Bagdad, comme Carthage... Bush veut en finir avec Saddam Hussein. Inquiétude des Européens et des alliés arabes des Etats-Unis, qui redoutent une déstabilisation de la région. "Delenda Carthago": « Il faut détruire Carthage ». L'antique exhortation de Caton l'Ancien pourrait servir de viatique à George Bush au sujet de l'Irak. Il ne se passe guère de semaines sans que le président des Etats-Unis annonce plus ou moins explicitement son intention d'en finir avec Saddam Hussein. II s'agirait d'"achever le travail" laissé en suspens par George Bush père lors de la guerre du Golfe. A l'instar de Scipion Emilien, qui, en 146 avant J.-C, rasa Carthage alors que celle-ci ne mettait plus guère en péril la puissance romaine, Bush junior veut anéantir l'Irak. Le parallèle s'arrête là. Le régime de Bagdad n'a jamais fait peser une menace existentielle sur l'Amérique, alors que le Carthaginois Hannibal fut à deux doigts de faire disparaître l'Empire romain, lors de la deuxième guerre punique (218-201 av. J.-C.). Les experts sont à peu près unanimes pour estimer que l'Irak ne représente plus un réel danger militaire. Ils sont en revanche divisés sur les capacités de Bagdad à reconstituer un jour son arsenal chimique et biologique. Le raisonnement de Bush, en forme de syllogisme, est simple: l'Irak pourrait produire des armes de destruction massive; l'Irak est susceptible d'en fournir à des terroristes; l'Irak est donc potentiellement un Etat terroriste. Tout cela ne repose que sur des hypothèses et des supputations. Aucun lien n'a pu, jusqu'à présent, être établi entre Bagdad et les réseaux de Ben Laden. Mais au nom du principe de précaution stratégique, il convient, pour la Maison-Blanche, de régler dans les meilleurs délais le compte de Saddam Hussein. L'affaire n'est pas simple. Le climat politique au Proche-Orient est explosif. Une attaque contre un pays arabe pourrait déstabiliser toute la région, alors que les esprits sont sérieusement échauffés par le conflit palestino-israélien. Les alliés arabes de l'Amérique sont tétanisés et exhortent Washington à la retenue. Les Européens sont sceptiques et inquiets, même s'ils ne veulent pas trop se démarquer de leur allié américain. L'idée d'aller caracoler en Mésopotamie ne soulève pas non plus des élans d'enthousiasme chez les militaires du Pentagone, beaucoup moins va-t-en-guerre que leur patron, le ministre de la Défense, Donald Rumsfeld. Selon une tactique éprouvée, les centurions de George Bush ont expliqué aux politiques qu'une expédition contre l'Irak, avec renversement de Saddam Hussein, nécessiterait une formidable armada d'au moins 250 000 hommes. Pour être sûrs d'avoir été bien compris, ils ont même sciemment organisé des fuites vers la presse afin de détailler leurs besoins. Les généraux de Bush émettent, de surcroît de sérieux doutes sur l'efficacité de l'aide que pourrait apporter l'opposition irakienne, notamment kurde. Les pays voisins redoutent, eux, un éclatement de l'Irak qui constituerait un véritable séisme géopolitique. Pour embrouiller encore un peu plus les choses, des experts ont pointé, ces derniers jours, le doigt vers un autre risque: la centrale nucléaire iranienne de Boucheir, réalisée avec l'aide de la Russie. Ne faut-il pas, au nom de la nouvelle doctrine de neutralisation préventive des menaces, déclencher une frappe contre ce réacteur civil? Mais il parait difficile de faire la guerre à tout le monde en même temps . [Pierre BEYLAU, "Bagdad comme Carthage...", dans: Le POINT, n° 1559, vendredi 2 août 2002, p. 30]