'on ne doit commettre volontairement, aucune injustice, de quelque manière que ce soit; ou bien, qu'il est des manières permises d'en commettre et des manières qui ne le sont pas; autrement, qu'il n'est jamais honnête, ni bien, d'en commettre, comme cela a déjà été souvent convenu, précédemment, entre nous, et récemment encore, dans ce que je viens de dire; ou enfin, tous ces aveux antérieurs sont-ils mis en doute depuis ce petit nombre de jours ? Se pourrait-il que, vieux comme nous le sommes, nous ayons laissé, à notre insu, nos entretiens les plus sérieux dégénérer en enfantillages; ou au contraire, ce que nous avons déclaré dans nos discours sera-t-il vrai, en dépit de tout ; soit que la masse des hommes l'approuve, soit qu'elle le blâme? et quelles que puissent en être les conséquences, ou plus douloureuses, ou plus douces, dirons-nous toujours, qu'il est coupable et houleux de faire injure à ceux qui sont injustes, de quelque manière que ce soit: ou soutiendrons- nous le contraire ? « Nous le dirons. « On ne doit donc jamais faire d'injustice? « On ne le doit pas. « Cependant, puisqu'on ne doit jamais être injuste, on ne doit pas non plus, comme le peuple le pense, se venger de l'injustice reçue par une injustice rendue. « Il ne me le paraît pas. « Mais quoi, Criton, doit-on faire du mal ou non? « On ne le doit pas, ô Socrate. « Cependant, répondre à un mauvais procédé par à un mauvais procédé, suivant le sentiment du vulgaire, est-il juste ou injuste? « Cela ne peut être, absolument. « En effet, faire du mal aux hommes n'est autre chose que commettre une action injuste ? « Vous parlez très bien : on conséquence, il n'est permis, ni de rendre injustice pour injustice, ni de faire du mal à qui que ce soit, quelque mal qu'on en ait reçu précédemment. Voyez cependant, ô Criton, combien, en professant cette doctrine, vous vous déclarez en opposition avec l'opinion commune? Je crois bien que votre sentiment est partagé, et ne pourra l'être, que par un petit nombre de personnes; mais comme il n'y a point d'unanimité de sentiment entre nous et les personnes qui pensent le contraire, il en résulte nécessairement, qu'on doit se mépriser réciproquement, en voyant les déterminations différentes qu'on doit prendre dans l'un non dans l'autre cas. Examinez-vous donc et rendez-vous bien compte si vous partagez mes sentiments, et si ce que je vais vous dire vous semblera aussi fondé qu'à moi. Je commence par ce que nous venons de décider, qu'il n'est légitime, ni de commettre d'injustice le premier, ni d'en commettre en retour de celles qu'on a endurées, ni de se venger d'un mauvais traitement, en usant des moyens que l'on a de nuire. Vous séparez-vous de moi dans les conséquences, ou renoncez-vous à l'unanimité sur le principe ? Quant à moi, ce que j'ai pensé autrefois je le pense encore : parlez donc et apprenez-moi si votre manière de juger a été modifiée en quelque point. Si vous persévérez dans ce que vous m'avez concédé d'abord, écoutez ce qui va s'en suivre. « J'y persévère, et tout ce dont nous sommes convenus me semble toujours vrai : parlez. « Je dis donc, en poursuivant, ou plutôt je vous demande si les choses, une fois reconnues justes par vous, envers quelqu'un, doivent être fuites, ou si vous pouvez les frauder. « Il faut les faire.» Comparez à ces paroles celles-ci : « Ne rendez à personne le mal pour le mal (St Paul aux Ro. 12, 17) » Puis: « Bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous cherchent querelle et vous poursuivent, afin de devenir les fils de votre père qui est aux cieux, et qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, qui répand la pluie sur les justes et les injustes (Mathieu, 5, 44, 45). » « Puis encore : « Bénissons lorsqu'on nous invective, supportons lorsqu'on nous poursuit, exhortons lorsqu'on nous calomnie (1er aux Corint. 4, 22) ; qui sont contenues dans nos livres sacrés. » Et le prophète des Hébreux dit : « Si j'ai rendu le mal à ceux qui m'en ont fait, et encore, j'étais pacifique avec les ennemis de la paix (Ps. 119. 9)». [13,8] CHAPITRE VIII. QU'ON NE DOIT PAS CONDAMNER CE QUE L'ON A UNE FOIS JUGÉ ÉQUITABLE, QUAND MÊME LA MORT EN SERAIT LA CONSÉQUENCE, CE QUI NOUS GUIDERA DANS LA CONDUITE ENVERS CEUX QUI DANS LE TEMPS DE PERSÉCUTION ONT ÉTÉ PARJURES A LEUR FOI. « Tu te vantais alors (Criton, p. 374), en disant que tu ne serais nullement ému s'il te fallait mourir; tu préférais, disais-tu, la mort à l'exil : maintenant tu ne gardes pas même la pudeur de tes paroles, et tu n'as plus de respect pour nous, qui sommes les lois de ton pays, puisque tu essaies de nous anéantir. Tu fais ce que le plus lâche des esclaves pourrait faire, en tentant de te soustraire par la fuite, malgré tous tes engagements, malgré les protestations formelles, en vertu desquelles tu avais consenti à être gouverné. Réponds d'abord à cette question. Parlons-nous avec vérité, en disant que tu as consenti à être gouverné d'après nous, réellement et non pas seulement par paroles, ou sommes-nous dans l'erreur? Que puis-je répondre à cette demande, ô Criton, sinon que j'y ai consenti. « C'est une nécessité, ô Socrate. « Alors qu'auraient-elles à ajouter, sinon : Peux-tu te résoudre à violer des conventions qui ne t'ont point été imposées par la contrainte ou par la ruse, auxquelles tu n'as pas été obligé de souscrire, par le peu de temps qui t'était accordé pour les méditer, puisque tu as eu 70 ans pour cela, pendant la durée desquels tu as eu la liberté de t'éloigner, si nous n'étions pas à ta convenance, ou si les conditions de ton engagement te semblaient contraires à la justice? Tu ne nous a préféré, ni Lacédémone, ni la Crète dont, en toute occasion, tu louais la législation; ni aucune autre des villes grecques ou barbares; tu t'es moins absenté du sol de la patrie que ne le pourraient faire des boiteux, des aveugles ou des estropiés de toute autre manière. La république et nous, qui en sommes les lois, nous t'avons charmé plus qu'aucun autre Athénien ; car, qui pourrait chérir un état sans loi; et, maintenant tu ne veux plus rester dans les termes de notre traité. Sois-y donc fidèle, si tu veux nous obéir, ô Socrate. » [13,9] CHAPITRE IX. DANS QUELLE DISPOSITION D'ESPRIT DOIT ÊTRE L'HOMME QUI, PAR LA CRAINTE DE LA MORT, DEVIENT PARJURE A SA PREMIÈRE RÉSOLUTION (Criton, p. 374). « Le transgresseur des lois sera bientôt considéré comme corrupteur de la jeunesse et des hommes d'une intelligence bornée. Sont-ce les villes régies par de bonnes lois que tu chercheras à éviter, aussi bien que la société des hommes les plus civilisés? Mais, en agissant de la sorte, croiras-tu mériter encore de vivre ? Au lieu de cela t'en rapprocheras-tu ? Mais tu n'oserais leur répéter les mêmes discours que tu tiens ici, chaque jour, en disant que la vertu, la justice, la légalité et les lois sont ce qu'il y a de plus estimable dans l'humanité. Et tu pourrais penser que cette conduite, dans Socrate, ne paraîtra pas infâme! Non, tu dois la croire telle. Cependant, voyons: tu t'échappes de ces lieux : tu iras en Thessalie, auprès des hôtes de Criton. Mais tu ne trouveras là qu'une excessive licence et la plus grande immoralité. Peut-être prendrait-on plaisir à apprendre ta fuite divertissante de la prison, le travestissement dans lequel tu t'étais dissimulé, soit une peau de bête ou ni ce que les échappés de prison ont coutume de revêtir pour se métamorphoser; et c'est dans l'âge avancé, lorsque tu n'as plus, suivant les probabilités, que peu de temps à vivre, que tu oses, par un désir mesquin de prolonger ton existence, transgresser les lois les plus sacrées! N'y aurait-il personne qui en fit la remarque? Je le veux bien, si tu n'as offensé personne, ô Socrate; mais s'il en est autrement, il n'est pas d'indignité qu'on ne dise de toi. Pour vivre, tu devras complaire à tous les hommes et t'en faire l'esclave. Qu'iras-tu faire en Thessalie, sinon de te livrer aux excès de table, en sorte que tu n'auras été dans ce pays que comme un joyeux convive. Tes entretiens, sur la justice et sur les autres vertus, que vont-ils devenir? Mais c'est pour tes enfants que tu veux vivre encore, afin de leur donner de l'éducation et de la science. C'est pour cela que tu les mènes en Thessalie, tu les élèveras, les instruiras, pour n'être que des étrangers, sans patrie; car voilà l'héritage que tu leur laisseras. Dis-je, ou non, la vérité? Élevés par toi aussi longtemps que tu vivras, ils seront instruits et dirigés au mieux. Mais, lorsque tu leur manqueras, quels seront ceux de tes parents qui continueront à en prendre soin? Si tu t'exiles en Thessalie, iront-ils leur rendre ces devoirs? Si tu descends parmi les morts pourront-ils s'exempter de le faire? On doit croire que non, s'il y a quelque sentiment de devoir dans ceux qui se disent tes parents. Toutefois, ô Socrate, montre-nous la soumission que tu dois à tes nourrices, et ne mets au-dessus de la justice, ni tes enfants, ni ta vie, afin qu'en descendant dans les enfers, tu puisses te justifier de toutes les accusations qui te sont faites ici, devant les magistrats qui y commandent : car la démarche qu'on te propose ne saurait être ici la meilleure, ni la plus juste, ni à tes yeux, ni à ceux d'aucun de ceux qui te la conseillent. Elle ne saurait l'être, non plus, dans le lieu où tu vas. Si tu quittes maintenant cette terre, et que ce soit par l'effet d'une injuste condamnation, subis ce sort sans en accuser les lois, mais bien les hommes. Si tu devais en sortir aussi honteusement qu'on t'y engage, opposant une injustice à une injustice, une mauvaise action à une mauvaise action, violant les promesses que tu nous as faites et les engagements que tu as contractés, offensant ceux qui le méritent le moins, toi-même, tes amis, ta patrie et nous, sache bien que notre irritation te poursuivra pendant la vie, et que nos sœurs là-bas, les lois des enfers, ne t'accueilleront pas avec bienveillance, en apprenant que tu auras mis tout en œuvre, autant que tu le pouvais, pour nous anéantir.» [13,10] CHAPITRE X. QU'ON DOIT BRAVER LA MORT POUR LA DÉFENSE DE LA VERTU (Tiré de l'apologie de Socrate, p. 363). « Mais on me dira peut-être : N'avez-vous pas honte, ô Socrate, de vous être consacré à un genre de vie qui vous fait maintenant courir le danger de la perdre ? Je crois pouvoir faire cette réponse équitable à cette attaque : O qui que vous soyez, ce que vous dites manque de justesse; si vous croyez qu'on doive mettre en balance la question de vie ou de mort, quand on a même un devoir borné à remplir : on ne doit alors considérer que si en faisant une telle chose, on agit avec justice ou non, et si l'on fait acte d'homme vertueux ou de méchant homme. D'après votre manière de raisonner, ce seraient des êtres méprisables que ceux des demi-dieux qui ont succombé devant Troie, comme entre autres le fils de Thétis qui a bravé un aussi grand danger et qui, selon vous, aurait dû se couvrir d'ignominie, à ce point, que lorsque sa mère, qui était une déesse, pour combattre son désir de tuer Hector lui dit à peu près ces paroles, à ce que je suppose : O mon fils, si vous vengez la mort de votre ami Patrocle en tuant Hector, vous périrez vous-même ; car aussitôt après qu'Hector aura subi son destin, le vôtre doit suivre. Le héros ayant entendu sa mère et méprisant le danger de mort qui le menaçait, craignant beaucoup plus de vivre comme un lâche, qui hésite à venger ses amis : Que je meure sans délai, s'écria-t-il, en punissant un ennemi coupable, plutôt que d'être ici un objet de dérision, un fardeau de la terre auprès des vaisseaux recourbés! Pensez-vous qu'il tenait grand compte du danger de mourir? « Telle est la vérité, ô Athéniens, quelle que soit la conduite qu'un homme s'est tracée, la regardant comme la meilleure qu'il puisse suivre, ou bien que que soit le poste qui lui a été confié par le chef de l'État, il doit y persévérer, à ce qu'il me semble, malgré tous les dangers, sans calculer s'il ne peut pas aux dépens de l'honneur éviter soit la mort, soit un péril quelconque. A ce compte, ô Athéniens, lorsque les archontes élus par vous m'avaient placé dans un poste à Potidée, à Amphipolis, à Délium, y étant resté comme dans tout autre point qu'ils m'auraient assigné, au risque d'y périr, comme tout autre de vous aurait fait, je ferais une action indigne si je désertais aujourd'hui, par crainte de la mort ou par toute autre crainte, le poste où le Dieu m'a placé ; au moins à ce que je crois et comme je suis fondé à le croire ; qui est de dévouer mon existence entière à la philosophie, en cherchant à me connaître et à connaître les autres. Mon indignité serait bien certainement constatée, et on aurait raison de me traduire devant le tribunal, en disant que je nie qu'il y ait des dieux, si je désobéissais à l'oracle, si je craignais la mort, si je croyais être sage, ne l'étant pas. Craindre, en effet, la mort, ô Athéniens, n'est rien autre que se croire sage tandis qu'on ne l'est pas, et croire savoir ce qu'on ignore. Personne ne sait ce qu'est la mort, ni si ce n'est pas pour l'homme le plus grand de tous les biens, et cependant on la redoute comme si l'on savait parfaitement que c'est le plus grand de tous les maux. Cette prétention de savoir ce qu'on ignore complètement, n'est-elle pas l'effet de l'ignorance la plus honteuse? Voici peut-être en quoi je diffère de la plupart des autres hommes, ô Athéniens, et en quoi je puis me dire plus sage qu'eux, c'est qu'en ne sachant pertinemment rien de ce qui se passe dans l'enfer, j'avoue que je l'ignore. Ce que je sais, c'est qu'il est mal, qu'il est honteux de faire une injustice, et de désobéir aux êtres qui sont meilleurs que nous, soit aux dieux, soit aux hommes. En conséquence, je ne me soustrairai pas, cédant à la crainte de ce dont j'ignore s'il est un mal, en donnant la préférence à des choses qui me sont bien connues pour être mauvaises. Cela est à tel point, ô Athéniens, que si vous m'acquittiez maintenant, en n'ajoutant pas foi à ce que dit Anytus (il a dit qu'on ne devait pas, dans le principe, admettre l'instance contre moi; mais que puisqu'on l'avait admise, je ne pouvais sortir de ce procès que par la mort, en vous déclarant que si j'échappais à son accusation, bientôt vos propres enfants, mettant en pratique ce que Socrate enseigne, seraient tous et entièrement corrompus); et si vous me disiez, ô Socrate, nous voulons bien ne pas croire à ce qu'Anytus a dit de vous, et nous vous rendons à la liberté, mais à cette condition, que désormais vous ne poursuivrez plus de semblables recherches, vous renoncerez à la philosophie; et si vous êtes convaincu de persister dans la même conduite, vous mourrez. Si, comme je viens de le dire, vous me renvoyiez à ces conditions, je vous répondrais que je vous révère et vous chéris, ô Athéniens; mais que j'obéirai plutôt à Dieu qu'à vous, et tant que je respirerai, tant que j'en aurai la faculté, je ne cesserai de me consacrer à la philosophie, vous exhortant, vous enseignant et répétant à chacun de ceux avec lesquels je me rencontrerai, tout ce que j'ai coutume de dire journellement. » Après quelques autres réflexions, il reprend (Apologie, p. 368) : « Pourrons-nous donc nous mettre dans l'esprit, qu'il y a beaucoup lieu d'espérer que la mort est un bien. Elle ne peut être que l'une de ces deux choses : ou ce n'est rien du tout, en sorte qu'un homme mort ne conserve plus aucun sentiment quelconque, ou bien, suivant ce qu'on en rapporte, c'est un changement, c'est une migration de l'âme de ce lieu-ci dans un autre lieu. Si elle est une absence totale de sentiment, et telle qu'un sommeil dans lequel celui qui dort n'a pas même de rêve, la mort serait déjà un gain immense. Je pense que si nous devions séparer de toutes les autres la nuit dans laquelle notre sommeil aurait été tel que nous n'aurions pas même vu de songe, et si nous devions mettre cette nuit en parallèle avec toutes les autres de notre vie, et qu'il nous fallût rechercher combien nous aurions passé dans toute notre vie de jours et de nuits plus agréablement et plus doucement que cette seule nuit, je crois que non seulement un homme vulgaire, mais le grand roi lui-même, trouverait qu'elles sont en bien petit nombre comparativement à toutes les autres nuits et toutes les autres journées. Si la mort est donc cela, je soutiens que c'est un gain ; car tout le temps qui restera à s'écouler, ne sera que cette seule nuit. Si, au lieu de cela, la mort n'est qu'un déplacement de ce lieu dans un autre, et que tout ce qu'on débite à en sujet soit vrai : savoir que tous les morts y sont réunis; quel bien supérieur à celui-là pourrions-nous concevoir, ô juges, par lequel en arrivant dans l'enfer, délivrés de ceux qui parmi nous se donnent pour juges, nous y trouverons les juges véritables, qui passent pour y rendre la justice, Minos, Rhadamanthe, Éaque, Triptolème, et tous les autres demi-dieux qui ont été justes pendant leur vie? cette expatriation est-elle donc à dédaigner? Et puis, quel prix chacun de nous ne mettrait-il pas à s'entretenir avec Orphée, Musée, Hésiode et Homère ? J'ai déjà souvent désiré mourir pour savoir si ces choses sont véritables. Combien ne me semblait pas inappréciable l'intimité que j'y contracterais avec Palamède, avec Ajax, le fils de Télamon, et quiconque entre les ancêtres a péri victime d'une condamnation injuste. Pouvoir comparer mon sort au leur, ne sera pas, à ce qu'il me semble, dépourvu de charme; mais ce qui à mes yeux, a le plus grand prix, sera de pouvoir là, comme ici, étudier et approfondir quels sont, parmi les morts, les véritables sages, et ceux qui croyant l'être, ne le sont pas.» Parmi les nôtres, nous lisons également qu'on doit obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes (Actes des Apôtres, 5, 29). Il est dit aussi : « Ne craignez pas ceux qui peuvent tuer le corps et ne peuvent pas tuer l'âme (Ev. S. Math. 10, 28). » Puis : « Nous devons savoir que si la demeure terrestre de notre séjour vient à se dissoudre, nous tiendrons de Dieu une demeure qui n'est pas construite de la main des hommes et qui demeurera éternellement dans les cieux (2e aux Corinth. 