[0] DISCOURS D'ACTIONS DE GRACES A CONSTANTIN AUGUSTE. AU NOM DES HABITANTS DE FLAVIE. [1] I. Très auguste Empereur, si Flavie, cette cité des Eduens qui porte enfin un nom éternel, pouvait s'ébranler sur ses fondements et venir en ces lieux, elle se réunirait certainement tout entière dans une commune voix pour célébrer vos grandes et illustres faveurs ; et vous regardant comme son restaurateur, ou, à dire plus vrai, comme son fondateur, elle aimerait à vous rendre grâces, surtout dans une ville avec laquelle vous avez commencé à lui donner des traits de ressemblance. Mais comme, malgré son vif désir, elle ne peut lutter contre les lois de la nature, et comme la grande distance ne vous permet pas d'entendre les acclamations qui font monter chaque jour vos louanges jusqu'au ciel, je me suis chargé bien volontiers de remplir un devoir de haute convenance, en acceptant la mission d'être auprès de vous l'interprète des joies de ma patrie ; et quittant le sanctuaire de mes études privées, je viens vous adresser, au nom de tout un peuple, un discours d'actions de grâces. Très auguste Empereur, lorsque, dans le vestibule de votre palais, par la parole divine de votre bonté, et en étendant votre droite invincible, vous avez fait lever les sénateurs prosternés à vos pieds, je n'ai pas voulu exprimer à Votre Majesté les sentiments de notre gratitude. Je n'avais rien prévu, mais les paroles ne m'eussent pas fait défaut : il était, me semble, aussi impossible de retenir l'expression de la reconnaissance, que de préparer un éloge pour des bienfaits aussi inattendus ; mais j'ai eu égard aux lieux et aux circonstances. Sûr de l'accueil bienveillant que vous auriez fait à mon zèle et à l'empressement de ma parole, et qui eût suffi à immortaliser mon nom, je devais craindre que le petit nombre de mes auditeurs ne donnât pas à ma voix un retentissement digne de Votre Majesté. D'ailleurs, comme vous n'aviez qu'un jour à consacrer aux nombreux intérêts de la ville, mon discours vous eût retenu trop longtemps, et la grandeur de vos bienfaits ne me permettait pas d'abréger le témoignage de notre gratitude. [2] II. Aujourd'hui, nous sommes dans une ville qui, jusqu'à présent, a eu plus que toute autre l'honneur habituel de votre présence, et nous espérons que désormais pour partager ce bonheur notre Flavie sera sa rivale : aujourd'hui tous Vos amis sont assemblés, tout l'appareil de la majesté impériale vous environne, et des hommes de presque toutes les cités se sont réunis, les uns ambassadeurs officiels de leur patrie, les autres solliciteurs dans leur propre cause. C'est le moment, illustre Empereur, de révéler des choses que vous aimerez à reconnaître, des bienfaits auxquels mes auditeurs ne croiraient point, si je ne les racontais en présence de celui qui ne peut les ignorer. Très auguste Empereur, le premier devoir d'un panégyriste est de montrer que les faveurs accordées sont dues, non pas à un bonheur fortuit, mais à une juste clémence; car, si c'est le propre d'un bon prince de faire du bien à ceux mêmes qui ne sont pas dans le besoin, il appartient à un prince sage de secourir ceux qui sont dignes de ses bienfaits et par leur mérite et par leurs malheurs. En développant cette vérité, je songerai moins au désir de louer ma patrie, qu'à l'obligation de faire ressortir votre prévoyante bonté; et je m'attacherai spécialement à montrer la grandeur de vos bienfaits, avec un zèle dont l'ardeur égalera la faiblesse du talent. Quelle est donc, dans tout l'univers, la nation qui puisse réclamer la préférence sur les Eduens pour son attachement au nom romain? Les premiers de tous, au milieu des nations innombrables et barbares de la Gaule, ils furent, par plusieurs décrets du sénat, déclarés frères du peuple romain. Lorsque, de tous les peuples situés entre le Rhin et le Rhône, on ne pouvait espérer qu'une paix suspecte, seuls les Eduens osèrent se glorifier de cette fraternité; dans ces derniers temps, et pour omettre bien des faits intermédiaires, ils furent encore les seuls à appeler le divin Claude, votre parent, pour reconquérir la Gaule. Il y a très peu d'années, ce que je tiens surtout à proclamer, votre père leur accorda et leur promit de nombreuses faveurs, dont les unes ont été réalisées et les autres font le sujet de leurs joyeuses espérances. [3] III. Sagonte cultiva autrefois l'alliance des Romains, mais à une époque où toute l'Espagne fatiguée de la guerre Punique éprouvait le besoin d'un