[4,0] LIVRE IV. [4,1] LETTRE I. ENNODIUS AU PAPE SYMMAQUE. Il est d’un bon général d’animer le courage du soldat qui a fait ses preuves au jour de bataille pour que l’appât de la louange invite les cœurs généreux à marcher à d’heureux combats sans regret de la vie. Quel est le soldat qui ne sente sa valeur redoubler en entendant le capitaine faire son éloge? A quels engagements se refusera la recrue la moins aguerrie dès lors que le témoignage du chef assure ce jeune soldat que rien de ce qu’il fera ne sera oublié? Le seul moyen d’accroître l’ardeur des combattants, c’est de ne pas laisser les belles actions tomber dans l’oubli. Plaise à la divinité, touchée par vos prières, de mettre fin aux combats du démon. Qu’elle daigne manifester mon dévouement durant la paix et que si l’adversité a mis en évidence mon zèle à vous défendre, le règne de la concorde me signale comme votre plus humble serviteur. L’évêque Marcellianus a reçu de votre frère les instructions au sujet de sa légation ; mais il a écrit lui-même quels résultats il a obtenus. Il me reste à vous offrir les devoirs de mes salutations et à vous demander d’appliquer vos prières, comme une salutaire médecine, à guérir tout ce qui est malade, de porter le fer spirituel dans les secrètes profondeurs du mal, pour extirper l’erreur dont le venin cause la mort d’un si grand nombre. Adieu. [4,2] LETTRE II. ENNODIUS A ALICON. Le vénérable prêtre Amantius en exigeant de moi une lettre pour vous, fait à mon dévouement, un appel que je considère comme un ordre. Heureuse nécessité qui répond à mes plus vifs désirs : libre prescription d’un supérieur qui s’accorde avec mon inclination. On paraît me forcer la main alors que j’obéis à ma propre volonté : l’heureuse lettre qui du même coup donne un double gage à l’amitié! D’une part elle attire un nouveau cœur sous les lois de l’affection et de l’autre elle oblige un vieil ami. Il m’a parlé de vous en termes si élogieux qu’il vous a fait prendre en amitié avant même d’être connu. Il est rare que l’on aime avant de connaître : qui donc eut jamais le don de plaire avant d’être vu? Remarquez de quelle considération jouit auprès de moi le porteur il est l’arbitre de mes appréciations; dès lors qu’il connaît quelqu’un c’est comme si moi-même je l’avais vu; il suffit de mériter ses éloges pour obtenir toute mon estime. Souvent notre esprit ne prend pas la peine de se former une opinion pour adopter celle d’un ami. C’est donc à bon droit que nous entourons de considération ceux qui obtiennent les éloges d’un homme qui lui-même jouit de toute notre estime. Et maintenant si la pauvreté de mon talent pouvait exposer les sentiments dont mon cœur est rempli, si l’aridité de ma parole ne me faisait sentir son impuissance à exprimer les jaillissements de cette source d’affection, si le cadre d’une lettre qui impose des limites même à ceux dont l’éloquence est la plus abondante, me permettait de m’étendre plus longuement, je démontrerais combien votre noblesse m’est redevable de ce que je lui ai fait les avances du commerce épistolaire, de ce qu’avec la clé de la parole je lui ai ouvert la porte de l’amitié. Je vous prie d’accorder votre affection au porteur pour le payer de ce qu’il a fait pour moi en me mettant en relation avec vous. C’est la cause de l’Eglise que je plaide, et ce que vous ferez pour réaliser mes espérances sera pour vous un accroissement de mérite. Mon cher Seigneur, en vous payant le tribut de mes salutations les plus empressées, je vous en prie, si vous daignez accueillir favorablement mon offrande d’amitié, donnez-moi par une lettre le témoignage de vos sentiments affectueux. Adieu. [4,3] LETTRE III. ENNODIÛS A L’EVÊQUE EULALIUS. Je rends grâces à la Trinité, notre Dieu, qui par l’ardeur d’un homme tout puissant auprès d’elle, soulève la charge de péchés dont je suis accablé. Elle a mis mon souvenir dans le temple de votre cœur de saint où le Christ fait ses délices, en sorte que si mes propres fautes ont amoncelé des nuages, ils sont dissipés au pur soleil de votre conscience. Je sais maintenant que les gémissements des pécheurs ne restent pas inefficaces. Le premier fruit de ma prière, le premier fruit de mes larmes fut de susciter en vous un puissant intercesseur qui portât à mes épaules chancelantes le céleste secours de sa main. La vérité est que seul le désespoir perd le pécheur auprès de Dieu. Déjà ce qui n’était en moi qu’ivraie, épines, buissons, promet de l’orge, du froment, des vignes. Courage donc, élu de Dieu; achevez ce que vous avez commencé pour mon humble personne et, par vos prières assidues, dissipez les trésors de colère que mes fautes ont amassés. Et puis après m’avoir ainsi relevé (comme le parrain fait au baptisé), nourrissez-moi de vos entretiens, fortifiez du sel de vos monitions mon cœur sans énergie et qui ne peut s’appuyer solidement sur aucune vertu acquise. Je reviens aux devoirs des salutations et quoique les bornes d’une lettre soient dépassées, au risque de paraître bavard, mais importun, en réalité, pour mes intérêts, j’ajouterai un mot : ne cessez pas de m’aider de vos prières autant que de me raffermir par vos entretiens. Adieu. [4,4] LETTRE IV. MODÈLE DE LETTRE QU’IL DICTA. UNE SŒUR A SON FRÈRE. En somme la plupart des parents se considèrent comme obligés de réserver leurs faveurs à leurs enfants même indignes de leur affection, et ce que l’on fait pour sa postérité est estimé non comme une gracieuseté mais comme une dette. Lorsqu’on s’inspire de mauvais principes, on subordonne le jugement du cœur aux exigences de la nature; on ne tient plus compte du sentiment de l’affection pour se conformer uniquement à ce que prescrit la paternité; on estime que le nom de fils suffit et, au besoin, dispense l’enfant de toute déférence et l’on se demande non ce que pèse dans la balance l’amour auquel on a droit, mais quel nom on peut citer devant l’opinion. Aux yeux des sages, au contraire, nous aurons beau dire: c’est mon fils, nous n’y gagnerons rien s’il ne se montre digne de ce titre. Négliger de corriger sévèrement ses enfants c’est indiquer qu’on veut bien goûter les douceurs de la paternité mais sans en assumer les charges. Loin de nous de ne rechercher dans la procréation d’une postérité que ce qu’il y