5, 1).» Car en sortant du corps, nous irons habiter dans le Seigneur qui s'est annoncé à tous ceux qui espèrent en lui, pour leur préparer un lieu de repos dans le sein d'Abraham, d'Isaac et de Jacob; pour y être dans la société des justes et des prophètes, parmi les Hébreux que Dieu a chéris, et y jouir d'une vie de félicité, pendant la longue durée de l'éternité. [13,11] CHAPITRE XI. QU'ON DOIT HONORER LA MORT DE CEUX QUI ONT QUITTÉ GLORIEUSEMENT LA VIE (Platon, Rép. liv, 8, p. 462). « Quant à ceux qui meurent à la guerre après s'être illustres par des actions d'éclat, ne dirons-nous pas d'abord qu'ils appartiennent à la race de l'âge d'or? «. Assurément. « N'accorderons-nous pas croyance à Hésiode, lorsqu'il dit que ceux qui sont de cette race, après leur mort, deviennent des Démons chastes, fréquentant les demeures terrestres, généreux, écartant les infortunes, gardiens des hommes à la voix articulée (Hésiode, Oeuvres et jours, p. 126). « Nous n'en douterons pas. « Ayant donc consulté le Dieu sur la manière de rendre les derniers devoirs à ces Démons, à ces êtres divins, et par quelles marques distinctives il faut les honorer, nous les déposerons comme cela nous aura été révélé. « Que différons-nous? « Et dans le temps qui suivra, nous leur rendrons un culte comme à des Démons, et nous vénérerons leurs tombeaux. Nous promulguerons des lois semblables pour les cas pareils, lorsque l'un de ceux qui, pendant leur vie, se sont signalés par leur vertu paiera le dernier tribut, par vieillesse ou autrement. » Ces hommages conviennent parfaitement a décerner, après la mort, à ceux qu'on peut appeler, sans crainte de faillir, les soldats de la véritable religion. C'est de là qu'est venu l'usage de nous réunir auprès de leurs tombes, d'y faire nos prières, d'honorer ces âmes bienheureuses avec la persuasion qu'en agissant ainsi nous accomplissons une bonne œuvre. Nous bornerons là les extraits que nous avons cru devoir faire dans les livres de Platon, auxquels un amateur des belles choses pourrait ajouter encore beaucoup de passages semblables tirés du même auteur et peut-être aussi d'autres écrivains qui sont tout à fait d'accord avec nos dogmes ; mais, comme déjà plusieurs interprètes nous ont prévenus par de semblables rapprochements, il me semble à propos de jeter un coup d'oeil sur leurs travaux en ce genre, et, en premier lieu, je citerai Aristobule, philosophe hébreu, dont les paroles suivent. [13,12] CHAPITRE XII. COMMENT AVANT NOUS ARISTOBULE LE PÉRIPATÉTICIEN A SIGNALÉ LES EMPRUNTS FAITS PAR LES GRECS A LA PHILOSOPHIE DES HÉBREUX. TIRÉ DE L'OUVRAGE D'ARISTOBOLE, DÉDIÉ AU ROI PTOLÉMÉE. « Quant à Platon, il a évidemment suivi les livres de notre loi, car on voit qu'il a étudié chacune des choses qui y sont contenues. Ces livres furent traduits avant que Démétrius de Phalère en prît le soin, avant même le règne d'Alexandre et la domination des Perses, tant pour ce qui a rapport à la sortie d'Egypte, des Hébreux nos concitoyens, à la manifestation des prodiges opérés devant tout ce peuple, à l'occupation par lui du territoire de la Palestine, que pour l'exposition entière de notre loi : d'où l'on voit clairement que le philosophe que je viens de nommer a pris beaucoup de choses de notre loi. C'était d'ailleurs un homme d'une vaste érudition, aussi bien que Pythagore qui a également transporté et fondu dans le corps dogmatique de sa philosophie beaucoup d'emprunts qu'il nous a faits. Quant à la version entière de tous les livres qui composent notre loi, elle a été due à un de vos ancêtres surnommé Philadelphe, qui mettait la plus noble ambition à l'accomplissement de ce travail, qui fut amené à son terme par les soins de Démétrius de Phalère. » Puis, après avoir interposé d'autres phrases, il ajoute : « Nous devons recevoir la parole divine non comme un discours proféré (par des hommes), mais comme si les choses s'opéraient devant nous. C'est pourquoi Moise, dans le livre de la loi, nous retraçant l'engendrement entier de l'univers, ne dit que les paroles de Dieu. Continuellement, en effet, et à chaque création, il répète : « Dieu dit, et la chose fut.» Il me paraît donc évident que Pythagore, Socrate et Platon, qui ont porté un regard investigateur sur toutes ces choses, lorsqu'ils disent qu'ils ont entendu la voix de Dieu, n'ont fait que marcher sur ses traces, en contemplant l'ordre de l'univers, créé par Dieu d'une manière si admirable et conservé par lui indéfiniment. Orphée, dans ses poèmes, et notamment dans celui qui porte le titre d' g-kata g-ton g-Hieron g-Logon (discours sacré), déclare que toutes les choses, après avoir été créées par Dieu, sont gouvernées par sa puissance, attendu qu'il est au-dessus de tout. Voici de quelle manière il s'exprime : « Je vais élever la voix pour ceux qui ont le droit de m'entendre : Fermez les portes profanes en fuyant devant les lois des hommes justes, la loi ayant été donnée par Dieu même pour conduire tous les humains. Pour vous, ô Musée, fils de la lune qui répand la lumière, écoutez-moi : je vous dirai la vérité. Evitez que les opinions que vous aviez conçues auparavant dans votre sein ne vous privent d'une félicité durable. En portant vos regards sur la parole divine, contemplez-la longtemps, en dirigeant vers cet objet toute la substance intelligente de votre âme : entrez donc dans cette bonne voie et considérez le fabricateur de l'univers, seul immortel. Une ancienne tradition nous le fait connaître, il est un, ne tenant son essence que de lui-même, tandis que tout le reste en dépend. C'est lui qui circule dans tous les êtres : il n'est personne dont les yeux charnels puissent le contempler : il n'est vu que par l'intelligence. Auteur de tous les biens accordés aux mortels, il ne produit aucun des maux qui affligent notre espèce : le bienfait et la haine sont ses serviteurs, aussi bien que la guerre, la peste et les douleurs cuisantes, car il n'est point d'autre Dieu que lui. Vous ne sauriez bien voir tout ce que renferme cet univers, si auparavant vous ne voyez son action sur la terre. O mon fils, je vous le montrerai lorsque j'aurai découvert la trace et reconnu la main puissante du Dieu fort. Ce n'est pas lui que je vois, un nuage l'environne et le cache à met regards; il n'y a que les dix tablettes qui le montrent aux hommes. Non, il n'est aucun mortel qui ait vu ce souverain des hommes à la voix articulée, si ce n'est cet unique descendant d'une ancienne tribu de la Chaldée, qui était versé dans la science de la marche, des désastres et du mouvement circulaire qui s'accomplit autour de la terre, toujours égal dans sa rotation autour de son axe. Il modère la course des vents dans le vague de l'air, sur la plaine mobile des ondes : il fait brillera nos yeux l'éclair éblouissant du feu né de sa puissance. Quant à lui, il demeure immobile au plus haut des deux, assis sur un trône d'or ; la terre reste immobile sous ses pieds ; sa droite s'étend jusqu'aux bornes de l'océan ; la base des montagnes est ébranlée profondément lorsqu'il s'irrite; rien ne peut résister à sa force invincible : de la région la plus sublime des cieux, il accomplit toutes choses sur la terre, ayant en lui le commencement, le milieu et la fin. Nous tenons ces révélations des anciens; l'enfant des eaux, Moïse, les a consignées dans la loi écrite sur les deux tables, après avoir reçu de Dieu cette inspiration. Il n'est pas permis de parler d'une autre manière ; je tremble de tous mes membres et dans mon esprit: car il règne d'en haut sur tout l'univers, et y maintient l'ordre. O mon fils, approche-toi de lui par la pensée, et contenant ta langue dans un respectueux silence, conserve dans ton sein cette voix divine. " Aratus parle de même sur le même sujet : « Offrons les prémices de nos chants à Jupiter, dont nous ne pouvons jamais taire la divinité, mortels que nous sommes. Tout est plein de Dieu : les chemins que nous parcourons, les places que nous fréquentons, la mer ainsi que les ports; partout nous tirons profit de Dieu, car nous sommes sa race. Celui-ci, plein de douceur pour les hommes, leur montre ce qui leur est profitable : il éveille les peuples pour les porter au travail, excitant en eux le sentiment du besoin : il leur enseigne quand la glèbe est mûre pour être brisée sous les efforts des bœufs ou des hoyaux, quand les saisons sont favorables pour enterrer les plantes et pour semer les graines. » «Le poète me semble avoir clairement montré que la puissance de Dieu est répandue dans tous les êtres, et nous l'avons surtout inculqué comme cela devait être, en retranchant de ces vers, les noms g-Dia et g-Zehna ( Jupiter), parce que le sens qui s'y rattache est justement renvoyé à Dieu. Nous avons donc rapporté ces citations, comme ne s'éloignant pas sensiblement des démonstrations que nous nous sommes proposé de faire. Il est avoué, en effet, par tous les philosophes, qu'on doit se former des opinions saintes de Dieu. C'est ce que notre philosophie recommande surtout; et notre système de législation est entièrement conçu pour nous faire pratiquer la piété, la justice, la tempérance et les autres vertus dignes de ce nom. » Plus bas, le même auteur dit encore : « Conformément à ce qui vient d'être dit, Dieu après avoir créé le monde, nous donna le septième jour pour notre repos, sachant à combien de maux notre vie, à tous, est exposée. Ce septième jour pourrait être naturellement considéré comme le premier engendrement de la lumière dans lequel l'ensemble des créatures a pu être observé. On pourrait l'entendre métaphoriquement de la sagesse ; attendu que toute lumière procède d'elle. Quelques philosophes de notre secte (les Péripatéticiens) ont dit que la sagesse tenait la place d'un flambeau, qu'en la suivant assidûment, nous passerions, notre vie toute entière sans aucun trouble. Cependant, un de nos ancêtres, Salomon, a dit d'une manière encore plus explicite et plus noble, qu'elle existait avant le ciel et avant la terre : ce qui est tout-à-fait en harmonie avec ce que nous venons de dire. Quant à ce qu'on voit énoncé dans le même livre des Lois, que Dieu se reposa dans ce jour, ou ne doit pas l'entendre, comme quelques-uns se le sont figuré, en supposant que Dieu soit resté inerte; mais dans le sens que Dieu a terminé l'ordre de tout ce qu'il avait créé, pour durer ainsi pendant tout le temps. Le même marque que c'est pendant six jours que Dieu fit le ciel et la terre et tout ce qu'ils renferment, afin de nous montrer les temps, et de nous classer l'ordre dans lequel les choses doivent se succéder : après les avoir ainsi classées, il les conserve dans cet ordre sans y apporter d'altération. Il nous a désigné ce jour comme sacré, étant le signe de la septième faculté qu'il a placée en nous : celle du logos, par lequel nous acquérons la science des choses humaines et divines. Le monde entier est contenu dans les hebdomade (divisions septénaires ), tant pour la génération des animaux que pour la reproduction des plantes; ce qui fait que ce jour a reçu le nom de Sabbat, qui se traduit par repos. Homère et Hésiode en font foi, ayant emprunté à nos livres l'opinion que ce jour est saint. Voici ce qu'en dit Hésiode : "g-Prohton g-heneh g-tertras g-te g-kai g-hebdomeh g-hieron g-hehmar." « D'abord le dernier de la lune, puis le quatrième, enfin le septième, jour sacré. (Hérodote, oeuvres et Jours, v. 770). » Puis : « Au septième jour, nous vîmes reparaître la brillante lumière du soleil. » Homère dit aussi : « Le septième jour revint, jour auguste et saint. » Puis encore : « C'était le septième jour auquel toutes choses furent consommées.» Enfin : « Le septième jour parut, et nous quittâmes les rivages de l'Achéron. ». « Ce dernier vers signifie, qu'en s'éloignant de l'oubli et de la perversité de l'âme, dans le véritable g-hebdomos g-logos, on abandonne les choses que nous venons de dire et qu'on acquiert la science de la vérité, comme nous l'avons déjà exposé. » Linus dit aussi : « A la septième aurore, toutes choses avaient été accomplies.» Puis ensuite : « Le septième jour est dans les jours propices, c'est au septième jour qu'est la naissance : le septième est dans les premiers, et le septième marque la fin. » Enfin : « Tout dans le ciel étoile est renfermé dans le nombre sept : les planètes errantes dans leurs orbites, et la révolution des ans. » Toutes ces citations sont tirées d'Arîstobule, semblables à ce que Clément a dit sur la même matière : vous allez en juger par ce qui suit. [13,13] CHAPITRE XIII CLÉMENT PROUVE ÉGALEMENT PAR DES EXEMPLES QUE CE QU'IL Y A EU DE MIEUX DIT PAR LES GRECS EST TOUT-A-FAIT EN HARMONIE AVEC LES DOGMES HÉBREUX (Tiré du cinquième livre des Stromates de Clément, p. 960) « Il convient d'exposer dans ce qui va suivre, et de donner une preuve encore plus évidente, que la philosophie des Grecs n'est qu'un plagiat de la philosophie barbare. « Les Stoïciens disent que Dieu est un corps et un esprit dans la substance, ce qui est à l'instar de l'âme. Eh bien, vous trouverez ces mêmes choses exprimées dans les écritures. N'allez pas maintenant rechercher les allégories qu'elles cachent, et que la vérité gnostique nous révèle, qui, comme tous habiles athlètes, montrent une attaque et en méditent une autre. » Les mêmes philosophes disent encore que Dieu pénètre toutes les essences. Nous l'appelons créateur, et de plus, créateur par sa parole. Ce qui a pu les égarer, est ce qu'on lit dans la Sagesse (Sagesse, 7, 34): «Il parcourt tout et pénètre dans tout, par sa pureté.» C'est qu'ils ne comprenaient pas que ces expressions ne devaient s'entendre que de la sagesse, principe de création en Dieu. Soit, me répond-on ; mais les philosophes sont unanimes pour ranger la matière parmi les principes des choses, savoir les Stoïciens, Platon, Pythagore, et même Aristote le Péripatéticien, et non pas pour n'en reconnaître qu'un seul. Mais qu'on sache donc que ce qu'ils nomment la matière est une substance dépourvue de qualité et de forme. Et s'il est trop osé de soutenir que Platon nie son existence, n'en parle-t-il pas de la manière la plus mystérieuse, lorsqu'il dit en propres termes dans le Timée, car il savait bien qu'il n'y avait qu'un principe en réalité : (Timée, p. 46) « Que ces questions restent donc ainsi réglées entre nous; ce n'est pas maintenant le lieu de dire s'il nous semble qu'il y ait un ou plusieurs principes de l'ensemble des choses, quand ce ne serait que par cette seule considération, qu'il serait difficile d'expliquer notre opinion, d'après la manière dont nous nous sommes engagés dans cette discussion » ; D'ailleurs, cette phrase du prophète (Genèse, 1,2) :. «La terre était invisible et sans ordre, a pu les induire à croire à une 1ere essence matérielle. Épicure a dû certainement l'idée de faire intervenir le hasard, (g-to g-automaton) comme cause, à ce qu'il a mal compris le sens de ce mot : "Vanité des vanités, tout est vanité" (Ecclésiaste, 1, 2). Si Aristote n'a pas voulu faire descendre l'action providentielle plus bas que la lune, cela tient à ce verset du psaume (Ps. 35, 6) : « Votre miséricorde, Seigneur, réside dans le ciel, et votre vérité s'étend jusqu'aux nuages.» Car avant l'avènement du Seigneur, on n'avait pas découvert le sens mystique des prophéties. Quant aux châtiments après la mort et au supplice du feu, toute la muse poétique, aussi bien que la philosophie hellénique, les ont dérobés à la philosophie barbare. Voici les expressions dont Platon fait usage au dernier livre de la République (l. X, p. 519). « Là on voyait des hommes sauvages, couleur de feu, qui se tenaient dans l'attente du mugissement des flots. Ils conduisirent un à un tous les morts après s'en être saisis, dés qu'ils eurent reconnu Aridée et les autres : ils leur lièrent les pieds et les mains, leur frappant la tête, les écorchant; ils les tirèrent hors du chemin, pour assouplir leurs membres autour des chevalets. » « Ces hommes, couleur de feu, ne peuvent pas avoir une autre signification que celle des anges qui se saisissent des êtres injustes pour les châtier. «Qui a créé, dit le prophète (Ps. 103, 4), les vents pour être ses envoyés, et le feu dévorant pour être l'exécuteur de ses ordres. » De tout ceci il résulte évidemment que l'âme est immortelle ; que ce qui est châtié ou corrigé est doué de sensibilité; qu'il vit, dès qu'il veut et qu'il souffre. Mais quoi! Platon n'a-t il pas reconnu des fleuves de feu, dans les abîmes de la terre qui, dans la langue des barbares, sont appelés Géhenne et que, poétiquement, nous nommons, Tartare, Cocyte, Achéron, Pyriphlégéthon et de tous les autres noms semblables; qu'il montre comme des lieux de supplice, pour nous rendre vertueux par l'enseignement? Sachant, par l'écriture, que les anges des petits et des plus humbles voient Dieu, et de plus, nous montrant la surveillance constante que nos anges gardiens exercent sur nous, il n'hésite pas à écrire «Après que toutes les âmes eurent fait choix de leur future existence, et qu'elle leur eût été assignée, elles se présentèrent, en ordre, devant Lachésis : celle-ci envoya, avec chacun d'eux, le démon qu'elle avait choisi pour leur servir de gardien dans la vie, et d'auxiliaire dans l'accomplissement des destinées qu'elles devaient remplir (Platon, Rép., I, 10).» « Il se pourrait que le démon qui accompagnait Socrate eût une signification secrète de cette espèce» Certainement, les philosophes ayant reçu de Moïse le dogme de la création de l'univers, ils l'ont professé. Aussi, Platon a t-il dit ouvertement : « A-t-il toujours existé, n'ayant jamais eu de principe d'engendrement, ou bien a-t-il dû l'existence à un principe de création auquel il remonte? Est-il visible, tangible, a-t-il un corps (Platon, Timée, p. 526) » De même, lorsqu'il dit : « C'est un travail difficile que de découvrir le créateur et le père de tout cet univers (Ibidem); » non seulement il a donné à comprendre que l'univers avait eu un commencement d'existence, mais même il signifie qu'il est issu de Dieu, comme un fils de son père, lui donnant ce nom, comme du seul préexistant, puisqu'il est sorti du néant. « Les Stoïciens posent de même en principe que le monde a été engendré. Et ce prince des démons que la philosophie barbare proclame sous le nom de Diable, Platon, dans le 10e des Lois (p. 669), en parle, comme d'une âme malfaisante, en ces termes : « N'est-il pas nécessaire de dire qu'il