changement de domination. Massilie fut aussi l'amie de la République, et elle se glorifiait d'être protégée par la majesté du nom romain : les Mamertins en Sicile, les Troyens en Asie eurent recours à des fables pour justifier une commune parenté avec les maîtres de l'univers. Les Eduens seuls, sans être poussés par la crainte, ni excités par l'adulation, mais animés par un dévouement cordial et sincère, ont été dignes d'être crus les frères du peuple romain et d'en porter le nom : de tous les mots propres à exprimer les rapports d'affection, il n'en est aucun qui peigne aussi bien et la communauté de l'amour, et l'égalité du rang. Dans la suite, les nations voisines, envieuses plutôt de cette fraternité romaine que de la gloire des Eduens, et poussées par la haine jusqu'à préparer leur propre ruine, appelèrent à leur secours les Germains, regardant comme auxiliaires ceux qui allaient devenir leurs maîtres. Aussitôt le chef des Eduens se présente au sénat pour l'informer de ce qui se passe : on lui offre un siège dans l'assemblée; il décline cet honneur et parle appuyé sur son bouclier. On fait droit à sa demande, et le premier il conduit, en deçà du Rhône, César et l'armée romaine ; car jusqu'alors on avait donné le nom de Gaule transalpine à un pays qui était seulement le chemin de la Gaule. Et les Eduens livrèrent à la puissance romaine tout ce qui est renfermé entre le Rhin, l'Océan, les Pyrénées et toutes les Alpes; hospitalité dans les quartiers d'hiver, vivres fournis en abondance, fabrication d'armes, secours d'hommes et de chevaux, telle fut leur part d'action dans ces conquêtes. Ainsi les peuples celtes et belges purent se réunir dans une paix commune, et tout ce que les Eduens donnèrent à l'empire romain fut une proie enlevée aux Barbares. [4] IV. Mais, dira-t-on, ces faits sont anciens : je l'avoue, mais ils sont plus vénérables en raison même de leur ancienneté, car le temps ajoute au mérite et à la valeur des vrais services. Notre vénération et nos égards augmentent tous les jours pour nos parents avancés en âge, tandis que l'affection des frères et des enfants, malgré sa plus grande douceur, a des racines moins profondes dans nos âmes ; de même les bienfaits anciens ont plus de droit à nos respects, quoique les faveurs actuelles semblent plus agréables. Mais en supposant même que ces anciens services aient, avec le temps, perdu de leur valeur, que dirons-nous des choses plus récentes dont nous avons été témoins dans notre enfance? Remarquez, je vous prie, noble Empereur, l'importance du fait suivant : les Eduens engagèrent les premiers le divin Claude votre parent à reconquérir la Gaule, ils attendirent son secours, renfermés pendant sept mois dans leurs murailles et souffrant toutes les horreurs de la famine, et ils ne laissèrent enfoncer leurs portes par les Gaulois rebelles que lorsque l'épuisement de leurs forces ne leur permit plus de les défendre. Si la fortune eût favorisé vos efforts et ceux des Eduens, et que le sauveur de l'empire eût pu nous envoyer les secours demandés, les frères du peuple romain auraient promptement ramené le calme dans les provinces pacifiées; et cette œuvre aurait réussi sans que les armées romaines eussent essuyé aucune perte, et sans le carnage des champs catalauniens. En considération de cette belle conduite et des services anciens, votre divin père voulut relever de ses ruines la ville des Eduens et réparer toutes ses pertes : non seulement il lui fournit des capitaux à placer et fit reconstruire les bains détruits, mais il attira dans la ville des colons de tous les pays, afin de constituer comme la mère unique des provinces une cité qui, la première, avait pour ainsi dire rendu romaines toutes les autres villes. [5] V. Empereur, je viens de dire combien les Eduens ont mérité les secours que vous leur avez accordés; il me reste à raconter ceux que vous leur avez procurés dans leurs graves infortunes. Ici, la matière de mon discours serait encore plus abondante s'il était permis de retracer longuement devant Votre Majesté de trop tristes détails. En célébrant les louanges de ma patrie, la modestie m'a imposé des bornes et m'a empêché de m'élever avec une orgueilleuse présomption ; de même, en retraçant ses malheurs, je serai retenu par ma douleur et par les usages consacrés en votre présence; car vous n'aimez à entendre que ce qui peut être pour vos amis un objet de félicitation. Cependant, je vous en conjure, Empereur, commandez la