[1,0] LES ANTIQUITÉS ROMAINES - LIVRE I. [1,1] 1. Bien que je sois tout à fait contre les exposés qu’on a l’habitude de faire dans les préfaces des Histoires, pourtant je me sens obligé de mettre en tête de ce travail quelques remarques sur moi-même. En faisant cela, je n’ai pas l’intention de faire trop longtemps mon propre éloge (ce serait, à mon avis, désagréable pour le lecteur), et ce n’est pas pour critiquer les autres historiens, comme le font Anaximène et Théopompe dans la préface de leur Histoire mais je veux seulement montrer les raisons qui m’ont poussé à entreprendre ce travail et rendre compte de la liste des sources grâce auxquelles j’ai acquis la connaissance des événements dont je vais parler. 2. Je suis convaincu en effet que ceux qui se proposent de laisser à la postérité un monument de leur esprit qui ne disparaîtra pas avec leur corps avec le temps, et en particulier ceux qui écrivent des Histoires, dans lesquelles nous avons le droit de supposer que la vérité, source de prudence et de sagesse, en est le fondement, doivent tout d'abord faire le choix de sujets nobles et élevés et qui de plus soient d’une grande utilité à leurs futurs lecteurs, et ensuite rechercher avec beaucoup de soin et d'ardeur les matériaux appropriés à leur sujet. 3. Ceux qui basent les travaux historiques sur des actions déshonorantes ou mauvaise ou indignes d'étude sérieuse, ceux-là, soit en cherchant à être connus des gens et obtenir un nom de n’importe quelle façon, soit en voulant montrer la richesse de leur rhétorique, ne sont ni admirés par la postérité pour leur renommée, ni félicités pour leur éloquence mais au contraire ils laissent dans les esprits de tous ceux qui lisent leurs Histoires l’impression qu’ils considèrent eux-mêmes que les vies qu'ils cherchent à imiter furent semblables aux écrits qu'ils ont publiés : c'est une opinion juste et générale que les paroles d'un homme sont les images de son esprit. 4. D'autre part, ceux qui, tout en ayant choisi les meilleurs sujets, sont négligents et nonchalants et composent leurs récits sur des choses entendues par hasard, ne gagnent aucune éloge pour ce choix; nous ne considérons pas que les histoires des villes renommées et des hommes qui ont le pouvoir suprême puissent être écrites d'une manière désinvolte ou négligente. Comme je pense que ces considérations sont nécessaires et de première importance pour des historiens et que j'ai fait grande attention de les observer, je me suis senti peu disposé à les omettre ou à leur donner une place autre que dans la préface de mon oeuvre. [1,2] II. 1 Que j’ai choisi en effet un sujet noble, élevé et utile pour beaucoup de gens, je pense ne pas devoir trop y insister, du moins pour ceux qui ne sont pas tout à fait au courant de l'histoire universelle. En effet si l'on porte son attention sur les hégémonies successives des villes et des nations transmises dans le passé, et ensuite si on les examine séparément et si on les compare ensemble, pour déterminer laquelle a obtenu le plus grand empire et a accompli les plus brillantes actions en temps de paix et durant la guerre, on constatera que la suprématie des Romains a de loin surpassé toutes celles qui l'ont précédée, non seulement par l'ampleur de son empire et par la splendeur de ses exploits - aucune parole ne pourrait dignement les célébrer - mais également par la durée de son histoire qui continue jusqu'à ce jour. 2. L'empire des Assyriens, malgré son ancienneté et alors qu’il remontait aux temps légendaires, ne régna seulement que sur une petite région de l'Asie. Celui des Mèdes, après avoir renversé l'empire assyrien et obtenu une puissance plus étendue encore, ne se maintint pas longtemps, mais fut renversé durant la quatrième génération. Les Perses, qui conquirent les Mèdes, deviennent finalement les maîtres de la presque toute l'Asie; mais quand ils attaquèrent aussi les nations de l'Europe, ils n'en soumirent pas grand nombre, et ils ne gardèrent pas leur empire beaucoup plus de deux cents ans. 3. L’empire macédonien, qui renversa les forces des Perses, surpassa par l'ampleur de sa puissance tous ses prédécesseurs, mais il ne s’épanouit pas longtemps : après la mort d'Alexandre, il commença à décliner. Immédiatement il fut divisé entre les nombreux commandants à l’époque des Diadoques et bien qu'après eux il put continuer jusqu’à la deuxième ou troisième génération, cependant il s’affaiblit à cause de ses propres dissensions et finalement fut détruit par les Romains. 4. Et même la puissance macédonienne n'avait pas subjugué tous les pays et toutes les mers; ils ne conquirent ni la Libye, excepté la petite partie limitrophe à l'Égypte, ni ne soumirent toute l'Europe, puisque dans le nord ils ne s’avancèrent que jusque la Thrace et à l'ouest que jusqu’à la mer Adriatique. [1,3] III. 1. Nous voyons ainsi que par le passé les plus célèbres des hégémonies dont l'histoire nous a gardé le souvenir, après avoir atteint une très grande puissance, ont pourtant été renversées. Quant aux puissances grecques, elles ne sont pas à comparer à ces dernières, puisqu'elles n'ont eu ni la grandeur de l'empire ni la durée de leur hégémonie. 2. Les Athéniens n'ont dominé la côte que pendant soixante-huit ans et leur suprématie ne s’étendait pas sur toute celle-ci, mais seulement à la partie entre l'Euxin et la mer de Pamphylie, quand leur suprématie navale était à son apogée. Les Lacédémoniens, quand ils furent les maîtres du Péloponnèse et du reste de la Grèce, étendirent leur empire jusqu’en Macédoine, mais furent arrêtés par les Thébains après avoir gardé leur empire à peine trente ans. 3. Mais Rome règne sur tous les pays qui ne sont pas inaccessibles ou inhabités, et elle est maîtresse de l’ensemble des mers, non seulement celles qui se trouvent en deçà des colonnes d’Hercule mais aussi de l’Océan, sauf de la partie qui n’est pas navigable. C’est le premier et le seul état connu de tout temps qui jamais ait eu comme frontières de son empire le levant et le couchant. Et sa suprématie ne fut pas de la courte durée, mais plus longue que celle de n'importe quelle autre cité ou royaume. 4. Mais Rome, dès le début, juste après sa fondation, commença à attirer les nations voisines, qui étaient nombreuses et belliqueuses, et continua à s’étendre en subjuguant toutes les nations rivales. Et sept cent et quarante-cinq ans se sont écoulées depuis sa fondation jusqu’au consulat de Claudius Nero, consul pour la deuxième fois, et de Calpurnius Piso, qui furent désignés dans la cent quatre-vingt-treizième Olympiade 5. Depuis qu’elle a maîtrisé l’ensemble de l’Italie, elle s’est enhardie à aspirer à la conquête de toute l’humanité, et après chassé les Carthaginois, dont les forces navales étaient supérieures à toutes les autres, et soumis la Macédoine, qui jusque-là était considérée comme la plus puissante nation de la terre, elle n’a plus comme rivale aucune nation barbare ou grecque; et elle est maintenant, à ce jour, déjà depuis sept générations maîtresse de l’univers et il n’y a aucune nation, à ce que je puisse voir, pour disputer son hégémonie universelle ou pour contester son pouvoir 6. C’est pourquoi, pour prouver mon affirmation que je n’ai pas choisi les sujets les plus insignifiant ni décidé de traiter d’actions vulgaires et viles, mais que j’ai entrepris d’écrire non seulement sur la plus illustre cité, mais aussi sur des exploits dont on ne pourrait montrer de plus brillants, je reconnais ne pouvoir en dire plus. [1,4] IV, 1. Mais avant de poursuivre, je désire montrer en quelques mots que ce n'est pas sans mûre réflexion et préméditation que je me suis tourné vers la période ancienne de l'histoire de Rome, mais que j'ai des raisons longuement mûries pour justifier mon choix, afin de devancer la censure de ceux qui, se plaisant à trouver des défauts partout et qui n’ayant jamais entendu parler jusqu'ici d’aucun des sujets dont je vais parler, pourraient me blâmer parce que, alors que cette ville, devenue si célèbre de nos jours, a eu des débuts très humbles et déshonorants, indignes d’un récit historique, alors qu'elle n’est devenue brillante et glorieuse depuis quelques générations, c.-à-d., depuis le renversement des puissances macédoniennes et son succès dans les guerres puniques, néanmoins, alors que j’avais la liberté de choisir une des périodes célèbres de son histoire pour mon sujet, j’ai préféré le stérile honneur d’une histoire des origines. 2. Mais jusqu’à ce jour presque tous les Grecs ignorent l'histoire des origines de Rome et la grande majorité d'entre eux sont abusés par de fausses opinions fondées sur des racontars qui les ont amenés à croire que Rome avait pour fondateurs des vagabonds, des barbares, et même des hommes non libres et qu’au cours du temps elle arriva à la domination du monde, non par sa piété pour les dieux, ni par sa justice, ni par aucune autre vertu, mais par chance et par l'injustice de la fortune, qui distribue inconsidérément ses plus grandes faveurs à ceux qui le méritent le moins. En effet il y a des gens très malveillants qui ont l'habitude d'accuser la fortune d’accorder librement aux pires des barbares les biens des Grecs. 3. Mais pourquoi mentionner tous ces hommes, alors que même des historiens ont osé exprimer de telles opinions dans leurs écrits et les laisser à la postérité, uniquement pour faire plaisir à des rois barbares qui détestaient la suprématie de Rome, - princes à qui ils étaient dévoués servilement et qu’ils fréquentaient comme flatteurs, - en leur présentant des "histoires" qui n'étaient ni justes ni vraies? [1,5] V 1. Donc, pour enlever ces idées fausses, comme je l’ai dit, des esprits des gens et pour les remplacer par la vérité, je vais montrer dans ce livre qui étaient les fondateurs de la ville, à quelles époques les divers groupes se rencontrèrent et par quels revers de la fortune ils ont abandonné leurs pays d'origine. De cette façon je m’engage à montrer que c’étaient des Grecs et qu’ils venaient de nations qui n’étaient pas les moins petites ni les moins considérables. 2. Et en commençant le livre suivant je raconterai les actions qu'ils accomplirent juste après la fondation de la ville et les coutumes et les institutions grâce auxquelles leurs descendants sont parvenus à une telle hégémonie; et, dans la mesure du possible, je n'omettrai aucun fait digne de figurer dans l'histoire, et finalement je veux insuffler dans l’esprit de ceux qui seront alors au courant de la vérité l’opinion convenable de cette ville, - à moins qu'ils n’éprouvent déjà une attitude tout à fait violente et une hostilité envers elle, - et aussi de faire en sorte qu'ils ne puissent plus ressentir de l'indignation devant leur soumission actuelle, qui est basée sur la raison (c’est une loi de nature universelle, que le temps ne peut pas détruire, qui ordonne que les supérieurs commandent aux inférieurs), et qu’ils n’accusent plus la fortune d’avoir accordé étourdiment à une ville peu méritante une si grande suprématie et qui dure déjà depuis si longtemps. 3. Particulièrement quand ils auront appris de mon histoire que Rome dès le début, juste après sa fondation, produisit des myriades d’hommes dont aucune ville, grecque ou barbare n’a jamais produit autant de piété, de justice, de sang- froid tout au long de leur vie, de valeur guerrière. Voilà, dis-je, ce que j'espère accomplir, si mes lecteurs veulent bien laisser tomber tout ressentiment : pour certains un tel sentiment apparaît quand on promet de raconter des choses qui vont à l'opposé de l'opinion reçue ou qui sont dignes d’admiration. 4. C’est un fait que tous ces Romains qui ont porté leur pays à une si grande hégémonie sont inconnus aux Grecs, faute d'un historien compétent. Aucune histoire précise des Romains écrite en langue grecque n’existe encore, sauf quelques brefs et sommaires épitomés. [1,6] VI, 1 Le premier historien, autant que je sache, qui évoqua les antiquités romaines fut Hieronymos de Cardia, dans son ouvrage sur les Epigones. Après lui, Timée de Sicile relata les débuts de leur histoire dans son Histoire universelle mais il traita dans une oeuvre séparée les guerres contre Pyrrhus d'Epire. En même temps que ceux-ci, Antigonos, Polybe, Silenos et beaucoup d’autres auteurs se sont consacrés aux mêmes thèmes, cependant de manières différentes : chacun d’eux ne relatant que quelques faits réunis sans recherche précise de leur propre part mais provenant de rumeurs arrivées à leurs oreilles par hasard. 2. Se ressemblent sur tous les points les Histoires des ces Romains qui racontèrent en Grec les premiers exploits de la ville. Les plus vieux de ces auteurs sont Quintus Fabius et Lucius Cincius, qui tous deux fleurirent lors des guerres puniques. Chacun de ces hommes a raconté les événements auxquels il avait lui-même assisté avec une grande précision, puisqu’ils en étaient bien au courant, mais ils n’ont fait qu’effleurer sommairement les premiers événements qui ont suivi la fondation de la ville. 3. C’est pour ces raisons donc que je me suis déterminé à ne pas laisser tomber une période noble de l'histoire que les auteurs plus âgés ont laissée intacte, une période, dont d'ailleurs, le récit précis donnera des résultats les meilleurs et les plus justes. En premier lieu, les hommes courageux qui ont accompli leur destin gagneront une gloire immortelle et seront loués par la postérité : ce sont des choses qui rendent la nature humaine égale à la nature divine et qui empêchent les exploits des hommes de périr avec leurs corps. 4. Et aussi les descendants présents et futurs de ces hommes divins choisiront non pas la plus plaisante ni la plus facile des vies, mais plutôt la plus noble et la plus ambitieuse, en considérant que tous ceux qui sont d'une origine illustre doivent avoir une opinion élevée sur eux-mêmes et ne rien faire qui ne soit indigne de leurs ancêtres. 5. Et moi qui me suis tourné vers ce travail non par esprit de flatterie, mais par respect pour la vérité et la justice, qui doivent être le but de chaque Histoire, j’aurai l’occasion d’abord montrer une attitude bienveillante envers tous les hommes de bien et envers tous ce qui prennent plaisir dans la contemplation des grandes et nobles actions; et, en second lieu, de remercier le mieux que je le puisse à la ville, en souvenir de l'éducation et des autres avantages dont j’ai bénéficié pendant que j’y résidai. [1,7] VII. 1. Après avoir donné la raison du choix de mon sujet, je souhaite maintenant dire quelque chose au sujet des sources que j'ai utilisées tout en préparant mon oeuvre. Il est possible que ceux qui ont déjà lu Hieronymos, Timées, Polybius, ou un des autres historiens que j'ai mentionnés plus haut en disant qu’ils n’ont fait qu'effleurer la question dans leur oeuvre, comme ils n'auront pas trouvé dans ces auteurs beaucoup de choses que je mentionne, me suspecteront de les inventer et exigeront de savoir d’où j’ai eu la connaissance de ces particularités. De peur que certains aient une telle opinion de moi, il vaut mieux que je j’énonce d’abord quels récits et quels documents j'ai utilisés comme sources. 2. Je suis arrivé en Italie quand César Auguste a mis un terme à la guerre civile, au milieu de la cent quatre-vingt septième olympiade et depuis lors jusqu’aujourd’hui, ayant vécu vingt-deux ans à Rome et appris la langue romaine et m’habituant à leur écriture, j’ai consacré tout mon temps à rechercher les renseignements sur mon sujet. 3. J'ai reçu oralement des informations d’hommes les plus instruits, à qui je me suis associé; et le reste, je l’ai recueilli dans les Histoires écrites par les auteurs romains reconnus : Porcius Cato, Fabius Maximus, Valerius Antias, Licinius Macer, les Aelii, les Gellii et les Calpurnii, et beaucoup d'autres qui sont loin d’être obscurs; en prenant pour point de départ ces travaux, qui sont comme les annales grecques, j'ai commencé à écrire mon Histoire. 4. Voilà pour moi. Mais il me reste pourtant à dire quelque chose aussi au sujet de l'Histoire elle-même : quelles périodes la limitent, quels sujets je décris, et quelles forme je donne à mon ouvrage. [1,8] VIII. 1. Je commence donc mon Histoire par les légendes les plus anciennes, que les historiens avant moi ont omises parce que le sujet était difficile à éclaircir sans une étude importante; 2. et je poursuis mon récit jusqu’au commencement de la première guerre punique qui eut lieu la troisième année de la cent et vingt-huitième olympiade. Je raconte toutes les guerres étrangères que la ville a faites pendant cette période et toutes les séditions internes qui l’agitèrent, en montrant quelles en furent les causes et par quels moyens et par quels arguments elles furent résolues. J’expose également de toutes les formes de gouvernement utilisées à Rome, durant la monarchie et après son renversement, et j’expose l’organisation de chacun d'eux. Je décris les meilleures coutumes et les lois les plus remarquables; et, en bref, je montre toute la vie de la Rome antique. 3. Quant à la forme que je donne à ce travail, elle ne ressemble pas à celle qu’en ont donnée les auteurs qui ne traitent dans leurs Histoires que des guerres, ni à celle d'autres qui n’ont décrit que les multiples formes de gouvernement en eux- mêmes, ni à celle des annales publiées par les auteurs des Atthides (ces dernières sont monotones et deviennent bientôt pénibles au lecteur), mais c'est une combinaison de chaque : spéculative et narrative, pour qu’y trouvent leur satisfaction aussi bien ceux qui s'adonnent aux discussions politiques que ceux qui se consacrent aux spéculations philosophiques et même pour ceux qui ne désirent qu’un simple divertissement dans la lecture de l'histoire. 4. Tel sera le sujet de mon histoire et telle sera sa forme. L’auteur, c’est moi, Denys d’Halicarnasse, fils d'Alexandre. Et maintenant je commence. [1,9] IX. 1. On dit que cette ville, maîtresse de l’ensemble de la terre et de la mer, habitée maintenant par les Romains, a eu comme premiers occupants des barbares Sikèles, une nation indigène. Quant à l'état des lieux avant ce temps-là, on ne peut dire avec certitude s'ils ont été occupés par d'autres ou s’ils étaient inhabités. Mais quelque temps plus tard les aborigènes en prirent possession, au terme d’une longue guerre. 2. Ces Aborigènes avaient auparavant vécu sur les montagnes, dans des villages non fortifiés et dispersés; mais quand le Pélasges unis à quelques autres Grecs, les aidèrent dans la guerre contre leurs voisins, ils chassèrent les Sikèles de cet endroit, s'emparèrent de beaucoup de villes, et décidèrent de subjuguer tout le pays qui se trouve entre deux fleuves, le Liris et le Tibre. Ces fleuves jaillissent du pied des Apennins, chaîne de montagne qui divise toute l'Italie en deux sur toute sa longueur, et se jettent dans la mer Tyrrhénienne à environ huit cents stades de leur embouchure, le Tibre au du nord, près de la ville d'Ostie, et le Liris au sud, car il passe par Minturnes : ces deux villes sont des colonies romaines. 3. Et ces peuples restèrent au même endroit, sans jamais être chassés par d’autres; mais, bien qu'ils aient continué à n’être qu’un seul et même peuple, ils changèrent deux fois de nom. Jusqu'à la période de la guerre de Troie, ils gardèrent leur ancien nom d’Aborigènes; mais sous leur roi Latinus, qui régna lors de la guerre de Troie, ils commencèrent à s'appeler Latins, 4. et quand Romulus fonda la ville baptisée de son nom, seize générations après la prise de Troie, ils prirent le nom qu'ils portent maintenant. Et au cours du temps ils se sont arrangés pour passer de la plus petite nation à la plus grande et de la plus obscure à la plus illustre, non seulement en accueillant avec humanité ceux qui recherchaient une demeure chez eux, mais également en donnant le droit de cité à tous ceux qu’ils avaient conquis après avoir résisté courageusement, et en permettant à tous les esclaves qui avaient été affranchis chez eux de devenir citoyens, sans dédaigner aucun homme, quelle que soit sa condition, pourvu que la cité puisse en récolter un avantage, mais par dessus tout grâce à la forme de leur gouvernement, qu'ils façonnèrent après beaucoup d'épreuves, en retirant toujours quelque chose d’utile de chaque occasion. [1,10] X. 1. Il y en a qui prétendent par que les Aborigènes, dont sont issus les Romains, étaient des autochtones de l'Italie, comme un peuple qui serait né spontanément (j'appelle Italie toute la péninsule qui est bornée par le golfe d’Ionie, la mer Tyrrhénienne et, ensuite par les Alpes du côté terrestre); et ces auteurs disent qu'ils se sont d’abord appelés Aborigènes parce qu'ils étaient les fondateurs des familles de leurs descendants, ou, comme nous devrions les appeler, les genearchai ou les prôtogonoi. 2. D'autres disent que des vagabonds sans feu ni lieu, venant de différents endroits, réunis là par hasard, y installèrent leur demeure dans des places fortes, vivant de vol et faisant paître leurs troupeaux. Et ces auteurs modifient leur nom, en leur en donnant un plus approprié à leur état : ils les appellent Aberrigènes, pour montrer qu'ils étaient des vagabonds; en effet, selon ces derniers, il semble qu'il n'y aurait aucune différence entre la race des Aborigènes et celle que les anciens appelaient Lélèges; puisque c’est le nom qu'ils ont généralement donné aux sans-abri, aux peuples mélangés qui n’ont aucune demeure fixe qu'ils puissent appeler leur pays. 3. D’autres encore affabulent à leur sujet : ils auraient été des colons envoyés par ces Ligures qui sont voisins des Ombriens. Les Ligures habitent non seulement de nombreuses régions d’Italie mais aussi quelques parties de la Gaule, mais on ne sait laquelle de ces terres est leur pays d'origine, puisqu’on ne dit rien de sûr à leur sujet. [1,11] XI. 1 . Mais les plus savants des historiens romains, parmi lesquels Porcius Cato, qui a rassemblé avec le plus grand soin les « Origines » des villes italiennes, Gaius Sempronius et beaucoup d'autres, indiquent que les Aborigènes étaient des Grecs, de ceux qui par le passé avaient habité l’Achaïe, et qui avaient émigré de nombreuses générations avant la guerre de Troie. Mais ils ne vont pas jusqu’à indiquer la tribu grecque à laquelle ils appartenaient ni la ville d’où ils venaient, ni la date, ni le chef de la colonie, ni la cause qui les fit quitter leur mère-patrie. Et bien que ces historiens se basent sur une légende grecque, ils ne citent aucun historien grec comme preuve de ce qu’ils disent. La part de vérité dans tout cela est donc incertaine. Mais si ce qu'ils disent est vrai, les Aborigènes ne peuvent être qu’une colonie d’aucun autre peuple que celui qui s'appelle aujourd’hui les Arcadiens. 2. Ceux-ci furent les premiers de tous les Grecs à traverser le golfe d’Ionie, sous la conduite d'Oenotros, fils de Lycaon, et à s'établir en Italie. Cet Oenotros était descendant à cinquième génération d'Aezeios et de Phoroneos, qui furent les premiers rois du Péloponnèse. Niobé était la fille de Phoroneos, et Pelasgos le fils de Niobé et, dit-on, de Zeus; Lycaon était le fils d’Aezeios et Déjanire la fille de Lycaon; Déjanire et Pelasgos étaient les parents d'un autre Lycaon, dont le fils Oenotrus naquit dix-sept générations avant l'expédition de Troie. C’est alors que les Grecs envoyèrent cette colonie en Italie. 3. Oenotros quitta la Grèce parce qu'il n’était pas satisfait de sa part de terre de son père; car Lycaon avait vingt-deux fils et il avait divisé l’Arcadie en autant de parts. Pour cette raison Oenotros abandonna le Péloponnèse, équipa une flotte, et traversa le golfe d’Ionie avec Peucetios, un de ses frères. L’accompagnèrent plusieurs de leurs compatriotes – on prétend que cette nation étaient très populeuse à l’origine - et tous les autres Grecs pour qui la terre ne leur suffisait pas. 4. Peucetios débarqua ses gens au promontoire d'Iapygie, qui était la première région de l'Italie qu'ils rencontrèrent, et ils s’y installèrent. C’est de lui que les habitants de cette région ont pris le nom de Peucétiens. Mais Oenotros avec une grande partie de l'expédition parvint à l'autre mer qui baigne les régions occidentales le long de la côte de l'Italie; on l’appelait alors la mer ausonienne, à cause des Ausoniens qui y habitaient tout près, mais après que les Tyrrhéniens furent devenus maîtres de la mer, son nom changea en celui qu'elle porte aujourd’hui. [1,12] XII. 1. Et trouvant là beaucoup de terres convenant soit au pâturage soit au labourage, mais pour la plupart inoccupées, et même celles qui étaient habitées n’étaient pas fort peuplées, il en chassa les barbares et construisit de petites villes contiguës les unes aux autres sur les montagnes, selon la façon habituelle de construire des peuples anciens. Et toute la terre qu'il occupa et qui était très étendue, s'appela Oenotria, et tous les gens qu’il gouverna Oenotriens : c’était le troisième nom qu’ils reçurent. Sous le règne d'Aezeios, ils s’appelaient Aezeiens ; quand Lycaon hérita du pouvoir, Lycaoniens, et après qu'Oenotros les eut menés en l'Italie ils prirent pendant un moment le nom d’Oenotriens. 2. Ce que je dis est corrobé par le témoignage de Sophocle, le poète tragique, dans son drame intitulé Triptolème. Il y représente Déméter indiquant à Triptolème l’étendue des régions qu’il devra parcourir tout semant les graines qu’elle lui avait données. Après avoir d'abord parlé de la région orientale de l'Italie, qui s’étend du promontoire d'Iapygie jusqu’au détroit de Sicile, et évoquant ensuite la Sicile qui se trouve à l’opposé, elle revient encore à la région occidentale de l'Italie et énumère les nations les plus importantes qui habitent cette côte, commençant par la région des l'Oenotriens. Mais il suffit de citer simplement les iambes dans lesquels elle dit: "et ensuite, sur la droite, la large étendue d’Oenotria, le golfe Tyrrhénien, et la terre ligure te feront bon accueil." 3. Et Antiochos de Syracuse, un historien fort ancien, dans son récit du peuplement de l'Italie, énumère les habitants les plus anciens dans l'ordre où chacun d'eux prit possession d’une partie de celle-ci . Il dit que les premiers de mémoire humaine qui habitent le pays sont les Oenotriens. Voici ses propres mots : "Antiochos, fils de Xénophane, a écrit cet ouvrage sur l'Italie, qui comporte tout ce qui est le plus crédible et le plus sûr parmi les récits anciens : ce pays, qui s'appelle maintenant l'Italie, fut autrefois possédé par les Oenotriens." Alors il raconte comment ils étaient gouvernés et indique qu’au cours du temps Italus devint leur roi, du nom duquel ils ont été nommés Italiens; que cet homme eut comme successeur Morges, du nom duquel ils se sont appelés Morgètes, et que Sicelus, reçu comme invité par Morges y installa un royaume pour lui et divisa cette nation. Après quoi il ajoute ces mots: "ceux qui avaient été Oenotriens devinrent ainsi Sickèles, Morgètes et Italiens." [1,13] XIII. 1 . Qu’on me laisse maintenant montrer également l'origine de la race d'Oenotrios, en produisant comme témoin un autre des historiens anciens, Phérécyde d'Athènes, qui était un généalogiste hors pair. Il s'exprime ainsi au sujet des rois d'Arcadie: "de Pelasgos et de Déjanire naquit Lycaon; cet homme épousa Cyllenê, une Naïade, qui a donné son nom au mont Cyllène." Puis, après avoir énuméré leurs enfants et les endroits où chacun d'eux habita, il mentionne Oenotros et Peucetios en ces mots: "et Oenotrus qui a donné son nom aux Oenotriens qui vivent en Italie, et Peucetios, qui a donné le sien aux Peucetiens qui vivent sur le golfe Ionien." 