existe une âme qui réside dans tous les corps mis en mouvement, et qui les dirige, à commencer par le ciel même ? « Comment cela ne serait-il pas ? « Est-elle unique, ou en admettrons-nous plusieurs ? « Je répondrai, pour ceux-ci, qu'elles sont plusieurs. Nous en reconnaîtrons deux pour le moins, l'une répandant les bienfaits, tandis que l'autre a le pouvoir de faire tout le contraire.» Voici encore ce qu'il écrit dans le Phèdre : « Il y a encore d'autres maux : tels sont la plupart de ceux auquels un certain démon a mêlé (Phèdre, p. 542) la jouissance rapide de la volupté. » Dans le dixième livre des Lois, il désigne ouvertement cette pensée de l'apôtre : « notre lutte n'est pas contre le sang et contre la chair, mais contre les essences intellectuelles qui sont dans le ciel.» (St. Paul aux Ephésiens, 6, 12) Voici en quels termes : « Puisque nous sommes tombés d'accord que le ciel est rempli de beaucoup de biens et de beaucoup de maux, qui sont en plus grand nombre; la guerre, entre eux, est éternelle, comme nous l'avons dit, et telle qu'elle exige la plus grande vigilance. (Platon, 10e des Lois, p. 675). » La philosophie barbare a également reconnu un monde intellectuel et un monde sensible; l'un est l'archétype, l'autre est l'image de ce beau modèle. Elle attribue le premier à la Monade, comme intellectuel; et le sensible à l'hexade (le nombre six), qui représente le mariage dans les idées des Pythagoriciens, parce que six est un nombre générateur. C'est dans la Monade qu'il a placé le ciel invisible, la terre sainte et la lumière intellectuelle, «Au commencement, dit-il, Dieu fit le ciel et la terre ; la terre était invisible. » Puis il ajoute : « Et Dieu dit que la lumière soit, et la lumière fut.» Dans la cosmogonie sensible il créa le Ciel, firmament ou solide, le firmament soumis à l'action des sens, la terre visible, la lumière qui nous éclaire. Ne vous semble-t-il pas que Platon ait dérobé de là l'idéal des animaux, placé par lui dans le monde intellectuel, et qu'il ait construit les formes sensibles, d'après les genres intellectuels? C'est avec une parfaite raison donc, que Moïse fait pétrir de terre, le corps humain, que Platon nomme une tente terrestre, et qu'il dit que l'âme douée de raison lui a été insufflée, par Dieu, d'en haut, dans le visage. Là, disent-ils, repose la faculté directrice, n'expliquant pas l'entrée de l'âme dans notre premier père, autrement que par l'adjonction des organes des sens. C'est ainsi que l'homme a été créé, d'après l'Image et la ressemblance de Dieu. L'image de Dieu, c'est le Verbe divin, royal, l'homme impassible et l'image de cette image est l'intelligence humaine. Si vous voulez accueillir ce qu'il nomme ressemblance, sous un autre, nom, vous la trouverez indiquée par Moïse, sous l'expression d'être â la suite de Dieu. Car il dit : « Marchez à la suite du Sejgneur, votre Dieu, et observez ses commandements (Deutéron;, 13, 4). » Les suivants sont, je crois, les serviteurs de Dieu, tous, pleins de vertus. C'est de là que les Stoïciens ont pris l'usage de dire que le but de la philosophie est de vivre d'accord avec la nature ; et Platon, de vivre à la ressemblance de Dieu; comme nous l'avons déjà établi dans le second livre des Stromates. Zénon, le Stoïcien, tenait de Platon, comme ce dernier de la philosophie barbare, de dire qu'il n'y avait que les hommes vertueux qui pussent être de véritables amis. En effet, Socrate dit dans le Phèdre, qu'il est contre le destin qu'un méchant soit ami d'un méchant, ou qu'un homme vertueux ne le soit pas d'un autre homme vertueux (Platon, Phèdre, 348), ce qu'il a complètement démontré dans le dialogue du Lysis (Platon, Lysis, p. 110) : savoir, qu'une amitié véritable ne saurait se conserver au milieu de l'injustice et de la perversité. Et l'Étranger, Athénien, dit également, que c'est une action chérie de Dieu et qui se règle sur ses traces, qui, de plus, a pour elle un ancien proverbe ; que l'homme semblable, est ami de son semblable dans les limites d'une conduite modeste ; mais que les êtres, manquant de modération, ne sauraient se lier d'amitié, ni avec ceux qui sont immodérés, ni avec ceux qui sont le contraire ; en sorte que Dieu doit être pour nous la mesure de toutes choses (Platon, 4e des Lois, p. 601). Puis, après d'autres réflexions, Platon ajoute : «Tout homme bon est semblable à quiconque est bon. Et, sous ce rapport, il ressemble à Dieu, et celui qui aime tout ce qui est bon, aime nécessairement Dieu. » Puisque nous en sommes venus à.ce point, faisons encore mention de ce philosophe. A la fin du Timée, il dit que l'on doit rapprocher, le plus possible, la conception de l'objet conçu, suivant sa nature ancienne, et lorsqu'il aura établi cette ressemblance, il aura atteint le but proposé aux hommes par les Dieux, celui de la vie la plus parfaite, aussi bien pour le temps présent que pour celui à venir. (Platon, Timée, p. 852).» Et, après quelques paroles, Clément continue (Clément, Stromates, 5, p. 705) : « Nous sommes tous frères, comme fils d'un seul Dieu, élèves d'un seul maître. C'est ce que Platon semble insinuer, très-bien, en ces termes : « Vous êtes tous frères, en tant qu'habitant une même cité (Platon, 3 de la Rép. p. 443) leur dirons-nous, en continuant notre fable; mais Dieu en moulant son ouvrage, a su mêler l'or dans l'engendrement de ceux d'entre nous qui sont propres â gouverner; ce qui fait qu'ils sont les plus précieux : viennent ensuite les auxiliaires auxquels il a mêlé l'argent : le fer et l'airain ont été employés pour les laboureurs et les autres artisans.» D'où ce philosophe tire la conséquence que les uns doivent chérir et adopter les études qui tiennent de la science ; les autres celles qui appartiennent à l'opinion, car il est nécessaire qu'il ait prophétisé une nature exquise, avide de science; à moins qu'on ne dise, comme quelques interprètes l'ont supposé, qu'ayant admis trois natures, il a décrit trois formes de gouvernement : celle des Juifs, d'argent; celle des Grecs, la troisième; celle des chrétiens, dans laquelle l'or royal (l'Esprit saint) se trouve mêlé. Car il décrit, en quelque sorte, mot pour mot, la vie des chrétiens dans le Théaetète. (Platon, Théétète, p. 127). « Parlons donc des plus éminents. Qui voudrait, en effet, s'entretenir de ceux qui se traînent honteusement dans la philosophie? Ceux dont je parle ignorent le chemin qui mène à la place publique, aux tribunaux, au sénat, ou à tout autre lieu de réunion publique d'administration : ils ne voient et n'entendent ni les lois ni les décrets, soit qu'on les proclame ou qu'on les affiche. Les brigues des factions dans l'élection des magistrats, les conciliabules, les banquets, les divertissements où l'on introduit les joueuses de flûte, sont autant de choses qui ne leur apparaissent même pas en songe. Les événements heureux où malheureux arrivés à l'Etat, les adversités qu'il a éprouvées du temps de nos ancêtres, c'est ce qu'il ignore plus complètement que ce qu'on nomme les Choês de la mer : il ne se rend pas même compte de son ignorance à cet égard; c'est que, dans la réalité, il n'y a de présent et d'habitant dans la ville que son corps : son esprit voltige de tout côté, suivant l'expression de Pindare, au-dessus de la terre, étudiant le cours des astres qui brillent dans le ciel, et interrogeant, partout, toute la nature. » « Aussi, on peut mettre en parallèle ces paroles du Seigneur : « Que votre discours soit oui et oui, non et non (St. matthieu, 5, 37 ; Ep. de S. Jacques, 5, 12), » avec ce qui suit, «Quant à moi, le mensonge ne peut m'être permis, non.plus que de dissimuler la vérité (Platon, Théétète, p. 151), » « Le passage suivant, tiré du onzième livre des Lois, est parfaitement en harmonie avec la prohibition du jurement: « Que la louange et le jurement soient à jamais écartés (Platon, 11e des Lois, p. 376 et 677). » Et, en général, Pythagore, Socrate et Platon, lorsqu'ils disent avoir entendu la voix de Dieu, lorsqu'ils considèrent la construction de l'univers, si habilement combinée et si perpétuellement conservée par Dieu, ont prêté l'oreille à ces paroles de Moyse : « Il dit et cela fut fait, » qui nous révèlent que Dieu fait par l'entremise de son Verbe. Ces philosophes savaient aussi que l'homme a été pétri de la terre, car ils ne cessent de nommer terrestre notre corps. Homère même ne craint pas d'employer ce langage sous forme d'invective : « Mais, vous tous, redevenez eau et terre (Iliad, H, 97). » C'est ce qu'lsaïe a dit : « Et vous les foulerez aux pieds comme de la boue (Isaïe, X, 6). » Et ce que Callimaque a décrit clairement : « C'était l'année même, où jadis les oiseaux, les habitants de la mer et les quadrupèdes parlaient comme l'argile de Prométhée.» Puis encore le même : « Si, en effet, dit-il, Prométhée t'a façonné et que tu ne sois pas sorti d'une autre argile » Hésiode, au sujet de Pandore, dit : « Il ordonna à Vulcain, remarquable par son adresse, de pétrir au plus vite de la terre avec l'eau, de lui donner la voix d'un homme et son intelligence. (Hésiode, Oeuvres et Jours, v. 60) » « Les Stoïciens définissent la nature un feu artiste qui marche vers l'engendrement. Le feu et la lumière sont les expressions allégoriques dont se sert l'écriture pour désigner Dieu ou son Verbe. « Mais quoi ! est-ce qu'Homère, en paraphrasant la division de la terre et de l'eau, ne fait pas apparaître clairement à nos yeux la découverte de l'Aride de l'écriture. Voici comme il en parle sous les noms de Téthys et de l'Océan : « Il y a déjà un longtemps qu'ils ont fait divorce de couche et d'embrassements entre eux (Homère, Iliade, X, v 206).» En outre, les plus judicieux de tous les Grecs rattachent à la divinité la puissance universelle. Epicharme, qui au reste était Pythagoricien, dît : « Rien n'échappe à la divinité. Voilà ce que vous devez savoir. Dieu est lui-même notre surveillant, et rien ne se soustrait à sa puissance.» Le lyrique dit ce qu'il est au pouvoir de Dieu de tirer la lumière sans tache de la nuit sombre, et de couvrir l'astre brillant du jour des ténèbres les plus profondes. » Le seul, en effet, qui puisse faire arriver la nuit lorsque le soleil brille, dit-il, c'est Dieu. » Aratus, dans le poème intitulé Phénomènes, dit : « Commençons par Jupiter, dont nous ne tairons jamais la mémoire tant que nous serons parmi les hommes. Toutes les routes qu'ils parcourent sont remplies de ce Dieu : toutes les places qu'ils fréquentent, en sont également pleines, aussi bien que la mer et les lacs. Tous, nous avons besoin de Jupiter, en, toutes circonstances. » Il ajoute : « Car nous sommes sa race, c'est-à-dire sa créature. Il est plein de bienveillance pour les hommes et leur annonce par des signes ce qui doit leur profiter. C'est lui qui a fixé dans les cieux ces brillants signaux, en séparant les étoiles : il a partagé l'année entre les diverses constellations, afin de prédire aux hommes ce qui leur était le plus utile à faire, suivant les différentes saisons; de manière à assurer à jamais leur succession. C'est la raison pour laquelle ils l'implorent le premier et le dernier. Je vous salue, ô Père, ô prodige infini, ô grand appui de la race humaine (Début du poème). » Déjà, avant lui, Homère, dans la description du bouclier fait par Vulcain, a chanté la création du monde d'après Moïse : « Il y a représenté la terre, le ciel et la mer, dit-il ; il y a placé tous les prodiges que le ciel enferme (Hom., Iliad., X, v 483). » « En effet, ce Jupiter, chanté dans les poèmes et dans les ouvrages en prose, rappelle l'intelligence qui est en Dieu. Déjà Démocrite le remet, pour ainsi dire, sous nos yeux, lorsqu'il dit qu'il y a très peu d'hommes qui dirigent leurs mains vers ce lieu que, nous autres Grecs nous nommons Air, et que toute la fable appelle Jupiter; car il sait tout, il donne et ôte, il est le roi de l'univers. « Le Béotien Pindare l'a exprimé d'une manière plus mystérieuse, en qualité de Pythagoricien : ce il n'y a qu'une race des Dieux et des hommes : l'une et l'autre tire l'existence d'une même mère (Némé, VI, v. 1). » C'est la matière qu'il entend: Puis il déclare qu'il n'y a qu'un seul artisan de toutes ces choses, qu'il nomme g-aristotechna, le père, l'ouvrier le plus habile, qui admet au sein de la divinité, suivant l'ordre de leur mérite, les progrès en bien que nous faisons. « Je passe Platon sous silence, qui sans y mettre de dissimulation, dans la lettre à Eraste et à Corisque (Ve lettre de Platon), nomme le père et le fils, ayant, je ne sais comment, tiré cela des voix hébraïques, nous recommandant dans les mêmes termes, invoquant par serment avec un zèle qui n'est point sans inspiration et avec une doctrine qu'accompagne le zèle, « Dieu cause de tout ce qui existe, le Père et Seigneur du chef et de la cause que vous connaîtrez infailliblement, si vous vous adonnez sincèrement à la philosophie. » « Ce discours, qu'il attribue à Dieu, est contenu dans le Timée (Platon, Timée, p. 530) où il se nommé Père et créateur, G-dehmiourgos, à peu près en ces termes : « Dieux des dieux dont je suis le père et dont je produis toutes les œuvres. » De même quand il dit : « Toutes choses dépendent du roi universel, tout existe à cause de lui, il est le principe de tout ce qu'il y'a de beau (dans les premières) ; les secondes se rapportent au second, les troisièmes au troisième (Plat., lettre à Denys, p. 707). » « Je ne saurais le comprendre autrement que de la sainte Trinité. Ce qu'il désigne par le troisième, c'est le Saint-Esprit ; par le second, c'est le Fils, par qui tout a été créé, suivant la volonté du Père. « Le même, dans le dixième livre de la République, mentionne Her, fils d'Arménius, Pamphylien d'origine, qui n'est autre que Zoroastre, car celui-ci a écrit (Platon, Rép. l. X, p. 513) : « Voici ce que Zoroastre, fils d'Arménius, Pamphylien de naissance, a composé, après être mort, sur toutes les choses qu'il a apprises des Dieux, lorsqu'il était dans les enfers. » Or, Platon dit donc que ce Zoroastre, ayant été placé sur un bûcher, le douzième jour était revenu à la vie. Peut-être n'est-ce pas la résurrection qu'il a voulu indiquer; mais il a voulu faire allusion au chemin des âmes, parcourant les douze signes du zodiaque pour parvenir à l'analepse (la reprise de la vie) ; car ce même philosophe a professé que c'est par ce même retour, que les âmes reviennent a l'engendrement. C'est également le sens qu'on doit attribuer aux douze travaux d'Hercule, après lesquels l'âme obtient d'être délivrée de cet univers terrestre. « Je ne passerai pas non plus, sans le citer, Empédocle. Ce physicien fait mémoire de l'analepse universelle, c'est-à-dire du changement qui doit advenir, un jour, dans la substance du feu. Héraclite d'Éphèse a professé cette doctrine avec plus de clarté encore, admettant comme démontré qu'il y a un univers éternel, puis un autre univers qui se détruit, quant à sa disposition organique ; mais qui n'est pas différent, comme il le reconnaît, de celui qui y succède. A l'égard de l'éternité d'un univers quelconque, formé éternellement de l'ensemble de toute substance, il l'établit clairement par ces paroles : « Cet univers, formé de la réunion de toutes les substances, n'a été créé par aucun des dieux ni par aucun des hommes : il a été, il est, il sera : c'est un feu toujours vivant qui s'allume successivement et s'éteint de même, » « Quant à la doctrine de la production et de la destruction de l'univers, voici de quelle manière il l'enseigne : « Les altérations du feu sont d'abord la mer, puis la moitié de la mer devient terre, et la moitié de la terre devient la vapeur ignée. » « Il dit donc que le feu, par sa puissance, c'est-à-dire par celle que lui a communiqué le Verbe Dieu, qui a mis toutes choses en ordre, le feu, dis-je, se transforme en eau qui est comme le germe de l'arrangement de l'univers; c'est ce qu'il nomme mer. De là viennent ensuite le ciel, la terre et tout ce qu'ils contiennent. Comment ensuite ces mêmes substances se revivifient-elles et se consument-elles ? Il nous l'explique clairement en disant : « La mer se répand et se retire d'après les mêmes lois, d'après lesquelles elle existait avant que la terre fut; il en est de même des autres éléments. » Les plus éclairés, parmi les Stoïciens, ont des doctrines a peu près semblables à celles de ce philosophe, traitant de la construction, de l'ordre de l'univers, de la qualité qui caractérise l'univers et l'homme, de la durée persistante de nos âmes. En revenant, à Platon, il nomme, dans le septième livre de la République (Platon, Septième livre de la République, page 465), le jour dont nous jouissons un jour de nuit, apparemment par allusion aux esprits de ténèbres qui commandent dans le monde, que saint Paul nomme g-Kosmokratores. De même qu'Héraclite, il déclare que la mort n'est qu'un sommeil qui est la descente de l'âme dans le corps. « Est-ce que l'Esprit saint n'a pas prophétisé les mêmes pensées en parlant du Sauveur, lorsqu'il fait dire à David : « Je me suis assoupi et j'ai sommeillé. Je me suis réveillé parce que le Seigneur prendra ma défense (Psaume 3, 6). » Il n'emploie pas le sommeil simplement comme une allégorie de la résurrection du Christ notre Sauveur, en disant qu'il s'est éveillé de son sommeil; mais aussi comme une allusion â sa descente dans la chair. Aussi notre Sauveur lui-même nous exhorte à nous réveiller comme s'il disait : Méditez sérieusement sur la vie, et efforcez-vous de détacher votre âme du corps. « Platon prophétise aussi sur le jour du Seigneur, dans le dixième livre de la République, en ces termes : « Après que sept jours se furent écoulés pour chacun de ceux qui étaient dans la prairie, s'étant levés, ils durent partir le huitième jour, et arriver après quatre autres jours {Platon, 10e de la Républ., p. 519). » Par la prairie, on doit entendre la sphère immobile, comme un lieu plein de douceurs et d'agréments : c'est le séjour des êtres pieux. Les sept jours indiquent chacune des rotations des sept planètes, et toute l'activité artistique qui tend vers le repos, comme vers son terme. Sa direction, après avoir traversé les sphères errantes, mène au ciel : c'est le huitième mouvement et le huitième jour. » « Il dit que les âmes arrivées le quatrième