patience à votre sensibilité : les médecins les plus distingués ne dédaignent pas de fixer les plaies qu'ils ont à guérir ; écoutez de même pendant quelques instants les malheurs des Eduens auxquels vous avez remédié; car la connaissance de notre misère est nécessaire pour justifier les éloges dus à votre clémence. L'appui du nom romain n'était plus suffisant à soutenir la ville, mais plutôt elle s'affaissait dans une complète défaillance, épuisée par la rigueur de nouvelles contributions. Toutefois nous n'avions aucun droit de nous plaindre, puisque nous possédions réellement les champs frappés de l'impôt, et que la loi qui nous atteignait était commune à toute la Gaule ; et cependant nous n'égalons aucun peuple en richesses. Nous sommes d'autant plus empressés à vous témoigner notre gratitude pour votre bienveillance, noble Empereur, vous qui, par la concession spontanée du remède, nous avez mis dans une position où il semble que nous ayons obtenu à titre de justice ce que nous ne pouvions pas légalement réclamer. [6] VI. Comme je l'ai dit, nous possédons réellement le nombre d'hommes et l'étendue du terrain qui ont été déclarés, mais le tout a peu de valeur : les habitants n'ont point d'énergie, et la terre est infidèle. Peut-on comparer notre sol et nos habitants avec le sol et les cultivateurs rémois, naviens ou même tricassins qui sont dans notre voisinage, puisque dans ces pays les revenus répondent à l'activité du travail ? Du reste on pardonne avec raison à un cultivateur qui s'ennuie d'un travail improductif; car un champ, dont les revenus ne sont pas en rapport avec les dépenses, est nécessairement abandonné, quand il n'y aurait d'autre cause que l'indigence des habitants de la campagne qui, pliant sous le poids des dettes, n'ont pu ni détourner les eaux, ni abattre les forêts. Aussi les parties du sol auxquelles il restait encore un peu de fertilité ont perdu toute valeur, ensevelies sous les marais, ou envahies par les ronces et les épines. Et même c'est à regret qu'on ensemence le canton Arébrignus, seule localité où se fasse sur une très petite échelle la culture de la vigne, car au-delà on ne rencontre que des forêts et des rochers inaccessibles, où les bêtes sauvages ont une retraite assurée. Quant à la plaine adjacente et qui s'étend jusqu'à la Saône, elle était, dit-on, autrefois d'une délicieuse fécondité entretenue par une culture non interrompue, dont le travail dirigeait le cours des eaux à travers les vallées ouvertes et dans les terres de chaque particulier; mais aujourd'hui la dévastation a fermé ses canaux, et tous les lieux bas, que cette position même rendait fertiles, sont changés en fondrières et ensevelis sous des eaux dormantes. Les vignes elles-mêmes, qui sont un objet d'admiration pour ceux qui ne les connaissent point, ont tellement vieilli que la culture leur est presque inutile, car les racines des ceps, dont nous ignorons l'âge, réunies en mille replis, ne permettent pas de donner aux fosses la profondeur convenable, et le provin trop à découvert est exposé à l'action corrosive des eaux ou aux ardeurs brûlantes du soleil. Et nous ne pouvons pas, selon l'usage de l'Aquitaine et des autres provinces, planter partout de nouvelles vignes; car, dans les régions supérieures, on ne trouve qu'un sol toujours pierreux, et ailleurs ce sont des bas-fonds exposés à la gelée blanche. [7] VII. Que dirai-je des autres villes du territoire éduen? Vous avez avoué vous même que leur situation vous avait arraché des larmes; vous n'y avez pas rencontré, comme dans les campagnes des autres villes, un sol presque partout cultivé, découvert, émaillé de fleurs, des routes faciles, des fleuves navigables qui baignent les portes mêmes des cités. Mais depuis l'endroit où le chemin, faisant un détour en arrière, conduit en Belgique, vous avez remarqué partout l'aspect de la désolation, le défaut de culture, le deuil, le silence et de sombres horizons ; la voie militaire elle-même est pratiquée dans un sol pierreux; une succession de montagnes la rend tellement escarpée et dangereuse par ses précipices, qu'on peut à peine y conduire les chars à demi chargés et quelquefois entièrement vides. C'est ce qui met souvent du retard dans les convois dont nous vous sommes redevables, car il nous est plus difficile d'exporter quelques provisions qu'aux autres peuples d'en livrer avec abondance. La physionomie de ces contrées est telle que nous regardons comme un très grand bienfait que