Projet HODOI ELEKTRONIKAI Présentations d'auteurs : Dion Cassius de Nicée (vers 163-164 ap. J. Chr. - vers 230)
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Jean SIRINELLI, Les enfants d'Alexandre
La littérature et la pensée grecques (334 av. J.-Ch. - 519 ap. J.-Ch.) Paris, Fayard, 1993, pp. 372-375 |
Le plus connu et le plus utile est à coup sûr Dion Cassius. C'est un Bithynien de Nicée apparenté à Dion Chrysostome. Il appartient à une grande famille sénatoriale. Né vers 163-164 (d'autres disent en 155), il vient à Rome vers 180, c'est-à-dire vers l'époque où meurt Marc Aurèle. Il a reçu une excellente éducation de type gréco-romain et il suit un cursus honorum brillant mais qui sera parfois agité par les remous qui marquent les changements de règne chez les Sévères; c'est un proche de Septime Sévère qu'il accompagne en Orient comme il accompagnera Julia Domna à Nicomédie en 214-215. Tout laisse penser qu'il a fait partie du cercle de cette impératrice et qu'il a bien connu Philostrate. Il continue sa carrière administrative sous Alexandre Sévère. Nous le retrouvons en Afrique, en Dalmatie et en Pannonie. Il aura été deux fois élevé au consulat, une première fois en 205-206 probablement, la seconde fois en 229. Nous perdons sa trace à partir de 230, date à laquelle il se retire à Nicée. Il a donc assumé des responsabilités, approché les grands, fréquenté la cour. Il répond parfaitement, comme Arrien au siècle précédent, à la définition de l'historien selon Polybe. Il faut aussi remarquer qu'il a partagé sa vie sans aucune exclusive entre l'Italie et l'Asie puisque c'est dans sa retraite campagnarde de Capoue, dont il nous vante les charmes, qu'il a rédigé une partie de son oeuvre. C'est le type du citoyen romain d'Orient parfaitement intégré au système de l'Empire.
Il a commencé sa carrière d'écrivain par un opuscule aujourd'hui perdu sur les Songes et présages qui annoncent l'avènement de Septime Sévère (vers 193) et un récit également perdu des Guerres civiles de 193 à 197 destiné au même empereur. Enfin de 207 à sa retraite il rédige son Histoire romaine qu'il complétera progressivement par les règnes de Caracalla, Macrin, Élagabal et Alexandre Sévère; c'est un travail monumental en quatre-vingts livres dont nous n'avons conservé intacts que les livres 36 à 54 (ceux qui vont de 68 à 10 av. J.-C.) ainsi que des fragments des livres 55 à 60 et 79 à 80. Pour les autres, on se sert d'un épitomé de Xiphilin (moine du XIe siècle) pour les livres 61 à 80 et d'un épitomé de Zonaras (moine du XIIe siècle) pour les livres du début.
La première question qui vient à l'esprit est de tenter de comprendre pourquoi Dion a ajouté une histoire de Rome à celles qui existaient déjà au lieu de se borner à compléter ou poursuivre celles-ci. C'est en réalité que son point de vue est à la fois plus banal et plus nouveau que celui de ses prédécesseurs. Denys d'Halicarnasse ne s'était intéressé qu'aux antiquités romaines proprement dites; Appien avait construit une sorte d'histoire ethnique qui suivait les différents peuples jusqu'à leur intégration dans l'Empire; d'autres avaient procédé selon la méthode biographique. Le point de vue de Dion Cassius est autre : à partir du fait central, acquis, indiscutable de l'Empire tel qu'il se présente à l'avènement de Septime Sévère, Dion Cassius retrace, de la manière la plus classique, la formation et l'expansion de la puissance romaine comme s'il s'agissait d'une évolution agitée mais homogène. Au moment même où ne cessait d'être célébrée et affirmée l'unité du fait romain, peut-être n'est-ce pas un hasard que soit affirmée et illustrée la continuité de ce fait. C'est d'une certaine manière la romanité qui est constamment supposée et proclamée ici. Il suffit de comparer avec l'état d'esprit d'un Aelius Aristide pour saisir la différence : pour ce dernier Rome est la clef de voûte d'une sorte de fédération de cités, pour Dion Cassius, l'empire est une entité aussi une que l'était la Rome primitive et qu'elle n'a cessé de l'être dans son expansion. Différence d'époque ou différence de tempérament et d'expérience, il n'est pas facile de le dire.
Cet Empire est une machine perfectionnée dont Dion Cassius nous montre en quelque sorte la création sous Auguste à partir des fonctions à assumer. On a beaucoup moqué le fameux débat du livre LII entre Agrippa et Mécène, le premier conseillant à Octave d'abandonner la monarchie, le second le pressant de l'organiser. Le côté rhétorique du débat, les anachronismes ne doivent pas faire oublier l'importance essentielle de ce passage dans l'oeuvre de Dion Cassius. Millar peut justement supposer qu'il a été rédigé comme un ensemble unitaire et déclamé par notre auteur devant le cercle de Julia Domna, peut-être à Nicomédie en 214. Ce serait dans ce cas la définition en 214 par un haut dignitaire impérial d'origine orientale de la charte fondatrice de l'Empire. Son intérêt n'est pas le moins du monde dans la vérité historique du débat mais au contraire dans son caractère composite : les conseils de Mécène mêlent des données authentiques remontant à l'époque d'Auguste à des données de fait datées du début du IIIe siècle (édit de Caracalla par exemple) et à des revendications permanentes du parti sénatorial qui avaient trouvé leur premier épanouissement avec Nerva et Trajan. Cet équilibre idéal entre un Prince tout-puissant qu'imposent la taille et la diversité de l'Empire, un Sénat vertueux issu de toutes les provinces, des chevaliers actifs mais sagement cantonnés dans leur rôle, une armée pauvre mais valeureuse et disciplinée; comment ne pas retrouver dans les fonctions attribuées à chacun le reflet des problèmes du temps?
Toute l'histoire n'est pas du même intérêt et Dion est loin d'avoir réalisé son ambition d'imiter Thucydide. La sophistique a certes sa part dans la présentation farcie de discours, mais la documentation de Dion Cassius est certainement consciencieuse, même s'il ne discute ni même ne cite ses sources. Il est rare qu'il soutienne un point de vue original : il est respectueux de la tradition. C'est pourquoi à partir d'Octave il fait plutôt comme ses devanciers l'histoire des Empereurs que celle de l'Empire. Trois traits entre autres frappent dans un récit qui est précis et sans relief particulier. Tout d'abord la part qu'il fait à la culture des personnages évoqués : pour lui la culture est une des exigences absolues de la vie politique et il n'est pas étonnant qu'il place cette revendication dans la bouche de Mécène. Ensuite on remarquera le goût qu'il porte aux événements étranges, pas toujours explicables, mais qu'il relève avec soin, par exemple ce faux Alexandre qui ne fait que traverser son Histoire (LXXIX, 18) ; son goût pour les bizarreries, par exemple la passion de Caracalla pour Alexandre (LXXVII, 7 sqq). Enfin l'espèce de cécité qui est la sienne sur ce qui entoure l'Empire romain : si les Parthes ont quelque droit à son attention, en revanche les autres ne figurent que comme des causes de préoccupation pour Rome et il est peu capable de prendre la mesure exacte d'événements qui demeurent pour lui marginaux.
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