jour, ce qui signifie la marche des quatre éléments. Ce ne sont donc pas les seuls Hébreux qui reconnaissent (la sainteté du) septième jour ; les Grecs eux-mêmes l'ont connue, en ce que c'est pendant cette période, que tout l'univers des animaux et des plantes achève son cours. Hésiode le déclare en parlant ainsi : D'abord la première, puis la quatrième, enfin la septième journée : jour sacré. » « Puis au septième jour,revint la lumière brillante du soleil.» « Homère : Ensuite vint le septième jour : jour sacré ; puis : Le septième était sacré. » Encore : « C'était le septième jour, et tout avait été consommé, » « De nouveau, à la septième aurore, nous quittâmes le fleuve de l'Achéron. » « Callimaque le poète, l'a également célébré : « C'était le septième jour, et tout avait été terminé. » « Le même : « Le septième jour compte parmi les jours de bonheur, et c'est la septième génération. La septième dans les premiers, et la septième est la fin. » « Toutes choses dans le ciel étoilé, ont été faites par sept, comme on le voit dans les globes, qui par leur cours remplissent l'année. » « Les élégies de Solon, divinisent en quelque sorte le nombre sept. » « Mais quoi! n'est-ce pas d'accord avec l'Écriture qui dit : Expulsons le juste du milieu de nous, car il nous est à charge, que Platon a pour ainsi dire prophétisé l'économie de notre salut, dans le deuxième livra de la République, lorsqu'il dit : Le juste ainsi classé, sera flagellé, enchaîné : on lui arrachera les yeux, enfin, on lui fera subir toutes les tortures, on l'attachera au gibet (Platon, Rép., Liv 2, p. 423). » « Antisthène, le disciple de Socrate, paraphrase l'écriture des prophètes : A qui me comparez-vous, dit le Seigneur (Isaïe, 40, 12) ? lorsqu'il dit : « On ne peut comparer Dieu à qui que ce soit, c'est pourquoi personne ne peut s'en faire une idée d'après les images.» Xénophon l'Athénien dit les mêmes choses en propres termes : « Celui qui ébranle et met en mouvement cet univers, nous fait bien voir à quel point il est grand et puissant; mais il dissimule à nos regards sa forme et sa figure. Le soleil même qui semble toute lumière (g-pamphaehs), ne nous permet pas de le fixer; et quiconque serait assez audacieux pour le faire, serait bientôt frappé de cécité.» «Quelle chair peut voir avec ses yeux le Dieu céleste, véritable et immortel, qui habite l'empyrée ? mais elle ne peut pas même soutenir l'éclat des rayons du soleil » a dit la Sibylle. Xénophane de Colophon a donc eu raison en professant la doctrine que Dieu est un et incorporel : ce à quoi il ajoute : « Il y a un Dieu suprême au-dessus des Dieux et des hommes, dont le corps n'a aucune ressemblance avec les corps mortels, non plus que l'intelligence. » « Puis ensuite : « Mais les mortels croient que les Dieux sont engendrés, qu'ils ont un corps, une voix, et des vêtements. (Sensation, Théodoret) semblables aux nôtres» « Et encore : « Mais si les boeufs ou les lions eussent eu des mains qui leur permissent de peindre des figures et d'exécuter les mêmes travaux que les hommes, les chevaux eussent peint les Dieux sous des formes semblables aux leurs, les bœufs en eussent fait autant, leur donnant un corps en tout semblable à celui qu'ils tiennent de la nature. » « Écoutons maintenant Bacchylide le lyrique, parlant de la divinité : « Ceux ci sont exempts des maladies qui enchaînent notre existence : exempts de fautes, ils n'ont rien de commun avec les hommes.» Écoutez encore ce qu'on lit sur Dieu dans un poème de Cléanthe le Stoïcien : « Vous me demandez ce qu'est le Bien suprême, prêtez-moi attention. C'est un être ordonné, juste, saint, pieux, maître de soi, utile, beau, dans le devoir, austère, sans dissimulation, toujours rendant service, sans crainte et sans douleur, obligeant, écartant les chagrins, utile, sûr, amical, plein d'honneur, cherchant à plaire, ouvert, généreux, sans faste, soigneux, doux, empressé, patient, sans reproche et persévérant. » « Le même philosophe accusant, d'une manière détournée, l'idolâtrie de la multitude, ajoute : « Tout homme vulgaire se laisse conduire par l'opinion, dans l'espoir d'obtenir quelque avantage de cette puissance. » Ce n'est cependant pas d'après l'opinion que la masse avait de la divinité que le poète s'exprime, lorsqu'il dit : « Je ne puis croire qu'imitant furtivement les manières des hommes pervers, Jupiter se soit introduit dans ton lit sous une apparence humaine. » C'est Amphion qui parle de la sorte à Antiope. Quant à Sophocle, il retrace ce fait sans employer de mystère ; « Jupiter épousa la mère de celui-ci sans se changer en or, sans se couvrir du duvet d'un cygne, comme il le fit lorsqu'il s'approcha de la vierge de Pleuron : il se montra comme un pur homme, » Ensuite il ajoute : «L'adultère escalada rapidement les degrés de la chambre de la jeune infidèle. » Il retrace d'une manière encore plus flagrante l'incontinence de Jupiter et de la fable, en racontant ce qui suit : « Celui-ci, sans avoir pris part au banquet, sans avoir plongé ses mains dans l'onde purifiante, se rendit, avec un cœur aiguillonné par la passion, près du lit, sur lequel il reposa pendant la nuit toute entière.» Mais laissons ces détails aux folles peintures du théâtre. Héraclite dit que les hommes sont toujours indociles aux leçons du devoir, tant avant de les entendre qu'après les avoir entendues. Melanippide le lyrique, chante : O Père, prêtez l'oreille à mes prières, vous l'admiration des mortels, et prenez soin de l'âme toujours vivante. » « Le grand Parménide, comme le nomme Platon dans le Sophiste, écrit en ces termes sur la divinité : « De même qu'il n'a point commencé d'être, il ne peut périr; il est indivisible, unigène, inébranlable et incréé.» «Mais Hésiode : «Vous êtes, dit-il, le roi et le souverain des immortels, aucune puissance ne peut se mesurer avec vous. » « Quoi ! la tragédie elle-même, nous arrachant au culte des idoles, nous apprend à diriger nos regards vers le ciel. En effet, Sophocle, au rapport d'Hécatée qui a recueilli des récits historiques, dans son livre sur Abraham et les Égyptiens, s'écrie à haute voix sur la scène : « Oui, dans la vérité, il est un seul Dieu qui a fait le ciel et la terre immense, l'étendue de la mer bleuâtre, et la violence des vents. Mortels que nous sommes, dans une profonde erreur de notre cœur, nous consacrons, avec l'espoir d'éloigner de nous les infortunes, des statues de pierre ou de bronze, aux Dieux : nous en formons des images d'or ou d'ivoire : nous leur immolons des victimes : nous célébrons, en leur honneur, des solennités pompeuses, et nous croyons ainsi remplir les devoirs de la piété.» « Euripide, sur la scène tragique, dit également : «Vous voyez cet éther immense, suspendu au-dessus de nos têtes, qui retient de toute part la terre dans ses bras humides: pensez que c'est Jupiter, et adorez-le comme Dieu. » « Dans la pièce de Pirithoûs; le même poète : « Vous qui tenez votre existence de vous-même, qui embrassez la nature entière dans votre orbite; autour duquel la lumière éclatante et la nuit sombre règnent tour-à-tour, que la foule innombrable des étoiles environne par des danses qui n'ont point de fin.» « Dans ces vers le poète a nommé g-autophueh (son propre auteur), l'intelligence créatrice : il applique à l'univers ce qui suit : « dans lequel les alternatives de jour et de nuit contrastent entre elles. » Le fils d'Euphorion, Eschyle, a dit : « Jupiter est l'éther, Jupiter est la terre, Jupiter est le ciel, Jupiter est toutes choses, et tout ce qui peut exister par-dessus.» « Je sais que Platon rendit hommage à Héraclite, lorsque celui-ci écrivait : il y a un sage; il n'a pas voulu dire qu'il était seul, et nomme Jupiter. Puis encore « La loi veut que nous obéissions à la volonté d'un seul. » Que si vous voulez tirer des inductions de cette sentence : que celui qui a des oreilles pour entendre, entende; vous en trouverez le développement dans l'éphésien (Héraclite), « Les insensés, en écoutant, ressemblent à des sourds, et leur langage décèle qu'en présence, ils sont absents, » Voulez-vous apprendre clairement, des Grecs, qu'il n'y a qu'un principe? Écoutez Timée de Locre, dans son traité de physique. Il vous rendra ce témoignage en propres termes. « Il n'y a qu'un principe de toutes choses qui n'a point été engendré. Car s'il eût eu un commencement d'existence, il ne serait pas principe; mais ce seraient les choses dont il tire son être, qui seraient principes. » C'est d'où découle cette maxime incontestable « Écoutez, ô Israël : Le Seigneur votre Dieu est unique, et vous n'adorerez que lui seul (Deutér., VI, 4).» Et comme le répète la Sibylle : «Son existence apparaît à tous les yeux, de manière à ne pas induire en erreur. » Xénocrate de Chalcédoine, en nommant Jupiter le suprême et l'extrême g-ton g-men g-hypaton, g-ton g-de g-neaton, donne une idée du père et du fils. Et ce qui est encore plus étonnant, c'est qu'Homère, qui a donné aux Dieux les passions des homme, et que, par ce motif, Épicure trouve indigne de respect, semble cependant connaître ce qu'est la divinité, lorsqu'il dit : « Pourquoi, ô fils de Pelée, aux pieds légers, me poursuis-tu, toi qui n'es qu'un mortel; lorsque je suis un Dieu immortel? Tu n'as donc pas encore reconnu que je suis un Dieu (Iliade, X, 3). » Il a indiqué par ces vers, que la divinité n'est pas saisissable aux mortels; qu'ils ne peuvent l'atteindre, ni des pieds, ni des mains, ni des yeux, ni d'aucune partie du corps, « A qui assimilerez-vous le Seigneur, à quelle ressemblance le comparerez-vous? dit l'Écriture. Est-ce que le sculpteur en bois, le fondeur d'or ou le doreur, a pu retracer son image ? et tout ce qui vient à la suite (Isaïe, 40, 12)? Épicharme, le comique, a parlé clairement du Verbe, dans la pièce de la République, en ces termes : « La vie humaine a surtout besoin de raisonnement et de nombre: nous vivons par le nombre et le raisonnement. Voilà ce qui conserve les mortels. » « Il ajoute ouvertement : « La parole (g-logos) gouverne les hommes et, jusqu'à un certain point, est leur sauveur. Le raisonnement dans l'homme ne vient que de Dieu, La parole est née avec l'homme, pour le conduire dans les traverses de la vie, dans la découverte des jours. C'est la parole divine qu'on suit ; elle nous enseigne ce qu'il est utile que nous fassions ; car l'homme n'aurait jamais fait aucune découverte, si Dieu ne l'y eut conduit. Ainsi la raison humaine n'est qu'une émanation de la raison divine.» N'entendons-nous pas l'Esprit-Saint, crier dans Isaïe : « A quoi me sert cette multitude de victimes, dit le Seigneur. Je suis rempli d'holocaustes: la graisse des agneaux, le sang des taureaux, ne me sont point agréables» (Isaïe, 1, 11). Puis après quelques lignes, il ajoute : «Lavez-vous, purifiez-vous, bannisses les iniquités de votre cœur (Isaïe, 1, 16).» « Eh bien, Ménandre le comique écrit en propres mots : « Si quelqu'un, ô Pamphile, offrant en sacrifice des quantités de taureaux, de chevreaux, ou d'autres victimes semblables, par Jupiter, ou en décorant les temples d'offrandes magnifiques, soit manteaux d'or ou de pourpre, soit des représentations d'animaux en ivoire ou en émeraude, croit en cela se rendre Dieu propice, il s'abuse et décèle la frivolité de son esprit. L'homme doit avant tout faire voir qu'il est vertueux, qu'il respecte la pureté des vierges, la vertu conjugale des épouses, qu'il ne se livre, pour s'enrichir, ni aux fraudes secrètes, ni aux actes d'une violence meurtrière. Ne désirez pas même, ô Pamphile, une aiguillée de fil qui ne vous appartienne pas; car Dieu vous voit et se tient prés de vous. » « Je suis un Dieu proche et non un Dieu éloigné. L'homme fera-t-il quelque chose dans le secret, sans que je le voie? » Voilà ce qu'il dit par la bouche de Jérémie (Jérem., 23, 24). «Ménandre paraphrase l'Écriture, lorsqu'elle dît : « Immolez un sacrifice, de justice et espérez dans le Seigneur (Ps., 4, 66), dans les vers suivants : « Ne désirez pas une aiguille à un étranger; car Dieu se complaît aux oeuvres de justice et non pas à celles qui sont injustes. Que ce soit par le travail que vous éleviez votre fortune, en labourant la terre, jour et nuit. Continuez votre sacrifice en toute confiance, étant juste et orné de la pureté de l'âme, comme d'une robe éclatante. Si vous entendez le tonnerre, ne fuyez point, puisque votre conscience ne vous fait nul reproche, ô mon maître, car Dieu vous voit et se tient près de vous.» «Lorsque vous parlerez encore, dit l'Écriture, je vous dirai me voici (Isaïe, 52, 6). » « Diphile le comique a dialogué, à peu près ainsi, la doctrine du jugement. « Pensez-vous, ô Nicérate, que ceux des morts qui, pendant leur vie, ont goûté toute espèce de délices, échappent à la divinité sans en être connus? Il est un œil de la justice qui voit toutes choses : aussi, pensons-nous que deux chemins mènent au séjour des morts, l'un, celui des justes, l'autre, celui des impies. Lorsqu'on est mort, disent-ils, la même terre les couvre tous deux de son obscurité. Enlevez donc, dérobez, dépouillez, mettez tout sens dessus dessous. Ne vous laissez pas égarer : il y a un jugement dans l'enfer qui sera rendu par Dieu, souverain de l'univers, dont le nom nous glace d'effroi; encore que je ne le nomme pas. Il rendra à chacun des pécheurs, après la durée de leur vie, suivant leur mérite. » « Si quelqu'un des mortels croit qu'en commettant journellement le mal, il échappera à la connaissance des Dieux, il a une très fausse manière de penser ; mais il sera trompé dans son attente, lorsque la justice, usant de loisir, viendra le surprendre. Voyez, vous tous qui croyez qu'il n'y a pas de Dieu : il y en a un, certes, il y en a un. Et si l'on fait le mal, étant né avec une inclination vicieuse : qu'on mette le temps à profit; car, avec le temps, le coupable subira la peine de ses crimes. La tragédie est d'accord avec la muse comique pour nous enseigner les mêmes choses, « Il y aura un temps dans les siècles, où l'éther, à l'œil d'or, laissera échapper les trésors de feu dont il est rempli; la flamme, dévorant toutes les substances terrestres et célestes, exercera avec rage son action destructive. » Puis il ajoute : « Lorsque tout aura disparu, on cherchera en vain l'abîme profond des flots : la terre, dépouillée de sa parure et desséchée par le feu, ne fera plus germer le feuillage agité par le vent ; mais, ensuite, il ranimera tout ce qu'il avait détruit auparavant. » On lit des choses semblables, dans les poèmes orphiques, écrites ainsi qu'il suit : « Après les avoir tous cachés, il les ramènera ensuite à l'éclat du jour qui réjouit les peuples, les tirant de son cœur sacré, faisant des choses prodigieuses. » « Si nous vivons pieusement et pratiquant la justice, nous serons heureux ici-bas et plus heureux encore après avoir quitté la terre; notre bonheur n'étant plus borné par le temps, mais se réglant par l'éternité. « Le poète philosophe, Empédocle, nous dit : « Admis au foyer des autres immortels, admis à leur banquet, ils seront exempts des tourments qui affligent l'humanité, n'étant plus soumis à la mort ni aux souffrances. » Personne, suivant les Grecs, ne sera assez grand pour échapper à la justice ni assez petit pour échapper à ses regards. Orphée dit les mêmes choses. « En portant vos regards vers le Verbe divin, attachez-vous à lui, en rectifiant la faculté intellectuelle de votre âme : suivez exactement ce sentier, ne fixez uniquement que le roi immortel. » « Ensuite, en parlant de Dieu qu'il reconnaît invisible, il ajoute qu'il n'a été connu que par un seul homme, Chaldéen d'origine (soit qu'il veuille désigner par ces vers Abraham, ou son fils). «Si ce n'est par un rejeton unique de la tribu des Chaldéens, versé dans la science de la marche du soleil et sachant comment son mouvement circulaire s'accomplit autour de la terre, qui est son centre, d'une manière toujours égale : c'est lui qui maîtrise les vents dans l'air et sur l'onde; » « Ensuite, paraphrasant en quelque sorte cette parole : « le ciel est mon trône, la terre mon marchepied (Isaïe, 66, 1), » Il continue: « Pour lui, il est immuablement fixé dans le ciel immense, sur un trône d'or : la terre est placée sous ses pieds : il étend sa droite jusqu'aux bornes de l'océan : la base des montagnes est ébranlée jusqu'au centre, par l'impulsion de sa colère : elle ne peut résister à sa force invincible : tout entier dans le ciel, rien ne se fait sur la terre que par lui : il réunit à la fois le commencement, le milieu et la fin. Cependant il m'est interdit de vous le faire connaître. Mes membres éprouvent au mouvement convulsif, né de mon esprit ; car Dieu règne du sommet des cieux. » Et ce qui suit « Il a développé dans ces vers les expressions du prophète : « Si vous ouvrez votre ciel, je suis saisi de tremblement : devant vous les montagnes entrent en fusion : elles coulent comme la cire en votre présence (Psaume 36, 5). » Puis encore, Isaïe a dit ; « Qui a mesuré le ciel par la paume de sa main et toute la terre par son poing (Isaïe, 40, 12)? » « Voici comment Orphée rend cette même idée : « Maître suprême de l'éther, de l'enfer, de la mer et de la terre, vous qui ébranlez par vos coups de tonnerre la demeure solide de l'Olympe ; vous que les démons redoutent; que craint la troupe des Dieux; à qui les Parques obéissent malgré leur insensibilité invincible : père et mère (g-mehtropatohr) par la colère duquel tout est mis en commotion ; c'est vous qui agitez les vents; qui couvrez de nuages toute la scène du monde, déchirant le vaste sein de l'air par le sillonnement de vos éclairs. Les astres vous doivent l'ordre qui les régit : vos infatigables envoyés environnent votre trône de feu. Ce sont eux qui ont le soin de régler tout ce qui s'exécute parmi les mortels : par vous le printemps brille d'un éclat nouveau, au milieu des fleurs purpurines : par vous l'hiver courre de ses nuages glacés les contrées où naguère Bromios distribuait aux bacchantes les fruits qu'il avait recueillis. » « Il ajoute encore, donnant à Dieu, en propres termes, le nom de Pantocrator, l'incorruptible, l'éternel, celui dont le nom ne peut être proféré que par les seuls immortels : Venez, ô le plus grand des dieux, avec votre nécessité invincible; montrez-vous