leur aspect ne vous en ait pas inspiré l'horreur; et, tout le monde l'avouera, il vous fallait une bonté surhumaine pour venir y porter la joie par votre présence, et nous vous en conserverons une spéciale et éternelle reconnaissance. Empereur, nous vous remercions avec d'autant plus d'empressement que, connaissant la difficulté de nos routes et l'aspect âpre et hideux de notre pays, vous avez daigné y détourner votre marche et illustrer de votre présence une ville qui n'avait de vie que par l'espérance de vos secours. Les bons princes aiment à voir leurs sujets lorsqu'ils sont dans le bonheur, mais il y a plus de bonté a les visiter même au jour de leur détresse. Dieux propices ! quel jour heureux a lui pour nous ! (et maintenant je suis amené par la suite de mon discours à raconter par ordre les remèdes que vous avez opposés à nos maux) l'heureux jour où votre entrée dans nos murs nous donna le premier gage de notre salut ! L'enceinte de la ville avec sa courbure sinueuse, dont les deux extrémités sont garnies de tours, semblait avancer ses deux bras pour vous recevoir. [8] VIII. Empereur, vous vous demandiez avec étonnement d'où pouvait venir cette multitude immense qui accourait sur vos pas; car, du haut de la montagne voisine, vous n'aviez aperçu qu'un vaste désert. Les hommes de tout âge avaient quitté les champs pour voler à la ville, et voir celui à qui ils auraient volontiers souhaité une vie plus longue que la leur. Cette formule solennelle, consacrée à proclamer le vœu de prolongation pour la vie de l'Empereur, c'est pour vous seul, Constantin, que nous la répétons en toute assurance, pour vous qui devez survivre à toute cette génération et à qui une si longue existence est spécialement due. Il y a certainement une grande énergie dans le sentiment de joie qui succède à une maladie et à une tristesse longtemps prolongées. Notre allégresse était vive comme le feu d'un transport, elle était au-delà de nos forces : exaltés par un certain pressentiment du bonheur qui nous attendait, nous vous avons accueilli avec autant de joie que si nous eussions déjà reçu les faveurs qui, plus tard, devaient nous être accordées. Nous avions paré les rues qui conduisent au palais, et nos ornements se ressentaient de notre pauvreté; cependant nous avons déployé les bannières de toutes les corporations, porté les statues de tous nos Dieux; un petit nombre de musiciens, prenant des voies abrégées qui leur permettaient de se trouver plus souvent en votre présence, faisaient retentir sur leurs instruments quelques airs célèbres. A juger de la vérité par notre empressement, on nous eût crus riches ; mais, quelques soins que nous ayons pris pour la dissimuler, notre pauvreté n'a pu échapper à votre clairvoyance, et vous avez compris tout ce que renfermait d'apparat la démonstration cordiale et honnête de l'indigence. [9] IX. Vous nous avez appelés nous-mêmes auprès de Votre Majesté; vous avez daigné nous parler spontanément et nous demander vous-même le premier quels secours nous réclamions. Ce sont là, Empereur, de vrais bienfaits : non sollicités, ils proviennent de votre volontaire bienveillance, et ils procurent le plaisir de recevoir sans l'ennui de la demande. Ce n'est pas chose facile de réclamer une faveur particulière à l'Empereur de tout l'univers, d'être assez hardi pour paraître en présence d'une si grande majesté, de composer son visage, d'affermir son esprit, de méditer ses paroles, de s'exprimer avec la précipitation de la crainte, de finir convenablement et d'attendre la réponse. Toutes ces difficultés, Empereur, vous les avez épargnées à notre timidité, non seulement en nous demandant de vous-même quels remèdes nous désirions, mais en cherchant à comprendre ce que nous passions sous silence; et cependant, prosternés à vos pieds, vous nous releviez avec les paroles les plus bienveillantes. Vos yeux humides nous ont révélé la grandeur de votre bonté compatissante. Des larmes coulaient sur votre visage, larmes salutaires pour nous et glorieuses pour vous ; de notre côté, nous avions banni nos douleurs et nous pleurions de joie. Une pluie désirée féconde les campagnes qu'avaient desséchées les longues chaleurs : de même vos larmes faisaient ruisseler la joie dans nos cœurs. Et quoiqu'il ne fût pas permis de se réjouir, tandis que vous versiez des pleurs, cependant la joie de la reconnaissance triompha du respect; car vos larmes étaient un signe de bonté, et non de douleur. [10] X. Et ces