a d’agréable. Le fruit des entrailles, qui ne fait pas honneur par sa vertu à ceux qui l’ont élevé, reste un témoignage de lasciveté plutôt qu’un gage d’amour. Aussi est-il permis de préférer à des enfants l’intimité de l’affection fraternelle qui ne se dément jamais: Ainsi l’on a avec soi quelqu’un de sa race mais de façon que tout en tenant compte des liens du sang, on fixe son choix d’après le mérite. En conséquence pour ne pas m’étendre plus longuement en préambules hors de propos, ni dire en de longues phrases ce qui, en soi, est très simple, je donne, je transmets à votre fraternité, et je vous passe avec tous mes droits et libre à jamais de toute servitude cette propriété qui m’appartient, et tous mes autres biens. Adieu. [4,5] LETTRE V. ENNODIUS A FAUSTUS. Le haut personnage Dalmatius, que je considère en vérité comme une partie de mon âme et en qui la pureté des mœurs s’unit au privilège de la naissance, a cru expédient pour l’heureux succès de son affaire d’obtenir l’appui de mes recommandations auprès de vous. Connaissant l’état des choses, je n’ai pas cru devoir surseoir, et je vous fournis l’occasion d’accorder comme par bonne grâce ce que je sais dû à la justice. Il s’agit d’un domaine en Sicile que le susdit possédait à bon droit jusqu’ici et que ses consorts auraient envahi. Tout ce qu’obtiendra ma supplique tournera donc au profit de la société. Je vous rends, mon cher Seigneur, le très humble devoir de mes salutations et je vous prie, au sujet des intérêts de ce noble personnage, d’appuyer de votre crédit l’honnêteté, les lois et ces autres grandes choses qui font, par votre intégrité, l’ornement de la République. Adieu. [4,6] LETTRE VI. ENNODIUS A AGAPIT. Votre Grandeur se dépense toute entière pour le bien public et sans trêve elle est obligée de travailler pour la gloire. La charge dont vous êtes investi à la Cour de Ravenne, vous fait négliger votre propre repos pour assurer le notre et tout ce que vous avez de génie personnel est appliqué à procurer la gloire du royaume. Cette nouvelle lumière enlevée au foyer domestique, est venue s’ajouter aux splendeurs du Palais et, aux yeux du Souverain, l’éclat de la couronne n’était pas suffisant, tant que vous lui manquiez. Et pourtant je m’étais flatté que, grâce à la proximité des lieux, vous me feriez la faveur de fréquents entretiens. Mais en punition de mes péchés toutes ces vaines espérances ne furent qu’illusion vous ne m’adressez pas la moindre lettre qui vienne m’apporter le témoignage de votre affection. C’est fâcheux pour moi si je n’ai pas mérité votre amitié; plus fâcheux encore si l’ayant conquise, je l’ai en quelque façon déconcertée. Au reste je sais qu’en définitive toute cette querelle doit se clore sur des excuses d’ailleurs conformes à la vérité : les particuliers ont tout le loisir d’écrire; on ne peut raisonnablement l’exiger des gens chargés d’emplois. Mais je sais aussi qu’un cœur ferme dans l’affection, sous le poids de n’importe quels soucis, trouve le moyen de rendre ses devoirs à ceux qui l’aiment. C’est assez; je ne veux pas être prodigue de mes lamentations. En vous rendant le devoir de mes salutations, je vous prie de prendre en considération la demande que déposera dans vos mains le porteur des présentes et de la faire aboutir. Adieu. [4,7] LETTRE VII. ENNODIUS A JULIEN, ILLUSTRE, COMTE DU PATRIMOINE. J’ai reçu votre lettre toute illuminée d’une double splendeur; car la pourpre qui vient d’être ajoutée à votre noblesse personnelle lui donne un plus haut prix. Je rends grâces, au Dieu tout puissant de ce que la largesse de ses bien faits dépasse mes modestes souhaits; car tandis que nous bornons nos désirs à l’étroite mesure de nos pauvres mérites, il nous prodigue sans compter les trésors de son indulgence. Je me serais tenu pour satisfait de l’honneur de recevoir de vous une longue lettre; mais vous, il ne vous suffit pas de donner ce que l’on vous demande et vous avez mis votre talent à m’écrire une lettre digne de tous les éloges, pareil à un grand fleuve qui lorsqu’on le dérive de son lit pour arroser l’aridité des terres qui le bordent, ne se contente pas de donner le faible filet d’eau qu’on lui demande, mais se déverse tout entier et recouvre d’un épais limon fertilisateur les maigres plaines qu’il inonde. Et maintenant, qu’à l’exemple de ces hommes forts que rien ne lasse, votre Grandeur ne laisse pas de continuer à l’égard de ma chétive personne ce qu’elle a si bien commencé; qu’en témoignage de son affection elle ait soin de m’écrire et que les charmes de ses entretiens me fournissent la preuve de la pureté de son amitié. Que l’attachement promis avant votre élévation aux suprêmes honneurs, ne connaisse pas de déclin ; que votre bienveillance à mon égard, croisse en proportion des hautes dignités qui vous sont attribuées, pour qu’il ne puisse être dit que l’amitié cultivée au temps de votre médiocrité, sous l’avez reniée une fois élevé au pouvoir. Celui qui sait, dans les grandeurs, réprimer toute arrogance, montre qu’il mérite ce qu’il a obtenu. Et vous montrez par la droiture de votre conscience que la prospérité peut le céder aux lois de l’amitié. Oui, en leur donnant l’exemple, amenez tous ces fiers parvenus au sommet de la hiérarchie sociale, à se plier aux exigences de l’amitié. Faites entrer dans les usages qu’un grand se fasse honneur de garder en sa société un ami dont un petit serait heureux de gagner la faveur. En vérité la fortune se joue de ceux qu’elle condamne à être oubliés de leurs proches. qu’elle élève à un haut rang. Auprès d’un homme qui sait les choses. si l’on rappelle ce qui est bien, ce n’est point qu’il soit nécessaire de l’en instruire, mais pour trouver l’occasion de l’en louer. Je n’ai pas oublié cette parfaite égalité d’esprit qui sous rendait si heureusement apte aux bonnes études ; je me plais à la rappeler pour montrer que lorsque l’affection est solide les honneurs ne peuvent y porter atteinte. Mais tandis que j’insiste à me recommander à votre amitié, je dépasse la mesure d’une lettre. Je reviens donc aux devoirs d’un correspondant et tout en vous informant que je vais bien, je vous demande de m’envoyer sans retard de bonnes nouvelles de votre santé. [4,8] LETTRE VIII. ENNODIUS AU PAPE SYMMAQUE. Vous