2. Tels sont donc les exposés donnés par les poètes et les mythographes au sujet de l’implantation et l'origine des Oenotriens; et me basant sur leur autorité je suppose que si les Aborigènes étaient en réalité une nation grecque, selon l'opinion de Caton, de Sempronius et de beaucoup d'autres, ils étaient descendants des ces Oenotriens. Je constate en effet que le Pélasges, les Crétois et les autres nations qui ont habité l’Italie sont venus bien après; et je ne peux trouver aucune autre expédition plus ancienne que celle-là, venue de Grèce vers les côtes occidentales de l'Europe. 3. Je pense que les Oenotriens, outre qu’ils se sont rendus maîtres de beaucoup d'autres régions en Italie, dont ils ont trouvé une partie inoccupée et d'autres faiblement peuplées, ont pris aussi une partie du pays des Ombriens, et qu'ils se sont appelés Aborigènes parce qu’ils vivaient dans les montagnes (c’est une caractéristique des Arcadiens d’aimer les montagnes), tout comme à Athènes certains s'appellent Hyperakrioi, et d'autres Paralioi. 4. Mais si certains sont naturellement sceptiques à donner crédit sans preuve aux récits des faits anciens, qu’ils soient aussi sceptiques à croire que les Aborigènes étaient Ligures, Ombriens, ou autres barbares, et qu’ils laissent en suspens leur jugement jusqu'à ce qu'ils aient entendu la suite pour déterminer alors quelle opinion, parmi toutes, est la plus probable. [1,14] XIV. 1. Des villes habités primitivement par les Aborigènes, peu sont restées jusqu’à ce jour; la plus grande partie d'entre elles, après avoir été ruinées par des guerres et d'autres calamités, sont abandonnées. Ces villes se trouvaient sur le territoire de Réatine, pas loin des Apennins, comme Terentius Varro l’écrit dans ses Antiquités, à un jour de voyage de Rome par le plus court chemin. Je vais énumérer les plus célèbres d'entre elles, comme le fait cet historien. 2. Palatium, éloignée de vingt-cinq stades de Réate (une ville encore habitée par les Romains jusqu’à mon époque, près de la via Quintia). Tribula, à environ soixante stades de Réate et située sur une colline moyenne. Suesbula, à la même distance de Tribula, près des monts Cérauniens. La fameuse cité de Suna, à quarante stades de Suesbula; à Suna se trouve un temple très ancien de Mars. 3. Mefula à environ trente stades de Suna; on y trouve des ruines et des vestiges de ses murs. Orvinium, à quarante stades de Mefula, une ville célèbre et importante, s’il en fut, dans cette région; on peut y voir encore les fondations de ses murs et quelques tombeaux d’une vénérable antiquité, et aussi les enceintes des cimetières formant de hauts monticules; et il y a là également un antique temple de Minerve construit sur le sommet. 4. À une distance de quatre-vingts stades de Réate, si l’on va le long de la via Kuria, non loin du mont Coretus, on trouve Corsula, une ville récemment détruite. Il y a là également une île, appelée Issa, entourée par un lac; on dit que les Aborigènes vivaient sur cette île sans aucune fortification artificielle, mais en se servant des eaux marécageuses du lac comme murs. Près d'Issa est Maruvium, situé sur un bras de ce même lac et à quarante stades de ce qu'on appellent les Sept-Eaux. 5. Quand on quitte Réate par la route mais par la via Latina, on arriva à Batia, à trente stades; puis à Tiora, appelée Matiena, à une distance de trois cents stades. Dans cette ville, dit-on, il y avait un oracle de Mars très ancien de même nature que celui qui, selon la légende, exista jadis à Dodone; mais à Dodone c’était un pigeon, qui, dit-on, prophétisait, perché sur un chêne sacré tandis que chez les Aborigènes c’était un oiseau providentiel, qu'ils appellaient picus et les Grecs dryokolatès : il apparaissait sur un pilier de bois et faisait la même chose. 6. A vingt-quatre stades se trouve Lista, la métropole des Aborigènes : à un temps reculé, le Sabins la prirent lors d’une attaque surprise, de nuit, alors qu'elle n'était pas gardée, en venant d'Amiternum Ceux qui survécurentà la prise de la ville, furent recueillis par les habitants de Réate ; ils firent de nombreuses tentatives pour reprendre leur ancienne demeure, mais ne pouvant y arriver, ils consacrèrent le pays aux dieux, comme s’il étaient toujours le leur, appelant la malédiction sur ceux qui en récolteraient les fruits. [1,15] XV. 1. A soixante-dix stades de Réate se trouve Cutilia, une ville célèbre, près d'une montagne. Pas loin d'elle il y a un lac de quatre cents pieds de diamètre, alimenté en permanence par une source naturelle et, dit-on, il est sans fond. Comme ce lac a quelque chose de divin, les habitants du pays le considèrent comme consacré à la Victoire; et ils l’ont entouré d’une palissade pour que personne ne puissent approcher de l'eau et pour le maintenir inviolé; sauf que à certains moments tous les ans ceux sont chargé du culte vont sur la petite île dans le lac et exécutent les sacrifices exigés par la coutume. 2. Cette île a environ cinquante pieds de diamètre et se s’élève pas plus d’un pied au-dessus de l'eau; elle n'est pas fixe, et flotte dans toutes les directions, selon que le vent la porte doucement d'un endroit à l'autre. Une herbe se développe sur l'île qui ressemble à du jonc fleuri et également quelques petits arbustes : phénomène inaccoutumé pour ceux qui sont peu habituées aux travaux de la nature et une merveille à nulle autre pareille [1,16] XVI. 1. On dit que les Aborigènes se sont installés d'abord dans cette région, après qu'ils en aient chassé les Ombriens. Puis faisant des expéditions à partir de là, ils ont fait la guerre non seulement à tous les barbares mais en particulier aux Sikèles, leurs voisins pour les déposséder de leurs terres. D'abord, une troupe consacrée de jeunes hommes partit, elle se composait de quelques personnes envoyées par leurs parents pour rechercher des moyens d’existence, selon une coutume que je sais que beaucoup de barbares et Grecs ont suivi. 2. Chaque fois que la population d’une de leurs villes augmentait jusqu'à au point que le produit de leurs terres ne suffisait plus pour tout le monde, ou que la terre, blessée par les changements irraisonnables du temps, apportait des fruits en moindre abondance qu'habituellement, ou que qu’un autre événement de la nature, bon ou mauvais, nécessitait de diminuer leur nombre, ils consacraient à un l’un ou l’autre de leurs dieux tous les hommes nés une même année, et leur fournissant des armes, ils les envoyaient hors de leur pays. Si, en effet, ils le font pour remercier les dieux de l’abondance de la population ou pour la victoire lors d’une guerre, ils offraint les sacrifices habituels et envoyaient les colons sous d’heureux auspices; mais si, après avoir encouru la colère du ciel, ils cherchaient la délivrance des maux qui les assaillaient, ils exécutaient plus ou moins la même cérémonie, mais dans l’affliction et demandant pardon aux jeunes qu'ils envoyaient au loin. 3. Et ceux qui partaient, sachant que dorénavant ils n'auraient aucune part de la terre de leurs pères mais devaient en acquérir d’autres, considéraient la terre qui les recevait, soit par amitié soit qu’ils l’eussent conquise par la guerre, comme leur propre pays. Et le dieu à qui ils étaient consacrés lors de leur départ leur venait généralement en aide aider et faisait prospérer les colonies au delà de toute espérance humaine. 4. Donc c’est en vertu de cette coutume que certains Aborigènes aussi à ce moment-là, comme leur territoire devenait surpeuplé (ils ne mettraient aucun de leurs enfants à mort, regardant cela comme un des plus grands crimes), consacrèrent à l’un ou l’autre dieu la progéniture d'une année et quand ces enfants devinrent des hommes ils les envoyèrent hors de leur pays comme colons; et ceux-ci, après leur départ de leur propre terre, se mirent à piller continuellement les Sikèles. 5. Et quand qu'ils furent devenus maîtres de toutes les contrées du pays de l'ennemi, le reste des Aborigènes, également, qui avaient besoin de terres, attaquèrent alors leurs voisins respectifs avec une plus grande sécurité et construisirent diverses villes, dont certaines sont encore habitées aujourd’hui - Antemnae, Tellenae, Ficulnea, située près des mont Corniculum, (c’est ainsi qu’ils l’appellent), et Tibur, où un quartier de la ville est encore à ce jour appelé le quartier des Sikèles; et de tous leurs voisins ce sont les Sikèles qu’ils ont le plus harcelés. De ces querelles en résulta une guerre générale entre les nations, guerre plus importantes que celles qui s'étaient produites précédemment en Italie, et elle continua à se prolonger sur une longue période. [1,17] XVII. 1. Ensuite une partie des Pelasges qui habitaient ce qu’on appelle maintenant la Thessalie, furent obligés de quitter leur pays, s’installèrent chez les Aborigènes et ensemble ils firent la guerre aux Sikèles. Il est possible que les Aborigènes les aient reçus dans l'espoir de recevoir de l'aide, mais je crois c’était principalement à cause de leur parenté. 2. En effet les Pelasges aussi étaient une nation grecque originaire du Péloponnèse. Ils étaient malheureux pour beaucoup de raisons mais en particulier parce qu’ils erraient sans arrêt et qu’ils n’avaient aucune demeure fixe. Ils vécurent d’abord à proximité de la ville que l’on nomme maintenant Argos d’Achaïe ; c’était les autochtones, selon la plupart des témoignages. Leur nom vient, à l'origine, de leur roi Pelasgos. 3. Pelasgos était, dit-on, fils de Zeus et de Niobé la fille de Phoroneos, qui, selon la légende, fut la première mortelle que Zeus connut. A la sixième génération, quittant le Péloponnèse, ils s’en allèrent vers le pays qui s'appelait alors Hémonie et maintenant Thessalie. Les chefs de la colonie étaient Achaeos, Phthios et Pelasgos, les fils de Larissa et de Poséidon. Quand ils arrivèrent en Hémonie ils en chassèrent les habitants barbares et divisèrent le pays en trois parties : ils les appellèrent, d’après le nom de leurs chefs, Phthiotide, Achaïe et Pelasgiotide. Ils restèrent là cinq générations, durant lesquelles ils parvinrent à la plus grande prospérité en récoltant les produits des plaines les plus fertiles de la Thessalie, mais à la sixième génération ils furent chassés par les Curètes et le Lélèges, qui s'appellent maintenant les Étoliens et les Locriens, et par beaucoup d'autres qui vivaient près du Parnasse : leurs ennemis étaient commandés par Deucalion, le fils de Prométhée et de Clyméné, la fille d’Océan. [1,18] XVIII. 1. Et se dispersant dans leur fuite, certains allèrent en Crète, d'autres occupèrent quelques îles appelées les Cyclades, certains s’installèrent dans la région appelée Hestiaeotide près de l’Olympe et de l’Ossa, d'autres passèrent en Béotie, en Phocide et en Eubée ; certains, passant en l'Asie, occupèrent beaucoup de places sur la côte le long de l’Hellespont et plusieurs des îles voisines, en particulier celle qu’on appelle maintenant Lesbos : ils s’unirent à ceux qui composaient la première colonie envoyée là de Grèce sous la conduite de Macar, fils de Crinacus. 2. Mais la plupart d'eux, se tournant vers l’intérieur, trouva refuge chez les habitants de Dodone, leurs parents : personne, parce que le peuple était sacré, n’osait leur faire la guerre; et ils y restèrent pendant quelque temps. Mais quand ils s’aperçurent qu’ils devenaient un fardeau pour leurs hôtes, parce que la terre ne pouvait pas les contenir tous, ils s’en allèrent pour obéir à un oracle qui leur ordonnait de naviguer vers l’Italie, qui alors s’appelait Saturnie. 3. Et après avoir équipé un grand nombre de bateaux ils traversèrent le golfe d’Ionie, en essayant d'atteindre les régions les plus proches de l'Italie. Mais pendant que le vent était au sud et alors qu’ils ignoraient ces régions, ils furent déportés loin de la mer et mouillèrent à une des bouches du Pô, appelée la bouche spinétique. Ils laissèrent dans cet endroit leurs bateaux et ceux des leurs qui pouvaient moins soutenir les difficultés, placèrent une garnison autour des bateaux, pour que, si leurs affaires ne marchaient pas, ils pourraient trouver une retraite sûre. 4. Ceux qui restèrent là entourèrent leur camp d’un mur et transportèrent de nombreuses provisions dans leurs navires; et comme leurs affaires semblaient prospérer d'une manière satisfaisante, ils construisirent une ville et l'appelèrent du même nom que la bouche du fleuve. Ils en arrivèrent à un plus grand degré de prospérité que tous autres qui habitaient sur le golfe d’Ionie; ils prirent pendant longtemps la maîtrise de la mer, et de leurs revenus maritimes ils prirent l'habitude d'envoyer les dîmes au dieu à Delphes : c’était des présents parmi les plus magnifiques qu’on ait jamais envoyé. 5. Mais plus tard, quand les barbares du voisinage leur firent la guerre, avec de grandes forces, ils abandonnèrent la ville; mais ces barbares dans la suite furent chassés par les Romains. Ainsi périt cette partie des Pélasges qui furent laissés à la bouche spinétique. [1,19] XIX. 1. Cependant ceux qui s’étaient tournés vers l’intérieur traversèrent la région montagneuse de l'Italie et arrivèrent au territoire des Ombriens qui étaient voisins des Aborigènes. (les Ombriens habitaient aussi un grand nombre d'autres régions de l'Italie et était une des plus grandes et plus antiques nations.) D'abord les Pélasges se rendirent maîtres des terres où ils s’étaient établis et s’emparèrent d’abord de certaines petites villes appartenant aux Ombriens. Mais quand une grande armée s’avança contre eux, ils furent terrifiés devant le nombre de leurs ennemis et s’enfuirent vers le pays des Aborigènes. 2. Les Aborigènes, voyant cela, les traitèrent en ennemis et se hâtèrent de se réunir des environs, afin de les chasser du pays. Mais le Pélasges qui par chance campaient à ce moment-là près de Cotylia, une ville aborigène située près du lac sacré, et voyant la petite île se déplaçant en cercle au milieu du lac et apprenant des captifs qu'ils avaient pris dans les campagnes le nom des habitants, ils en conclurent que leur oracle était maintenant réalisé. 3. Cet oracle, qui leur avait été rendu à Dodone et qui Lucius Mallius, homme loin d’être obscur, dit qu'il l’a vu de ses propres yeux gravé en caractères antiques sur un des trépieds qui se trouvent dans l'enceinte de Zeus : le voici: "partez à la recherche de la terre saturnienne des Sikèles, et de la Cotylê des Aborigènes, là où flotte une île; Mélangez-vous avec ces hommes, envoyez une dîme à Phébus, et des têtes au fils de Cronos, et envoyez au père un homme." [1,20] XX. 1. Donc quand les Aborigènes s’avancèrent avec une armée nombreuse, les Pélasges s’approchèrent sans armes avec des branches d’olivier à la main, en leur expliquant quelle est leur propre sort et les priant de les recevoir d'une façon amicale pour qu’ils habitent avec eux, les assurant qu'ils ne seraient pas gênants, puisque le ciel lui-même les guidait dans ce pays particulier selon l'oracle, qu'ils leur citent. 2. Quand les Aborigènes entendirent ces mots, ils résolurent d’obéir à l'oracle et de prendre ces Grecs comme alliés contre leurs ennemis barbares, parce qu'ils étaient fort oppressés par leur guerre contre le Sikèles. Ils firent donc un traité avec les Pélasges et leurs assignèrent une partie de leurs propres terres qui s'étendent près du lac sacré; la plupart de ces terres étaient marécageuses et s'appellent encore aujourd’hui Velia, selon la forme antique de leur langue. 3. La coutume des anciens Grecs était de placer généralement avant les mots qui commencent par une voyelle la syllabe "OU", écrite avec une lettre "F" (c'était comme un gamma, constitué de deux lignes obliques reliées à une ligne droite), comme Fg-eleneh, Fg-anax, Fg-oikos, Faehr, et beaucoup de mots semblables. 4. Ensuite, une partie considérable des Pélasges, comme la terre n'était pas suffisante pour les nourrir tous, persuada les Aborigènes de se joindre à eux dans une expédition contre les Ombriens, et de marcher avec eux, ils tombèrent à l’improviste sur Crotone et s’en emparèrent : c’était une ville grande et prospère. Et utilisant cet endroit comme bastion et comme forteresse contre les Ombriens, car elle était suffisamment équipée pour servir de défense en temps de guerre et avait des pâturages fertiles aux alentours, ils se rendirent maîtres aussi de nombreux autres places et aidèrent la grande ardeur des Aborigènes durant la guerre qu'ils menaient encore contre les Sikèles, jusqu'à ce qu'ils les eussent chassés de leur pays. 5. Et les Pélasges accompagnés des Aborigènes occupèrent beaucoup de villes, dont certaines étaient précédemment habitées par le Sikèles et d'autres qu'ils construisirent eux-mêmes; parmi ces dernières il y a Caeré, alors appelée Agylla, et Pise, Saturnia, Alsium et quelques d'autres, qui au cours de temps passèrent aux mains des le Tyrrhéniens. [1,21] XXI. 1. Mais Faléries et Fascennium étaient encore de mon temps habitées par les Romains et ont conservé quelques petits vestiges de la race des Pélasges, bien qu'elles aient appartenus auparavant aux Sikèles. Dans ces villes survécurent pendant longtemps plusieurs coutumes antiques autrefois en usage chez les Grecs, tels que la forme de leurs armes de guerre, comme les boucliers et des lances argiennes; et chaque fois qu'ils envoient une armée au-delà de leurs frontières, pour déclencher une guerre ou pour résister à une invasion, certains hommes consacrés, sans armes, marchaient en tête pour proposer un traité de paix; également semblable, était la structure de leurs temples, les images de leurs dieux, leurs purifications et sacrifices et beaucoup d'autres choses de même nature. 2. Mais le vestige le plus remarquable qui prouve que ces gens qui ont chassé les Sikèles vécurent par le passé à Argos, c’est le temple de Junon à Faléries : il était construit de la même façon que celui d’Argos; le rituel des cérémonies sacrificatoires y était semblable, les femmes consacrées servaient dans l'enceinte sacrée, et une fille célibataire, appelée canéphore accomplissait les rites préliminaires aux sacrifices, et il y avait des chœurs de vierges qui célébraient la déesse par les chants de leur pays. 3. Ces gens-là possédaient également une partie considérable des plaines qu’on appelle campaniennes, : elles ont non seulement une campagne très fertile mais beaucoup de perspectives agréables : ils en avaient chassé d’une partie les Auronisses, une nation barbare. Et ils construisirent plusieurs autres villes dont Larisa, qu'il appelèrent ainsi d’après leur mère-patrie dans le Péloponnèse. 4. Certaines de ces villes existaient encore à mon époque, ayant souvent changé d’ habitants. Mais Larisa a été longtemps abandonnée et ne montre aux gens d’aujourd’hui aucune autre trace qu’elle ait jamais été habitée si ce n’est son nom, et même celui-ci n'est généralement pas connu. Elle n'était pas loin de l'endroit appelé Forum Popilii. Les Pélasges ont également occupé un grand nombre d'autres places, sur la côte et à l'intérieur des terres qu'ils avaient prises aux Sikèles. [1,22] XXII. 1. Les Sikèles, attaqués en même temps par les Pélasges et les Aborigènes, se trouvèrent incapables de résister plus longtemps : alors prenant avec eux leurs femmes et leurs enfants ainsi que tous leurs biens, soit en en or, soit en argent, ils abandonnèrent tout leur pays à leurs ennemis. Puis se dirigeant vers le sud par les montagnes, ils traversèrent toute la partie inférieure de l'Italie, et chassés de partout, ils finirent par fabriquer des radeaux pour passer le détroit et, observant que le courant allait du haut vers le bas, ils passèrent de l'Italie à l'île la plus proche. 2. Elle était alors occupée par les Sicanes, une nation ibérienne, qui, fuyant les Ligures, s’était installée là depuis peu de temps. C’était pourquoi l'île, qu’on appelait auparavant Trinacria, à cause de sa forme triangulaire, s’était appelée Sicanie, d’après leur nom. Il y avait très peu d'habitants pour si grand une île, et la grande partie était jusque là inoccupée. C’est pourquoi, quand les Sikèles débarquèrent, ils habitèrent d’abord la partie occidentale et ensuite plusieurs autres; et à cause de leur nom l'île commença à être appelée Sikélie (Sicile). 3. C’est ainsi que la nation des Sikèles quitta l'Italie, selon Hellanicos de Lesbos, durant la troisième génération avant la guerre de Troie, et la vingt- sixième année du sacerdoce d'Alcyoné à Argos. Mais il dit qu’il y a eu deux expéditions italiennes qui passèrent en Sicile : la première comprenait les habitants d’Elymes, chassés, dit-il, par les Oenotriens, et la seconde, cinq ans après, composée d'Ausoniens, qui fuyaient les Iapyges. Comme le roi du second groupe s’appelait Sikélos, le peuple et l'île prirent son nom. 4. Mais selon Philistos de Syracuse la moment de la traversée se passait quatre- vingt ans avant la guerre de Troie et le peuple qui quitta l'Italie n'était ni sikèle, ni ausone, ni élyme, mais ligure : leur chef s’appelait Sikélos; ce Sikélos, dit-il, était le fils d'Italos et c’est sous son règne que le peuple fut appelé Sicèle, 5. et il ajoute que ces Ligures avaient été chassés de leur pays par les Ombriens et les Pélasges. Antiochos de Syracuse ne donne pas de date pour la traversée, mais il prétend que le peuple qui a émigré était celui des Sikèkes, qui avait été forcé de partir à cause des Oenotriens et des Opiques, et qu’ils avaient choisi Straton comme chef de la colonie. Mais Thucydide écrit que le peuple qui a quitté l'Italie était sikèle et que ceux qui les ont chassés étaient des Opiques, et que la date est de beaucoup ultérieure à la guerre de Troie. Tels sont les récits présentés par les auteurs dignes de foi sur les Sikèles et leur passage d'Italie en Sicile. [1,23] XXIII. 1. Les Pélasges, après avoir conquis une région étendue et fertile, s’être emparés de beaucoup de villes et en avoir construit d'autres, firent des progrès importants et rapides, augmentant leur population, leurs richesses et leur prospérité de toutes les manières possibles. Mais ils ne profitèrent pas longtemps de cette prospérité : c’est au moment où ils semblaient pour tout le monde en plein épanouissement qu'ils furent poursuivis par la colère divine : certains d'entre eux furent tués par des calamités infligées par une main divine, d'autres par leurs voisins barbares, mais la plus grande partie d’entre eux fut de nouveau dispersée à travers la Grèce et les pays barbares (sur ce point, si j'essayais d’en donner un exposé exhaustif, cela ferait à une très longue histoire). Seuls quelques-uns restèrent en Italie par bienveillance des Aborigènes. 2. La première cause de désolation de leurs villes semble avoir eu comme origine une période de sécheresse qui amena la perte de leurs terres : les fruit ne restaient pas sur les arbres jusqu'à leur maturité mais tombaient alors qu’ils étaient toujours verts ; les graines germaient et montaient sans parvenir à maturité pour la période habituelle où l’épi devait être mûr, il n’y avait plus suffisamment d'herbe pour les bétail; et les eaux, certaines n'étaient plus potables, d'autres diminuaient pendant l'été, d'autres enfin se tarissaient totalement . 3. Et ce malheur frappait la progéniture du bétail et des femmes. Le foetus avortait ou mourait à la naissance, certains par leur mort faisaient périr aussi ceux qui les portaient; et s’il sortait sans risque du danger de l’accouchement, il était soit estropié, soit défectueux, soit infirme : ils n’étaient pas adaptés à survivre. Le reste de la population, aussi, en surtout ceux dans la force de l’âge, étaient affligés de nombreuses maladies peu communes et de morts bizarres. 4. Mais quand ils demandèrent à l'oracle quel dieu ou quelle divinité ils avaient offensé pour être ainsi affligés et comment ils pourraient espérer leur délivrance, le dieu répondit que, bien qu'ils eussent obtenu tout ce qu'ils désiraient, ils avaient négligé de payer ce qu'ils avaient promis, et que des biens de très grande valeur leur étaient toujours dus. 5. En effet les Pélasges dans un moment de la disette générale dans leur pays avaient promis d’offrir à Jupiter, à Apollon et aux Caribes les dîmes de toutes leurs futures production; mais quand leur prière fut exaucée, ils prélevèrent et offrirent aux dieux seulement la partie promise de toutes leurs récoltes et de leur bétail, comme si leur vœu ne concernait que cela. C'est ce que rapporte Myrsilus de Lesbos, qui emploie presque les mêmes termes que moi, sauf qu'il n'appelle pas ces gens Pélasges, mais Tyrrhéniens : j’en donnerai la raison peu un plus loin. [1,24] XXIV. 1. Lorsqu’ils entendirent ce que l'oracle leur avait répondu, ils furent incapables de deviner la signification du message. Alors qu'ils étaient perplexes, un des anciens, devinant le sens de la parole, leur indiqua qu’ils se trompaient sur sa signification s’ils pensaient que les dieux se plaignaient d'eux sans raison. Des leurs biens, ils avaient en effet offert aux dieux toutes les prémices d’une manière bonne et appropriée, mais de la progéniture humaine, chose parmi toutes la plus précieuse pour les dieux, cette partie promise leur était toujours due; mais si les dieux recevaient aussi leur juste part de cela, l'oracle serait satisfait. 2. Certains pensaient qu'il avait parlé correctement, mais d'autres estimèrent qu'il y avait de la trahison derrière ses mots. Et quand quelqu’un proposa de demander au dieu s'il lui semblait acceptable de recevoir des êtres humains comme dîmes, ils envoyèrent des messagers une deuxième fois à l’oracle, et le dieu les ordonna de le faire. Mais des différends surgirent parmi eux sur la façon de choisir les dîmes, et les dirigeants des villes se disputèrent pour la première fois entre eux. 3. puis le reste du peuple commença à soupçonner ses magistrats. Et il commença à y avoir des migrations désordonnées, telles qu’on peut attendre d'un peuple poussé par une frénésie et une folie d’origine divine. Beaucoup de foyers disparurent complètement quand une partie de leurs membres partit; car les parents de ceux qui étaient partis étaient peu disposés à être séparés de leurs plus chers amis et à rester avec leurs pires ennemis. 4. Ce furent donc les premiers à émigrer d'Italie et à errer en Grèce et dans beaucoup de régions du monde barbare; mais après eux d'autres firent la même expérience, et ceci se reproduisit chaque année. En effet les chefs de ces villes ne cessèrent pas de choisir les prémices de la jeunesse quand ils arrivaient à l’âge adulte car ils désiraient rendre ce qui était dû aux dieux et aussi parce qu'ils craignaient des séditions de la part d’ennemis menaçants. Beaucoup, aussi, sous des prétexte spécieux étaient chassés par leurs ennemis par haine; c’est pourquoi il y eut beaucoup de migrations et la nation de Pélasges se dispersa sur la majeure partie de la terre. [1,25] XXV. 1. Les Pélasges étaient non seulement supérieurs à beaucoup de peuples dans la guerre, grâce à leur pratique au milieu des dangers en vivant parmi des nations guerrières, mais ils jouissaient également de la plus grande compétence dans l’art de la navigation, en raison de leur cohabitation avec le Tyrrhéniens; et la nécessité, qui suffit à rendre audacieux ceux qui n’ont pas de moyens d’existence, étaient leur guide et leur guide dans chaque entreprise dangereuse, de sorte que partout où ils sont allés ils étaient conquis sans difficulté. 