bienfaits suffiraient à justifier une solennelle action de grâces, lors même que vous eussiez différé l'espérance du remède et que la nature même du secours nous fût demeurée incertaine ; mais la promptitude est le caractère de votre bonté, et ce que votre cœur bienveillant a conçu, votre parole le fait connaître immédiatement. Ainsi les sources abondantes qu'a formées la main de la nature précipitent leurs eaux, afin de promener partout leurs bienfaits ; ainsi ce que le ciel nous envoie descend avec rapidité sur la terre; et enfin c'est ainsi que cette intelligence divine, qui gouverne le monde entier, a réalisé sur-le-champ ce qu'elle avait conçu. Cependant, Empereur, si vous demandiez en cela le conseil d'un ami plus adroit, il vous ferait peut-être un reproche : c'est de manifester trop facilement ce que vous devez accorder, et de découvrir de suite et sans déguisement ce qui devrait être l'objet de longues espérances. Vous ne savez pas, Empereur, faire valoir vos dons ; vous prévenez le temps du désir par la promptitude du bienfait. Par cette activité du bien, vous surpassez même les éléments qui nous donnent et nous conservent la vie. On désire longtemps la naissance d'un homme qui doit venir au monde; des vagissements confus retardent longtemps la formation de la voix articulée, longtemps l'hiver arrête la végétation, le printemps l'aide à sortir, l'été donne les assurances de la fleur, et la chaleur procure la maturité. Vous nous avez aussi donné entièrement la vie ; vous nous avez fait moissonner de suite les fruits de vos bienfaits, et en même temps vous nous avez ordonné de les recueillir dans nos greniers. Pour diminuer l'impôt, vous avez fixé le nombre des personnes portées sur les rôles ; pour nous remettre les arriérés, vous avez demandé ce que nous devions, et cette seule question était une promesse évidente. Car, lorsque celui qui a tout pouvoir fait une semblable demande, il n'a point le désir curieux d'une réponse, mais plutôt c'est une manière noble d'apprendre ce qu'il doit remettre au débiteur. [11] XI. Je parlerai donc séparément de ces deux bienfaits; ils sont trop importants pour les réunir et les confondre ensemble. Vous avez retranché des impôts la part de sept mille têtes, c'est-à-dire plus de la quatrième partie; et cependant plusieurs fois vous nous avez demandé si cette diminution était suffisante. Et nous (était-ce excès de réserve ou désir satisfait?), nous nous sommes tus ; nous avons hésité à répondre, nous avons mis une digue à votre bonté qui coulait à pleins bords. Vous désiriez nous accorder encore davantage si nous eussions osé le réclamer, Empereur, je ne puis assez exprimer la grandeur de ce bienfait, ni dire combien il nous était nécessaire et utile, même pour satisfaire aux exigences de notre dévouement. En retranchant des impôts la part de sept mille têtes, vous avez rendu à vingt-cinq mille citoyens les forces, la richesse, la vie; et vous avez plus gagné en assurant le reste, que vous n'avez perdu par la remise ; les paiements que l'on réclamait inutilement, vous les avez affermis et rendus certains quatre fois autant, car la conviction désespérée de ne pouvoir payer intégralement nous empêchait même de nous acquitter selon nos forces, et nous ne trouvions pas de motifs pour faire des efforts, là où nous n'avions point l'espérance de compléter la somme. O le divin remède que vous avez employé à guérir la cité! Les corps malades et accablés par la torpeur des membres engourdis sont rendus à la santé par l'amputation de quelques-unes de leurs parties, et recouvrent ainsi la vigueur que leur enlevait une trop grande plénitude, de même, courbés sous un poids au-dessus de nos forces, nous nous sommes relevés aussitôt qu'on a diminué le fardeau. [12] XII. Ce ne serait pas apprécier votre bonté que de la restreindre à celte remise des impôts pour une part de sept mille têtes ; nous vous devons vraiment tout ce que vous avez mis de vie et de prospérité dans notre cité. Quoique nous chancelions encore sous notre ancien fardeau, cependant il parait plus léger, parce qu'il ne pèse pas sur nous tout entier; l'espoir de la délivrance donne la patience qui supporte. Aujourd'hui les enfants aiment certainement leurs pères et mères avec plus d'affection, les époux ne regardent plus leurs femmes avec peine, et les parents ne sont plus fâchés de voir grandir leurs enfants, dont ils savent avec bonheur que la charge n'est plus aussi lourde pour eux. Ainsi