m’avez honoré de votre bienveillance apostolique à tel point que vous me portez jusques à la témérité. La confiance accordée engendra toujours l’audace. Mais si je parais ignorer l’humilité, que l’on considère vos ordres et l’on me trouvera obéissant. C’est de la présomption pour des serviteurs que de ne pas conformer leur façon d’agir aux faveurs des maîtres. On doit, à mon avis, tenir comme un humble hommage de mon respect ce que je fais par obéissance. J’ai donc indiqué le motif qui me fait écrire : c’est la crainte, si après l’ordre que vous m’en avez donné, je gardais le silence, de paraître mépriser votre autorité. Il faut ajouter que dans l’affaire de Marius de vénérable mémoire, tandis que j’étais à la ville vous daignâtes me faire espérer le bon succès de mes prières. Cette affaire avec la Sainte Eglise a reçu sa solution par l’accord que vous avez légitimement consenti. Mais les héritiers se plaignent amèrement d’être frustrés des intérêts dus pour un grand nombre d’années. Et moi qui vous connais, je viens vous prier pour eux; car je sais bien que celui qui ne cesse de faire des œuvres charitables ne dédaignera pas ce qui est juste ; celui qui se plaît à répandre ses libéralités ne ravira pas le bien d’autrui. C’est une erreur de croire qu’une conscience qui s’inspire de la crainte de Dieu, se laisse guider par l’intérêt ; pour une volonté sainte c’est une perte que de ne pas faire du bien. Les seuls gains que vous estimiez vrais sont ceux que vous retirez de votre libéralité : distribuer vos richesses, pour vous c’est. recevoir. C’est avarice aux yeux des saints, lors même qu’ils ne se réservent rien, que de ne donner à chacun que ce qu’il mérite; il n’y a pas de profits préférables à ceux qui vous viennent de votre munificence. Donc assuré par tout ce que je viens de dire, j’ai promis aux héritiers qu’il suffirait de vous voir pour obtenir de vous une juste compensation; à vous de prendre de bienveillantes dispositions pour remplir ma promesse. Rendez-les heureux en y donnant une suite effective, et moi en m’honorant de vos entretiens. [4,9] LETTRE IX. ENNODIUS A FAUSTUS. C’est l’usage que dans une lettre de recommandation obtenue par faveur, l’on ne tienne pas grand compte de la justice et l’on estime obliger d’autant plus que l’on prodigue des éloges immérités. C’est qu’en effet l’on a d’autant plus d’obligation à celui qui recommande que grâce à lui l’on obtient une chose à laquelle le mérite personnel ne donnait aucun droit. En pareil cas, si l’on réussit, c’est au crédit de la recommandation qu’il faut uniquement l’attribuer. Autre chose est de doter par sa parole celui que l’on recommande, de qualités qui lui sont étrangères, comme si l’on jetait en un champ stérile une semence de choix, autre chose de mettre en lumière des mérites vraiment personnels. Ainsi celui qui affirmerait que le troupeau, sur sa montagne, se revêt spontanément de la pourpre de Tyr et que sa toison prend, sans l’intervention d’aucune industrie, cette belle teinte des seules émanations du sol. Il en est qui savent de la sorte, par les seules habiletés du langage, colorer une pourpre digne de vêtir les rois et dont la laine a reçu tout son éclat, non de la teinture extraite des conques marines, mais uniquement de l’éloquence. Pour des cuir dignes de vêtir les princes il suffit aux tissus que la parole qui les vante les colore. Je ne saurais, quant à moi, rendre pareil service; mes moyens oratoires aussi bien que mes aspirations me le défendent. Non, ma plume ne se prêtera jamais à communiquer un éclat mensonger: Nul ne m’entendra dire de quelqu’un ce qui ne se reconnaîtra pas dans ses actes. Je sauvegarde entièrement mon honneur lorsque je me fais l’introducteur auprès de vous d’un personnage qui se présente ayant à son actif une carrière des plus honorable. Je vous dirai donc que Venantius, personnage clarissime a obtenu de moi cette lettre afin d’attirer sur lui l’attention de votre Grandeur. Il craignait que le poids des affaires qui vous accable ne vous empêchât de le remarquer. Il se recommande par des mérites personnels qui le rendent digne d’être inscrit au nombre de vos protégés. Il s’est montré orné de modestie, de religion, d’innocence et c’est avec le cortège de ces vertus qu’il mérite d’être admis à l’honneur de votre intimité. Il possède à un haut degré, croyez-moi, les qualités rares que vous recherchez: bientôt vous constaterez que j’en ai parlé non en panégyriste mais en témoin. Et vous, mon cher seigneur, accordez de prime abord au porteur un accueil honorable, afin d’épargner à cet excellent homme le tourment de l’inquiétude en un milieu si nouveau pour lui; il saura se tenir à la hauteur de son rôle, et s’il parle peu, ses actes suppléeront largement à ses paroles. [4,10] LETTRE X. ENNODIUS A TRASIMOND ILLUSTRE. Ce n’est pas à moi témérité que de vous écrire puisqu’il appartient au rejeton de race royale d’inviter son sujet à entrer avec lui en toute sorte de rapports. La naissance des princes est en effet relevée d’un tel éclat qu’il leur suffit d’accorder leur bienveillance même aux plus grands pour les élever encore. Vous voulez traiter vos serviteurs comme des égaux pour que leur condition même leur rappelle qu’ils vous doivent aimer davantage. Donc, très pieux Seigneur, en vous rendant les hommages que chacun vous doit, je vous informe que je vous dépêche le porteur des présentes pour traiter de certaines affaires. Vous, daignez faire à ma supplique un accueil favorable, car c’est en cet espoir que je viens vous la présenter. [4,11] LETTRE XI. ENNODIUS A LUMINOSUS Manifester clairement des sentiments d’amis c’est ôter le repos à ceux que l’on honore de sa bienveillance. Celui en effet que l’on a coutume d’écouter, ne peut guère plus se taire, car ce serait pousser à l’excès la retenue que de refuser de parler, et notre silence deviendrait pour nous un sujet de confusion. Vous m’avez ainsi rendu bavard en m’accoutumant à voir mes demandes exaucées. Mais sans plus de détours et pour ne pas, en prolongeant ma lettre, retarder ce que j’attendais, je reviens à l’affaire Les rentes dues au sublime personnage Laurent, et que l’Eglise romaine, par une convention avec le chargé d’affaire de l’évêque, a promis de payer, lui