terrible, insurmontable, grand, impérissable, couronné par l'éther. » « Par le terme de Métropator, il ne désigne pas seulement la création de rien, mais il fournit encore les premiers rudiments de l'opinion de ceux qui veulent trouver en Dieu la notion conjugale. « Voici encore une paraphrase des écritures prophétiques tirée tant d'Osée (Amos, 4, 16): "Me voici, c'est moi qui forge la foudre, qui crée le souffle des vents, dont les mains ont fondé toute la milice céleste, » que des paroles de Moïse: «Voyez, voyez, je suis celui qui est, et il n'est pas un autre Dieu que moi. Je tuerai et je ferai vivre ; je frapperai et je guérirai. Il n'est personne qui puisse vous arracher de mes mains (Deutéronom, 32, 39). » « C'est lui qui fait naître le mal du bien pour les mortels, et leur envoie la guerre qui répand l'effroi » C'est ainsi que s'exprime Orphée. Archiloque de Paros en parle dans des termes pareils : « O Jupiter, le ciel est votre empire.; c'est de là que vous faites fondre sur les hommes les fléaux destructeurs des peuples et des lois. » « Répétons encore ce que nous a dit le chantre de Thrace, Orphée : « Il étend sa droite jusqu'aux bornes de l'océan; de tout côté la terre tremble sous ses pieds. » Ces vers sont pris évidemment de ces paroles : « Le Seigneur ébranlera les villes et leurs habitants ; il tiendra l'univers entier dans sa main comme un nid d'oiseau (Isaïe, 10, 14). » Le Seigneur a créé la terre par sa puissance, dit Jérémie ; il rétablira l'univers par sa (Jérémie, 10, 12) sagesse. » Ajoutons à tout cela Phocilyde, qui appelle démons les anges : les uns sont bons, les autres sont méchants; il fait comprendre sous cette dénomination ceux que nous nommons les anges rebelles, « Les dieux ne sont donc pas toujours les mêmes envers les mortels : il en est qui peuvent écarter le malheur qui menace l'homme à sa naissance (Phocylide). » «Le poète comique Philémon renverse l'idolâtrie par ces vers : « La fortune n'est point une divinité pour nous : le hasard n'est autre que ce qui arrive à chacun, et voilà ce que nous nommons fortune (Ménandre, frag. 48) » « Sophocle, le père de tant de tragédies, dit : « Toutes choses n'arrivent pas aux dieux d'après leurs désirs, excepté à Jupiter qui réunit en lui le commencement et la fin.» Orphée dit encore : « II n'y a qu'une force et qu'un Dieu, le grand Ciel avec ses feux, dans lequel tout est accompli, et qui embrasse tout ce qui est, le feu, l'eau, la terre. » « Mais, à son tour, que proclame Pindare dans sa fureur bachique : « Qu'est-ce que Dieu? Tout ce qui existe; » puis : « Dieu est ce qui crée tout pour les humains, » lorsqu'il dit : « Comment espérez-vous, ô homme, vous élever un peu au dessus de votre semblable, par la sagesse? Il est difficile à la nature humaine de pénétrer les desseins des Dieux envers vous, qui êtes né d'une mère mortelle (Pindare, frag. 38, cité dans les Eclogae physicae de Stobée). » Voici comme il tire parti de cette parole : « Qui a connu l'esprit de Dieu ou qui l'a assisté de ses conseils (Isaïe, 40, 15)? » Mais Hésiode n'est-il pas d'accord avec le prophète, lorsqu'il dit : « Il n'y a point de devin parmi les hommes, habitants de la terre, qui puisse connaître la pensée de Jupiter, porteur de l'Égide (Hésiode, fragments). » En conséquence, Solon l'Athénien a parlé convenablement dans ses élégies, en suivant les traces d'Hésiode, « La pensée des immortels est entièrement cachée aux hommes. » dit-il. Mais de son côté, Moïse, en prophétisant que la femme, à cause de sa transgression, enfanterait dans la souffrance et dans la peine ; un poète, qui n'est pas sans illustration, a dit : « Ni jour ni nuit ils ne cesseront de gémir, accablés de travaux et de misère : les Dieux leur donneront de cruels soucis. » « Ainsi, dit Homère, le père suspendit lui-même ses balances d'or (Homère, Iliade, v, 69) » pour signifier que Dieu est juste. Ménandre le comique, voulant donner à entendre aussi que Dieu est juste, a dit : « Un Dieu (d-Daimohn) assiste chaque homme dès sa naissance, est son excellent guide dans le cours de la vie; car on ne saurait admettre qu'il y eut un Dieu pervers qui se plût à persécuter la vie vertueuse. » Puis il ajoute : « Dieu ne saurait être qu'entièrement bon. » Peut-être a-t-il voulu dire que Dieu est tout ce qui est bon : ce qui est encore mieux. « Eschyle, le poète tragique, alléguant la puissance de Dieu, n'hésite pas à le nommer Très-Haut (g-hyphistos) dans ces vers : « Séparez Dieu des mortels, et ne vous figurez pas qu'il soit comme vous revêtu de chair. Vous ne le connaissez pas. Tantôt il se montre comme un feu dont on ne peut s'approcher par aucun effort; tantôt c'est une onde, puis une obscurité profonde : il se rend semblable aux animaux, au vent, à la nuée, à l'éclair, au tonnerre, à la pluie : la mer, les rochers, toutes les fontaines, et les lacs immenses obéissent à ses ordres. Il fait trembler les montagnes, la terre et le gouffre imposant des mers, les sommets des monts, lorsqu'il lance sur eux le regard effrayant du maître ; la gloire du Dieu Très-Haut peut tout ce qu'elle veut (Fragment 24 de Stanley). » « Ne vous semble-t-il pas que ces vers soient la paraphrase de cette sentence : « La terre tremble pour se soustraire aux regards du Seigneur (Ps. 103, 39). » Le plus prophétique des oracles, Apollon, est bien forcé de rendre hommage à la gloire de Dieu, à l'occasion de Minerve, laquelle, lorsque les Mèdes conduisaient leur armée en Grèce, implorait avec supplication Jupiter en faveur de l'Attique. Voici cet oracle : « Pallas ne peut pas rendre Jupiter Olympien propice à ses vœux, par ses pressantes prières, ni par son profond génie. Il abandonnera à la flamme incandescente beaucoup de temples des immortels, qui, maintenant, saisis de frayeur, ruissellent de sueur: » et ce qui suit. Théoridas, dans son livre de la nature, écrit; « Le principe des essences, principe véritable, est essentiellement unique. Ces deux attributs caractérisent le principe, c'est d'être un et d'être unique.» «Il n'en existe pas un autre que le grand Roi; nous dit Orphée. Diphile le comique déclare qu'étant le père commun de tous, nous devons l'honorer seul jusqu'à la fin, comme inventeur et créateur de tout ce qui est bon. « Platon (Platon, 7e de la Rép., p. 482) a donc raison d'assujettir les meilleures natures à l'habitude de venir apprendre la science que nous avons dit, plus haut, être la plus grande de toutes : celle de voir le bien et de s'élever à sa hauteur (Platon, Ibid, p. 483). Cette conduite, à ce qu'il me semble, n'aura rien de comparable à un jeu de croix en pile ; c'est la circonduction de l'âme, qui d'un jour ténébreux est amenée à la véritable restitution de l'être, et que nous appellerons la véritable philosophie.» Ceux qui y participent sont issus de la race d'or, à ce qu'il juge, en disant : « Vous êtes tous frères, mais principalement ceux qui sortent de la race d'or (Platon, Répub. liv. 3. p. 415), « Nous sommes tous descendants du père et du créateur de toutes choses. Ils ont compris, par un instinct naturel et sans le secours de l'instruction, les choses qui sont dans tous les êtres; de quelle manière les substances privées de vie sympathisent avec les animaux; comment les êtres animés sont les uns déjà immortels, astreints à des travaux journaliers, et parmi les mortels, les uns sont sans cesse guidés par la crainte, et semblent encore renfermés dans le sein de leur mère ; les autres se conduisent par une force de raison indépendante : cela embrasse tous les hommes désignés sous la dénomination de Grecs ou de Barbares. Or, il n'est, en aucun pays, de race de cultivateurs, ni de bergers, ni même de politiques, qui puisse vivre sans la foi première à un être excellent. En conséquence, toute nation orientale, voisine des rives de l'Occident, septentrionale ou tournée vers le vent Notus, a une seule et même croyance proleptique sur celui qui a constitué le gouvernement de l'univers; d'autant plus que ses œuvres sont universellement et également connues. Cependant, par-dessus tous les autres, parmi les Grecs, ceux des philosophes qui, sortis de la philosophie barbare, se sont livrés à des recherches nombreuses à ce sujet, donnent une adhésion préalable et entière à un Dieu invisible, unique, le plus puissant et le plus habile artisan, cause première de toutes les plus belles choses. Quant aux conséquences qu'on doit en tirer; sans les instructions que nous pouvons leur donner, on ne pouvait les connaître; et même avec ce secours, on ne conçoit pas de Dieu l'opinion réelle qu'on devrait en avoir, d'après sa nature: seulement, Comme nous n'avons cessé de le répéter, ce n'est qu'une vérité superficielle qu'on obtient ainsi. » Tout ce qui précède est de Clément. Toutefois, puisque la philosophie de Platon a été déjà longuement invoquée par nous, afin de prouver combien ses dogmes se rapportent à ceux dés Hébreux, ce qui nous a donné sujet d'admirer la pénétration de ce philosophe, aussi bien que son amour sincère de la vérité, il est temps, maintenant, de considérer quelques autres points de sa doctrine sur lesquels nous ne sommes plus du tout en harmonie avec lui, et qui non» font préférer la philosophie réputée barbare à la sienne. [13,14] CHAPITRE XIV. QUE TOUT CE QU'A DIT PLATON N'A PAS ETE HEUREUSEMENT DIT, C'EST POURQUOI NOUS AVONS ADOPTE, DE PREFERENCE A LA PHILOSOPHIE DE CE GRAND HOMME, LES ORACLES DES HEBREUX. Les oracles des Hébreux connus sous tes noms de g-logia, g-theopropia, g-chehsimoi renferment les signes les plus évidents d'une puissance divine, supérieure à celle de l'homme, sont attribués avec raison à Dieu même, comme leur auteur : ils ont été crus comme annonces et prédictions d'événements à venir ; et la coïncidence des faits advenus depuis avec ces mêmes prédictions, les a placés au-dessus de toute suspicion de fraude. En effet, les prophéties émanées de Dieu sont pures comme l'argent éprouvé au feu, vérifié à la pierre de touche, et passé sept fois au creuset d'épuration (Psaume, XI, 7). Il n'en est pas de même des dogmes platoniciens, tant ceux émanés de Platon que ceux de ses disciples, qui n'ayant eu pour diriger leur intelligence que des yeux mortels, des conjectures vacillantes, des approximations vagues, et passant de la nature vraie des choses aux rêves de l'imagination, nous ont donné un g-onar au lieu d'un g-hypar. Ils ont introduit, en effet, un alliage considérable de mensonge dans la vérité primitive, au point de ne pouvoir démêler facilement la saine doctrine parmi les erreurs qui l'enveloppent. Par exemple, si vous vouliez tant soit peu retrancher de l'amour que vous vous portez, et que vous considérassiez la lumière par la puissance de votre logique, vous reconnaîtriez que cet admirable philosophe, le seul de tous les Grecs qui ait atteint les propylées de la vérité, a déshonoré néanmoins le nom de Dieu, au point de le prodiguer à une matière périssable des statues sculptées par des mains serviles, à la ressemblance de l'homme. Après avoir proféré cette grande et sublime parole par laquelle il s'efforçait de connaître le père et l'artisan de cet univers, il s'est précipité de cette élévation dss voûtes célestes, dans le plus profond abîme de l'idolâtrie, en horreur à Dieu, avec la dernière populace d'Athènes ; au point de ne pas craindre de dire que Socrate était descendu au Pyrée pour y invoquer la Déesse, et pour être spectateur d'une fête barbare, célébrée pour la première fois alors par ses concitoyens ; de convenir que ce même Socrate avait ordonné d'immoler un coq à Esculape, et de désigner sous le nom d'interprète traditionnel (g-patrion g-exehgehtehn) des Grecs, en le déifiant, le démon qui rendait des oracles à Delphes : ce qui nous autorise à lui imputer l'erreur où tombe la multitude la plus étrangère à la philosophie, l'erreur de la superstition. Reprenons notre discours de plus haut, et voyez comment ce sage accompli, après avoir établi la doctrine des idées incorporelles et impérissables; après avoir fait connaître Dieu le premier en rang, et puis la seconde cause ; après avoir admis les substances intellectuelles et immortelles, a basé sa législation d'après les opinions les plus vulgaires, en disant : « Quant aux autres Dieux, entreprendre d'en parler et d'en faire connaître la génération, c'est au-dessus de nos forces. Nous devons accorder confiance à ceux qui en ont parlé avant nous, puisque, ainsi qu'ils l'ont dit, ils étaient issus de ces mêmes Dieux. Il est impossible, en effet, d'être en défiance envers les enfants des Dieux, encore bien qu'ils nous parlent sans faire les démonstrations rationnelles qui seraient nécessaires ; mais d'accord avec la loi, nous devons nous montrer confiants pour ceux qui s'annoncent comme rapportant des histoires de famille. En conséquence, admettons et disons d'après eux, la génération des dieux ainsi qu'il suit : De la Terre et du Ciel, naquirent deux enfants, Océan et Téthys, de ceux-ci, Phorcys, Cronus et Rhéa, et tous ceux qui vinrent après eux ; de Cronus et de Rhéa, naquirent Jupiter, Junon, et tous ceux que nous connaissons sous la désignation de leurs frères; puis ensuite, tous les descendants de ces mêmes Dieux (Timée, page 530). » Devons-nous excuser le philosophe, au sujet de ce qu'il a pu dire en singeant les généalogies mythologiques des poètes ? certes, il ne parlait alors ni comme philosophe, ni d'accord avec lui-même. Entendons comment il s'exprime dans la République : » (Livre 2e de la Républ., p.429) « Dans les plus grandes fables, nous verrons les plus petites, car leur caractère doit être identique, et conserver la même puissance dans les plus grandes comme dans les moindres. Ne le pensez-vous pas? « Je le pense, dit-il; mais je ne comprends pas bien ce que vous entendez par les plus grandes fables. « Celles qu'Hésiode et Homère, dis-je, nous ont rapportées ainsi que les autres poètes. Ceux-ci, en effet, composant des fables pleines de mensonges pour le vulgaire, nous ont dit et répètent ce que nous avons rapporté plus haut. » Ce qui va suivre est encore de lui « Nous effacerons donc, lui dis-je, de son épopée, pour commencer, toutes les pensées semblables à celle-ci. » Je préférerais infiniment, simple valet de charrue, servir près d'un maître.(Liv. 3 de la République., p. 432).» Et ce qui vient après, qu'il termine ainsi : « Nous prierons donc Homère et les autres poètes, de ne pas nous représenter Achille, fils d'une déesse, couché sur le dos et se roulant tantôt sur un côté, et tantôt sur l'autre. » (Ibid. p. 433) Et tout ce qui suit. A quoi il ajoute : « Ou bien Jupiter, qui, seul éveillé entre tous les autres Dieux et les hommes, oublie tout-à-coup tous les projets qu'il avait formés, par l'effet d'un désir de luxure dont il est saisi à l'aspect de Junon ; au point de ne pas vouloir même se donner le temps d'aller dans la pièce la plus sécrète de son palais pour le satisfaire, mais de lui proposer de lui accorder ses faveurs dans ce lieu même et sur la terre, à la manière des alouettes, et disant que jamais sa passion n'avait été aussi forte ; pas même lorsque pour la première fois, à l'insu de leurs parents, ils s'étaient donné des rendez-vous ; ou Mars et Vénus enveloppés sous le filet de Vulcain; ni rien de semblable (Ibid. p. 436). » Puisqu'il a bien pu parler ainsi, pourquoi vient-il ensuite proférer cette sentence, que les poètes sont les enfants des Dieux, et qu'il est impossible de leur refuser sa foi, encore bien qu'il avoue que c'est sans donner aucune démonstration rationnelle et nécessaire de toutes les fables qu'ils ont forgées sur leurs Dieux ? Que signifie cette foi accordée sans raison, qui n'est dû qu'à la crainte du châtiment dont les lois menacent ? Comment admettre, pour premiers Dieux, le Ciel et la Terre, puis leurs descendants l'Océan et Théhys, Cronus et Rhéa, Jupiter et Junon, que les fables d'Homère et d'Hésiode font connaître, avec leurs frères et les enfants de tous ces derniers; lorsque lui-même sape toutes ces choses par la base, en disant : « Ce qu'on doit, lui dis-je, lui reprocher par-dessus tout, c'est d'avoir inventé des mensonges déshonnètes? « Comment? « Lorsqu'il retrace, par le discours, sous un jour fâcheux, les actions des Dieux et des héros; comme pourrait le faire un peintre qui voudrait faire un portrait ressemblant, et qui n'employerait pas les moyens convenables pour y parvenir. » « Puis plus bas. « D'abord, lui dis-je, le plus grand mensonge, comme je l'ai dit, est celui par lequel il en a vilainement imposé sur ce que Uranus a fait, au rapport d'Hésiode, et sur la manière dont Cronus l'en a châtié. » Et (Platon. Livre 9e de la républ. p. 377) ce qui suit : Or comment ces poètes, qui ne sont ici que des menteurs, ennemis de la vérité, sont-ils, après cela, appelés enfants des Dieux? L'on peut excuser le philosophe, au sujet de ces contradictions, par la crainte de la mort, de la part des Athéniens, qui le portait à cette dissimulation : mais l'on doit honorer Moïse et les oracles hébreux qui nous offrent partout l'expression de la piété la plus pure, la seule véritable et exempte d'erreurs. Voyons un autre sujet. [13,15] CHAPITRE XV. QUE PLATON N'A PAS TOUJOURS SUIVI LA DROITE LIGNE SUR LA QUESTION DES SUBSTANCES INTELLECTUELLES, COMME L'ONT FAIT LES HÉBREUX. Les Hébreux ont avancé que la nature intermédiaire des êtres doués de raison, avait eu un principe d'existence, et n'était pas éternelle : divisant par le langage les substances intellectuelles qui composent cette classe, ils les ont nommées esprits, puissances, ministres de Dieu, anges et archanges. C'est de leur chute et de leur perversion qu'ils font sortir la race des démons, et toute l'espèce malfaisante, dont l'activité s'exerce contre nous et pour nous nuire. Voilà la raison pour laquelle ils condamnent la croyance qui en fait des Dieux ; c'est parce que le bien n'est pas inhérent à leur nature; parce qu'ils ne tirent pas leur existence d'eux-mêmes, mais de la cause première et universelle de toute existence; enfin parce qu'ils ne comportent pas en eux et avec eux, les idées de bien-être, de vertu, d'immortalité; n'étant en rien les égaux du Dieu universel, ni de celui par qui toutes choses ont été créées et établies. Platon, d'accord avec les Hébreux, a bien admis