2. Et ce même peuple s'appelait pour le reste du monde Tyrrhéniens et Pélasges, ce premier nom provenait du pays d’où ils étaient venus et le second en mémoire de leur origine antique. Je mentionne cela pour que personne, en entendant des poètes ou des historiens nommer les Pélasges aussi les Tyrrhéniens , ne puisse s'étonner de ce que le même peuple ait porté ces deux noms. 3. A leur sujet, Thucydide mentionne l’Acté de Thrace ainsi que des villes qui s’y trouvent, qui sont habitées par les hommes qui parlent deux langues. En ce qui concerne la nation des Pelasges voici ses mots: "Il y a également un élément chalcidien chez eux, mais la plus grand partie est pélasgienne, appartenant aux Tyrrhéniens qui jadis habitèrent Lemnos et Athènes." 4. Et Sophocle fait parler le chœur dans son drame Inachos en ces vers anapestiques: "O Inachos qui coule sans cesse, enfant d’Océan, père de toutes les sources, toi que vénèrent avec force les champs d'Argos et les collines d’Héra et aussi les Tyrrhènes Pélasges." 5. Le nom de Tyrrhénie était alors connu dans l'ensemble de la Grèce, et toute la région occidentale de l'Italie reçut ce nom : les nombreuses nations qui la composaient avaient perdu leurs appellations distinctives. La même chose arriva aussi à de nombreuses régions de la Grèce, et en particulier à cette région qui s'appelle maintenant le Péloponnèse; c’est à cause d’une des nations qui l'habitaient, à savoir les Achéens, que la péninsule entière, qui comprend aussi les Arcadiens, les Ioniens et beaucoup d'autres, fut appelée Achaïe. [1,26] XXVI. 1. Le moment où commencèrent les malheurs des Pélasges se situa à la deuxième génération avant la guerre de Troie; et ils continuèrent même après cette guerre, jusqu'à ce que la nation fût réduite à un très petit nombre d’habitants. En effet, excepté Crotone, l’importante ville d’Ombrie, et celles qu'ils avaient fondés en terre aborigène, le reste des villes des Pélasges fut détruit. Mais Crotone conserva longtemps sa forme ancienne, ce n’est que tout récemment qu’elle a changé de nom et d’habitants; c'est maintenant une colonie romaine, appelée Corthonia. 2. Quand les Pélasges furent sortis de leur pays, leurs villes furent prises par divers peuples qui vivaient à proximité, mais surtout par les Tyrrhéniens, qui s'emparèrent de la plus grande et da meilleure partie. Pour ce qui est de ces Tyrrhéniens, certains déclarent que ce sont des autochtones d’Italie, mais d'autres les considèrent comme des étrangers. Ceux qui les considèrent comme des indigènes disent que leur nom leur a été donné à cause des fortifications, qu'ils furent les premiers parmi les habitants de ce pays à construire; les bâtiments couverts entourés de murs s'appellent chez les Tyrrhéniens aussi bien que chez les Grecs tyrseis ou "tours". Ils pensent que c’est à cause de cela qu'ils ont reçu ce nom, de même que les Mossynèques en Asie; ces derniers vivaient aussi derrière de hautes palissades en bois ressemblant à des tours, qu'ils appellent mossynes. [1,27] XXVII. 1. Mais les mythologistes qui rapportent que ces hommes étaient venus d'une terre étrangère disent que Tyrrhenos, qui était le chef de la colonie, donna son nom à la nation, et qu'il était Lydien de naissance, du pays appelé jadis Méonie, et qu’il émigra à une période ancienne. Ils ajoutent qu'il descendait à la cinquième génération de Zeus; ils disent que le fils de Zeus et de Gê s’appelait Manès, qui fut le premier roi de ce pays, et que lui et Callirrhoé, la fille d'Océan, eurent un fils nommé Cotys, qui épousa Halié, la fille de Tyllos et en eut deux fils, Asiès et Atys, 2. d'Atys et de Callithea, fille de Choraeus, naquirent Lydos et Tyrrhenos. Lydos, continuent-ils, demeura là, hérita du royaume de son père, et à cause de lui le pays s'appela Lydie; mais Tyrrhenos, qui était le chef de la colonie, s’empara d’une grande partie de l'Italie et donna son nom à ceux qui avait participé à l'expédition. 3. Mais Hérodote dit que Tyrrhenos et son frère étaient les fils d'Atys, fils de Manès, et que la migration des Méoniens vers l'Italie ne fut pas volontaire. Il dit que sous le règne d'Atys il y eut une famine dans le pays des Méoniens et que les habitants, inspirés par l'amour de leur terre natale, pendant un certain temps essayèrent par tous les moyens de résister à cette calamité, en ne mangeant qu’un jour sur deux mais modérément et en jeûnant le jour suivant. Mais comme le fléau persistait, ils divisèrent le peuple en deux groupes et tirèrent au sort pour déterminer qui devrait quitter le pays et qui devrait y rester; un des fils d'Atys fut assigné à l'un des groupes et le second à l'autre. 4. Le sort fit que la partie du peuple qui était avec Lydus resta dans le pays, l'autre groupe s’en alla après avoir reçu leur part des biens et ils arrivèrent dans les régions occidentales de l'Italie où demeuraient les Ombriens : ils restèrent là et y construisirent des villes qui existaient encore à l’époque d’Hérodote. [1,28] XVIII. 1. Je suis conscient que beaucoup d'autres auteurs ont aussi raconté l’origine de la race des Tyrrhéniens, certains dans les mêmes termes, de d'autres changeant la nature de la colonie et la date. Certains disent que Tyrrhenos était le fils qu’Héraclès avait eu d’Omphale la Lydienne, et qu'arrivé en l'Italie, il aurait chassé les Pélasges de leurs villes, mais pas de toutes, seulement de celles qui se trouvaient au-delà du Tibre, au nord. D'autres déclarent que Tyrrhenos était le fils de Télèphe et qu'après la prise de Troie il partit pour l'Italie. 2. Mais Xanthos de Lydie, le grand spécialiste de l'histoire antique et qui ne peut être considéré comme une autorité mineure en ce qui concerne l'histoire de son propre pays, ne cite nulle part dans ses écrits Tyrrhénos comme chef des Lydiens et ne dit absolument rien de l’envoi d'une colonie de Méoniens en Italie; il ne fait aucune mention de la Tyrrhénie comme colonie des Lydiens, alors qu’il parle d’autres faits de moindre importance. Il dit que Lydos et Torebos étaient les fils d'Atys; qu'après avoir divisé le royaume paternel, ils restèrent tous les deux en Asie, et que les nations sur lesquelles ils régnèrent prirent leurs noms. Voici ses termes: "De Lydos viennent les Lydiens, et de Torebos les Torébiens. Il y a peu de différence entre leurs langues et aujourd’hui encore ils se moquent mutuellement de l’autre nation à propos de l’utilisation de mots, comme le font les Ioniens et les Doriens." 3. Hellanicos de Lesbos indique que le Tyrrhéniens, qui s’appelaient auparavant Pélasges, reçurent leur nom actuel après s’être établis en Italie. Voici ce qu’il dit dans sa Phoronis: "Phrastor était le fils de Pelasgos, leur roi, et de Menippé, la fille de Pénée; son fils s’appelait Amyntor, le fils d'Amyntor était Teutamidès, et le fils de ce dernier était Nanas. Sous son règne les Pélasges furent chassés de leur pays par les Grecs, et après avoir abandonné leurs bateaux à l’embouchure spinétique dans le golfe ionien, ils prirent Crotone, une ville à l’intérieur des terres; et partant de là, ils colonisèrent le pays qu’on appelle maintenant Tyrrhénie 4. Mais Myrsilos raconte exactement le contraire de ce que dit Hellanicos. Les Tyrrhéniens, dit-il, après avoir quitté leur propre pays, au cours de leurs vagabondages, furent appelés Pelarges ou "cigognes," à cause de leur ressemblance avec les oiseaux de ce nom, parce qu’ils parcouraient en bandes la Grèce et les terres barbares; et ce sont eux qui ont construit le mur autour du citadelle d'Athènes qu’on appelle le mur de pelargique. [1,29] XXIX. 1. Mais à mon avis tous ceux qui pensent que les Tyrrhéniens et le Pélasges sont une même nation se trompent. Ce n'est pas étonnant qu'ils aient pris le nom de l’autre, car la même chose est arrivée aussi à d’autres nations grecques et barbares, - par exemple les Troyens et les Phrygiens, qui vivaient les uns près des autres (en effet, beaucoup ont pensé que ces deux nations n’en formaient qu’une seule : la différence était seulement sur le nom et non de nature). Et des nations d’Italie ont été confondues sous un même non comme souvent d’autres nations. 2. Il y eut une époque où les Latins, les Ombriens, les Ausones et bien d'autres furent tous appelé Tyrrhéniens par les Grecs : l'éloignement de ces pays où habitaient ces nations rendait ces détails obscurs à ceux qui vivaient loin d’eux. Plusieurs historiens ont considéré Rome elle-même comme une ville tyrrhénienne. Je suis donc persuadé que ces nations ont changé de nom avec l’emplacement de leur installation, mais je ne peux pas croire qu'elles ont eu toutes les deux une origine commune, pour une raison, parmi beaucoup d'autres, que leurs langues sont différentes et n’ont pas la moindre ressemblance. 3. "En effet ni les Crotoniates," dit Herodote, "ni les Plakiens ne comprennent la langue d’aucun de leurs voisins actuels, alors qu’ils se comprennent entre eux; et il est clair qu'ils gardent la langue qu'ils ont apportée avec eux dans ces régions." Cependant, on peut trouver curieux que, bien que le Crotoniates parlent la même langue que les Plakiens, qui vécurent près de l’Hellespont, puisque tous les deux sont Pélasges d’origine, leur langue ne ressemble pas du tout à celle des Tyrrhéniens, leurs voisins les plus proches. Mais si la parenté doit être considérée comme cause pour laquelle deux nations parlent la même langue, il est naturel que le contraire soit la cause de différence linguistique, 4. en effet il n'est pas possible de croire que deux conséquences résultent de la même cause. S’il pouvait raisonnablement se produire, d'une part, que des hommes de la même nation qui se sont installés loin les uns des autres, en fréquentant leurs voisins, perdent leur langue commune, en revanche, il est tout à fait illogique que les hommes de même race et vivant dans le même pays ne se comprennent absolument pas linguistiquement. [1,30] XXX. 1. C’est donc pour cette raison, que je suis persuadé que les Pélasges sont un peuple différent du Tyrrhéniens. Et je ne crois pas non plus que les Tyrrhéniens étaient des colons des Lydiens : ils n'emploient pas la même langue qu’eux. Mais on ne peut pas non plus alléguer que, bien qu'ils ne parlent plus une la même langue, ils maintiennent toujours quelques autres traits de leur mère-patrie. Ils n'adorent pas les mêmes dieux que les Lydiens et ne suivent pas les lois ou les coutumes semblables à celles des Lydiens, mais à tous les égards ils diffèrent plus des Lydiens que de Pélasges. 2. Ceux qui sont le plus près de la vérité ce sont ceux qui déclarent que cette nation n’a émigré de nulle part, mais qu’elle était indigène, puisqu'elle se révèle être une nation très ancienne et sans aucun point commun avec quiconque ni par la langue ni par la façon de vivre. Et il n'y a aucune raison que les Grecs ne les aient pas appelés par ce nom, à cause de leur vie dans les tours et à cause du nom d'un de leurs chefs. 3. Les Romains cependant leur donnent d'autres noms: du pays qu’ils ont jadis habité et qui s’appelait Etrurie, ils les appellent Etrusques, et de leur connaissance des cérémonies relatives au culte divin, dans lequel ils l’emportaient sur d'autres, ils les appellent maintenant, d’une façon plutôt inexacte, Tusci, mais jadis, avec la même exactitude que les Grecs, ils les appelaient Thyoscooï. Pour eux, leur nom propre est le même que celui d'un de leurs chefs, Rasenna. 4. Dans un autre livre je montrerai quelles villes le Tyrrhéniens ont fondées, quelles formes de gouvernement ils ont établies, quelle puissance considérable ils ont acquise, quelles actions mémorables ils ont exécutées, et quels sort leur advint. 5. Quant à la nation Pélasge, tout aux moins, ceux qui n'ont pas été détruits ou dispersés parmi les diverses colonies (seul un petit nombre survécut à leur multitude) partagèrent la citoyenneté des Aborigènes sur ce pays et au cours du temps leur postérité, avec d'autres, construisit la ville de Rome. Telles sont les légendes qu’on raconte sur la race pélasgique. [1,31] XXXI. 1. Peu après, une autre expédition grecque débarqua dans cette partie de l'Italie, venant de Pallantium, une ville d'Arcadie, la soixantième année avant la guerre de Troie, comme le disent eux-mêmes les Romains. Cette colonie avait comme chef Évandre , qui, dit-on, était le fils d’Hermès et d’une nymphe locale d’Arcadie. Les Grecs l’appellent Thémis et disent qu'elle était inspirée, mais les auteurs d’Antiquités romaines l'appellent, dans leur langue nationale, Carmenta. Le nom de cette nymphe serait en Grec Thespiôdos; car les Romains appellent carmina des chants, et ils conviennent que cette femme, possédée par l'inspiration divine, révélait aux hommes par son chant l’avenir. 2. Cette expédition ne fut pas envoyée avec le consentement unanime de la nation, mais, un sédition s’était levée dans le peuple, la faction battue s’exila volontairement de leur pays. Il se trouvait que le royaume des Aborigènes avait comme héritier à ce moment-là Faunus, un descendant, dit-on, de Mars, c’était un homme énergique et intelligent, que les Romains honorent par des sacrifices et des chansons comme un de leurs dieux indigènes. Ces hommes accueillirent les Arcadiens, qui étaient peu nombreux, avec grande amitié et leur donna autant de leur propre terre qu'ils le désiraient. 3. Les Arcadiens, comme Thémis le leur conseillait par ses prophéties, choisirent une colline, pas loin du Tibre, qui se trouve aujourd’hui près du centre de la ville de Rome, et sur cette colline ils construisirent un petit village suffisant pour les équipages des deux bateaux sur lesquels ils étaient venus de Grèce. C’est ce village qui était destiné à surpasser au cours du temps toutes les autres villes, aussi bien grecques que barbares, non seulement par sa taille, mais aussi par la majesté de son empire et par sa prospérité dans tous les domaines, et par sa notoriété bien supérieure à toutes les cités pour aussi longtemps que restera le genre humain. 4. Ils baptisèrent la ville Pallantium du nom de leur métropole en Arcadie; mais aujourd’hui, les Romains l’appellent Palatium, car le temps a corrompu la forme correcte, et ce nom a donné lieu à de nombreuses étymologies absurdes. [1,32] XXXII. 1. Mais quelques auteurs, et parmi eux Polybe de Mégalopolis, prétendent que la ville devait son nom à Pallas, un jeune homme mort à cet endroit ; ils disent qu'il était le fils d’Hercule et de Lavinia, la fille d'Évandre , et que son grand-père maternel lui aurait élevé un tombeau sur la colline et appela l'endroit Pallantium, d’après le nom du jeune homme. 2. Mais je n'ai jamais vu de tombeau de Pallas à Rome et je n’ai jamais entendu parler de libations offertes en son honneur ni pu découvrir aucune autre chose de ce genre, bien que cette famille ne soit pas laissée dans l’oubli ni sans ces honneurs dont les êtres divins font l’objet de la part des hommes. Car j’ai appris que des sacrifices publics sont accomplis annuellement par le Romains pour Évandre et pour Carmenta comme pour les autres héros et divinités mineures; et j'ai vu deux autels érigés, l’un pour Carmenta au pied de colline appelée Capitole près du Porte Carmentale, et l'autre pour Évandre sur une autre colline, appelée Aventin, non loin de la Porte Trigemina; mais je ne connais rien de tel qui se fasse en l'honneur de Pallas. 3. Donc les Arcadiens, après avoir construit au pied de la colline, commencèrent à orner leur ville avec tous les bâtiments suivant leur coutume nationale et à ériger des temples. Ils construisirent d’abord un temple dédié à Pan Lycaios sous les conseils de Thémis (pour les Arcadiens Pan est le plus ancien et plus honoré de tous les dieux), quand ils eurent trouvé un emplacement approprié. Cet endroit, les Romains l’appellent Lupercal, mais nous devrions l'appeler Lykaion. 4. Aujourd’hui, il est vrai, que les alentours ont été réunis à l'enceinte sacrée de la ville, il est devenu difficile de faire une conjecture sur la nature ancienne de l'endroit. Néanmoins, à l’origine, dit-on, il y avait une grande caverne sous la colline entourée d’un bois épais; des sources profondes jaillissaient de sous les roches, et le vallon qui touchait les falaises étaient ombragé de grands arbres touffus. 5. A cet endroit ils élevèrent un autel au dieu et offrirent leur sacrifice traditionnel, que les Romains ont continué à offrir jusqu'à ce jour en février, après le solstice d'hiver, sans rien changer aux rites anciens. La façon de sacrifier sera décrite plus loin. Sur le sommet de la colline ils placèrent l'enceinte de la Victoire et instituèrent des sacrifices pour elle aussi, qui durent tout le long de l'année et que le Romains accomplissaient encore de mon temps. [1,33] XXXIII. 1. Les Arcadiens ont une légende qui prétend que cette déesse était la fille de Pallas, le fils de Lycaon, et qu'elle a reçu les honneurs que les hommes lui rendent aujourd’hui grâce à Athéna, avec qui elle avait été élevée. Ils disent qu’Athéna, dès sa naissance, fut confiée à Pallas par Zeus et qu’elle fut élevée par lui jusqu'à son adolescence. Ils construisirent aussi un temple à Cérès, à qui ils offrirent des sacrifices sans vin, sacrifices accomplis par des femmes, selon la coutume des Grecs : aucun de ces rites n’a changé à notre époque. 2. Et ils attribuèrent une enceinte à Neptune équestre et instituèrent les fêtes appelées par les Arcadiens Hippocrateia et par les Romains Consualia, pendant lesquelles il est de coutume que les chevaux et les mules arrêtent de travailler et aient leurs têtes couronnées de fleurs. 3. Ils consacrèrent aussi beaucoup d'autres enceintes, autels et statues des dieux et instituèrent des purifications et des sacrifices selon les coutumes de leur propre pays, qui continuèrent à être exécutées jusqu’à mon époque de la façon identique. Pourtant je ne devrais pas être étonné que certaines de ces cérémonies, en raison de leur grande ancienneté, soient oubliées par la postérité et négligées; mais celles qui sont encore pratiquées sont des preuves suffisantes qu'elles proviennent des coutumes jadis en usage parmi les Arcadiens : j’en parlerai plus longuement ailleurs. 4. On dit aussi que les Arcadiens furent les premiers à introduire en l'Italie l'utilisation des lettres grecques, récemment apparues chez eux, et aussi la musique exécutée sur des instruments tels que des lyres, des trigones et des flûtes; alors que leurs prédécesseurs n'utilisaient aucune autre instrument de musique que les syrinx bucoliques. On dit aussi qu’ils ont établi des lois , qu’ils transformèrent la vie quotidienne des hommes, les faisant passer de la bestialité à la civilisation, et qu’ils apportèrent aussi les arts et des coutumes et beaucoup d'autres des choses favorisant le bien public, et c’est pourquoi ils furent traités avec beaucoup de considération par ceux qui les avaient reçus. 5. C'était la deuxième nation grecque après les Pélasges à venir en Italie et elle partagea la résidence des Aborigènes, en s'établissant dans la meilleure partie de Rome. [1,34] XXXIV. 1. Quelques années après les Arcadiens une autre expédition grecque arriva en Italie commandée par Hercule, qui revenait d’avoir conquis l'Espagne et toutes les régions qui s’étendent vers le coucher du soleil. Certains de ses compagnons qui avaient demandé à Hercule d’abandonner l'expédition, restèrent dans cette région et construisirent une ville sur une colline favorable, qu'ils trouvèrent à environ trois stades de Pallantium. Cette colline s'appelle aujourd’hui le Capitole, mais les hommes de cette époque l’appelaient la colline de Saturne, ou, en Grec la colline de Cronos. 2. La plupart de ceux qui étaient restés étaient des Péloponnésiens - des gens de Pheneos et des Epeéens d'Élis, qui ne désiraient absolument plus rentrer chez eux parce que leur pays avait été complètement détruit lors de la guerre contre Hercule. Il y avait également un petit élément troyen qui accompagnait ces derniers : c’étaient des prisonniers emmenés d'Ilion sous le règne de Laomédon quand Hercule prit la ville. A mon avis, la partie de l’armée, qui était épuisée par les travaux ou lassée par ses vagabondages, demanda d’abandonner l'expédition et resta là. 3. Quant au nom de la colline, certains pensent que c'était un nom ancien, comme je l'ai dit, et que c’est pour cela que les Epéens furent particulièrement satisfaits de cette colline en souvenir de la colline de Cronos à Élis. Elle se trouve dans le territoire du Pisa, près du fleuve Alphée, et les Eléens, la considérant comme consacrée à Cronos, s’y réunissent à date fix pour l’honorer par des sacrifices et d'autres marques de révérence. 4. Mais le poète ancien Euxenos, ainsi que quelques autres mythographes italiens pensent que ce sont les hommes de Pisa eux-mêmes qui ont donné le nom à l'endroit à cause de sa ressemblance avec leur colline de Cronos, que les Epéens et Hercule élevèrent un autel à Saturne qui subsiste encore au pied de la colline près de la montée qui va du forum au Capitole, et que ce sont eux qui instituèrent le sacrifice que le Romains accomplissent toujours de mon temps, en observant le rituel grec. 5. Me basant sur des meilleures recherches que j'ai pu faire, je constate que même avant l'arrivée d’Hercule en Italie cet endroit était consacré à Saturne et les indigènes l’appelaient la colline de Saturne, et tout le reste de la péninsule qui s'appelle maintenant l'Italie était consacré à ce dieu appelé Saturne par ses habitants, comme on peut le trouver indiqué dans quelques prophéties sibyllines et d'autres oracles fournis par les dieux. Et dans beaucoup d’endroits du pays il y a des temples consacrés à ce dieu; certaines villes portent le même nom que la péninsule entière portait à cette époque, et beaucoup d'endroits portent le nom du dieu, en particulier des promontoires et des lieux élevés. [1,35] XXXV. 1. Mais par la suite le pays s’appela Italie, d’après le nom du chef Italos. Suivant Antiochos de Syracuse, c’était un homme bon et sage et persuadant ses voisins soit par des arguments soit les subjuguant par la force, il devint lui-même maître de tout le pays qui se situe entre les golfes de Napetinos et de Scylllécion : ce fut le premier pays, dit-il, qui fut appelé Italie, d’après son nom Italos. Et quand il se fut rendu maître de cette région et qu’il eut assujetti beaucoup de gens, immédiatement il convoita d’autres peuples et s’empara de nombreuses cités. Il dit plus loin qu’Italos était de race oenotrienne. 2. Mais Hellanicos de Lesbos dit que quand Hercule conduisit le troupeau de Géryon à Argos et qu’il passait par l’Italie, un veau s’échappa du troupeau et dans sa fuite parcourut toute la côte et puis, nageant à travers le détroit intermédiaire de la mer, arriva en Sicile. Hercule, poursuivant le veau, demandait aux habitants partout où arrivait si quelqu’un l'avait quelque part, et quand les personnes de l'île, qui comprenaient un peu de grec et utilisaient leur propre langue quand il décrivait l'animal, l’appelaient vitulus (c’est le nom qu’on lui donne encore aujourd’hui), en mémoire du veau, il appela tout le pays qu’il avait parcouru Vitulia. 3. Mais il n'est pas étonnant que le nom se soit transformé au cours du temps en sa forme actuelle, puisque beaucoup de noms grecs aussi ont subi une transformation semblable. Mais que le pays comme le dit Antiochos ait pris son nom d'un de ses chefs (ce qui est le plus probable), ou, comme le croit Hellanicos, d’un taureau, il y a une chose évidente dans leurs deux récits, c’est que c’est du temps d’Hercule, ou peu un plus tôt, qu’il reçut ce nom. Auparavant les Grecs l’appelaient Hesperia et Ausonia et les indigènes Saturnia, comme j'ai déjà dit. [1,36] XXXVI. 1. Il y a une autre légende rapportée par les habitants, selon laquelle, avant le règne de Jupiter, Saturne régna sur cette terre et que la façon de vivre remarquable durant son règne, regorgeant de produits saisonniers, fut extrêmement appréciée. 2. Et si quelqu’un, retranchant la partie fabuleuse de ce récit, examinait les mérites d’un pays qui a donné à l'humanité les plus grands plaisirs juste après sa naissance, que ce soit de la terre, selon la tradition antique, ou d'une autre façon, il n'en trouverait aucun plus généreux que celui-ci. Es si l’on compare un pays à un autre de même étendue, l'Italie est, à mon avis, le meilleur, non seulement de l'Europe, mais même de tout le reste du monde. 3. Mais je n'ignore pas que je beaucoup de gens ne me croiront pas quand ils songeront à l'Egypte, la Libye, la Babylonie et tous les autres pays fertiles. Mais moi je ne limite pas la richesse du sol à une seule sorte de produit, et je n’ai pas envie d’aller vivre dans un endroit où il n’y a que de riches terres arables et peu ou rien d’autre avantage; mais je considère comme le pays le meilleur celui qui est le plus autosuffisant et n’aurait besoin que de très peu de produits importés. Et je suis persuadé que l'Italie possède cette fertilité et la diversité générale d’avantages plus que n'importe quelle autre terre. [1,37] XXXVII. 1. L’Italie, tout en possédant beaucoup de bonnes terres arables, ne manque pas d’arbres, comme c'est le cas pour un pays céréalier; et d'autre part, alors qu'elle est appropriée pour faire croître toute sorte d'arbres, la terre, une fois semé le grain, ne produit pas de maigres récoltes comme dans un pays boisé; et tout en fournissant le grain et les arbres en abondance, elle n’est pas impropre au pâturage du bétail; et personne ne peut dire que, alors qu'elle porte de riches récoltes, du bois de construction et des troupeaux, il soit néanmoins désagréable pour les hommes d’y vivre. Au contraire, elle regorge de pratiquement toutes sortes de plaisirs et d’avantages. 2. Quel pays céréalier, arrosé, non pas avec des fleuves, mais avec des précipitations du ciel, surpasse les plaines de Campanie, dans lesquelles j'ai vu des champs qui produisent trois récoltes par an, la moisson de l'été suivant celle de l’hiver et celle de l'automne suivant celle de l'été? Quels vergers d’olives sont supérieurs à ceux des Messapiens, des Dauniens, des Sabins et de beaucoup d'autres? Quels vignobles surpassent ceux de Tyrrhénie et d’Albe et des régions de Falerne, où le sol est merveilleusement propice pour la vigne et avec peu de travail produit les raisins les plus fins en grande abondance? 3. Et sans compter ces terres cultivées on en trouvera beaucoup qui sont non cultivées comme pâturage pour des moutons et pour des chèvres, et plus étendue encore - et c’est le plus admirable - est la terre laissée pour l’élevage des chevaux et du bétail; l'herbe non seulement des marais et de prés, qui est très abondante, mais l'herbe couverte de rosée et bien arrosée des clairières, sans limite dans son abondance, fournit leur pâturage en été aussi bien qu'en l'hiver et les garde toujours en bonne santé. 4. Mais le plus merveilleux de tout ce sont toutes ces forêts poussant sur les hauteurs rocheuses, dans les gorges et sur les collines non cultivées, d’où les habitants se fournissent abondamment en bois de construction excellent, approprié aussi bien aux constructions navales que pour tous autres besoins. Aucun de ces matériaux n’est difficile à trouver ni à une trop grande distance du besoin humain, et il est facile à manipuler et aisément transportable, vu la multitude de fleuves qui traversent la péninsule entière et rendent le transport et les échanges des produits de la terre peu coûteux. 