sont, assure-t-il, refusées par le seigneur pape, sous je ne sais quel motif. En cette affaire il implore par moi la faveur de votre appui, en sorte que vous paraissiez accorder à l’amitié ce que vous devez aux lois, céder à l’affection ce qu’exige l’équité. Vous, répondez à mes désirs en accordant ce que l’on vous demande et soyez persuadé que tout l’avantage qu’il en reviendra au personnage en question, sera reconnu par moi comme si j’en avais moi-même le profit. Je vous salue donc et, quant au tribut de vos lettres, j’espère que votre affection est trop sincère pour tolérer de votre part une relâche, votre éloquence trop applaudie du monde entier pour vous permettre le silence. [4,12] LETTRE XII. ENNODIUS A JEAN. Il est dans l’ordre de la nature qu’au chagrin succède la joie, aux reproches les compliments, dès lors que nous obtenons ce que nous avions désiré. Je ne savais que penser de ce que ta sublimité gardait vis-à-vis de moi un si long silence, mais dès lors que mon désir est rempli, je suis le premier à plaider ta cause et à te fournir de justes motifs d’excuses. Vois ce que peut le charme de l’amitié : comme si tout était allé au gré de mes désirs, la simple faveur de ta lettre m’a tout fait oublier. Tu pourras tirer de là un modèle de tendre affection, un exemple de fidélité dans l’amitié. Si tu marches à ma suite, les nombreux manquements de ton ami ne pourront altérer chez toi l’union des cœurs et le moindre bienfait de sa part te fera lui pardonner ses fautes. Tu me reproches mon silence, cher frère, tu m’accuses d’oubli? Où donc était cette belle ardeur alors que mes lettres n’obtenaient même pas la grâce d’une réponse, bien loin de m’écrire toi-même le premier? Tu étais, il est vrai, prodigue de tes lettres, mais pas pour tout le monde en Ligurie. Elles allaient, ces lettres qui eussent charmé ma peine, à des indifférents qui s’en souciaient peu. Je n’obtenais que le silence et eux jouissaient sans goût de tes entretiens. C’est une loi fondée sur la nature même des choses que les goûts soient assortis. Oublieux de cette règle tu as voulu mêler au commerce des lettres des esprits sans culture, comme si des éléments aussi divisés pouvaient jamais s'unir. A quoi donc aboutirent tous ces frais d’éloquence et de style, adressés à des gens absolument étrangers aux beaux arts, tandis que tu négligeais quelqu’un qui en est si passionnément épris? Mais passons; je ne veux pas relever la multitude de tes torts puisqu’il a suffi d’une légère satisfaction pour m’apaiser. J’aurais été même beaucoup plus bref sur ce sujet si je ne savais qu’à ton avis, lorsque l’on a quelque amertume sur le cœur, c’est la garder que de n’en rien dire, c’est la dissiper que de s’en expliquer. Je t’en prie, mon cher Seigneur, ne vas pas dans la suite retomber dans les errements du passé, mais que tes douces lettres m’arrivent fréquentes; mon talent y trouvera son aliment, tout en restant fidèle aux devoirs de l’amitié. [4,13] LETTRE XIII. ENNODIUS A CONSTANTIUS ILLUSTRE. Constantius est élevé à quelque haute charge qui exige son éloignement de Milan. Votre Grandeur observe à l’égard de ses amis et de ceux qui lui rendent quelque honneur, des procédés qui ne font qu’ajouter à sa gloire. Lorsque vous estimez quelqu’un digne de votre souvenir, vous lui en donnez des preuves. Ainsi les lettres que depuis longtemps vous m’écrivez pour me consoler de votre absence, en adoucissent pour moi la rigueur. O ingénieuse science, inestimable présent du ciel! Pour que la longue durée de votre éloignement ne puisse porter le moindre préjudice à l’affection, vos lettres viennent raviver les traits sacrés de votre image. J’en atteste Dieu qui pénètre de son regard le fond des cœurs, le souvenir de votre Grandeur m’est un tourment continuel et rien ne peut dissiper l’ennui que me cause votre absence. Je profite néanmoins de cette lettre pour vous adresser l’hommage de mes salutations, et, pour rendre grâces à votre révérence de ce que, par votre entremise, mon frère Jean m’a été restitué. Lui dont le silence jusqu’à ce jour laissait assez entendre le peu de cas qu’il faisait de mon souvenir, le voilà maintenant, ramené par votre affection à prendre la peine de m’écrire, ce qu’il ne faisait plus depuis longtemps. Surtout je vous supplie de hâter votre retour, ou si quelque heureux retard s’y oppose, écrivez-moi en témoignage de votre affection. [4,14] LETTRE XIV. ENODIUS A FAUSTUS. Le service à rendre peut être peu de chose en soi et ne pas coûter davantage, mais dès lors qu’il est demandé à ceux auxquels nous unissent les liens du sang ou de l’amitié, tout ce qu’obtient la faveur doit être attribué à la seule affection. On ne simule pas l’amitié sous des paroles menteuses lorsqu’on confie sa lettre à un porteur que l’on aime. Lorsqu’il s’agit de recommander mon sublime et magnifique Panfronius, mon esprit se complait à dicter la lettre. Je ne sais, en vérité, à quel degré je dois élever le mérite de ce personnage et la pauvreté de ma langue ne pourrait exprimer tout ce que je lui porte dans le cœur. Mais lors même que mon éloquence disposerait de moyens suffisants pour le dire, je devrais renoncer à les mettre en œuvre, parce qu’un langage dépouillé d’artifice exprime mieux la vivacité de l’affection et nous consacrons de longues pages à célébrer les mérites de ceux qui n’ont avec nous aucun rapport d’intimité, mais il nous suffira d’un court billet en faveur de nos amis. Tel est le motif de la brièveté de ma lettre, mais si je ne vous déclare qu’en peu de mots l’étroite amitié qui me lie à ce frère, je n’en ai pas moins la confiance qu’avec l’appui de votre Grandeur il triomphera, dans l’exercice de son emploi, des fables que les esprits malveillants font circuler à son sujet. Il me reste à vous adresser mes respectueuses salutations et à vous faire savoir que je vais bien ; heureux si le ciel m’accorde de recevoir de vous de bonnes nouvelles. [4,15] LETTRE XV. ENNODIUS A FAUSTUS. Il n’est point de demande plus sûre d’être accueillie que celle d’un humble postulant qui s’adresse à un homme animé de sentiments religieux; car comment refuser sa commisération au suppliant qui fait parler sa détresse? Comment opposer un impitoyable refus lorsque nos sentiments religieux