les affections de tous, longtemps comprimées, respirent à l'aise, et chacun, sans inquiétude, aime à compter les membres de sa famille dont le nombre diminue les charges. Ceci nous fait concevoir pour l'avenir de plus grandes espérances encore; notre esprit est tranquille dans la sécurité du passé, et comme les arriérés nous sont remis, nous n'éprouvons, en jetant les yeux sur notre position, aucune de ces craintes qui abattent les forces à la pensée des paiements futurs. Ainsi nous n'avons plus à porter les inquiétudes des deux périodes du temps qui sont les plus longues, et nous traversons avec une facile peine celle qui est la plus courte. Car le temps passé est long dans sa mesure, et le temps à venir est comme infini, mais le présent est court et mobile dans les deux directions, puisque continuellement il s'éloigne du passé et se rend vers l'avenir. Cette année est la seule où nous n'éprouvions presque pas le sentiment de la peine, renfermée dans les bienfaisantes limites des deux autres périodes du temps, elle est comme une borne érigée au bonheur et placée au milieu du passé et de l'avenir, dont l'un nous laisse libres, et l'autre nous offre la sécurité. [13] XIII. Vous nous avez remis les arriérés de cinq ans. O lustre le plus heureux de tous ! O lustre qui par un heureux rapport égale les années de votre règne ! C'est pour nous spécialement que les Dieux vous ont fait Empereur, puisque pour chacun de nous le bonheur doit dater du commencement de votre règne. Nous devons donc célébrer en votre honneur les quinquennales qui sont complètement révolues, car ces fêtes, que de droit commun les peuples célèbrent au commencement de la cinquième année, nous appartiennent en propre, puisque pour nous le lustre est vraiment accompli. On dit que Caton fit un très beau discours sur les événements heureux des cinq premières années de sa charge; car alors, en cette vieille République, c'était déjà un titre glorieux pour les censeurs s'ils avaient pu fonder un lustre heureux, si les moissons avaient rempli les greniers, si les vendanges avaient été abondantes, si les olives avaient coulé en ample récolte. Et l'on nous demanderait pourquoi nous devons nous féliciter de ce lustre rempli par vos bontés ! — Quand même, pendant ces cinq années, nos champs nous eussent prodigué toutes les richesses de la fécondité, telle est l'étendue de votre libéralité qu'ils n'auraient pu, ce semble, nous donner ce que nous possédons aujourd'hui. Votre lustre nous vaut tout ce que nous avons cessé de devoir ; il nous vaut des greniers abondants, des celliers remplis, puisque nous n'avons plus d'arriérés qui nous pèsent. Votre largesse a remplacé la Terre mère des fruits, et Jupiter modérateur des vents; elle nous a prodigué tout ce que leur main avare nous avait mesuré avec réserve. [14] XIV. Où trouverait-on dans tout l'univers des mines d'or et d'argent aussi abondantes? Quel Tage, ou quel Pactole roule autant d'or que vous nous en avez donné par vos bienfaits? car la libéralité ne serait pas plus grande si elle s'était épanchée en monnaie d'or. Et même, autant il est plus dur d'être dépouillé de ce qu'on possède que de ne pas acquérir le bien d'autrui, autant la remise d'une dette est plus douce que l'heureuse facilité d'obtenir la même somme. Empereur Auguste, combien de citoyens obligés par la misère de se cacher dans les forêts, ou même de se condamner à l'exil, et que la remise des arriérés a rendus à la lumière, à la patrie! Maintenant ils n'accusent plus leur ancienne pauvreté, ils ne maudissent plus la stérilité de leurs champs; ils se remettent à l'œuvre avec vigueur, font les préparatifs de la culture, travaillent sous de meilleurs auspices, revoient leurs maisons, apportent leurs offrandes au temple. Mais le jour où vous, qui êtes notre sauveur à tous, viendrez parmi nous avec celui qui est comme le compagnon et le collègue de Votre Majesté, c'est alors surtout que toute la ville se mettra en mouvement et fera retentir les airs de ses cris de joie, et peut-être, quand vous voudrez partir, elle vous retiendra. Vous nous pardonnerez cette indiscrétion, et vous supporterez cette hardiesse de notre amour. Quoique vous soyez le maître de toutes les villes et de toutes les nations, cependant nous n'avons pas craint de donner votre nom à notre ville en mettant de côté l'ancien, car Bibracte s'est appelée jusqu'à présent Julia, Pola, Florentia ; mais Flavie sera désormais le vrai nom de la cité des Eduens?