des substances incorporelles et intellectuelles qui sont des natures raisonnables ; mais il pèche dans les conséquences; d'abord, en soutenant qu'elles n'ont pas commencé d'être, comme toute âme; ensuite, en disant qu'elles se sont formées des émanations de la première cause; car il ne veut pas reconnaître qu'elles soient sorties du néant pour venir à l'existence. C'est en ce sens, qu'il suppose une race nombreuse de Dieux, qu'il nous donne dans son langage, comme des émanations ou des émissions de la première et de la seconde cause, et auxquelles il attribue la bonté essentielle; car il n'est jamais possible, dans son opinion, que ces êtres renoncent à la vertu qui est innée en eux ; ce qui lui fait concevoir l'opinion qu'ils sont des Dieux. Il y a, pense-t-il une troupe de démons étrangers à ceux-ci, qui est susceptible de bassesse et de perversité, et capable de faire tourner les choses du mieux au pire ; d'où il conclut qu'on doit dénommer les uns, bons génies, les autres, mauvais génies. Après avoir supposé ces principes d'une manière qui s'éloigne de l'opinion des Hébreux, il ne dit pas l'élément sur lequel repose l'existence probable de ces démons. Car, aux yeux de tout homme de sens, ce ne saurait être la matière d'où les corps sont tirés : cette matière n'est nullement capable de raisonner; or des êtres raisonnables ne sauraient être formés d'un principe irraisonnable ; et les démons raisonnent. S'il les donne pour des émanations de substances meilleures on lui demandera comment, de cette source pure et excellente, des êtres dissemblables auraient pu sortir; et d'où aurait germé dans leur sein la malice, qu'il admet dans la seconde classe de démons; lorsque la racine qui les produit n'a rien que de bon ? Comment l'amer pourrait-il naître du doux, puisqu'il est certain que la troupe des mauvais démons est cent fois plus pernicieuse que toutes les ténèbres et toute l'amertume qui est au monde? Comment soutenir qu'ils sont le produit d'écoulement de la substance des êtres les plus excellents; puisque, s'il en était ainsi, rien n'aurait pu les priver des attributs de ces mêmes êtres ; et s'ils ont pu en différer, c'est qu'ils n'étaient pas, dans le principe, d'une nature impassible? S'ils n'étaient pas d'une telle nature, comment seraient-ils devenus Dieux, ayant la possibilité de contracter les imperfections qui règnent dans une classe vicieuse par nature? Mais s'ils ne sont, ni une émanation de la nature des êtres par excellence, ni tirés de la matière des corps; il faudra reconnaître ou qu'ils étaient éternels, et concevoir, auprès de la matière éternelle des corps, un troisième ordre d'essences raisonnables et éternelles qu'on opposerait à Dieu (Dieu alors ne serait plus le créateur, ni l'ordonnateur de tout ce qui est); ou bien, on sera contraint d'avouer que Dieu les a créés du néant, d'après la doctrine contenue dans les livres des Hébreux. Quels sont les enseignements que ceux-ci nous donnent à cet égard ? Ils disent que la nature intermédiaire des êtres raisonnables n'est formée ni de la matière des corps, ni des émanations de la nature incréée, laquelle a pour condition d'être l'éternelle et l'immuable, tant de substance, que de manière d'être : cette seconde classe, n'ayant point eu d'existence antérieure, elle n'a pu la devoir qu'à la puissance créatrice, la cause universelle. Dès lors, ils ne sont pas Dieux : ce titre ne saurait proprement leur être décerné, parce qu'ils n'égalent point en essence celui qui les a créés, et par conséquent le bon et le beau n'est pas chez eux, comme dans la divinité, une qualité inhérente à leur être. Ils peuvent quelquefois lui être opposés, ce qui arrive par la négligence qu'ils apportent à se maintenir dans le bien que chacun d'eux peut accomplir, étant maîtres de la suite à donner aux élans de leur âme, et aux méditations de leur intelligence. En voilà assez sur cette question, passons à une autre. [13,16] CHAPITRE XVI. PLATON N'A PAS TOUJOURS EU DES IDÉES TRÈS SAINES NI CONFORMES A CELLES DES HÉBREUX, SUR LA NATURE DE L'ÂME. En établissant, pareillement aux Hébreux, que l'âme est immortelle et qu'elle est semblable à Dieu, Platon s'éloigne d'eux, lorsqu'il affirme que sa substance est composée de telle sorte, qu'une partie appartiendrait à une cause indivisible et qui se maintient toujours la même, et l'autre partie serait issue de la nature divisible des corps. Voilà ce qu'il dit en propres termes dans le Timée : « Il a donc formé, de ces éléments, et de la manière que je viens de dire, l'âme qui a précédé le corps dans l'ordre d'engendrement et qui le prime, sous le rapport de la vertu; pour être sa souveraine et la gouvernante à laquelle il devra obéir. Elle est combinée d'une substance indivisible, et qui se maintient toujours la même, puis d'une matière divisible qui habite dans les corps. Il a donc mélangé une troisième espèce de substance, formée des deux autres, et qui leur sert d'intermédiaire, participant à la nature immuable de l'une, et à la nature variable de l'autre; en sorte que, de la partie indivisible des deux, et de la partie divisible, à la manière des corps, il a fait un tiers qu'il a placé au milieu de l'une et de l'autre ; et prenant ces trois substances telles qu'elles sont, il les a toutes confondues dans une même généralité (g-idea) qui renferme, par force, dans le même sujet, les natures des deux autres, si peu conciliables entre elles (Platon, Timée, p. 526). » Il est vraisemblable par là, que pour lui, la partie qui reçoit en nous l'influence des passions, est réunie dans une même substance avec la partie rationnelle. Mais tandis qu'ici il a établi, dans la substance de l'âme, les divisions de parties que nous venons de lire, ailleurs il attribue une inconvenance bien plus révoltante à cette essence divine, céleste, incorporelle, raisonnable, semblable à Dieu qui, par la sublimité de la vertu, s'élève au-dessus des voûtes éthérées, lorsque de ce séjour, qui plane sur les mondes, il la précipite dans les loups, les fourmis et les abeilles; nous prescrivant de le croire sur sa seule parole, sans recourir à aucune démonstration. Voici ce qu'il dit à ce sujet dans le traité de l'âme : « Et jusque la elles sont errantes, tant que, par le désir des formes corporelles, qui les poursuit sans relâche elles ne se sorti pas enchaînées dans un corps. Elles se renferment, comme cela est naturel, dans ceux qui participent aux inclinations que, pendant la durée de leur vie, elles avaient manifestées. « Quelles sont-elles, ô Socrate? « Ainsi les âmes de ceux qui, n'ayant eu d'autres applications d'esprit que celles de la gourmandise, de la débauche ou de l'ivrognerie, sans jamais les refréner, vont dans le corps des ânes et des animaux semblables. Ne le pensez-vous pas ? « Assurément, ce que vous me dites là me paraît très vraisemblable. « Quant à ceux qui ont préféré les injustices, les usurpations de pouvoir, les spoliations violentes, ils vont dans le corps des loups, des éperviers et des milans. Dans quels autres que ceux-ci, pourrions-nous dire que vont de pareilles âmes ? « Évidemment, dit Cébès, dans ceux-là. « Dans ce cas, dît celui-ci, vous voyez clairement quels sont les hôtes dans lesquels chacune des âmes doit aller suivant la ressemblance de ses occupations. « Cela se comprend. Et comment en serait-il autrement? « En conséquence les plus heureux de tous qui vont dans le lieu le meilleur, sont ceux qui ayant toujours pratiqué les vertus sociales et politiques, que nous nommerons la tempérance et la justice, s'y sont exercés par l'habitude et la méditation, sans avoir besoin de recourir à là philosophie et aux efforts de l'intelligence, « En quoi sont-ils les plus heureux? « Parce qu'il est vraisemblable qu'ils parviendront à quelque race éminemment civilisée, telle que celle des abeilles, des guêpes et des fourmis, et peut-être même feront-ils retour à celle des hommes (Platon, Phédon, p. 386). » Écoutez maintenant comment il s'explique sur ce sujet dans le Phèdre. « Chaque âme met dix mille ans à revenir dans le corps d'où elle est sortie; car ses ailes ne lui reviennent pas avant ce temps, si ce n'est l'âme d'un philosophe sincère, ou de celui qui a su unir la philosophie à l'amour vertueux des jeunes gens. Ces âmes, après la troisième période de mille ans, si elles ont repris trois fois de suite la même vie, recouvrent leurs ailes dans le troisième millénaire et s'envolent ; mais les autres, après le terme de leur première vie, subissent un jugement après lequel, les unes vont dans les cachots qui sont sous terre, pour y recevoir leur châtiment ; tandis que les autres vont dans un lieu quelconque du ciel ; soutenues par la justice, elles y ont une existence conforme à celle qu'elles avaient eue dans les rangs de l'humanité. Les unes et les autres, après l'expiration des mille années, arrivent au tirage et au choix du genre de la seconde vie. Chacune choisit celui qui lui plaît. Là, lorsque l'âme humaine est descendue dans une existence d'animal, d'animal elle redevient homme, tel qu'elle (Platon, Phèdre, p. 345 avait été auparavant. » Ce passage est emprunté au Phèdre. Écoutez les termes dans lesquels il s'exprime dans la République. « Il dit qu'il avait vu l'âme qui autrefois avait appartenu à Orphée, laquelle avait choisi l'existence du cygne par sa haine pour le sexe féminin. A cause qu'il lui devait la mort, elle n'avait pas voulu renaître d'une femme. Il dit qu'il avait vu l'âme de Thamyris ayant opté pour l'existence du rossignol, et Cycnus ayant fait choix de la vie d'un homme, et d'autres animaux doués d'une voix sonore, pareillement. Cette âme qui, dans le partage, avait choisi la vie d'un lion, était celle d'Ajax, fils de Télamon, qui avait fui l'idée de redevenir homme par le souvenir du jugement des armes d'Achille. Après celle-ci venait celle d'Agamemnon, qui, par l'inimitié qu'elle portait au génie hautain à cause de ses malheurs, avait échangé son existence pour celle d'un aigle. Au milieu des hommes coureurs se trouvait l'âme d'Atalante qui, voyant qu'elle ne pouvait obtenir, à moins de cette existence, les honneurs du Stade, l'avait adoptée. Après elle, je vis l'âme d'Epéus, fils de Panopée, transformée en femme, habile dans les arts. Loin, et parmi les dernières, se voyait l'âme du personnage ridicule Thersite, métamorphosée en singe. L'âme d'Ulysse acceptait le dernier rang dans l'élection qui leur avait été donnée, soit par l'effet du hasard, soit que, par le souvenir des travaux qu'elle avait endurés, elle cherchât une existence qui fût exempte d'ambition: et qu'après avoir erré pendant un long temps, elle optât pour la vie d'un homme du peuple sans occupation, tellement cachée qu'on eût peine à le découvrir : aucun des autres ne lui donnait la moindre attention. Elle semblait dire que, quand bien même elle eût été la première à choisir, elle aurait agi de même et aurait préféré cette condition â toutes les autres. Quant aux autres bêtes, elles revenaient de la même manière parmi les hommes ou permutaient entre elles; les injustes se changeaient en bêtes féroces, les justes en animaux doux; et là s'opéraient des mélanges de toute espèce (Platon. Dixième livre de la République, page 521). » Dans tout ce que nous venons de citer de Platon, on voit qu'il suit les doctrines égyptiennes et nullement celles des Hébreux. Quant à ce qu'il n'est point, en cela, l'ami de la vérité, ce n'est pas maintenant le lieu de le prouver, non plus que de faire voir qu'il n'a appuyé d'aucune démonstration le problème qu'il a entrepris de résoudre. Qu'il me suffise de faire remarquer qu'il n'y a aucun accord entre déclarer qu'à la mort les âmes des impies, en quittant cette terre, vont dans l'enfer rendre justice de leurs fautes, et qu'elles y sont châtiées pendant l'éternité ; puis ensuite, venir dire qu'elles font choix, suivant leur propre détermination, entre toutes les vies de cette terre. Ainsi, dit-il, elles entrent dans les corps d'après le désir qui s'associe à leurs formes ; celles qui ont été nourries dans la débauche et la gourmandise deviennent ânes, et en général elles revêtissent les corps des autres bêtes d'après leur choix et non d'après la justice. Les injustes et les spoliateurs deviennent loups ou milans, entrant de plein gré dans ces corps. Ensuite l'âme d'Orphée veut être cygne, celle de Thamyris rossignol; Thersite choisit la vie du singe. Que devient, dans ce système, le jugement qui doit suivre la séparation de l'âme d'avec le corps qu'il nous dépeint dans ces termes au dialogue de l'âme? « Lorsque, après être morts, ils sont venus dans ce lieu où le démon les conduit individuellement, ceux qui auront paru mener une vie moyenne, étant arrivés au bord de l'Achéron, montent sur des chars qui leur sont préparés, sur lesquels ils viennent au marais, ils y demeurent après s'être purifiés, en payant la peine des injustices qu'ils ont commises : s'ils en ont commises, ils en sont déchargés, ou bien ils obtiennent la récompense des bonnes actions qu'ils ont faites, chacun dans la proportion de son mérite. Cependant, si l'on découvre, par l'énormité de leurs fautes, qu'ils sont incorrigibles, coupables de nombreux et considérables sacrilèges, d'assassinats répétés, d'injustices et d'illégalités, enfin de tous les autres crimes qui vont de pair avec ceux-là, la Parque les jette dans le Tartare d'où ils ne sortent plus (Platon, Phédon, page 400). » Voici la peinture qu'il nous fait du sort des impies. Quant aux hommes pieux, écoutez comme il en parle : « Ceux qui sont purifiés suffisamment par la philosophie vivent sans aucune peine pendant tout le temps à venir; ils arrivent dans des demeures beaucoup plus belles que celles-ci, qu'il n'est pas facile de décrire, et que le temps qui me reste encore à vivre ne suffirait pas pour faire connaître (Ididem). » Faites attention à la manière dont il s'en exprime dans le Gorgias (Platon, Gorgias, p. 318) : « Celui qui a passé sa vie justement et pieusement, après sa mort va dans les îles des bienheureux pour y demeurer dans une félicité sans mesure, exempt de tous maux. Celui, au contraire, qui a été injuste et athée est enfermé dans la prison de la vengeance et de la justice qu'on appelle Tartare. Ceux qui se sont portés aux derniers excès du crime et qui, par l'effet de cette odieuse conduite, sont devenus incurables, servent d'exemples aux autres, et s'ils ne peuvent rien faire qui leur soit utile, étant sans espoir de guérison, ils peuvent du moins rendre service à ceux qui les contemplent, en ce que, à cause des forfaits les plus signalés, ils souffrent les punitions les plus douloureuses et les plus formidables, et cela pour l'éternité ; complètement suspendus là, dans l'enfer et dans les prisons, ils demeurent à jamais comme exemple, comme spectacle et comme avertissement à ceux des hommes injustes qui y viennent successivement (Platon, Gorgias, p. 313).» Comment ces paroles peuvent-elles concorder avec l'échange des corps qu'il nous enseigne, dans les passages où il admet que l'âme brigue le choix des corps dans lesquels elle veut entrer ? Comment la même âme serait-elle soumise à ces châtiments, à ces prisons, à cette justice pendant l'éternité, à la suite de la mort corporelle ; puis après, débarrassée de ses chaînes, comment choisira-t-elle le genre d'existence qui lui convient ? Mais si elle devait plus tard choisir ce qui flattait sa volonté, à quoi bon cette prison de vengeance et de justice? Il y aurait bien d'autres choses à dire, si l'on voulait poursuivre ce sujet à loisir; mais le temps nous manque pour prolonger davantage cette discussion. Nous avons signalé sommairement, dans ce qui précède, le premier défaut de l'opinion de Platon sur cette matière. Quant à l'autre, qui tient à l'arrangement intérieur du dogme par lequel une portion de l'âme serait définie comme divine et raisonnable, l'autre portion le serait comme irraisonnable et soumise aux impressions du dehors, elle a déjà été condamnée par ses propres disciples, en sorte qu'il est à propos d'entendre la réfutation qu'ils en ont faite. [13,17] CHAPITRE XVII. QUE LA NATURE DE L'ÂME N'EST PAS FORMÉE DE L'UNION D'UNE SUBSTANCE IMPASSIBLE ET D'UNE AUTRE PASSIBLE. TIRÉ DU TRAITÉ DE L'ÂME DE SÉVÈRE LE PLATONICIEN. «Quant à l'âme, suivant Platon, qu'il nous représente comme formée par Dieu de la réunion de deux substances, l'une passible et l'autre impassible, comme les couleurs résultant du mélange du blanc et du noir; voici ce que nous avons à en dire. C'est que, de nécessité, une telle âme devrait, avec le temps, s'évanouir par la séparation de ses parties intégrantes ; de même que la couleur mixte formée de l'union de deux couleurs contraires doit par sa nature, après un laps de temps quelconque, retourner à la couleur propre à chacun de ses éléments. Or s'il en est ainsi, nous conclurons qu'une pareille âme est périssable et nullement immortelle. Car, s'il est avoué qu'il n'existe rien, dans la nature qui n'ait son contraire, et que tout ce qui compose cet univers a été coordonné par Dieu, d'après là loi des contraires, il a su, en effet, les enchaîner par une amitié et une communauté d'action ; ainsi il a associé le sec à l'humide, le chaud au froid, le pesant au léger, le blanc au noir, le doux à l'acide, le dur au mou, l'essence impassible à celle passible, de manière à former ensemble de toutes choses par l'unité et la diversité de leur association. Néanmoins, chacune des mixtions et des combinaisons que nous venons d'indiquer, conserve par nature une tendance à se dissoudre : dissolution que le temps amène. Or, si l'âme est formée également d'une substance passible et d'une impassible, il en résultera, pour elle, comme la couleur mixte, de s'évanouir avec le temps, de par la nature de son origine, qui veut que, dans les composés formés des contraires, chacun de ceux-ci ait hâte de retourner à sa nature propre. Est-ce que nous ne voyons pas que les corps graves par nature, lorsqu'un principe d'allégement s'y adapte, soit par les efforts des hommes ou par une cause physique externe, de manière à les soulever, résistent néanmoins par leur pesanteur spécifique, pour revenir en bas ? Il en est de même du corps léger, qui, étant déprimé par des causes extérieures semblables, fait