5. On a découvert également dans beaucoup d’endroits des sources d’eau permettant la plupart des bains agréables et des traitements souverains pour des maux chroniques. Il y a également des mines de toutes sortes, une abondance des bêtes sauvages pour la chasse, et une grande variété de poissons d'eau de mer, sans compter d'innombrables autres choses, certaines utiles et d'autres de nature à exciter l’étonnement. Mais de toute les choses la plus agréable est le climat, aux saisons admirablement tempérées, de sorte que moins qu'ailleurs il ne nuit, ni par un froid rigoureux ni par une chaleur excessive, aux fruits et à la croissance des grains et aux corps des animaux. [1,38] XXXVIII. 1. Il n’est donc pas étonnant que les anciens aient considéré ce pays comme consacré à Saturne, puisqu'ils estimaient que ce dieu donnait et assurait le bonheur de toute l'humanité, - qu’on doive l'appeler Cronos, comme le pensent les Grecs, ou Saturne, comme le disent les Romains, - et qu’ils le regardaient comme celui qui embrasse l'univers entier, quel que soit son nom, et puisqu'ils voyaient ce pays regorgeant de toutes les ressources et de tous les charmes que recherche l’humanité, et qu’ils considéraient que le lieu le plus agréable pour les dieux et les êtres humains est celui qui leur plaît - les montagnes et les forêts pour Pan, les prés et les endroits verdoyants pour les nymphes, les rivages et les îles pour les divinités marines, et un lieu approprié pour chaque dieu ou génie. 2. On dit aussi que les anciens sacrifiaient des victimes humaines à Saturne, comme on le faisait à Carthage tant que dura cette ville et comme on le fait encore aujourd’hui chez les Gaulois et chez certaines autres nations occidentales, et que Hercule, désirant supprimer l’usage de ce sacrifice, érigea un autel sur la colline de Saturne et inaugura les rites du sacrifice avec des victimes sans taches brûlant sur un feu pur. Et afin que le peuple ne puisse ressentir aucun scrupule pour avoir négligé ses sacrifices traditionnels, il lui apprit à apaiser la colère du dieu en fabriquant des simulacres d’hommes qu'ils jetaient dans le Tibre liés par les mains et les pieds, et ils les habillaient la même manière qu’eux. Hercule lui apprit aussi à les jeter dans le fleuve au lieu des hommes, pour que la crainte superstitieuse habitant tout leur esprit en fut extirpée, puisque l’apparence du rite ancien était préservée. 3. C’est ce que les Romains continuaient à faire chaque année à mon époque après l'équinoxe du printemps, en mai, lors de ce qu'ils appellent les Ides (ils considèrent que ce jour marque le milieu du mois); ce jour, après avoir offert des sacrifices préliminaires selon les lois, les pontifes (c’est le nom qu’ils donnent au plus important de leurs prêtres), et avec eux les vierges qui gardent le feu perpétuel, les préteurs, et d’autres citoyens qui peuvent aussi être présent aux rites, jettent du pont Sacré dans le cours du Tibre trente simulacres fabriqués à la ressemblance des hommes, qu'ils appellent Argées. 4. Mais en ce qui concerne les sacrifices et les autres rites que les romains accomplissent à la manière des Grecs et de leur propre pays, j’en parlerai dans un autre livre ; mais pour le moment, il semble nécessaire de faire un exposé plus détaillé de l'arrivée d’Hercule en Italie et de ne rien omettre de ce qu’il a fait qui mérite d’être mentionné. [1,39] XXXIX. 1. Des histoires qu’on raconte sur ce dieu, certaines sont en grande partie légendaires et d’autres sont plus proches la vérité. Le récit légendaire de son arrivée est le suivant : Hercule, sur l’ordre d’Eurysthée, parmi d'autres travaux, conduisit le troupeau de Géryon d’Erythie à Argos ; la tâche accomplie et après être passé par beaucoup de régions d’Italie lors de son périple ; il arriva aussi au voisinage de Pallantium dans le pays des Aborigènes; 2. et trouvant là beaucoup d'excellente herbe pour son troupeau, il les laissa paître, et tombant de fatigue, il s’allongea et s'abandonna au sommeil. Alors un voleur de cette région, du nom de Cacus, tomba par hasard sur le troupeau qui paissait sans personne pour le garder et il lui prit l’envie de les prendre. Voyant Hercule endormi là, il pensa qu'il ne pourrait pas conduire le toupeau en entier sans être découvert et en même temps il se rendit compte que la tâche n'était vraiment pas facile non plus. Ainsi il cacha quelques bêtes dans la caverne proche où il vivait tirant chacune d'elles par la queue à rebours. Il faisait cela pour effacer toute preuve de son vol, car la direction dans laquelle les bœufs étaient allés serait en désaccord avec leurs empreintes. 3. Hercule se réveilla un peu plus tard, compta le troupeau et trouva qu’il en manquait. Pendant un moment il se demanda où les bêtes avaient disparu, et supposant qu’elles s’étaient perdues tout en paissant, il les chercha à travers la région; puis, ne les ayant pas trouvées, il arriva à la caverne, et bien que trompé par les traces, il pressentit néanmoins qu'il devait fouiller l'endroit. Mais Cacus se tenait devant la porte, et quand Hercule lui posa la question sur les bêtes, il nia les avoir vues, et quand Hercule demanda de fouiller la caverne, il refusa, et appela ses voisins à l'aide, se plaignant de la violence que lui faisait un étranger. Et Hercule embarrassé de la manière dont il devrait agir, imagina de conduire le reste des bêtes devant la caverne. Et ainsi, quand celles qui étaient à l’intérieur entendirent beugler et sentirent l'odeur de leurs compagnons dehors, ils beuglèrent à leur tour et leurs mugissements révélèrent ainsi le vol. 4. Alors Cacus dont le vol avait ainsi été mis en évidence, misa sur la force et commença par appeler ses amis de la campagne. Mais Hercule le tua en le frappant avec sa massue et fit sortir ses bêtes; et voyant que l'endroit était bien adapté pour héberger des malfaiteurs, il démolit la caverne, enterrant le voleur sous ses ruines. Puis après s'être purifié du meurtre dans le fleuve, il érigea près de cet endroit un autel à Jupiter le Découvreur, qui se trouve maintenant à Rome près de la Porta Trigemina, et il sacrifia un veau au dieu pour le remercier d’avoir retrouvé son troupeau. Ce sacrifice, la ville de Rome continue à le célébrer de mon temps, en observant lors de celui-ci toutes les rites grecs comme Hercule les avait institués. [1,40] XL. 1. Quand les Aborigènes et les Arcadiens qui vivaient à Pallantium apprirent la mort de Cacus et virent Hercule, ils pensèrent avoir eu beaucoup de chance d’être débarrassés de celui-ci, qu'ils détestaient pour ses vols, et furent frappés de crainte à l'aspect d’Hercule, chez qui il leur semblait voir quelque chose de divin. Les plus pauvres parmi eux cueillirent des branches de laurier qui poussait là à profusion, l’en couronnèrent ainsi qu’eux-mêmes; et leurs rois vinrent aussi inviter Hercule pour être leur hôte. Mais quand ils apprirent de lui son nom, sa lignée et ses exploits, ils lui abandonnèrent leur pays et eux-mêmes au nom de l’amitié. 2. Or Évandre , qui auparavant avait entendu Thémis relater que le destin prédisait qu’Hercule, fils de Jupiter et d'Alcmène, changerait sa nature mortelle et deviendrait immortel en raison de sa vertu, dès qu'il apprit qui était l'étranger, résolut de devancer tous les hommes en étant le premier à se concilier Hercule par des honneurs divins, et il a érigea à la hâte un autel improvisé et sacrifia sur celui-ci un veau qui n'avait pas connu le joug, en racontant l'oracle à Hercule et lui demandant d'accomplir les rites préliminaires. 3. Et Hercule charmé de l'hospitalité de ces hommes, invita le peuple à un banquet, après avoir sacrifié quelques bêtes et prélevé la dîme sur le reste de son butin; et à leurs rois il donna, après en avoir d’abord expulsé quelques brigands, un grand territoire qu’ils désiraient beaucoup, qui appartenait aux Ligures et à d'autres de leurs voisins . On signale en outre qu'il demanda aux habitants, puisqu'ils étaient les premiers à le considérer comme un dieu, de perpétuer les honneurs qu'ils lui avaient rendus en offrant chaque année un veau qui n'avait pas connu le joug et en exécutant le sacrifice selon les rites grecs; et il enseigna lui-même les rites sacrificatoires à deux des familles distinguées, afin que ces sacrifices lui soient toujours agréables. 4. Ceux qu’il instruisit alors dans les cérémonie grecques, étaient, dit-on, les Potitii et les Pinarii : leurs descendants continuèrent pendant longtemps à avoir la direction de ces sacrifices, de la manière qu’il avait décidé : les Potitii présidant au sacrifice et recevant les prémices des offrandes brûlées, alors que le Pinarii étaient exclus de la dégustation des entrailles et venaient en second lieu lors de ces cérémonies qui devaient être exécutées par les deux familles en même temps. On dit que ce déshonneur leur advint pour être arrivés en retard; on leur avait demandé d’être présents tôt le matin, et ils n’arrivèrent que quand les entrailles étaient déjà mangées. 5. Aujourd’hui cependant, la direction des sacrifices n'incombe plus à ces familles, mais ce sont des esclaves achetés avec de l'argent public qui l'exécutent. Pour quelles raisons cette coutume a été changée et la façon dont le dieu s'est manifesté lors de ce changement de ministère, je le rapporterai quand j’en arriverai à cette partie de l'histoire. 6. L'autel sur lequel Hercule offrit les dîmes s'appelle chez les Romains Le Très Grand Autel. Il se trouve près de l'endroit qu'ils appellent le Marché aux Bestiaux et aucun autre n'est autant vénéré par les habitants : c’est sur cet autel que se font les serments, les accords pris par ceux qui souhaitent traiter une affaire irrévocable et les dîmes fréquemment offertes conformément à des vœux. Cependant, par sa construction il est de beaucoup inférieur à sa réputation. Dans beaucoup d'autres endroits également des enclos lui sont consacrés en Italie et des autels lui sont érigés dans les villes et le long des routes; et on pourrait à peine trouver un endroit en Italie où ce dieu ne soit pas honoré. Tel est le récit légendaire qui nous a été transmis au sujet d’Hercule. [1,41] XLI. 1. Mais le récit le plus véridique et qui est adopté par la plupart de ceux qui ont relaté ses actions sous une forme historique est celle-ci: Hercule, qui était le plus grand commandant de son temps, marcha à la tête d'une grande force à travers tout le pays qui se trouve de ce côté de l'océan, détruisant soit tous les tyrans odieux qui accablaient leurs sujets, soit les cités qui outrageaient et maltraitaient leurs voisins, soit les pouvoirs qui organisaient des bandes d’hommes qui vivaient à la manière de sauvages et mettaient à mort au mépris des lois des étrangers, et à leur place il établissait des monarchies légales, des gouvernements modérés et des règles de vie humaines et sociables. En outre, il mélangea les barbares aux Grecs, et les habitants de l'intérieur avec ceux de la côte : ces deux groupes jusqu'ici étaient méfiants et ennemis dans leurs rapports les uns avec les autres; il construisit également des villes dans des endroits déserts, détourna le cours des fleuves qui débordaient dans les champs, construisant des routes en les faisant passer par des montagnes inaccessibles, et conçut d'autres travaux afin que chaque terre et chaque mer puissent se trouver accessibles à toute l'humanité. 2. Et il arriva en Italie, non pas seul, ni amenant un troupeau de vaches (ce pays ne se trouve pas sur la route de ceux qui rentrent d'Espagne à Argos et il n’aurait pas été jugé digne de si grands honneurs en ne faisant que de le traverser), mais à la tête d'une grande armée, après avoir déjà conquis l'Espagne, pour subjuguer et gouverner cette région; et il fut obligé d’y séjourner un temps considérable pour deux raisons : l'absence de sa flotte, due à l'arrivée de l'hiver qui la retenait, et parce que toutes les nations de l'Italie ne se soumirent pas volontairement à lui. 3. En effet, sans compter les autres barbares, les Ligures, nombreux et belliqueux, installés dans les passages des Alpes, essayèrent d’empêcher par les armes son entrée en l'Italie , et à cet endroit une grande bataille fut livrée par les Grecs : au cours de ce combat tous leurs traits furent épuisés. Cette guerre est mentionnée chez les poètes antiques par Eschyle, dans son Prométhée délivré; Il représente Prométhée prédisant à Hercule ce qui devait lui arriver lors de son expédition contre Géryon et en particulier lui racontant la lutte difficile qu'il devait supporter dans sa guerre contre les Ligures. Voici ces vers: "Et tu marcheras contre l’armée déterminée des Ligures, et de ce combat, je le sais bien, malgré ton ardeur, tu ne te plaindras pas: les traits qui te sont destinés ne te toucheront pas." [1,42] XLII. 1. Quand Hercule eut défait ces peuples et se fut emparé des passages, certains livrèrent leurs villes volontairement, en particulier celles d’origine grecque ou qui n'avaient pas de forces considérables; mais la plus grande partie de celles-ci furent réduites par guerre et par siège. 2. Parmi ceux qui furent vaincus lors d’une bataille, il y avait, dit-on, Cacus, célébré dans les légendes romaines : c’était un chef complètement barbare régnant sur un peuple sauvage, qui avait décidé de s'opposer à Hercule; il était établi sur des hauteurs et était pour cela un fléau pour ses voisins. Quand il apprit qu’Hercule avait installé son camp dans la plaine voisine, il déguisa ses compagnons en brigands et fit une incursion soudaine pendant que l'armée était endormie, il l’encercla et prit tout le butin qu'il trouva sans surveillance. 3. Ensuite, assiégé par les Grecs, il vit non seulement ses forts pris de force, mais lui-même fut massacré malgré sa résistance. Et quand ses forts furent démolis, ceux qui avaient accompagné Hercule dans son l'expédition (c’étaient quelques Arcadiens avec Évandre , et Faunus, roi des Aborigènes) reçurent la région avoisinante, chaque peuple en reçut une pour lui. Et on peut supposer que ceux des Grecs qui restèrent là, c.-à-d. les Epéens, les Arcadiens de Phénée, et aussi les Troyens, furent laissés pour garder le pays. 4. Parmi les diverses travaux d’Hercule qui montrent le véritable général, aucune n'était plus digne d’admiration que son habitude d’emmener avec lui pendant un certain temps lors de ses expéditions les prisonniers pris dans les villes capturées, et puis, quand ils l’avaient aidé avec ardeur dans ses guerres, il les installait dans les régions conquises et leur accordait les richesses qu’il avait prises aux autres peuples. C'était grâce à ces actions qu’Hercule gagna un très grand renom et une immense gloire en Italie, et non en raison de son passage qui n’avait rien de remarquable. [1,43] XLIII. 1. Certains disent qu'il laissa aussi des fils de deux femmes dans la région maintenant habitée par les Romains. Un de ces fils était Pallas, qu'il eut de la fille d'Évandre , dont le nom, dit-on, était Lavinia; l'autre, Latinus, dont la mère était une fille hyperboréenne qu'il emmena avec lui comme qu'otage : c’était son père qui lui avait donné et il ne la toucha pas pendant un certain temps; mais revenant en Italie, il en tomba amoureux d'elle et l’engrossa. Et se disposant à partir pour Argos, il la maria à Faunus, roi des Aborigènes; c’est pour cette raison que Latinus est généralement considéré comme le fils de Faunus, et non celui d’Hercule. 2. Pallas, dit-on, mourut avant d’être arrivé à la puberté; alors que Latinus, quand il arriva à l’âge d’homme, hérita du royaume des Aborigènes, et quand il fut tué lors d’une bataille contre les Rutules ses voisins, sans laisser de descendance masculine, son royaume revint à Énée, le fils d'Anchise, son gendre. Mais ces choses se sont produites plus tard. [1,44] LXIV. 1. Quand Hercule eut tout organisé en Italie selon son désir et que sa flotte fut arrivée en sûreté d'Espagne, il sacrifia aux dieux la dîme de son butin et construisit une petite ville à son nom où sa flotte mouillait (elle est maintenant occupée par les Romains, et se trouve entre Naples et Pompéi et possède en tout temps un mouillage sûr); et après avoir acquis renommée et gloire et reçu des honneurs divins de tous les habitants de l'Italie, il fit voile vers la Sicile. 2. Ceux qu’il avait laissé comme garnison en Italie et qui s’étaient installés autour de la colline de Saturne vécurent un certain temps sous un gouvernement indépendant; mais peu après ils adoptèrent le mode de vie, les lois et les cérémonies religieuses des Aborigènes, comme les Arcadiens et, encore plus tôt, comme les Pélasges l’avaient fait, et ils partagèrent avec eux le même gouvernement, de sorte qu'avec le temps on en vint à les considérer comme une seule et même nation. Mais ceci suffit pour l'expédition d’Hercule et pour pour les Péloponnésiens qui restèrent en Italie. 3. A la deuxième génération après le départ d’Hercule, et à la cinquante- cinquième année, comme le disent les Romains, le roi des Aborigènes était Latinus, qui passait pour le fils de Faunus, mais était en fait le fils de Hercule; il était alors dans la trente-cinquième année de son règne. [1,45] XLV. 1. À cette époque les Troyens qui avaient fui avec Énée Troie après la prise de celle-ci, arrivèrent à Laurentum, qui se trouve sur la côte des Aborigènes face à la mer Tyrrhénienne, pas loin de l’embouchure du Tibre. Après avoir reçu des Aborigènes une terre pour leur habitation et tout ce qu’ils désiraient, ils construisirent une ville sur une colline pas loin de la mer et l'appelèrent Lavinium. 2. Peu après ils changèrent leur ancien nom en même temps que les Aborigènes, et s’appelèrent Latins, du nom du roi de ce pays. Et quittant Lavinium, ils se joignirent aux habitants de ces régions pour construire une plus grande ville, entourée d’un mur, qu'ils appelèrent Albe; et de là , ils construisirent beaucoup d'autres villes, les villes appelées Prisci Latini dont la plus grande partie étaient encore habitées de mon temps. 3. Puis seize générations après la prise de Troie, ils envoyèrent une colonie à Pallantium et à Saturnia, là où les Péloponnésiens et les Arcadiens avaient fait leur premier établissement et où ils avaient encore laissé quelques vestiges de leur ancienne origine. Ils occupèrent ces endroits et entourèrent le Pallantium d’un mur, pour qu’il reçoive alors pour la première fois la forme d'une ville. Cet établissement fut appelé Rome, d’après Romulus, qui était le chef de la colonie et de la dix-septième génération à partir d'Énée . 4. Mais au sujet de l'arrivée d’Énée en Italie, puisque des historiens ne savent rien d’elle et que d'autres l'ont rapportée d'une façon différente, je souhaite aussi en donner plus qu'un bref résumé, puisque j’ai comparé les histoires de ces auteurs, grecs et romains, qui ont le plus de crédit. Voilà les histoires qu’on raconte: [1,46] XLVI. 1. Quand Troie fut prise par les Achéens, soit par le stratagème du cheval en bois, comme le représente Homère, soit par la trahison des Antenorides, soit d’une autre façon, la plus grande partie des Troyens et de leurs alliés dans la ville furent massacrées alors surpris dans leurs lits; (il semble que cette calamité s’abattit sur eux la nuit, alors qu’ils n'étaient pas sur leur garde.) Mais Énée et ses alliés de Troie qu'il avait ammenés des villes de Dardanus et d'Ophrynium pour venir en aide aux gens d'Ilium, et aussi d'autres qui s’étaient aperçus tôt de la calamité, au moment où les Grecs prenaient la ville basse, se sauvèrent ensemble dans la forteresse de Pergame, et occupèrent la citadelle défendue par son propre mur : là étaient déposé le patrimoine sacré de Troie hérité de leurs pères et de grandes richesses en objets de valeur, comme il est normal dans une citadelle, là aussi se trouvait postée l’élite de leur armée. 2. Les attendant là, ils repoussaient l'ennemi qui essayaient de gagner une position avantageuse sur l'acropole, et ils pouvaient grâce à leur connaissance des rues étroites, sauver la multitude qui cherchait à échapper à la prise de la ville; et c’est ainsi qu’il y en eut plus qui s’échappèrent que ceux qui furent pris comme prisonniers. En touvant ce stratagème, Énée empêcha l'assaut immédiat des ennemis, qui avait comme but de faire périr tous les citoyens et que la ville ne fût prise d’emblée. Mais pour ce qui allait arriver ensuite, il arriva à la conclusion sensée qu'il serait impossible de sauver une ville dont la plus grande partie était déjà aux mains de l'ennemi, et il décida donc d'abandonner à l'ennemi les remparts désertés par ses défenseurs, et de sauver les habitants eux-mêmes aussi bien que les objets sacrés hérités de leurs pères et tous les objets de valeur qu'il pourrait emporter. 3. Après avoir pris cette décision, il envoie d'abord hors de la ville les femmes et les enfants ainsi que vieillards et tous les autres dont la condition rendait la fuite plus lente, avec ordre de prendre les routes menant au mont Ida, pendant que les Achéens, occupés à s’emparer de citadelle, ne s’occupaient pas de poursuivre la multitude qui s'échappait de la ville. Il assigna à une partie de l’armée d’escorter les habitants qui s’enfuyaient afin que leur fuite soit sans danger et libérée des difficultés qui pourraient leur arriver; et il leur ordonna de prendre possession des positions les plus sûres du mont Ida. Avec le reste des troupes, les plus vaillantes, il resta sur le mur du citadelle et, occupant l’ennemi en l’assaillant, il rendit moins difficile la fuite de ceux qui étaient partis les premiers. 4. Mais quand Néoptolème et ses hommes eurent pris pied sur une partie de l'acropole et que tous les Achéens vinrent les aider, Énée abandonna l'endroit; et ouvrant les portes, il se retira avec le reste des fugitifs en bon ordre, portant avec lui dans les meilleurs chariots son père et les dieux de son pays, ainsi que son épouse et ses enfants et tout ce qui était le plus précieux, personne ou chose. [1,47] XLVII. 1. En même temps les Achéens avaient pris la ville de force, et occupés à piller, ils laissèrent à ceux qui s’étaient sauvés une bonne occasion de s‘enfuir. Énée et ses compagnons rattrapèrent les leurs qui étaient toujours en route, et s’étant réunis en une seule troupe, ils se saisissent des positions les plus fortes mont Ida. 2. Là se joignirent à eux non seulement les habitant de Dardanos, qui, ayant vu un grand feu inhabituel s’élever sur Ilion, avaient durant la nuit abandonné leur ville indéfendable, - sauf ceux qui avec Elymos et Aegestos avaient équipé des bateaux et étaient partis plus tôt, - mais aussi la population entière d'Ophrynion et ceux des autres villes troyennes qui s’accrochaient à leur liberté; et en très peu de temps cette force troyenne devint considérable. 3. En conséquence, les fugitifs qui avaient échappé avec Énée à la prise de la ville et demeuraient sur le mont Ida avaient l’espoir de rentrer chez eux bienttôt, quand l'ennemi serait parti; mais les Achéens, ayant réduit en esclavage le peuple resté dans la cité et dans les environs, démolit les fortins et se préparaient à soumettre également ceux qui étaient dans les montagnes. 4. Cependant, les Troyens envoyèrent des messagers pour faire un traité de paix et demandèrent aux Achéens de ne pas les amener à la nécessité de faire la guerre. Les Achéens tinrent une assemblée et firent la paix aux conditions suivantes: Énée et ses compagnons devaient quitter la Troade avec tous les objets de valeur qu'ils avaient sauvés lors de leur fuite dans un délai fixé, après avoir d'abord livré leurs forts aux Achéens; et les Achéens devaient leur donner un sauf-conduit sur terre et sur mer dans tous états dont ils étaient les maîtres s’ils partaient en vertu de ces accords. 5. Énée , ayant accepté ces conditions, qu(il considérait comme les meilleures dans ces circonstances, envoya Ascagne, son fils aîné, avec certains des alliés, principalement des Phrygiens, au pays appelé Dascylitis, où se situe le lac Ascania, car il avait été invité par les habitants à régner sur leur pays. Mais Ascagne n’y habita pas longtemps. Comme Scamandrios et les autres descendants d’Hector qui avaient été autorisés par Néoptolème à renter chez eux de Grèce, vinrent le trouver il alla à Troie afin de restaurer leur royaume héréditaire. 6. Voilà tout ce que l’on raconte sur Ascagne. Quant à Énée , après que sa flotte fut prête, il s'embarqua avec le reste de ses fils et avec son père, prenant avec lui les images des dieux il traversa l’Hellespont, navigua vers la péninsule la plus proche, qui se trouve devant l'Europe et s'appelle Pallène. Ce pays était occupé par un peuple thrace appelé Cruséen, qui étaient allié aux Troyens et qui les avait aidés durant la guerre avec une ardeur plus grande que celle de tous les autres. [1,48] XLVIII. 1. Tel est le récit le plus crédible de la fuite d'Énée et c’est celui que, parmi les historiens anciens, Hellanicos adopte dans ses Troica. Il y a différentes versions données des mêmes événements par certains autres auteurs : je les considère comme moins crédibles que celle-ci. Mais laissons chaque lecteur juger comme il l’entend. 2. Le poète tragique Sophocle, dans son drame Laocoon représente Énée juste avant la prise de la ville, transportant ses pénates vers le mont Ida pour obéir aux ordres de son père Anchise, qui se rappelant les injonctions d'Aphrodite et les présages qui s'étaient récemment produits dans la famille de Laocoon, prédisait la destruction imminente de la ville. Voici ses vers iambiques, prononcés par un messager: "Maintenant aux portes arrive le fils des déesses, Énée , portant son père sur ses épaules, alors frappé à l’arrière par un coup de foudre de Zeus, il laisse tomber son manteau de lin délicat. L’entoure la foule des esclaves. Le suit une multitude inimaginable pour rejoindre cette colonie des Phrygiens." 3. Mais Ménécratès de Xanthos dit qu'Énée livra la ville aux Achéens par haine pour Alexandre et que pour ce service il fut autorisé par ceux-ci à sauver sa famille. Son récit, qui commence par l'enterrement d'Achille, est composé ainsi: "Les Achéens furent remplis de peine et ils pensaient que l'armée était décapitée. Cependant ils organisèrent un repas funèbre et combattirent avec toute leur force jusqu'à ce qu'Ilion fut pris avec l'aide d'Énée , qui la leur livra. En effet Énée dédaigné par Alexandre et exclu de ses prérogatives, renversa Priam; et après avoir accompli cela, il devint un des Achéens." 4. D'autres auteurs indiquent qu'il se trouvait par hasard à ce moment-là à l’endroit où mouillent les bateaux troyens; d'autres encore qu'il était envoyé avec des forces en Phrygie par Priam pour une expédition militaire. Certains font un exposé plus fabuleux de son départ. Mais laissons chacun avoir ses convictions sur ce fait. [1,49] XLIX. 1. Ce qui s'est passé après que son départ suscite encore une plus grande difficulté chez la plupart des historiens. Certains, après l’avoir conduit jusque en Thrace, disent qu’il y est mort. De ce nombre sont Cephalon de Gergis et Hegesippos, qui écrivit sur Pallénè : ce sont deux auteurs anciens et honorables. D'autres lui font quitter la Thrace et l’emmènent en Arcadie, et prétendent qu'il habita Orchomène l’arcadienne, dans un endroit, bien que situé à l’intérieur des terres, à cause de marais et d'un fleuve, s'appelle Nesos ou l'"île"; et ils ajoutent que la ville appelée Capyai fut construite par Énée et les Troyens et prit son nom du Troyen Capys. 