nous font un devoir d’écouter les affligés ? Le porteur des présentes est désolé de se voir expulsé du champ de ses pères Il n’a plus contre la puissance de son adversaire triomphant d’autre espoir que si vous daignez vous-même peser sa cause dans la balance de la justice. C’est à vous, le gardien de la sainteté des lois, c’est à vous qu’incombe la défense des humbles. Quant à moi je ne puis que donner à la cause de ma partie l’appui de cette recommandation. Faites donc par vos bienfaits s’accroître encore la vénération qui s’attache à votre nom, car tout en faisant rendre bonne justice, vous ne dédaignez point les œuvres qui sont du domaine de la charité. Agréez donc, mon seigneur, l’hommage de mes salutations et daignez accorder à mes prières, puisque c’est la justice qui réclame, de voir le résultat répondre à mes désirs. [4,16] LETTRE XVI. ENNODIUS A AGAPIT. Mes nombreuses lettres me donneraient certes droit à une réponse si le silence de votre Grandeur ne prouvait assez qu’elles n’ont pas le don de vous plaire. Ce silence obstiné crie bien haut que mon bavardage vous est désagréable et vous cherchez, j’imagine, par quelle nouvelle espèce de rigueur vous pourrez tirer vengeance de ce que votre silence soit resté sans résultat. Vous vous abstenez d’écrire pour vous mettre à l’abri de la correspondance des ignorants : or vous manquez le but. Sachez mieux servir vos intérêts : Je n’écris que plus souvent depuis que je me sens dédaigné. Mais il convient d’exprimer en peu de mots les doléances amères. Mon frère Panfronius, qui vous porte le plus profond respect, se présente à votre éminence muni de ma recommandation. Tout ce qui lui sera accordé de bienveillance m’obligera comme si j’en étais moi-même l’objet. Je lui ai même donné une supplique en vue d’obtenir la Vice Préfecture du Prétoire. Veuillez vous employer à faire aboutir ma demande, car c’est plaider la cause de mes clients que d’être obligé de témoigner sur leur compte auprès des plus vertueux des hommes, dès lors que je puis répondre de ceux à qui je rends ce témoignage. [4,17] LETTRE XVII. ENNODIUS A DÉCORATUS. On a raison de croire que le rôle de la langue est de divulguer les secrets que l’âme tient cachés et qui sont produits au grand jour par la parole; on ignorerait l’amour des cœurs si le discours indiscret ne le révélait. La sagesse des anciens eut raison de se servir des lettres comme d’une clé pour découvrir les secrets sentiments du cœur. Dès lors qu’on proteste de son affection, on est amené à en écrire le témoignage : l’amitié jurée par écrit ne peut plus varier. Je me suis fait l’esclave de cette coutume ou plutôt de cette Loi, d’affirmer par mes lettres les Vieux sentiments de mon cœur vis-à-vis de votre Grandeur. De votre côté, si vis-à-vis de moi vous vous sentez lié par les mêmes attaches, si votre amitié perspicace sait deviner et fidèlement interpréter le vœu d’autrui, que votre lettre me l’indique en m’apportant votre réponse. Quant à moi, tout en vous rendant les devoirs de mes salutations, je n’ai point, comme si j’étais avare de mes paroles, tenu caché ce que je pense. [4,18] LETTRE XVIII. ENNODIUS À FAUSTUS. Pour affirmer ce qui est conforme à la plus stricte justice je ne tiendrai pas de longs discours de crainte que tous ces frais d’éloquence ne donnassent à ce que j’obtiendrai l’apparence d’une faveur accordée en dépit de la conscience: Vous avez coutume d’accorder ce qui est légitime avant même qu’on ne vous en prie. Le sublime et magnifique personnage Opilion a reçu venant d’Afrique, une personne que ses parents, qui résident en cette province, lui ont dépêchée. Comme ce messager se dispose à regagner sa patrie, Opilion m’a prié en grâce de lui obtenir de vous en faveur de ses parents une recommandation auprès du magnifique personnage Agnellus. Vous, le plus accompli des hommes, vous ne refuserez pas cela et vous voudrez étendre les effets de votre bonté par delà les bornes de l’Italie. Et maintenant, tout en chargeant ma lettre de vous apporter mes hommages, je vous ai dit en peu de mots, le motif qui m’a fait vous l’écrire, j’ai été bref; à vous de vous montrer libéral. [4,19] LETTRE XIX. ENNODIUS A APOLLINAIRE. En prolongeant votre silence à l’égard de votre ami, vous vous êtes éloigné d’esprit autant que vous l’étiez de corps; la suppression de vos lettres m’a fait sentir l’immensité d’une séparation dont jusqu’ici je ne m’étais pour ainsi dire pas aperçu. Lorsqu’on s’abstient d’écrire on en arrive à ce point d’indifférence que la perspective même de la vieillesse qui viendra un jour, est impuissante à resserrer les liens de l’amitié. On laisse éteindre l’affection lorsque en évitant d’en parler on dédaigne d’en manifester le sentiment; c’est ne pas cultiver l’amitié que de ne pas en faire acte en s’écrivant; les lettres fréquentes sont l’aliment qui vivifie et nourrit dans les cœurs l’amitié qui y est née. Il était plus facile, mon frère, de ne jamais céder à mes désirs que de cesser de m’écrire après me l’avoir souvent accordé; le repos ne peut convenir à un cœur dont vous avez excité les appétits par des aliments si doux et si savamment préparés. Pendant un temps, en effet, la régularité de vos lettres m’avait fait oublier mon isolement et la douceur de vos entretiens me rendait présente votre vénérable personne; maintenant j’ai beau examiner les mains des passants, je les trouve vides. Cependant je ne veux point tomber moi-même en faute pour faire ressortir celles d’autrui et mériter le reproche de tomber moi-même dans les errements que je relève chez les autres. Daignez donc recevoir, vous le plus vertueux des hommes, ces consolations que le ciel a ménagées pour charmer les ennuis de l’absence et, si vous gardez mon souvenir, accordez aux porteurs quelque soulagement pour leur adoucir les incommodités du voyage : qu’ils retrouvent près de vous, grâce à la recommandation d’un ami. les charmes de la patrie. Et puis ne les renvoyez point sans les charger pour moi des nouvelles si désirées de votre santé. [4,20] LETTRE XX. ENNODIUS A JULIEN ILLUSTRE. On jouit des avantages de l’amitié en s’écrivant souvent, car c’est par l’expression de la parole que les secrets des âmes se communiquent. Celui qui renonce au repos pour aimer doit avant tout