également effort pour remonter vers les régions supérieures. En effet, il est impossible que deux contraires, combinés dans un même corps, persévèrent à rester dans cet état d'union, à moins de concevoir un troisième agent, pris dans la nature, qui s'y unisse pour les tenir rapprochés. Cependant, l'âme n'est pas cette troisième substance forcée de l'union de deux éléments contraires entre eux: l'âme est simple par nature, elle est impassible, elle est incorporelle : c'est ce qui a conduit Platon et les philosophes de son école à déclarer qu'elle est immortelle. Cependant, attendu que c'est une opinion reçue universellement que l'homme est composé d'un corps et d'une âme, qu'il est également admis que les impressions volontaires ou involontaires en nous, et sans l'intermédiaire du corps, sont des passions de l'âme, beaucoup de penseurs en ont conclu que l'âme était une substance passible, qu'elle était également mortelle, corporelle, nullement incorporelle. Voilà pourquoi Platon s'est cru obligé d'enlacer, en quelque sorte, la substance passible à l'impassible dans la constitution de l'âme. Or, que cette opinion n'ait pas eu d'autre cause chez Platon et ses adhérents, c'est ce que nous nous efforcerons de constater d'après leurs propres paroles, en appelant à notre aide les facultés actives de notre âme. » Bornons ici la citation tirée du traité de l'âme, du Platonicien Sévère. Examinons maintenant comment Platon s'exprime sur l'origine du ciel et des astres qu'il renferme. [13,18] CHAPITRE XVIII. DU CIEL, DES FLAMBEAUX CÉLESTES ET DE L'OPINION ERRONÉE QUE PLATON EN AVAIT CONCUE EN GÉNÉRAL. TIRÉ DE L'ÉPINOMIDE DU TIMÉE DU DEUXIÈME LIVRE DES LOIS; PUIS DE LA DÉFENSE QUE MOÏSE AVAIT FAITE DE RENDRE UN CULTE. AUX ASTRES ET DE LA MANIÈRE DONT PHILON LE JUIF L'INTERPRÊTE. Platon, après s'être exprimé en harmonie avec ce que pensent les Hébreux sur le ciel et sur ses phénomènes, nous faisant comprendre qu'ils ont eu un commencement d'existence, et qu'ils ont été créés par l'auteur de toutes choses ; qu'en conséquence, ils participent â la nature de la substance corporelle, qui est sujette à destruction; néanmoins, et contrairement à la croyance des mêmes Hébreux, il impose, par ses lois, le devoir de les adorer, et de les considérer comme des Dieux. Voici ce qu'il en dit dans l'Epinomide : « Qui donc, ô Mégilla, et vous Clinias, appellerai-je Dieu en lui marquant ma profonde vénération? Ce sera, sans contredit, le Ciel qui a, plus que qui que ce soit, droit à être adoré de la manière dont le sont tous les autres dieux ou démons, et qui doit recevoir nos actions de grâces plus qu'aucun d'entre eux; car nous avouerons tous qu'il est la cause première de tous les biens qui nous arrivent (Platon, Epinomide, p. 639) :» ce à quoi il ajoute plus bas: « Les Dieux visibles qui sont les plus grands, les plus dignes de nos hommages, qui étendent partout leurs pénétrants regards, en un mot les premiers, seront d'abord la nature des astres, et tout ce que nous sentons leur être uni d'existence. Après ceux-ci, et dans un rang inférieur, viennent les démons, race aérienne, en possession d'un troisième degré de puissance, qui sont intermédiaires entre les grands Dieux et nous, nous servant d'interprètes auprès d'eux. Ils doivent être honorés par nos vœux, à cause de cette bienfaisante intervention (Platon, Epinomide, p. 702). » Dans ces passages, il déclare Dieux ceux que nous venons de faire connaître et dont, dans le Timée, il développe la première cohésion et l'origine, en nous donnant l'explication tirée des lois de la physique dans les termes suivants : « Ce qu'est le feu comparativement à l'air, l'air l'est comparativement à l'eau. Ce qu'est l'air à l'égard de l'eau, l'eau l'est à l'égard de la terre. Du rapprochement et de l'enchaînement de ces principes, est sorti le monde visible et tangible. Voilà de quelle manière, par le mélange de ces quatre éléments, s'est formé le corps du monde qui se maintient par l'équilibre. Il a contracté une telle amitié des principes dont il est né, que concentrant toutes ses forces en lui-même, tendant vers un même centre, il devient indissoluble pour tout autre que pour celui qui a su l'enchaîner (Platon Timée, p. 527 et plus haut, Liv. 11, ch. 52). » Ce à quoi il ajoute : « Ayant placé au centre de l'univers l'âme, il l'a étendue à son ensemble, il l'a revêtue extérieurement d'un corps, enroulant les cercles sur les cercles, il n'a laissé vide que l'agace céleste (Platon, Timée, page 283). » Plus bas encore il continue : «C'est à cette détermination de la pensée divine, qu'est due l'origine du temps. Pour qu*il y eût un temps, il a fait le soleil, la lune, et les cinq autres étoiles qui ont le nom de planètes, afin de marquer la division des nombres qui composent le temps, et d'en perpétuer la durée. Dieu ayant donc fait les corps de chacun d'eux, les plaça dans les orbites qu'ils parcourent. Puis, ajoute-t-il, ces corps unis par des ressorts animés animés devenus des êtres vivants capables d'apprendre et faire ce qui leur était ordonné (Platon, Timée, 689). » Dans le dixième livre des Lois, il parle ainsi de l'âme : « En général, tout ce qui est en possession d'une âme, varie ayant en soi la cause de son changement : en variant, il est emporté d'après l'ordre et la loi du destin. Les moindres variation dans les moeurs accompagnent les moindres déplacements sur la surface du terrain, ceux qui en ont de plus fortes, tombent dans l'abîme (Platon, dixième des Lois, p. 672). » Si tout ce qui est en possession d'une âme varie parce qu'il a en soi la cause de son changement, si le ciel, le soleil et la lune sont en possession d'une âme, comme le veut Platon, ils seront donc sujets à des variations, renfermant en eux la cause de leur changement, d'après son raisonnement. Or, comment peuvent-ils être éternels, et par conséquent Dieux, lorsqu'il est évident que leur corps est soumis à la destruction, et qu'ils peuvent être dissous? Voici ce qu'il dit encore dans le Timée : « Puis donc que tous ceux qui ont un cours circulaire dans le ciel, et qui nous apparaissent ostensiblement sont des Dieux, ainsi qu'ils le veulent; ils ont cependant eu un commencement d'existence. Aussi celui qui a engendré tout ce qui existe leur adresse-t-il la parole en ces termes : Dieux, fils des Dieux, dont je suis le créateur (g-dehmiourgos) et le père, toutes vos oeuvres resteront indissolubles par ma volonté, bien que tout ce qui est le résultat d'un enchaînement soit soluble; toutefois, lorsqu'une chose est bien liée et utilement créée, vouloir la dissoudre, serait l'acte d'un être méchant; c'est pourquoi, encore que vous ayez été engendré et ne fussiez pas nés immortels; vous demeurerez à jamais indissolubles: rien ne pourra vous réduire en parties, vous ne serez pas soumis à la loi du trépas; ma volonté est un lien plus puissant que ceux qui vous ont étreints, lorsque vous fûtes engendrés; si elle se déclare en votre faveur (Platon, Timée). » Tel est Platon. Moïse et les oracles des Hébreux sont bien plus fondés en raison, lorsqu'ils interdisent l'adoration des astres, et qu'ils nous défendent de les réputer des Dieux; et lorsqu'ils ramènent nos adorations vers le Dieu; roi universel, créateur du soleil, de la lune, des astres, de tout le ciel et de tout l'univers, qui par son Verbe divin, a enchaîné et disposé en ordre toutes ces choses : c'est le seul que nous devons tenir pour Dieu; le seul à qui nous devons accorder un culte de latrie comme la loi nous le prescrit, « Lorsque vous voyez, dit-elle, le soleil et la lune, tous les astres et tout l'ornement du ciel, n'allez pas vous livrer à l'erreur en les adorant (Deutér. 4. 19) ». Philon, qui avait été élevé dans les doctrines des Juifs, en expliquant ce texte, va nous en éclaircir la pensée. Écoutez ses paroles : « Quelques hommes se sont figurés que le soleil, la lune, et les autres astres étaient des Dieux tirant leur puissance d'eux-mêmes (g-autokratores ). En conséquence, ils les ont représentés comme les causes de tout ce qui se passe dans le monde. Pour Moïse, l'univers lui paraît le produit d'une création; c'est la plus grande des cités, qui a ses Archontes et ses sujets : les Archontes sont tout ce que nous voyons dans le ciel, les étoiles fixes ou errantes : les sujets sont ce qui occupe dans l'atmosphère un rang inférieur à la lune : les natures terriennes. Quant à ceux que je nomme Archontes, leur autorité n'est pas indépendante ? ce ne sont que des délégués (g-hyparchoi) du père unique de toutes choses, dont ils imitent le gouvernement (g-epistasia) : surveillant continuellement pour ramener chacune des parties de création dans la droiture d'après la justice et la loi ; tandis que ceux qui ne voient pas le conducteur suprême assis sur son siège élevé, ont rattaché les causes premières à ceux qui sont au timon; les considérant comme les auteurs primitifs de tout ce qui se passe dans le monde. Aussi, le plus saint des législateurs a dissipé leur ignorance en y substituant la science. En voyant, dit-il, le soleil, la lune, les astres et tout l'ornement du ciel, n'allez pas vous laissez induire en erreur au point de les adorer. Sans hésitation et de la manière la plus absolue et la plus noble, il qualifie d'erreur l'opinion de ceux qui admettent parmi les Dieux, les corps célestes. Ces hommes, en voyant les saisons se succéder dans l'année par la marche ascensionnelle ou rétrograde du soleil, ce qui soutient la vie des animaux, ce qui donne aux plantes les phases de leur végétation, en faisant naître les fruits aux époques marquées pour leur éclosion; en voyant la lune suivre en subordonnée le soleil et lui succéder, exerçant une heureuse influence et une domination sur les heures de la nuit comme le soleil le fait sur celles du jour, en voyant les autres astres par l'effet de la sympathie qui les rapproche des habitants de la terre, produisant et effectuant une foule de choses qui contribuent à la conservation de l'ensemble, ils sont tombés dans cette erreur immense de supposer qu'ils sont les seuls Dieux. Si cependant ils s'étaient efforcés de marcher dans la voie de la vérité, ils eussent bientôt reconnu que, de même que la sensation est assujettie à l'intelligence, de même tous les corps sensibles sont les serviteurs d'une nature intellectuelle.» Puis il ajoute : « Dépassant par le raisonnement toute la substance visible, élevons nous jusqu'à la dignité de la substance invisible, dénuée de figure et que nous ne percevons que par l'entendement, qui non seulement est le Dieu de l'intellectuel et du sensible ; mais qui est encore le créateur de tout ce qui existe. S'il est un homme capable de ravir le culte dû à ce créateur éternel, pour le transporter à une créature dont l'origine est marquée par le temps, qu'on l'inscrive parmi les insensés comme atteint de l'impiété la plus complète. » Tels sont les enseignements de piété que nous donnent les Hébreux, enseignements véritablement purs et divins, que nous avons préféré sans balancer à une philosophie orgueilleuse. Mais à quoi bon prolonger cette agression contre Platon en mettant au jour ses autres erreurs, lorsqu'il est facile à chacun, d'après ce que je viens d'en citer, de se rendre le témoignage de ce que je passerai sous silence? Je déclare que ce n'est par aucun esprit de dénigrement que je me suis livré à cette recherche : je suis plein d'admiration pour cet homme, qui est de tous les Grecs, celui que je chéris davantage et que j'honore le plus. Nul ne s'est plus rapproché et plus identifié par la pensée, avec les doctrines que je préférée ; encore qu'il ne s'y soit pas complètement conformé. Cependant, en le comparant à Moïse et aux prophètes Hébreux, j'ai dû faire voir combien il leur est inférieur par la force et la justesse de la pensée. Et certes, pour quiconque aurait eu envie de lui chercher dispute, il était facile de traduire au tribunal de l'opinion, une foule de choses telles que les vénérables et sages règlements à l'égard des femmes, contenus dans les livres de la République, et de faire voir comment, dans le Phèdre, il a essayé de donner une décence apparente à l'amour contre nature. Si vous désirez entendre de quelle manière il s'exprime sur ces questions, prenez son livre et lisez ses propres paroles : [13,19] CHAPITRE XIX. QUELS SONT DANS LES LOIS ET DANS LA RÉPUBLIQUE LES RÈGLEMENTS CONCERNANT LES FEMMES QUE PLATON A EU TORT D'Y INTRODUIRE. ET QUE LA LOI DES HÉBREUX INTERDIT. « Peut-être, lui dis-je, nous trouvera-t-on étranges et bien ridicules, mettant en pratique la plupart des choses qui viennent d'être dites sur ce sujet, et de la manière dont elles ont été dites. « Bien certainement, dit-il. « Que voyez-vous donc de si souverainement ridicule dans ces choses? Serait-ce que des femmes dussent se montrer nues avec les hommes dans les palestres pour se livrer à la gymnastique, et non seulement les jeunes, mais même les vieilles ? n'est-ce pas ce que nous voyons faire aux hommes qui, bien que déjà avancés eu âge, ridés et d'un aspect désagréable, se dépouillent dans les gymnases par l'amour qu'ils ont peur les exercices gymnastique. (Platon, liv. 5 de la Rép. p. 455). » Il ajoute plus bas : « L'homme qui rit de ce que des femmes, par un très bon motif, se montrant nues dans les gymnases, c'est-à-dire pour la gymnastique, immolant au ridicule le fruit qu'il pourrait tirer d'une sage institution, ne sait pas, à ce qu'il me semble, pourquoi il rit (Platon, ibid. p. 459). » Dans le septième des Lois, il dit qu'il faudrait que les enfants des deux sexes apprissent à danser aussi bien que les autres arts de la gymnastique ; en conséquence, on donnerait des maîtres de danse aux garçons, des maîtresses aux filles; ce qui ne serait pas sans avantage pour les former. Il ajoute ce qui sait: « La Coré, qui est souveraine parmi nous, goûte avec charme le délassement de la danse, elle n'a pas cru devoir se borner à une danse, les mains vides; mais c'est en se couvrant d'une armure totale qu'elle exécutait la danse guerrière. C'est tout-à-fait ce qu'on doit se proposer comme modèle et que doivent imiter les jeunes garçons et les jeunes filles (Platon, 7e de la Rép., p. 630).» Voici comment il oblige par ses lois les femmes à faire la guerre : « Il doit y avoir des maîtres attachés à chaque gymnase par un traité pécuniaire, qui ne soient pas étrangers et enseignent à ceux qui les fréquentent toutes les parties de l'art de la guerre, aussi bien que les principes de la musique ; sans qu'il soit permis aux parents d'y envoyer tel de leurs enfants qu'ils voudront, et de dispenser de cet enseignement celui qu'ils ne voudront pas qu'il apprenne. Mais, comme dit le proverbe, tout homme et tout enfant appartenant bien plus à la patrie qu'à ses pères et mère, doit, autant qu'il se peut, recevoir nécessairement l'instruction commune. « La même loi doit s'appliquer aux femmes : elles doivent se former à tous les exercices auxquels les hommes sont astreints. Et je me laisserai pas ébranler parce que l'on dit à l'égard de l'équitation et de la gymnastique, que ces exercices qui conviennent aux hommes ne conviennent nullement aux femmes (Platon, ibid., p. 634). » Il dit encore sur ce sujet : « Établissons des gymnases ou l'on enseigne tous les exercices du corps, l'art de lancer des flèches, et des traits de toute espèce, le maniement des armes pesantes; le combat avec le bouclier, les manœuvres suivant la tactique, toute espèce de marche, de campement; de décampement, et les manoeuvres de cavalerie. Il doit y avoir des instructeurs communs, salariés par l'état, qui auront pour disciples tous les enfants et les hommes qui habitent la ville, toutes les filles et les femmes qui doivent également recevoir des leçons de toutes ces diverses parties de la tactique, avec cette distinction, que tant qu'elles seront filles, elles se borneront à la danse sous les armes et aux combats simulés, tandis que devenues femmes; elles exécuteront les mouvements de marches; contremarches, les manœuvres de se tenir au repos sous les armes, ou d'en faire usage pour combattre (Platon, ibid. p. 357). » Voilà des institutions auxquelles le jugement des Hébreux ne donnera jamais son adhésion ; au contraire il s'élèvera contre elles. Car ce n'est pas sur la valeur des hommes, encore moins sur celle des femmes, qu'il fonde son espoir de succès dans les combats, il rapporte tout à Dieu, des secours duquel il attend la victoire. Il dit en effet : « Si le Seigneur ne bâtit pas une maison, c'est en vain que les hommes se fatiguent pour la bâtir, si le Seigneur ne garde pas une ville, c'est en vain que veille celui qui la garde (Psaume, 126, 1). » Voyons comment cet admirable philosophe introduit les femmes dans la lutte gymnastique : « Les femmes, les jeunes filles non encore nubiles, devront se présenter nues dans la même course, et luttant entre elles pour y exécuter le stadion, le diaulon, l'éphippion, le dolichon. Leur assiduité à ces exercices commencera à treize ans, sans interruption jusque leur mariage, sans pouvoir dépasser vingt ans, ni cesser avant dix-huit. Elles arriveront dans le costume qui convient aux occupations de ce genre. Il n'y aura aucune différence des hommes aux femmes, dans ce qui est des courses; mais il y en aura pour tout ce qui paraîtra devoir être trop pesant, comme le combat en armes ou l'on se bat un contre un, et deux contre deux (Platon, 8e des Lois, p. 644).» Ensuite : « Il faudra également qu'appelant près d'eux ceux qui ont le plus d'expérience du combat en armes, ils leur ordonnent de prescrire avec eux les lois qui doivent prévaloir dans ce combat. » Puis il ajoute : « Que les mêmes lois soient imposées aux femmes jusqu'à l'époque du mariage. » Enfin, ayant rassemblé toutes les lois relatives au peltaste (le bouclier léger), au pancrace, à l'arc, au jet de pierres à la main, à celui par la fronde, parlant du combat à cheval, il ajoute encore ce qui suit relativement aux femmes : «Quant aux femmes, il ne serait pas convenable de les contraindre par des lois et des règlements à suivre tous ces exercices, en commun avec les hommes; mais si, d'après l'éducation qu'elles ont reçue précédemment ; si par l'habitude qu'elles en ont contractée, leur tempérament s'y est façonné, et