2. C'est l'exposé fait par divers autres auteurs et par Ariaethus, l'auteur des Arcadica. Et il y en a aussi qui racontent qu'il est venu en effet à Arcadia mais que ce n’est pas là qu’il mourut, mais en Italie; c’est ce que racontent beaucoup d'autres et particulièrement le poète Agathyllos d'Arcadie qui écrit ainsi dans une élégie: "Alors en Arcadie et à Nesos il laissa ses deux filles, fruit de son amour pour l’honnête Anthemonè et pour la belle Codonè. De là il se hâta vers la terre d’Hespérie et où il engendra un fils du nom de Romulos." 3. L'arrivée d'Énée et des Troyens en Italie est certifiée par tous le Romains et on peut voir sa confirmation dans les cérémonies observées par ceux-ci lors de leurs sacrifices et leurs fêtes, et aussi dans les prophéties de la Sibylle, dans les oracles pythiques et dans beaucoup d'autres choses que personne ne doit dédaigner en disant qu’elles sont inventées par souci d’embellissement. Chez les Grecs aussi beaucoup de traces visibles restent à ce jour sur les côtes où ils débarquèrent et parmi les peuples où ils séjournèrent par temps défavorable. Dans l’énumération de ces derniers, bien qu'ils soient nombreux, je serai aussi bref que possible. 4. Ils allèrent en Thrace et y débarquèrent la première fois dans la péninsule appelée Pallénè. Elle était habitée, comme je l’ai dit, par des barbares appelés Crousiens, qui leur offrirent un refuge sûr. Ils y restèrent l’hiver et y construisrent un temple à Aphrodite sur un des promontoires, et aussi une ville appelée Aeneia, où ils y laissèrent tout ceux qui fatigués ne pouvaient continuer le voyage et tous ceux qui choisirent de rester dans un pays qu'ils devaient dorénavant considérer comme le leur. Cette ville exista jusqu’à la domination macédonienne qui se produisit sous les successeurs d'Alexandre, mais elle fut détruite lors du règne de Cassandre, quand fut fondée Thessalonique ; et les habitants d'Aeneia émigrèrent avec beaucoup d'autres pour fonder une nouvelle ville. [1,50] L. 1. Faisant voile de Pallénè, les Troyens arrivèrent à Délos, où régnait Anius. Là il y avait beaucoup de traces de la présence d’Énée et des Troyens aussi longtemps que l'île était habitée et florissante. Puis, allant à Cythère, une autre île non loin du Péloponnèse, ils y construisirent un temple à Aphrodite. 2. Et tandis qu'ils poursuivaient leur voyage de Cythère et non loin du Péloponnèse, mourut un des compagnons d'Énée , appelé Cinaethos, et ils l’enterrèrent sur un des promontoires, qui s'appelle maintenant Cinaethion d’après son nom. Et après avoir renouvelé leurs liens avec les Arcadiens, liens dont je parlerai dans un chapitre ultérieur, et être restés peu de temps dans ces régions, où ils y laissèrent une partie des leurs, ils arrivèrent à Zacynthos. 3. Les Zacynthiens aussi les reçurent amicalement à cause de leur parenté. Dardanos, fils Zeus et d'Electre, fille d’Atlas, eut, dit-on, deux fils de Bateia : Zacynthos et Erichthonios. Ce le dernier était l'ancêtre d'Énée , et Zacynthos le premier colon de l'île. C’est donc en mémoire de cette parenté et en raison de la bonté des habitants qu’ils restèrent là quelque temps, étant aussi contraints par le temps défavorable; et ils offrirent un sacrifice à Aphrodite au temple qu’ils lui avaient construits, sacrifice que la population entière de Zacynthos exécute encore aujourd’hui, et ils instituèrent des jeux pour de jeunes gens, avec entre d'autres épreuves une course à pieds où la victoire revient à celui qui atteint le premier le temple. On l’appelle la course d'Énée et d'Aphrodite, et des statues en bois de touts les deux sont érigées à cet endroit. 4. De là, après un voyage en haute mer, ils débarquèrent à Leucade, qui était toujours occupée par les Acarnaniens. Là encore ils construisirent un temple à Aphrodite, temple qui se trouve aujourd’hui sur la petite île entre Dioryctos et la ville; ce temple d'Aphrodite s'appelle Aeneias. Et partant de là, ils naviguèrent vers Actium et mouillèrent près du promontoire du golfe d'Ambracie; et de là ils arrivèrent dans la ville d'Ambracie, qui était alors gouvernée par Ambrax, fils de Dexamenos, fils d’Héraclès. Il y a dans ces deux endroits des vestiges de leur passage: à Actium, le temple d'Aphrodite Aeneias, et près de lui celui des Grands Dieux : les deux existaient encore de mon temps; et à Ambracie, un temple de la même déesse et d'un sanctuaire héroïque d'Énée près du petit théâtre. Dans ce sanctuaire il y avait une petite statue archaïque en bois, représentant Énée , qui était honorée lors des sacrifices par les prêtresses qu'ont appelait les amphipoloi ou les "Servantes." [1,51] LI. 1. D'Ambracie, Anchise, avec la flotte longe la côte et arrive à Buthroton, un port d'Epire. Mais Énée avec les hommes les plus vigoureux de son armée fit une marche de deux jours et arriva à Dodone afin de consulter l'oracle; et là ils trouvèrent les Troyens qui étaient arrivés avec Hélénos. Après avoir reçu des réponses relatives à leur colonie et consacré diverses offrandes des Troyens au dieu, parmi lesquelles des cratères de bronze, - dont certaines existent toujours et qui par leurs inscriptions très anciennes désignent qui les a données, - ils rejoignirent la flotte après une marche d'environ quatre jours. La présence des Troyens à Buthroton est prouvée par une colline appelée Troie, où ils campèrent à ce moment-là. 2. De Buthroton ils naviguèrent le long de la côte et arrivèrent à un endroit qui s’appelait alors le port d'Anchise mais qui maintenant a un nom moins significatif; il y construisirent également un temple à Aphrodite, et traversèrent alors le golfe d’Ionie en prenant pour guides Patron le Thyrien et ses hommes : ceux-ci les accompagnèrent volontiers. La plupart de ceux-ci, quand l'armée fut arrivée sans risque en Italie, retournèrent chez eux; mais Patron et certains de ses amis, furent convaincus par Énée de se joindre à la colonie et resta avec l'expédition. Ceux-ci, selon certains, s’établirent à Aluntion en Sicile. En mémoire de ce service les Romains par la suite accordèrent aux Acarnaniens Leucade et Anactorium, qu'ils avaient pris aux Corinthiens; quand ces derniers désirèrent restaurer Oeniadae, ils leur donnèrent l’autorisation de le faire, et leur donnèrent également l’exploitation des îles Echinades en commun avec les Etoliens. 3. Énée et ses compagnons ne débarquèrent pas au même endroit en Italie : la plupart des bateaux vinrent mouiller au promontoire d'Iapygie, appelé alors le promontoire Sallentin, et les autres à un endroit appelé alors Minerva, où Énée lui-même par hasard mit d’abord le pied en Italie. Cet endroit est un promontoire qui offre un port en été : depuis lors il s’appelle le Port de Vénus. Ensuite ils naviguèrent le long de la côte jusqu'à ce qu'ils aient atteint un détroit, en ayant l'Italie sur la main droite, et en cet endroit également ils laissèrent quelques traces de leur arrivée, entre d'autres une phiale en bronze dans le temple de Junon, sur lequel il y a une inscription ancienne avec le nom d'Énée en tant qu’auteur de l’offrande à la déesse. [1,52] LII. 1. Quand ils furent au large de la Sicile, soit qu’ils aient eu le dessein de débarquer là, soit qu’ils y furent obligés par les tempêtes, qui sont habituelles dans cette mer, ils débarquèrent dans cette partie de l'île qui s'appelle Drepana. Là ils y trouvèrent les Troyens qui avec Elymos et Aegestos avaient fui Troie avant eux et qui, favorisés par la fortune et le par vent, et aussi parce qu’ils n'étaient pas surchargés de bagages, étaient arrivés rapidement en Sicile et s’étaient installés près du fleuve Crimisos dans le pays des Sicanes. Ces derniers leur avaient accordé des terres par amitié en raison de leur parenté avec Aegestos, qui était été né et avait été élevé en Sicile dans les circonstance suivantes. 2. Un de ses ancêtres, un homme distingué, de race troyenne, était en désaccord avec Laomédon. Le roi le fit saisir sur une accusation quelconque et le mit à mort, ainsi que tous ses enfants mâles, de peur d’avoir à souffrir une vengeance de leur part. Mais pensant qu’il serait malvenu de mettre les filles à mort, car elles étaient encore vierges, et qu’il était peu sûr de les laisser vivre parmi le Troyens, il les livra à des marchands, avec ordre de les emmener aussi loin que possible. 3. Elles furent accompagnées durant le voyage par un jeune homme de famille distinguée, qui tomba amoureux de la cadette; et il épousa la fille en arrivant en Sicile. Et durant leur séjour parmi les Sikèles, ils eurent un fils, qu’ils appelèrent Aegestos, et qui apprit les coutumes et la langue des habitants; mais après la mort de ses parents, Priam étant alors roi de Troie, il obtint la permission de retourner chez lui. Et après avoir aidé Priam lors de la guerre contre les Achéens, quand la ville fut sur le point d'être prise, il retourna de nouveau en Sicile, accompagné dans sa fuite d'Elymos avec les trois bateaux qu'Achille avait avec lui quand il pillait les villes de la Troade et qu’il avait perdus quand ils heurtèrent quelques rochers cachées. 4. Ayant rencontré les hommes susdits, Énée leur montra une grande bonté, leur construisit les villes dAegesta et d’Elyma, et laissa même une partie de son armée dans ces villes. A mon avis il l’a fait de choix délibéré, pour que ceux qui étaient épuisés par des difficultés ou simplement contrariés par la mer puissent apprécier le repos et une retraite sûre. Mais quelques auteurs disent que la perte d'une partie de sa flotte, qui fut incendiée par quelques femmes fatiguées d’errer, l'obligea de laisser les hommes qui occupaient les bateaux brûlés et pour cette raison ne pouvaient plus naviguer avec leurs compagnons. [1,53] LIII. 1. Il y a beaucoup de preuves de la venue d'Énée et des Troyens en Sicile, mais les plus importantes sont l'autel d'Aphrodite Aeneias érigé au sommet d'Elymos et un temple érigé pour Énée dans Aegesta; le premier fut construit par Énée lui-même en l'honneur de sa mère, mais le temple était une offrande faite par les membres de l’expédition qui son restés sur place à la mémoire de leur libérateur. Les Troyens avec Elymos et Aegestos, restèrent alors dans ces régions et continuèrent à s'appeler Elymiens. C’est Elymos qui l’emportait en dignité, étant de famille royale, et c’est de lui qu’ils prirent tous leur nom. 2. Mais Énée et ses compagnons, quittant la Sicile, traversèrent la mer Tyrrhénienne et mouillèrent pour la première fois en Italie dans le port de Palinure : on dit que ce nom provient d'un des pilotes d'Énée qui y trouva la mort. Ensuite ils abordèrent dans une île qu'ils appelèrent Leucosia, du nom d’une cousine d'Énée qui mourut en cet endroit. 3. De là ils arrivèrent dans un port profond et excellent chez les Opiques, et comme là également un des leurs mourut, un homme éminent appelé Misenos, ils appelèrent le port d’après son nom. Puis, arrivant par hasard à l'île de Prochyta et au promontoire de Caieta, ils appelèrent ces endroits de la même manière, voulant qu'ils servent de mémorial pour les femmes qui y étaient mortes : l’une, dit-on, était une cousine d'Énée et l'autre sa nourrice. Enfin ils arrivèrent à Laurentum en Italie, où, arrivant à la fin de leur errance, ils y firent un camp inexpugnable, et l'endroit où ils campèrent est depuis ce temps appelé Troie. Il est éloigné de la mer d’environ quatre stades. 4. Il était nécessaire pour moi de faire cette digression, parce que quelques historiens affirment qu'Énée n'est même pas venu en Italie avec les Troyens, et que d’autres disent que c'était un autre Énée et non le fils d'Anchise et d'Aphrodite, et d’autres encore disent que c'était Ascagne, le fils d'Énée , et d'autres parlent encore d'autres personnes. Et il y a qui disent qu’Énée , fils d'Aphrodite, après avoir installé sa troupe en Italie, retourna chez lui, régna sur Troie, et qu’à sa mort, il laissa son royaume à Ascagne, son fils et que la postérité de celui-ci le garda longtemps. A mon avis ces auteurs se sont trompés en confondant le sens des vers de Homère. 5. Dans l'Iliade, il représente Poséidon prédisant la futur splendeur d'Énée et de sa postérité en ces vers: "Alors le grand Énée règnera, et les fils de ses fils qui viendront après lui ». Ainsi ils ont supposé qu’Homère connaissait les hommes qui régnèrent sur la Phrygie et ils inventèrent le retour d'Énée , pensant qu’il n'était pas possible de régner sur les Troyens tout en habitant l’Italie. Mais il n'était pas impossible pour Énée de régner sur les Troyens qu'il avait pris avec lui et qui s’étaient installés dans un autre pays. Cependant d'autres raisons peuvent également être avancées pour cette erreur. [1,54] LIV. 1. Mais s'il y a une difficulté en ce qui concerne l’existence des tombeaux d’Énée , et qu’on en montre en de nombreux d'endroits, alors qu'il est impossible qu’une même personne soit enterrée dans plus d'un endroit, qu’on considère que cette difficulté se passe dans le cas de beaucoup d'autres hommes, aussi particulièrement pour les hommes qui ont eu des fortunes remarquables et ont mené des vies errantes; et que l’on sache que, bien qu’ un seul endroit ait reçu leurs corps, pourtant des monument ont été érigés chez beaucoup de peuples par gratitude de ceux qui en on reçu des bienfaits, en particulier si quelqu'un de leur race survit toujours ou s’ils ont construit la ville ou s’ils ont résidé parmi eux longuement et utilement à l'humanité – ce sont ces choses semblables, comme nous savons, la légende rapporte concernant ce héros. 2. En effet il a préservé Ilion de la destruction totale lors de sa prise, il a sauvé les alliés partis de Troie dans un lieu sûrs à Bebrycia, il a laissé son fils Ascagne comme roi de Phrygie, il a construit une ville à son nom à Pallénè, il a marié ses filles en Arcadie, il a laissé une partie de son armée en Sicile, et pendant qu’il résidait dans beaucoup d'autres endroits il a eu la réputation de se conduire avec grande humanité; ainsi il a gagné l'affection spontanée de ces gens et donc quand il abandonna cette vie mortelle il a été honoré par des sanctuaires et des monuments érigés en son honneur dans beaucoup de régions. 3. Quelles raisons, je vous en prie, pourrait-on donner pour expliquer ses monuments en Italie s'il n’y a jamais régné sur ces régions, s’il n’y a pas résidé ou s'il était complètement inconnu des habitants? Mais ce point sera de nouveau discuté, chaque fois que mon récit au moment voulu l’exigera pour plus ce clarté. [1,55] LV. 1. Si la flotte troyenne ne navigua pas plus loin en l'Europe, c’était dû aux oracles qui trouvèrent leur accomplissement dans ces régions et à la puissance divine qui indiqua sa volonté de beaucoup de façons. En effet lorsque leur flotte mouilla à Laurentum et qu’ils installèrent leurs tentes près du rivage, d’abord, quand les hommes furent pressés par la soif et qu’il n'y avait pas d’eau dans cet endroit (ce que je dis, je l’ai appris des habitants), on vit des sources d'eau la plus douce surgir spontanément de la terre, où toute l'armée put boire et l'endroit fut inondé par un jet qui descendait à la mer. 2. Aujourd’hui cependant les sources ne sont plus ainsi abondantes au point de déborder, mais il y a juste un peu d'eau recueillie dans un endroit creux, et les habitants disent qu'il est consacré au soleil; et près ce celui-ci ils montrent deux autels, l’un tourné à l'est, l'autre à l'ouest, des constructions troyennes, sur lesquelles, dit-on, Énée offrit son premier sacrifice au dieu pour le remercier du don de l'eau. 3. Puis, alors qu'elles prenaient leur repas sur le sol, quelques-uns d'entre utilisèrent le persil sous leur nourriture pour servir de table; mais d'autres disent qu'ils utilisèrent des gâteaux de froment pour garder leurs victuailles propres. Quand ils eurent consommés toutes les victuailles étendues, un d'entre eux mangea le persil ou les gâteaux, qui était dessous, et puis les autres en firent autant. Alors un des fils d'Énée , comme l'histoire le raconte, ou un de ses compagnons, s’exclama, "Regardez, nous avons mangé même la table." Dès qu'ils entendirent cela, ils pleurèrent tous de joie parce que la première partie de l'oracle était maintenant accomplie. 4. Ils avaient reçu un oracle, certains disent de Dodone, mais d'autres d’Erythrée, d’autres encore sur le mont Ida, où vécut une sibylle de ce pays, nymphe prophétique, qui leur ordonna de naviguer à l'ouest jusqu'à ce qu'ils arrivent à un endroit où ils mangeraient leurs tables; et quand ils verraient que la prophétie s'était réalisée, ils devraient suivre une bête quadrupède comme guide, et là où l'animal se trouverait fatigué, ils devraient construire une ville. 5. Se rappelant cette prophétie, sur l’ordre d'Énée , les uns sortirent les images des dieux du navire à l'endroit qu’il désignait, d'autres leur construisirent des piédestaux et des autels, et les femmes accompagnèrent les images avec des cris et des danses. Et Énée avec ses compagnons, le sacrifice préparé, se tint près de l'autel avec les couronnes habituelles sur leurs têtes. [1,56] LVI. 1. Tandis qu’ils récitaient des prières, la truie destinée comme victime, qui était grosse et proche de mettre bas, s'échappa pendant que les prêtres exécutaient les sacrifices préliminaires, et échappant à ceux qui la tenaient, elle se mit à courir à l’intérieur du pays. Et Énée , comprenant qu’il s’agissait de la bête quadrupède que l'oracle désignait comme guide, suivit à une petite distance la truie avec quelques unes de ses compagnons, craignant que, troublée par ses poursuivants, elle se détourna de la course que le destin lui avait fixé. 2. Et la truie, après avoir parcouru environ vingt-quatre stades depuis la mer, gravit les pentes d'une colline et là, fourbue, elle s’arrêtat. Mais Énée - les oracles semblaient maintenant accomplis, - voyant que l'endroit était non seulement une pauvre portion de la terre, mais également à distance de la mer, et que de plus il n'avait pas les moyens de mouiller un navire, se trouva dans une grande perplexité : devait-il pour obéir à l'oracle s’installer là, où ils mèneraient une vie perpétuelle de misère sans aucun avantage, ou devait-il aller plus loin à la recherche d'une meilleure terre. 3. Tandis qu'il méditait et qu’il blâmait les dieux, tout à coup, dit-on, une voix retentit du bois, - sans qu’on voie celui qui parlait, - lui ordonnant de rester là et d’y bâtir une ville immédiatement, et de ne pas, étant dans un embarras occasionné par l’avis présent lui prescrivant d’établir sa demeure dans un pays stérile, rejeter sa future bonne fortune, qui devait se réaliser plus tard. 4. Telle était sa destinée : commençant par cette habitation désolée et, au début, exiguë, il devait au cours du temps acquérir un pays spacieux et fertile, et ses enfants et sa postérité posséderaient un vaste empire qui se prolongerait fort longtemps. Pour le moment cet endroit serait donc un refuge pour les Troyens, mais, après autant d'années que la truie aurait mis bas de petits, une ville différente, grande et prospère, serait construite par ses descendants. Énée , dit- on, entendant cela et considérant que la voix avait quelque chose de divin, fit ce que le dieu lui commandait. 5. Mais d'autres racontent que tandis qu'Énée était consterné et se négligeait lui- même dans sa peine, au point de ne plus descendre dans le camp ni de ne plus prendre aucune nourriture, mais restant cette nuit juste comme il était. Il eut alors en rêve une grande et merveilleuse vision sous la forme d'un des dieux de son pays qui lui donna les conseils énoncés plus haut. Laquelle de ces histoires est vraie : seuls les dieux le savent. Le jour suivant, dit-on, la truie mit bas trente jeunes, et c’est au bout du même nombre d’années que, selon l'oracle, une autre ville fut construite par les Troyens, mais j’en parlerai à l'endroit approprié. [1,57] LVII. 1. Énée sacrifia la truie avec ses jeunes à ses dieux ancestraux à l'endroit où se trouve maintenant la chapelle, que les Laviniens considèrent comme sacrée et en interdisent l’accès à tous sauf à eux-mêmes. Puis, après avoir ordonné aux Troyens de transférer leur camp sur la colline, il y plaça les images des dieux dans le meilleure endroit et s'attaqua immédiatement à bâtir la ville avec la plus grande ardeur. Et faisant des incursions dans les alentours, il y prit tout ce qui lui était utile pour ses bâtiments et dont la perte était susceptible d'être très pénible à ses propriétaires, tels que le fer, le bois de construction et des instruments agricoles. 2. Mais Latinus, le roi du pays à l’époque, qui était en guerre avec un peuple voisin appelé les Rutules et avait livré quelques batailles avec des revers, reçoit sur ce qui se passait des nouvelles très alarmantes : toute sa côte était dévastée par une armée étrangère et, s'il ne mettait pas immédiatement fin à leurs déprédations, la guerre avec ses voisins lui semblerait facile en comparaison. Latinus, saisi de crainte à ces nouvelles et abandonnant aussitôt la guerre dans laquelle il était alors engagé, marcha contre les Troyens avec une grande armée. 3. Mais les voyant armés comme des Grecs, alignés en bon ordre et attendant de pied ferme le choc, il renonça à l'idée de se hasarder à un engagement immédiat, puisqu'il n'avait aucune chance maintenant de les vaincre au premier assaut, comme il y comptait quand il s’élançait hors de son camp. Et campant sur une colline, il pensa qu'il devait d'abord laisser ses troupes récupérer de leur fatigue, qui était grande à cause de la longueur la marche et de l'ardeur de la poursuite; 4. et passant la nuit là, il résolut d’engager le combat contre l’ennemi à la fin du jour. Mais quand il eut pris cette décision, une divinité indigène lui apparut dans son sommeil et lui conseilla de recevoir les Grecs dans son pays pour qu’ils y vivent avec ses propres sujets, ajoutant que leur venue était un grand avantage pour lui et une aubaine pour les Aborigènes. Les dieux ancestraux apparurent à Énée cette même nuit pour lui ordonner de persuader Latinus de leur accorder de son plein gré de s’installer dans la partie du pays qu'ils désiraient et de traiter les forces grecques plutôt comme des alliés que comme des ennemis. Ainsi les deux furent empêches par un rêve de commencer les hostilités. Et le jour venu quand les armées furent en ordre de bataille, des hérauts se rendirent chacun chez les commandants de l'autre avec la même requête : on devait se rencontrer pour négocier; et c’est ce qui se passa. [1,58] LVIII. 1. Et le premier Latinus se plaignit de la guerre soudaine qu'ils faisaient contre ses sujets sans aucune déclaration préalable et il exigea qu'Énée lui dise qui il était et ce qu’il voulait en pillant le pays sans avoir reçu aucune provocation, car il ne pouvait ignorer que dans une guerre celui qui est attaqué se défend contre l'agresseur; et il se plaignit que, alors qu’Énée pouvait obtenir à l’amiable et avec le consentement des habitants tout ce qu'il pourrait raisonnablement désirer, il avait choisi de le prendre par la force, contrairement au droit universel de la justice et avec plus de déshonneur pour lui que de noblesse. 2. Sur ces paroles, Énée répondit : "Nous sommes de race Troyenne : ce n’est pas la moindre des villes célèbres chez les Grecs; mais puisque celle-ci a été prise et détruite par les Achéens après une guerre de dix ans, nous sommes devenus des vagabonds, errant de ci de là car nous n’avons plus ni ville ni pays où pouvoir dorénavant vivre. Nous sommes arrivés ici pour obéir aux ordres des dieux; et cette seule terre, selon l’indication des oracles, nous reste comme asile de notre errance. Nous prenons en effet du pays les choses dont nous avons besoin, en nous souciant plus de notre situation malheureuse que de la convenance, - une façon de faire que jusque récemment nous n’avons jamais imaginée. 3. Mais nous vous offrirons en compensations beaucoup de bons service, en vous offrant nos corps et nos esprits, biens aguerris contre des dangers, afin que vous les utilisiez, quand vous en aurez l’utilité, pour protéger votre pays des ravages des ennemis et pour vous aider avec ardeur à conquérir leurs terres. Nous vous supplions humblement de ne pas nous en vouloir pour ce que nous avons fait, en considérant, comme il se doit, que nous ne l'avons pas fait gratuitement, mais contraints par la nécessité; et tout qui est involontaire mérite le pardon. 4. Et vous ne devez prendre aucune résolution hostile contre nous alors que nous vous tendons les mains; sinon, nous prierons d'abord les dieux et les divinités qui possèdent cette terre de nous pardonner aussi pour ce que nous avons faits sous la contrainte de la nécessité et puis nous essayerons de nous défendre contre vous qui deviendrez les agresseurs lors de cette guerre; qui n’est ni la première ni plus grande que nous ayons livrée." 5. Quand Latinus eut entendu cela il lui répondit : "Eh bien ! moi j’ai un avis favorable sur l’ensemble de la race grecque et je suis fort affligé des calamités inévitables à l'humanité. Et j’aurais fort à coeur votre sûreté s’il était clair pour moi de que vous êtes venus ici à la recherche d'une habitation et de que, vous contentant d’une part appropriée de terre et appréciant dans un esprit d'amitié ce qu'on vous donnera, vous n'essayerez pas de me priver de la royauté par la force; et si les assurances que vous me donnez sont vraies, je désire donner et recevoir les engagements qui assureront l’inviolabilité de nos accords." [1,59] LIX. 1. Énée ayant accepté cette proposition, un traité fut conclu été entre les deux nations et confirmé par des serments: les Aborigènes accorderaient aux Troyens autant terre qu'ils en désiraient, c.-à-d., l'espace d'environ quarante stades ce chaque côté de la colline; les Troyens, ce leur côté, aideraient les Aborigènes dans la guerre qu'ils menaient et les aideraient également de leurs forces chaque fois qu’on les appellerait; et les deux nations s’aideraient mutuellement avec toutes leurs forces, que ce soit leurs bras ou leurs conseils. 2. Après avoir conclu ce traité et donné des gages en échangeant des enfants comme otages, ils marchèrent ensemble contre les villes des Rutules; et après avoir bientôt soumis tout ce qui s’y trouvait, ils vinrent à la ville de Troie, qui était à moitié finie, et s’y mettant tous avec ardeur, ils entourèrent la ville d’un mur. 3. Cette ville, Énée l’appela Lavinium, d’après le nom de la fille de Latinus, selon les dires des Romaines; son nom, disent-ils, étaient Lavinia. Mais selon certains des mythographes grecs elle fut appelée du nom de la fille d'Anios, roi des Déliens, qui s'appelait aussi Lavinia : car elle fut la première à mourir de maladie au moment de la construction de la ville et fut enterrée dans l'endroit où elle mourut : la ville fut son mémorial. 