être assidu à s’entretenir avec celui qu’il aime. C’est par de tels soins que se manifestent les secrets sentiments d’affection. Si je laissais partir mon porteur sans lui remettre des lettres à l’adresse de votre Eminence, il témoignerait que je suis oublieux de la révérence que je vous dois. Excusez-moi, mais je ne sais pas négliger l’amitié, ni lorsque j’ai réussi à me concilier des bonnes grâces, y renoncer par amour de mon repos. Les liens qui nous unissent m’imposeraient de parler longuement, mais la lettre m’oblige d’être bref. Portez-vous bien, mon cher seigneur, agréez l’hommage de mes salutations et gardez-moi ces sentiments de haute considération. Qu’en cette dignité publique où vous êtes élevé pour le bien de l’Etat vous jouissiez longtemps de votre heureuse fortune. [4,21] LETTRE XXI. ENNODIUS A L’ÉVÊQUE CONSTANTIN. Votre sous-diacre Vigile a voulu expérimenter quelle était pour moi votre affection, à l’occasion de son avancement dans les ordres, il s’efforce de mettre en cause notre amitié; tandis qu’il monte aux honneurs, il veut mesurer l’amitié qui nous lie, en recueillant à son profit les fruits que peut produire noire mutuelle affection. Si donc je le mérite, amenez-le au sacrement du diaconat, et cette dignité à laquelle le susdit sera élevé, m’encouragera à vous demander davantage. Mais pour que ma demande ne demeure pas sans effet il faut et je souhaite que vous occupiez de longues années le poste accordé à vos mérites. [4,22] LETTRE XXII. ENNODIUS AU PAPE SYMMAQUE. Le sublime Laurent pourrait se contenter de sa probité personnelle comme recommandation de ses enfants et sa prudence paternelle ne néglige rien de ce qui intéresse leur situation, mais sa sollicitude exige davantage et lorsqu’il s’agit de ses fils ce qu’il peut mériter ne lui paraît pas suffisant. Il désire en leur faveur une lettre qui soit leur sauvegarde et son affection inquiète voudrait que tout le monde partageât ses préoccupations de père. Pensez s’il était possible d’opposer un refus à cet homme excellent qui demande une chose si bonne et si juste. Que Dieu exauce donc ses prières et qu’il daigne concilier à ces jeunes gens l’affection de votre Béatitude en sorte que la bonté de votre couronne protège leur jeunesse: Qu’ainsi leur père, en proie aujourd’hui à une si vive inquiétude, voie ses vœux dépassés. Mon cher seigneur, j’attends de vous cette preuve d’une bienveillance depuis longtemps promise : que ce père qui par moi vous en prie, comprenne que vous accordez votre faveur à chacun de ceux que j’ai nommés plus haut. [4,23] LETTRE XXIII. ENNODIUS A DOMINATOR. Il fallait, en vérité, que vos désirs dont me fit part notre frère Agnellus, me fussent exposés dans une lettre et que pour entrer en correspondance nous eussions une occasion dans cet entretien : dès lors j’étais obligé de vous restituer ce qui vous était dû et sous aucun prétexte je ne pouvais être excusé de ne pas vous répondre tandis que vous m’adressiez la parole. Il n’a dépendu que de vous de tirer notre langue de son oisiveté pour la rendre active et de débrouiller notre style par trop rustique en nous appliquant à des travaux littéraires, car de même que de ne pas accorder un entretien à celui qui le désire vivement c’est ruiner l’affection, de même c’est avoir oublié tout ce que l’on doit à l’amitié, tout ce que l’on se doit à soi-même, que de répondre à une lettre par le silence. Or, pour le moment, j’ai une excuse à mon peu de talent, en ce que vous m’imposez l’obligation de vous écrire, et encore dois-je faire cette réserve, que lorsqu’il s’agit de répondre aux avances de l’amitié, jamais je ne consulte mes forces. Ne croyez pas que pour des esprits cultivés les exigences d’un ami soient jamais exagérées. Quant à vous, agréez ce que vous avez exigé, fermez la bouche à la censure et imposez silence à la dégoûtante malignité de la critique. Vous ne pouvez ne pas protéger quelqu’un qui n’a fait que vous obéir. Et puis c’est dans l’espoir de mériter mieux que je dépose à vos pieds, quoique tirée d’un moule vulgaire, l’hommage d’une parole que vous avez exigé. Adieu donc, mon cher Seigneur, car je ne veux pas outre mesure prolonger des discours écrits sans le souci des règles. De votre côté, répondez à ma confiance en me restituant, comme un sol fertile, une abondante moisson de bienveillance, car, il vous appartiendra désormais, s’il vous plait de recevoir de moi de fréquentes lettres, de m’y inviter par les vôtres à vous écrire. [4,24] LETTRE XXIV. ENNODIUS A FAUSTUS. L’esprit en proie au chagrin ne peut ni garder le silence ni parler longuement ; c’est un besoin pour le cœur de confier sa peine mais non en de longs discours : notre lettre est courte lorsque les sanglots nous étouffent la voix. Mais quoi? j’annonce mon laconisme en parlant davantage et c’est en bavardant que je vous promets une lettre forcément raccourcie! Dans l’anxiété qui m’oppresse je demande à Dieu de me venir en aide par la bonne nouvelle de votre prospérité. O qu’il accueille mes larmes, Lui qui entend le langage des lèvres muettes, Lui auprès de qui la meilleure prière est de verser d’abondantes larmes de repentir. Quant à moi, je vois en péril non seulement mon repos mais ma vie même, tant sont puissants nos ennemis, tant sont violents les grondements de la tempête. Dieu cependant peut dissiper cette effroyable tempête qui menace d’éclater sur notre tête et ramener la sérénité. Et vous, si Dieu m’en juge digne, agréez mes salutations, et gratifiez d’une lettre l’ami qui vous aime pour votre vertu, non pour la dignité qui vous retient à Ravenne. [4,25] LETTRE XXV. ENNODIUS A BASSUS. Si la vieille amitié qui liait mes parents à votre Grandeur et dont elle cueillait des fruits si abondants, subsistait, en leur souvenir, en faveur de ma personne, elle se montrerait par de fréquentes lettres et votre parole, témoin des sentiments du cœur, manifesterait que votre affection pour moi n’est pas tout à fait morte. Mais je comprends maintenant que vous m’avez oublié et que pas même l’espérance d’un monde meilleur, qui devrait nous être commune, ne vous unit à moi, puisque nulle lettre, qui puisse me porter le témoignage de votre sollicitude, ne m’arrive de vous. Mais moi, je traduis en paroles l’impatience