qu'elles n'y aient pas trop de répugnance ; qu'on laisse les jeunes garçons et les jeunes filles s'y livrer en commun, sans que personne ait un droit de blâme à ce sujet (Platon, Ibid., p. 645). » Toutes ces citations à l'égard des femmes appartiennent à Platon. Voici encore une loi que cet admirable philosophe propose : « Si un homme en mourant laisse des filles, que l'on garde l'ordre de famille, d'après ce qui a été fait pour les frères et les cousins, en attribuant à une race d'abord les garçons, puis les filles. Le juge sera appelé à décider de la convenance du temps de les marier, ou de l'inconvenance d'après l'inspection qu'il en fera. Il verra pour cela les mâles entièrement nus, les filles seulement jusqu'au nombril (Platon, 11e des Lois, p. 880). » C'est ainsi que dans les fêtes, il veut au sixième des Lois, que les filles dansent nues, en disant.: « Pour faciliter cette étude (Platon, 6e des Lois, p. 692), on devra instituer des jeux où les jeunes garçons et les jeunes filles dansent ensemble, où ils se voient mutuellement nus et nues autant que le permet une pudique retenue, après avoir mis en avant des prétextes plausibles, suggérés par une raison quelconque, ou bien le rapprochement d'âge. » Entendons-le en dernière analyse au sujet de la loi contenue dans le livre de la République sur la communauté des femmes. « A cette loi et à celles qui ont été relatées ci-dessus doit succéder, à ce que je pense, celle-ci. « Laquelle ? « Celle par laquelle toutes les femmes que nous avons fait connaître seront communes à tous les hommes semblables en sorte que nulle d'entre elles ne cohabite privativement avec nul d'entre eux ; que les enfants soient à tous, et qu'un père ne puisse pas connaître son fils, ni un fils son père (Platon, 5e de la Répub., p. 450). » A quoi il ajoute : « Cela est fort raisonnable. « Ainsi donc, lui répliquai-je, vous accorderez que le législateur ayant fait choix pour les hommes, d'épouses, et pour les femmes, d'époux, qui soient mutuellement assortis pour les qualités physiques, de même qu'ils auront une communauté d'habitation, et qu'ils prendront leurs repas en commun, personne ne possédant rien qui soit à lui en propre, passant leur vie ensemble, tant dans les gymnases que dans les autres lieux d'éducation, ils seront, à ce qu'il me semble, poussés par la nécessité, qui est innée dans tous les hommes, à s'étreindre dans des embrassements mutuels. Est-ce que cela ne vous semble pas nécessaire ? « Je ne dirai pas, répondit-il, que ce soit l'effet d'une nécessité géométrique, mais d'une nécessité érotique qui pourrait bien l'emporter sur la première, par sa violence, et qui risque de convaincre et d'entraîner plus de monde (Platon, 5e de la Rép., p. 460). » Il se pourra qu'on cherche à donner un sens différent de celui que nous leur avons donné, à ces paroles de Platon, en soutenant qu'il n'a point dit ce qu'on pense; car il n'a pas dit que toutes les femmes dussent être communes, sans aucun distinction qu'il leur serait permis de se livrer effrontément au premier venu : elles resteront soumises à l'autorité dès magistrats pour le choix des époux qui leur seront assignés, elles ne seront communes que dans le sens où l'on dit que les trésors de l'état sont communs, lesquels sont répartis à qui de droit par ceux qui en sont les dépositaires. Eh bien, soit ! entendons-le dans ce sens. Mais que direz-vous en apprenant qu'il interdit le droit d'amener au jour leurs engendrements, par les paroles qui suivent? « Pour la femme, il faut qu'elle commence à vingt ans à procréer des enfants pour la patrie jusqu'à quarante ans; pour l'homme, que ce soit à partir de l'époque où il a acquis le développement de sa force physique, jusqu'à cinquante-cinq ans (Platon, Ibid, p. 380). » A quoi il ajoute : « Lorsque les femmes et les hommes auront passé l'âge qui leur est accordé pour procréer, nous leur laisserons la liberté de se conjoindre comme bon leur semblera. » Puis, il termine : « Leur recommandant d'avoir soin, d'abord de ne pas amener à l'existence un foetus quelconque, s'ils ont eu l'imprudence de le former ; ou s'il triomphe de leurs efforts, de l'exposer, attendu qu'aucune espèce d'éducation n'est destinée à un semblable être (Platon, Ibid, p. 461). » En voilà assez sur l'éducation des femmes, écoutez maintenant les doctrines qu'il professe sur l'amour contre nature. [13,20] CHAPITRE XX. CE QUE PLATON A RÉGLÉ DANS LE PHÈDRE SUR L'AMOUR CONTRE NATURE, EST EN OPPOSITION AVEC LA LÉGISLATION DE MOÏSE « Lorsqu'il s'est livré à ces actes pendant longtemps, qu'il s'est rapproché de lui, qu'il a eu de nombreux attouchements, soit dans les gymnases, soit dans les autres lieux de réunion, alors la source de ce torrent, que Jupiter épris de Ganymède a nommé g-himeros (désir) s'écoule avec force vers l'objet aimé; soit qu'elle pénètre en lui, ou que, débordant, elle se répande au dehors. Et tel qu'un souffle de vent ou un écho qui, venant frapper contre des corps polis et solides, est répercuté vers le point d'où il est parti; ainsi l'écoulement de la beauté, revenant à celui qui l'a produit, par les yeux, qui est le chemin par lequel il pénètre jusqu'à l'âme, il rouvre les passages des ailes, l'inonde, l'excite à faire renaître ses ailes, et remplit d'amour, à son tour, l'âme de celui qui est aimé. Celui-ci aime, il est vrai ; mais sans connaître, ni pouvoir exprimer d'où lui vient le vague et la souffrance qu'il éprouve, et comme s'il tenait d'un autre, par contagion, la maladie des yeux dont il est atteint, il ne peut se rendre compte de ce qu'il ressent (Platon, Phèdre. p. 348). » Il ajoute à la suite : « Il désire ainsi que celui qui l'aime, quoique plus faiblement, le voir, le toucher, le baiser, être couché près de lui; et comme cela se conçoit, il se livre sans délai à son désir. Lorsqu'ils reposent ensemble, le coursier fongueux de l'amant, a toujours quelque chose à dire au cocher : il souhaiterait qu'il lui permit, en échange de ses nombreux tourments, de s'accorder quelques jouissances : celui de l'aimé n'a rien à dire; mais il est oppressé, il ne sait ce qu'il veut et dans son trouble il embrasse l'amant, le baise comme s'il n'embrassait qu'un homme qui lui veut du bien. Tant qu'ils reposent dans le même lit, il n'est en état de lui rien refuser; malgré tous ses efforts, il céderait aux instances de l'amant, s'il lui en adressait. L'autre coursier aidé du cocher, résiste, en opposant aux vœux de son conjoint, des arguments tirés de la raison et de la pudeur. S'il vient à triompher et à ramener son associé à un genre de vie réglée et philosophique, la saine raison prendra le dessus, et tout deux mèneront ici bas une vie heureuse, dans un sentiment unanime d'affection : maîtres d'eux-mêmes et honorables dans leurs rapports (Platon, Ibid). » Il ajoute encore après quelques autres phrases, « S'ils se livrent à un genre de vie vulgaire et éloignée de toute philosophie, et qu'ils cèdent aux mouvements de l'ambition, ils seront bientôt, ou entraînés aux parties de débauche ou plongés dans une coupable incurie, laissant leurs coursiers, sans frein et sans guides, s'emparer de leurs âmes, qui n'auront pas de défense : rassemblant et concentrant dans un même point cette élection de vie, qui passe pour la plus heureuse dans l'opinion de la multitude, ils l'adoptent et s'y complaisent. S'y complaisant, ils la mettent en pratique pendant le reste de leur existence, avec ménagement cependant, par le sentiment qu'ils conservent encore, qu'en agissant ainsi, ils ne suivent pas les inspirations de leur conscience. Ces deux amis, quoique méritant moins ce nom que les deux autres, lorsqu'ils ont cessé d'éprouver les ardeurs de l'amour, conservent l'union commencée sous ses auspices, pensant qu'ils se sont donnés et qu'ils ont reçu les plus grands gages que des hommes puissent se donner et recevoir, tels qu'il n'est pas permis de les rompre sans devenir ennemis irréconciliables. Lorsqu'ils touchent au terme de la vie, ayant perdu leurs ailes, ils s'efforcent de voler pour sortir du corps; de sorte que le prix qu'ils remportent de leur fureur amoureuse n'est pas sans valeur, étant transportés par elle, hors des ténèbres et de cette route souterraine où la loi ne permet pas d'entrer à ceux qui ont déjà essayé du chemin qui rapproche du ciel. Après avoir eu une existence brillante, ils sont heureux de cheminer ensemble, portant des ailes semblables, qu'ils doivent à l'amour. Tels sont, ô enfant, les bienfaits immenses que tu recueilleras de l'amitié de celui qui fut ton amant (Platon, Ibid. p. 348). » Voilà les pensées de Platon qui ne sont pas celles de Moïse lequel prescrit par ses lois des devoirs exactement contraires, et qui prononce à haute voix la punition à infliger aux pédérastes : « Si quelqu'un, dit-il (Lévit. 20, 13), reçoit un mile sur sa couche, en guise de femme, l'un et l'autre ont commis une abomination ; qu'ils périssent d'une mort violente pour le crime auquel ils se sont livrés. » Puis encore. « Maudit soit, dit-il, tout homme qui couche avec on homme en guise de femme. » Mais à quoi bon signaler cette omission du sage par excellence, qui, dans ses lois, n'a point cru devoir infliger la peine capitale aux pédérastes, tandis qu'il la prononce contre l'esclave qui ne révèle pas la découverte d'un trésor, faite par un tiers? Écoutez en quels termes il le déclare, pour que vous ne m'accusiez pas d'être un calomniateur. [13,21] CHAPITRE XXI QUE LES LOIS PÉNALES PRONONCÉES PAR PLATON SONT INDIGNES DES NOBLES CONCEPTIONS DE CE PHILOSOPHE, ET NE PEUVENT ÊTRE MISES EN PARALLÈLE AVEC CELLES DE MOÏSE. « L'oracle que le Dieu aura prononcé sur les richesses et sur celui qui les aura déplacées, devra être mis à exécution par l'État en se conformant à la parole divine. Si celui qui l'a révélé est un homme libre, qu'il jouisse de sa réputation de vertueux; si, au contraire, il a tenu ce fait secret, qu'il passe pour un infâme. Si le révélateur est un esclave, il serait juste qu'il fut mis en liberté par l'État, qui payerait à son maître le prix de sa rançon; s'il n'a point fait connaître ce qu'il savait, qu'il soit puni de mort (Platon, onz. des Lois, p. 675). » Vous voyez qu'ici Platon ne punit point de mort celui qui a déplacé un objet auquel la loi interdit de toucher; mais celui qui n'a pas déclaré le crime d'un tiers. Puis d'un autre côté, il déclare pur le maître qui a tué son propre esclave dans un accès de colère. Voici en quels termes; « Si un maître a tué son esclave, qu'il se purifie ; si dans un accès de colère il a tué un esclave qui ne lui appartenait pas, qu'il paye à son maître le double du tort qu'il lui a fait (Platon, 9e des Lois, p. 656). Mais entendez-le lui-même dans l'établissement de ses lois pénales : « Si quelqu'un d'une main homicide tue un homme libre, et que cet acte ait été amené sans préméditation, dans un accès de colère; qu'il subisse les autres punitions qu'il aurait encourues, s'il l'avait tué sans être animé par la colère, et qu'il soit de plus banni forcément pendent deux années, pour châtier son irascibilité (Platon, 9e des Lois, p. 657). » Il y ajoute immédiatement cette autre loi : « Quiconque a tué dans sa colère, mais avec préméditation, qu'il subisse les autres punitions mentionnées plus haut, et que son exil s'étende à trois ans, comme l'autre en a subi un de deux ans; réprimant par un plus long temps d'exil, le plus grand degré de sa colère (Platon, Ibid. p. 688). » « Ensuite il prononce la loi contre l'auteur d'un second meurtre. « Après être rentré sur le sol de la patrie, si l'un des deux exilés après s'être déjà rendu coupable de meurtre, dominé par la colère, commet une seconde fois le même crime ; qu'il soit exilé à perpétuité. » Plus bas il dit encore : « Si ce qui arrive quelquefois, bien que rarement, un père ou une mère tuaient leurs fils ou leur fille par emportement, à force de coups ou d'une manière violente quelconque, ils devraient se soumettre aux mêmes purifications que les autres meurtriers, s'expatrier pendant trois années ; ces infanticides après leur retour ne devraient plus habiter, si c'est le mari avec sa femme, si c'est la femme, avec son mari; de manière à ne plus donner le jour à de nouveaux enfants (Platon, ibid. p. 658).» Il ajoute encore : « Si un homme, dans sa colère, a tué sa femme ou que celle-ci cédant à la même passion, ait tué son mari, ils doivent se purifier par les mêmes moyens expiatoires et être bannis pendant trois années. L'auteur de ce meurtre, à son retour, ne doit pas prendre part aux actes religieux de ses enfants, ni s'asseoir au même banquet qu'eux. Si un frère ou une soeur tue son frère ou sa sœur, par colère, qu'il se soumette aux mêmes actes purificatoires, et à un bannissement égal à ce qui a été pour les pères et les enfants ; que la même règle soit observée à l'égard de ceux qui ont privé les frères de leur frère, les parents de leurs enfants ; qu'ils ne. puissent prendre part à leurs repas, ni s'associer à leurs sacrifices (Platon, ibid.). « Si un frère tue son frère dans une émeute, où un combat aura été livré, ou en repoussant son agression d'une manière quelconque, qu'il se considère comme ayant tué un ennemi, et exempt de toute purification. Qu'il en soit de même lorsqu'un citoyen tue son concitoyen, ou un étranger tue un étranger, mais si un citoyen tue un étranger ou un étranger tue un citoyen, en se défendant; que, dans tous ces cas, ils demeurent purs. Qu'il en soit ainsi d'un esclave envers un esclave. Mais si un esclave tue un homme libre, en se défendant, qu'il soit soumis aux mêmes lois que le fils qui a tué son père (Platon, 9e des Lois, p. 656). Quiconque, de dessein prémédité et injustement, aura tué un membre de sa tribu, il sera d'abord exclus de tous les privilèges de la tribu, c'est-à-dire qu'il ne pourra fréquenter, ni la place publique, ni les temples, ni les ports, ni aucun des lieux de réunion, qu'il souillerait par sa présence, sans qu'il soit besoin que cet arrêt soit signifié ou non, par qui que ce soit, car la loi les lui interdit. Et quiconque ne le poursuivrait pas, lorsque sa position lui en fait un devoir, ou devant le dénoncer, ne le ferait pas, devra être repoussé par toute sa parenté. En second lieu le meurtrier sera justiciable de quiconque voudra venger sur lui le meurtre qu'il a commis (Platon, ibid. p. 459). La femme qui, par des embûches secrètes, cherche à faire périr son mari, ou le blesse, ou le mari qui aura fait la même chose à sa femme ; qu'ils soient exilés sans retour (Platon, ibid. p. 661). Telles sont les lois du philosophe, si l'on veut leur opposer celles du Moïse. Écoutez de quelle manière il a réglé tout ce qui concerne les questions du meurtre. « Si quelqu'un a frappé un individu de manière à le faire mourir, qu'il meure. Si c'est sans le vouloir, mais parce que Dieu lu lui a remis dans les mains; je te donnerai un lieu où pourra se retirer celui qui aura tué. Si quelqu'un tend des embûches à son prochain pour le tuer, par fraude, et qu'il cherche un asile, qu'on l'arrache de mon autel pour le faire mourir. Si deux hommes s'injurient, et que l'un des deux frappe son prochain, avec une pierre ou avec le poing, sans le faire périr, mais de manière à lui faire garder le lit, si, après sa guérison, cet homme peut se promener au dehors, en s'appuyant sur un bâton; que celui qui l'a frappé soit innocent; seulement il indemnisera le blessé du temps où il n'aura pu travailler, et des frais du médecin. Si quelqu'un frappe son esclave ou sa servante avec un bâton, au point de les faire mourir sous ses coups; qu'il soit traduit en jugement. Si quelqu'un frappe dans les jeux son serviteur ou sa servante, de manière à les rendre borgnes : il les renverra libres, en échange de la perte de leurs jeux (Exode, 21. 12 à 26 ). » Telles sont les lois pénales de Moïse. Écoutez maintenant en quels termes et de quelle manière Platon veut qu'on puisse accabler impitoyablement de coups un esclave. « Lorsqu'on veut vendanger, soit une vigne, soit un figuier, de bon plant, si l'on ne cueille que sur ses propres arbres, qu'on le fasse quand et aussi longtemps qu'on le veut. Que celui qui cueille sur des arbres qui ne lui appartiennent pas, conformément au proverbe, qui défend d'enlever ce qu'on n'a pas déposé, soit toujours condamné à une amende. Si c'est un esclave, qui fait cette action sans avoir obtenu le consentement du maître du terrain dépouillé, qu'il reçoive autant de coups de fouet qu'il a enlevé de grappes de raisin ou de figues (Platon, 8e des Lois. p. 689). » Ces règlements, à l'égard des esclaves, sont indignes des nobles sentiments de Platon. Si vous voulez savoir combien les mesures législatives de Moïse sont plus grandes et plus humaines, écoutez-le dans la citation qui suit. « Si vous entrez dans la vigne du prochain, mangez du raisin assez pour contenter votre âme; mais vous n'en amasserez pas dans des paniers. » Puis en suivant : « Si vous entrez dans un guéret ensemencé appartenant au prochain, cueillez des épis à la main; mais sans pouvoir mettre la faux dans la récolte du prochain (Deutér. 23, 24.). » Puis encore : « Si vous faites la récolte des grains dans un champ qui vous appartient, et que vous ayez oublié une gerbe dans votre champ, ne retournez pas sur vos pas pour la reprendre; elle sera au mendiant, au prosélyte, à l'orphelin ou à la veuve, afin que le Seigneur-Dieu vous bénisse dans toutes les œuvres de vos mains. Si vous faites la cueillette des olives, ne retournez pas pour chercher ce qui vous aura échappé : cela appartient au prosélyte, à l'orphelin et à la veuve (Deutér. 24,19). » On trouve ces lois dans Moïse. Les préceptes de Platon sont clairs : la plupart, en les étudiant, vous paraîtront exempts de reproches. Acceptant donc ceux qui se distinguent, chez lui, par l'élévation des sentiments et par le mérite, nous repoussons bien loin tout ce qui n'a pas ce caractère. Toutefois, après avoir ainsi épuisé cette question, et après avoir rendu compte des motifs qui nous ont déterminés à ne pas nous ranger parmi les adhérents de la philosophie platonicienne, il est temps de conduire à son terme ce qui nous reste à dire pour accomplir notre tâche, et de donner un coup d'oeil général aux autres sectes de la philosophie grecque.