4. On dit qu'elle s'embarqua avec les Troyens après avoir été donnée par son père à Énée à sa demande comme prophétesse et femme pleine de sagesse. Tandis qu’on construisait Lavinium, on dit que les présages suivants apparurent aux Troyens. Un feu éclata spontanément dans la forêt, un loup, disent-ils, apporta du bois sec dans sa bouche et le jeta sur le feu, et un aigle, volant aux alentours, entretenait la flamme par le mouvement de ses ailes. Mais à l’opposé, un renard, après avoir mouillé sa queue dans le fleuve, essayait de frapper les flammes; et tantôt c’était ceux qui l'allumaient qui l’emportaient, et tantôt c’était le renard qui essayait de l'éteindre. Mais finalement les deux premiers prirent le dessus, et le renard partit, incapable d’arriver à ses fins. 5. Énée , observant cela, déclara que la colonie deviendrait illustre et objet d’admiration et gagnerait le plus grand renom, mais qu'à mesure qu'elle augmentait elle serait enviée par ses voisins et leur serait un gène; néanmoins, elle surmonterait ses adversaires, la bonne fortune qu'elle avait reçue du ciel serait plus puissante que l'envie des hommes qui s'opposeraient à elle. Telles sont les indications très claires qui, dit-on, furent données sur l’avenir de la ville; il en existe des monuments commémoratifs dans le forum du Laviniens, sous forme de représentations en bronze de ces animaux, conservés avec soin depuis très longtemps. [1,60] LX. 1. Quand la ville des Troyens fut construite, tous eurent fort envie de jouir de l’avantage mutuel de leur nouvelle alliance. Et leurs rois prenant exemple, unirent les qualités des deux races, l'indigène et l'étrangère, par les liens du mariage : Latinus donna sa fille Lavinia à Énée . 2. Puis le reste conçut également le même désir que leurs rois, mélangeant en très peu de temps leurs coutumes, leurs lois et leurs cérémonies religieuses, formant des liens par des mariages mixtes et se mélangeant dans les guerres qu'ils faisaient conjointement, et s'appelant tous du nom de latin, d’après le nom du roi des Aborigènes, ils s’attachèrent tellement fermement à leur pacte qu'à aucun moment jusqu’à ce jour ils n’ont été séparés les uns des autres. 3. Ainsi les nations qui se réunirent et partagèrent une vie commune et dont est issue la race romaine avant que la ville qu'elles habitent maintenant fut construite, sont les suivantes : d'abord les Aborigènes, qui chassèrent les Sikèles de leur pays et qui étaient à l'origine des Grecs du Péloponnèse, les mêmes qui avec Oenotros quittèrent leur pays maintenant appelé Arcadia, (c’est mon opinion); puis, les Pélasges, qui sont venus du pays appelé alors Hémonie et aujourd’hui Thessalie; troisièmement, ceux qui vinrent en Italie avec Évandre depuis la ville de Pallantium; après eux les Epéens et le Phénéates, qui faisaient partie de l'armée de Péloponnesiens commandée par Hercule, auxquels s’était joint un contingent de Troyens; et en dernier lieu, le Troyens qui s'étaient échappés avec Énée d'Ilion, de Dardanos et des autres villes de la Troade. [1,61] LXI. 1. Que le Troyens aussi étaient une nation vraiment grecque, venue autrefois du Péloponnèse, a été longtemps soutenu par quelques auteurs et je vais également le rapporter. Voici le récit à ce sujet. Atlas était le premier roi du pays aujourd’hui nommé Arcadie, et il vécut près de la montagne appelée Caucase. Il eut sept filles, qui sont comptées maintenant au nombre des constellations sous le nom du Pléiades; Zeus épousa l’une d’elles, Électre, et en eut deux fils, Iasos et Dardanos. 2. Iasos resta célibataire, mais Dardanos épousa Chrysè, fille de Pallas, de qui il eut deux fils, Idaeos et Deimas; et ceux-ci, succédant à Atlas dans le royaume, régnèrent pendant un certain temps en Arcadie. Mais un grand déluge se produisit dans toute l’Arcadie, les plaines furent inondées et ne purent être labourées pendant longtemps; les habitants vivant sur les montagnes et survivant à peine, décidèrent que ce qui leur restait de terre ne serait pas suffisant pour qu’ils puissent tous subsister et se scindèrent en deux groupes : l’un resta en Arcadie, en nommant roi Deimas, fils de Dardanus, alors que l'autre quitta le Péloponnèse à bord d'une grande flotte. 3. Naviguant le long des côtes de l'Europe, ils arrivèrent à un golfe nommé Mélas et par hasard débarquèrent sur une île de Thrace, dont je ne peux dire si elle fut habitée auparavant ou pas. Ils appelèrent l'île Samothrace, nom composé du nom d'un homme et du nom d'un endroit. Cet endroit appartient à la Thrace et son premier colon fut Samon, fils de Hermès et d’une nymphe de Cyllenè, appelée Rhénè. 4. Ils n’y restèrent que peu de temps, car la vie ne s’avéra pas facile pour eux, forcés qu’ils étaient à faire face à un sol ingrat et à une mer sauvage; laissant quelques uns des leurs sur l’île, la plupart d’entre eux partirent une fois de plus et allèrent en Asie avec Dardanos comme chef de leur colonie (Iasos était mort dans l’île, frappé d’un coup de foudre pour avoir désiré avoir des rapports avec Déméter), et ils débarquèrent dans le détroit appelé maintenant l’Hellespont. Ils s’installèrent dans la région qui après s’est appelée Phrygie. Idaeos, le fils de Dardanos, avec une partie de ses compagnons occupa les montagnes qui s'appellent aujourd’hui d’après son nom les montagnes de l’Ida, et là il construisit un temple à la mère des dieux et institua les mystères et les cérémonies qui sont observées encore aujourd'hui dans toute la Phrygie. Et Dardanos construisit une ville à son nom dans la région qui s’appelle maintenant la Troade; la terre lui fut donnée par le roi Teucer : le pays s’appelait jadis Teucris à cause de son nom. 5. Beaucoup d'auteurs, et en particulier Phanodemos, qui a écrit les Antiquités de l’Attique, disent que Teucer vint d’Attique en Asie, où il fut le chef du dème appelé Xypétè, et ils fournissent beaucoup de preuves à l’appui de cette version. Ils ajoutent que, après s'être emparé d'un grand et fertile pays mais d'une petite population indigène, il fut heureux de voir Dardanos et les Grecs qui l’accompagnaient, parce qu'il espérait leur aide dans ses guerres contre les barbares et qu'il désirait que la terre ne reste pas inoccupée. [1,62] LXII. 1. Mais le sujet exige que je rapporte également l’arbre généalogique d’Énée: aussi je vais le faire brièvement. Dardanos, après la mort de Chrysè, fille de Pallas, de qui il eut ses premiers fils, épousa Bateia, fille de Teucer, et d’elle il eut Erichthonios : on dit que qu'il fut le plus heureux de tous les hommes, puisqu'il hérita du royaume de son père et de celui de son grand-père maternel. 2. D'Erichthonios et de Callirrhoè, la fille de Scamandros, naquit Tros, dont la nation reçut son nom; de Tros et d'Acallaris, la fille d'Eumédeè, Assaracus; d'Assaracus et de Clytodora, la fille de Laomedon, Capys; de Capys et de la nymphe Hieromnémè, Anchise; d'Anchise et d'Aphrodite, Énée. Je prouve ainsi que la race troyenne aussi était à l'origine grecque. [1,63] LXIII. 1. En ce qui concerne le moment où Lavinium fut construite, il y a divers récits, mais pour moi le plus probable semble être celui qui le place la deuxième année après le départ des Troyens de Troie. En effet Ilion fut prise à la fin de l’été, dix-sept jours avant le solstice d'été, le huitième de la fin du mois de Thargelion, selon le calendrier des Athéniens; et il restait encore vingt jours après le solstice pour terminer cette année. Pendant les trente-sept jours qui suivirent la prise de la ville, je pense que les Achéens s’occupèrent des affaires de la ville, recevant le ambassades de ceux qui s'étaient retirées et concluant un traité avec eux. 2. L’ année suivante, la première après la prise de la ville, les Troyens firent voile vers l'équinoxe d’automne, franchirent l’Hellespont, et débarquement en Thrace : ils y passèrent l’hiver à recevoir les fugitifs qui continuaient les rejoindre et à faire les préparatifs nécessaires pour leur voyage. Et quittant la Thrace au début du printemps, ils naviguèrent jusque la Sicile; quand ils y débarquèrent, l'année s’achevait, et ils passèrent le deuxième hiver à aider les Elymiens à fonder leurs villes en Sicile. 3. Mais dès que les conditions furent favorables pour la navigation, ils levèrent l’ancre de l’île et traversèrent la mer tyrrhénienne. Ils arrivèrent enfin à Laurentum sur la côte des Aborigènes au milieu de l'été. Et après avoir reçu d'eux de la terre, ils fondèrent Lavinium : on était à la fin de la deuxième année après la prise de Troie. Voilà mon opinion sur ce sujet. [1,64] LXIV. 1. Quand Énée eut suffisamment orné la ville de temples et d'autres bâtiments publics, dont la plus grande partie existait encore de mon temps, l'année suivante, la troisième après son départ de Troie, il régnait uniquement sur les Troyens. Mais la quatrième année Latinus mourut et il hérita aussi de son royaume, non seulement à cause de ses liens avec lui par son mariage : Lavinia était l'héritière après la mort de Latinus, mais aussi en raison de ses fonctions de commandant durant la guerre contre les tribus voisines. 2. Les Rutules se révoltèrent de nouveau contre Latinus, choisissant pour chef un des déserteurs, nommé Tyrrhénos, qui était neveu d'Amata, l'épouse de Latinus. Cet homme, reprochant à Latinus le mariage de Lavinia, parce qu'il avait trahi les siens en alliant sa famille avec des étrangers; poussé par Amata et encouragé par d'autres, il était passé chez les Rutules avec les forces qu'il commandait. 3. La guerre se déclencha à cause de ces griefs et il s’ensuivit une bataille violente durant laquelle Latinus, Tyrrhenos et beaucoup d'autres furent massacrés; mais Énée et ses compagnons remportèrent la victoire. Alors Énée hérita du royaume de son beau-père; mais après trois ans de règne après la mort de Latinus, il mourut la quatrième année lors d’une bataille. 4. Les Rutules sortirent avec toutes leurs forces de leurs villes pour l’attaquer, et avec eux Mézence, roi des Tyrrhéniens, qui pensait que son propre pays était en danger; il était préoccupé de voir la puissance grecque faire déjà des progrès rapides. Une bataille violente eut lieu non loin de Lavinium et beaucoup des deux côtés furent massacrés, mais la nuit tomba et les armées se séparèrent; et comme on ne voyait nulle part le corps d'Énée, certains en conclurent qu'il était monté chez les dieux et d'autres qu'il avait péri dans le fleuve près duquel la bataille avait eu lieu. 5. Les latins lui construisirent un sanctuaire héroïque avec cette inscription: "Au père et au dieu de cet endroit, qui préside aux eaux du fleuve Numicius." Mais il y en a qui prétendent que le sanctuaire fut érigé par Énée en l'honneur d'Anchise, qui mourut l’année précédant cette guerre. C'est un petit monticule rond entouré d’arbres plantés de façon régulière et qui est digne d'être vu. [1,65] LXV. 1. Énée quitta cette vie la septième année après la prise de Troie, Euryleon, dont le nom avait été changé lors de la fuite en Ascagne, hérita du pouvoir sur les latins. A ce moment les Troyens étaient assiégés; les forces de l'ennemi augmentaient de jour en jour et les latins ne pouvaient aider ceux qui étaient enfermés dans Lavinium. 2. Ascanius et ses hommes, donc, proposèrent d’abord à l'ennemi une conciliation amicale et raisonnable, mais comme on ne leur prêta aucune attention, ils furent forcés de s’en remettre à leurs ennemis pour mettre terme à la guerre selon leurs propres conditions. Mais le roi des Tyrrhéniens, entre d'autres conditions intolérables qu'il leur imposa, comme à un peuple réduit à l’esclavage, leur ordonna de fournir aux Tyrrhéniens chaque année tout le vin produit par le pays latin ; ils considérèrent cela comme une chose inadmissible, et sur le conseil d'Ascagne, votèrent que les fruits de la vigne seraient consacrés à Jupiter. Puis s’exhortant mutuellement à prouver leur ardeur et leur valeur et priant les dieux de les aider dans leur entreprise périlleuse, ils firent une sortie lors d’une nuit sans lune. 3. Et ils attaquèrent immédiatement la partie du rempart de l'ennemi qui était la plus proche de la ville et qui, conçue comme un poste avancé pour couvrir le reste de leurs forces, était construite sur une position bien protégée et était défendue par l’élite de la jeunesse des Tyrrhéniens, sous le commandement de Lausus, fils de Mézence; et comme leur attaque était imprévue, ils s’emparèrent facilement de la forteresse. Pendant qu'ils s’employaient à prendre cette place, ceux des ennemis qui campaient dans la plaine, voyant une lueur inhabituelle et entendant le cri des hommes qui périssaient, prirent la fuite et se sauvèrent dans les montagnes. 4. Pendant ce temps il y avait grande confusion et tumulte, comme c’est normal pour une armée qui se déplace la nuit; ils s'attendaient à ce que l'ennemi s’abatte sur eux à ce moment alors qu'ils se retiraient dans le désordre et avec leurs rangs brisés. Les latins, après avoir pris le fort d’assaut et appris que le reste de l'armée était en désordre, les serrèrent de près, en les massacrant et en les poursuivant. Et il n’y eut non seulement aucune tentative ennemie de se retourner et de résister, mais il n'était pas même possible qu’ils sachent dans quelle situation difficile ils étaient, et dans leur confusion et impuissance ils tombaient dans des précipices et se tuaient, alors que d'autres s’empêtraient dans des ravins sans issues et étaient fait prisonniers; mais la plupart d'entre eux, ne reconnaissant pas leurs camarades dans l'obscurité, les prirent pour des ennemis, et le gros leur perte était dû à leur massacre entre eux. 5. Mézence avec quelques uns de ses hommes s’était emparé d’une colline, mais quand il apprit le destin de son fils et le nombre de gens qu’il avait perdu et qu’il se rendit compte de la nature de l'endroit où il s'était enfermé; voyant qu’il manquait de tout nécessaire, il envoya des messagers à Lavinium pour demander la paix. Comme Ascagne conseillait aux latins de profiter de leur bonne fortune, Mézence obtint la permission de se retirer à la faveur d’une trêve avec les forces qu'il possédait; et à partir de là, renonçant à toute hostilité contre les latins, il devint leur ami fidèle. [1,66] LXVI. 1. La trentième année après la fondation de Lavinium Ascagne, le fils d'Énée, conformément à l'oracle donné à son père, établi tune autre ville et y transféra les habitants de Lavinium et les autres latins qui désiraient un meilleur habitat dans une ville nouvellement construite, qu'il appela Albe. Alba se traduit en Grec par Leukè ou "blanc"; mais pour plus de clarté elle fut distinguée d'une autre ville du même nom par l'addition d'une épithète décrivant sa forme, et son nom est maintenant comme un composé de deux termes, Alba Longa, c’est-à- dire Leukê Makra ou "La Longue (ville) Blanche". 2. Cette ville est maintenant inhabitée, car à l’époque de Tullus Hostilius, le roi des Romains, Alba sembla s’opposer à sa colonie pour la suprématie et par conséquent elle fut détruite; mais Rome, malgré avoir rasé sa métropole, accueillit ses citoyens en son sein. Mais ces événements appartiennent à des temps ultérieurs. Pour revenir à sa fondation, Albe fut construite près d'une montagne et d'un lac, occupant l'espace entre les deux, lesquels constituaient comme un rempart pour la ville et la rendaient difficile à prendre. La montagne est extrêmement forte et haute et le lac est profond et étendu; et la plaine reçoit ses eaux quand les écluses sont ouvertes, les habitants pouvant économiser l'approvisionnement tant qu’ils le souhaitent. 3. Aux pieds de la ville se trouvent des plaines admirables pour la vue et riches par la production des vins et des fruits de toutes les sortes qui ne cèdent en rien à ceux du reste de l'Italie, et en particulier le vin qu'ils appellent le vin d'Albe, qui est doux et excellent et, à part le Falerne, est certainement supérieur à tous les autres. [1,67] LXVII. 1. Durant la construction de la ville, on dit qu'un prodige fort remarquable se produisit. On avait construit un temple avec un sanctuaire intérieur pour les images des dieux qu'Énée avait apportées avec lui de la Troade et avait installées dans Lavinium, et les statues avaient été apportées de Lavinium dans ce sanctuaire; mais la nuit suivante, bien que les portes fussent soigneusement fermées et les murs de l’enceinte et le toit du temple n'eussent souffert aucun dommage, les statues changèrent de place et furent retrouvées sur leurs anciens socles. 2. Transportées de nouveau de Lavinium avec des supplications et des sacrifices propitiatoires elles revinrent de la même manière au même endroit. Alors le peuple se mit à douter pendant un moment sur ce qu'ils devait faire, peu disposé à vivre séparé de ses dieux héréditaires ou à retourner de nouveau dans leur habitations abandonnées. Mais enfin on trouva un expédient qui devait rencontrer d'une manière satisfaisante ces deux difficultés. On laissa les images où elles étaient et on fit partir des colons d'Alba à Lavinium pour y vivre et prendre soin de celles-ci. Ceux qui furent envoyés à Lavinium pour avoir la garde de leurs rituels étaient au nombre de six cents; ils partirent avec armes et bagages, et Aegestos fut leur chef. 3. Ces dieux, le Romains les appellent Pénates. Ceux qui traduisent ce mot en grec le rendent par Patrôoi (ancestraux), d'autres par Genethlioi (familiers), certains par Ktêsioi (domestiques), d'autres par Mychioi (intérieurs), et encore par Herkeioi (d’enceinte). Il semble que chacun leur a donné le nom d'un de ses attributs, et il est probable qu'ils aient tous exprimé plus ou moins la même idée. 4. En ce qui concerne leur figure et leur aspect, Timée, l'historien, déclare que les objets sacrés préservés dans le sanctuaire de Lavinium sont des caducées en fer et en bronze et de la céramique troyenne; il dit qu’il l’a lui-même appris des habitants. Pour ma part, je crois que dans le cas de choses qu'il n'est pas permis à tous de voir, on ne peut en entendre parler que par ceux qui les voient et elles ne peuvent être décrites que par ces mêmes personnes; et je m’indigne contre ceux qui prétendent chercher ou savoir plus que ce qui est autorisé par loi. [1,68] LXVIII. 1. Mais les choses que je connais pour les avoir vues et pour lesquelles aucun scrupule ne m'interdit d'écrire sont celle-ci. On vous montre à Rome un temple construit pas loin du forum dans une ruelle qui mène aux Carènes; c'est un petit sanctuaire obscurci par la taille des bâtiments voisins. L'endroit s'appelle en langue indigène Velia. Dans ce temple il y a des images des dieux de Troie qu'il est permis à tous de voir, avec une inscription les désignant comme les Pénates. Il me semble en effet que la lettre thêta n’ayant pas encore été découverte, les anciens l’exprimaient par delta 2. Ce sont deux jeunes gens assis tenant des lances, et ce sont des oeuvres de facture antique. Nous avons vu aussi beaucoup d'autres statues de ces dieux dans des temples anciens et dans tous elles représentent deux jeunes gens en tenue militaire. Il est permis de les voir, et il est aussi permis d’écouter et d’écrire à leur sujet ce que raconte Callistratos, l'auteur de l'histoire de Samothrace, et aussi Satyros, qui a compilé les légendes anciennes, et beaucoup d'autres, parmi lesquels le poète Arctinos le plus ancien que nous connaissons. 3. Ce qui suit est donc l'exposé qu'ils donnent. Chrysè, fille de Pallas, lors de mon mariage avec Dardanos, apporta comme dot les cadeaux d'Athéna, c.-à-d., les Palladia et les symboles sacrés des Grands Dieux : elle avait été initiée à leurs mystères. Quand les Arcadiens, fuyant le déluge, quittèrent le Péloponnèse et établirent leur demeure dans l’île de Thrace, Dardanos y construisit un temple à ces dieux, dont il garda secret pour tous les autres les noms particuliers, et exécuta en leur honneur les mystères qui sont observés jusqu’à ce jour par le habitants de Samothrace. 4. Puis, quand il conduisit la plus grande partie de son peuple en Asie, il laissa les rites et les mystères sacrés des dieux à ceux qui restaient dans l’île, mais il rangea et emporta avec lui les Palladia et les images des dieux. Et consultant l'oracle sur l'endroit où il devrait s’installer, entre autres choses qu’il apprit, il reçut cette réponse concernant la garde des objets sacrés: "Dans la cité que tu vas fonder, vénère à jamais les dieux ancestraux; garde-les, fais leur des sacrifices, adore-les avec des chœurs. Tant que ces choses saintes demeureront dans votre terre, cadeaux de la fille de Zeus accordés à ton épouse, ta cité vivra éternellement en sécurité." [1,69] LXIX. 1. Dardanos donc laissa les statues dans la ville qu'il avait fondée et qui avait pris son nom, mais quand Ilion fut fondée plus tard, ces objets sacrés furent emportés par ses descendants; et les habitants d'Ilion construirent un temple et un sanctuaire pour eux sur le citadelle et les préservèrent avec le plus grand soin, considérant qu’ils étaient envoyés du ciel et que c'étaient des gages de la sûreté de la ville. 2. Et quand la ville basse fut prise, Énée, en possession de la citadelle, sortit du sanctuaire les images des grands dieux et le Palladium qui restaient encore (car Ulysse et Diomède, disent-ils, rentrant dans Ilion pendant la nuit, avaient volé le reste), et les emporta avec lui hors de la ville et les transporta en l'Italie. 3. Mais Arctinos dit que seulement un palladium fut donné par Zeus à Dardanos et que celui-ci resta dans Ilion, caché dans le sanctuaire, jusqu'à la prise de la ville; mais il y avait une copie de celui-ci, ressemblant tout à fait à l'original, et exposé à la vue de tous, pour tromper ceux qui auraient eu l’intention de le voler, et les Achéens, qui avaient formé ce projet, volèrent la copie. 4. Je dis donc, me basant sur l'autorité des gens mentionnés ci-dessus, que les objets sacrés introduits en l'Italie par Énée étaient les images des Grands Dieux, que les habitants de Samothrace, plus que tous les Grecs, honorent par le plus grand culte, et le palladium, célèbre dans la légende, ils disent qu’il est conservé par les vierges sacrées dans le temple de Vesta, où le feu perpétuel est également conservé; mais ces sujets seront traités après. Et il se peut également qu’il y ait d’autres objets en plus de ceux-là qui nous sont restés cachés, nous qui ne sommes pas des initiés. Mais assez pour les objets sacrés des Troyens. [1,70] LXX. 1. A la mort de d’Ascagne durant la trente-huitième année de son règne, Silvius, son frère, hérita du pouvoir. Il était né de Lavinia, fille de Latinus, après la mort d’Énée, et on dit qu'il fut élevé dans les montagnes par des bergers. 2. En effet quand Ascagne hérita de la royauté, Lavinia, craignant que son titre de belle-mère puisse être utilisé contre elle par celui-ci, et comme elle était enceinte, elle se confia à un certain Tyrrhénos, qui avait la charge des troupeaux de porcs royaux et qu’elle savait avoir très intime avec Latinus. Il la conduisit dans des bois isolés comme si elle était une femme ordinaire, et faisant attention qu'elle ne soit été vue quelqu’un qui la connaissait, il la fit vivre dans une maison qu’il construisit dans la forêt et qui n’était connue que par peu de gens. Et quand l'enfant naquit, il l’adopta et l'éleva, l'appelant Silvius à cause du bois, comme on dirait en Grec, Hylaios. 3. Mais au cours du temps, constatant que les latins recherchaient avec insistance la femme d’Énée et que le peuple accusait Ascagne de l'avoir mise à mort, Tyrrhénos les mit au courant de l’ensemble de l’affaire et ramena la femme et son fils de la forêt. C’est de là que Silvius eut son nom, comme je viens de le dire, et ainsi qu’à toute sa descendance. Et il devint roi après la mort de son frère, cependant non sans une dispute avec un des fils d'Ascagne, - Iulus, le plus vieux, - qui réclama la succession de son père. 4. L'issue de cette dispute fut décidée par un vote du peuple, influencé principalement, entre d'autres arguments, par cette considération : la mère de Silvius était héritière au royaume. A Iulus fut conféré, à la place de la souveraineté, une autorité sacrée et une dignité préférable à la dignité royale pour ce qui est de la sécurité et de la tranquillité de vie, et sa postérité, appelée les Julii d’après son nom, jouissait de cette prérogative jusqu’à mon époque. Cette maison devint la plus grande et en même temps la plus illustre de celles que nous connaissons, et produisit les chefs les plus distingués, dont les vertus étaient autant de preuves de leur noblesse. Mais en ce qui les concerne je dirai ce qu’il faut à un autre endroit. [1,71] LXXI. 1. Silvius, garda pendant vingt-neuf ans le pouvoir, lui succéda Énée, son fils, qui régna trente et un ans. Après lui, Latinus régna cinquante et un, puis Alba, trente neuf; après Alba, Capetus régna vingt-six ans, puis Capys vingt-huit, et après Capys, Capétus détint le pouvoir pendant treize ans. 2. Alors Tibérinus régna pendant huit ans. Ce roi, dit-on, fut massacré lors d’une bataille qui se passa près d'un fleuve, et emporté par le courant, il donna son nom au fleuve, qui auparavant s’appelait l'Albula. Le successeur de Tibérinus, Agrippa, régna quarante et un ans. 3. Après Agrippa, Allodius, une créature tyrannique et odieuse aux dieux, régna dix-neuf ans. Méprisant les puissances divines, il avait conçu d’imiter la foudre et les bruits ressemblant aux coups de tonnerre, avec lesquels il se proposait de terrifier les gens comme s’il était un dieu. Mais la pluie et la foudre s’abattirent sur sa maison, et le lac près duquel il habitait s’éleva à une hauteur peu commune, de sorte qu'il fut été accablé et noyé avec toute sa famille. Et maintenant quand le lac est limpide à certains endroits, chose qui se produit toutes les fois que le niveau de l'eau s'abaisse et que les profondeurs sont calmes, des ruines des portiques et d'autres traces d'une habitation apparaissent. 4. Aventinus, - c'est son nom que prit une des sept collines qui se sont jointes pour faire la ville de Rome, - prit sa succession et régna trente sept ans, et après lui Proca régna vingt-trois ans. Puis Amulius, usurpant le royaume qui appartenait à Numitor, son frère plus âgé, régna quarante-deux ans. 5. Mais quand Amulius fut massacré par Romulus et Rémus, les fils de la vierge sacrée, comme je vais bientôt le raconter, Numitor, le grand-père des jeunes gens, après la mort de son frère reprit le pouvoir qui lui appartenait légalement. L’année qui suivit l’avènement de Numitor, qui était la quatre cent trente- deuxième après la prise de Troie, les Albains envoyèrent une colonie, sous la conduite de Romulus et de Rémus, et Rome fut fondée, au début de la première année de la septième olympiade, quand Daïcles de Messène fut vainqueur dans la course de pied, et à Athènes Charops était dans la première année sur les dix de son archontat. [1,72] LXXII. 1. Mais comme il y a une grande contestation au sujet la période de la fondation de la ville et sur ses fondateurs, j'ai pensé qu’il m’incombait aussi de ne pas donner simplement un exposé rapide de ces choses, comme si elles étaient universellement approuvées. Cephalon de Gergis, un auteur très ancien, dit que la ville a été construite durant la deuxième génération après que la guerre de Troie par ceux qui s'étaient échappés de Troie avec Énée, et il cite comme fondateur de la ville Romos, qui était le chef la colonie et un des fils d'Énée; il ajoute qu’Énée eut quatre fils, Ascagne, Euryleon, Romulos et Romos. Et Demagoras, Agathyllos et beaucoup d'autres sont du même avis sur la chronologie et sur le chef de la colonie. 