de mes désirs, car je sais qu’une amitié nouvelle prend du charme à mesure qu’elle vieillit, et que ce qu’il y a de plus pur dans nos affections, ce sont celles qui prirent naissance sous les yeux de nos parents; en un mot je sais que si vous gardez le souvenir de Camille, vous n’oublierez pas Ennodius. C’est pourquoi, en vous rendant par cette lettre les devoirs de mes salutations, je vous prie de faire au porteur des présentes, mon clerc, que ses affaires et l’exécution de mes ordres amènent en Gaule, un accueil bienveillant. Ne manquez pas, à son retour, de me donner par écrit de vos nouvelles et de réparer, par le soin que vous y mettrez, tout le tort que notre amitié a pu souffrir de votre oubli. [4,26] LETTRE XXVI. ENNODIUS A EUGENE ILLUSTRE. Que le ciel donne en votre faveur d’heureux présages et que Dieu éclaire de ses conseils vos débuts dans une si haute charge. Que par vous le ciel daigne gouverner l’arbitre de la liberté, en sorte que de votre cœur comme d’une fontaine découle aux oreilles du prince la sagesse descendue en vous comme une bienfaisante rosée. Tels sont, quoique exprimés en termes concis, les vœux que je forme pour votre entrée en charge. Vous, gardez le souvenir de l’affection promise et de l’amitié jurée, et que malgré ce changement, la Questure me paie ce que j’en attends. Continuez-moi les bienveillantes dispositions de votre prédécesseur : que son changement n’entame en rien ce que me promettait, avec lui, la dignité dans laquelle vous le remplacez. Que Dieu vous garde en bonne santé comme je l’en supplie, et pour célébrer les insignes faveurs dont il vous comble, daignez agréer ces courtes paroles. Telle est l’habitude des heureux et le naturel de ceux qui excellent leurs œuvres et leurs bienfaits dépassent les ressources du langage. [4,27] LETTRE XXVII. ENNODIUS A SENARIUS. La hâte du porteur m’a forcé de vous écrire brièvement et lorsque je suis en si grande peine, je ne puis vous adresser que peu de mots. Mais ceci ne tire pas à conséquence auprès d’un homme qui sait, à travers le laconisme du discours, découvrir les pensées qu’il recèle. Le retard de Faustus et la diversité des opinions à ce sujet me mettent à la torture. De grâce, après Dieu, mettez fin à mon anxiété par une prompte lettre car il est plus dur de souffrir des incertitudes d’un espoir mal assuré que d’apprendre d’un ami qu’il n’y a plus rien à espérer. Adieu, mon cher Seigneur; tenez compte de mes désirs et répondez-y comme les circonstances l’exigent. [4,28] LETTRE XXVIII. ENNODIUS A AGAPIT. Si mes jours s’écoulaient au gré de mes désirs ce n’est pas aux affaires mais à l’amitié que je consacrerais mes lettres ; je ne détournerais pas à des emplois étrangers ce qui devrait rester uniquement au service de l’affection. Mais la nécessité s’impose et m’oblige de la servir au lieu de l’amitié. Car un homme sublime et magnifique est sous le coup des artificieuses intrigues de ses ennemis: par mon intermédiaire il implore la protection de votre équité, afin qu’il ne soit permis à des machinations malhonnêtes d’attaquer sa réputation et de lui faire supporter les conséquences de faux bruits mis à plaisir en circulation. Mon cher seigneur, en vous adressant mes salutations les plus empressées je vous conjure de mettre en œuvre toute la vigueur que l’on vous connaît pour faire obtenir dans une juste mesure ce qui vous est ainsi demandé. [4,29] LETTRE XXIX. ENNODIUS AU PAPE La providence céleste conduit les événements selon l’intérêt de ceux qui lui sont fidèles; Dieu accorde à qui le mérite des faveurs inattendues : sa bonté dispense même des dons que l’humanité n’ose demander. Les adversaires de votre siège ont pu apprendre de quelle main leur vient la défaite: ce que notre rédempteur a montré récemment à l’égard du personnage d’Aquilée. Aussi parmi les faveurs divines celle que je demande par excellence c’est que votre couronne ne dédaigne pas de se souvenir de moi. Au reste c’est inviter les autres à se reconnaître en foule comme vos serviteurs que de donner, malgré l’éloignement, des témoignages d’affection à celui qui vous est respectueux et soumis. Adieu. [4,30] LETTRE XXX. A EUGÈNE ILLUSTRE ENNODIUS. Mes premières lettres ont produit l’effet que j’en espérais (obtenir une réponse); aussitôt mettant fin à mon long silence, j’ai donné libre carrière à ma parole. Les succès excitent à parler même celui qui manque de l’érudition qui forme le style. A défaut de l’étude, souvent la joie rend éloquent: que la gaîté vienne dissiper les nuages sombres de la tristesse, aussitôt les paroles jaillissent étincelantes. Ainsi ou bien la joie nous fait paraître parfaits orateurs, ou bien l’adversité nous laisse sans parole. Vous même, cher Seigneur, vous fournissez la confirmation de tout cela. Je profite donc de ce temps qui m’est favorable pour vous rendre l’affectueux hommage de mes salutations et j’espère que la noble promesse dont je dois la faveur à votre parfaite bienveillance, comme pour s’affirmer davantage, me sera renouvelée. Adieu. [4,31] LFTTRE XXXI. ENNODIUS A AVITUS. Bien que la lettre de votre Grandeur, tout en m’annonçant une nouvelle si lamentable, me fut l’occasion d’une grande joie et qu’en me faisant part du deuil, votre discours me fut particulièrement agréable, les larmes cependant l’ont emporté sur le plaisir et les charmes de votre entretien n’ont pu dissiper entièrement la tristesse de mon âme. La mort d’un si grand pontife plonge mon cœur dans l’affliction, même à la suite de vos entretiens si désirés, car il est dans la nature des choses que la joie, quelle qu’elle soit, cède à l’angoisse même la plus minime. Mais pourquoi, par ces souvenirs, raviver les émotions qui ont accablé notre âme? Je vous promets, avec l’aide de Dieu, de m’associer à vos vœux, pourvu toutefois que celui dont j’apprendrai l’élection soit tel que notre seigneur le Pape (Dieu le garde en bonne santé) auquel incombe la charge de notre âme n’ait pas à rougir de le louer. C’est un crime que d’entraîner hors du droit chemin celui qui se confie à vous et que d’égarer celui que l’affection lie à vos pas. [4,32] LETTRE XXXII. ENNODIUS A EUGÈNE. Je ne crois pas que les témoignages d’attachement puissent devenir fastidieux ni qu’on taxe de bavardage des