2. Mais l'auteur de l'histoire des prêtresses d’Argos et de ce qui s'est produit à l’époque de chacune d'elles (Hellanicus) dit qu'Énée, arriva en Italie du pays des Molosses avec Ulysse et il fut le fondateur de la ville, qu'il appela Romè, d’u nom d’une des femmes de Troie. Il dit que cette femme, lasse d’errer, poussa les autres femmes de Troie à se révolter et avec elles incendia les navires. Damastes de Sigée et quelques autres sont d’accord avec lui. 3. Mais Aristote, le philosophe, raconte qu'une partie des Achéens, alors qu'ils doublaient le cap Malée en revenant de Troie, furent pris dans un orage violent, et déviés pendant un certain temps de leur course par les vents, ils errèrent en haute mer, jusqu'à ce qu'enfin ils arrivèrent à cet endroit dans la terre des Opiques qui s'appelle Latinion, qui se trouve sur la mer Tyrrhénienne. 4. Et heureux de voir la terre, ils tirèrent leurs navires, y passèrent l'hiver, et se préparèrent à naviguer au début du printemps; mais comme leurs vaisseaux avaient brûlé durant la nuit et qu’ils ne pouvaient plus naviguer, ils furent obligés contre leur volonté de fixer leur demeure dans l'endroit où ils avaient débarqué. Ce malheur, disent-ils, leur advint du fait des captives emmenées de Troie, qui brûlèrent les vaisseaux de crainte que les Achéens ne retournent chez eux pour les réduire en esclavage. 5. Callias, qui a écrit les exploits d'Agathocle, dit qu’une Romè, un des femmes troyennes qui arriva en Italie avec les Troyens, maria Latinus, roi des Aborigènes, de qui elle eut trois fils, Romos, Romulos et Telegonos qui construisirent une ville et lui donnèrent le nom de leur mère. Xenagoras, l'historien, dit qu'Ulysse et Circé eurent trois fils, Romos, Anteias et Ardeias, qui construisirent trois villes et les appelèrent de leurs noms. 6. Denys de Chalcis cite Romos comme fondateur de la ville, mais indique que ce selon certains cet homme était le fils d'Ascagne, et selon d'autres le fils d'Emathion. Il y a d'autres qui déclarent de Rome fut fondée par Romos, le fils d'Italus et de Leucaria, la fille de Latinus. [1,73] LXXIII. 1. Je pourrais citer beaucoup d'autres historiens grecs qui donnent différents fondateurs à la ville, mais, pour ne pas paraître prolixe, j’en arrive aux historiens romains. Bien que les Romains n'aient pas un seul historien ou logographe ancien, cependant, chacun de leurs historiens a tiré quelque chose des récits antiques conservés sur les tablettes sacrées. 2. Certains d’entre eux disent que Romulus et Rémus, les fondateurs de Rome, étaient les fils d’Énée, d'autres disent qu'ils étaient les fils d'une fille d’Énée, sans pouvoir déterminer qui était leur père; qu'ils ont été livrés comme otages par Énée à Latinus, roi des Aborigènes, quand un traité fut conclu entre les habitants et les nouveaux venus, et que Latinus, après les avoir accueillis avec bonté, non seulement il les combla de faveurs, mais, lors de sa mort sans descendance masculine, il les laissa comme successeurs d’une partie de son royaume. 3. D'autres racontent qu’après la mort d’Énée Ascagne, ayant hérité de la souveraineté entière des latins, divisa le pays et les forces des latins en trois parties, dont deux furent données à ses frères, Romulus et Rémus. Lui-même, disent-ils, fonda Albe et quelques autres villes; Rémus construisit des villes qu'il appela Capoue, du nom de son arrière-grand-père Capys, Anchisa, s’après son grand-père Anchise, Aeneia (qui s'est ensuite appelée Janiculum), d’après son père, et Rome, d’après son propre nom. Cette dernière ville fut pendant un certain temps abandonnée, mais à l'arrivée d'une autre colonie, que les Albains avaient envoyée sous la conduite de Romulus et de Rémus, elle retrouva son ancien nom. De sorte que, selon leur récit, il y eut deux fondations de Rome, l’une après la guerre de Troie, et la seconde quinze générations après la première. 4. Et si quelqu’un qui désire examiner un passé plus lointain, il trouvera une même troisième Rome, plus ancienne que ces deux premières, qui fut fondée avant Énée et les Troyens venus en Italie. Ceci n’est pas rapporté par un historien quelconque ou moderne, mais par Antiochus de Syracuse, que j'ai mentionné plus haut. Il dit que quand Morges régnait sur Italie (qui à ce moment- là comprenait tout le littoral entre Tarente et Posidonia), un homme qui avait été banni de Rome arriva chez lui. Voici ce qu’Antiochos dit : "Quand Italus devint vieux, Morges devint roi. Durant son règne vint un homme qui avait été banni de Rome; il s’appelait Sikélos." 5. Donc selon l'historien de Syracuse, on trouve une Rome ancienne antérieure à la guerre de Troie. Cependant il garde un flou artistique sur le fait de savoir si elle était située dans la même région que la ville actuelle ou si il y avait un autre endroit qui portait le même nom. Aussi je ne peux former aucune conjecture. Mais en ce qui concerne les fondations antiques de Rome, je pense que ce que j’ai déjà dit est suffisant. [1,74] LXXIV. 1. En ce qui concerne le dernier peuplement ou la dernière fondation de la ville, ou quel que soit la façon dont nous devons l'appeler, Timée de la Sicile, suivant je ne sais quel principe, la place du temps de la fondation de Carthage, c.-à-d., la trente-huitième année avant la première olympiade; Lucius Cincius, un membre du sénat, la place la quatrième année de la douzième olympiade, et Quintus Fabius la première année de la huitième olympiade. 2. Porcius Caton ne se base pas sur la chronologie grecque, mais est aussi attentif que n'importe quel auteur quand il s’agit des dates de l'histoire antique : il place la fondation quatre cents trente-deux ans après la guerre de Troie; et comparant cette date aux Chroniques d'Ératosthène, cela correspond à la première année de la septième olympiade. Que la méthode d'Ératosthène soit valable, je l’ai montré dans un autre traité, où j'ai également montré comment la chronologie romaine doit être harmonisée avec celle des Grecs. 3. Je pensais en effet qu’il ne suffisait pas de dire, comme Polybe de Mégalopolis, « Je crois que Rome a été fondée la deuxième année de la septième olympiade », et laisser cette conviction sans autre preuve qu’une seule tablette conservée par les grands pontifes, mais je suis déterminé à donner les raisonnement auxquels j’ai fait appel, de sorte que tous ceux qui le désirent pourront les examiner. 4. Dans ce livre se trouve l'exposition détaillée; mais au cours de l’ouvrage actuel seront aussi mentionnées l’essentiel des conclusions. Voici le détail : on convient généralement que l'invasion des Gaulois, durant laquelle la ville de Rome fut prise, se produisit pendant l'archontat de Pyrgion à Athènes, la première année de la quatre-vingt-dix-huitième olympiade. Si l'on remonte le temps avant la prise de la ville jusqu’à Lucius Junius Brutus et à Lucius Tarquinius Collatinus, les premiers consuls à Rome après le renversement des rois, on arrive à cent vingt ans. 5. Cela est prouvé de beaucoup de façons mais en particulier par les registres des censeurs, qu’on reçoit en succession de son père et dont on fait grande attention à transmettre à sa descendance, comme des rites de famille; et il y a beaucoup d'hommes illustres de familles censoriales qui conservent ces registres. Dans ceux-ci je constate que la deuxième année avant la prise de la ville il y eut un recensement fait par le peuple romain, où il est écrit, comme dans les autres, la date que voici: sous le consulat de Lucius Valerius Potitus et de Titus Manlius Capitolinus, la cent dix-neuvième années après l'expulsion des rois 6. De sorte que l'invasion gauloise, que nous trouvons s’être produite la deuxième année après le recensement, s’est produite quand les cent vingt années se sont terminées. Si, maintenant, cet intervalle de temps s'avère se composer de trente olympiades, on conviendra que les premiers consuls désignés ont commencé leur magistrature la première année de la soixante- huitième olympiade, la même année de l’Archontat d’Isagoras à Athènes. [1,75] LXXV. 1. Et encore, si l'on compte le temps de l'expulsion des rois jusqu’à Romulus, le premier chef de la ville, on arrive à deux cents quarante-quatre ans. On le sait grâce à l’ordre de succession des rois et par le nombre d'années pendant lesquelles chacun d'eux a régné. Romulus, le fondateur de Rome, régna trente-sept ans, dit-on, et après sa mort la ville resta une année sans roi. 2. Ensuite Numa Pompilius, qui fut choisi par le peuple, régna quarante-trois ans; après Numa, Tullus Hostilius, trente-deux ans; et son successeur, Ancus Marcius, vingt-quatre; après Marcius, Lucius Tarquinius, appelé Priscus, tente-huit; Servius Tullius, qui lui succéda, quarante-quatre. Et le meurtrier de Servius, Lucius Tarquinius, prince tyrannique qui, par son mépris de la justice, fut appelé Superbus, prolongea son règne jusqu’à la vingt-cinquième année. 3. Donc comme les règnes des rois s'élèvent à deux cents quarante-quatre ans ou soixante et une olympiades, il s’ensuit nécessairement que Romulus, la premier chef de la ville, commença à régner la première année de la septième olympiade, quand Charops à Athènes commença la première année des dix ans de son archontat. C’est ce qu’exige le décompte des années ; et que chaque roi ait régné ce nombre d'années, je le montre dans mon traité auquel je me suis référé. 4. Tel est donc l'exposé donné par ceux qui ont vécu avant moi et adopté par moi sur la période de la fondation de la ville qui règne maintenant sur l’univers. Quant à ses fondateurs, qui ils étaient et par quelles circonstances de la fortune ils ont été amenés à envoyer une colonie, et tous les autres détails qu’on rapporte sur cette fondation, tout ceci a été raconté par beaucoup de gens, et la plus grande partie de façon différente par chacun; et moi, je relaterai les faits les plus crédibles de ces histoires. Les voici. [1,76] LXXVI. 1. Quand Amulius hérita du royaume des Albains, après avoir exclu de force son frère plus âgé Numitor de la dignité qu'il tenait de son père, montra non seulement un grand mépris pour la justice dans tout ce qu’il fit, mais finalement il complota pour priver la famille de Numitor de descendance, de crainte de d’être puni pour son usurpation et également en raison de son désir de n’être jamais dépossédé de la royauté. 2. Comme il avait prémédité longtemps ce projet, il observa d’abord le voisinage d’Egeste, le fils de Numitor, qui venait juste d’arriver à l’âge d’homme, le suivant à la chasse, et après avoir monté une embuscade dans la partie la plus cachée de l’endroit, il le fit massacrer alors qu’il avait sorti pour chasser; et après que le meurtre fut commis il s'arrangea pour faire croire que le jeune homme avait été tué par des voleurs. Mais cette rumeur inventée ne put surplanter la vérité qu'il essayait de tenir cachée, et beaucoup de gens, bien qu'il soit dangereux d’agir ainsi, essayèrent de dire ce qui s’était passé. 3. Numitor se rendait compte du crime, mais sa raison l’emportait sur sa peine et il affecta l'ignorance, décidant de reporter son ressentiment à un temps moins dangereux. Et Amulius, supposant que la vérité sur le jeune homme avait été gardé secrète, mit sur pieds un deuxième plan, comme suit: il nomma la fille de Numitor, Ilia, ou, comme le disent d’autres, Rhea, surnommée Silvia, - qui était alors à l’âge du mariage, prêtresse de Vesta, de peur que, si elle entrait une première fois dans la maison d'un mari, elle puisse engendrer des vengeurs pour sa famille. Ces jeunes filles consacrées à qui l'on confiait la garde du feu perpétuel et la mise en oeuvre de tous les autres rites qui, selon l’usage, étaient exécutés par des vierges au nom de la communauté, devaient rester pures pendant une période d’au moins cinq ans. 4. Amulius effectuait son plan sous des prétextes spécieux, en prétendant conférer honneur et dignité à la famille de son frère; il n'était pas l'auteur de cette loi, qui était générale, et son frère n’était pas la première personne de haut rang qu'il obligeait à lui obéir, mais il était usuel et honorable chez les Albains pour des vierges de haute naissance d'être nommées au service de Vesta. Mais Numitor, percevant que les mesures de son frère ne procédaient d'aucune bonne intention, dissimula son ressentiment, de peur de devoir encourir la haine du peuple, et garda pour lui ses plaintes aussi en cette occasion. [1,77] LXXVII. 1. La quatrième année après cela, Ilia, alors qu’elle se rendait dans un bois consacré à Mars pour chercher de l'eau pure pour s’en servir lors les sacrifices, fut violée par quelqu'un dans l'enceinte sacrée. Certains disent que l'auteur du viol était un des prétendants de la vierge, qui avait été emporté par sa passion pour la jeune fille; d'autres disent que c'était Amulius lui-même, et que c'était non par désir mais pour la détruire qu'il s'était couvert d’une armure que le rendrait plus terrible au regard et qu'il avait dissimulé ses traits le plus efficacement possible. 2. Mais la plupart des auteurs racontent une histoire fabuleuse en disant que c’était une apparition de la divinité à qui l'endroit était consacré; et ils ajoutent que le merveilleux fut accompagné de beaucoup de signes surnaturels, y compris la disparition soudaine du soleil et une obscurité qui remplit le ciel, et que l’apparence de l’apparition était bien plus merveilleuse en stature et en beauté que celle d'un homme. Et ils disent que le violeur, pour consoler celle-ci (ce qui montre clairement que c'était un dieu), lui demanda de ne pas s'affliger de ce qui s'était produit, puisqu'elle s’était unie dans le mariage à la divinité du lieu et de ce viol naîtraient deux fils qui surpasseraient de loin tous les hommes par leur valeur et par leurs exploits guerriers. Et ayant dit cela, il fut enveloppé d'un nuage et, s’élevant de la terre, il fut emporté dans les airs. 3. Ce n'est pas l’endroit approprié pour examiner quelle opinion nous devons avoir sur de tels contes ; devons-nous les dédaigner comme exemples de faiblesse humaine attribuée aux dieux, - puisque un dieu est incapable d’action qui soit indigne de sa nature incorruptible et sacrée, - devons-nous admettre aussi ces histoires, en supposant que toute la substance de l'univers est mélangée, et qu'entre la race des dieux et celle des hommes il y a une troisième nature qui est celle des démons, qui, s’unissant parfois aux êtres humains et parfois aux dieux, donnent, dit-on, la race fabuleuse des héros ? Moi je dis que ce n’est pas l’endroit approprié pour examiner ces choses, et, d'ailleurs, ce que les philosophes ont dit à ce sujet est suffisant. 4. Mais, pour revenir à nos moutons, après avoir été violée la jeune fille simula une maladie (c’est ce que lui conseilla sa mère pour sa propre sécurité et pour ses devoirs sacrés envers les dieux) et elle ne s’occupa plus des sacrifices, mais ses fonctions furent accomplies par les autres vierges qui exécutaient avec elle le même ministère. [1,78] LXXVIII. 1. Mais Amulius, soit qu’il connaissait ce qui s'était produit soit par un soupçon normal de la vérité, commença à s’informer sur sa longue absence des sacrifices, afin d’en découvrir la vraie raison. À cet effet il envoya quelques médecins en qui il avait la plus grande confiance; et alors, comme les femmes disaient que son mal était un mal qui devait être maintenu secret aux hommes, il envoya son épouse pour l’observer. 2. Celle-ci, ayant par des indices féminins découvert des signes était secrets pour d’autres, l’informa, et lui, de peur que la fille accouche en secret, parce qu’elle arrivait à l’heure de sa délivrance, il plaça des gardes armés près d’elle. Et appelant son frère au conseil, il lui annonça non seulement que sa fille avait été déflorée, chose que tout le monde ignorait, mais accusa aussi ses parents d'être complices; et il ordonna à Numitor de ne pas cacher le coupable, mais de le dénoncer. 3. Numitor dit qu'il était stupéfait de ce qu'il entendait, et protestant de son innocence sur tout qui était allégué, demanda du temps pour examiner la vérité. Il obtint avec difficulté un délai, et informant son épouse de l'affaire. Celle-ci lui apprit que sa fille lui avait tout raconté dès le début. Il mit au courant le conseil du viol commis par le dieu et rapporta également ce que le dieu avait dit au sujet des jumeaux, et demanda que l’on croit en son histoire si seulement le fruit de l’enfantement s'avérait être tel que le dieu l’avait prévu; comme la délivrance était proche maintenant, s'ils n'agissaient pas imprudemment, tout s'éclaircirait. D'ailleurs, il offrit de mettre à leur disposition les femmes qui observaient sa fille, et il était prêt à se soumettre à n’importe quel interrogatoire. 4. En parlant ainsi il persuada la majorité des membres du conseil, mais Amulius déclara que ses demandes n’étaient pas tout à fait sincères, et manifesta le désir de faire périr la fille de n'importe quelle façon. Tandis que ceci se passait, ceux qui étaient chargés de la garde d'Ilia jusqu’à l’accouchement vinrent annoncer qu'elle avait donné naissance à des jumeaux masculins. Et aussitôt Numitor insista sur les mêmes arguments, montrant que c’était l’œuvre du dieu et exigeant qu'ils ne prennent aucune mesure illégale contre sa fille, qui était innocente de son état. D'autre part, Amulius pensa qu’en liaison avec cet accouchement il y avait eu une machination humaine et que les femmes avaient présenté un autre enfant en cachette des gardes ou en connivence avec eux, et il parla beaucoup sur ce sujet. 5. Quand les membres du conseil constatèrent que la décision du roi était inspirée par une colère implacable, ils décidèrent aussi, comme le roi l’exigeait, de faire appliquer la loi qui ordonnait à une Vestale qui avait fauté d’être battue à coup de verges jusqu'à ce que mort s'ensuive et de jeter sa progéniture dans le cours du fleuve. Aujourd’hui cependant, les lois sacrées ordonnent que de telles coupables soient enterrées vivantes. [1,79] LXXIX. 1. Jusque maintenant la plupart des historiens donnent le même exposé ou diffèrent mais légèrement, certains dans la direction légendaire, d'autres vers le vraisemblable; mais ils sont en désaccord dans ce qui suit. 2. Certains disent que la fille fut mise à la mort immédiatement; d'autres qu'elle resta gardée dans une prison secrète, c’est ce qui a fait croire au peuple qu'elle fut mise à mort secrètement. Ces derniers auteurs disent qu'Amulius se laissa fléchir quand sa fille le pria de lui accorder la vie de sa cousine : elles avaient été élevées ensemble et étaient du même âge, elles s’aimaient comme des sœurs. Amulius, en conséquence, pour lui faire plaisir, - elle était fille unique, - sauva Ilia de la mort, mais la maintint confinée dans une prison secrète; et elle fut plus tard libérée à la mort d'Amulius. 3. Tels sont les récits différents des auteurs antiques en ce qui concerne Ilia, mais les deux avis on chacun leur part de vérité; c’est pourquoi je les ai également mentionnés tous les deux, mais chacun de mes lecteurs décidera de ce qu’il doit croire. 4. Mais en ce qui concerne les enfants d'Ilia, Quintus Fabius, dit Pictor, Lucius Cincius, Porcius Caton, Calpurnius Pison et la plupart des autres historiens qui suivirent écrivent ceci: Sur ordre d'Amulius des domestiques prirent les bébés dans une corbeille et les portèrent au fleuve, éloigné environ de cent vingt stades de la ville, avec l'intention de y jeter. 5. Mais quand ils approchèrent et qu’ils virent que le Tibre, gonflé par les pluies continuelles, avait abandonné son lit normal et avait débordé dans les plaines, ils descendirent du Palatin vers cette partie de l'eau qui était la plus proche (ils ne pouvaient s’avancer plus loin) et déposèrent la corbeille là où l'inondation touchait le pied de la colline. La corbeille flotta un certain temps, et puis, comme les eaux se retiraient par degrés de ses limites extrêmes, elle heurta une pierre et, se retournant, elle projeta les bébés, qui pleurnichaient et se vautraient dans la boue. 6. Alors une louve qui venait de mettre bas apparut : elle avait ses mamelles gonflées de lait, elle leur donna ses tétines à sucer et avec sa langue lécha la boue dont ils étaient couverts. Au même moment des bergers par hasard conduisaient justement leurs troupeaux au pâturage (l'endroit était maintenant devenu praticable) et l’un d'eux, voyant la louve caressant les bébés, fut pendant un moment béat d’étonnement et d’incrédulité en voyant cela. Puis il retourna et réunit le plus qu’il pouvait de ses camarades qui gardaient leurs troupeaux aux environs (ils ne crurent pas ce qu’il disait), il les mena voir la chose elle-même. 7. Quand ceux-ci approchèrent également et virent la louve s'occupant des bébés comme s’ils avaient été ses jeunes et les bébés s'accrochant à elle comme si elle était leur mère, ils pensèrent qu’ils voyaient une chose surnaturelle et s’avancèrent plus près, criant pour terrifier la créature. La louve, cependant, loin d’être exaspéré de l'approche des hommes, mais comme si elle était docile, s’éloigna lentement des bébés et s’en alla sans prêter attention à la cohue des bergers. 8. Alors il y avait non loin de là un endroit sacré, recouvert d’un bois épais, et d'une roche creuse de laquelle jaillissaient des sources; on disait que ce bois était consacré à Pan, et il y avait là un autel de ce dieu. C’est à cet endroit que la louve vint se cacher. Ce bois n’existe plus, mais la caverne où coulent les sources est encore présente, construite sur le côté du Palatin sur la route qui mène au cirque, et tout près il y a une enceinte sacrée dans laquelle se trouve une statue commémorant l’événement; elle représente une louve allaitant deux enfants en bas âge, les figures sont en bronze et d’exécution ancienne. On dit que cette endroit est un sanctuaire des Arcadiens qui autrefois y habitèrent avec Evandre. 9. Dès que la bête s’en fut allée, les bergers prirent les bébés, et croyant que le dieu désirait qu’ils soient sauvés, ils les emportèrent. Il y avait parmi eux le garde des porcheries royales, dont le nom était Faustulus, un homme bon, qui s’était trouvé en ville pour quelques affaires nécessaires au moment où le viol d’Ilia et son accouchement furent rendus publics. Et ensuite, quand les bébés furent emportés au fleuve, par un hasard providentiel il avait pris la même route vers le Palatin et il rencontra ceux qui les transportaient. Cet homme, sans laisser absolument rien voir aux autres de ce qu’il savait sur l'affaire, demanda que les bébés lui fussent confiés, et après les avoir reçus d’un consentement général, il les porta chez lui à son épouse. 10. Et constatant qu'elle venait de donner naissance à un enfant et qu’elle s'affligeait parce qu'il était mort-né, il la consola et lui donna ces enfants pour le remplacer, lui racontant chaque circonstance de leur fortune depuis le début. Et quand ils furent devenus grands il donna à l’un le nom de Romulus et à l'autre celui de Remus. Quand ils arrivèrent à l’âge d’hommes, par la noblesse de leur aspect et par la hauteur de l'esprit , ils ne se conduisirent pas tous les deux comme des porchers ni comme des bouviers, mais tels qu’on pourrait s'attendre d’enfants issus de sang royal et considérés comme descendants des dieux; et c’est en tant que tels qu’ils sont encore célébrés par le Romains dans les hymnes de leur pays. 11. Mais leur vie était celle de bouviers, et ils vivaient de leur seul travail, généralement sur les montagnes dans des huttes qu'ils construisaient dont les toits et tout le reste étaient faits de bois et de roseaux. Une de celles-ci, appelée la hutte de Romulus, existait encore de mon temps sur le flanc du Palatin qui fait face au cirque, et elle est gardée comme une chose sacrée par ceux qui ont la charge de ces choses; ils n'ajoutent rien pour la rendre plus majestueuse, mais si une partie de celle-ci est endommagée par des orages ou par la faute du temps, ils réparent les dommages et reconstituent la hutte pour lui redonner autant que possible son aspect ancien. 12. Quand Romulus et Remus eurent environ dix-huit ans, ils y eut un conflit au sujet du pâturage avec les bouviers de Numitor, dont les troupeaux paissaient sur l’Aventin, situé en face du Palatin. Ils s’accusent fréquemment les uns les autres de faire paître leurs bêtes sur des prés qui ne leur appartenaient pas ou de monopoliser ceux qui appartenaient à tous les deux en commun, ou de n’importe quoi d’autre. En se disputant ils en arrivaient parfois aux coups et puis aux armes. 13. Finalement les gens de Numitor, ayant reçu beaucoup de blessures de la part des jeunes gens, ayant perdu une partie des leurs et étant enfin chassés de force de leur territoire au cours de leur dispute, conçurent un stratagème contre eux. Ils dressent un embuscade dans la partie cachée du ravin et après s’être concertés sur le moment de l'attaque avec ceux devaient surprendre les jeunes gens, le reste de la bande attaqua les étables des jeunes gens durant la nuit. Cela se produisit sans la présence de Romulus : il était parti, ainsi que les chefs du village, dans à un endroit appelé Caenina pour offrir des sacrifices pour la communauté selon la coutume du pays. 14. Mais Remus, informé de l'attaque de l'ennemi, s’arma à la hâte et avec quelques uns des villageois qui s'étaient déjà réunis sortit pour s'opposer à eux. Mais ceux-ci, au lieu de l'attendre, se retirèrent, pour l’amener à l'endroit où ils avaient l'intention de faire volte-face et de l'attaquer à leur avantage. Remus, ignorant leur stratagème, les poursuivit sur une longue distance, jusqu'à ce qu'il dépasse l'endroit où était dressée l'embuscade; sur quoi ces hommes se relevèrent et en même temps les autres qui étaient en fuite firent volte-face. Et l'entourage de Remus et de ses hommes, accablés de pierres furent fait prisonniers; ils avaient reçu l’ordre de leurs maîtres de leur amener les jeunes gens vivants. Ainsi Remus fut capturé et emmené. [1,80] LXXX. 1. Mais Aelius Tubero, un homme habile et expert dans la collecte des données historiques, écrit que les gens de Numitor, sachant à l'avance que les jeunes gens allaient célébrer en l'honneur de Pan les Lupercales, une fête arcadienne instituée par Evandre, dressa une embuscade au moment dans la célébration quand les jeunes gens vivant près du Palatin devaient, après avoir offert un sacrifice, partir du Lupercal et courir nus autour du village, leur corps entourés des peaux des victimes tout juste sacrifiées. Cette cérémonie avait comme signification une sorte de purification traditionnelle des villageois, et est toujours exécutée même à ce jour. 2. À cette occasion, donc, les bouviers attendaient dans la partie étroite de la route les jeunes gens qui participaient à la cérémonie, et quand la première bande conduite par Remus arriva à leur hauteur, derrière laquelle se trouvaient Romulus et le reste de la bande (ils s’étaient divisés en trois bandes et couraient à distance les uns des autres), sans attendre les autres ils poussèrent un cri et se précipitèrent tous sur le premier groupe, et, les entourant, certains lancèrent des aiguillons, d'autres des pierres, et d'autres ce qui leur tombait sous la main. Et les jeunes gens, frappés par l'attaque inattendue et ne sachant que faire, combattaient sans armes contre des gens armés et furent facilement maîtrisés. 3. Remus, donc, tombé aux mains de l'ennemi de cette manière ou de la manière racontée par Fabius, fut emmené enchaîné à Albe. Quand Romulus entendit ce qui était arrivé à son frère, il pensa qu'il devait le suivre immédiatement avec les plus vigoureux des bergers dans l'espoir de rattraper Remus tandis qu'il était toujours sur la route, mais il fut dissuadé par Faustulus. Voyant en effet que sa fougue était trop violente, cet homme, qui était considéré comme le père des jeunes gens et qui avait jusqu'ici gardé le secret sur eux, par crainte qu'ils ne se lancent dans une entreprise dangereuse avant d’être dans la force de l’âge, ce jour-là poussé par la nécessité, il prit à part Romulus et lui révéla toute la vérité. 