entretiens, aliment de l’amitié. Que l’on excuse le silence de ceux qu’occupent des charges publiques soit; mais l’homme laissé aux loisirs de la vie privée ne saurait se justifier de ne pas écrire assidûment. C’est avouer au grand jour n’avoir nul souci de l’amitié que de négliger d’écrire lorsqu’on le peut: les lettres sont l’aliment de l’affection. L’homme inoccupé est inexcusable de laisser languir par sa négligence à écrire une intelligence qu’il sait avide d’entretiens. Mais de même qu’il nous convient d’être assidus à cultiver la religion de l’amitié, nous qui sommes totalement dégagés des soucis séculiers, ainsi votre Grandeur méconnaîtrait ses propres intérêts si elle négligeait de répondre, car son silence serait comme le désaveu d’une bonne action: si la vertu n’est pas récompensée, qui donc ne sera dégoûté de travailler pour elle. Voici donc qu’après avoir exposé brièvement, comme je t’envisage, ce que nous avons chacun à faire, je dois avouer que je suis tout décontenancé de ce qu’ayant chargé Montanarius d’une lettre, il me revient les mains vides ; dette dont j’exige au nom de la justice le paiement, et que la pudeur vous fait un devoir d’acquitter deux fois. Et maintenant adieu, cher seigneur; j’attends de vos bonnes nouvelles en vous donnant des miennes et je prie Dieu, s’il se souvient de moi, d’ajouter à votre bonheur. [4,33] LETTRE XXXIII. ENNODIUS A SENARIUS. Si l’affection subissait la loi de la pudeur, si les élans de l’amitié devaient se modérer d’après les lois qu’impose la réserve, je devrais m’abstenir de vous écrire et adopter à votre exemple le parti de me taire. La moindre perspicacité ne devrait-elle pas en effet me faire comprendre que puisque vous n’y donnez pas de réponse, ces lettres ne vous sont pas agréables et que la façon la plus élémentaire de faire entendre à quelqu’un qu’il n’a qu’à cesser d’écrire, c’est le silence? Les hommes en charge au palais ont une manière à eux de signaler ce qui ne leur agrée pas; c’est de se taire. Mais votre Grandeur a beau se couvrir d’un masque, le voile dont elle se couvre est impuissant à la dérober aux regards d’un ami. Malgré l’enveloppe des vêtements la pensée d’un ami plonge jusqu’au plus intime du cœur et en découvre les secrets. Ce serait une erreur de croire que pour déguiser aux yeux des amis les secrets sentiments que l’on a puisés à la cour il suffise d’en avoir pris les usages. Mais je le sais bien, à mes plaintes vous ne manquerez d’opposer comme excuse toujours prête la nature de votre charge. Il ne faut pas exiger de gens si occupés un tribut qui est l’apanage des oisifs; il est très difficile de se prêter à ces devoirs de déférence lorsque l’on est attaché aux emplois de la cour. Souvent, en effet, j’ai entendu formuler de pareilles excuses, mais, je l’avoue, je ne les ai pas admises, car on voit tous les jours que les nécessités de ce genre ne sont point un obstacle à ceux qu’animent de sincères désirs et toujours la crainte le cède à l’affection. Elle est coupable la volonté qui pour se justifier doit alléguer des motifs si recherchés. Mais j’en ai assez dit, mon cher Seigneur, pour vous faire entendre combien je souffre de votre silence, tout en vous rendant le devoir de mes salutations. Je joins la recommandation du porteur qui la mérite doublement pour sa probité et sa noblesse. Je désire que grâce à votre Grandeur l’insolence de ses ennemis succombe écrasée sous ses propres machinations. Adieu. [4,34] LETTRE XXXIV. ENNODIUS A HORMISDAS. Voici que les exigences de vos affaires, en vous amenant proche de moi, me promettaient déjà la réalisation de mes plus ardents désirs, mais, loin de là, votre esprit n’a fait que s’éloigner et lorsque vous touchiez presque la Ligurie de la main, vous avez imposé silence à votre langue. Vous ne vous eussiez pas permis cela lorsque d’immenses espaces tenaient votre Sainteté éloignée. S’il nous était impossible de nous voir, nous trouvions une compensation dans les entretiens d’un commerce épistolaire régulier, remède souverain aux maux dont peut souffrir l’amitié; et grâce à cet échange de bons offices la distance qui nous séparait ne diminuait en rien notre affection. Mais vous avez, je crois, pour principe de ne donner à vos amis que ce qui vous coûte beaucoup et vous ne croiriez pas m’obliger, étant si proche, que de me faire jouir de vos entretiens. Quant à moi j’apprécie autrement les choses et je me désole à la pensée que votre béatitude fait désormais trêve aux compliments pour ne m’accorder que ce à quoi j’ai droit et qu’il faut attribuer aux circonstances, non à son amitié, les témoignages que j’en ai précédemment reçus. Mettons de côté, de grâce, dans nos relations d’amitié toute façon empruntée; nous n’avons point été formés à pareille école ; nous savons exposer en toute franchise les sentiments qui nous portent à nous unir. Les civilités entre amis, nous les repoussons comme la peste. Donc, mon cher seigneur, agréez mes salutations et imitez en ceci votre ami : cultivez son amitié par de fréquentes lettres et parlez-lui à cœur ouvert comme il le désire. [4,35] LETTRE XXXV. ENNODIUS A APRONIANUS ILLUSTRE. Il est d’usage parmi les hommes que distingue l’éclat de leur vie, d’alimenter la religion de l’amitié par le culte des rapports épistolaires; car sous l’influence de la conversation, les germes de la sympathie prennent vie et les fruits de l’union des cœurs amis parviennent à maturité. Par cet échange de tributs réciproques la vénérable Providence a voulu obvier aux inconvénients de l’absence. C’est à bon droit que le plus honnête des hommes monseigneur Faustus, rend de vous le plus avantageux des témoignages. Il est clair qu’on ne peut conserver le moindre doute sur la valeur d’un homme qui obtient les éloges d’un personnage aussi qualifié. Mais je dois me restreindre dans les limites d’une lettre et renfermer dans le secret de ma pensée l’éloge qui vous est dû, de crainte que ces compliments dont il faut user vis à vis des étrangers, ne vous paraissent importuns et ne vous soient désagréables. Adieu mon cher seigneur, agréez mes très humbles salutations: Je prie Dieu de prolonger longuement votre prospérité et de m’assurer à moi-même, par le fait du bonheur de mes amis, un surcroît de félicité. Adieu.