4. Quand le jeune homme eut appris toutes les circonstances de sa fortune depuis le début, il éprouva de la compassion pour sa mère et de la sollicitude pour Numitor. Et après avoir beaucoup délibéré avec Faustulus, il décida de renoncer à son plan d’attaque immédiate, et de rechercher de plus grandes forces, afin de libérer son famille entière de l’usurpation d'Amulius, et il résolut de ne risquer de très grands périls que pour de très grandes récompenses, et d’agir de concert avec son grand-père uniquement dans ce qui semblerait bon à celui-ci. [1,81] LXXXI. 1. Ce plan fut considéré comme le meilleur. Romulus appela tous les habitants du village et après leur avoir demandés se hâter vers Albe immédiatement, mais pas tous par les mêmes portes ni en une seule troupe, de peur d’éveiller les soupçons des citoyens, et alors de rester sur le marché et d'être prêts à faire de qu’on lui demanderait. Lui-même partit d'abord pour la ville. 2. En attendant ceux qui conduisaient Remus le menèrent devant le roi, se plaignirent des traitements indignes qu'il avaient reçu de la part des jeunes gens, montrant leurs blessures, et menaçant, s’ils ne trouvaient aucune réparation, d'abandonner leurs troupeaux. Et Amulius, désirant plaire à ses compatriotes, qui étaient venus en grands nombres, et à Numitor (il se trouvait justement là et partageait l'exaspération de ses employés), et cherchant à obtenir la paix dans tout le pays, et en même temps suspectant l’impudence du jeune homme, si courageux dans ses réponses, le jugea coupable; mais il laissa le choix de la punition à Numitor, en disant que celui qui était l’auteur de dommages ne pouvait être puni par personne d’autre que par celui qui avait souffert ces dommages. 3. Pendant que les bouviers de Numitor emmenaient Remus les mains liées derrière le dos et qu’ils se moquaient de lui, Numitor le suivit et non seulement il admirait la grâce de se son corps qui était tout à fait royale, mais il observait aussi sa noblesse d'esprit, qu'il gardait même dans la détresse, sans lamentations ni supplications, comme tous le font dans un tel malheur, mais avançant vers son destin dans un silence plein de décence. 4. Lorsqu’ils arrivèrent chez lui, il ordonna à tout le monde de se retirer, et resté seul avec Remus, il lui demanda qui il était et quels étaient ses parents; il ne croyait pas qu'un tel homme pouvait être de naissance médiocre. Remus répondit qu’il ne savait que ce qu'il avait entendu de l'homme qui l'avait élevé, à savoir que son frère jumeau et lui avaient été exposés dans un bois dès leur naissance et qu’ils avaient été recueillis par des bergers et avaient été élevé par eux. Alors Numitor, après une courte pause, soit qu'il suspectait une partie de la vérité soit que le ciel lui envoyait la lumière, lui dit : 5. "Je n'ai pas besoin de te dire, Remus, que tu es en mon pouvoir pour être puni de quelque manière que je jugerai bon, et que ceux qui t’ont amené ici, pour avoir souffert beaucoup de maux pénibles de ta part, donneraient beaucoup pour que tu sois mis à mort. Mais tout cela tu le sais bien. Si je ne te donne pas la mort mais n’importe quelle autre punition, me montreras-tu de la gratitude et me serviras-tu quand je voudrai ton aide dans une affaire qui sera avantageuse pour l’un et pour l’autre?" 6. La jeune homme dans sa réponse dit que l'espoir de vivre incite ceux qui sont dans le désespoir à dire et à promettre à ceux de qui leur destin dépend. Numitor le fit délier. Et ordonnant à tout le monde de quitter l'endroit, il le mit au courant de ses propres malheurs - comment Amulius, bien que son frère, l'avait privé de son royaume et l'avait privé de ses enfants, après avoir massacré secrètement son fils tandis qu'il était à la chasse et qu’il maintenait sa fille en prison, et en outre qu’il continuait à le traiter car un maître traiterait son esclave. [1,82] LXXXII. 1. Après avoir parlé en accompagnant ses paroles de beaucoup de lamentations, il demanda à Remus de venger les maux de sa maison. Et quand le jeune homme eut accepté avec joie la proposition et qu’il lui eut demandé de le mettre au travail immédiatement, Numitor loua son ardeur et lui dit : "C’est moi- même qui déterminerai le moment approprié pour l'entreprise; mais en attendant envoie un message en privé à ton frère, l'informant que tu es sain et sauf et lui demandant de venir ici très rapidement." 2. On trouva un homme qui semblait faire l’affaire et sur quoi on l’envoya; et rencontrant Romulus non loin de la ville, il lui donna son message. Romulus fort joyeux arriva rapidement chez Numitor; et après les avoir embrassés tous les deux, d’abord il les remercia, puis il raconta comment son frère et lui avaient été exposés et élevés et toutes les autres circonstances qu'il avait apprises de Faustulus. Les autres, qui souhaitaient que son histoire puisse être vraie et qui n’avaient pas besoin de preuves pour croire, entendirent ce qu’il disait avec plaisir. Et dès qu'ils se reconnurent les uns les autres, ils commencèrent par discuter ensemble et recherchèrent la méthode et l'occasion appropriées pour attaquer. 3. Tandis qu'ils étaient ainsi occupés, Faustulus fut emmené devant Amulius. Craignant que l'information fournie par Romulus ne puisse pas être crue par Numitor, dans une affaire si considérable, sans preuves manifestes, peu après il se rendit en ville en emmenant la corbeille comme preuve de l’exposition des nouveaux-nés. 4. Mais comme il franchissait les portes dans une grande confusion, prenant toutes les précautions possibles pour cacher ce qu'il portait, un des gardes l’observa (on craignait une incursion de l'ennemi et les portes étaient gardées par ceux en qui le roi avait entièrement confiance) et le fit arrêter; et exigeant de savoir ce qu'était l'objet caché, il le force enlever son vêtement. Dès qu'il vit la corbeille et vit l’embarras de l'homme, il exigea de connaître la cause de sa confusion et pourquoi il ne voulait pas introduire ouvertement un article qui n'exigeait aucun secret. 5. Pendant ce temps, un grand nombre de gardes s’amenèrent et l’un d'eux reconnut la corbeille, car c’était lui qui avait porté les enfants dedans au fleuve; et il en informa ceux qui étaient présents. Alors ils saisirent Faustulus, et l’emmenèrent chez le roi lui-même, le mirent au courant de tout ce qui s’était passé. 6. Amulius, ayant terrifié l'homme par la menace de la torture s'il ne disait pas volontairement la vérité, d'abord lui demanda si les enfants étaient vivants; et apprenant qu'ils l’étaient, il désira savoir de quelle façon ils avaient été sauvés. Et quand l'autre lui eut donné un exposé complet de tout ce qui s'était produit, le roi dit: "Eh bien ! puisque tu as dit la vérité sur cela, dis-moi où ils peuvent maintenant être; il n'est pas digne que des gens de ma famille puissent vivre plus longtemps dans la honte au milieu des bergers, en particulier parce que c’est grâce à la providence des dieux qu’ils doivent d’être sauvés." [1,83] LXXXIII. 1. Mais Faustulus, suspectant de l’indulgence inattendue du roi que ses intentions ne soient pas en harmonie avec ses paroles, lui répondit de cette manière: "Les jeunes gens sont dans les montagnes en train de faire paître leurs troupeaux : c’est leur façon de vivre, et ils m’ont envoyé à leur mère pour lui expliquer leur situation; mais, entendant dire qu'elle était sous ta garde, j'avais l'intention de demander à ta fille de me mener à elle. Et j'apportais la corbeille avec moi pour fournir à mes paroles une preuve manifeste. Mais maintenant, puisque tu as décidé de faire venir les jeunes gens ici, j’en suis non seulement heureux, mais je te demande d'envoyer avec moi les gens que tu voudras. Je leur montrerai les jeunes gens et ils les mettront au courant de vos ordres." 2. Il disait cela dans le désir de découvrir quelques moyens de retarder la mort des jeunes gens et en même temps dans l'espoir de pouvoir s’évader des mains de ceux qui l’emmenaient, dès qu'il arriverait dans les montagnes. Et aussitôt Amulius envoya ses gardes le plus digne de confiance avec comme ordres secrets de se saisir et d’emmener devant lui les gens que le porcher leur désignerait. Après cela, il décida d’appeler immédiatement son frère et de le mettre sous une garde légère jusqu'à ce qu'il ait arrangé ses affaires et il le fit venir sous un prétexte quelconque; 3. mais le messager qu’il lui envoya, poussé à la bienveillance envers l'homme en danger et à la compassion pour son destin, mit Numitor au courant des desseins d'Amulius. Et Numitor, indiquant aux jeunes gens le danger qui les menaçait et leur recommandant instamment de se montrer courageux, vint au palais avec une bande considérable de serviteurs, amis et domestiques fidèles. Ceux-ci furent rejoints par des paysans qui étaient entrés dans la ville plus tôt et qui venaient de la place du marché avec des épées cachées sous leurs vêtements, c’était une troupe vigoureuse. Et par une attaque concertée ils forcèrent l'entrée qui était défendue seulement par quelques troupes lourdement armées, ils égorgent facilement Amulius et après se rendent des maîtres du citadelle. Tel est le récit donné par Fabius. [1,84] LXXXIV. 1. Mais d’autres, qui soutiennent que tout ce qui touche au fabuleux n’a aucune place dans un récit historique, disent que l’exposition de bébés par des domestiques d’une façon qui ne s’accordait pas à leur instructions est une chose improbable, et ils se moquent de la louve apprivoisée qui allaite les enfants en disant que c’est une histoire complètement mélodramatique et absurde. 2. Au lieu de cela ils en donnent la version suivante: quand Numitor apprit qu'Ilia était enceinte, il se procura d'autres enfants nouveau-nés et quand elle donna naissance à ses bébés, il fit l’échange. Il donna à emporter les faux enfants à ceux qui la gardaient au moment de l’accouchement, soit en ayant acheté la fidélité des gardes par de l'argent soit en machinant cet échange avec l'aide des femmes; et quand Amulius les reçut, il les fit disparaître d’une manière ou d'une autre. Quant aux bébés nés d'Ilia, leur grand-père, qui tenait surtout à leur sauvegarde, les remit à Faustulus. 3. Ce Faustulus, disent-ils, étaient d'origine arcadienne, descendant de ces Arcadiens qui vinrent avec Evandre; il vécut près du Palatin et s’occupait des domaines d'Amulius, et il se laissa persuader par son frère, appelé Faustinus, qui avait l’intendance des troupeaux de Numitor qui paissaient près de l’Aventin, de laisser Numitor élever les enfants. 4. Ils disent aussi, que celle qui les a nourris et allaité n'était pas une louve, mais, comme on peut le supposer, une femme, l'épouse de Faustulus, appelée Laurentia, qui avait autrefois prostitué sa beauté et avait reçu des gens qui vivaient aux environs du Palatin le surnom de Lupa. C'est un terme grec antique qui s’applique aux femmes qui se prostituent pour de l’argent; mais elles s'appellent aujourd’hui d’un nom plus respectable, des hétaïres ou des "compagnes." Mais certains qui l’ignoraient ont inventé le mythe de la louve, cet animal s'appelant lupa en latin. 5. L'histoire se poursuit : après que les enfants furent sevrés, ils furent envoyés par ceux qui les élevaient à Gabies, une ville non loin du Palatin, pour apprendre les lettres grecques; et là ils furent élevés par quelques amis personnels de Faustulus, qui leur apprirent les lettres, la musique, et l'utilisation des armes grecques jusqu'à leur adolescence. 6. Après leur retour chez leurs parents supposés, une querelle surgit entre eux et les bouviers de Numitor au sujet de leurs pâturages respectifs; sur quoi ils frappèrent les gens de Numitor de sorte que ceux-ci conduisirent leurs bétail ailleurs. Ils faisaient cela sur l’avis de Numitor afin de servir comme prétexte pour ses plaintes et pour avoir une excuse pour l’arrivée de ses bergers en ville. 7. Quand cela arriva, Numitor engueula Amulius, déclarant qu'il avait été traité outrageusement, en étant pillé par les bouviers d'Amulius, et il exigea d’Amulius que, s'il n'était responsable d'aucune de ces choses, de lui livrer le porcher et ses fils pour qu’ils soient jugés; et Amulius, voulant montrer son innocence, ordonna non seulement à tous ceux dont on s’était plaint, mais aussi à ceux qui étaient accusés d'avoir été présents au conflit, de venir et de se soumettre au jugement de Numitor. 8. Comme un grand nombre de gens arrivèrent en ville en même temps que les accusés, pour soi-disant assister au procès, le grand-père des jeunes gens les mit au courant de toutes les circonstances de leur sort, et leur dit que maintenant ou jamais c’était l'heure de la vengeance. Immédiatement il attaqua Amulius avec la foule des bergers. Tels sont donc ces récits donnés de la naissance et de l’éducation des fondateurs de Rome. [1,85] LXXXV. 1. Je vais maintenant rapporter les événements qui se sont produits lors de la période même de la fondation : c’est la partie de mon récit qu’il me reste à écrire. Quand Numitor, à la mort d'Amulius, eut repris le pouvoir et passé quelque temps à arracher la ville au désordre actuel pour la rétablir en son état ancien, il pensa alors donner un pouvoir indépendant à la jeunesses en fondant une autre ville. 2. En même temps, comme les habitants avaient beaucoup augmentés en nombre, il pensa qu’il était de bonne politique de se débarrasser d'une certaine partie de ceux-ci, en particulier de ceux qui avaient par le passé été ses ennemis, pour n’avoir plus de motif de les suspecter. Et après avoir communiqué ce plan aux jeunes gens et gagné leur approbation, il donna, comme terres à gouverner, la région où ils avaient été élevés dans leur petite enfance, non seulement à cette partie du peuple qu'il suspectait avoir l’intention de commencer à se rebeller à nouveau, mais également à ceux qui étaient disposés à émigrer volontairement. 3. Parmi ces derniers, comme c’est normal quand une ville envoie une colonie, il y avait un grand nombre de gens du peuple, mais il y avait aussi un nombre suffisant d’hommes de la meilleure société, et parmi la partie troyenne tous ceux qui étaient considérés comme les plus nobles par leur naissance, dont la descendance de certains perdure encore de mes jours : c’était plus ou moins cinquante familles. On fournit aux jeunes gens de l'argent, des armes et du blé, ainsi que des esclaves et des bêtes de charge et tout ce qui était utiles pour fonder une ville. 4. Après qu'ils emmenés leurs gens hors d’Albe et qu’ils se soient mêlés à la population locale qui restait toujours dans Pallantium et Saturnia, ils divisèrent la multitude en deux parties. Ils faisaient cela dans l'espoir d‘éveiller un esprit d'émulation, afin que par leur rivalité leurs travaux puissent être achevés plus tôt; cependant elle cette rivalité produisit le plus grand des maux, la discorde. 5. Chaque groupe, vantant son propre chef, prétendait que c’était la personne la plus appropriée pour les commander tous; et les jeunes gens eux-mêmes, n'ayant plus maintenant une seule façon de penser et ne sentant plus la nécessité d’avoir des sentiments fraternels les uns pour les autres, depuis que chacun comptait commander l'autre, dédaigniaent l'égalité et aspiraient à la supériorité. Pendant un certain temps ils cachèrent leurs ambitions, mais peu de temps après elles éclatèrent à l'occasion suivante. 6. Ils n’avaient pas la même idée de l’emplacement de l’endroit où devait être fondée la ville; Romulus proposa de coloniser le Palatin, entre autres raisons, à cause de la bonne fortune de l'endroit où ils avaient été sauvés et élevés, tandis que Remus favorisait l'endroit qui est maintenant appelé Remoria de son nom : en effet cet endroit est très approprié pour une ville. C’était une colline non loin du Tibre et à environ trente stades de Rome. De cette rivalité naquit immédiatement un amour sauvage du pouvoir; celui qui maintenant serait le vainqueur imposerait inévitablement sa volonté en toutes occasions de la même façon. [1,86] LXXXVI. 1. En attendant, quelques heures s'étant écoulées et leur discorde ne diminuant absolument pas, les deux acceptèrent de s’en référer à leur grand- père et dans ce but ils se rendirent à Albe. Il leur conseilla de laisser aux dieux le soin de décider lequel d'eux donnerait son nom à la colonie et en serait le chef. Et après avoir fixé pour eux un jour, il leur demanda de se placer tôt le matin à distance l’un des l’autre, dans un endroit que chacun d'eux considérerait comme approprié, et après avoir d'abord offert aux dieux les sacrifices habituels, d’attendre les oiseaux propices; et il leur dit que celui à qui les oiseaux les plus favorables apparaîtraient, celui-là commanderait la colonie. 2. Les jeunes gens approuvèrent l’idée, s’en allèrent et selon leur accord revinrent le jour désigné pour l’épreuve. Romulus choisit pour endroit le Palatin, où il se proposait s’établir la colonie, et Remus l’Aventin qui jouxtait celui-ci, ou, selon d'autres, Remoria; et des gardes les occupèrent les deux collines, pour les empêcher de rapporter des choses autres que celles qui leur seraient apparues. 3. Quand ils eurent pris leurs places respectives, Romulus, après une court moment, à cause de son ardeur et de jalousie envers son frère, - mais probablement c’est le ciel qui le poussait – sans avoir vu absolument aucun présage, envoya des messagers à son frère lui demandant de venir immédiatement, comme s’il avait été le premier à voir des oiseaux propices. Mais tandis que les personnes qu'il avait envoyées s’avançaient sans trop se hâter, ayant honte de la tromperie, six vautours apparurent à Remus, venant de la droite; et, voyant les oiseaux, il fut rempli de joie. Et peu après les hommes envoyés par Romulus le prirent et l’amenèrent au Palatin. 4. Quand ils furent ensemble, Remus demanda à Romulus quels oiseaux il avait été le premier à voir, et Romulus ne sut que répondre. Mais alors on vit douze vautours propices; et voyant ces derniers il reprit courage, et les montrant à Remus, il dit: "Pourquoi exiges-tu de savoir ce qui s'est produit il y a longtemps? Tu vois toi-même les oiseaux." Mais Remus fut indigné et se plaignit amèrement d’avoir été trompé par son frère; et il refusa de lui abandonner la colonie. [1,87] LXXXVII. 1. Sur quoi un différend plus grand que le précédent surgit entre eux, chacun, tout en essayant secrètement d'obtenir l'avantage, était en apparence disposé à accepter l'égalité, pour la raison suivante. Leur grand-père, comme je l’ai dit, avait dit que celui à qui les oiseaux de bon augure apparaîtraient la première fois devrait commander la colonie; mais, comme ils avaient vu tous les deux la même espèce d'oiseaux, l’un avait eu l'avantage de les voir le premier et l'autre d’en voir un plus grand nombre. Le reste du peuple épousa également leur querelle, et s'armant sans ordre de leurs chefs, commença à se battre; et un combat violent s'ensuivit où beaucoup furent massacrés des les deux camps. 2. Au cours de cette bataille, comme le racontent certains, Faustulus, qui avait élevé les jeunes gens, souhaitant mettre un terme aux différends entre les frères et ne pouvant y arriver, se jeta sans armes au milieu des combattants, cherchant la mort la plus prompte, ce qui lui arriva. Certains disent également que le lion de pierre qui se trouvait dans la partie principale du forum près des rostres fut érigé au-dessus du corps de Faustulus, qui fut enterré par ceux qui le trouvèrent dans l'endroit où il était tombé. 3. Remus fut massacré dans cette bataille, Romulus, qui avait gagné la victoire la plus noire à cause de la mort de son frère et du massacre mutuel des citoyens, enterra Remus à Remoria, puisque de son vivant il s'était attaché à cet endroit comme emplacement pour la nouvelle ville. Quant à lui, dans sa peine et son remord pour ce qui s'était produit, il devint déprimé et perdit tout désir de vivre. Mais comme Laurentia, qui avait recueilli les bébés à leur naissance, les avait élevés et les avait aimés non moins qu'une mère, le suppliait et le réconfortait, il l’écouta et se reprit. Réunissant les latins qui n'avaient pas été massacrés lors de la bataille (ils étaient encore un peu plus de trois mille sur la multitude très grande du début, quand il emmenait la colonie), il construisit une ville sur le Palatin. 4. L'exposé que je viens de donner me semble le plus probable des récits au sujet de la mort de Remus. Cependant, il en existe une autre version que celle-ci, laissez-moi également la raconter. Certains, en effet, disent que Remus avait laissé le commandement à Romulus, non sans ressentiment et colère à cause de la tromperie, mais après que le mur eut été construit, souhaitant démontrer la faiblesse de la fortification, il dit, " Ce mur, un de tes ennemis pourrait facilement le franchir comme je le fais, " et immédiatement il sauta au-dessus. Sur quoi Celer, un des hommes qui se tenaient sur le mur et qui dirigeait le travail, dit, " Eh bien, cet ennemi, un de nous pourrait facilement le punir," et le frappant sur la tête avec une pioche, il le tua sur le coup. Tel fut le résultat, dit-on, de la querelle entre les frères. [1,88] LXXXVIII. 1. Comme il ne restait aucun obstacle à la fondation de la ville, Romulus fixa le jour où il projetait de commencer le travail, après avoir d'abord invoqué les dieux. Et après avoir préparé tout qui était exigé pour les sacrifices et pour le divertissement du peuple, quand le moment fixé arriva, il offrit lui-même d'abord un sacrifice aux dieux et demanda aux autres de faire la même chose selon leurs possibilité. Il prit alors d’abord les présages, qui furent favorables. Après cela, il demanda d’allumer les feux devant les tentes, fit sortir le peuple et le fit sauter au-dessus des flammes pour effacer leurs souillures. 2. Quand qu'il estima que tout ce qu’il avait imaginé comme acceptable pour les dieux, avait été fait, il appela toutes les personnes à l'endroit désigné et dessina une figure quadrangulaire autour de la colline, traçant avec une charrue tirée par un taureau et une vache attelés ensemble un sillon continu destiné à recevoir la base du mur; et depuis lors cette coutume perdure chez les Romains de labourer un sillon autour de l'emplacement où ils projettent de construire une ville. Après avoir fait cela, sacrifié le taureau et la vache et également exécuté de nombreux sacrifices d'autres victimes, il mit le peuple au travail. 3. C’est ce jour que les Romains célèbrent encore aujourd’hui chaque année par une de leurs plus grandes fêtes qu’ils appellent Parilia. Ce jour-là, situé au début du printemps, les paysans et les bouviers offrent un sacrifice de remerciement pour la fécondité de leurs bétail. Quant à savoir s'ils célébraient ce jour dans les périodes anciennes comme un jour de réjouissances et pour cette raison ils le considéraient comme propice à la fondation d’une ville, ou si c’est parce qu'il marque le début de la fondation de la ville, qu’ils le consacrèrent et qu’ils pensèrent qu’ils devraient honorer ce jour-là les dieux qui sont propices aux bergers, je ne peux le dire avec certitude. [1,89] LXXXIX. 1. Tels sont donc les faits relatifs à l'origine des Romains, faits que j'ai pu découvrir par une lecture très approfondie de beaucoup de travaux écrits par les auteurs grecs et romains. Par conséquent, dorénavant le lecteur doit pour toujours renoncer aux vues de ceux qui font de Rome un asile de barbares, de fugitifs et des vagabonds, et il peut avec confiance affirmer que c’est une ville grecque, - ce qui sera facile quand il verra qu'elle fut immédiatement la plus hospitalière et la plus amicale de toutes les villes, et quand il considèrera que les Aborigènes étaient Oenotriens, et c’est-à-dire Arcadiens, 2. et qu’il se rappellera ceux qui se sont joint à eux dans leur peuplement, les Pélasgiens qui étaient Argiens d’origine et qui sont venus en Italie venant de Thessalie; et qu’il se souviendra de l'arrivée d'Evandre et des Arcadiens, qui se sont installés autour du Palatin, après que les Aborigènes leur eurent accordé la région; et celle aussi des Péloponnésiens, qui, venant avec Hercule, se sont installés sur la colline de Saturne; et, en dernier lieu, ceux qui ont quitté la Troade et se sont mêlés aux premiers colons. On ne trouvera aucune nation qui soit plus ancienne ou plus grecque que ces dernières. 3. Mais les mélanges des barbares et de Romains, à cause desquels la ville a oublié plusieurs de ses habitudes antiques, se sont produits dans un temps plus tardif. Cela peut sembler fort étonnant à beaucoup de ceux qui réfléchissent sur le cours normal des événements que Rome ne soit pas devenue entièrement barbare après avoir accueilli des Opiques, des Marses, des Samnites, des Tyrrhéniens, des Bruttiens et des milliers d'Ombriens, de Liguriens, d'Ibériens et de Gaulois, sans compter d’innombrables autres nations, dont certaines venues d'Italie elle-même et certaines d'autres régions et qui différaient les unes des autres par leur langue et leurs coutumes : leurs façons de vivre même, diverses qu’elles étaient et troublées par une telle discordance, auraient dû causer beaucoup d'innovations dans l'ordre ancien de la ville. 4. Beaucoup d'autres, en vivant parmi des barbares, ont en peu de temps oublié tout leur héritage grec, de sorte qu'ils ne parlent plus la langue grecque, n’observent plus les coutumes des Grecs, ne reconnaissent plus les mêmes dieux, n’ont plus les mêmes lois équitables (c’est en cela surtout que l'esprit des Grecs diffère de celui des barbares) et ne sont d'accord entre eux dans aucune autre chose qui les rattache aux rapports ordinaires de la vie. Ces Achéens qui se sont installés près du Pont-Euxin sont une preuve suffisante de ma démonstration; bien qu’à l'origine Eléens, nation vraiment grecque, ils sont maintenant les plus sauvages de tous les barbares. [1,90] XC. 1. La langue parlée par les Romains n'est ni tout à fait barbare ni absolument grecque, mais un mélange de tous les deux, dont la dominante est éolienne; et le seul inconvénient qu'ils ont éprouvé de ce mélange avec ces diverses nations est qu'ils ne prononcent pas tous leurs sons correctement. Mais toutes les autres indications d'origine grecque ils les conservent plus que toutes les autres colonies. Ce n'est pas simplement récemment, depuis qu’ils jouissent du cours abondant de la bonne fortune qui leur donne les agréments de la vie, qu'ils ont commencé à vivre avec humanité; ni même depuis qu'ils ont visé pour la première fois à la conquête des pays se trouvant au delà de la mer, après avoir renversé les empires carthaginois et macédoniens, mais plutôt au moment où ils se sont associés la première fois pour fonder la ville, qu'ils ont vécu comme des Grecs; et ils ne font rien de plus pour arriver à la vertu maintenant qu'autrefois. 2. J'ai des choses innombrables à dire sur ce sujet, je peux apporter beaucoup d'arguments et présenter le témoignage d’auteurs crédibles; mais je réserve tout cela pour le récit que je me propose d'écrire sur leur gouvernement. Je reprendrai maintenant le fil de mon récit, après donné en préface au livre suivant un résumé de ce qui est contenu dans ce livre.